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Pardonner ou ne pas pardonner, d’Erika Kirk à la mère de Philippine

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Les drames vécus par l’épouse du militant américain Charlie Kirk, et Blandine de Carlan, ont ému la droite. Si le pardon reste un choix personnel, la société doit rester vigilante et combattive face aux assassinats à caractère idéologiques et aux dangers de l’immigration incontrôlée.


« Je pardonne » : ce sont les mots forts prononcés, avec des trémolos dans la voix, par Erika Kirk lors de la cérémonie d’hommage à son défunt mari, lâchement assassiné par un militant antifasciste aux États-Unis. De son côté, Blandine de Carlan, la maman de Philippine, jeune fille de 19 ans tuée tout aussi lâchement, déclarait n’éprouver aucune envie d’accorder son pardon au meurtrier, un clandestin qui n’avait rien à faire en France. Qui sommes-nous pour donner raison à l’une ou à l’autre, toutes deux si courageuses et dignes dans l’épreuve ? Personne ne peut comprendre leur douleur, encore moins juger leur réaction.

La joue gauche

Depuis les prises de parole de ces deux femmes remarquables, je ne cesse de m’interroger sur la notion de pardon. Témoigne-t-elle davantage de la supériorité de notre civilisation occidentale, et de la religion qui la fonde, ou de son immense naïveté face à l’ennemi ? Comment concilier l’idée de ne pas sombrer dans la vengeance, qui ne ferait qu’enclencher une escalade mortifère, et notre besoin de nous faire respecter et d’éviter que plus jamais ne se produisent des actes pareils ? Absoudre est-il forcément tendre l’autre joue ? 

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Les proches que ces deux femmes pleurent sont aussi un peu devenus, en tout cas pour les personnes dont le cœur penche à droite, nos victimes, nos martyrs, nos héros, les visages que nous n’oublierons jamais, qui nous obligeront, qui nous accompagneront, comme ceux de Lola et de Thomas, d’Arnaud Beltrame, de Pim Fortuyn. Certains sont morts parce qu’ils étaient au mauvais endroit – dans la France de Macron par exemple -, au mauvais moment, d’autres pour avoir défendu des idées.

Désarmés

Le plus effrayant est de constater que leurs bourreaux sont parfois célébrés, défendus ou encouragés au cœur des pays occidentaux, fracturés et peut-être irréconciliables à mesure que leurs forces vives ne pleurent plus les mêmes morts. Il n’est qu’à voir une partie de la gauche – celle qui pleure Nahel que nous prenons, de notre côté, pour… un délinquant – se réjouir de la mort de Charlie Kirk, comme elle l’avait fait au moment du décès de Jean-Marie Le Pen, ou les journalistes comparer la cérémonie d’hommage en Arizona à un meeting nazi, de la même manière qu’ils avaient parlé de « bal tragique » pour qualifier le drame de Crépol.

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Et si le pardon individuel dépend de chacun, en fonction de sa foi, de sa conscience et du soulagement que tel acte lui procure, il est de notre devoir, collectivement, de n’oublier jamais afin que nous puissions survivre collectivement : les « pas d’amalgame », les fleurs accompagnées d’ours en peluche et les « vous n’aurez pas ma haine » auront fait sans doute plus de mal que de bien aux pays européens au lendemain des attentats, comme si notre faiblesse allait désarmer nos ennemis. En réalité, nous savons, depuis Julien Freund et son aphorisme le plus célèbre, que c’est « l’ennemi qui nous désigne », et non l’inverse. Alors, il est de notre devoir de combattre celui-ci et de considérer comme adversaires tous ceux qui le soutiennent et qui veulent la disparition de nos modes de vie.

Qu’Erika Kirk, la maman de Philippine et toutes les familles de victimes trouvent un peu de réconfort dans notre détermination et la certitude que nous n’abandonnerons jamais.

Le réveil de la contre-culture homosexuelle

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C’est un événement rare qui mérite d’être connu: le 20 septembre, le groupe LGB Alliance France (Lesbienne Gay Bisexuel… sans T) a déclaré son « indépendance » de l’ « establishment LGBTQA+ », et cela en connexion avec dix-huit autres pays, allant de Taïwan à l’Australie en passant par la Bulgarie et les États-Unis. Éclaircissements.


« Depuis quelques années, lit-on dans le communiqué de presse, des femmes lesbiennes et des hommes gays ou bisexuels se retrouvent exclus de milieux professionnels liés à la culture mais aussi de certaines luttes sociales pour ne pas avoir consenti à des revendications se réclamant de la cause trans-activiste. Ces bannissements sont pensés pour avoir un aspect viral: même les personnes indifférentes à ces questions finissent par y participer. L’Alliance LGB France s’est constituée en réaction à ces méthodes autoritaires. »

Un « féminicide » social et méconnu

J’ai rejoint ce groupe après avoir été contactée par une jeune lesbienne qui demandait l’aide des féministes de ma génération (MLF). Elles étaient harcelées par des « femmes trans identifiées » qui voulaient entrer dans des associations de lesbiennes féministes alors qu’elles n’étaient pas opérées. Autrement dit, qu’elles étaient physiquement des hommes. En plus, « elles » y prenaient bien souvent le pouvoir et pour certaines voulaient avoir des relations sexuelles avec de « vraies » lesbiennes, et donc de « vraies » femmes, meilleur moyen selon « elles » d’authentifier leur adhésion à l’autre genre. C’est ainsi que je découvris l’offensive transactiviste pour coloniser les lieux féminins et les associations lesbiennes féministes universalistes existant depuis longtemps. Cette offensive vise principalement les femmes car les « hommes transidentifiés » ne cherchent pas à entrer dans les associations gays et encore moins dans les équipes masculines de foot, de boxe ou de rugby, comme on l’a vu dans le sport féminin. Harcèlement accompagné de menaces de toutes sortes et d’isolement social des « résistantes ». Mais le plus stupéfiant fut de découvrir que 75% des personnes désirant changer de genre étaient des filles, et pour un grand nombre d’entre elles des lesbiennes n’arrivant pas à assumer leur différence dans la société égalitaire néo-libérale.

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J’ai cherché dans un premier temps à soutenir ces « butch », c’est-à-dire ces femmes qui se sentent hommes et s’habillent en hommes, comme l’histoire des lesbiennes en donne de nombreux exemples, en montrant dans un livre qu’elles n’avaient pas besoin de prendre des hormones mâles ni de se couper les seins pour ce faire.

Avec Nicole Athea, gynécologue obstétricienne qui a soigné des transsexuels pendant des années, nous avons publié un livre consacré spécifiquement à la question des femmes en insistant sur l’aspect « féminicide social » de cette mise au pas des jeunes filles « anormales ». Notre essai Quand les filles deviennent des garçons, est paru au printemps 2023 aux éditions Odile Jacob. Nous n’avons pas reçu de menaces de mort, comme ce fut le cas de la romancière J.K. Rowling et la chercheuse féministe Maya Forstater, licenciée en 2018 pour avoir affirmé qu’une femme transgenre restait un homme d’un point de vue biologique. Mais nous avons « seulement » été censurées et délibérément « cancelées ». Les journalistes qui voulaient chroniquer notre livre en étaient gentiment détournés, soit parce que leur direction était favorable au progressisme transidentitaire, soit parce qu’elle avait peur d’être harcelée par les activistes qui ne reculent devant rien pour empêcher tout débat susceptible de remettre en question leur idéologie. Et je ne parle pas des descentes transactivistes dans les librairies pour cacher nos livres ou, sur les réseaux sociaux, pour nous assimiler à l’extrême droite homophobe.

Un débat qui agite la France depuis plusieurs années

C’est dans ce contexte que j’ai rencontré d’autres homosexuels exaspérés eux aussi par la curieuse évolution du mouvement homosexuel. Parmi eux se trouvait Frédérick Schminke, professeur d’anglais et bilingue qui était en contact avec le groupe LGB Alliance Royaume-Uni. C’est ce groupe qui fonde LGB Alliance international ce 20 septembre 2025, en même temps que la Déclaration d’indépendance tandis que l’association française était officiellement formée en 2024, Frédérick devenant président l’année suivante.

L’intérêt historique de ce nouveau groupe ne vient pas seulement de ce qu’il fait sécession avec une organisation LBGTQ+ devenue totalitaire, mais qu’il fait alliance avec un courant féministe opposé à la propagande actuelle en faveur de la transidentité des mineurs qui suppose la prise dangereuse de bloqueurs de puberté.

Le communiqué de presse note en effet que : « Le débat sur la transition des mineurs agite la France, dans le cadre d’une proposition de loi adoptée par le Sénat en mai 2024 mais toujours en attente à l’Assemblée nationale. Selon la commission des affaires sociales du Sénat, d’après les données de l’Assurance maladie, le nombre de mineurs en ALD pour transidentité est passé de huit en 2013 à 294 en 2020. L’ensemble des personnes en ALD pour ce motif est passé de 962 à 8 952 sur cette période. » Et il ajoute : « Parmi les 239 mineurs suivis entre 2012 et 2021 à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, 105 ont pris des hormones du sexe opposé, 30 ont subi une ablation des seins et 26 ont reçu des analogues de la GnRH. » Ce communiqué ne parle pas du trafic d’hormones devenu monnaie courante dans les milieux à la mode. Ni du fait que la prise d’hormones contraires à son sexe a une incidence directe sur la sexualité des trans et l’expression du désir. Chez certaines filles par exemple, le clitoris peut tripler de volume et il fait si mal qu’elles n’ont plus de désir du tout. Bien sûr, on n’en parle pas sur les réseaux sociaux, comme si la nouvelle identité de genre comblait tous les désirs.

Dans son communiqué de presse, LGB Alliance France cite deux exemples de l’aspect misogyne et antiféministe de ce transactivisme LGBTQ+ :

« – À Rennes en 2023, le bar lesbien La Part des Anges a été vandalisé, menacé et poussé à la fermeture après des accusations de transphobie. Selon la gérante, tout a commencé lorsqu’elle a réagi à une agression sexuelle par un homme affirmant vouloir valider son identité en couchant avec des lesbiennes. (Sources : Ouest-France, 17 mai 2023 ; Charlie Hebdo, 25 mai 2023).

– À Toulouse en 2025, le Printemps lesbien, festival culturel organisé par l’association Bagdam Espace lesbien, a été la cible de violentes attaques, à travers un tract du collectif Bagarre (un groupe militant) diffusé avant le festival dans la communauté LGBT de Toulouse, et envoyé à certaines partenaires et invitées/intervenantes du festival, pour les inciter à quitter le festival. Il en est résulté l’annulation de quatre événements. »

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Notons aussi que les jeunes gays commencent également à prendre la mesure du climat dictatorial qui régente une « communauté » convertie aux idéaux transactivistes sans qu’aucun débat ne puisse se tenir le bien-fondé d’une telle évolution d’un mouvement né dans une dynamique émancipatrice. À court terme, la « conversion genrée » des jeunes homos mal dans leur peau d’homosexuel mène à la disparition pure et simple de la liberté d’orientation sexuelle. Mais on ne règle pas le problème de l’homophobie en changeant de genre.

La création de cette nouvelle « Alliance » entre lesbiennes, gays et bisexuels a le mérite d’introduire la dissidence à l’intérieur d’une « communauté » qui a réussi à imposer ses revendications au « mariage gay » et à la « PMA pour toutes », en attendant la « GPA pour tous ». L’arrivée du transactivisme lui a donné un faux second souffle. « Faux », car on ne peut fonder l’émancipation homosexuelle sur le simulacre genré et le pouvoir coercitif du groupe. « Tu fais semblant de croire qu’un homme est une femme et je fais semblant de te croire », impose ce transactivisme à ses adeptes.

C’est pourquoi, ce NON formulé par des groupes issus d’une vingtaine de pays fait figure de révolution culturelle dans ce paysage politique soumis à la censure, la misogynie et la mutilation des mineurs. Il était temps de le dire.

Notons enfin que LGB Alliance est une association apartisane réunissant des personnes avec des opinions diverses sur les sujets non liés à la bioéthique (économie, immigration, etc.). Nous demandons aux différentes forces politiques de ne pas instrumentaliser notre cause pour ces autres débats.

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Budget 2026: Lecornu sur le fil du rasoir

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Les socialistes menacent le Premier ministre d’une censure dès son discours de politique générale s’il n’accepte pas d’augmenter les impôts. Les syndicats redescendront dans la rue jeudi.


Alors que Sébastien Lecornu tente d’imposer sa marque à Matignon, son projet de budget pour 2026 affronte déjà un front commun de critiques à gauche. Avec un déficit encore élevé et des concessions jugées insuffisantes, le risque d’une motion de censure grandit. Le nouveau Premier ministre joue ici bien plus que sa survie politique : c’est la crédibilité de l’État qui est en jeu.

Un budget d’équilibriste

Le budget présenté par Sébastien Lecornu pour 2026 vise à répondre à un triple impératif: réduire le déficit public (annoncé à 4,7% du PIB, contre 5,4 % attendus en 2025), calmer la colère sociale et désamorcer les tensions politiques héritées de la séquence Bayrou.

D’emblée, il a écarté certaines mesures explosives — comme la suppression de jours fériés — tout en refusant les symboles fiscaux chers à la gauche, à commencer par le retour de l’ISF ou une taxe sur les très hauts patrimoines.

M. Lecornu avance ainsi prudemment, annonçant 6 milliards d’économies sur le fonctionnement de l’État, une baisse des dépenses de communication et une hausse contenue des budgets de santé et de retraites. Mais ce calibrage, voulu comme raisonnable, laisse ses adversaires sur leur faim et ses alliés dans le flou. Trop peu ambitieux pour les uns, trop peu lisible pour les autres, ce budget navigue à vue dans une Assemblée nationale sans majorité, où chaque vote est un piège.

La gauche brandit l’arme de la censure

La réaction ne s’est pas fait attendre. Marine Tondelier (EELV) a lancé les hostilités en affirmant que Lecornu « fait le choix d’être censuré ». Le Parti socialiste, fort de ses 66 députés charnières, agite lui aussi la menace, tandis que LFI appelle à une motion de censure dès l’ouverture de la session parlementaire. Ce front de gauche, s’il parvient à s’unir, pourrait donc renverser le gouvernement.

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Mais la gauche joue ici un jeu dangereux. En abattant trop tôt la carte de la censure, elle risque d’ouvrir une crise institutionnelle sans en maîtriser l’issue. Une telle motion, si elle aboutissait, pourrait déclencher une dissolution de l’Assemblée nationale — et renvoyer tout le monde aux urnes dans un contexte d’abstention massive et de rejet des partis. Une éventualité que certains au PS redoutent autant qu’ils la menacent…

La stratégie Lecornu : concilier ou s’imposer ?

Dans cette séquence, le Premier ministre cherche une voie étroite : faire voter un budget sans renier la discipline budgétaire, sans déclencher d’émeutes sociales, et sans tomber sous les balles croisées des oppositions. Il mise sur un ton sobre, une posture de négociation ouverte, et un refus clair des totems idéologiques.

Mais derrière la façade apaisée, l’arbitrage reste délicat. Les classes moyennes, pilier du consentement fiscal, attendent un signal fort. Les dépenses régaliennes, notamment la défense, ne peuvent pas être sacrifiées. Et le moindre fléchissement face à la pression de la gauche serait interprété comme une faiblesse politique. La marche est étroite, et chaque pas compte.

Ce qui se joue : crédibilité, stabilité, autorité

Le cœur du sujet dépasse le contenu précis du budget. Ce qui est en jeu ici, c’est la capacité du pouvoir exécutif à gouverner dans un cadre parlementaire éclaté. Depuis 2022, la France vit sous un régime de minorité chronique, où l’arithmétique remplace le projet politique. M. Lecornu a été nommé pour sortir de cette impasse, non pour la subir.

Une censure réussie ouvrirait une séquence de chaos: démission, recomposition, dissolution — autant d’issues hasardeuses pour un pays fatigué de l’instabilité. À l’inverse, un budget voté offrirait au Premier ministre un premier succès politique et dessinerait un cap : celui d’un État sérieux sur ses finances, respectueux de ses missions, et capable de contenir les extravagances d’un hémicycle de plus en plus tenté par la posture.

Pour la droite, un moment de clarté

Ce budget, aussi imparfait soit-il, est une occasion pour la droite républicaine de peser sur les orientations à venir. Il s’agit moins d’offrir un blanc-seing au gouvernement que d’exiger des engagements clairs : baisse du train de vie de l’État, recentrage sur les fonctions régaliennes, protection des classes moyennes productives.

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À l’heure où la gauche radicale cherche à imposer un agenda confiscatoire et où le macronisme est devenu gestionnaire sans cap, le moment est propice pour rappeler que gouverner, ce n’est pas redistribuer l’illusion mais arbitrer avec courage. Et qu’un budget, même modeste, peut devenir l’acte fondateur d’un redressement — si tant est qu’on en assume le sens.

En conclusion : rester ou sombrer

Le Premier ministre Lecornu joue gros. Mais la France aussi. Le budget 2026 n’est pas une simple ligne comptable : c’est un test de maturité politique. La gauche pourra-t-elle résister à la tentation de tout casser pour exister ? La droite saura-t-elle exiger, sans bloquer ? Et le gouvernement pourra-t-il encore gouverner sans majorité, mais avec un mandat de responsabilité ?

Dans les semaines à venir, ces questions trouveront leurs réponses dans les couloirs de l’Assemblée. Ce ne sera pas une question de chiffres, mais de volonté. Et dans cette bataille feutrée, c’est toute l’idée que l’on se fait encore de l’État qui est en jeu.

Lyrique: Offenbach corrigé au féminin

Notre critique salue la performance vocale de Michael Spyres mais déplore une mise en scène pesante et didactique de Lotte De Beer, qui alourdit l’œuvre d’Offenbach au détriment de sa magie.


« Opéra fantastique en cinq actes, ou un prologue, trois actes et un épilogue », Les Contes d’Hoffmann, testament lyrique de l’allègre compositeur de La Belle Hélène ou de La Vie parisienne, se prête particulièrement aux transformations débridées. Adapté comme l’on sait de plusieurs contes du célèbre romantique allemand Ernst Theodor Amadeus Hoffmann à partir de la pièce éponyme écrite dès 1851 par le fameux duo Jules Barbier & Michel Carré (également librettistes stars du Faust de Gounod), le livret, d’ailleurs terminé par le seul Barbier car Carré est mort en 1872, sert l’ultime partition du roi de l’opérette et fondateur des Bouffes-Parisiens, Jacques Offenbach.

Trois rôles pour Amina Edris

Celle-ci aura décidément connu une maturation d’escargot : l’orchestration n’en est même pas achevée quand, miné par la maladie, Offenbach finit par s’éteindre le 5 octobre 1880. Il faut attendre le 10 février 1881 pour que l’œuvre soit créée salle Favart, dans une version mutilée qui plus est, avec des récitatifs remplacés par des dialogues parlés pour répondre aux règles qui régentent le genre « opéra- comique », par opposition avec le « grand opéra ». Puis le succès s’empare du chef-d’œuvre, durablement repris sur toutes les scènes européennes, dans des versions partiellement apocryphes. Bref, Les Contes d’Hoffman se prêtent comme jamais à la réécriture.

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C’est peu dire que s’en prive la Néerlandaise Lotte De Beer –  l’Opéra-Bastille lui devait déjà, en 2021, une Aïda aussitôt mise sous cloche par le Covid –  dans cette version créée à Strasbourg la saison passée, et que reprend à présent la si belle salle parisienne de la place Boieldieu, version en cinq actes dans laquelle les rôles d’Olympia, Giulietta, Antonia… et Stella, habituellement dévolus à plusieurs interprètes mezzo ou sopranos, se voient ici confiés à la seule soprano lyrique Amina Edris. Quelles que soient ses indéniables qualités, ce n’est pas une mince affaire que de donner chair tout uniment à des créatures si puissamment caractérisées chacune.

Élégant Michael Spyres

Autant dire que, sous les traits du ténor américain Michael Spyres, le personnage d’Hoffmann domine de très haut le cast vocal de cette production : agilité, élégance du phrasé, diction parfaite, puissance d’émission, un degré de perfection qui éclipse quelque peu la performance des autres chanteurs, du baryton Jean-Sébastien Bou (en Coppélius, Lindorf, docteur Miracle…) au ténor Raphael Brémard, en passant par la basse Nicolas Cavallier (en Luther et Crespel).

Amina Edris (Stella / Olympia / Antonia / Giulietta), Michael Spyres (Hoffmann), Héloïse Mas (La Muse / Nicklausse) Photo : Stefan Brion

Car sous les auspices de Lotte De Beer, la part belle revient pour ainsi dire par force à la mezzo Héloïse Mas, laquelle, assumant l’emploi Nicklausse / La Muse, a la lourde charge de développer le discours sous-jacent dont la metteur(e) – metteuse ? –  en scène croit devoir agrémenter le livret par d’innombrables ajouts de son cru. C’est là le travers le plus agaçant de cette régie, appliquée d’un bout à l’autre à nous imposer sa leçon de morale féministe, dans une effarante trivialité de langue : « Est-ce que tu as conscience de reproduire toujours le même schéma ? Tu es le héros tragique, tu projettes ton image de la femme, et à la fin c’est toi la victime »  (sic, Acte IV, scène 1). Ou encore, ce commentaire : « Ta dramaturgie est tellement attendue, Hoffmann : chaque fois qu’il devient difficile de faire face à la réalité, tu nous fourgues une scène de chœur » (Nicklausse, acte II, scène 5).

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Si le décor pouvait sauver la mise (en scène), on se résoudrait charitablement à regarder, sans prêter trop attention à tout ce fourbi didactique. Mais l’unique perspective de cette triste boîte en carton sur laquelle un rigide rideau noir tombe comme la guillotine à chaque interminable changement de tableau, n’a même pas la vertu de la beauté plastique, et fatigue l’attention plus qu’elle ne la stimule. Quant à l’idée de cette poupée XXL qui roule et cligne des yeux, cette apparition certes rigolote sur le plan visuel contraint à dédoubler la présence scénique d’Olympia, interdisant à la chanteuse de faire corps avec l’automate… L’honorable prestation de l’Orchestre philharmonique de Strasbourg que dirige avec Pierre Dumoussaud  avec une sobre et fine élégance et celle, pour le chœur, de l’ensemble Aedes, sauve partiellement du désastre cette tentative « archéologique », sacrifiée à la pesanteur de l’intention.

Par comparaison, on se prend rétrospectivement de nostalgie pour la version « opéra » de l’œuvre posthume d’Offenbach, telle que reprise il y a deux ans à l’Opéra Bastille dans la production de Robert Carsen millésimée de l’an 2000 : près qu’un quart de siècle plus tard, elle n’avait pas pris une ride.


Les Contes d’Hoffmann. Opéra de Jacques Offenbach. Avec Michael Spyres, Heloïse Mas, Amina Edris… Direction Pierre Dumoussaud. Mise en scène Lotte de Beer. Orchestre philharmonique de Strasbourg. Durée : 3h

Opéra-Comique, Paris. Les 29 septembre, 1, 3 octobre à 20h. Le 5 octobre à 15h.

Les magistrats sont-ils masochistes?

Non, les juges n’avaient pas envie de se faire «le scalp» de Nicolas Sarkozy, affirme Philippe Bilger. Notre contributeur s’étonne par ailleurs que le syndicalisme des magistrats, d’ordinaire tellement caricatural, politisé et vindicatif, ne soit pas capable de se faire entendre et respecter sur ce dossier. Tribune libre.


N’importe qui peut les traîner dans la boue. Les ignorants au sujet de la Justice ont le verbe d’autant plus haut et péremptoire qu’ils croient tout savoir. Les médias de droite – sur un mode un peu plus feutré – et d’extrême droite s’en donnent à cœur joie quand une personnalité de ce camp est condamnée et, encore plus, incarcérée. C’est la justice qui serait coupable et le prévenu, bien sûr, totalement, forcément innocent ! Les médias de gauche et d’extrême gauche se réjouissent de voir l’adversaire sanctionné avant de s’en prendre, à leur tour, aux juges lorsque la cause du Bien – cette mouvance, plus ou moins excitée, en est propriétaire ! – est mise à mal judiciairement.

Le pouvoir oblige

La classe politique elle-même, on l’a vu avec le jugement ayant concerné Nicolas Sarkozy avec d’autres, ne sait plus ce que c’est que d’appréhender lucidement une décision judiciaire en étant soucieuse de faire le partage entre le partisan et le pénal.

Hier, on a constaté ce qu’il en était avec LFI et Jean-Luc Mélenchon et la bronca était encore plus choquante et délirante ! On est bien obligé de constater que l’idéologie prime tout, y compris ce qui devrait échapper, sur ce plan, au parti pris. Comme si le fait d’être accordé politiquement devait rendre sourd et aveugle aux défaillances morales et aux délits soupçonnés, parfois condamnés.

Pour certains, c’est une République des juges et cette paresse de la pensée est perçue telle une vérité d’évangile !

Pour d’autres, dont Nicolas Sarkozy, les magistrats seraient « haineux » et celui qui se croit autorisé à ne pas soutenir le point de vue de ses inconditionnels est immédiatement lui aussi qualifié de « haineux ». J’ai beau rectifier, j’ai droit régulièrement à cette ânerie sur X ou parfois même sur tel ou tel plateau.

Il est piquant de relever que les mêmes, de droite ou de gauche, exigeant des preuves absolues pour que leur champion soit sanctionné, sont en revanche infiniment libéraux, voire désinvoltes, pour les condamnations de ceux qui leur importent peu. Il y a des manières honteuses de stigmatiser les magistrats : une grande journaliste pourtant, Catherine Nay, est une spécialiste du genre. Il y a des indignations qui pour émaner, avec courtoisie, d’une remarquable intelligence – celle de Bernard-Henri Lévy par exemple – me paraissent cependant, pour le jugement du 25 septembre, s’égarer en interprétant mal la décision. Pour Henri Guaino, ce n’est rien de moins « qu’un coup d’État judiciaire contre la séparation des pouvoirs » ! Pour Mathieu Bock-Côté, c’est pire : « une démonstration de force déguisée en décision de justice ». Karine Le Marchand, elle aussi, « dont la parole est rare » dans ce domaine et devrait le rester, pourfend les cinq ans d’emprisonnement à l’encontre de Nicolas Sarkozy en les comparant aux violeurs sous OQTF qui seraient laissés en liberté. Cette critique du deux poids, deux mesures, que j’entends beaucoup, est offensante pour les politiques car les mettre sur le même plan que des voyous est indécent. De ces derniers, on n’a aucun exemple à attendre alors que pour les autres, on devrait tout espérer, et d’abord de la rectitude. Quand elle fait défaut, il n’est pas scandaleux de les estimer plus coupables que les délinquants « ordinaires ». Le pouvoir oblige.

Pas d’amalgame !

On reproche aux juges d’amplifier la défiance des citoyens à leur égard mais tous ces pourfendeurs compulsifs, anonymes ou non, de cette décision et de l’institution se rendent-ils compte qu’ils l’inspirent, l’irriguent, la généralisent ? Face à l’ensemble de ces accusations, stigmatisations, moqueries, dérisions, approximations et leçons, que trouve-t-on du côté de la magistrature, aussi bien de la haute hiérarchie judiciaire que du syndicalisme ?

Il y aura, bien sûr, l’appel qui permettra peut-être au commun des citoyens de mieux comprendre pourquoi le pacte corruptif au cœur de l’association de malfaiteurs (entre Nicolas Sarkozy, Brice Hortefeux et Claude Guéant, avec des actes préparatoires occultes et transgressifs en Libye et des espérances de fonds en France) a été lourdement condamné par le tribunal. La présidente de la juridiction a été menacée de mort et deux enquêtes ont été ordonnées. Seulement le 27 septembre le premier président de la cour d’appel de Paris a demandé « le respect de l’institution judiciaire et de son indépendance ». C’est tardif et cela va compter peu face à l’entretien fleuve du JDD avec Nicolas Sarkozy qui bénéficie d’une complaisance médiatique évidemment de nature à changer l’équilibre des forces pour l’appel et la sérénité des futurs débats.

Ce n’est pas au garde des Sceaux d’intervenir sans cesse pour défendre des troupes qui devraient être capables de le faire elles-mêmes, non par corporatisme, mais parce qu’il n’est écrit nulle part que l’institution judiciaire a à se distinguer par son silence, sa tolérance et sa patience. J’entends bien – et j’ai des exemples – que plus on monte, plus on a peur et qu’exiger des grands chefs de la magistrature du courage revient à la quadrature du cercle. Mais tout de même, lisent-ils, entendent-ils, écoutent-ils ?

On peut en douter quand on relève leur immobilisme à l’égard de ce qui, souvent, aurait dû susciter des réactions vives, voire de la colère de leur part… Alors, ils prêchent modération et mesure, qui ne sont que le masque d’une frilosité assumée.

Ils auraient eu matière, depuis le jugement du 25 septembre et à l’égard de tant d’autres controverses judiciaires avant, pour intervenir haut et fort. Mais leur faiblesse nourrit l’hostilité compulsive et les égarements de ceux qui ne voient aucune raison de ne pas s’essuyer les pieds et l’esprit sur les juges.

Et ce syndicalisme, tellement caricatural, politisé, partial et vindicatif dans certaines de ses réactions, n’est-il pas capable, pour une fois, de se mobiliser pour une bonne cause et de justifier une existence discutée régulièrement par une majorité de citoyens ? Que faut-il de plus pour que les syndicats judiciaires mettent une intelligente pugnacité et formulent des répliques cinglantes à l’encontre de ces inquisitions ? Les voix solitaires ne suffisent pas.

Je n’ai pas envie qu’on fasse mal à la magistrature, corps essentiel à la paix d’une société, à sa régulation, à la démocratie. Mais si son vice est le masochisme, qu’elle continue de se faire fouetter avec le sourire !

Note : depuis la rédaction de ce billet – sans lien de cause à effet-, réactions tout de même du premier président de la cour d’appel de Paris, du président du tribunal judiciaire de Paris, du Syndicat de la magistrature et de l’USM, du chef du PNF, du président de la République… Sur un autre plan, de Dominique de Villepin le 28 septembre et de Jean-Louis Bourlanges le 29…

Quand la Justice met la démocratie en danger

Nicolas Sarkozy a été condamné pour association de malfaiteurs dans le cadre de l’affaire du «financement libyen». «La démocratie est en danger», a déclaré dans les médias Jean-François Bohnert, procureur et directeur du Parquet national financier, préoccupé par les remises en cause de l’institution judiciaire qu’il dirige et par les discours évoquant l’existence d’un prétendu «gouvernement des juges». Le coup de gueule d’Ivan Rioufol.


L’ « association de malfaiteurs » est une trouvaille, précieuse pour les épurateurs éthiques. Cette accusation floue, qui va permettre aux juges du tribunal correctionnel de Paris de mettre Nicolas Sarkozy en prison, peut être déclinée contre ceux qui déplaisent aux vendeurs de vertu. Le malfaiteur est devenu, dans ce procès, celui qui contrarie une caste présumée infaillible. Ceux qui sont accusés d’être « d’extrême droite », par leur opposition à un progressisme sectaire et brutal, pourraient bien devenir à leur tour des délinquants. La loi des suspects (1793) avait inauguré la méthode, développée par l’URSS et la Chine communiste notamment.

Une meute ravie

Le crime politique devient envisageable quand un ancien président de la République va être incarcéré alors qu’aucune preuve n’a été retenue contre lui. La pente totalitaire de ce jugement, qui va s’appliquer en dépit de l’appel, est vertigineuse. Le délibéré ravit la gauche stalinienne et la meute lyncheuse. Les juges expliquent avoir opté pour l’exécution provisoire de la détention « en regard de l’importance du trouble à l’ordre public causé par l’infraction ». En l’espèce, il est reproché à Sarkozy des contacts noués en 2005 en Libye par ses collaborateurs, Brice Hortefeux et Claude Guéant, avec Ziad Takieddine, homme d’affaires véreux, et Abdallah Senoussi, proche de Kadhafi, criminel condamné par contumace à perpétuité pour son implication dans l’attentat de 1989 contre le DC 10 d’UTA (156 morts, dont 142 Français). De l’objet de ces contacts, les juges ne savent rien. Ils se contentent de considérer ces acteurs comme infréquentables. Mais cette intrusion morale dans la marche de l’exécutif est une violation de la séparation des pouvoirs.

État affaibli et PNF tout-puissant

Ce jugement n’a qu’un mérite : il illustre l’état de déliquescence de la démocratie. La politique paie son isolement du reste des citoyens. Ceux-ci, écartés par une caste méfiante de la plèbe, ont vidé le Pouvoir de sa substance humaine. La faiblesse de l’Etat, privé de son assise populaire, est devenue telle que la Justice se croit autorisée désormais à remplir les vides et à s’ériger en autorité de substitution. « La démocratie est en danger », a alerté ce lundi (RTL) Jean-François Bohnert, procureur qui dirige le Parquet national financier. Mais ce sont les nouveaux robespierristes qui la menacent. Après avoir participé à la chute de François Fillon, des juges se préparent à entraver la course présidentielle de Marine Le Pen.

Or cette corporation non élue, qui supporte mal la contradiction, a encore moins de légitimité démocratique que la classe politique déconnectée. La Justice n’est pas plus exemplaire que les puissants qu’elle entend humilier. L’affaire Sarkozy a été lancée en 2012 par un document de Mediapart dont le tribunal a reconnu qu’il est probablement faux. Or ce bidouillage n’a pas empêché le tribunal d’aller au bout de son intime conviction, en piétinant les prérogatives de la Cour de justice de la République, voire de la Haute Cour. La Justice sème le désordre public. Qui jugera les juges ?

Un père vu par sa fille

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La fille de Jean-Pierre Elkabbach rend hommage à la carrière de son père disparu en octobre 2023 dans un documentaire. Ce film pudique et introspectif diffusé hier soir sur France 5 est disponible désormais sur le site France TV. On y voit l’ascension, les chutes et les relances d’un pape de l’information aussi détesté que suivi par des millions de téléspectateurs. D’Oran à l’Élysée…


Au début, on regarde ce documentaire avec la défiance naturelle du journaliste. Sur ses gardes. Connaissant l’animal médiatique, l’insubmersible de la Vème République. Connaissant ses ruses, ses connivences, son caractère, sa capacité de nuisance, ses emportements d’enfant triste, son ambition d’enfant pauvre, nous ne faisons pas le poids. Il était particulièrement retors pour arriver à ses fins. Presque trop folklorique pour être crédible. Carnavalesque. Cassant. Parodique. Terreur des rédactions durant cinquante ans, la bleusaille longeait les murs à sa vue. Aussi redouté que moqué. Imité donc clairement identifié comme une cible par les oppositions changeantes et successives. Pugnace jusqu’à la déraison. Homme lige ou homme libre ? Factice dans sa recherche d’audience à tout prix et, malgré tout, sincère à l’antenne, presque transparent, émotif, Méditerranéen épidermique. Un paradoxal ne sachant pas jouer l’indifférence. Une opiniâtreté sans égale dans le métier. Troublante à certains égards. Ayant compris le sens du spectacle et de l’information à une époque de ronds-de-cuir.

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Ayant compris que sans tension dramatique, il n’y avait pas de bonne interview politique. Ayant cassé le ronron des débats par des ruptures de rythme. Une voix à rebours, de musicien de Free Jazz. Cent fois viré, écarté, ostracisé par les pouvoirs en place et renaissant sur une antenne, par la petite porte. Jamais mort, toujours debout. Un personnage trop entier et trop autocentré pour susciter une adhésion totale. Alors, on regarde « Jean-Pierre Elkabbach, autoportrait de mon père » réalisé par Martin Veber (disponible sur le site France TV jusqu’en avril 2026) avec suspicion et néanmoins une attirance gênante pour ce ténor de la radio et de la télévision. Il a toujours été là. Avant notre naissance, il squattait déjà le poste avec ses certitudes. Des décolonisations aux mondialisations malheureuses, des soirs d’élection présidentielle à la Bibliothèque Médicis, il avait pris racine. L’instigatrice de ce projet casse-gueule car l’ex-homme publique n’a pas que des amis n’est autre que la fille d’Elkabbach, l’actrice Emmanuelle Bach. On est rassuré. On sait que l’on ne tombera pas dans l’hagiographie mielleuse, ni dans le bureau des plaintes. Ni ripolinage à la gloire, ni procès accusatoire contre papa absent. Ni larmoiement, ni esquive. Et pourtant, une vérité apparait, en filigrane. Douce-amère par moments, aimante toujours. Il faut dire qu’avec cette comédienne trop rare, d’une intensité remarquable, on est étonnamment en confiance. Avec elle, on veut bien ouvrir la boîte aux souvenirs et suivre son histoire personnelle avec la grande histoire du monde en marche. Là où son père avait décidé d’interagir. Jean-Pierre était un buteur, un avant-centre, il ne laissera pas l’Histoire le piétiner. Il sera toujours de la partie, du voyage.

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C’est une épopée qu’elle nous conte et pas une réflexion sur la moralité du journalisme dans le chaos des actualités. Tant mieux. La carrière de son père n’a pas valeur d’exemple ou de repoussoir. Elle n’est pas injuste avec lui. Le contraire aurait été fortement déplaisant. Grâce à des images d’archives souvent inédites, on retourne à Oran et l’on se prend même d’affection pour la gloutonnerie de ce gamin qui fait tout pour exister. Elkabbach a perdu son père à l’âge des osselets. Il y a chez lui, une soif de réussite, une rage sociale intacte et salutaire ; une perméabilité aux mouvements culturels de son époque et une joie simple d’homme du soleil. Il aime le foot, Reggiani, Brel, Maria Casarès et pourtant il n’a qu’une envie : foutre le camp et débarquer à Paris. Capitale du monde. Ce Rastignac du Maghreb s’enivre de sorties en Vespa sur les ponts de la Seine et de ses premiers papiers. « Ce qui préexiste, c’est la curiosité » dit-il. Il aura été curieux de tout, il aura tout sacrifié pour l’info et l’égo. Il ne peut être cependant réduit à « Taisez-vous » surtout quand on sait les liens populaires et « amicaux » qu’il entretenait avec Georges Marchais. Toute sa vie, il aura fréquenté les « grands » du monde d’avant avec ce mélange d’excitation enfantine et de fierté professionnelle.

Finalement, on est heureux d’avoir, par son entremise, aperçu de telles bêtes de scène, des carrures inimaginables, impensables à notre époque atrophiée, à la représentation démocratique insignifiante. Revoir Mitterrand et son masque de cire. La silhouette du Général courbée sur un monument aux morts. Sadate dans le prolongement des Pyramides. Deferre et Pasqua au micro. Barbara et la petite Emmanuelle. Ce voyage-là est inoubliable.

Réalisé par Martin Veber, avec la voix de sa fille Emmanuelle Bach. 64 minutes.
Sur France 5 et sur france.tv

Sarkozy: petite histoire d’un grand acharnement

Financement libyen introuvable. « C’est allé encore plus loin que ce que je pouvais imaginer. » Hier dans le Journal du Dimanche, le président Sarkozy a indiqué qu’il allait continuer de se battre pour faire reconnaitre son honnêteté après sa condamnation à cinq de prison jeudi dernier. Nous dépiautons ici en détail le jugement du tribunal qui révolte l’ancien président et ses soutiens…


Que l’on ait murmuré à l’oreille de Nicolas Sarkozy l’idée d’un financement de campagne par la Libye en échange de son intégration au concert des nations, peut-être ; qu’il n’ait rien voulu savoir mais qu’il n’ait pas particulièrement empêché, par une héroïque volonté d’Incorruptible, untel, untel et untel de voyager par-delà la Méditerranée pour jouer du réseau, peut-être ; que finalement pas vraiment de trace non seulement d’un financement illégal de campagne présidentielle, mais encore d’un pacte effectif de corruption n’ait été démontré dans la procédure, cela est certain en revanche.

Sévérité de Dracon 

Et donc, la justice, reprochant au politique, d’une part, d’avoir écouté des conseillers lui suggérer de mauvaises idées, d’autre part, de n’avoir positivement rien fait pour les empêcher d’agir, le condamne à cinq années d’emprisonnement avec mandat de dépôt différé, le tout assorti de l’exécution provisoire : nous ignorions que la magistrature pouvait être d’une sévérité de Dracon !

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Étrange jugement dont j’ai pris connaissance (380 pages !), bien propre à caractériser l’acharnement judiciaire. Mais trêve de blabla : le mieux, c’est d’en citer les meilleurs extraits. Le tribunal, après avoir longuement, très longuement, détaillé les faits et la procédure (dont je recommande chaudement la lecture), en arrive à la décision. Sur « les infractions de détournement de fonds public, recel et blanchiment » ; je cite : « Il est reproché à Nicolas SARKOZY d’avoir depuis octobre 2005 sciemment recelé le produit d’un détournement de fonds publics commis par les autorités libyennes, en l’espèce des fonds destinés notamment à financer illégalement sa campagne électorale pour les élections à la présidence de la République française des 22 avril et 6 mai 2007 » ; et plus loin : « les faits de complicité de détournement de fonds publics ne pouvaient être retenus à l’encontre de Ziad TAKIEDDINE et Nicolas SARKOZY poursuivi pour recel de détournement de fonds publics sera relaxé. » Voilà qui est dit et jugé. Mais poursuivons : « Sur les délits de corruption passive, complicité, recel et blanchiment de ce délit, et de blanchiment de trafic d’influence » ; de nouveau, je cite : « En l’espèce, ce qui est reproché à Nicolas SARKOZY au terme de l’ordonnance de renvoi, est d’avoir, à l’occasion des fonctions qu’il occupait au moment des faits, accepté un soutien financier de la Libye, contre l’engagement de favoriser les intérêts de ce pays, une fois élu à d’autres fonctions. » Là encore, la relaxe est prononcée : « Or une action positive [l’exécution du pacte de corruption] en ce sens de Nicolas SARKOZY une fois élu à la présidence de la République ne ressort pas clairement de la procédure, et ce d’autant moins que, si tel était le cas, elle devrait être clairement distinguée des actions relevant de l’exercice normal de ses fonctions. Il en résulte que les éléments matériels de l’infraction reprochée ne sont pas constitués. Le tribunal entrera donc en voie de relaxe ». Je poursuis, toujours avec le jugement : « Sur le délit de financement illégal de campagne électorale et les complicités de ce délit ». Troisième charge contre le candidat Sarkozy : « Il est reproché à Nicolas SARKOZY en sa qualité de candidat à l’élection présidentielle d’avoir commis le délit de financement illégal de campagne prévu et réprimé à l’article L 113-1 du code électoral ». Question fondamentale ! — hélas pour l’accusation, aucune preuve ne peut être rapportée, en dépit des années d’enquête (!) : « Ne peuvent être retenus ni un recueil de fonds antérieur au 1er mai 2006, ni une acceptation de dons d’un Etat étranger, ni un dépassement du plafond ou une minoration des recettes ou des dépenses. Nicolas SARKOZY sera donc relaxé de ce délit. »

Association de malfaiteurs

Résumons : à ce stade, rien, dans la procédure, rien, n’a permis de condamner Nicolas Sarkozy ; l’ex-candidat à la présidentielle a été relaxé des faits de détournement de fonds public avec recel et blanchiment, de corruption passive et trafic d’influence, et de financement illégal de campagne électorale. Et la magistrature de paniquer. Quoi donc ! l’homme qu’elle essaie d’abattre depuis tant d’années va-t-il lui glisser des mains aussi facilement ? Heureusement, l’État de droit est plein de ressources : à juge qui veut, la loi offre un pouvoir considérable. Et voici les éminents membres du prétoire, en gants blancs et robes de magiciens, sortir du chapeau ce fameux « délit d’association de malfaiteurs ». Miracle ! Sarkozy n’a rien fait mais aurait peut-être laissé faire : il n’en fallait pas plus à ces Messieurs du Siège. Admirez l’imprécision de la qualification : « il est donc reproché aux prévenus concernés d’avoir constitué un groupement formé ou une entente entre eux dans le but de préparer les délits suivants : 1° Des détournements de fonds publics commis par un agent public au préjudice de l’état libyen. 2° Les délits de corruption active et passive d’agent public. 3° Et le blanchiment de ces délits. »

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On notera tout de même que le Tribunal, décidément bien en peine, doit (encore !) relaxer partiellement Nicolas Sarkozy dudit délit ; et voici la condamnation finale, la seule infraction, enfin ! que nos bons juges ont pu saisir, et sur laquelle ils ont tiré, tiré, tiré de toutes leurs forces : « [Nicolas Sarkozy] sera donc déclaré coupable, pour avoir entre 2005 et le 15 mai 2007, à Paris, sur le territoire national, et de manière indivisible aux Bahamas, au Panama, en Suisse, en Libye et au Liban, participé à un groupement formé ou une entente établie en vue de la préparation du délit de corruption active et passive d’agent public, en ayant, alors qu’il était Ministre, Président de l’UMP et candidat à l’élection présidentielle, mais agissant ainsi en dehors de ses fonctions, laissé ses plus proches collaborateurs et soutiens politiques sur lesquels il avait autorité et qui agissaient en son nom, à savoir Claude GUEANT (directeur de cabinet, directeur de campagne) et Brice HORTEFEUX (membre du bureau politique et secrétaire général de l’UMP), et des intermédiaires officieux, tels que Ziad TAKIEDDINE, 1° agir afin d’obtenir ou tenter d’obtenir des soutiens financiers en vue du financement de sa campagne électorale, 2° se rencontrer de manière confidentielle en France, en Libye, dans des lieux privés et officiels (ministère de l’intérieur, domicile de Ziad TAKIEDDINE, domicile d’ Abdellah SENOUSSI, hôtels), 3° rencontrer des collaborateurs officiels de Mouammar KADHAFI tels que Abdallah SENOUSSI, à l’occasion de voyages officiels mais de manière confidentielle et hors la présence des autorités officielles françaises, 4° organiser des transferts de fonds publics de la Libye vers la France, par virements via des comptes off-shore et en espèces, 5° et envisager des contreparties diplomatiques (le retour de la Libye sur la scène internationale, l’invitation de Mouammar KHADAFI en France), économiques (engagement sur le nucléaire civil), et juridiques (promesse de levée du mandat d’arrêt d’Abdallah SENOUSSI) ».

Trouble à l’ordre public

Pardon, c’est un peu long, mais il faut bien comprendre ce jugement : Nicolas Sarkozy, après avoir été relaxé des délits de corruption et de financement illégal de sa campagne présidentielle, est condamné à cinq années de prison pour avoir simplement « participé à un groupement formé en vue de la préparation » du délit de corruption (notez les précautions de langage !), en ayant « laissé des collaborateurs agir » afin « d’obtenir ou tenter d’obtenir des soutiens financiers en vue du financement de sa campagne électorale » (nouvelles précautions !), et ce alors même, rappelons-le… qu’il a été relaxé du délit de financement illégal de campagne électorale. Mais avec tant de conditionnels, on eût condamné tous les présidents de la Cinquième, De Gaulle compris ; ainsi les juges tiennent-ils le levier de la guillotine : ils font et défont la politique, désormais. Et puis, enfin, si seulement la délinquance, la criminalité ordinaires étaient sanctionnées aussi sévèrement ! Et la magistrature en rage de mordre le politique jusqu’au sang, prononçant l’exécution provisoire « pour garantir l’effectivité de la peine au regard de l’importance du trouble à l’ordre public causé par l’infraction », ainsi que le mandat de dépôt, compte tenu de « l’exceptionnelle gravité des faits et le quantum prononcé ». Seule mansuétude, comme un sursaut de pitié au milieu de toutes ces cruautés : « Étant observé que M. SARKOZY ne s’est jamais dérobé à la moindre convocation et a été présent à l’audience sauf dispense accordée par le tribunal, il sera tenu compte de la nécessité pour lui d’organiser sa vie professionnelle pour prononcer ce titre sous la forme d’un mandat de dépôt à effet différé. » Les juges attendaient-ils un « merci » ?…

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Quelques règles de droit, pour finir : « Toute personne suspectée ou poursuivie est présumée innocente tant que sa culpabilité n’a pas été établie » (article préliminaire du Code de procédure pénale).
Ainsi, la Cour de cassation a rappelé dans nombre de décisions que l’exécution provisoire en matière pénale doit rester « exceptionnelle », et que sa première raison d’être doit consister notamment en la prévention de la récidive : le tribunal voudra bien nous expliquer dans quelle mesure Nicolas Sarkozy risquait-il, en l’espèce, de récidiver ?…
N’osons y sentir l’once d’un pur sadisme, de délectation de le voir menotté, avant une possible infirmation par la Cour d’appel ! S’il fallait une preuve de plus d’un manque indécent d’impartialité dans la magistrature…

Grâce à Carsen, la Cour d’Ecosse étincelle


Le lit comme élément moteur du décor, divan où se couche le désir charnel, revient avec insistance dans les mises en scènes de Robert Carsen : le baldaquin à courtines à carreaux sur lequel s’ouvre le premier acte d’Ariodante n’y fait pas exception. Tiré de l’Orlando furioso, immortel poème de l’Arioste, cet opera seria créé en 1735 à Covent Garden, soit la même année que Alcina, du même Haendel, aura été frappé par l’oubli pendant près de deux siècles, avant de devenir sur le tard un must absolu de la musique baroque. Le metteur en scène canadien n’est pas étranger à la reconquête de cette faveur auprès du public d’aujourd’hui : Orlando, Semele, Rinaldo, Alcina… – une affinité de longue date attache Carsen à l’œuvre de l’immense compositeur saxon. La reprise de cet Ariodante, coproduction avec le Metropolitan Opera qui a déjà triomphé il y a deux ans au Palais Garnier, était, il faut le dire, extrêmement attendue. L’impatience s’est encore accrue du fait de l’annulation intempestive des deux premières représentations, pour cause de grève. Il est vrai que nous sommes en France, pays de la douche écossaise.

Pas de magie

Ginevra, fille du roi d’Ecosse, va-t-elle, comme elle l’avoue à Dalinda, sa dame d’honneur, convoler avec le prince Ariodante selon le vœu de son père ? Ce serait pratiquement chose faite si Polinesso, le diabolique duc d’Albany (avec y, s’il vous plaît), fieffé manipulateur, lui-même aimé de la candide Dalinda mais secrètement épris de Ginevra, n’ourdissait un plan pour ravir cette dernière à Ariodante, et hériter du trône à la place du fiancé… Canevas inhabituellement réaliste pour un dramma per musica (ici, pas de fée, pas de magie, pas d’intervention divine), auquel sera mêlé Lurciano, le frère d’Ariodante, lui-même amoureux de Dalinda, et dont les rebondissements vont se traduire par duel, tentative de suicide, disparition, crise de folie, etc. Ariodante se dénoue, Thank God, par un happy end.

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Carsen a donc eu l’inspiration –  comme toujours, chez lui, aussi lisible et pertinente qu’élégante et ultra-soignée dans le détail – de transposer l’intrigue médiévale du livret au cœur de l’actuelle monarchie Windsor, dans l’écrin tapissé de vert d’un décor (signé Luis F. Carvalho) qui, au fil de ses transformations, devient chambre, salle de gardes, salon bibliothèque d’un château tour à tour investi de cerfs vivants puis empaillés, d’une rutilante panoplie d’armures, d’un fier alignement de trophées de chasse, et dont les occupants princiers, assiégés par des hordes de paparazzis, continument envahis par la meute des journalistes, traqués par les torchons de la presse people, se meuvent dans de seyants kilts chamarrés. Lesquels se soulèveront aux virevoltes des danseurs, jusqu’à laisser entrevoir leurs dessous noirs très apprêtés, dans les fougueux, éblouissants ballets par quoi se referment, par un heureux caprice de Carsen, deux des trois actes de l’opéra. Ballets qui irradient donc cette régie de haut vol (en particulier celui par lequel se termine le deuxième acte, illustrant, dans une lumière funèbre, le cauchemar et l’égarement de Ginevra).

Cecilia Molinari idéalement androgyne

Mais ce qui parachève la réussite absolue de ce spectacle, c’est un cast vocal éblouissant, à commencer par la mezzo italienne Cecilia Molinari, idéalement androgyne avec ses cheveux coupés courts, dans ce rôle-titre travesti primitivement écrit par Haendel pour un castrat, et que tenait Emily d’Angelo en 2023 : vocalises fabuleuses, jeu de scène d’une grâce infinie, délicatesse et clarté du phrasé. Découverte l’an passé sur ce même plateau de la Bastille dans l’opéra du compositeur contemporain Thomas Adès, The Exterminating Angel, la soprano Jacquelyn Stucker campe de façon tout aussi admirable le personnage de Ginevra, tandis que notre compatriote Sabine Devieilhe incarne quant à elle la dame d’honneur Dalinda de manière à la fois touchante et virtuose (on retrouvera la merveilleuse chanteuse en février prochain au Théâtre des Champs-Élysées, en Cléopâtre dans Giulio Cesare, autre chef-d’œuvre de Haendel). A la basse Luca Tittoto revient de s’imposer comme « il Re di Scozia » avec toute l’autorité vocale requise. Le ténor britannique Ru Charlesworth, familier du répertoire baroque, fait un Lurciano (le frère d’Ariodante épris de Dalinda) scéniquement agile. La palme revient sans conteste au contre-ténor Christophe Dumaux, lequel reprend ici une nouvelle fois le redoutable emploi du duplice Polinesso, dardant des aigus ciselés dans un pur métal.

Last but not least, à la tête de l’Ensemble Pygmalion qu’il enveloppe, sans baguette, d’une gestique éloquente et précise, le jeune chef Raphaël Pichon, qu’on découvrait à l’Opéra de Paris, développe de bout en bout, pendant ces quatre heures de spectacle (les deux entractes de 20 mn compris, tout de même !) une tension, une énergie, un souffle continus, sans la moindre baisse de régime. Un Ariodante étincelant, en somme, magnifié par la finesse et l’humour de Robert Carsen, qui trouve d’ailleurs  son apothéose dans le final inattendu de l’opéra : votre serviteur vous en réserve la surprise.    


Ariodante. Opéra en trois actes de Georg Friedrich Händel. Avec Luca Tittoto, Jacquelyn Stucker, Cecilia Molinari, Ru Charlesworth, Chistophe Dumaux, Sabine Devieilhe, Enrico Casari. Direction Raphaël Pichon. Mise en scène Robert Carsen. Chœurs de l’Opéra national de Paris. Ensemble Pygmalion.

Durée : 4h

Palais Garnier, les 29 septembre, 1, 3, 7, 9 octobre à 19h, le 12 octobre à 14h.

New York rend fou!

Le Département d’État américain n’a pas mâché ses mots: Gustavo Petro a commis des «actions téméraires et incendiaires» à Times Square. Résultat? Le président colombien se retrouve privé de visa. Tout ça pour avoir transformé une gentille manif pro-Gaza en petit one-man show? Non, du haut de sa tribune improvisée, il avait carrément invité à la révolution les soldats américains: «Rangez vos fusils, désobéissez à Trump, obéissez à l’humanité!», le tout après avoir fait un petit amalgame douteux entre nazisme et armée israélienne. Un inquiétant front anti-américain se dessine en Amérique du Sud, composé du Brésil, du Venezuela, de la Colombie, du Nicaragua et de Cuba. Driss Ghali raconte.


Oui, New York rend fou. Ou peut-être que c’est l’Assemblée générale des Nations unies qui rend fou à en croire les écarts de conduite risibles et pathétiques de certains chefs d’Etat conviés à cette grande messe. Ça a commencé avec notre cher président Macron qui s’est mis en scène devant les caméras de télévision en train de passer un coup de fil à Trump pour lui dire qu’il était retenu à un barrage de police sur le chemin de l’ambassade de France. Quelques instants plus tôt, il essayait de persuader un policier de la circulation de le laisser passer.  « Let me cross, let me negotiate with you ! » Plutôt honteux ! Quelle conduite indigne d’un président à la tête d’une puissance nucléaire…

Gustavo Petro, le clown de Bogota

Gustavo Petro, le président colombien, d’extrême-gauche, a réussi à faire pire. Devant une foule éparse à Times Square, il a traité les Israéliens de nazis et il a appelé les soldats américains à se mutiner contre Trump. Immédiatement, son visa a été annulé par les autorités américaines, ce qui l’a poussé à dénoncer une atteinte à sa liberté d’expression et à surenchérir en exigeant que le siège des Nations unies soit déplacé de New York à Doha. On est chez les fous.

Rendez-vous compte vous-mêmes au fil du verbatim des déclarations de Gustavo Petro à Times Square, reproduit ci-après. Auparavant, imaginez la scène… Un président colombien sur un piédestal ou une espèce de plateforme surélevée hors du champ de la caméra, il porte une chemise blanche en lin et des Ray-Ban comme un personnage de Garcia Marquez qui s’apprête à descendre une bouteille de rhum par une après-midi chaude et moite à Santa Marta. Des gardes-du-corps en costume cravate le ceinturent de tous les côtés. Un traducteur à l’accent douteux en anglais et qui a de l’interprétation une notion suffisamment vague pour se permettre quelques glissements ici et là. Une foule d’une centaine de personnes, tout au plus. Et même quelques femmes voilées.

« Nous avons beaucoup de sang arabe dans nos veines, les marins de 1492 partis du sud de l’Espagne étaient des Arabes, le Califat de Cordoue fait partie de la Colombie, nous avons donc des cultures similaires les Arabes et nous les Colombiens, pour cela le peuple colombien appuie la cause palestinienne […] ce qui se passe à Gaza est un génocide similaire à ce qu’a vécu le peuple juif à cause des nazis, les nazis aujourd’hui se servent d’un drapeau et d’une histoire qui ne leur appartiennent pas, c’est l’histoire d’Israël […] l’humanité doit réagir, avec les mots et avec les armes, il faut former une armée plus forte que celle des Etats-Unis et d’Israël réunies […] quand nous étions jeunes, nous nous sommes entraînés avec des combattants de l’organisation de la libération de la Palestine dans les déserts de Libye, leur cause comme celle du Congrès National Africain et du Polisario auront toujours notre soutien, nous allons présenter une résolution qui demande la constitution d’une armée de salvation du monde dont la première tâche sera la libération de la Palestine […] je demande à tous les soldats de l’armée des Etats-Unis de ne pas pointer leurs fusils contre l’humanité, désobéissez à Trump, obéissez à l’humanité ! […] A l’instar de la Première Guerre mondiale, je veux que les jeunes travailleurs et paysans israéliens pointent leurs fusils non contre l’humanité mais contre les tyrans et les fascistes ! »

On croirait entendre Maître Gims commenter les innovations scientifiques des Pharaons égyptiens qui auraient inventé l’électricité. Gustavo Petro réussit à mélanger le marxisme (les travailleurs et les paysans) avec le n’importe-quoi typique des conversations d’ivrogne et des fumeurs de narguilé au cannabis. Il fait naître le fascisme en 1914-1918, quelques années avant son émergence réelle. Il voit un Califat de Cordoue en Colombie. Demain, il va confondre Shakira avec Sherazade et Pablo Escobar avec Tarik Ibn Zyad.

Le peuple colombien est plus sérieux que son président. La Colombie est plus belle et plus harmonieuse que les déclarations confuses et incendiaires de son chef. Elle n’est pas une république bananière en dépit de ce que peut porter à croire son président qui se comporte comme un clown. Il y a quelques mois, il a déclaré que « la cocaïne n’est pas pire que le whisky ». Et en 2022, à New York aussi, il a appelé à légaliser le commerce de la cocaïne, selon lui moins dangereuse pour la planète que le charbon et le pétrole.

Petro n’est pas un phénomène isolé. Il fait partie d’un axe de la résistance qui s’agite de plus en plus et qui ne manque pas d’audace.  Il se compose du Brésil, du Venezuela et de la Colombie en premier lieu. Le Nicaragua et Cuba en font partie, mais ils sont trop petits et trop faibles pour réellement peser. Cet axe s’oppose à Trump pour ce qu’il est et s’aligne sur l’antisionisme le plus excessif et le plus assimilable à l’antisémitisme. Il navigue à contre-courant des trois obsessions qui conduisent la politique de Washington pour l’hémisphère occidental : empêcher la Chine de s’installer en Amérique du Sud, lutter contre l’immigration clandestine et arrêter le déluge de cocaïne et de fentanyl qui inonde les Etats-Unis.

Le Mexique fait jeu à part

Lula appuie l’Iran et le Hamas (qui en retour le considère comme un « allié »). Il a été un des premiers leaders mondiaux à parler d’un génocide à Gaza. Il défend la Russie face à l’Ukraine et a accompagné le président Petro en Chine récemment, où ce dernier a fait le premier pas envers une adhésion à l’initiative des Routes de la Soie. Lors de la campagne électorale américaine, Lula a ouvertement appuyé Biden et a traité Trump de fasciste. Sa femme, Janja, a même osé déclarer en public : « Fuck Elon Musk ».  Plusieurs entreprises américaines ont été prises pour cibles au Brésil : X a été suspendu durant des mois, Rumble est tout simplement banni de ce pays et Google et Meta se plaignent de pressions et des menaces émises par la justice brésilienne, bien décidée à censurer (« réguler ») les réseaux sociaux. Les Américains ont répliqué en infligeant au Brésil des droits de douane de 50% pour nombre de ses exportations phares comme le café et la viande. Maduro, lui, est bien plus virulent que Lula. Aligné sur l’Iran, la Russie et la Chine, il va plus loin et se positionne comme un opposant aux Etats-Unis en Amérique du Sud. Il refuse de rapatrier ses ressortissants arraisonnés par les autorités américaines, même s’ils sont réputés dangereux comme les membres du Tren de Aragua, un gang extrêmement violent, né au Venezuela, et qui s’implante aux Etats-Unis grâce à l’immigration illégale. Aujourd’hui, les deux pays sont presque en état de guerre. Les Américains ont déployé l’US Navy aux portes du Venezuela et ont placé une récompense de 50 millions de dollars sur la tête de Maduro. Ils l’accusent de diriger un cartel de la drogue, le Cartel de los Soles. Récemment, deux navires transportant de la cocaïne depuis le Venezuela vers les Etats-Unis ont été bombardés et coulés en pleine mer par l’armée américaine, dans un geste inédit dans les annales de la lutte antidrogue.

Lula et Maduro sont plus en pointe contre l’Oncle Sam que Boric, le nouveau président chilien, communiste pourtant. Ils sont plus intransigeants que la présidente mexicaine, Claudia Sheinbaum, de gauche et qui n’est pas née de la dernière pluie. Elle a mis de l’eau dans son vin et accepte de négocier avec les Etats-Unis. Elle a beau être du camp progressiste, elle collabore dans la lutte contre les narco-trafiquants et l’immigration clandestine. Très intégrée à l’économie américaine, contrairement aux Vénézuéliens et aux Brésiliens, elle ne peut pas se permettre de saboter l’économie de son pays pour les beaux yeux de l’idéologie. Trump et son secrétaire d’Etat, Marco Rubio, lui expriment leur respect et leur appréciation.  Ils ont plus de leviers de pression sur elle que sur MM. Lula et Maduro qui pour l’instant mettent au défi les Etats-Unis. Le président brésilien n’a même pas voulu passer un coup de fil à Trump pour entamer un dialogue sur les tarifs douaniers de 50% imposés unilatéralement par les Etats-Unis. Il est le seul chef d’Etat au monde à avoir refusé de prendre langue avec les Américains sur ce sujet, à contre-courant de ses homologues d’Europe, du Canada, de l’Inde et de la Chine. M. Maduro, de son côté, passe son temps à la télévision en train de mettre en scène des entraînements militaires censés contrecarrer un potentiel débarquement américain. Il exhibe ses milices populaires, formées de civils volontaires prêts à se battre contre le péril yankee. On est loin d’une capitulation en rase campagne.

La diplomatie américaine n’est pas à son aise en Amérique latine. Ce n’est plus son jardin ou son arrière-cour, loin de là. Cuba est à terre, mais d’autres pays, moins anecdotiques, portent le fer contre les intérêts américains.

Dans le camp yankee, on ne compte pas beaucoup de poids lourds. L’Argentine de Milei est le seul grand pays à ouvertement défendre les thèses de Trump et de Rubio. Mais, au-delà de Buenos Aires, il n’y a que des poids plumes dans l’orbite américaine. Le Salvador de Bukele fait parler beaucoup de lui, mais il s’agit d’un confetti territorial et démographique. Le Panama a chassé les Chinois de la gestion de son canal mais, là aussi, il s’agit d’un petit pays. L’Equateur du président libéral Noboa suit le chemin de Bukele dans sa lutte contre les narcos mais il n’est rien d’autre que la base-arrière des organisations qui agissent en Colombie.  S’il y a une solution au problème de la drogue, elle passe par la Colombie.

Et tout n’est peut-être pas perdu sur ce front, car la Colombie ne va pas bien du tout et a besoin des Etats-Unis

Gustavo Petro est un président faible, plus à l’aise à l’étranger dans des forums acquis à sa cause que dans son propre pays. L’économie va mal et la violence est de retour. Les accords de paix avec les FARC, signés en 2016, déraillent. Les guérilleros de gauche ne se sont pas tous démobilisés. Une part importante continue la guerre au mépris des engagements pris devant la communauté internationale. Elle fait la guerre et elle cultive et commercialise la cocaïne, en même temps.  Il y a quelques jours, un hélicoptère de la police a été abattu par un drone de la guérilla. Bilan : douze morts. Une bombe a explosé devant une base militaire en plein centre-ville de Cali. Bilan : six morts. Petro en est à appeler à l’aide internationale pour lutter contre le terrorisme intérieur. Or, dans cette guerre, il a besoin des Américains qui équipent son armée et sa police et qui disposent des capacités de renseignement pour prévenir les attaques. Ils ont leur réseau d’information au cœur de la Colombie, dans les pays voisins et dans les milieux criminels sur le sol américain. Ils peuvent faire mal aux trafiquants et aux guérilleros en bloquant des transactions financières ou en gelant des biens aux Etats-Unis. Washington et Bogota ont besoin l’un de l’autre.

Dans six mois, des élections présidentielles auront lieu en Colombie. Petro veut se faire réélire. Il a ses chances car la droite colombienne est en crise. Elle n’a pas de leader naturel. Son dernier grand chef a été Alvaro Uribe Velez, aujourd’hui retiré de la vie politique et assiégé par plusieurs procès. Un de ses leaders les plus prometteurs, Miguel Uribe Turbay, a été assassiné en plein meeting politique en août dernier. Gustavo Petro, malgré ses faiblesses, a peut-être une chance de gagner car la droite colombienne est affaiblie et divisée. Les Américains doivent trouver un moyen d’aider la droite colombienne ou de soigner le délire de Gustavo Petro.

Pardonner ou ne pas pardonner, d’Erika Kirk à la mère de Philippine

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La vueuve de Charlie Kirk prononce un discours au State Farm Stadium, à Phoenix dans l'Arizona, 21 septembre 2025 © UPI/Newscom/SIPA

Les drames vécus par l’épouse du militant américain Charlie Kirk, et Blandine de Carlan, ont ému la droite. Si le pardon reste un choix personnel, la société doit rester vigilante et combattive face aux assassinats à caractère idéologiques et aux dangers de l’immigration incontrôlée.


« Je pardonne » : ce sont les mots forts prononcés, avec des trémolos dans la voix, par Erika Kirk lors de la cérémonie d’hommage à son défunt mari, lâchement assassiné par un militant antifasciste aux États-Unis. De son côté, Blandine de Carlan, la maman de Philippine, jeune fille de 19 ans tuée tout aussi lâchement, déclarait n’éprouver aucune envie d’accorder son pardon au meurtrier, un clandestin qui n’avait rien à faire en France. Qui sommes-nous pour donner raison à l’une ou à l’autre, toutes deux si courageuses et dignes dans l’épreuve ? Personne ne peut comprendre leur douleur, encore moins juger leur réaction.

La joue gauche

Depuis les prises de parole de ces deux femmes remarquables, je ne cesse de m’interroger sur la notion de pardon. Témoigne-t-elle davantage de la supériorité de notre civilisation occidentale, et de la religion qui la fonde, ou de son immense naïveté face à l’ennemi ? Comment concilier l’idée de ne pas sombrer dans la vengeance, qui ne ferait qu’enclencher une escalade mortifère, et notre besoin de nous faire respecter et d’éviter que plus jamais ne se produisent des actes pareils ? Absoudre est-il forcément tendre l’autre joue ? 

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Les proches que ces deux femmes pleurent sont aussi un peu devenus, en tout cas pour les personnes dont le cœur penche à droite, nos victimes, nos martyrs, nos héros, les visages que nous n’oublierons jamais, qui nous obligeront, qui nous accompagneront, comme ceux de Lola et de Thomas, d’Arnaud Beltrame, de Pim Fortuyn. Certains sont morts parce qu’ils étaient au mauvais endroit – dans la France de Macron par exemple -, au mauvais moment, d’autres pour avoir défendu des idées.

Désarmés

Le plus effrayant est de constater que leurs bourreaux sont parfois célébrés, défendus ou encouragés au cœur des pays occidentaux, fracturés et peut-être irréconciliables à mesure que leurs forces vives ne pleurent plus les mêmes morts. Il n’est qu’à voir une partie de la gauche – celle qui pleure Nahel que nous prenons, de notre côté, pour… un délinquant – se réjouir de la mort de Charlie Kirk, comme elle l’avait fait au moment du décès de Jean-Marie Le Pen, ou les journalistes comparer la cérémonie d’hommage en Arizona à un meeting nazi, de la même manière qu’ils avaient parlé de « bal tragique » pour qualifier le drame de Crépol.

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Et si le pardon individuel dépend de chacun, en fonction de sa foi, de sa conscience et du soulagement que tel acte lui procure, il est de notre devoir, collectivement, de n’oublier jamais afin que nous puissions survivre collectivement : les « pas d’amalgame », les fleurs accompagnées d’ours en peluche et les « vous n’aurez pas ma haine » auront fait sans doute plus de mal que de bien aux pays européens au lendemain des attentats, comme si notre faiblesse allait désarmer nos ennemis. En réalité, nous savons, depuis Julien Freund et son aphorisme le plus célèbre, que c’est « l’ennemi qui nous désigne », et non l’inverse. Alors, il est de notre devoir de combattre celui-ci et de considérer comme adversaires tous ceux qui le soutiennent et qui veulent la disparition de nos modes de vie.

Qu’Erika Kirk, la maman de Philippine et toutes les familles de victimes trouvent un peu de réconfort dans notre détermination et la certitude que nous n’abandonnerons jamais.

Le réveil de la contre-culture homosexuelle

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Marche des fiertés homosexuelles au Mans, 2 juin 2018 © GILE MICHEL/SIPA

C’est un événement rare qui mérite d’être connu: le 20 septembre, le groupe LGB Alliance France (Lesbienne Gay Bisexuel… sans T) a déclaré son « indépendance » de l’ « establishment LGBTQA+ », et cela en connexion avec dix-huit autres pays, allant de Taïwan à l’Australie en passant par la Bulgarie et les États-Unis. Éclaircissements.


« Depuis quelques années, lit-on dans le communiqué de presse, des femmes lesbiennes et des hommes gays ou bisexuels se retrouvent exclus de milieux professionnels liés à la culture mais aussi de certaines luttes sociales pour ne pas avoir consenti à des revendications se réclamant de la cause trans-activiste. Ces bannissements sont pensés pour avoir un aspect viral: même les personnes indifférentes à ces questions finissent par y participer. L’Alliance LGB France s’est constituée en réaction à ces méthodes autoritaires. »

Un « féminicide » social et méconnu

J’ai rejoint ce groupe après avoir été contactée par une jeune lesbienne qui demandait l’aide des féministes de ma génération (MLF). Elles étaient harcelées par des « femmes trans identifiées » qui voulaient entrer dans des associations de lesbiennes féministes alors qu’elles n’étaient pas opérées. Autrement dit, qu’elles étaient physiquement des hommes. En plus, « elles » y prenaient bien souvent le pouvoir et pour certaines voulaient avoir des relations sexuelles avec de « vraies » lesbiennes, et donc de « vraies » femmes, meilleur moyen selon « elles » d’authentifier leur adhésion à l’autre genre. C’est ainsi que je découvris l’offensive transactiviste pour coloniser les lieux féminins et les associations lesbiennes féministes universalistes existant depuis longtemps. Cette offensive vise principalement les femmes car les « hommes transidentifiés » ne cherchent pas à entrer dans les associations gays et encore moins dans les équipes masculines de foot, de boxe ou de rugby, comme on l’a vu dans le sport féminin. Harcèlement accompagné de menaces de toutes sortes et d’isolement social des « résistantes ». Mais le plus stupéfiant fut de découvrir que 75% des personnes désirant changer de genre étaient des filles, et pour un grand nombre d’entre elles des lesbiennes n’arrivant pas à assumer leur différence dans la société égalitaire néo-libérale.

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J’ai cherché dans un premier temps à soutenir ces « butch », c’est-à-dire ces femmes qui se sentent hommes et s’habillent en hommes, comme l’histoire des lesbiennes en donne de nombreux exemples, en montrant dans un livre qu’elles n’avaient pas besoin de prendre des hormones mâles ni de se couper les seins pour ce faire.

Avec Nicole Athea, gynécologue obstétricienne qui a soigné des transsexuels pendant des années, nous avons publié un livre consacré spécifiquement à la question des femmes en insistant sur l’aspect « féminicide social » de cette mise au pas des jeunes filles « anormales ». Notre essai Quand les filles deviennent des garçons, est paru au printemps 2023 aux éditions Odile Jacob. Nous n’avons pas reçu de menaces de mort, comme ce fut le cas de la romancière J.K. Rowling et la chercheuse féministe Maya Forstater, licenciée en 2018 pour avoir affirmé qu’une femme transgenre restait un homme d’un point de vue biologique. Mais nous avons « seulement » été censurées et délibérément « cancelées ». Les journalistes qui voulaient chroniquer notre livre en étaient gentiment détournés, soit parce que leur direction était favorable au progressisme transidentitaire, soit parce qu’elle avait peur d’être harcelée par les activistes qui ne reculent devant rien pour empêcher tout débat susceptible de remettre en question leur idéologie. Et je ne parle pas des descentes transactivistes dans les librairies pour cacher nos livres ou, sur les réseaux sociaux, pour nous assimiler à l’extrême droite homophobe.

Un débat qui agite la France depuis plusieurs années

C’est dans ce contexte que j’ai rencontré d’autres homosexuels exaspérés eux aussi par la curieuse évolution du mouvement homosexuel. Parmi eux se trouvait Frédérick Schminke, professeur d’anglais et bilingue qui était en contact avec le groupe LGB Alliance Royaume-Uni. C’est ce groupe qui fonde LGB Alliance international ce 20 septembre 2025, en même temps que la Déclaration d’indépendance tandis que l’association française était officiellement formée en 2024, Frédérick devenant président l’année suivante.

L’intérêt historique de ce nouveau groupe ne vient pas seulement de ce qu’il fait sécession avec une organisation LBGTQ+ devenue totalitaire, mais qu’il fait alliance avec un courant féministe opposé à la propagande actuelle en faveur de la transidentité des mineurs qui suppose la prise dangereuse de bloqueurs de puberté.

Le communiqué de presse note en effet que : « Le débat sur la transition des mineurs agite la France, dans le cadre d’une proposition de loi adoptée par le Sénat en mai 2024 mais toujours en attente à l’Assemblée nationale. Selon la commission des affaires sociales du Sénat, d’après les données de l’Assurance maladie, le nombre de mineurs en ALD pour transidentité est passé de huit en 2013 à 294 en 2020. L’ensemble des personnes en ALD pour ce motif est passé de 962 à 8 952 sur cette période. » Et il ajoute : « Parmi les 239 mineurs suivis entre 2012 et 2021 à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, 105 ont pris des hormones du sexe opposé, 30 ont subi une ablation des seins et 26 ont reçu des analogues de la GnRH. » Ce communiqué ne parle pas du trafic d’hormones devenu monnaie courante dans les milieux à la mode. Ni du fait que la prise d’hormones contraires à son sexe a une incidence directe sur la sexualité des trans et l’expression du désir. Chez certaines filles par exemple, le clitoris peut tripler de volume et il fait si mal qu’elles n’ont plus de désir du tout. Bien sûr, on n’en parle pas sur les réseaux sociaux, comme si la nouvelle identité de genre comblait tous les désirs.

Dans son communiqué de presse, LGB Alliance France cite deux exemples de l’aspect misogyne et antiféministe de ce transactivisme LGBTQ+ :

« – À Rennes en 2023, le bar lesbien La Part des Anges a été vandalisé, menacé et poussé à la fermeture après des accusations de transphobie. Selon la gérante, tout a commencé lorsqu’elle a réagi à une agression sexuelle par un homme affirmant vouloir valider son identité en couchant avec des lesbiennes. (Sources : Ouest-France, 17 mai 2023 ; Charlie Hebdo, 25 mai 2023).

– À Toulouse en 2025, le Printemps lesbien, festival culturel organisé par l’association Bagdam Espace lesbien, a été la cible de violentes attaques, à travers un tract du collectif Bagarre (un groupe militant) diffusé avant le festival dans la communauté LGBT de Toulouse, et envoyé à certaines partenaires et invitées/intervenantes du festival, pour les inciter à quitter le festival. Il en est résulté l’annulation de quatre événements. »

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Notons aussi que les jeunes gays commencent également à prendre la mesure du climat dictatorial qui régente une « communauté » convertie aux idéaux transactivistes sans qu’aucun débat ne puisse se tenir le bien-fondé d’une telle évolution d’un mouvement né dans une dynamique émancipatrice. À court terme, la « conversion genrée » des jeunes homos mal dans leur peau d’homosexuel mène à la disparition pure et simple de la liberté d’orientation sexuelle. Mais on ne règle pas le problème de l’homophobie en changeant de genre.

La création de cette nouvelle « Alliance » entre lesbiennes, gays et bisexuels a le mérite d’introduire la dissidence à l’intérieur d’une « communauté » qui a réussi à imposer ses revendications au « mariage gay » et à la « PMA pour toutes », en attendant la « GPA pour tous ». L’arrivée du transactivisme lui a donné un faux second souffle. « Faux », car on ne peut fonder l’émancipation homosexuelle sur le simulacre genré et le pouvoir coercitif du groupe. « Tu fais semblant de croire qu’un homme est une femme et je fais semblant de te croire », impose ce transactivisme à ses adeptes.

C’est pourquoi, ce NON formulé par des groupes issus d’une vingtaine de pays fait figure de révolution culturelle dans ce paysage politique soumis à la censure, la misogynie et la mutilation des mineurs. Il était temps de le dire.

Notons enfin que LGB Alliance est une association apartisane réunissant des personnes avec des opinions diverses sur les sujets non liés à la bioéthique (économie, immigration, etc.). Nous demandons aux différentes forces politiques de ne pas instrumentaliser notre cause pour ces autres débats.

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Budget 2026: Lecornu sur le fil du rasoir

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Manifestations contre le budget, Lille, 18 septembre 2025 © Adrien Fillon/ZUMA/SIPA

Les socialistes menacent le Premier ministre d’une censure dès son discours de politique générale s’il n’accepte pas d’augmenter les impôts. Les syndicats redescendront dans la rue jeudi.


Alors que Sébastien Lecornu tente d’imposer sa marque à Matignon, son projet de budget pour 2026 affronte déjà un front commun de critiques à gauche. Avec un déficit encore élevé et des concessions jugées insuffisantes, le risque d’une motion de censure grandit. Le nouveau Premier ministre joue ici bien plus que sa survie politique : c’est la crédibilité de l’État qui est en jeu.

Un budget d’équilibriste

Le budget présenté par Sébastien Lecornu pour 2026 vise à répondre à un triple impératif: réduire le déficit public (annoncé à 4,7% du PIB, contre 5,4 % attendus en 2025), calmer la colère sociale et désamorcer les tensions politiques héritées de la séquence Bayrou.

D’emblée, il a écarté certaines mesures explosives — comme la suppression de jours fériés — tout en refusant les symboles fiscaux chers à la gauche, à commencer par le retour de l’ISF ou une taxe sur les très hauts patrimoines.

M. Lecornu avance ainsi prudemment, annonçant 6 milliards d’économies sur le fonctionnement de l’État, une baisse des dépenses de communication et une hausse contenue des budgets de santé et de retraites. Mais ce calibrage, voulu comme raisonnable, laisse ses adversaires sur leur faim et ses alliés dans le flou. Trop peu ambitieux pour les uns, trop peu lisible pour les autres, ce budget navigue à vue dans une Assemblée nationale sans majorité, où chaque vote est un piège.

La gauche brandit l’arme de la censure

La réaction ne s’est pas fait attendre. Marine Tondelier (EELV) a lancé les hostilités en affirmant que Lecornu « fait le choix d’être censuré ». Le Parti socialiste, fort de ses 66 députés charnières, agite lui aussi la menace, tandis que LFI appelle à une motion de censure dès l’ouverture de la session parlementaire. Ce front de gauche, s’il parvient à s’unir, pourrait donc renverser le gouvernement.

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Mais la gauche joue ici un jeu dangereux. En abattant trop tôt la carte de la censure, elle risque d’ouvrir une crise institutionnelle sans en maîtriser l’issue. Une telle motion, si elle aboutissait, pourrait déclencher une dissolution de l’Assemblée nationale — et renvoyer tout le monde aux urnes dans un contexte d’abstention massive et de rejet des partis. Une éventualité que certains au PS redoutent autant qu’ils la menacent…

La stratégie Lecornu : concilier ou s’imposer ?

Dans cette séquence, le Premier ministre cherche une voie étroite : faire voter un budget sans renier la discipline budgétaire, sans déclencher d’émeutes sociales, et sans tomber sous les balles croisées des oppositions. Il mise sur un ton sobre, une posture de négociation ouverte, et un refus clair des totems idéologiques.

Mais derrière la façade apaisée, l’arbitrage reste délicat. Les classes moyennes, pilier du consentement fiscal, attendent un signal fort. Les dépenses régaliennes, notamment la défense, ne peuvent pas être sacrifiées. Et le moindre fléchissement face à la pression de la gauche serait interprété comme une faiblesse politique. La marche est étroite, et chaque pas compte.

Ce qui se joue : crédibilité, stabilité, autorité

Le cœur du sujet dépasse le contenu précis du budget. Ce qui est en jeu ici, c’est la capacité du pouvoir exécutif à gouverner dans un cadre parlementaire éclaté. Depuis 2022, la France vit sous un régime de minorité chronique, où l’arithmétique remplace le projet politique. M. Lecornu a été nommé pour sortir de cette impasse, non pour la subir.

Une censure réussie ouvrirait une séquence de chaos: démission, recomposition, dissolution — autant d’issues hasardeuses pour un pays fatigué de l’instabilité. À l’inverse, un budget voté offrirait au Premier ministre un premier succès politique et dessinerait un cap : celui d’un État sérieux sur ses finances, respectueux de ses missions, et capable de contenir les extravagances d’un hémicycle de plus en plus tenté par la posture.

Pour la droite, un moment de clarté

Ce budget, aussi imparfait soit-il, est une occasion pour la droite républicaine de peser sur les orientations à venir. Il s’agit moins d’offrir un blanc-seing au gouvernement que d’exiger des engagements clairs : baisse du train de vie de l’État, recentrage sur les fonctions régaliennes, protection des classes moyennes productives.

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À l’heure où la gauche radicale cherche à imposer un agenda confiscatoire et où le macronisme est devenu gestionnaire sans cap, le moment est propice pour rappeler que gouverner, ce n’est pas redistribuer l’illusion mais arbitrer avec courage. Et qu’un budget, même modeste, peut devenir l’acte fondateur d’un redressement — si tant est qu’on en assume le sens.

En conclusion : rester ou sombrer

Le Premier ministre Lecornu joue gros. Mais la France aussi. Le budget 2026 n’est pas une simple ligne comptable : c’est un test de maturité politique. La gauche pourra-t-elle résister à la tentation de tout casser pour exister ? La droite saura-t-elle exiger, sans bloquer ? Et le gouvernement pourra-t-il encore gouverner sans majorité, mais avec un mandat de responsabilité ?

Dans les semaines à venir, ces questions trouveront leurs réponses dans les couloirs de l’Assemblée. Ce ne sera pas une question de chiffres, mais de volonté. Et dans cette bataille feutrée, c’est toute l’idée que l’on se fait encore de l’État qui est en jeu.

Lyrique: Offenbach corrigé au féminin

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Michael Spyres (Hoffmann), Ensemble Aedes, "Les contes d'Hoffmann" © DR. Stefan Brion

Notre critique salue la performance vocale de Michael Spyres mais déplore une mise en scène pesante et didactique de Lotte De Beer, qui alourdit l’œuvre d’Offenbach au détriment de sa magie.


« Opéra fantastique en cinq actes, ou un prologue, trois actes et un épilogue », Les Contes d’Hoffmann, testament lyrique de l’allègre compositeur de La Belle Hélène ou de La Vie parisienne, se prête particulièrement aux transformations débridées. Adapté comme l’on sait de plusieurs contes du célèbre romantique allemand Ernst Theodor Amadeus Hoffmann à partir de la pièce éponyme écrite dès 1851 par le fameux duo Jules Barbier & Michel Carré (également librettistes stars du Faust de Gounod), le livret, d’ailleurs terminé par le seul Barbier car Carré est mort en 1872, sert l’ultime partition du roi de l’opérette et fondateur des Bouffes-Parisiens, Jacques Offenbach.

Trois rôles pour Amina Edris

Celle-ci aura décidément connu une maturation d’escargot : l’orchestration n’en est même pas achevée quand, miné par la maladie, Offenbach finit par s’éteindre le 5 octobre 1880. Il faut attendre le 10 février 1881 pour que l’œuvre soit créée salle Favart, dans une version mutilée qui plus est, avec des récitatifs remplacés par des dialogues parlés pour répondre aux règles qui régentent le genre « opéra- comique », par opposition avec le « grand opéra ». Puis le succès s’empare du chef-d’œuvre, durablement repris sur toutes les scènes européennes, dans des versions partiellement apocryphes. Bref, Les Contes d’Hoffman se prêtent comme jamais à la réécriture.

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C’est peu dire que s’en prive la Néerlandaise Lotte De Beer –  l’Opéra-Bastille lui devait déjà, en 2021, une Aïda aussitôt mise sous cloche par le Covid –  dans cette version créée à Strasbourg la saison passée, et que reprend à présent la si belle salle parisienne de la place Boieldieu, version en cinq actes dans laquelle les rôles d’Olympia, Giulietta, Antonia… et Stella, habituellement dévolus à plusieurs interprètes mezzo ou sopranos, se voient ici confiés à la seule soprano lyrique Amina Edris. Quelles que soient ses indéniables qualités, ce n’est pas une mince affaire que de donner chair tout uniment à des créatures si puissamment caractérisées chacune.

Élégant Michael Spyres

Autant dire que, sous les traits du ténor américain Michael Spyres, le personnage d’Hoffmann domine de très haut le cast vocal de cette production : agilité, élégance du phrasé, diction parfaite, puissance d’émission, un degré de perfection qui éclipse quelque peu la performance des autres chanteurs, du baryton Jean-Sébastien Bou (en Coppélius, Lindorf, docteur Miracle…) au ténor Raphael Brémard, en passant par la basse Nicolas Cavallier (en Luther et Crespel).

Amina Edris (Stella / Olympia / Antonia / Giulietta), Michael Spyres (Hoffmann), Héloïse Mas (La Muse / Nicklausse) Photo : Stefan Brion

Car sous les auspices de Lotte De Beer, la part belle revient pour ainsi dire par force à la mezzo Héloïse Mas, laquelle, assumant l’emploi Nicklausse / La Muse, a la lourde charge de développer le discours sous-jacent dont la metteur(e) – metteuse ? –  en scène croit devoir agrémenter le livret par d’innombrables ajouts de son cru. C’est là le travers le plus agaçant de cette régie, appliquée d’un bout à l’autre à nous imposer sa leçon de morale féministe, dans une effarante trivialité de langue : « Est-ce que tu as conscience de reproduire toujours le même schéma ? Tu es le héros tragique, tu projettes ton image de la femme, et à la fin c’est toi la victime »  (sic, Acte IV, scène 1). Ou encore, ce commentaire : « Ta dramaturgie est tellement attendue, Hoffmann : chaque fois qu’il devient difficile de faire face à la réalité, tu nous fourgues une scène de chœur » (Nicklausse, acte II, scène 5).

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Si le décor pouvait sauver la mise (en scène), on se résoudrait charitablement à regarder, sans prêter trop attention à tout ce fourbi didactique. Mais l’unique perspective de cette triste boîte en carton sur laquelle un rigide rideau noir tombe comme la guillotine à chaque interminable changement de tableau, n’a même pas la vertu de la beauté plastique, et fatigue l’attention plus qu’elle ne la stimule. Quant à l’idée de cette poupée XXL qui roule et cligne des yeux, cette apparition certes rigolote sur le plan visuel contraint à dédoubler la présence scénique d’Olympia, interdisant à la chanteuse de faire corps avec l’automate… L’honorable prestation de l’Orchestre philharmonique de Strasbourg que dirige avec Pierre Dumoussaud  avec une sobre et fine élégance et celle, pour le chœur, de l’ensemble Aedes, sauve partiellement du désastre cette tentative « archéologique », sacrifiée à la pesanteur de l’intention.

Par comparaison, on se prend rétrospectivement de nostalgie pour la version « opéra » de l’œuvre posthume d’Offenbach, telle que reprise il y a deux ans à l’Opéra Bastille dans la production de Robert Carsen millésimée de l’an 2000 : près qu’un quart de siècle plus tard, elle n’avait pas pris une ride.


Les Contes d’Hoffmann. Opéra de Jacques Offenbach. Avec Michael Spyres, Heloïse Mas, Amina Edris… Direction Pierre Dumoussaud. Mise en scène Lotte de Beer. Orchestre philharmonique de Strasbourg. Durée : 3h

Opéra-Comique, Paris. Les 29 septembre, 1, 3 octobre à 20h. Le 5 octobre à 15h.

Les magistrats sont-ils masochistes?

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Le magistrat et essayiste français Philippe Bilger © Pierre Olivier

Non, les juges n’avaient pas envie de se faire «le scalp» de Nicolas Sarkozy, affirme Philippe Bilger. Notre contributeur s’étonne par ailleurs que le syndicalisme des magistrats, d’ordinaire tellement caricatural, politisé et vindicatif, ne soit pas capable de se faire entendre et respecter sur ce dossier. Tribune libre.


N’importe qui peut les traîner dans la boue. Les ignorants au sujet de la Justice ont le verbe d’autant plus haut et péremptoire qu’ils croient tout savoir. Les médias de droite – sur un mode un peu plus feutré – et d’extrême droite s’en donnent à cœur joie quand une personnalité de ce camp est condamnée et, encore plus, incarcérée. C’est la justice qui serait coupable et le prévenu, bien sûr, totalement, forcément innocent ! Les médias de gauche et d’extrême gauche se réjouissent de voir l’adversaire sanctionné avant de s’en prendre, à leur tour, aux juges lorsque la cause du Bien – cette mouvance, plus ou moins excitée, en est propriétaire ! – est mise à mal judiciairement.

Le pouvoir oblige

La classe politique elle-même, on l’a vu avec le jugement ayant concerné Nicolas Sarkozy avec d’autres, ne sait plus ce que c’est que d’appréhender lucidement une décision judiciaire en étant soucieuse de faire le partage entre le partisan et le pénal.

Hier, on a constaté ce qu’il en était avec LFI et Jean-Luc Mélenchon et la bronca était encore plus choquante et délirante ! On est bien obligé de constater que l’idéologie prime tout, y compris ce qui devrait échapper, sur ce plan, au parti pris. Comme si le fait d’être accordé politiquement devait rendre sourd et aveugle aux défaillances morales et aux délits soupçonnés, parfois condamnés.

Pour certains, c’est une République des juges et cette paresse de la pensée est perçue telle une vérité d’évangile !

Pour d’autres, dont Nicolas Sarkozy, les magistrats seraient « haineux » et celui qui se croit autorisé à ne pas soutenir le point de vue de ses inconditionnels est immédiatement lui aussi qualifié de « haineux ». J’ai beau rectifier, j’ai droit régulièrement à cette ânerie sur X ou parfois même sur tel ou tel plateau.

Il est piquant de relever que les mêmes, de droite ou de gauche, exigeant des preuves absolues pour que leur champion soit sanctionné, sont en revanche infiniment libéraux, voire désinvoltes, pour les condamnations de ceux qui leur importent peu. Il y a des manières honteuses de stigmatiser les magistrats : une grande journaliste pourtant, Catherine Nay, est une spécialiste du genre. Il y a des indignations qui pour émaner, avec courtoisie, d’une remarquable intelligence – celle de Bernard-Henri Lévy par exemple – me paraissent cependant, pour le jugement du 25 septembre, s’égarer en interprétant mal la décision. Pour Henri Guaino, ce n’est rien de moins « qu’un coup d’État judiciaire contre la séparation des pouvoirs » ! Pour Mathieu Bock-Côté, c’est pire : « une démonstration de force déguisée en décision de justice ». Karine Le Marchand, elle aussi, « dont la parole est rare » dans ce domaine et devrait le rester, pourfend les cinq ans d’emprisonnement à l’encontre de Nicolas Sarkozy en les comparant aux violeurs sous OQTF qui seraient laissés en liberté. Cette critique du deux poids, deux mesures, que j’entends beaucoup, est offensante pour les politiques car les mettre sur le même plan que des voyous est indécent. De ces derniers, on n’a aucun exemple à attendre alors que pour les autres, on devrait tout espérer, et d’abord de la rectitude. Quand elle fait défaut, il n’est pas scandaleux de les estimer plus coupables que les délinquants « ordinaires ». Le pouvoir oblige.

Pas d’amalgame !

On reproche aux juges d’amplifier la défiance des citoyens à leur égard mais tous ces pourfendeurs compulsifs, anonymes ou non, de cette décision et de l’institution se rendent-ils compte qu’ils l’inspirent, l’irriguent, la généralisent ? Face à l’ensemble de ces accusations, stigmatisations, moqueries, dérisions, approximations et leçons, que trouve-t-on du côté de la magistrature, aussi bien de la haute hiérarchie judiciaire que du syndicalisme ?

Il y aura, bien sûr, l’appel qui permettra peut-être au commun des citoyens de mieux comprendre pourquoi le pacte corruptif au cœur de l’association de malfaiteurs (entre Nicolas Sarkozy, Brice Hortefeux et Claude Guéant, avec des actes préparatoires occultes et transgressifs en Libye et des espérances de fonds en France) a été lourdement condamné par le tribunal. La présidente de la juridiction a été menacée de mort et deux enquêtes ont été ordonnées. Seulement le 27 septembre le premier président de la cour d’appel de Paris a demandé « le respect de l’institution judiciaire et de son indépendance ». C’est tardif et cela va compter peu face à l’entretien fleuve du JDD avec Nicolas Sarkozy qui bénéficie d’une complaisance médiatique évidemment de nature à changer l’équilibre des forces pour l’appel et la sérénité des futurs débats.

Ce n’est pas au garde des Sceaux d’intervenir sans cesse pour défendre des troupes qui devraient être capables de le faire elles-mêmes, non par corporatisme, mais parce qu’il n’est écrit nulle part que l’institution judiciaire a à se distinguer par son silence, sa tolérance et sa patience. J’entends bien – et j’ai des exemples – que plus on monte, plus on a peur et qu’exiger des grands chefs de la magistrature du courage revient à la quadrature du cercle. Mais tout de même, lisent-ils, entendent-ils, écoutent-ils ?

On peut en douter quand on relève leur immobilisme à l’égard de ce qui, souvent, aurait dû susciter des réactions vives, voire de la colère de leur part… Alors, ils prêchent modération et mesure, qui ne sont que le masque d’une frilosité assumée.

Ils auraient eu matière, depuis le jugement du 25 septembre et à l’égard de tant d’autres controverses judiciaires avant, pour intervenir haut et fort. Mais leur faiblesse nourrit l’hostilité compulsive et les égarements de ceux qui ne voient aucune raison de ne pas s’essuyer les pieds et l’esprit sur les juges.

Et ce syndicalisme, tellement caricatural, politisé, partial et vindicatif dans certaines de ses réactions, n’est-il pas capable, pour une fois, de se mobiliser pour une bonne cause et de justifier une existence discutée régulièrement par une majorité de citoyens ? Que faut-il de plus pour que les syndicats judiciaires mettent une intelligente pugnacité et formulent des répliques cinglantes à l’encontre de ces inquisitions ? Les voix solitaires ne suffisent pas.

Je n’ai pas envie qu’on fasse mal à la magistrature, corps essentiel à la paix d’une société, à sa régulation, à la démocratie. Mais si son vice est le masochisme, qu’elle continue de se faire fouetter avec le sourire !

Note : depuis la rédaction de ce billet – sans lien de cause à effet-, réactions tout de même du premier président de la cour d’appel de Paris, du président du tribunal judiciaire de Paris, du Syndicat de la magistrature et de l’USM, du chef du PNF, du président de la République… Sur un autre plan, de Dominique de Villepin le 28 septembre et de Jean-Louis Bourlanges le 29…

Quand la Justice met la démocratie en danger

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Le journaliste Ivan Rioufol. Photo: Hannah Assouline

Nicolas Sarkozy a été condamné pour association de malfaiteurs dans le cadre de l’affaire du «financement libyen». «La démocratie est en danger», a déclaré dans les médias Jean-François Bohnert, procureur et directeur du Parquet national financier, préoccupé par les remises en cause de l’institution judiciaire qu’il dirige et par les discours évoquant l’existence d’un prétendu «gouvernement des juges». Le coup de gueule d’Ivan Rioufol.


L’ « association de malfaiteurs » est une trouvaille, précieuse pour les épurateurs éthiques. Cette accusation floue, qui va permettre aux juges du tribunal correctionnel de Paris de mettre Nicolas Sarkozy en prison, peut être déclinée contre ceux qui déplaisent aux vendeurs de vertu. Le malfaiteur est devenu, dans ce procès, celui qui contrarie une caste présumée infaillible. Ceux qui sont accusés d’être « d’extrême droite », par leur opposition à un progressisme sectaire et brutal, pourraient bien devenir à leur tour des délinquants. La loi des suspects (1793) avait inauguré la méthode, développée par l’URSS et la Chine communiste notamment.

Une meute ravie

Le crime politique devient envisageable quand un ancien président de la République va être incarcéré alors qu’aucune preuve n’a été retenue contre lui. La pente totalitaire de ce jugement, qui va s’appliquer en dépit de l’appel, est vertigineuse. Le délibéré ravit la gauche stalinienne et la meute lyncheuse. Les juges expliquent avoir opté pour l’exécution provisoire de la détention « en regard de l’importance du trouble à l’ordre public causé par l’infraction ». En l’espèce, il est reproché à Sarkozy des contacts noués en 2005 en Libye par ses collaborateurs, Brice Hortefeux et Claude Guéant, avec Ziad Takieddine, homme d’affaires véreux, et Abdallah Senoussi, proche de Kadhafi, criminel condamné par contumace à perpétuité pour son implication dans l’attentat de 1989 contre le DC 10 d’UTA (156 morts, dont 142 Français). De l’objet de ces contacts, les juges ne savent rien. Ils se contentent de considérer ces acteurs comme infréquentables. Mais cette intrusion morale dans la marche de l’exécutif est une violation de la séparation des pouvoirs.

État affaibli et PNF tout-puissant

Ce jugement n’a qu’un mérite : il illustre l’état de déliquescence de la démocratie. La politique paie son isolement du reste des citoyens. Ceux-ci, écartés par une caste méfiante de la plèbe, ont vidé le Pouvoir de sa substance humaine. La faiblesse de l’Etat, privé de son assise populaire, est devenue telle que la Justice se croit autorisée désormais à remplir les vides et à s’ériger en autorité de substitution. « La démocratie est en danger », a alerté ce lundi (RTL) Jean-François Bohnert, procureur qui dirige le Parquet national financier. Mais ce sont les nouveaux robespierristes qui la menacent. Après avoir participé à la chute de François Fillon, des juges se préparent à entraver la course présidentielle de Marine Le Pen.

Or cette corporation non élue, qui supporte mal la contradiction, a encore moins de légitimité démocratique que la classe politique déconnectée. La Justice n’est pas plus exemplaire que les puissants qu’elle entend humilier. L’affaire Sarkozy a été lancée en 2012 par un document de Mediapart dont le tribunal a reconnu qu’il est probablement faux. Or ce bidouillage n’a pas empêché le tribunal d’aller au bout de son intime conviction, en piétinant les prérogatives de la Cour de justice de la République, voire de la Haute Cour. La Justice sème le désordre public. Qui jugera les juges ?

Un père vu par sa fille

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© France Télévisions.

La fille de Jean-Pierre Elkabbach rend hommage à la carrière de son père disparu en octobre 2023 dans un documentaire. Ce film pudique et introspectif diffusé hier soir sur France 5 est disponible désormais sur le site France TV. On y voit l’ascension, les chutes et les relances d’un pape de l’information aussi détesté que suivi par des millions de téléspectateurs. D’Oran à l’Élysée…


Au début, on regarde ce documentaire avec la défiance naturelle du journaliste. Sur ses gardes. Connaissant l’animal médiatique, l’insubmersible de la Vème République. Connaissant ses ruses, ses connivences, son caractère, sa capacité de nuisance, ses emportements d’enfant triste, son ambition d’enfant pauvre, nous ne faisons pas le poids. Il était particulièrement retors pour arriver à ses fins. Presque trop folklorique pour être crédible. Carnavalesque. Cassant. Parodique. Terreur des rédactions durant cinquante ans, la bleusaille longeait les murs à sa vue. Aussi redouté que moqué. Imité donc clairement identifié comme une cible par les oppositions changeantes et successives. Pugnace jusqu’à la déraison. Homme lige ou homme libre ? Factice dans sa recherche d’audience à tout prix et, malgré tout, sincère à l’antenne, presque transparent, émotif, Méditerranéen épidermique. Un paradoxal ne sachant pas jouer l’indifférence. Une opiniâtreté sans égale dans le métier. Troublante à certains égards. Ayant compris le sens du spectacle et de l’information à une époque de ronds-de-cuir.

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Ayant compris que sans tension dramatique, il n’y avait pas de bonne interview politique. Ayant cassé le ronron des débats par des ruptures de rythme. Une voix à rebours, de musicien de Free Jazz. Cent fois viré, écarté, ostracisé par les pouvoirs en place et renaissant sur une antenne, par la petite porte. Jamais mort, toujours debout. Un personnage trop entier et trop autocentré pour susciter une adhésion totale. Alors, on regarde « Jean-Pierre Elkabbach, autoportrait de mon père » réalisé par Martin Veber (disponible sur le site France TV jusqu’en avril 2026) avec suspicion et néanmoins une attirance gênante pour ce ténor de la radio et de la télévision. Il a toujours été là. Avant notre naissance, il squattait déjà le poste avec ses certitudes. Des décolonisations aux mondialisations malheureuses, des soirs d’élection présidentielle à la Bibliothèque Médicis, il avait pris racine. L’instigatrice de ce projet casse-gueule car l’ex-homme publique n’a pas que des amis n’est autre que la fille d’Elkabbach, l’actrice Emmanuelle Bach. On est rassuré. On sait que l’on ne tombera pas dans l’hagiographie mielleuse, ni dans le bureau des plaintes. Ni ripolinage à la gloire, ni procès accusatoire contre papa absent. Ni larmoiement, ni esquive. Et pourtant, une vérité apparait, en filigrane. Douce-amère par moments, aimante toujours. Il faut dire qu’avec cette comédienne trop rare, d’une intensité remarquable, on est étonnamment en confiance. Avec elle, on veut bien ouvrir la boîte aux souvenirs et suivre son histoire personnelle avec la grande histoire du monde en marche. Là où son père avait décidé d’interagir. Jean-Pierre était un buteur, un avant-centre, il ne laissera pas l’Histoire le piétiner. Il sera toujours de la partie, du voyage.

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C’est une épopée qu’elle nous conte et pas une réflexion sur la moralité du journalisme dans le chaos des actualités. Tant mieux. La carrière de son père n’a pas valeur d’exemple ou de repoussoir. Elle n’est pas injuste avec lui. Le contraire aurait été fortement déplaisant. Grâce à des images d’archives souvent inédites, on retourne à Oran et l’on se prend même d’affection pour la gloutonnerie de ce gamin qui fait tout pour exister. Elkabbach a perdu son père à l’âge des osselets. Il y a chez lui, une soif de réussite, une rage sociale intacte et salutaire ; une perméabilité aux mouvements culturels de son époque et une joie simple d’homme du soleil. Il aime le foot, Reggiani, Brel, Maria Casarès et pourtant il n’a qu’une envie : foutre le camp et débarquer à Paris. Capitale du monde. Ce Rastignac du Maghreb s’enivre de sorties en Vespa sur les ponts de la Seine et de ses premiers papiers. « Ce qui préexiste, c’est la curiosité » dit-il. Il aura été curieux de tout, il aura tout sacrifié pour l’info et l’égo. Il ne peut être cependant réduit à « Taisez-vous » surtout quand on sait les liens populaires et « amicaux » qu’il entretenait avec Georges Marchais. Toute sa vie, il aura fréquenté les « grands » du monde d’avant avec ce mélange d’excitation enfantine et de fierté professionnelle.

Finalement, on est heureux d’avoir, par son entremise, aperçu de telles bêtes de scène, des carrures inimaginables, impensables à notre époque atrophiée, à la représentation démocratique insignifiante. Revoir Mitterrand et son masque de cire. La silhouette du Général courbée sur un monument aux morts. Sadate dans le prolongement des Pyramides. Deferre et Pasqua au micro. Barbara et la petite Emmanuelle. Ce voyage-là est inoubliable.

Réalisé par Martin Veber, avec la voix de sa fille Emmanuelle Bach. 64 minutes.
Sur France 5 et sur france.tv

Sarkozy: petite histoire d’un grand acharnement

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Paris, jeudi 25 septembre 2025 © Christophe Ena/AP/SIPA

Financement libyen introuvable. « C’est allé encore plus loin que ce que je pouvais imaginer. » Hier dans le Journal du Dimanche, le président Sarkozy a indiqué qu’il allait continuer de se battre pour faire reconnaitre son honnêteté après sa condamnation à cinq de prison jeudi dernier. Nous dépiautons ici en détail le jugement du tribunal qui révolte l’ancien président et ses soutiens…


Que l’on ait murmuré à l’oreille de Nicolas Sarkozy l’idée d’un financement de campagne par la Libye en échange de son intégration au concert des nations, peut-être ; qu’il n’ait rien voulu savoir mais qu’il n’ait pas particulièrement empêché, par une héroïque volonté d’Incorruptible, untel, untel et untel de voyager par-delà la Méditerranée pour jouer du réseau, peut-être ; que finalement pas vraiment de trace non seulement d’un financement illégal de campagne présidentielle, mais encore d’un pacte effectif de corruption n’ait été démontré dans la procédure, cela est certain en revanche.

Sévérité de Dracon 

Et donc, la justice, reprochant au politique, d’une part, d’avoir écouté des conseillers lui suggérer de mauvaises idées, d’autre part, de n’avoir positivement rien fait pour les empêcher d’agir, le condamne à cinq années d’emprisonnement avec mandat de dépôt différé, le tout assorti de l’exécution provisoire : nous ignorions que la magistrature pouvait être d’une sévérité de Dracon !

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Étrange jugement dont j’ai pris connaissance (380 pages !), bien propre à caractériser l’acharnement judiciaire. Mais trêve de blabla : le mieux, c’est d’en citer les meilleurs extraits. Le tribunal, après avoir longuement, très longuement, détaillé les faits et la procédure (dont je recommande chaudement la lecture), en arrive à la décision. Sur « les infractions de détournement de fonds public, recel et blanchiment » ; je cite : « Il est reproché à Nicolas SARKOZY d’avoir depuis octobre 2005 sciemment recelé le produit d’un détournement de fonds publics commis par les autorités libyennes, en l’espèce des fonds destinés notamment à financer illégalement sa campagne électorale pour les élections à la présidence de la République française des 22 avril et 6 mai 2007 » ; et plus loin : « les faits de complicité de détournement de fonds publics ne pouvaient être retenus à l’encontre de Ziad TAKIEDDINE et Nicolas SARKOZY poursuivi pour recel de détournement de fonds publics sera relaxé. » Voilà qui est dit et jugé. Mais poursuivons : « Sur les délits de corruption passive, complicité, recel et blanchiment de ce délit, et de blanchiment de trafic d’influence » ; de nouveau, je cite : « En l’espèce, ce qui est reproché à Nicolas SARKOZY au terme de l’ordonnance de renvoi, est d’avoir, à l’occasion des fonctions qu’il occupait au moment des faits, accepté un soutien financier de la Libye, contre l’engagement de favoriser les intérêts de ce pays, une fois élu à d’autres fonctions. » Là encore, la relaxe est prononcée : « Or une action positive [l’exécution du pacte de corruption] en ce sens de Nicolas SARKOZY une fois élu à la présidence de la République ne ressort pas clairement de la procédure, et ce d’autant moins que, si tel était le cas, elle devrait être clairement distinguée des actions relevant de l’exercice normal de ses fonctions. Il en résulte que les éléments matériels de l’infraction reprochée ne sont pas constitués. Le tribunal entrera donc en voie de relaxe ». Je poursuis, toujours avec le jugement : « Sur le délit de financement illégal de campagne électorale et les complicités de ce délit ». Troisième charge contre le candidat Sarkozy : « Il est reproché à Nicolas SARKOZY en sa qualité de candidat à l’élection présidentielle d’avoir commis le délit de financement illégal de campagne prévu et réprimé à l’article L 113-1 du code électoral ». Question fondamentale ! — hélas pour l’accusation, aucune preuve ne peut être rapportée, en dépit des années d’enquête (!) : « Ne peuvent être retenus ni un recueil de fonds antérieur au 1er mai 2006, ni une acceptation de dons d’un Etat étranger, ni un dépassement du plafond ou une minoration des recettes ou des dépenses. Nicolas SARKOZY sera donc relaxé de ce délit. »

Association de malfaiteurs

Résumons : à ce stade, rien, dans la procédure, rien, n’a permis de condamner Nicolas Sarkozy ; l’ex-candidat à la présidentielle a été relaxé des faits de détournement de fonds public avec recel et blanchiment, de corruption passive et trafic d’influence, et de financement illégal de campagne électorale. Et la magistrature de paniquer. Quoi donc ! l’homme qu’elle essaie d’abattre depuis tant d’années va-t-il lui glisser des mains aussi facilement ? Heureusement, l’État de droit est plein de ressources : à juge qui veut, la loi offre un pouvoir considérable. Et voici les éminents membres du prétoire, en gants blancs et robes de magiciens, sortir du chapeau ce fameux « délit d’association de malfaiteurs ». Miracle ! Sarkozy n’a rien fait mais aurait peut-être laissé faire : il n’en fallait pas plus à ces Messieurs du Siège. Admirez l’imprécision de la qualification : « il est donc reproché aux prévenus concernés d’avoir constitué un groupement formé ou une entente entre eux dans le but de préparer les délits suivants : 1° Des détournements de fonds publics commis par un agent public au préjudice de l’état libyen. 2° Les délits de corruption active et passive d’agent public. 3° Et le blanchiment de ces délits. »

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On notera tout de même que le Tribunal, décidément bien en peine, doit (encore !) relaxer partiellement Nicolas Sarkozy dudit délit ; et voici la condamnation finale, la seule infraction, enfin ! que nos bons juges ont pu saisir, et sur laquelle ils ont tiré, tiré, tiré de toutes leurs forces : « [Nicolas Sarkozy] sera donc déclaré coupable, pour avoir entre 2005 et le 15 mai 2007, à Paris, sur le territoire national, et de manière indivisible aux Bahamas, au Panama, en Suisse, en Libye et au Liban, participé à un groupement formé ou une entente établie en vue de la préparation du délit de corruption active et passive d’agent public, en ayant, alors qu’il était Ministre, Président de l’UMP et candidat à l’élection présidentielle, mais agissant ainsi en dehors de ses fonctions, laissé ses plus proches collaborateurs et soutiens politiques sur lesquels il avait autorité et qui agissaient en son nom, à savoir Claude GUEANT (directeur de cabinet, directeur de campagne) et Brice HORTEFEUX (membre du bureau politique et secrétaire général de l’UMP), et des intermédiaires officieux, tels que Ziad TAKIEDDINE, 1° agir afin d’obtenir ou tenter d’obtenir des soutiens financiers en vue du financement de sa campagne électorale, 2° se rencontrer de manière confidentielle en France, en Libye, dans des lieux privés et officiels (ministère de l’intérieur, domicile de Ziad TAKIEDDINE, domicile d’ Abdellah SENOUSSI, hôtels), 3° rencontrer des collaborateurs officiels de Mouammar KADHAFI tels que Abdallah SENOUSSI, à l’occasion de voyages officiels mais de manière confidentielle et hors la présence des autorités officielles françaises, 4° organiser des transferts de fonds publics de la Libye vers la France, par virements via des comptes off-shore et en espèces, 5° et envisager des contreparties diplomatiques (le retour de la Libye sur la scène internationale, l’invitation de Mouammar KHADAFI en France), économiques (engagement sur le nucléaire civil), et juridiques (promesse de levée du mandat d’arrêt d’Abdallah SENOUSSI) ».

Trouble à l’ordre public

Pardon, c’est un peu long, mais il faut bien comprendre ce jugement : Nicolas Sarkozy, après avoir été relaxé des délits de corruption et de financement illégal de sa campagne présidentielle, est condamné à cinq années de prison pour avoir simplement « participé à un groupement formé en vue de la préparation » du délit de corruption (notez les précautions de langage !), en ayant « laissé des collaborateurs agir » afin « d’obtenir ou tenter d’obtenir des soutiens financiers en vue du financement de sa campagne électorale » (nouvelles précautions !), et ce alors même, rappelons-le… qu’il a été relaxé du délit de financement illégal de campagne électorale. Mais avec tant de conditionnels, on eût condamné tous les présidents de la Cinquième, De Gaulle compris ; ainsi les juges tiennent-ils le levier de la guillotine : ils font et défont la politique, désormais. Et puis, enfin, si seulement la délinquance, la criminalité ordinaires étaient sanctionnées aussi sévèrement ! Et la magistrature en rage de mordre le politique jusqu’au sang, prononçant l’exécution provisoire « pour garantir l’effectivité de la peine au regard de l’importance du trouble à l’ordre public causé par l’infraction », ainsi que le mandat de dépôt, compte tenu de « l’exceptionnelle gravité des faits et le quantum prononcé ». Seule mansuétude, comme un sursaut de pitié au milieu de toutes ces cruautés : « Étant observé que M. SARKOZY ne s’est jamais dérobé à la moindre convocation et a été présent à l’audience sauf dispense accordée par le tribunal, il sera tenu compte de la nécessité pour lui d’organiser sa vie professionnelle pour prononcer ce titre sous la forme d’un mandat de dépôt à effet différé. » Les juges attendaient-ils un « merci » ?…

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Quelques règles de droit, pour finir : « Toute personne suspectée ou poursuivie est présumée innocente tant que sa culpabilité n’a pas été établie » (article préliminaire du Code de procédure pénale).
Ainsi, la Cour de cassation a rappelé dans nombre de décisions que l’exécution provisoire en matière pénale doit rester « exceptionnelle », et que sa première raison d’être doit consister notamment en la prévention de la récidive : le tribunal voudra bien nous expliquer dans quelle mesure Nicolas Sarkozy risquait-il, en l’espèce, de récidiver ?…
N’osons y sentir l’once d’un pur sadisme, de délectation de le voir menotté, avant une possible infirmation par la Cour d’appel ! S’il fallait une preuve de plus d’un manque indécent d’impartialité dans la magistrature…

Grâce à Carsen, la Cour d’Ecosse étincelle

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Jacquelyn Stucker © Photo : Guergana Damianova / OnP

Le lit comme élément moteur du décor, divan où se couche le désir charnel, revient avec insistance dans les mises en scènes de Robert Carsen : le baldaquin à courtines à carreaux sur lequel s’ouvre le premier acte d’Ariodante n’y fait pas exception. Tiré de l’Orlando furioso, immortel poème de l’Arioste, cet opera seria créé en 1735 à Covent Garden, soit la même année que Alcina, du même Haendel, aura été frappé par l’oubli pendant près de deux siècles, avant de devenir sur le tard un must absolu de la musique baroque. Le metteur en scène canadien n’est pas étranger à la reconquête de cette faveur auprès du public d’aujourd’hui : Orlando, Semele, Rinaldo, Alcina… – une affinité de longue date attache Carsen à l’œuvre de l’immense compositeur saxon. La reprise de cet Ariodante, coproduction avec le Metropolitan Opera qui a déjà triomphé il y a deux ans au Palais Garnier, était, il faut le dire, extrêmement attendue. L’impatience s’est encore accrue du fait de l’annulation intempestive des deux premières représentations, pour cause de grève. Il est vrai que nous sommes en France, pays de la douche écossaise.

Pas de magie

Ginevra, fille du roi d’Ecosse, va-t-elle, comme elle l’avoue à Dalinda, sa dame d’honneur, convoler avec le prince Ariodante selon le vœu de son père ? Ce serait pratiquement chose faite si Polinesso, le diabolique duc d’Albany (avec y, s’il vous plaît), fieffé manipulateur, lui-même aimé de la candide Dalinda mais secrètement épris de Ginevra, n’ourdissait un plan pour ravir cette dernière à Ariodante, et hériter du trône à la place du fiancé… Canevas inhabituellement réaliste pour un dramma per musica (ici, pas de fée, pas de magie, pas d’intervention divine), auquel sera mêlé Lurciano, le frère d’Ariodante, lui-même amoureux de Dalinda, et dont les rebondissements vont se traduire par duel, tentative de suicide, disparition, crise de folie, etc. Ariodante se dénoue, Thank God, par un happy end.

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Carsen a donc eu l’inspiration –  comme toujours, chez lui, aussi lisible et pertinente qu’élégante et ultra-soignée dans le détail – de transposer l’intrigue médiévale du livret au cœur de l’actuelle monarchie Windsor, dans l’écrin tapissé de vert d’un décor (signé Luis F. Carvalho) qui, au fil de ses transformations, devient chambre, salle de gardes, salon bibliothèque d’un château tour à tour investi de cerfs vivants puis empaillés, d’une rutilante panoplie d’armures, d’un fier alignement de trophées de chasse, et dont les occupants princiers, assiégés par des hordes de paparazzis, continument envahis par la meute des journalistes, traqués par les torchons de la presse people, se meuvent dans de seyants kilts chamarrés. Lesquels se soulèveront aux virevoltes des danseurs, jusqu’à laisser entrevoir leurs dessous noirs très apprêtés, dans les fougueux, éblouissants ballets par quoi se referment, par un heureux caprice de Carsen, deux des trois actes de l’opéra. Ballets qui irradient donc cette régie de haut vol (en particulier celui par lequel se termine le deuxième acte, illustrant, dans une lumière funèbre, le cauchemar et l’égarement de Ginevra).

Cecilia Molinari idéalement androgyne

Mais ce qui parachève la réussite absolue de ce spectacle, c’est un cast vocal éblouissant, à commencer par la mezzo italienne Cecilia Molinari, idéalement androgyne avec ses cheveux coupés courts, dans ce rôle-titre travesti primitivement écrit par Haendel pour un castrat, et que tenait Emily d’Angelo en 2023 : vocalises fabuleuses, jeu de scène d’une grâce infinie, délicatesse et clarté du phrasé. Découverte l’an passé sur ce même plateau de la Bastille dans l’opéra du compositeur contemporain Thomas Adès, The Exterminating Angel, la soprano Jacquelyn Stucker campe de façon tout aussi admirable le personnage de Ginevra, tandis que notre compatriote Sabine Devieilhe incarne quant à elle la dame d’honneur Dalinda de manière à la fois touchante et virtuose (on retrouvera la merveilleuse chanteuse en février prochain au Théâtre des Champs-Élysées, en Cléopâtre dans Giulio Cesare, autre chef-d’œuvre de Haendel). A la basse Luca Tittoto revient de s’imposer comme « il Re di Scozia » avec toute l’autorité vocale requise. Le ténor britannique Ru Charlesworth, familier du répertoire baroque, fait un Lurciano (le frère d’Ariodante épris de Dalinda) scéniquement agile. La palme revient sans conteste au contre-ténor Christophe Dumaux, lequel reprend ici une nouvelle fois le redoutable emploi du duplice Polinesso, dardant des aigus ciselés dans un pur métal.

Last but not least, à la tête de l’Ensemble Pygmalion qu’il enveloppe, sans baguette, d’une gestique éloquente et précise, le jeune chef Raphaël Pichon, qu’on découvrait à l’Opéra de Paris, développe de bout en bout, pendant ces quatre heures de spectacle (les deux entractes de 20 mn compris, tout de même !) une tension, une énergie, un souffle continus, sans la moindre baisse de régime. Un Ariodante étincelant, en somme, magnifié par la finesse et l’humour de Robert Carsen, qui trouve d’ailleurs  son apothéose dans le final inattendu de l’opéra : votre serviteur vous en réserve la surprise.    


Ariodante. Opéra en trois actes de Georg Friedrich Händel. Avec Luca Tittoto, Jacquelyn Stucker, Cecilia Molinari, Ru Charlesworth, Chistophe Dumaux, Sabine Devieilhe, Enrico Casari. Direction Raphaël Pichon. Mise en scène Robert Carsen. Chœurs de l’Opéra national de Paris. Ensemble Pygmalion.

Durée : 4h

Palais Garnier, les 29 septembre, 1, 3, 7, 9 octobre à 19h, le 12 octobre à 14h.

New York rend fou!

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Le président colombien Gustavo Petro à New York, 26 septembre 2025 © Robyn Stevens Brody/Sipa USA/SIPA

Le Département d’État américain n’a pas mâché ses mots: Gustavo Petro a commis des «actions téméraires et incendiaires» à Times Square. Résultat? Le président colombien se retrouve privé de visa. Tout ça pour avoir transformé une gentille manif pro-Gaza en petit one-man show? Non, du haut de sa tribune improvisée, il avait carrément invité à la révolution les soldats américains: «Rangez vos fusils, désobéissez à Trump, obéissez à l’humanité!», le tout après avoir fait un petit amalgame douteux entre nazisme et armée israélienne. Un inquiétant front anti-américain se dessine en Amérique du Sud, composé du Brésil, du Venezuela, de la Colombie, du Nicaragua et de Cuba. Driss Ghali raconte.


Oui, New York rend fou. Ou peut-être que c’est l’Assemblée générale des Nations unies qui rend fou à en croire les écarts de conduite risibles et pathétiques de certains chefs d’Etat conviés à cette grande messe. Ça a commencé avec notre cher président Macron qui s’est mis en scène devant les caméras de télévision en train de passer un coup de fil à Trump pour lui dire qu’il était retenu à un barrage de police sur le chemin de l’ambassade de France. Quelques instants plus tôt, il essayait de persuader un policier de la circulation de le laisser passer.  « Let me cross, let me negotiate with you ! » Plutôt honteux ! Quelle conduite indigne d’un président à la tête d’une puissance nucléaire…

Gustavo Petro, le clown de Bogota

Gustavo Petro, le président colombien, d’extrême-gauche, a réussi à faire pire. Devant une foule éparse à Times Square, il a traité les Israéliens de nazis et il a appelé les soldats américains à se mutiner contre Trump. Immédiatement, son visa a été annulé par les autorités américaines, ce qui l’a poussé à dénoncer une atteinte à sa liberté d’expression et à surenchérir en exigeant que le siège des Nations unies soit déplacé de New York à Doha. On est chez les fous.

Rendez-vous compte vous-mêmes au fil du verbatim des déclarations de Gustavo Petro à Times Square, reproduit ci-après. Auparavant, imaginez la scène… Un président colombien sur un piédestal ou une espèce de plateforme surélevée hors du champ de la caméra, il porte une chemise blanche en lin et des Ray-Ban comme un personnage de Garcia Marquez qui s’apprête à descendre une bouteille de rhum par une après-midi chaude et moite à Santa Marta. Des gardes-du-corps en costume cravate le ceinturent de tous les côtés. Un traducteur à l’accent douteux en anglais et qui a de l’interprétation une notion suffisamment vague pour se permettre quelques glissements ici et là. Une foule d’une centaine de personnes, tout au plus. Et même quelques femmes voilées.

« Nous avons beaucoup de sang arabe dans nos veines, les marins de 1492 partis du sud de l’Espagne étaient des Arabes, le Califat de Cordoue fait partie de la Colombie, nous avons donc des cultures similaires les Arabes et nous les Colombiens, pour cela le peuple colombien appuie la cause palestinienne […] ce qui se passe à Gaza est un génocide similaire à ce qu’a vécu le peuple juif à cause des nazis, les nazis aujourd’hui se servent d’un drapeau et d’une histoire qui ne leur appartiennent pas, c’est l’histoire d’Israël […] l’humanité doit réagir, avec les mots et avec les armes, il faut former une armée plus forte que celle des Etats-Unis et d’Israël réunies […] quand nous étions jeunes, nous nous sommes entraînés avec des combattants de l’organisation de la libération de la Palestine dans les déserts de Libye, leur cause comme celle du Congrès National Africain et du Polisario auront toujours notre soutien, nous allons présenter une résolution qui demande la constitution d’une armée de salvation du monde dont la première tâche sera la libération de la Palestine […] je demande à tous les soldats de l’armée des Etats-Unis de ne pas pointer leurs fusils contre l’humanité, désobéissez à Trump, obéissez à l’humanité ! […] A l’instar de la Première Guerre mondiale, je veux que les jeunes travailleurs et paysans israéliens pointent leurs fusils non contre l’humanité mais contre les tyrans et les fascistes ! »

On croirait entendre Maître Gims commenter les innovations scientifiques des Pharaons égyptiens qui auraient inventé l’électricité. Gustavo Petro réussit à mélanger le marxisme (les travailleurs et les paysans) avec le n’importe-quoi typique des conversations d’ivrogne et des fumeurs de narguilé au cannabis. Il fait naître le fascisme en 1914-1918, quelques années avant son émergence réelle. Il voit un Califat de Cordoue en Colombie. Demain, il va confondre Shakira avec Sherazade et Pablo Escobar avec Tarik Ibn Zyad.

Le peuple colombien est plus sérieux que son président. La Colombie est plus belle et plus harmonieuse que les déclarations confuses et incendiaires de son chef. Elle n’est pas une république bananière en dépit de ce que peut porter à croire son président qui se comporte comme un clown. Il y a quelques mois, il a déclaré que « la cocaïne n’est pas pire que le whisky ». Et en 2022, à New York aussi, il a appelé à légaliser le commerce de la cocaïne, selon lui moins dangereuse pour la planète que le charbon et le pétrole.

Petro n’est pas un phénomène isolé. Il fait partie d’un axe de la résistance qui s’agite de plus en plus et qui ne manque pas d’audace.  Il se compose du Brésil, du Venezuela et de la Colombie en premier lieu. Le Nicaragua et Cuba en font partie, mais ils sont trop petits et trop faibles pour réellement peser. Cet axe s’oppose à Trump pour ce qu’il est et s’aligne sur l’antisionisme le plus excessif et le plus assimilable à l’antisémitisme. Il navigue à contre-courant des trois obsessions qui conduisent la politique de Washington pour l’hémisphère occidental : empêcher la Chine de s’installer en Amérique du Sud, lutter contre l’immigration clandestine et arrêter le déluge de cocaïne et de fentanyl qui inonde les Etats-Unis.

Le Mexique fait jeu à part

Lula appuie l’Iran et le Hamas (qui en retour le considère comme un « allié »). Il a été un des premiers leaders mondiaux à parler d’un génocide à Gaza. Il défend la Russie face à l’Ukraine et a accompagné le président Petro en Chine récemment, où ce dernier a fait le premier pas envers une adhésion à l’initiative des Routes de la Soie. Lors de la campagne électorale américaine, Lula a ouvertement appuyé Biden et a traité Trump de fasciste. Sa femme, Janja, a même osé déclarer en public : « Fuck Elon Musk ».  Plusieurs entreprises américaines ont été prises pour cibles au Brésil : X a été suspendu durant des mois, Rumble est tout simplement banni de ce pays et Google et Meta se plaignent de pressions et des menaces émises par la justice brésilienne, bien décidée à censurer (« réguler ») les réseaux sociaux. Les Américains ont répliqué en infligeant au Brésil des droits de douane de 50% pour nombre de ses exportations phares comme le café et la viande. Maduro, lui, est bien plus virulent que Lula. Aligné sur l’Iran, la Russie et la Chine, il va plus loin et se positionne comme un opposant aux Etats-Unis en Amérique du Sud. Il refuse de rapatrier ses ressortissants arraisonnés par les autorités américaines, même s’ils sont réputés dangereux comme les membres du Tren de Aragua, un gang extrêmement violent, né au Venezuela, et qui s’implante aux Etats-Unis grâce à l’immigration illégale. Aujourd’hui, les deux pays sont presque en état de guerre. Les Américains ont déployé l’US Navy aux portes du Venezuela et ont placé une récompense de 50 millions de dollars sur la tête de Maduro. Ils l’accusent de diriger un cartel de la drogue, le Cartel de los Soles. Récemment, deux navires transportant de la cocaïne depuis le Venezuela vers les Etats-Unis ont été bombardés et coulés en pleine mer par l’armée américaine, dans un geste inédit dans les annales de la lutte antidrogue.

Lula et Maduro sont plus en pointe contre l’Oncle Sam que Boric, le nouveau président chilien, communiste pourtant. Ils sont plus intransigeants que la présidente mexicaine, Claudia Sheinbaum, de gauche et qui n’est pas née de la dernière pluie. Elle a mis de l’eau dans son vin et accepte de négocier avec les Etats-Unis. Elle a beau être du camp progressiste, elle collabore dans la lutte contre les narco-trafiquants et l’immigration clandestine. Très intégrée à l’économie américaine, contrairement aux Vénézuéliens et aux Brésiliens, elle ne peut pas se permettre de saboter l’économie de son pays pour les beaux yeux de l’idéologie. Trump et son secrétaire d’Etat, Marco Rubio, lui expriment leur respect et leur appréciation.  Ils ont plus de leviers de pression sur elle que sur MM. Lula et Maduro qui pour l’instant mettent au défi les Etats-Unis. Le président brésilien n’a même pas voulu passer un coup de fil à Trump pour entamer un dialogue sur les tarifs douaniers de 50% imposés unilatéralement par les Etats-Unis. Il est le seul chef d’Etat au monde à avoir refusé de prendre langue avec les Américains sur ce sujet, à contre-courant de ses homologues d’Europe, du Canada, de l’Inde et de la Chine. M. Maduro, de son côté, passe son temps à la télévision en train de mettre en scène des entraînements militaires censés contrecarrer un potentiel débarquement américain. Il exhibe ses milices populaires, formées de civils volontaires prêts à se battre contre le péril yankee. On est loin d’une capitulation en rase campagne.

La diplomatie américaine n’est pas à son aise en Amérique latine. Ce n’est plus son jardin ou son arrière-cour, loin de là. Cuba est à terre, mais d’autres pays, moins anecdotiques, portent le fer contre les intérêts américains.

Dans le camp yankee, on ne compte pas beaucoup de poids lourds. L’Argentine de Milei est le seul grand pays à ouvertement défendre les thèses de Trump et de Rubio. Mais, au-delà de Buenos Aires, il n’y a que des poids plumes dans l’orbite américaine. Le Salvador de Bukele fait parler beaucoup de lui, mais il s’agit d’un confetti territorial et démographique. Le Panama a chassé les Chinois de la gestion de son canal mais, là aussi, il s’agit d’un petit pays. L’Equateur du président libéral Noboa suit le chemin de Bukele dans sa lutte contre les narcos mais il n’est rien d’autre que la base-arrière des organisations qui agissent en Colombie.  S’il y a une solution au problème de la drogue, elle passe par la Colombie.

Et tout n’est peut-être pas perdu sur ce front, car la Colombie ne va pas bien du tout et a besoin des Etats-Unis

Gustavo Petro est un président faible, plus à l’aise à l’étranger dans des forums acquis à sa cause que dans son propre pays. L’économie va mal et la violence est de retour. Les accords de paix avec les FARC, signés en 2016, déraillent. Les guérilleros de gauche ne se sont pas tous démobilisés. Une part importante continue la guerre au mépris des engagements pris devant la communauté internationale. Elle fait la guerre et elle cultive et commercialise la cocaïne, en même temps.  Il y a quelques jours, un hélicoptère de la police a été abattu par un drone de la guérilla. Bilan : douze morts. Une bombe a explosé devant une base militaire en plein centre-ville de Cali. Bilan : six morts. Petro en est à appeler à l’aide internationale pour lutter contre le terrorisme intérieur. Or, dans cette guerre, il a besoin des Américains qui équipent son armée et sa police et qui disposent des capacités de renseignement pour prévenir les attaques. Ils ont leur réseau d’information au cœur de la Colombie, dans les pays voisins et dans les milieux criminels sur le sol américain. Ils peuvent faire mal aux trafiquants et aux guérilleros en bloquant des transactions financières ou en gelant des biens aux Etats-Unis. Washington et Bogota ont besoin l’un de l’autre.

Dans six mois, des élections présidentielles auront lieu en Colombie. Petro veut se faire réélire. Il a ses chances car la droite colombienne est en crise. Elle n’a pas de leader naturel. Son dernier grand chef a été Alvaro Uribe Velez, aujourd’hui retiré de la vie politique et assiégé par plusieurs procès. Un de ses leaders les plus prometteurs, Miguel Uribe Turbay, a été assassiné en plein meeting politique en août dernier. Gustavo Petro, malgré ses faiblesses, a peut-être une chance de gagner car la droite colombienne est affaiblie et divisée. Les Américains doivent trouver un moyen d’aider la droite colombienne ou de soigner le délire de Gustavo Petro.