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Reconnaissance de la Palestine: pari diplomatique ou suicide vertueux?

Notre contributeur a vu dans la reconnaissance de la Palestine le suicide moral de l’Europe


Reconnaissance de la Palestine: pari diplomatique ou suicide vertueux?
New-York, 22 septembre 2025 © CHINE NOUVELLE/SIPA

L’autocritique permanente, loin d’apaiser, peut nourrir la propagande adverse. L’islamisme ne veut pas la repentance, il veut la victoire. Aussi, le progressisme sacrificiel des Occidentaux doit cesser, selon Charles Rojzman.


Le 22 septembre 2025, Emmanuel Macron, seul parmi les dirigeants européens ce jour-là, a annoncé à la tribune des Nations unies la reconnaissance officielle d’un État de Palestine. D’autres pays avaient déjà pris cette décision en amont (Norvège, Irlande, Espagne, Slovénie, Royaume-Uni, Portugal…), mais c’est la France qui, par la voix de son président, a voulu lui donner un retentissement mondial. Or ce geste fut posé sans conditions : ni désarmement du Hamas, ni garanties de sécurité pour Israël, ni libération des otages toujours détenus.

Ce choix, présenté comme un acte de paix, relève en réalité d’un calcul : apparaître comme le champion de l’équilibre au sein d’une ONU dominée par la majorité automatique des pays du Sud, tout en cherchant à répondre à la pression du bloc arabo-musulman. Mais il marque aussi une abdication : en reconnaissant la Palestine dans les conditions actuelles, la France entérine une victoire politique et symbolique du Hamas, et, à travers lui, légitime la montée en puissance d’un islamisme totalitaire.

Erreurs répétées

Israël n’est pas une périphérie dont l’Europe pourrait se détourner pour sauver son image morale. Il est le poste avancé d’un conflit qui concerne directement notre civilisation. En croyant protéger son prestige diplomatique, la France met en péril non seulement l’avenir d’Israël, mais le sien propre.

Il est des moments où les illusions d’une civilisation se révèlent pour ce qu’elles sont : un chemin vers sa propre disparition. L’attitude des élites européennes face à Israël, depuis le 7-Octobre et la riposte contre le Hamas, appartient à cette catégorie. Car il faut appeler les choses par leur nom : exiger un cessez-le-feu inconditionnel, c’est offrir une victoire politique et symbolique au Hamas ; et offrir une victoire au Hamas, c’est consacrer l’essor mondial de l’islamisme. Ce geste, présenté comme humanitaire, n’est rien d’autre qu’un suicide politique pour l’Europe.

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Israël n’est pas engagé dans une guerre périphérique dont l’Europe pourrait se tenir à distance ; il est le poste avancé d’un conflit qui nous concerne tous. Le Hamas n’est pas une simple organisation palestinienne : il est la figure régionale d’un totalitarisme global, l’islamisme, qui combine trois traits déjà connus du XXe siècle. Comme le fascisme, il exalte l’identité et désigne un ennemi absolu à exterminer. Comme le communisme, il promet une rédemption universelle, ici sous la forme de l’instauration d’un ordre divin libérant les peuples de la domination occidentale. Comme les deux, il séduit en empruntant le langage du Bien : dignité des opprimés, justice des humiliés, émancipation des colonisés. Mais il ajoute à ces traits un art redoutable, inédit à cette échelle : retourner contre ses adversaires les valeurs mêmes qui fondent leur civilisation. Les droits de l’homme, l’humanisme, la compassion pour les victimes deviennent l’arme idéologique d’une force qui veut abolir la liberté et la démocratie.

C’est ici qu’il faut être clair : ne pas accepter, dans les conditions actuelles, un cessez-le-feu sans la reddition du Hamas et la libération des otages restants, c’est effectivement continuer la guerre – avec ses destructions, ses victimes, ses horreurs. Mais c’est la loi du tragique : une guerre n’est jamais « propre ». Et pourtant, si comparaison il y a, cette guerre reste plus limitée, plus contrôlée, plus soucieuse de réduire les pertes civiles que la plupart des conflits du Moyen-Orient ou de l’Afrique, où les massacres sont de masse et les vies humaines comptent pour rien. Refuser la guerre, c’est condamner Israël à disparaître ; la poursuivre, c’est préserver au moins la possibilité de sa survie – et avec elle, celle d’un monde encore attaché à la liberté.

Nous avons déjà connu ce mécanisme. Dans les années 1930, l’Europe crut pouvoir désarmer Hitler en lui concédant des territoires ; elle refusa de croire que l’ennemi ne cherchait pas le compromis, mais l’anéantissement. Dans les années 1950, nombre d’intellectuels occidentaux se sont aveuglés sur le goulag au nom de l’espérance révolutionnaire. Aujourd’hui, le même aveuglement se rejoue : une partie de nos élites s’imagine qu’en freinant Israël, en lui imposant la morale humanitaire, on sauvera la paix, alors que l’on consacre en réalité la victoire d’une idéologie totalitaire.

Pourquoi cette répétition obstinée des erreurs ? Parce que l’Europe s’est enfermée dans une religion séculière de la culpabilité. Le christianisme avait inscrit au cœur de notre culture l’idée que le salut passe par l’aveu de la faute et la rédemption par le sacrifice. La modernité a sécularisé cet héritage : il ne s’agit plus de se confesser devant Dieu, mais de s’excuser devant l’humanité. Après 1945, la mémoire de la Shoah a accentué cette tendance en faisant de la reconnaissance de la faute le pivot de la conscience démocratique. Puis vint la décolonisation, et avec elle une nouvelle liturgie : celle du repentir colonial. L’Occident s’est redéfini comme coupable par essence, oppresseur congénital, sommé de s’excuser sans fin.

Ce mécanisme, transposé dans le présent, conduit à un résultat absurde : Israël, qui fut d’abord perçu comme la réparation ultime après Auschwitz, est désormais vu comme la réincarnation du colonisateur européen. La mémoire de la culpabilité européenne s’est projetée sur l’État juif, transformé en coupable de substitution. C’est lui, désormais, qui doit expier pour les crimes de l’Europe. D’où la facilité avec laquelle une partie des élites occidentales, et même juives, bascule dans la condamnation automatique d’Israël : elles rejouent la scène de l’aveu de faute qui leur donne le sentiment d’être du côté du Bien.

Postures

Ce réflexe n’est pas limité à l’Europe. On le retrouve au sein même d’Israël, dans une partie de sa gauche intellectuelle et politique. Depuis Oslo, beaucoup croient qu’en multipliant les gestes d’autocritique et les concessions, on désarmera la haine palestinienne. La diaspora juive, en particulier dans ses élites médiatiques, a prolongé cette disposition : Delphine Horvilleur, Anne Sinclair et d’autres ont fait de l’accusation de leur propre camp le moyen de se maintenir dans une posture morale irréprochable. Mais l’ennemi ne demande pas des excuses, il ne cherche pas un compromis : il exige la disparition. L’autocritique, loin d’apaiser, nourrit la propagande adverse.

Ainsi, de Paris à Tel-Aviv, une même logique sévit : celle du progressisme sacrificiel. Ce nouvel évangile laïc fusionne l’héritage chrétien du péché, la mémoire de la Shoah, la culpabilité coloniale et le manichéisme marxiste. Il en résulte une idéologie totalitaire d’un nouveau genre, qui divise le monde en dominants coupables et dominés innocents, et qui prescrit comme seule conduite légitime l’auto-dénigrement. Israël, condensé symbolique de l’Occident, est condamné à l’expiation : il ne peut être qu’agresseur, quelle que soit la réalité de l’agression qu’il subit.

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Cette religion séculière a cessé d’être un discours marginal : elle structure désormais nos institutions. À l’école, on enseigne davantage la mémoire des fautes que l’histoire des réussites ; à l’université, le paradigme décolonial s’impose comme dogme interprétatif ; dans la justice internationale, Israël est criminalisé avec une rapidité qui contraste avec l’impunité des régimes autoritaires ; dans la diplomatie européenne, la morale humanitaire se substitue à la défense des démocraties. Même les médias et la culture diffusent le récit sacrificiel : Israël comme puissance oppressive, les Palestiniens comme victimes absolues. La culpabilité est devenue norme officielle.

Les conséquences sont prévisibles. Si l’Europe persiste, elle connaîtra la désagrégation sociale, sous la pression de communautés qui ne partagent plus une identité commune. Elle connaîtra une guerre civile diffuse, faite d’émeutes, d’attentats, de zones de non-droit. Elle connaîtra l’effacement géopolitique, marginalisée par les puissances qui assument la dureté de l’histoire. Elle mourra de sa vertu, ou plutôt de sa fausse vertu : une morale qui se retourne en impuissance.

Mais un autre avenir est possible. Il suppose un retournement lucide. L’Europe doit comprendre que l’humanisme ne consiste pas à s’immoler, mais à se défendre. Elle doit retrouver une identité positive, au lieu de se définir uniquement par ses fautes. Elle doit réapprendre à nommer l’ennemi, à réhabiliter le politique contre la morale abstraite, à assumer une puissance qui protège ses valeurs. Israël, petit pays divisé mais qui tient debout face à une haine totale, peut servir de modèle : celui d’une démocratie qui résiste, non pas en dépit de ses principes, mais grâce à eux.

C’est pourquoi ce qui se joue à Gaza n’est pas seulement le destin d’un État lointain : c’est le miroir de notre propre destin. Si nous continuons à condamner Israël pour sauver notre bonne conscience, nous choisissons la désintégration. Si nous acceptons de voir en Israël non un coupable mais un avertissement, alors nous pouvons encore retrouver le sens de l’histoire. Car l’islamisme ne veut pas la repentance, il veut la victoire. Et Israël, en refusant le sacrifice, nous montre la voie du refus du suicide.




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Essayiste et fondateur d'une approche et d'une école de psychologie politique clinique, " la Thérapie sociale", exercée en France et dans de nombreux pays en prévention ou en réconciliation de violences individuelles et collectives.

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