Accueil Édition Abonné Les hommes préfèrent les trans

Les hommes préfèrent les trans

Mes nuits au bois de Boulogne


Les hommes préfèrent les trans
Prostituées sur l'allée de Longchamp, bois de Boulogne © Photos: Quentin Verwaerde.

En pleine période puritaine, le plus grand bordel de France demeure… le bois de Boulogne ! On vient s’y enivrer de sexe, de stupre et, surtout, on vient y chercher les transsexuelles. Objets de fascination et de trouble désir pour les hétéros, elles sont le trésor du bois sur lequel elles règnent. Immersion dans ces folles nuits où les normes sont abolies.


Pour les vacances, certains sont partis à Marbella, Saint-Tropez ou encore à Mikonos. Moi, c’est au bois de Boulogne que j’ai décidé de passer mon été, du moins beaucoup de mes soirées. Et, pour sûr, il a été bien plus fantastique et dépaysant que celui de mes amis. Lorsque j’avais 20 ans, accompagné d’un camarade ou deux, j’y passais certains soirs des heures entières. Nous étions fascinés par ce monde parallèle, par cette ville clandestine engloutie dans les bois, qui éclot au soleil couché, et va fiévreusement jusqu’au petit matin au rythme des désirs les plus brûlants. Quinze ans plus tard, me voici de retour ! Ô bois de tous les fantasmes, tu n’as pas changé. Le monde s’aseptise, et toi tu ne bouges pas. En plein essor du puritanisme, tes seins, tes fesses, tes langues, tes voyeurs et tes exhibitionnistes sont toujours aussi nombreux. Tes moindres recoins puent le sexe à plein nez. À la porte Maillot, c’est encore la vie normale. Mais voilà qu’un panneau d’indication porte ton nom. Je le suis, je tourne à droite. J’aperçois les premiers arbres… nous voilà en zone libre ! Il est 22 H 45. Quelques femmes seules attendent, dès les premiers mètres dans le bois. Rien de spectaculaire. Peu de passage, presque pas de clients. Ce n’est pas ça qu’on vient chercher ici. Les femmes ordinaires se trouvent déjà dans la vie normale. Le trésor est ailleurs. Ce qui attire la foule, c’est un autre type de femmes. Me voilà maintenant sur l’allée de Longchamp, une des plus grosses artères traversant le bois. J’entre dans le vif du sujet. Fenêtres ouvertes je roule et, non loin, déjà résonne la salsa.

À quelques mètres, un groupe de filles danse sur le bord de la route. Les arbres, auxquels elles tournent le dos, sont leur décor. Les transsexuelles latino-américaines ! Plus de 90 % des filles qui travaillent ici sont trans. C’est pour elles que ce lieu vit la nuit. Pour elles que les voitures sont toutes là, si nombreuses et si lentes, se traînant si lourdes, surchargées de désirs. Ces créatures magnifiques et troublantes sont les objets de toutes les convoitises. Des curiosités les plus obsédantes. Avec quelques guirlandes lumineuses de toutes les couleurs accrochées aux arbres, le groupe de six filles s’est délimité son petit pré carré sur sept ou huit mètres. Certaines sont très belles. Deux types latinos, avec de bonnes gueules sympathiques, sont assis avec elles, rient et boivent. Ce sont en général des hommes de leur entourage qui leur tiennent compagnie et leur assurent un minimum de sécurité. Au bois, les filles trans travaillent de leur plein gré et pour leur compte. Les chicas dansent en se partageant une flasque de whisky. Je ralentis devant elles. Les mains passent dans les cheveux, les langues caressent les lèvres, les mains caressent les seins. Je poursuis ma tournée. D’autres prés carrés lumineux se trouvent en bordure de la route. Sur chacun on écoute de la salsa, de la cumbia ou du merengue, et on y parle en espagnol ou en brésilien. Ici, c’est Cali à Paris. C’est Lima à Boulogne. C’est le bois de Rio. Certaines chicas, assises entre elles, sont en train de dîner. Une femme (biologique, pas une trans) plus toute jeune va et vient chaque soir dans le bois avec une poussette pleine de provisions. Elle vend aux travailleuses de la nuit des plats qu’elle confectionne et met en barquette. Un Pakistanais armé de son énorme thermos vend, lui, les boissons chaudes toute la nuit. D’autres vendent des boissons fraîches. Sur environ deux cents mètres, j’ai croisé une bonne trentaine de filles. Toutes trans. Voici le maxi pré carré ! C’est presque un squelette de chapiteau dessiné en guirlande lumineuse, une petite maison. Un air de guinguette ou de fête foraine. Une quinzaine de filles à demi nues s’y trouvent. J’arrive au croisement avec l’allée de la Reine-Marguerite. La plus prisée. Ici, on ne sait plus où donner du regard, les filles sont partout. Des belles, des moins belles, des menues, des pulpeuses, des grosses ! Les voitures ralentissent, s’arrêtent, repartent. Les vitres se baissent, les filles s’approchent. En se penchant seins en avant à hauteur de conducteur, on négocie à la fenêtre. Les phares se croisent, s’éteignent, se rallument. Nous sommes au cœur du bois. C’est ici qu’il bat le plus fort. Sur un peu moins de deux kilomètres, une bonne centaine de filles tapinent. Quel spectacle ! Elles dansent, découvrent leurs seins à la première voiture qui ralentit, envoient des baisers, miment les pipes… « Viens bébé, je te suce… », me dit l’une avec son accent mélodieux. Et tous ces bons hommes cherchent le stupre. Ils cherchent, ils cherchent. Ils hésitent, ils repartent. Puis reviennent ! La tête leur tourne. Dans quelques minutes, ils craqueront. Question de temps. Ils viennent ici dans le secret qu’ils partagent parfois avec un ami ou deux. Des silhouettes d’homme entrent et sortent d’entre les arbres. Un type jaillit de derrière un tronc, referme sa braguette et remonte dans sa voiture, soulagé. À l’intérieur du bois, derrière les premières rangées d’arbres, là où la lumière des réverbères de la route peine à parvenir, des ombres lentes se promènent. Des types cherchent, feignant la promenade. Ici tout le monde n’est pas client. Certains sont voyeurs. Ici, on aime pisser en étant vu. On aime se promener dans la pénombre, bercé par le bruit des ébats ou des « floc-floc d’enculade » comme l’écrivait le grand Copi. Des types se masturbent dans le noir, admirant discrètement les silhouettes des filles et des clients qui remplissent le contrat. Je tourne, je vais et je viens. Il est une heure, la fête bat son plein. La banlieue débarque au bois. La plupart des hommes présents sont plutôt jeunes, et d’origine maghrébine ou africaine. Les « jeunes de banlieue », comme on dit. Ils sont beaux, pour un bon nombre d’entre eux. Ici, au bois, ce n’est pas la caricature du client gros et vieux. Non ! Ceux-là ne sont pas majoritaires. Les jeunes gens des beaux quartiers, moins nombreux, eux aussi sont présents. La jeunesse se promène à pied, l’air de rien, seuls ou en bande de copains, pour trouver ces filles un peu spéciales. Ces femmes qui n’en sont pas tout à fait. Ces filles qui, presque toutes, ont gardé leur sexe d’homme et ne le cachent pas… au contraire. C’est bien la quête de ces jeunes hétérosexuels. Car il faut bien être hétéro pour désirer ces cheveux longs, ces seins si fiers, ces courbes féminines, toute cette féminité exacerbée. Brunes ou blondes, les hommes préfèrent les trans ! La majorité des types que je croise ont moins de 35 ans. On voit même des mineurs aux visages d’ange passer de fille en fille pour discuter, négocier puis, finalement, s’engouffrer dans le bois. Un jeune homme blond, dans les 15 ans, bcbg, s’engloutit timidement dans une camionnette avec une fille d’une cinquantaine d’années. Il est consentant. Il a même payé ! Ses copains l’attendent au bord de la route en discutant et en riant. Certaines filles sont d’une beauté à couper le souffle. Elles savent sourire avec grand charme et vous retourner le cœur en un seul regard. Je décide d’aller faire un tour un peu plus loin pour me changer les idées. Je file route des Lacs-à-Madrid. C’est là-bas que les hommes – parfois mariés, ou du moins souvent hétéros officiellement, un peu pédés refoulés ou bien bisexuels – viennent chercher une furtive aventure homosexuelle. Et c’est gratuit ! J’arrive porte de Madrid. Un petit rond-point. D’un côté le bois, de l’autre les premières maisons du guindé Neuilly. Je prends la route des Lacs. Elle fait environ deux cents mètres et se termine en cul-de-sac. Une petite route toute calme, l’air désert. Je pénètre en pleins phares. Sur la droite le bois, sur la gauche une quinzaine de voitures stationnées les unes derrière les autres le long du centre équestre. Quelques-unes ont allumé leurs phares dès mon arrivée. Elles me font de l’œil ! Je roule au pas, leur faisant face. Dans chaque voiture, un homme attend. C’est le sex-drive. Je ralentis devant chaque véhicule. Les conducteurs me regardent. On ne me fait ni bonjour ni sourire. On attend juste la proposition ! Des vieux, des jeunes, des voitures de luxe, des vieilles poubelles, il y a de tout. Dans le dernier véhicule, un jeune homme à demi allongé sur le fauteuil conducteur se fait sucer par une transsexuelle. Elle relève la tête, je la reconnais. C’est une fille du bois, une prostituée. Elle a dû proposer au client de venir faire la passe ici, chez les pédés, où ils seraient tranquilles. Un homme d’une quarantaine d’années profite du spectacle en regardant par la fenêtre, ce qui ne semble pas gêner le jeune homme sûrement un peu exhibitionniste. Je fais demi-tour. J’aperçois à quelques mètres de moi, entre deux arbres un jeune Rebeu en survêt, Nike « TN » au pied, qui se masturbe de profil en regardant dans ma direction. Un autre jeune homme du même style le regarde, puis me regarde, et disparaît dans le bois. Beaucoup d’affaires se concluent derrière les arbres. Deux hypothèses. Soit ces deux jeunes de banlieue sont en quête d’aventures homosexuelles (il y en a beaucoup !), soit c’est un guet-apens. Ou les deux en même temps ! C’est fréquent ici. Les types suivent dans les bois une jolie racaille… et se font dépouiller. Mais les racailles joignent parfois l’utile à l’agréable et se laissent faire la gâterie proposée avant de passer aux choses sérieuses. Le vol leur permet de se convaincre qu’ils ne sont pas là pour le sexe. Que le sexe est le prétexte au vol. Alors que c’est évidemment le contraire ! En repartant vers la sortie, je croise un vieux monsieur précieux, cheveux blancs permanentés, au volant de sa petite voiture qui pénètre route des Lacs. Son petit chien l’accompagne sur le fauteuil passager. J’ai envie de voir ce qu’il va faire. Je quitte la route, puis reviens deux minutes plus tard. Au fond, sa voiture est garée près de l’endroit ou zonaient les deux jeunes en survêtement. Il n’est plus dedans. Son petit chihuahua est resté seul. Il gratte à la fenêtre, couinant dans les aigus. Le toutou semble inquiet. Il y a de quoi ! Un autre vieux me tourne autour en vélo. Il a la coupe de cheveux de Montherlant mais porte un short, ça ne peut pas être l’auteur des Jeunes filles. Je me dirige vers la sortie de la route des Lacs. À ma gauche, sur la porte de Madrid se trouve un gros robinet public en métal vert. Un vieux cycliste en T-shirt long tombant au-dessous des fesses mais les jambes nues, s’y arrête. Il l’allume, fait un demi-tour sur lui-même, et s’introduit comme il peut le robinet dans le cul. Je n’en crois pas mes yeux, il se fait un lavement public ! En pleine lumière des réverbères, face aux premiers immeubles de Neuilly. Il prend son temps. Après une ou deux minutes dans cette position (on dirait qu’il skie !) il sort de sa sacoche quelques feuilles de sopalin et se torche. Il remonte sur son vélo, et s’engouffre route des Lacs. Il préparait le terrain ! Je ne boirai plus jamais au robinet.Je retourne allée de la Reine-Marguerite. Il est 2 heures, c’est l’effervescence. Plein de mecs se baladent. Les bandes de jeunes hommes discutent maintenant ouvertement avec les filles. Ils ne font plus semblant de se promener là par hasard. Des voitures en warning sont stationnées de tous côtés. Des groupes de mecs palabrent entre eux, c’est l’heure des conciliabules. « Vas-y on fait quoi ? On essaye ? C’est un trans mais elle est bonne ! Putain, elle est vraiment belle. T’as combien sur toi ? Moi il me reste trente euros. Si t’as dix euros on lui demande si elle peut nous sucer à deux. » À ma droite, la toute petite route de Suresnes s’enfonce dans l’obscurité du bois. Mais jusque loin dans le noir, on aperçoit des petites lumières de couleur. On devine le sexe. J’y pénètre. La route est étroite. Sur les côtés, les grosses fourgonnettes s’enchaînent tous les vingt mètres. À l’intérieur, les filles trans sont comme en vitrine. Ici elles sont plus âgées. Elles ont tapissé leur petite scène-cabine de léopard ou de zèbre et l’ont éclairée de lumière parfois rose ou rouge. Des tableaux de Pierre et Gilles ! Certaines sont sublimes. D’autres monstrueuses, mais tellement spectaculaires qu’elles sont sublimes aussi. Cette petite route-circuit est interminable, ça tourne à gauche, puis à droite, ça n’en finit plus. Un véritable train fantôme du sexe. Il y a la queue devant nous ! Après quelques minutes, la petite route dégueule de nouveau sur l’allée de la Reine-Marguerite. Ça vibre encore plus. Plus il est tard, plus c’est chaud. Passé deux heures, parfois après quelques gorgées d’alcool, les filles veulent appâter le client. Certaines sont maintenant nues. D’autres se caressent entre elles. Les hommes deviennent fous devant ce spectacle. Quelques filles caressent le sexe des types qui leur demandent le prix. D’autres les embrassent langoureusement avec la langue. Ils ne pourront plus résister, même ceux qui étaient venus juste comme ça, pour « voir le bois ». Dois-je dire ici que certains soirs, lors de mes promenades pour écrire cet article, certains de mes copains hétéros, venus juste pour m’accompagner et voir l’endroit, se sont laissé dévorer par le bois et ses créatures ? Le chant des sirènes était trop puissant. Après des heures de seins magnifiques, de formes sur-sexuelles, de cheveux caressants, ils perdent leurs repères. Tant pis si leur « hétérosexualité » doit en prendre un coup !

Jusqu’à la fin de la nuit on croise et recroise les mêmes personnes. Ici, on vient zoner. On s’oublie un peu, on brise les tabous. On vient s’enivrer de délices et faire la fête. Car le bois est une fête. Quelque chose de joyeux, malgré tout, y règne. La vie n’est pas toujours rose pour les filles qui y travaillent. Mais le travail du sexe semble moins douloureux pour ces filles trans que pour les femmes « biologiques». Ou du moins, chez les trans on assume plus souvent de prendre parfois du plaisir avec les clients que chez les femmes. Une Brésilienne historique du bois m’a raconté ceci : « J’aime faire la pute. Ça me plaît. Au fond, je suis quand même un peu un homme. Et les hommes aiment le sexe. La plupart des clients que je fais, ça me plaît de les faire. Quand je vais avec eux, je suis excitée. Pas avec tous, mais avec beaucoup. Être payée pour faire l’amour, la nuit, dans ce bois magnifique, moi ça me plaît. Je trouve cela excitant. » Mais depuis plus de dix ans, la clientèle chic a un peu disparu. Les prix ont baissé. On fait aujourd’hui la pipe pour vingt euros et la totale pour quarante. Parfois moins. Et puis, il y a les agressions, les meurtres. Trop de filles ces dernières années ont été tuées. Quelquefois, des bandes viennent racketter les filles et les clients. Certaines travailleuses ne font pas cela la joie au cœur. Elles aimeraient faire autre chose. Chaque pute est différente. Mais ce bois, beaucoup de celles qui y travaillent ou qui y ont travaillé l’aiment malgré tout. Splendeur et misère du bois de Boulogne. « Les hommes nous désirent, on les rend fous. C’est valorisant, m’a expliquél’une d’elles. Quand je vois tous ces mecs prêts à payer pour moi, c’est flatteur. Pour nous les filles trans, ce n’est pas toujours facile de trouver un copain. Quelqu’un qui assume vraiment d’être avec une trans. Alors, les caresses des clients qui nous plaisent, leurs baisers, parfois on les prend avec plaisir. Mais lorsqu’on rentre chez nous, qu’on enlève les faux cils, le maquillage, c’est là qu’on aurait besoin de quelqu’un. Et très souvent, il n’y a personne. Pour la plupart des hommes, nous ne sommes qu’un objet de fantasmes, une parenthèse sexuelle. C’est le revers de notre médaille. C’est le tragique de notre histoire. »

Septembre 2025 – #137

Article extrait du Magazine Causeur




Article précédent Vincent Campredon: l’océan pour passion
Article suivant Macron et la Palestine: entre sincérité et naïveté
est comédien.

RÉAGISSEZ À CET ARTICLE

Pour laisser un commentaire sur un article, nous vous invitons à créer un compte Disqus ci-dessous (bouton S'identifier) ou à vous connecter avec votre compte existant.
Une tenue correcte est exigée. Soyez courtois et évitez le hors sujet.
Notre charte de modération