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Mince! Un premier roman sur la grossophobie

"Grossophobie", d'Alexis Brunet (Ovadia, 2022)


Mince! Un premier roman sur la grossophobie
Jes Baker, activiste américaine, photographiée en France le 15/12/2017. ©Christophe Ena/AP/SIPA

Grossophobie, le tout premier roman de notre contributeur Alexis Brunet, critique notre société woke, chaque jour à l’affut de nouveaux «phobiques», grâce aux péripéties d’un anti-héros prénommé Kévin. Si ce roman à thèse est plaisant à lire, il aurait peut-être gagné à développer un peu plus la psychologie de ses personnages. Ce sera le cas, à n’en point douter, la prochaine fois.


Kevin, métis originaire de Guyane par sa mère qui l’emmena avec lui lorsqu’elle décida de venir s’installer en métropole puisqu’il était encore dans son ventre, n’a pas connu son père, volatilisé. Homme de 40 ans à présent, en surpoids ou obèse selon les mois, personnage indéterminé et profondément « désorienté », à l’image de l’époque que nous vivons, a perdu le nord comme on dit et c’est en remontant vers lui qu’une direction lui sera indiquée… Mais n’allons pas trop vite !

Kevin, un personnage houellebecquien

Au début du roman, Kevin perd sa seule famille ; à savoir sa mère qu’il était allé rejoindre à Hyères et se retrouve dès lors orphelin et, d’une manière générale, privé de communauté. Certes, il travaille, dans l’informatique, et n’a pas son pareil pour réparer ses machines. Mais sa solitude n’en reste pas moins entière et ce ne sont pas les quelques rencontres avec sa voisine qui peuvent l’amoindrir. D’autant plus qu’elle sera vite assassinée… « Pour autant, Kevin ne comprend pas pourquoi elle ne lui a pas demandé, à lui, de l’aider à régler correctement sa télé. La veille du meurtre, la télé marchait très bien. Ils avaient regardé un peu CNews puis il l’avait laissée devant Squid Game, il trouvait cette série d’un ennui abyssal. Il n’avait jamais aimé les séries et encore moins les séries coréennes. Il songeait d’ailleurs que ça pourrait être un motif de rupture avec Alice. »

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Personnage houellebecquien, notre anti-héros qui, lui, rêve d’en être un, et qui ne fait pas dans le plat surgelé mais dans le Nutella à la louche, porte un regard désenchanté et acéré sur le monde, entre deux érections intempestives suivies d’intenses frustrations. Sa vie intérieure est rythmée par des pulsions sexuelles inassouvies. Alors que, justement, il vient encore de passer à côté d’une chance possible, il se découvre une nouvelle raison chagrine: « Sa peine fut encore plus forte lorsqu’il prit conscience qu’il n’avait jamais fait l’amour dans une voiture. Il était encore vierge de l’amour en voiture et cela le travaillait, il aimait la voiture, il se sentait bien en voiture, rester vierge de l’amour en voiture pour le restant de sa vie était une perspective qui ne le réjouissait guère. »

Un roman sur le wokisme en France

En dehors d’une vie sexuelle problématique, notre personnage est en quête d’une direction à prendre et ce sera Paris, et cette traversée de la France s’avérera aussi géographique que critique. Le roman est sans cesse l’occasion (trop peut-être ?) de mettre en scène l’idéologie ambiante qui aura trouvé en ce début de millénaire avec le mot « phobie » son principe majeur. Pour cela, quelques personnages rencontrés sur le chemin seront l’occasion de nous offrir quelques caricatures gratinées. Dont une femme, elle aussi dotée de kilos superflus, et qui régalera le lecteur avec ses considérations aussi ahurissantes qu’actuelles ; notamment lorsqu’il s’agit de lutter contre les discriminations envers « les migrants en surpoids » lesquels subissent donc une double peine… Tous les clichés sont réunis et de manière parfois très drôle. Et Kevin, tel un personnage des Lettres persanes de Montesquieu, regarde ce monde qui lui est étranger entre deux coups d’œil aux seins de Lucy. La dame qui l’accompagne à la capitale et qui n’en finit pas de déblatérer nous gratifie dans un café de Stalingrad d’un moment quasi macronnien, lorsqu’elle débite son verbiage en n’oubliant jamais de dire et le féminin et le masculin, (voire le fameux « celles z’et ceux »), mais de telle sorte que cette manie, dans sa répétition, dézingue la syntaxe à la façon de Molière avec effet comique garanti. Je ne le citerai pas ; au lecteur de le découvrir et de s’en délecter !

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Mais ce récit, qui met en scène les travers absurdes de notre époque, est aussi un conte initiatique. En allant vers le nord et vers un lieu emblématique des Grands Hommes, le gros Kevin, flottant dans l’existence comme une bouée, en deviendra un à son tour ; à la faveur d’un acte héroïque qui redorera son blason et par la grâce d’un hommage rendu à un père d’adoption: ce qui lui permettra de redonner à sa vie une direction et une descendance possible. Ce roman aurait cependant gagné à épaissir ses personnages secondaires, qui semblent souvent servir de prétextes à l’inventaire des poncifs. Dégraissé de son côté trop sociologique, le roman aurait ainsi rejoint son poids idéal…

Grossophobie, d’Alexis Brunet, éd. Les éditions Ovadia, 156 p., 2022.

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