Jean-René Van der Plaetsen se fait à la fois moraliste et conteur, sensuel et patriote, mondain et fraternel dans un recueil de nouvelles La vie à contre-courant qui paraît le 1er octobre aux éditions du Rocher…

On est toujours un peu fébrile et impatient quand on aborde des nouvelles. Y aura-t-il une continuité dans l’éparpillement des textes ? Une forme de cohérence ou un désaxage ? Un ton, une ambiance, un décor, une couleur ? Surtout quand ces textes s’étendent sur une si longue période, certains datent du siècle dernier, 1989 et d’autres sont du millésime 2025. L’homme et l’écrivain partagent-ils les mêmes doutes sur l’existence ? L’apprenti journaliste, hussard d’esprit et de style, a-t-il encore quelque chose à voir avec l’installé directeur délégué de la rédaction du Figaro Magazine ? Le poids des années a-t-il effrité, érodé cette mélancolie qui est la marque des moralistes lisibles ? La réussite professionnelle est-elle un frein à la veine créatrice ? Je me posais toutes ces questions avant d’entamer la lecture de La vie à contre-courant qui paraît mercredi prochain dans les librairies.
A lire aussi: Claudia, la voix de l’amour
Jean-René Van der Plaetsen, auréolé du Prix Interallié et Grand Prix Jean Giono n’est pas homme à tanguer, à varier, à trahir ses élans du passé et à brader l’Histoire de France pour une gamelle ou une prébende. Je l’ai retrouvé tel quel, droit et romantique, dans toute sa panoplie qui va du nostalgique lucide au pasteur bambocheur. Une raideur apparente qui est le voile des pudiques et le sel de la vraie littérature. Comme tout bon militaire, Jean-René est un sentimental qui se contrôle, qui n’a pas peur de ses émotions ; tout en les canalisant, il leur offre un bon de sortie. Il ne ferme aucune porte à l’aventure, à l’incongru, au magique, tout le contraire d’un bourgeois encrouté et fat. Chez Jean-René, on retrouve ce vieux fond de culture qui nous fait tellement défaut aujourd’hui et qui est attaqué par les salisseurs de mémoire. Mais le figer dans la réaction, dans la posture de l’ordre, dans une certaine classe sociale serait une erreur de jugement. Une idiotie. Jean-René est à l’image de ces officiers de terrain qui ont beaucoup côtoyé les hommes, les diplômés du dernier rang et les fils de famille. Dans ce recueil d’automne, on croise les fantômes, les marottes de l’écrivain, une Polonaise tentatrice, des grognards, des chauffeurs de taxi, des dîners mondains, l’illusion de Paris, le Liban, la Normandie, la Coloniale, l’île d’Arz, un adjudant qui marche et qui offre sa vie, une table ripailleuse, un Famas « tiède et bien huilé », des flacons qui scintillent dans la nuit, des demeures ancrées et la vacuité du monde moderne. Jean-René est un antimoderne qui n’a pas le cœur sec. Il s’enthousiasme pour un galon, une bataille perdue, une jambe soyeuse, un amour impossible et la Légion étrangère. Il est traversé par un courant alternatif, très agréable pour le lecteur qui reste en permanence sur le qui-vive, à la fois une forme de classicisme faussement désinvolte et des emballements sincères. Ses héros cabossés, en transit ou en bout de course, sont des hommes seuls, colonel en colère, Russe blanc, célibataire endurci, rebelle et anticonformiste. Cet écrivain-là n’est pas monolithique.
A lire ensuite: Question de vie et de More
Éric Neuhoff, dans sa tendre préface, a eu le nez creux de lui mettre le pied à l’encrier. Ce que j’aime particulièrement dans cette série de nouvelles, c’est cet assemblage peu courant, un constat implacable sans le dégoût de la vie. Jean-René n’est pas un écrivain misanthrope, comme si le jeune sexagénaire n’avait rien oublié de sa fougue d’antan, de ses errements de jeunesse, comme s’il était prêt à croquer le fruit défendu alors que ses personnages ont vu tant de malheurs émailler leur vie. Jean-René est un inclassable. Il a puisé et façonné sa propre veine dans plusieurs sources. Il a retenu les leçons de netteté et d’onctuosité de Blondin, de provincialisme assumé chez Tillinac, j’entrevois également un compagnonnage avec les biffins de Jacques Perret, et puis le goût de mêler l’Historie à la psychologie cher à Déon et peut-être étrangement, un cousinage avec François Nourissier. Un attachement à l’homme coincé, au dissident, à celui qui ne communie pas avec la foule, et pourtant, toujours vivace, l’attrait de la beauté d’une femme, d’une maison, d’un foyer, d’un bonheur à portée de main et inatteignable.
Je me rends compte que je ne vous ai pas encore fait entendre cette voix singulière. Le plaisir de la formule racée est la matrice de ce recueil. Jean-René devrait penser à compiler ses maximes : « On ne fréquente pas sans s’infecter la littérature », « il y a une littérature des taxis », « Mon regard s’alanguirait souvent si les femmes ne parlaient pas tant » et ce sublime : « Aujourd’hui encore, on retrouve dans les mentalités iledaraises quelques réminiscences de ce matriarcat qui fonctionnait parfaitement ».
La vie à contre-courant de Jean-René Van der Plaetsen – édition du Rocher. 200 pages




