Notre critique salue la performance vocale de Michael Spyres mais déplore une mise en scène pesante et didactique de Lotte De Beer, qui alourdit l’œuvre d’Offenbach au détriment de sa magie.
« Opéra fantastique en cinq actes, ou un prologue, trois actes et un épilogue », Les Contes d’Hoffmann, testament lyrique de l’allègre compositeur de La Belle Hélène ou de La Vie parisienne, se prête particulièrement aux transformations débridées. Adapté comme l’on sait de plusieurs contes du célèbre romantique allemand Ernst Theodor Amadeus Hoffmann à partir de la pièce éponyme écrite dès 1851 par le fameux duo Jules Barbier & Michel Carré (également librettistes stars du Faust de Gounod), le livret, d’ailleurs terminé par le seul Barbier car Carré est mort en 1872, sert l’ultime partition du roi de l’opérette et fondateur des Bouffes-Parisiens, Jacques Offenbach.
Trois rôles pour Amina Edris
Celle-ci aura décidément connu une maturation d’escargot : l’orchestration n’en est même pas achevée quand, miné par la maladie, Offenbach finit par s’éteindre le 5 octobre 1880. Il faut attendre le 10 février 1881 pour que l’œuvre soit créée salle Favart, dans une version mutilée qui plus est, avec des récitatifs remplacés par des dialogues parlés pour répondre aux règles qui régentent le genre « opéra- comique », par opposition avec le « grand opéra ». Puis le succès s’empare du chef-d’œuvre, durablement repris sur toutes les scènes européennes, dans des versions partiellement apocryphes. Bref, Les Contes d’Hoffman se prêtent comme jamais à la réécriture.
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C’est peu dire que s’en prive la Néerlandaise Lotte De Beer – l’Opéra-Bastille lui devait déjà, en 2021, une Aïda aussitôt mise sous cloche par le Covid – dans cette version créée à Strasbourg la saison passée, et que reprend à présent la si belle salle parisienne de la place Boieldieu, version en cinq actes dans laquelle les rôles d’Olympia, Giulietta, Antonia… et Stella, habituellement dévolus à plusieurs interprètes mezzo ou sopranos, se voient ici confiés à la seule soprano lyrique Amina Edris. Quelles que soient ses indéniables qualités, ce n’est pas une mince affaire que de donner chair tout uniment à des créatures si puissamment caractérisées chacune.
Élégant Michael Spyres
Autant dire que, sous les traits du ténor américain Michael Spyres, le personnage d’Hoffmann domine de très haut le cast vocal de cette production : agilité, élégance du phrasé, diction parfaite, puissance d’émission, un degré de perfection qui éclipse quelque peu la performance des autres chanteurs, du baryton Jean-Sébastien Bou (en Coppélius, Lindorf, docteur Miracle…) au ténor Raphael Brémard, en passant par la basse Nicolas Cavallier (en Luther et Crespel).

Car sous les auspices de Lotte De Beer, la part belle revient pour ainsi dire par force à la mezzo Héloïse Mas, laquelle, assumant l’emploi Nicklausse / La Muse, a la lourde charge de développer le discours sous-jacent dont la metteur(e) – metteuse ? – en scène croit devoir agrémenter le livret par d’innombrables ajouts de son cru. C’est là le travers le plus agaçant de cette régie, appliquée d’un bout à l’autre à nous imposer sa leçon de morale féministe, dans une effarante trivialité de langue : « Est-ce que tu as conscience de reproduire toujours le même schéma ? Tu es le héros tragique, tu projettes ton image de la femme, et à la fin c’est toi la victime » (sic, Acte IV, scène 1). Ou encore, ce commentaire : « Ta dramaturgie est tellement attendue, Hoffmann : chaque fois qu’il devient difficile de faire face à la réalité, tu nous fourgues une scène de chœur » (Nicklausse, acte II, scène 5).
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Si le décor pouvait sauver la mise (en scène), on se résoudrait charitablement à regarder, sans prêter trop attention à tout ce fourbi didactique. Mais l’unique perspective de cette triste boîte en carton sur laquelle un rigide rideau noir tombe comme la guillotine à chaque interminable changement de tableau, n’a même pas la vertu de la beauté plastique, et fatigue l’attention plus qu’elle ne la stimule. Quant à l’idée de cette poupée XXL qui roule et cligne des yeux, cette apparition certes rigolote sur le plan visuel contraint à dédoubler la présence scénique d’Olympia, interdisant à la chanteuse de faire corps avec l’automate… L’honorable prestation de l’Orchestre philharmonique de Strasbourg que dirige avec Pierre Dumoussaud avec une sobre et fine élégance et celle, pour le chœur, de l’ensemble Aedes, sauve partiellement du désastre cette tentative « archéologique », sacrifiée à la pesanteur de l’intention.
Par comparaison, on se prend rétrospectivement de nostalgie pour la version « opéra » de l’œuvre posthume d’Offenbach, telle que reprise il y a deux ans à l’Opéra Bastille dans la production de Robert Carsen millésimée de l’an 2000 : près qu’un quart de siècle plus tard, elle n’avait pas pris une ride.
Les Contes d’Hoffmann. Opéra de Jacques Offenbach. Avec Michael Spyres, Heloïse Mas, Amina Edris… Direction Pierre Dumoussaud. Mise en scène Lotte de Beer. Orchestre philharmonique de Strasbourg. Durée : 3h
Opéra-Comique, Paris. Les 29 septembre, 1, 3 octobre à 20h. Le 5 octobre à 15h.




