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Guinée: un référendum pour renforcer le régime

Une nouvelle Constitution vient d'être adoptée, confortant le pouvoir de M. Mamadi Doumbouya


Guinée: un référendum pour renforcer le régime
Le chef de l'État Mamadi Doumbouya (avec la caquette et les lunettes de soleil) et son épouse Lauriane au bureau de vote à Conakry, le 21 septembre 2025 © Misper Apawu/AP/SIPA

Le référendum du 21 septembre a donné une nouvelle Constitution à la Guinée (Guinée Conakry). Loin d’assurer le pluralisme, ce texte renforce les pouvoirs du gouvernement militaire et écarte les oppositions.


« Nous ne ferons pas partie de l’après-transition. Nous ne passerons pas un jour de plus à l’issue des 24 mois de la transition. » Ces mots, prononcés par Mamadi Doumbouya en 2023, résonnent aujourd’hui comme un serment trahi. Car ce 21 septembre 2025, loin de préparer son départ, le chef de la junte a soumis aux Guinéens une nouvelle Constitution qui lui ouvre la voie vers une présidence prolongée. Derrière l’habillage solennel d’une « refondation de la République », le référendum organisé le week-end dernier n’aura été qu’un instrument de légitimation destiné à sacraliser l’accaparement du pouvoir par l’ancien caporal de la Légion étrangère, devenu chef d’État…

Modification des institutions du pays

Le texte adopté modifie en profondeur l’architecture institutionnelle du pays. Il allonge la durée du mandat présidentiel de cinq à sept ans, renouvelable une fois, ce qui offre au chef de l’État une perspective de longévité accrue. Il crée un Sénat censé incarner une nouvelle chambre de réflexion, mais dont un tiers des membres sera nommé directement par le président, amputant d’avance toute velléité d’indépendance. Plus encore, il efface l’une des dispositions phares de la Charte de transition de 2021: l’interdiction faite aux membres de la junte militaire de se présenter aux élections. Cette suppression change tout. Elle autorise désormais Mamadi Doumbouya à briguer légalement la magistrature suprême, lui qui avait juré, en 2021, que les militaires n’étaient que des gestionnaires provisoires et ne chercheraient pas à se maintenir. L’histoire retiendra que la promesse n’a pas duré plus que le temps de se consolider au pouvoir.

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Les chiffres officiels paraissent flatteurs: plus de 70% de participation parmi les 6,7 millions d’électeurs inscrits, et un « oui » triomphal au-delà de 90%. Mais ces données brutes masquent une réalité autrement plus complexe. Car l’opposition, de Cellou Dalein Diallo à Alpha Condé, avait unanimement appelé au boycott, dénonçant un « simulacre de démocratie ». Leurs partis avaient été suspendus ou paralysés par des restrictions administratives. La campagne s’est déroulée sans eux, dans un espace public verrouillé, où radios indépendantes et sites d’information avaient été réduits au silence. Le climat de peur et la surveillance omniprésente des urnes ne laissent guère de doute sur la sincérité du scrutin. Plus qu’un vote libre, il s’agissait d’une mise en scène visant à conférer une légitimité populaire à un processus déjà décidé dans les casernes.

Un régime à la dérive

Au-delà de l’ingénierie constitutionnelle, ce référendum s’inscrit dans une trajectoire où la corruption généralisée est devenue le véritable ciment du régime. L’exemple du projet minier de Simandou illustre cette dérive : en 2024, des révélations de presse ont affirmé qu’une entreprise chinoise impliquée dans l’exploitation du gisement avait versé 75 millions de dollars directement à M. Doumbouya. Le colonel-président, qui s’était présenté en chevalier de la probité, a reproduit à l’identique les méthodes de ses prédécesseurs. L’opacité des contrats, l’enrichissement de la garde rapprochée et la distribution des marchés à des affidés traduisent moins une rupture qu’une continuité dans le pillage des ressources nationales.

Cette réalité s’impose crûment à Conakry : selon les statistiques nationales, seulement 44,1% de la population guinéenne dispose d’un accès à l’électricité, et en milieu rural ce taux tombe à 19,3%. Même dans la capitale, les coupures sont fréquentes, la fourniture instable et le réseau vétuste. En 2023, la production nationale d’électricité atteignait environ 4 048 GWh pour une capacité installée de 1 060 MW, dont une large part provient de l’hydroélectricité. Sur le plan hydrique, la fracture reste colossale : en 2023, 32,1% des Guinéens n’avaient pas accès à une eau gérée de manière sûre, et seuls 13,7% de la population bénéficiaient d’un assainissement de qualité. Selon la Banque mondiale, 63% de la population rurale vit en situation de pauvreté, contre 22% dans les zones urbaines, tandis que le taux de pauvreté global est passé de 46,6% en 2018 à environ 51,4% en 2023.

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Dans le même temps, l’État guinéen tire une part significative de ses revenus des secteurs miniers: la Guinée exporte des minerais pour lesquels le secteur minier représente environ 80% des exportations du pays. Pourtant, ces richesses sont captées par une minorité proche du pouvoir, et très peu redistribuées en infrastructures ou services publics.

Il n’est plus question ici de simples contrastes : ces chiffres témoignent d’un déséquilibre structurel. Tandis que des quartiers résidentiels s’ornent de villas et que des cortèges de 4×4 escortent les élites, la majorité reste plongée dans l’obscurité — littéralement et symboliquement — attendant que l’État livre ce qu’il prétend garantir mais refuse de concrétiser.

Dérive autoritaire

Le référendum du 21 septembre n’est pas une rupture mais l’aboutissement d’une dérive autoritaire engagée dès 2021. Le FNDC, mouvement citoyen qui avait incarné la résistance au troisième mandat d’Alpha Condé, a été dissous sans ménagement. Ses leaders, comme Foniké Menguè ou Billo Bah, ont été emprisonnés ou réduits au silence. Amnesty International et Human Rights Watch ont documenté des dizaines de morts lors de manifestations dispersées par balles à Conakry, Labé ou Nzérékoré. La presse, elle aussi, vit sous la férule: radios suspendues, journalistes intimidés, sites d’information bloqués. À l’extérieur, la situation inquiète. Une plainte pour complicité de torture et homicides volontaires a même été déposée en France contre Doumbouya dès 2022, rappelant que les atteintes aux droits humains ne passent plus inaperçues.

Les réactions internationales à ce référendum sont à l’image des équilibres régionaux: prudentes mais fermes. L’Union africaine a exprimé sa « préoccupation » face à une transition qui ressemble désormais à une présidence à vie déguisée. La CEDEAO, déjà secouée par les coups d’État successifs au Mali, au Burkina Faso et au Niger, a dénoncé un « détournement du processus de transition » et menace de sanctions ciblées le pays si un calendrier électoral crédible n’est pas rapidement annoncé. L’Union européenne évoque un « recul préoccupant de l’État de droit », tandis que Washington parle plus directement d’une « confiscation du processus démocratique ». Le risque est de voir la Guinée rejoindre la catégorie des régimes autoritaires assumés.

La Constitution, loin d’être un outil d’émancipation collective, devient un instrument de pouvoir personnel. À force de confondre la République avec son uniforme, le président risque de n’apparaître que comme caporal devenu despote.

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Rédacteur en chef de Conflits, il dirige le cabinet de formation Orbis Géopolitique.

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