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Les magistrats sont-ils masochistes?

Le billet justice de Philippe Bilger


Les magistrats sont-ils masochistes?
Le magistrat et essayiste français Philippe Bilger © Pierre Olivier

Non, les juges n’avaient pas envie de se faire «le scalp» de Nicolas Sarkozy, affirme Philippe Bilger. Notre contributeur s’étonne par ailleurs que le syndicalisme des magistrats, d’ordinaire tellement caricatural, politisé et vindicatif, ne soit pas capable de se faire entendre et respecter sur ce dossier. Tribune libre.


N’importe qui peut les traîner dans la boue. Les ignorants au sujet de la Justice ont le verbe d’autant plus haut et péremptoire qu’ils croient tout savoir. Les médias de droite – sur un mode un peu plus feutré – et d’extrême droite s’en donnent à cœur joie quand une personnalité de ce camp est condamnée et, encore plus, incarcérée. C’est la justice qui serait coupable et le prévenu, bien sûr, totalement, forcément innocent ! Les médias de gauche et d’extrême gauche se réjouissent de voir l’adversaire sanctionné avant de s’en prendre, à leur tour, aux juges lorsque la cause du Bien – cette mouvance, plus ou moins excitée, en est propriétaire ! – est mise à mal judiciairement.

Le pouvoir oblige

La classe politique elle-même, on l’a vu avec le jugement ayant concerné Nicolas Sarkozy avec d’autres, ne sait plus ce que c’est que d’appréhender lucidement une décision judiciaire en étant soucieuse de faire le partage entre le partisan et le pénal.

Hier, on a constaté ce qu’il en était avec LFI et Jean-Luc Mélenchon et la bronca était encore plus choquante et délirante ! On est bien obligé de constater que l’idéologie prime tout, y compris ce qui devrait échapper, sur ce plan, au parti pris. Comme si le fait d’être accordé politiquement devait rendre sourd et aveugle aux défaillances morales et aux délits soupçonnés, parfois condamnés.

Pour certains, c’est une République des juges et cette paresse de la pensée est perçue telle une vérité d’évangile !

Pour d’autres, dont Nicolas Sarkozy, les magistrats seraient « haineux » et celui qui se croit autorisé à ne pas soutenir le point de vue de ses inconditionnels est immédiatement lui aussi qualifié de « haineux ». J’ai beau rectifier, j’ai droit régulièrement à cette ânerie sur X ou parfois même sur tel ou tel plateau.

Il est piquant de relever que les mêmes, de droite ou de gauche, exigeant des preuves absolues pour que leur champion soit sanctionné, sont en revanche infiniment libéraux, voire désinvoltes, pour les condamnations de ceux qui leur importent peu. Il y a des manières honteuses de stigmatiser les magistrats : une grande journaliste pourtant, Catherine Nay, est une spécialiste du genre. Il y a des indignations qui pour émaner, avec courtoisie, d’une remarquable intelligence – celle de Bernard-Henri Lévy par exemple – me paraissent cependant, pour le jugement du 25 septembre, s’égarer en interprétant mal la décision. Pour Henri Guaino, ce n’est rien de moins « qu’un coup d’État judiciaire contre la séparation des pouvoirs » ! Pour Mathieu Bock-Côté, c’est pire : « une démonstration de force déguisée en décision de justice ». Karine Le Marchand, elle aussi, « dont la parole est rare » dans ce domaine et devrait le rester, pourfend les cinq ans d’emprisonnement à l’encontre de Nicolas Sarkozy en les comparant aux violeurs sous OQTF qui seraient laissés en liberté. Cette critique du deux poids, deux mesures, que j’entends beaucoup, est offensante pour les politiques car les mettre sur le même plan que des voyous est indécent. De ces derniers, on n’a aucun exemple à attendre alors que pour les autres, on devrait tout espérer, et d’abord de la rectitude. Quand elle fait défaut, il n’est pas scandaleux de les estimer plus coupables que les délinquants « ordinaires ». Le pouvoir oblige.

Pas d’amalgame !

On reproche aux juges d’amplifier la défiance des citoyens à leur égard mais tous ces pourfendeurs compulsifs, anonymes ou non, de cette décision et de l’institution se rendent-ils compte qu’ils l’inspirent, l’irriguent, la généralisent ? Face à l’ensemble de ces accusations, stigmatisations, moqueries, dérisions, approximations et leçons, que trouve-t-on du côté de la magistrature, aussi bien de la haute hiérarchie judiciaire que du syndicalisme ?

Il y aura, bien sûr, l’appel qui permettra peut-être au commun des citoyens de mieux comprendre pourquoi le pacte corruptif au cœur de l’association de malfaiteurs (entre Nicolas Sarkozy, Brice Hortefeux et Claude Guéant, avec des actes préparatoires occultes et transgressifs en Libye et des espérances de fonds en France) a été lourdement condamné par le tribunal. La présidente de la juridiction a été menacée de mort et deux enquêtes ont été ordonnées. Seulement le 27 septembre le premier président de la cour d’appel de Paris a demandé « le respect de l’institution judiciaire et de son indépendance ». C’est tardif et cela va compter peu face à l’entretien fleuve du JDD avec Nicolas Sarkozy qui bénéficie d’une complaisance médiatique évidemment de nature à changer l’équilibre des forces pour l’appel et la sérénité des futurs débats.

Ce n’est pas au garde des Sceaux d’intervenir sans cesse pour défendre des troupes qui devraient être capables de le faire elles-mêmes, non par corporatisme, mais parce qu’il n’est écrit nulle part que l’institution judiciaire a à se distinguer par son silence, sa tolérance et sa patience. J’entends bien – et j’ai des exemples – que plus on monte, plus on a peur et qu’exiger des grands chefs de la magistrature du courage revient à la quadrature du cercle. Mais tout de même, lisent-ils, entendent-ils, écoutent-ils ?

On peut en douter quand on relève leur immobilisme à l’égard de ce qui, souvent, aurait dû susciter des réactions vives, voire de la colère de leur part… Alors, ils prêchent modération et mesure, qui ne sont que le masque d’une frilosité assumée.

Ils auraient eu matière, depuis le jugement du 25 septembre et à l’égard de tant d’autres controverses judiciaires avant, pour intervenir haut et fort. Mais leur faiblesse nourrit l’hostilité compulsive et les égarements de ceux qui ne voient aucune raison de ne pas s’essuyer les pieds et l’esprit sur les juges.

Et ce syndicalisme, tellement caricatural, politisé, partial et vindicatif dans certaines de ses réactions, n’est-il pas capable, pour une fois, de se mobiliser pour une bonne cause et de justifier une existence discutée régulièrement par une majorité de citoyens ? Que faut-il de plus pour que les syndicats judiciaires mettent une intelligente pugnacité et formulent des répliques cinglantes à l’encontre de ces inquisitions ? Les voix solitaires ne suffisent pas.

Je n’ai pas envie qu’on fasse mal à la magistrature, corps essentiel à la paix d’une société, à sa régulation, à la démocratie. Mais si son vice est le masochisme, qu’elle continue de se faire fouetter avec le sourire !

Note : depuis la rédaction de ce billet – sans lien de cause à effet-, réactions tout de même du premier président de la cour d’appel de Paris, du président du tribunal judiciaire de Paris, du Syndicat de la magistrature et de l’USM, du chef du PNF, du président de la République… Sur un autre plan, de Dominique de Villepin le 28 septembre et de Jean-Louis Bourlanges le 29…




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Magistrat honoraire, président de l'Institut de la parole, chroniqueur à CNews et à Sud Radio.

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