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New York rend fou!

Entre les États-Unis et plusieurs pays d’Amérique du Sud, la diplomatie vire au carnaval


New York rend fou!
Le président colombien Gustavo Petro à New York, 26 septembre 2025 © Robyn Stevens Brody/Sipa USA/SIPA

Le Département d’État américain n’a pas mâché ses mots: Gustavo Petro a commis des «actions téméraires et incendiaires» à Times Square. Résultat? Le président colombien se retrouve privé de visa. Tout ça pour avoir transformé une gentille manif pro-Gaza en petit one-man show? Non, du haut de sa tribune improvisée, il avait carrément invité à la révolution les soldats américains: «Rangez vos fusils, désobéissez à Trump, obéissez à l’humanité!», le tout après avoir fait un petit amalgame douteux entre nazisme et armée israélienne. Un inquiétant front anti-américain se dessine en Amérique du Sud, composé du Brésil, du Venezuela, de la Colombie, du Nicaragua et de Cuba. Driss Ghali raconte.


Oui, New York rend fou. Ou peut-être que c’est l’Assemblée générale des Nations unies qui rend fou à en croire les écarts de conduite risibles et pathétiques de certains chefs d’Etat conviés à cette grande messe. Ça a commencé avec notre cher président Macron qui s’est mis en scène devant les caméras de télévision en train de passer un coup de fil à Trump pour lui dire qu’il était retenu à un barrage de police sur le chemin de l’ambassade de France. Quelques instants plus tôt, il essayait de persuader un policier de la circulation de le laisser passer.  « Let me cross, let me negotiate with you ! » Plutôt honteux ! Quelle conduite indigne d’un président à la tête d’une puissance nucléaire…

Gustavo Petro, le clown de Bogota

Gustavo Petro, le président colombien, d’extrême-gauche, a réussi à faire pire. Devant une foule éparse à Times Square, il a traité les Israéliens de nazis et il a appelé les soldats américains à se mutiner contre Trump. Immédiatement, son visa a été annulé par les autorités américaines, ce qui l’a poussé à dénoncer une atteinte à sa liberté d’expression et à surenchérir en exigeant que le siège des Nations unies soit déplacé de New York à Doha. On est chez les fous.

Rendez-vous compte vous-mêmes au fil du verbatim des déclarations de Gustavo Petro à Times Square, reproduit ci-après. Auparavant, imaginez la scène… Un président colombien sur un piédestal ou une espèce de plateforme surélevée hors du champ de la caméra, il porte une chemise blanche en lin et des Ray-Ban comme un personnage de Garcia Marquez qui s’apprête à descendre une bouteille de rhum par une après-midi chaude et moite à Santa Marta. Des gardes-du-corps en costume cravate le ceinturent de tous les côtés. Un traducteur à l’accent douteux en anglais et qui a de l’interprétation une notion suffisamment vague pour se permettre quelques glissements ici et là. Une foule d’une centaine de personnes, tout au plus. Et même quelques femmes voilées.

« Nous avons beaucoup de sang arabe dans nos veines, les marins de 1492 partis du sud de l’Espagne étaient des Arabes, le Califat de Cordoue fait partie de la Colombie, nous avons donc des cultures similaires les Arabes et nous les Colombiens, pour cela le peuple colombien appuie la cause palestinienne […] ce qui se passe à Gaza est un génocide similaire à ce qu’a vécu le peuple juif à cause des nazis, les nazis aujourd’hui se servent d’un drapeau et d’une histoire qui ne leur appartiennent pas, c’est l’histoire d’Israël […] l’humanité doit réagir, avec les mots et avec les armes, il faut former une armée plus forte que celle des Etats-Unis et d’Israël réunies […] quand nous étions jeunes, nous nous sommes entraînés avec des combattants de l’organisation de la libération de la Palestine dans les déserts de Libye, leur cause comme celle du Congrès National Africain et du Polisario auront toujours notre soutien, nous allons présenter une résolution qui demande la constitution d’une armée de salvation du monde dont la première tâche sera la libération de la Palestine […] je demande à tous les soldats de l’armée des Etats-Unis de ne pas pointer leurs fusils contre l’humanité, désobéissez à Trump, obéissez à l’humanité ! […] A l’instar de la Première Guerre mondiale, je veux que les jeunes travailleurs et paysans israéliens pointent leurs fusils non contre l’humanité mais contre les tyrans et les fascistes ! »

On croirait entendre Maître Gims commenter les innovations scientifiques des Pharaons égyptiens qui auraient inventé l’électricité. Gustavo Petro réussit à mélanger le marxisme (les travailleurs et les paysans) avec le n’importe-quoi typique des conversations d’ivrogne et des fumeurs de narguilé au cannabis. Il fait naître le fascisme en 1914-1918, quelques années avant son émergence réelle. Il voit un Califat de Cordoue en Colombie. Demain, il va confondre Shakira avec Sherazade et Pablo Escobar avec Tarik Ibn Zyad.

Le peuple colombien est plus sérieux que son président. La Colombie est plus belle et plus harmonieuse que les déclarations confuses et incendiaires de son chef. Elle n’est pas une république bananière en dépit de ce que peut porter à croire son président qui se comporte comme un clown. Il y a quelques mois, il a déclaré que « la cocaïne n’est pas pire que le whisky ». Et en 2022, à New York aussi, il a appelé à légaliser le commerce de la cocaïne, selon lui moins dangereuse pour la planète que le charbon et le pétrole.

Petro n’est pas un phénomène isolé. Il fait partie d’un axe de la résistance qui s’agite de plus en plus et qui ne manque pas d’audace.  Il se compose du Brésil, du Venezuela et de la Colombie en premier lieu. Le Nicaragua et Cuba en font partie, mais ils sont trop petits et trop faibles pour réellement peser. Cet axe s’oppose à Trump pour ce qu’il est et s’aligne sur l’antisionisme le plus excessif et le plus assimilable à l’antisémitisme. Il navigue à contre-courant des trois obsessions qui conduisent la politique de Washington pour l’hémisphère occidental : empêcher la Chine de s’installer en Amérique du Sud, lutter contre l’immigration clandestine et arrêter le déluge de cocaïne et de fentanyl qui inonde les Etats-Unis.

Le Mexique fait jeu à part

Lula appuie l’Iran et le Hamas (qui en retour le considère comme un « allié »). Il a été un des premiers leaders mondiaux à parler d’un génocide à Gaza. Il défend la Russie face à l’Ukraine et a accompagné le président Petro en Chine récemment, où ce dernier a fait le premier pas envers une adhésion à l’initiative des Routes de la Soie. Lors de la campagne électorale américaine, Lula a ouvertement appuyé Biden et a traité Trump de fasciste. Sa femme, Janja, a même osé déclarer en public : « Fuck Elon Musk ».  Plusieurs entreprises américaines ont été prises pour cibles au Brésil : X a été suspendu durant des mois, Rumble est tout simplement banni de ce pays et Google et Meta se plaignent de pressions et des menaces émises par la justice brésilienne, bien décidée à censurer (« réguler ») les réseaux sociaux. Les Américains ont répliqué en infligeant au Brésil des droits de douane de 50% pour nombre de ses exportations phares comme le café et la viande. Maduro, lui, est bien plus virulent que Lula. Aligné sur l’Iran, la Russie et la Chine, il va plus loin et se positionne comme un opposant aux Etats-Unis en Amérique du Sud. Il refuse de rapatrier ses ressortissants arraisonnés par les autorités américaines, même s’ils sont réputés dangereux comme les membres du Tren de Aragua, un gang extrêmement violent, né au Venezuela, et qui s’implante aux Etats-Unis grâce à l’immigration illégale. Aujourd’hui, les deux pays sont presque en état de guerre. Les Américains ont déployé l’US Navy aux portes du Venezuela et ont placé une récompense de 50 millions de dollars sur la tête de Maduro. Ils l’accusent de diriger un cartel de la drogue, le Cartel de los Soles. Récemment, deux navires transportant de la cocaïne depuis le Venezuela vers les Etats-Unis ont été bombardés et coulés en pleine mer par l’armée américaine, dans un geste inédit dans les annales de la lutte antidrogue.

Lula et Maduro sont plus en pointe contre l’Oncle Sam que Boric, le nouveau président chilien, communiste pourtant. Ils sont plus intransigeants que la présidente mexicaine, Claudia Sheinbaum, de gauche et qui n’est pas née de la dernière pluie. Elle a mis de l’eau dans son vin et accepte de négocier avec les Etats-Unis. Elle a beau être du camp progressiste, elle collabore dans la lutte contre les narco-trafiquants et l’immigration clandestine. Très intégrée à l’économie américaine, contrairement aux Vénézuéliens et aux Brésiliens, elle ne peut pas se permettre de saboter l’économie de son pays pour les beaux yeux de l’idéologie. Trump et son secrétaire d’Etat, Marco Rubio, lui expriment leur respect et leur appréciation.  Ils ont plus de leviers de pression sur elle que sur MM. Lula et Maduro qui pour l’instant mettent au défi les Etats-Unis. Le président brésilien n’a même pas voulu passer un coup de fil à Trump pour entamer un dialogue sur les tarifs douaniers de 50% imposés unilatéralement par les Etats-Unis. Il est le seul chef d’Etat au monde à avoir refusé de prendre langue avec les Américains sur ce sujet, à contre-courant de ses homologues d’Europe, du Canada, de l’Inde et de la Chine. M. Maduro, de son côté, passe son temps à la télévision en train de mettre en scène des entraînements militaires censés contrecarrer un potentiel débarquement américain. Il exhibe ses milices populaires, formées de civils volontaires prêts à se battre contre le péril yankee. On est loin d’une capitulation en rase campagne.

La diplomatie américaine n’est pas à son aise en Amérique latine. Ce n’est plus son jardin ou son arrière-cour, loin de là. Cuba est à terre, mais d’autres pays, moins anecdotiques, portent le fer contre les intérêts américains.

Dans le camp yankee, on ne compte pas beaucoup de poids lourds. L’Argentine de Milei est le seul grand pays à ouvertement défendre les thèses de Trump et de Rubio. Mais, au-delà de Buenos Aires, il n’y a que des poids plumes dans l’orbite américaine. Le Salvador de Bukele fait parler beaucoup de lui, mais il s’agit d’un confetti territorial et démographique. Le Panama a chassé les Chinois de la gestion de son canal mais, là aussi, il s’agit d’un petit pays. L’Equateur du président libéral Noboa suit le chemin de Bukele dans sa lutte contre les narcos mais il n’est rien d’autre que la base-arrière des organisations qui agissent en Colombie.  S’il y a une solution au problème de la drogue, elle passe par la Colombie.

Et tout n’est peut-être pas perdu sur ce front, car la Colombie ne va pas bien du tout et a besoin des Etats-Unis

Gustavo Petro est un président faible, plus à l’aise à l’étranger dans des forums acquis à sa cause que dans son propre pays. L’économie va mal et la violence est de retour. Les accords de paix avec les FARC, signés en 2016, déraillent. Les guérilleros de gauche ne se sont pas tous démobilisés. Une part importante continue la guerre au mépris des engagements pris devant la communauté internationale. Elle fait la guerre et elle cultive et commercialise la cocaïne, en même temps.  Il y a quelques jours, un hélicoptère de la police a été abattu par un drone de la guérilla. Bilan : douze morts. Une bombe a explosé devant une base militaire en plein centre-ville de Cali. Bilan : six morts. Petro en est à appeler à l’aide internationale pour lutter contre le terrorisme intérieur. Or, dans cette guerre, il a besoin des Américains qui équipent son armée et sa police et qui disposent des capacités de renseignement pour prévenir les attaques. Ils ont leur réseau d’information au cœur de la Colombie, dans les pays voisins et dans les milieux criminels sur le sol américain. Ils peuvent faire mal aux trafiquants et aux guérilleros en bloquant des transactions financières ou en gelant des biens aux Etats-Unis. Washington et Bogota ont besoin l’un de l’autre.

Dans six mois, des élections présidentielles auront lieu en Colombie. Petro veut se faire réélire. Il a ses chances car la droite colombienne est en crise. Elle n’a pas de leader naturel. Son dernier grand chef a été Alvaro Uribe Velez, aujourd’hui retiré de la vie politique et assiégé par plusieurs procès. Un de ses leaders les plus prometteurs, Miguel Uribe Turbay, a été assassiné en plein meeting politique en août dernier. Gustavo Petro, malgré ses faiblesses, a peut-être une chance de gagner car la droite colombienne est affaiblie et divisée. Les Américains doivent trouver un moyen d’aider la droite colombienne ou de soigner le délire de Gustavo Petro.




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Ecrivain et diplômé en sciences politiques, il vient de publier "De la diversité au séparatisme", un ebook consacré à la société française et disponible sur son site web: www.drissghali.com/ebook. Ses titres précédents sont: "Mon père, le Maroc et moi" et "David Galula et la théorie de la contre-insurrection".

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