André Malraux, à propos des camps d’extermination nazis, avait dit que c’était Satan qui avait reparu sur terre. Son terrible constat pourrait s’appliquer au Goulag de la Kolyma, région du grand Est sibérien, aux confins de la Russie, où le froid peut atteindre -60°C.
Crématoire blanc
L’auteur du roman Adieu Kolyma, Antoine Sénanque (notre photo), nous décrit avec précision les conditions de vie des prisonniers et des prisonnières, qu’ils soient politiques ou de droit commun. La souffrance et la mort s’y côtoient dans l’indifférence de Dieu. Le froid rend la situation insupportable, et pourtant, il arrive qu’on finisse par sortir de ce que les rescapés appellent « le crématoire blanc ». Des rescapés détruits à tout jamais. Comme le résume l’auteur avec cette phrase définitive : « La Kolyma n’a ni volonté, ni sentiment. Elle est le lieu du rien. »
Plusieurs personnages vont se retrouver dans ce cercle dantesque. Leurs destins sont liés, et comme dans une tragédie, le crime et la vengeance sont de puissants moteurs. L’héroïne se nomme Sylla Bach, elle est « née de mort inconnue ». Cette orpheline a choisi le nom de Bach par passion pour la musique. Cette femme d’environ quarante ans, de petite taille, aux yeux noirs et aux cheveux bruns qu’elle tresse en natte, a passé neuf ans à la Kolyma, de quoi effacer en elle toute trace de bonté. Elle est aussi froide que le sol gelé qui refuse les cadavres. Elle est devenue « la tueuse de chiennes », entendez qu’elle tue d’une balle dans la nuque les hommes ou les femmes devenus des « balances », des « vendus », des collabos qui frayent avec l’administration du camp. À la Kolyma, elle croise les frères Vadas, originaires de la Transylvanie, chefs d’un redoutable clan mafieux, à la tête d’un réseau de prostitution ainsi que d’importantes mines d’or de la région. L’avenir de Sylla dépend désormais des deux frères. Au Goulag, même si l’amour n’est plus qu’un mot vide de sens, elle va faire la rencontre d’une infirmière prénommée Kassia. Une histoire sensuelle se noue entre elles, quasi mystique. Au cours du récit, on apprend que Kassia est veuve d’un soldat fusillé pour trahison et qu’elle a accouché en prison d’un fils rapidement emporté par la fièvre. « Il n’avait pas eu droit à une tombe, raconte Antoine Sénanque. Il était resté six mois collé avec les cadavres des autres enfants, bûches humaines entassées dehors contre le mur de la crèche en attendant le dégel. La glace avait formé un caveau transparent autour de son corps. » L’auteur ajoute que sa mère avait le droit de venir le voir. La cruauté est sans limite.
Tous ces personnages, plus quelques autres, dont le vieux Varlam, tanneur bolchevick, lui aussi rescapé du Goulag, qui a recueilli Sylla dans un orphelinat, se retrouvent en 1956 dans Budapest ravagée par la répression soviétique. L’insurrection menée par des hommes libres s’achève dans un bain de sang. Budapest est humide et grise. Les staliniens vont pourtant s’évertuer à évoquer, poings levés, le fameux Grand Soir. Sylla, la criminelle tatouée, condamnée à survivre, continue d’aimer à distance Kassia, menacée par les frères Vadas qui sont persuadés que « la tueuse de chiennes » les a trahis. Le dénouement de cette intrigue complexe et documentée a pour cadre la ville de Madagan, cœur du territoire contrôlé par l’ange déchu nommé Satan. Elle fait face à l’impavide mer d’Okhotsk qui se moque pas mal de l’abjection des hommes.
Après avoir refermé Adieu Kolyma, on s’interroge : est-il encore possible de croire en l’homme, comme l’affirmait Soljenitsyne, ou est-il à peu près certain que son rachat est devenu impossible, comme le pensait Chalamov, auteur des Récits de la Kolyma ?
Pour éviter de répondre, on coupait la langue des traitres au goulag de la Kolyma.
Antoine Sénanque, Adieu Kolyma, Grasset. 400 pages.
Les Justes d’Albert Camus fomentent leur attentat sur les planches du théâtre de Poche-Montparnasse. Un texte grave qui continue d’alerter sur les ravages du nihilisme.
La critique bouda Les Justes à sa sortie en 1949. La droite se méfiait d’Albert Camus qui n’était pas son ami et les communistes le trouvaient trop critique envers la révolution bolchévique. Mais la pièce, portée par Maria Casarès, Serge Reggiani et Michel Bouquet, ne fut pas un four pour autant.
Kaliayev, Stepan, Boris et Dora sont des socialistes révolutionnaires qui, dans ce Moscou de 1905, se préparent à assassiner le grand-duc Serge, oncle du tsar Nicolas II et raide gouverneur de la ville.
Maxime d’Aboville, qui endosse pour la première fois le rôle de metteur en scène, offre une lecture sobre et éclairée de la pièce. Camus avait placé ses personnages dans les hauteurs d’un appartement : nous les retrouvons ici dans un souterrain. D’un soupirail, ils observent la rue et attendent le passage du grand-duc. En ressort une vision qui dévoile l’action d’une façon nouvelle. Si la sécheresse du texte peut rendre l’interprétation parfois aride, chacun des comédiens témoigne habilement de la fièvre de ces possédés politiques. Toutefois, quand le grand-duc arrive flanqué d’épouse et d’enfants, la vieille question de la fin et des moyens, de l’omelette et des œufs oppose Stepan et Kaliayev.
Sur scène, les quatre comédiens se partagent habilement huit rôles. Et nous observons certaines de ces âmes damnées qui ne croient pas au diable. Peu de place au rire : Camus n’était pas un grand auteur comique et ces personnages sont habités par l’esprit de sérieux. Peut-il en être autrement ? La frivolité, la légèreté, la douceur et la tendresse ne sont que l’apanage de leurs ennemis. L’amour, pourtant, existe : jusqu’à ce que le crime sépare Dora et son amant. L’attentat perpétré, Kaliayev s’écrit : « À bas le tsar ! À bas le gouvernement ! Vive le parti socialiste révolutionnaire! » Cette histoire vraie, ce fait divers, est montée sur les planches au moment où Sartre règne sur une bonne partie de l’intelligentsia parisienne. Et il ne reste alors plus beaucoup de temps avant qu’une fâcherie signe la fin de son amitié avec Camus : la parution de L’Homme révolté, qui prolonge la réflexion des Justes.
Fidèles à l’œuvre, la mise en scène et l’interprétation ajoutent une dimension surnaturelle à l’ensemble. On devine, au-dessus, les yeux célestes d’un Bernanos, ou plus encore d’un Dostoïevski, auteur qu’admira longtemps Camus, au point d’adapter au théâtre ses Démons, dix ans après cette pièce.
Aujourd’hui, on ne se déchire plus à la sortie des salles, ni même dans les rubriques des journaux. Mais au milieu des spectateurs qui sortent du Poche-Montparnasse, on a la sensation de ne pas être tout à fait le seul à craindre que le nihilisme et la bêtise fassent de nouveau entendre leur fureur.
Les Justes, théâtre de Poche-Montparnasse, du mardi au samedi à 19 h, le dimanche à 15 h. Renseignements et réservations : www.theatredepochemontparnasse.com/spectacle/les-justes/
Harold Hyman, grand spécialiste des relations internationales, nous explique pourquoi il pense que Donald Trump va lancer une opération pour faire tomber le régime de Nicolas Maduro au Venezuela. Le président américain a déjà donné des ordres pour bombarder des bateaux vénézuéliens qui – selon des sources d’informations qui restent confidentielles – transporteraient de la drogue. Maintenant, il a autorisé la CIA à conduire des opérations sur le sol vénézuélien. Cette annonce laisse présager un possible coup d’Etat contre Maduro selon le modèle déjà utilisé contre le dictateur panaméen, Manuel Noriega, en 1989-1990. Trump ne met pas à exécution toutes ses menaces, mais il le fait suffisamment pour que Maduro risque bel et bien de se voir déstabilisé.
Le journaliste franco-américain spécialiste des affaires internationales Harold Hyman. Photo D.R.
La Russie de Vladimir Poutine soutenait militairement le dictateur syrien, Bachar al-Assad. Aujourd’hui, elle noue des relations avec le nouveau régime syrien. Il est peu probable que Poutine livre Bachar, qui s’est réfugié à Moscou, au nouveau leader, Ahmed al-Charaa, mais le rétablissement des relations permettra aux Russes de garder une présence militaire en Syrie.
Coulommiers n’est pas qu’un fromage. Cette ville en Seine et Marne abrite une des commanderies des Templiers les mieux conservées de France, dans un ensemble qui comporte aussi une chapelle. Les Français peuvent connaître le récit de la fin des Templiers à travers les Rois Maudits, véritable chef-d’oeuvre télévisuelle des années 1970. Or les leçons à tirer de l’histoire de cet ordre qui, organisation supranationale, a succombé à la montée des nations modernes sont multiples.
Plus les dépenses de santé explosent, plus le taux de satisfaction des patients s’effondre. La France devrait prendre exemple sur Singapour, les Pays-Bas et Taïwan qui parviennent à mieux soigner et à moindre coût. En mêlant gestion privée et régulation publique, ces pays responsabilisent leurs citoyens.
Cela s’appelle jeter de l’argent par les fenêtres. Alors qu’en France les dépenses de santé représentent 12 % du produit intérieur brut, soit l’un des ratios les plus élevés de la planète, le taux de satisfaction des patients parvient seulement à se hisser dans la moyenne basse des pays industrialisés, avec une piteuse 21e place sur 38 au sein de l’OCDE.
Responsabilisation
La France qui a longtemps fait figure de référence en matière médicale est désormais largement distancée par des pays comme Singapour, les Pays-Bas ou Taïwan. Comment parviennent-ils à soigner mieux que nous et à moindre coût ? Petit inventaire des recettes qui marchent.
Tout d’abord direction Singapour. Là-bas les dépenses de santé de la population sont couvertes par des assurances privées, auxquelles chacun doit obligatoirement souscrire, même s’il existe par ailleurs une caisse publique destinée à prendre en charge les soins des plus démunis. La plupart des habitants ont donc un compte santé individuel, ce qui les responsabilise et évite les gaspillages. De son côté, l’État, loin d’abdiquer son rôle, subventionne massivement les hôpitaux et contrôle les tarifs.
Le contraste avec notre pays est saisissant. En 2019, les Singapouriens ont dépensé environ 2 370 euros par habitant pour leur santé, contre près de 5 130 euros en France. Pourtant, les résultats sanitaires sont comparables avec des indicateurs d’espérance de vie et de mortalité infantile très proches. Caroline, expatriée à Singapour, témoigne : « L’accès aux soins est rapide. Il faut moins de quarante-huit heures pour décrocher un rendez-vous. Prélèvements, examens, vaccins et médicaments ont souvent lieu dans le même cabinet médical. Cela évite des allers-retours chronophages. La qualité médicale est perçue comme excellente, à condition toutefois de disposer d’une bonne couverture privée. »
Bons élèves
Rendons-nous maintenant aux Pays-Bas, qui ont amélioré depuis une vingtaine d’années leur régime de santé pour aboutir à un modèle considéré à présent par divers observateurs comme le plus performant d’Europe. Depuis la réforme de 2006, chaque résident, qu’il soit néerlandais ou immigré, est tenu de prendre une assurance médicale auprès d’une compagnie privée, librement choisie mais strictement encadrée. Le contenu du contrat est défini par le ministère de la Santé, qui impose le périmètre de la couverture standard ainsi qu’une grille tarifaire unique, avec l’interdiction de refuser les mauvais dossiers médicaux.
Les cotisations sont composées d’une prime mensuelle fixe (environ 140 euros par adulte) et d’une contribution proportionnelle au revenu, versée via les impôts, ce qui permet d’introduire une part de progressivité. Une franchise annuelle obligatoire de 385 euros s’applique à la plupart des soins, incitant à un usage mesuré du système. L’État vient en aide aux classes populaires en leur versant une allocation santé, dont bénéficient environ 40 % des ménages. Cette architecture hybride, privée dans la gestion, publique dans la régulation, permet aux Pays-Bas d’obtenir des résultats très élevés en termes d’accessibilité, de satisfaction des patients et d’indicateurs de santé, tout en contenant les délais d’attente et les coûts.
Dernier bon élève en matière de santé publique : Taïwan. Depuis 1995, l’île a mis en place un système d’assurance-maladie très étatisé, avec un organisme public qui couvre la quasi-totalité de la population, y compris les résidents étrangers, et qui centralise le financement des soins. Le régime est alimenté par trois sources : des cotisations salariales (proportionnelles aux revenus), des contributions d’employeurs et des subventions publiques. Le modèle a donc quelque ressemblance avec le nôtre, à la différence près que les actes de soin, eux, sont assurés presque totalement par le secteur privé. Les médecins et les hôpitaux négocient ainsi chaque année leurs tarifs avec l’administration, ce qui évite les gaspillages.
Cette formule présente toutefois un inconvénient : pour maintenir de faibles cotisations, les autorités ont longtemps sous-indexé les actes médicaux, ce qui a mis en difficulté les établissements de santé les plus fragiles. En 2023, une injection de 24 milliards de dollars taïwanais (près de 700 millions d’euros) a été nécessaire pour remettre à flot le secteur. Conscientes de ce point faible, les autorités, qui se refusent à remettre en cause le principe fondamental d’un système universel centré sur la qualité des soins, sont condamnée à opérer régulièrement des ajustements financiers.
De ces trois exemples, la France doit tirer plusieurs leçons. La première est qu’il n’y a pas de solution magique, mais que des marges d’ajustement existent. La seconde est qu’on peut diversifier les sources de financement en favorisant des assurances complémentaires individuelles, avec des contributions modulées selon les risques, sans pour autant renoncer à un panier de soins essentiels garanti par l’État.
Les Français n’ont pas une idée juste du coût de leur santé. Le ticket modérateur est largement effacé par les complémentaires, ce qui donne aux patients le sentiment d’être soignés gracieusement et encourage la surconsommation. Un système de franchise, comme aux Pays-Bas, même symbolique, aurait le mérite de responsabiliser. Quant aux dispositifs spécifiques, comme l’aide médicale d’État, leur logique d’accès inconditionnel mérite d’être repensée dans un souci d’équité et de soutenabilité.
La solidarité doit évidemment rester une boussole en France, mais elle ne peut se concevoir sans une exigence de responsabilité. Lors de notre enquête, un expatrié a résumé la situation à Singapour : « Chacun doit évaluer son risque à couvrir et payer en fonction des risques qu’il souhaite éviter. » Dans une France où la gratuité a été érigée en dogme, cette philosophie peut paraître iconoclaste. Elle est pourtant la condition d’une reconstruction réaliste et durable de notre modèle social.
Si voir un film vous racontant qu’il n’est pas facile d’être banlieusarde musulmane et lesbienne vous dit…
« Tu vas l’avoir ton bac, inch Allah ! », se moque un élève. Fatima, petite dernière des trois sœurs élevées par leur maman maghrébine (papa est peu présent) dans une barre d’immeuble, théâtre familier des banlieues dites ‘’sensibles’’, suit sagement sa Terminale, classe peuplée d’une meute bigarrée, graveleuse et quasi-analphabète, typique de la jeune pousse hexagonale d’aujourd’hui.
Pieuse, la demoiselle se refuse obstinément aux avances timorées du chaste chevalier servant, son jeune coreligionnaire enamouré, lequel rêve juste noce et procréation à la clef. C’est que la belle et ombrageuse Fatima, footballeuse à ses heures malgré les crises d’asthme dont elle est assaillie depuis l’enfance, dissimule le secret de sa vie: elle arde pour les filles et non pour les garçons. Sacrifiant aux sites de rencontres, la voilà, croit-elle, sur le chemin de l’émancipation (quitte à mentir systématiquement à la question sempiternelle qu’on lui fait : « – tu es de quelle origine ? », elle se prétend tour à tour Egyptienne, Algérienne, Marocaine)… Hélas, Fatima ne tombe décidément jamais sur la bonne – une femme mûre débauchée, une Coréenne dépressive…
Passe l’été: le film nous a propulsé en automne. Fatima, ayant intégré la fac de philo, s’est liée avec quelques jeunes congénères de mœurs légères. (Reste assez douteuse, dans le film, la vraisemblance de cette teuf bisexuelle en appartement, à laquelle se joindra l’héroïne – mais passons.) Pour se forcer à rentrer dans la norme, elle retente le coup avec son soupirant: échec prévisible. Prévaut la loi du silence, dans cet environnement socio-confessionnel hostile, où même l’imam de la Mosquée de Paris, consulté par elle dans les larmes, s’avère incapable de lui tenir un autre discours que celui, formaté, de la- nature- qui- fait- bien- les-choses et de la vertu de la prière pour regagner le droit chemin tracé par le prophète : le lesbianisme n’est pas soluble dans le décalogue. Quant à maman, elle ne comprendrait pas, pense (à tort) Fatima. Bref, ni la famille ni la foi ne viendront-elles à son secours ? Dernier plan du film, Fatima pique obstinément des têtes dans le ballon rond.
Tiré parait-il d’un roman signé Fatima Daas, c’est le troisième long métrage de Hafsia Herzi, également comédienne – elle avait le rôle principal dans Borgo, thriller plutôt réussi de Stéphane Demoustier – où jouait également Michel Fau. La crudité vaguement écœurante et quelque peu forcée de La petite dernière serait rédhibitoire si la douceur, l’émouvante beauté juvénile de Nadia Melliti, dans le rôle-titre, ne venait en tempérer le réalisme appuyé.
La « démocratie combative » (streitbare Demokratie) est une doctrine de la Constitution allemande qui permet à l’État de se défendre activement contre les ennemis de la démocratie, même quand ceux-ci utilisent les libertés démocratiques pour la détruire… Elle autorise ainsi des mesures comme l’interdiction de partis ou d’organisations anticonstitutionnels et la restriction de certains droits fondamentaux pour protéger l’Allemagne…
À Cologne, le 6 septembre, CDU, SPD, les Verts, Die Linke… sept partis politiques allemands en campagne électorale renouvelaient un « pacte d’équité » qui les engageait à taire toute critique de l’immigration. Sans surprise, le 14 septembre, l’AfD, ce parti anti-immigration créé en 2013, le seul qui n’avait pas signé le pacte d’équité, faisait un carton aux élections locales de Rhénanie-du-Nord-Westphalie, le Land le plus peuplé d’Allemagne de l’Ouest.
La « démocratie combative », doctrine inscrite dans la Constitution allemande de 1949, prévoit de tuer dans l’œuf toute atteinte aux institutions. Et s’appuie pour ce faire sur un arsenal législatif et institutionnel d’une efficacité toute germanique. Le code criminel punit incitation à la rébellion et diffamation de la classe politique. Le Bureau de protection de la Constitution débusque toute activité potentiellement antidémocratique. Les lois contre les discours de haine se sont corsées pour bâillonner tout propos dissident à consonance populiste, d’extrême droite, islamophobe.
Ainsi la liberté d’expression, garantie par la Constitution, est-elle sapée pour protéger… la Constitution. « De plus en plus de citoyens sont punis de lourdes amendes voire de peines de prison pour propos délictueux. Le cas le plus emblématique est celui de Michael Stürzenberger, critique radical de l’islam politique, condamné pour propos islamophobes après avoir été lui-même gravement blessé lors de l’attentat islamiste de Mannheim en mai 2024 », note Sabine Beppler-Spahl, présidente du Freiblickinstitut, groupe de réflexion berlinois dédié à la défense de la liberté d’expression. Attentat au cours duquel un Afghan avait poignardé quatre personnes et tué un officier de police. Les procureurs épluchent les propos en ligne, constituent des dossiers, diligentent des raids à l’aube chez les auteurs de propos illicites, avec confiscation d’ordinateur et de téléphone. « On commence par vouloir la justice et on finit par organiser une police », écrivait Camus, dans Les Justes). En attendant, on dirait bien que la « démocratie combative », c’est la démocratie contre le peuple !
Des gestes plus ou moins républicains, plus ou moins démocratiques
Voilà que M. Mélenchon, décidément au mieux de sa forme, érige le doigt d’honneur en argument politique opposable aux journalistes qui auraient l’incroyable audace de ne pas se prosterner devant lui, qui se permettraient de trouver à redire sur ses inepties à répétition, qui oseraient ne pas apprécier les saillies insultantes, méprisantes dont, de plus en plus, il se plaît à émailler ses diatribes : « Vous ne savez pas, taisez-vous. Quand on est ce que vous êtes, on ne peut pas comprendre… » etc., etc.
C'était très tendu entre Jean-Luc Mélenchon et Benjamin Duhamel sur France Inter ce matin. Mais avez-vous vu ce doigt d'honneur ? pic.twitter.com/tOn2hmRxuC
Et puis, il y a M. Lecornu qui, quant à lui, met en œuvre une forme nouvelle de politique, quelque chose qui doit être selon lui en parfaite cohérence avec la rupture promise, la politique au doigt mouillé. Sauf que – pardon pour la rupture – c’est ce que nous avons en France depuis l’avènement de sa majesté Macron premier. D’aucuns pensaient avoir élu un président de la République, ils se retrouvent avec une ombre, un pâle Résident de la République… Le pauvre en est réduit aux jeux de rôles afin de tenter de se persuader que le plan Trump pour Gaza est en fait le sien, se persuader aussi qu’il pèse tout de même un peu plus qu’une cacahuète dans le concert des nations. On lui souhaite malgré tout d’avoir encore une once d’autorité chez lui, les portes et fenêtres de son logis refermées, parce que c’est bien là le seul endroit où il peut se bercer de l’illusion d’en exercer une quelconque. Après tout, il n’est pas impossible, que animée d’une bienveillance quasi maternelle, Madame la première Dame veuille bien faire comme si… Qu’elle en soit félicitée.
Cela dit, nous ne nous sentons pas tenus, nous autres, à autant de mansuétude. Nous, Français, citoyens, électeurs, contribuables, qui sommes en droit d’interpréter la plupart des initiatives, des comportements de ce Résident comme à peu près autant de doigts d’honneurs qui nous sont adressés. Quand Donald Trump le charrie, quand il pointe son obsession puérile de jouer des coudes pour se retrouver en bonne place sur la photo, il lui met certes une claque, mais c’est surtout nous qui la recevons. Car ce Résident est devenu au fil du temps une humiliation pour la France, et donc pour nous, chacun d’entre nous. On pourrait ricaner, si ce n’était si triste.
Les deux font la paire
Et puis, il y a son prédécesseur, empêché de se représenter à la magistrature suprême pour cause de bilan calamiteux et d’incapacité avérée mais qui, tout content de lui, tout replet de contentement, tout rose d’auto-satisfaction, applaudit sur son banc de député à l’hallali de sa propre réforme, celle dont il était si fier quand il avait éventuellement encore une petite idée de ce que le sentiment de fierté peut être. En l’occurrence, magistral doigt d’honneur adressé à ses électeurs, sa majorité, sa ministre d’alors, Mme Touraine.
Bref, eux deux, le Résident et le Retoqué, font la paire.
Et puis, dans ce registre du doigt d’honneur, il y a cette juge qui, nous dit-on, se situerait dans la mouvance du Syndicat de la Magistrature. Peut-être même y aurait-elle assumé des fonctions importantes. Oui, doigt d’honneur de la part de cette femme, mais, paradoxalement, contre ses propres convictions, contre les principes mêmes qu’elle et ses confrères de la paroisse précitée défendent bec et oncles depuis des lustres, depuis notamment 1985 où ledit syndicat prévoyait à terme l’abolition pure et simple des peines de prison, l’incarcération n’étant, selon sa doctrine, qu’une odieuse survivance des temps barbares où l’on pensait que punir avait encore du sens. Et pourtant, par le biais d’un jugement pour le moins sujet à interprétations, un ancien président de la République, ancien Chef de l’État, de notre État, va bel et bien s’y retrouver, en taule. Un président élu en son temps au suffrage universel par le peuple de France. Certes la légitimité électorale ne saurait impliquer l’impunité. Mais, il me semble qu’elle implique un certain sens de la mesure, ainsi que des égards. Si l’instance judiciaire ne souhaite pas les respecter, ces égards, pour la personne jugée, qu’elle se l’impose au moins pour la légitimité électorale incarnée. En d’autres termes, pour le citoyen, pour le corps électoral, bref pour le peuple de France. Tout simplement. Faire franchir les portes de la prison – et pour si peu – à un ancien président de notre République, c’est, qu’on le veuille ou non, un doigt d’honneur qu’on fait à la démocratie. Ni plus, ni moins.
Pour tout dire, entre doigt mouillé et doigts d’honneur cela fait beaucoup pour un seul et même pays, un seul et même peuple. Il paraît que nous adorons battre des records. Toutes sortes de records. Nous sommes donc en très bonne voie. C’est mon petit doigt mouillé qui me le dit. Alors…
Israël / Palestine: l’Histoire n’obéit pas à des logiques morales ou théologiques; elle est tragique, rappelle Charles Rojzman dans ce texte. Alors que les Israéliens luttent pour exister dans le réel, les Palestiniens se consument dans le mythe, la défaite et la revanche…
« L’histoire n’est pas le règne du bien, mais celui du possible. » — Raymond Aron
« Ne pas se moquer, ne pas déplorer, ne pas détester, mais comprendre. » — Spinoza
Le conflit israélo-palestinien est devenu le théâtre symbolique de toutes nos confusions morales et politiques. Il ne s’agit plus seulement d’un affrontement territorial : c’est une lutte d’interprétations, un combat entre le mythe et le réel.
Chaque camp revendique une légitimité absolue, enracinée dans la mémoire, la foi ou la souffrance, et chacun refuse d’admettre que l’histoire ne s’écrit pas selon les droits mais selon les forces.
Ce conflit traverse jusqu’au cœur du monde juif.
Certains défendent Israël avec une ardeur intransigeante, comme si le destin du peuple juif tout entier dépendait de chaque opération militaire. D’autres, plus rares, s’identifient aux Palestiniens, croyant prolonger ainsi la vocation prophétique d’un judaïsme moral, universel, héritier de l’expérience des persécutions. Mais tous, à des degrés divers, sont pris dans la même tension : celle d’un peuple à la fois dans le mythe et dans le réel.
Car nul peuple n’a autant incarné cette ambivalence. Les Juifs portent dans leur histoire le souvenir d’une promesse divine, d’une élection fondatrice — le mythe d’un lien indestructible entre un peuple et une terre. Mais ils sont aussi, depuis des millénaires, le peuple de l’exil, de la dispersion, de la négociation avec le monde tel qu’il est. Ils ont appris à vivre sans pouvoir, à survivre par l’intelligence, la mémoire et la parole — c’est-à-dire à inscrire la transcendance dans le réel. Leur retour sur la scène politique du monde, avec la création d’Israël, les a contraints à affronter à nouveau cette dualité : redevenir un peuple d’histoire, et non seulement un peuple de mémoire.
C’est pourquoi l’argument religieux ou moral ne peut suffire à justifier Israël. Invoquer la promesse biblique, c’est oublier que l’histoire ne se fonde pas sur les textes mais sur les faits. Les Arabes, de leur côté, revendiquent à leur tour une antériorité millénaire, tout aussi mythifiée. Ainsi, les deux se font miroir : chacun s’appuie sur la transcendance pour nier la légitimité de l’autre. Le débat s’enlise dans le sacré, et le politique disparaît. Or l’histoire obéit à une autre logique. Elle n’est pas morale, elle n’est pas théologique : elle est tragique. Les nations naissent, vivent et meurent par la force, par la victoire ou la défaite, par le déplacement et la reconstruction. C’est là le mouvement même du monde.
Si l’Alsace est française, c’est parce que l’Allemagne a perdu. Si la Prusse orientale et la Silésie sont devenues polonaises, c’est parce que les vainqueurs de 1945 en ont décidé ainsi, et que des millions d’Allemands ont dû quitter leurs maisons, leurs chemins de fer, leurs cimetières. Les Grecs d’Asie Mineure furent expulsés d’Anatolie malgré deux millénaires de présence. Les Juifs des pays arabes, du Maroc à l’Irak, durent fuir après 1948, abandonnant leurs biens, leurs langues, leurs souvenirs. Partout, l’histoire a tranché sans pitié. Aucune de ces tragédies n’a trouvé de réparation, mais toutes ont trouvé un avenir : la reconstruction ailleurs, autrement.
Le droit vient après la victoire, jamais avant. Il ne crée pas la légitimité, il la consacre. C’est pourquoi la question israélo-palestinienne ne peut se résoudre par la morale. Elle suppose la reconnaissance de cette loi tragique : la politique n’est pas la recherche du bien, mais l’art de faire tenir ensemble les survivants de l’histoire.
Israël incarne, mieux qu’aucun autre pays, ce paradoxe : un peuple ancien, façonné par le mythe, qui a su faire retour dans le réel. Il vit dans la contradiction entre la promesse et la puissance, entre la mémoire et la souveraineté. C’est là sa grandeur et son tourment. Ses ennemis, eux, refusent le passage au réel : ils préfèrent la pureté de la cause à la complexité de la vie. Ils font de la défaite un destin et de la haine une identité.
Ce conflit ne se réduit donc pas à une opposition entre deux peuples, mais entre deux rapports au monde : ceux qui acceptent la réalité tragique de l’histoire et ceux qui s’enferment dans l’innocence imaginaire des victimes éternelles. Il ne s’agit pas d’excuser Israël ni de condamner les Palestiniens, mais de voir ce que chacun représente dans le théâtre du monde : l’un qui lutte pour exister dans le réel, l’autre qui se consume dans le mythe.
Sortir du religieux, retrouver le politique
Le drame de notre temps tient à la confusion du religieux, du moral et du politique. Nous persistons à croire que la justice des causes peut suppléer à la compréhension des faits. Mais l’histoire ne se rédime pas : elle s’assume.
Tant que la paix sera pensée comme réparation, elle restera prisonnière de la faute et de la vengeance. Le politique commence là où cesse la théologie de la souffrance. Il suppose qu’on regarde les peuples non pour ce qu’ils ont subi, mais pour ce qu’ils font. Israël n’est pas innocent, mais il est vivant. Et c’est peut-être là sa véritable justification : il incarne cette alliance difficile entre le mythe et le réel, entre la mémoire et l’action. Tant que l’humanité cherchera dans la religion ou la morale la solution de ses conflits politiques, elle restera dans cet âge infantile où l’on croit encore que Dieu ou la pureté peuvent effacer la tragédie du monde. La maturité des peuples commence quand ils acceptent d’habiter le réel — même quand celui-ci dément leurs rêves.
La paix, fragile et très incertaine, renaît après la libération des otages israéliens, fruit de la ténacité d’Israël et de la diplomatie de Donald Trump. L’absence de retour de certaines dépouilles n’est pas seulement une brèche dans les accords, c’est un aveu de culpabilité du Hamas dont finalement peu de monde s’émeut.
Pour les juifs, Sim’hat Torah est traditionnellement un jour de joie. Ce ne l’était plus depuis 2023. Ce l’est redevenu en 2025.
Pour beaucoup, dont j’étais, l’espoir de voir revenir ces vingt otages dont les services israéliens avaient annoncé qu’ils étaient encore vivants relevait de la prophylaxie émotionnelle et non du discours de la raison. Je pensais que la lente, prudente mais implacable avancée de l’armée israélienne à l’intérieur de Gaza ville pourrait aboutir à quelques libérations ponctuelles, avec des geôliers négociant ici ou là leur survie contre celle des otages qu’ils détenaient, mais comment envisager une libération complète ?
Noa Argamani retrouve son compagnon
Entre des militants du Hamas pour qui les otages étaient le billet de survie dont ils ne se sépareraient qu’au goutte à goutte et des ministres israéliens pour qui la destruction du mouvement terroriste, gage d’une meilleure sécurité pour Israël, importait plus que les destins individuels, il n’y avait pas d’échappatoire, d’autant qu’en deux ans, une seule opération militaire avait réussi, celle de juin 2024 où dans le camp de Nuseirat les commandos marins de la Shayetet et une unité du Yamam – dont un des chefs, Arnon Zamora, fut tué durant l’assaut – libérèrent quatre otages dont Noa Argamani.
Il y a deux semaines encore, peu d’Israéliens pensaient que la même Noa Argamani, symbole du 7-Octobre avec la video de son enlèvement en moto, pourrait retrouver vivant son compagnon Avinatan Or, dont on n’avait strictement aucune nouvelle. Ce fut pourtant le cas.
Exiger et surtout obtenir que, en préalable à toute négociation, tous les otages israéliens soient libérés a changé Israël, le peuple juif et tous ceux qui l’ont soutenu. Les armes se sont tues, comme l’avaient promis dans le passé les Israéliens à un monde incrédule et de plus en plus hostile.
C’est Donald Trump par son sens des rapports de force qui a su imposer un plan avec des préalables pareils à ses interlocuteurs musulmans dont plusieurs étaient non seulement des soutiens avérés du Hamas, mais des dirigeants inspirés par la même idéologie, celle des Frères Musulmans.
Trump : des hommages justifiés
Il n’y a pas à tergiverser là-dessus, même pour ceux qui détestent le président américain, ses vantardises et ses «accommodements» avec la vérité. Il a été, et ses émissaires aussi, un exceptionnel défenseur d’Israël. Les hommages qu’il a reçus lors de sa visite en Israël en sont une reconnaissance justifiée.
Mais ce résultat n’aurait pas été possible si l’armée israélienne n’avait pas, en poursuivant son offensive, acculé le Hamas au bord de l’effondrement. C’est en grande partie Benjamin Netanyahu, beaucoup critiqué parce qu’il intensifiait une guerre dont on ne voyait pas les objectifs qui, par sa détermination, a conduit à ce collapsus. Il faut lui en rendre hommage, quoi qu’on pense de sa politique, de ses alliances, de ses responsabilités et de sa froideur émotionnelle.
Le Hamas prétend qu’il ne trouve pas les restes de 19 otages. Les services israéliens le contestent; ces services, soit dit en passant, ne s’étaient pas trompés dans les noms des otages survivants, ce qui montre leur efficacité et confirme que l’action de l’armée israélienne sur le terrain était compliquée par la crainte de nuire aux otages.
De ce fait, les Israéliens pensent que beaucoup de dépouilles ne sont pas rendues parce que les causes de la mort seraient trop facilement détectées par les médecins légistes. Car il s’agit d’hommes jeunes qui n’ont certainement pas tous été victimes des bombardements.
A titre de comparaison, sur les 251 otages enlevés par le Hamas, 103 sont morts en captivité, soit plus d’un tiers, alors que la mortalité de la population gazaouie, civils et militaires inclus, telle qu’indiquée par le fameux Ministère de la Santé du Hamas lui-même, est d’environ 3% de la population, soit dix fois moins.
Certains des morts sont des cadavres d’Israéliens que le Hamas a emportés comme trophées; tel était le cas de l’héroïque capitaine Daniel Perez, Juif religieux combattant dans l’armée israélienne, tombé le 7-Octobre et enterré hier au Mont Herzl de Jérusalem en présence de Matan Angrest, le seul survivant de son groupe de combat, libéré il y a trois jours. Mais des otages ont été assassinés à Gaza pendant qu’ils étaient en captivité. Ce fut le cas des enfants Bibas et probablement de bien d’autres.
Cela ne semble pas émouvoir grand monde alors que des centaines de prisonniers palestiniens dont beaucoup ont les mains couvertes de sang, iront après leur libération grossir les rangs du terrorisme. On imagine l’opprobre mondiale, parfaitement justifiée d’ailleurs, qui se serait abattue sur Israël s’il avait répondu que certains Palestiniens avaient disparu pendant qu’ils étaient dans ses prisons…
L’absence de retour des dépouilles n’est pas seulement une brèche dans les accords, une blessure nouvelle pour des familles endeuillées, c’est un aveu de culpabilité.
Dès le départ de l’armée israélienne on voit les militants du Hamas patrouiller dans certains secteurs de Gaza ville. Une vidéo montre des exécutions d’hommes agenouillés et abattus en public comme collaborateurs d’Israël. Des combats ont eu lieu avec des milices rivales qualifiées de gangs par les médias.
Erdogan hors-jeu ?
Donald Trump a rappelé à sa façon au Hamas qu’il devait se désarmer et le Centcom (Commandement central des États-Unis) a menacé d’intervenir. La route ne sera pas simple et certains des associés au plan de paix du président américain, tels le Qatar et la Turquie essaieront d’éviter au Hamas l’humiliation d’une reddition. Dans la force internationale que les Américains mettent en place, on dit que la Turquie sera absente, malgré les souhaits de Erdogan. Rappelons que celui-ci avait qualifié l’arraisonnement de la flottille pour Gaza, survenu sans la moindre effusion de sang, de symbole de la barbarie israélienne.
Que deviendra plus tard l’enclave où la reconstruction prendra de nombreuses années et où habite une population très nombreuse, jeune, traumatisée, humiliée, sans perspectives économiques claires et biberonnée à la haine anti-israélienne? Aucun Etat arabe n’en veut, en particulier l’Egypte qui serait pourtant le pays de rattachement naturel…
Les Israéliens savent qu’une force internationale privée de moyens et d’objectifs deviendra l’otage complaisant des factions terroristes qui l’entourent. L’exemple du Liban est probant et n’a pas échappé aux Américains qui ont rejeté la trop facile tentation onusienne.
Quant à l’option palestinienne pour Gaza, sous la houlette de Mahmoud Abbas, chacun sait, sauf le président français, qu’elle serait une garantie de chaos….
Cette guerre terrible laisse une population gazaouie dans une détresse dont le Hamas est le responsable et une population israélienne soulagée, divisée mais formidablement résiliente, avec un Etat d’Israël désormais honni à l’étranger en raison d’une propagande mensongère extrêmement efficace. Cet Etat a renforcé sa relation vitale avec les Etats Unis, mais des pays musulmans qui lui sont hostiles ont aussi l’oreille du président américain. L’axe du mal dirigé par l’Iran est très affaibli. Il n’est pas abattu. Il faut apprécier la trêve, et le poids qu’elle nous retire d’une sensation d’impuissance devant le martyre des otages et de leurs familles. La paix, elle, n’est pas encore là, mais au moins a-t-on désormais une possibilité réaliste de l’espérer…
« On va changer totalement le paradigme du ministère de la Justice. Au lieu de mettre l’accusé au centre, nous allons mettre la victime au centre » a affirmé Gérald Darmanin, sur LCI, mardi soir. Le garde des Sceaux a annoncé que les victimes seront désormais « notifiées » quand leur agresseur sort de prison. Cette instruction ministérielle prendra effet dès lundi prochain.
Gérald Darmanin annonce que les victimes seront notifiées lorsque leur agresseur sort de prison. D’abord, on ne dit pas les victimes sont « notifiées », mais il sera notifié aux victimes que. Cet anglicisme est logique : cette idée sort tout droit des séries policières américaines – dans lesquelles est récurrent le scénario où la victime apprend que son violeur/agresseur/tueur de proche sort de prison. Et généralement, il est resté malfaisant – ce qui témoigne d’une faible confiance dans la capacité de l’être humain à changer et dans celle de la Justice à réinsérer après avoir sanctionné.
Une attente légitime
Il est légitime que les victimes puissent suivre le parcours judiciaire du coupable. Et qu’elles puissent être reçues à leur demande par le Parquet, comme l’annonce également le ministre. Beaucoup disent qu’elles n’ont jamais aucune information, que personne ne s’enquiert de leur sort, que la Justice s’intéresse plus au coupable.
C’est possible, et ce n’est pas complètement anormal : le rôle de la Justice, c’est d’abord de sanctionner les coupables. C’est ça, la première réparation. Mais dans un Etat de droit, pour les sanctionner, on doit prouver (enfin normalement), donc les écouter conformément à nos règles fondamentales (contradictoire etc…). Ce qui me gêne, plus que les mesures concrètes satisfaisantes annoncées par le ministre, c’est donc l’emballage philosophique. Tout cela doit conduire, selon M. Darmanin, à mettre la victime, grande oubliée du système, au centre du système judiciaire.
Mais c’est normal, me répliquera-t-on. Non ! Fausse évidence ! C’est comme pour l’enfant au centre du système scolaire – cette philosophie pédagosiste qui a amené beaucoup de catastrophes… C’est une erreur de point de vue. La Justice est rendue au nom du peuple français, pas de la victime. Certes, le déclencheur c’est le préjudice, la souffrance causée. Mais ce n’est pas la victime qui apprécie le tort, fixe et exécute la peine. Un tiers qui est l’État s’interpose entre victime et coupable. Cela distingue la justice de la vengeance.
La mission première de la Justice, c’est d’abord protéger la société ; la réparation vient après. D’ailleurs, l’Etat poursuit même en l’absence de victimes (par exemple, lors d’un attentat raté) ou quand la victime est une personne morale (par exemple, dans le cas d’un abus de bien social).
Effets secondaires
La sacralisation de la victime a des effets délétères sur la société. Victime devient un statut social dont on ne se sort plus, voire un sujet de gloire (on veut les panthéoniser, on admire leur courage…).
Au lieu d’encourager les gens à se relever, on leur serine avec une gourmandise morbide à longueur de journées que leur trauma est irréparable (« votre vie est foutue et votre violeur va sortir… ») N’écoutons plus ces mauvais psychanalystes ! Non, ta vie n’est pas finie parce que tu as été violée. L’encouragement à la plainte engendre une société de plaintifs. Et se plaindre n’a jamais aidé personne.
André Malraux, à propos des camps d’extermination nazis, avait dit que c’était Satan qui avait reparu sur terre. Son terrible constat pourrait s’appliquer au Goulag de la Kolyma, région du grand Est sibérien, aux confins de la Russie, où le froid peut atteindre -60°C.
Crématoire blanc
L’auteur du roman Adieu Kolyma, Antoine Sénanque (notre photo), nous décrit avec précision les conditions de vie des prisonniers et des prisonnières, qu’ils soient politiques ou de droit commun. La souffrance et la mort s’y côtoient dans l’indifférence de Dieu. Le froid rend la situation insupportable, et pourtant, il arrive qu’on finisse par sortir de ce que les rescapés appellent « le crématoire blanc ». Des rescapés détruits à tout jamais. Comme le résume l’auteur avec cette phrase définitive : « La Kolyma n’a ni volonté, ni sentiment. Elle est le lieu du rien. »
Plusieurs personnages vont se retrouver dans ce cercle dantesque. Leurs destins sont liés, et comme dans une tragédie, le crime et la vengeance sont de puissants moteurs. L’héroïne se nomme Sylla Bach, elle est « née de mort inconnue ». Cette orpheline a choisi le nom de Bach par passion pour la musique. Cette femme d’environ quarante ans, de petite taille, aux yeux noirs et aux cheveux bruns qu’elle tresse en natte, a passé neuf ans à la Kolyma, de quoi effacer en elle toute trace de bonté. Elle est aussi froide que le sol gelé qui refuse les cadavres. Elle est devenue « la tueuse de chiennes », entendez qu’elle tue d’une balle dans la nuque les hommes ou les femmes devenus des « balances », des « vendus », des collabos qui frayent avec l’administration du camp. À la Kolyma, elle croise les frères Vadas, originaires de la Transylvanie, chefs d’un redoutable clan mafieux, à la tête d’un réseau de prostitution ainsi que d’importantes mines d’or de la région. L’avenir de Sylla dépend désormais des deux frères. Au Goulag, même si l’amour n’est plus qu’un mot vide de sens, elle va faire la rencontre d’une infirmière prénommée Kassia. Une histoire sensuelle se noue entre elles, quasi mystique. Au cours du récit, on apprend que Kassia est veuve d’un soldat fusillé pour trahison et qu’elle a accouché en prison d’un fils rapidement emporté par la fièvre. « Il n’avait pas eu droit à une tombe, raconte Antoine Sénanque. Il était resté six mois collé avec les cadavres des autres enfants, bûches humaines entassées dehors contre le mur de la crèche en attendant le dégel. La glace avait formé un caveau transparent autour de son corps. » L’auteur ajoute que sa mère avait le droit de venir le voir. La cruauté est sans limite.
Tous ces personnages, plus quelques autres, dont le vieux Varlam, tanneur bolchevick, lui aussi rescapé du Goulag, qui a recueilli Sylla dans un orphelinat, se retrouvent en 1956 dans Budapest ravagée par la répression soviétique. L’insurrection menée par des hommes libres s’achève dans un bain de sang. Budapest est humide et grise. Les staliniens vont pourtant s’évertuer à évoquer, poings levés, le fameux Grand Soir. Sylla, la criminelle tatouée, condamnée à survivre, continue d’aimer à distance Kassia, menacée par les frères Vadas qui sont persuadés que « la tueuse de chiennes » les a trahis. Le dénouement de cette intrigue complexe et documentée a pour cadre la ville de Madagan, cœur du territoire contrôlé par l’ange déchu nommé Satan. Elle fait face à l’impavide mer d’Okhotsk qui se moque pas mal de l’abjection des hommes.
Après avoir refermé Adieu Kolyma, on s’interroge : est-il encore possible de croire en l’homme, comme l’affirmait Soljenitsyne, ou est-il à peu près certain que son rachat est devenu impossible, comme le pensait Chalamov, auteur des Récits de la Kolyma ?
Pour éviter de répondre, on coupait la langue des traitres au goulag de la Kolyma.
Antoine Sénanque, Adieu Kolyma, Grasset. 400 pages.
Les Justes d’Albert Camus fomentent leur attentat sur les planches du théâtre de Poche-Montparnasse. Un texte grave qui continue d’alerter sur les ravages du nihilisme.
La critique bouda Les Justes à sa sortie en 1949. La droite se méfiait d’Albert Camus qui n’était pas son ami et les communistes le trouvaient trop critique envers la révolution bolchévique. Mais la pièce, portée par Maria Casarès, Serge Reggiani et Michel Bouquet, ne fut pas un four pour autant.
Kaliayev, Stepan, Boris et Dora sont des socialistes révolutionnaires qui, dans ce Moscou de 1905, se préparent à assassiner le grand-duc Serge, oncle du tsar Nicolas II et raide gouverneur de la ville.
Maxime d’Aboville, qui endosse pour la première fois le rôle de metteur en scène, offre une lecture sobre et éclairée de la pièce. Camus avait placé ses personnages dans les hauteurs d’un appartement : nous les retrouvons ici dans un souterrain. D’un soupirail, ils observent la rue et attendent le passage du grand-duc. En ressort une vision qui dévoile l’action d’une façon nouvelle. Si la sécheresse du texte peut rendre l’interprétation parfois aride, chacun des comédiens témoigne habilement de la fièvre de ces possédés politiques. Toutefois, quand le grand-duc arrive flanqué d’épouse et d’enfants, la vieille question de la fin et des moyens, de l’omelette et des œufs oppose Stepan et Kaliayev.
Sur scène, les quatre comédiens se partagent habilement huit rôles. Et nous observons certaines de ces âmes damnées qui ne croient pas au diable. Peu de place au rire : Camus n’était pas un grand auteur comique et ces personnages sont habités par l’esprit de sérieux. Peut-il en être autrement ? La frivolité, la légèreté, la douceur et la tendresse ne sont que l’apanage de leurs ennemis. L’amour, pourtant, existe : jusqu’à ce que le crime sépare Dora et son amant. L’attentat perpétré, Kaliayev s’écrit : « À bas le tsar ! À bas le gouvernement ! Vive le parti socialiste révolutionnaire! » Cette histoire vraie, ce fait divers, est montée sur les planches au moment où Sartre règne sur une bonne partie de l’intelligentsia parisienne. Et il ne reste alors plus beaucoup de temps avant qu’une fâcherie signe la fin de son amitié avec Camus : la parution de L’Homme révolté, qui prolonge la réflexion des Justes.
Fidèles à l’œuvre, la mise en scène et l’interprétation ajoutent une dimension surnaturelle à l’ensemble. On devine, au-dessus, les yeux célestes d’un Bernanos, ou plus encore d’un Dostoïevski, auteur qu’admira longtemps Camus, au point d’adapter au théâtre ses Démons, dix ans après cette pièce.
Aujourd’hui, on ne se déchire plus à la sortie des salles, ni même dans les rubriques des journaux. Mais au milieu des spectateurs qui sortent du Poche-Montparnasse, on a la sensation de ne pas être tout à fait le seul à craindre que le nihilisme et la bêtise fassent de nouveau entendre leur fureur.
Les Justes, théâtre de Poche-Montparnasse, du mardi au samedi à 19 h, le dimanche à 15 h. Renseignements et réservations : www.theatredepochemontparnasse.com/spectacle/les-justes/
Donald Trump annonce un accord avec le géant pharmaceutique allemand, Merck KGaA, Maison Blanche, Washington, le 16/10/25. Francis Chung - Pool via CNP/DPA/SIPA
Nicolas Maduro lors d'une conférence de presse, Caracas, 15/9/25. CHINE NOUVELLE/SIPA
Jacques de Molay, Grand Maitre des Templiers, 23/04/2018. MARY EVANS/SIPA
Avec Harold Hyman et Jeremy Stubbs.
Harold Hyman, grand spécialiste des relations internationales, nous explique pourquoi il pense que Donald Trump va lancer une opération pour faire tomber le régime de Nicolas Maduro au Venezuela. Le président américain a déjà donné des ordres pour bombarder des bateaux vénézuéliens qui – selon des sources d’informations qui restent confidentielles – transporteraient de la drogue. Maintenant, il a autorisé la CIA à conduire des opérations sur le sol vénézuélien. Cette annonce laisse présager un possible coup d’Etat contre Maduro selon le modèle déjà utilisé contre le dictateur panaméen, Manuel Noriega, en 1989-1990. Trump ne met pas à exécution toutes ses menaces, mais il le fait suffisamment pour que Maduro risque bel et bien de se voir déstabilisé.
Le journaliste franco-américain spécialiste des affaires internationales Harold Hyman. Photo D.R.
La Russie de Vladimir Poutine soutenait militairement le dictateur syrien, Bachar al-Assad. Aujourd’hui, elle noue des relations avec le nouveau régime syrien. Il est peu probable que Poutine livre Bachar, qui s’est réfugié à Moscou, au nouveau leader, Ahmed al-Charaa, mais le rétablissement des relations permettra aux Russes de garder une présence militaire en Syrie.
Coulommiers n’est pas qu’un fromage. Cette ville en Seine et Marne abrite une des commanderies des Templiers les mieux conservées de France, dans un ensemble qui comporte aussi une chapelle. Les Français peuvent connaître le récit de la fin des Templiers à travers les Rois Maudits, véritable chef-d’oeuvre télévisuelle des années 1970. Or les leçons à tirer de l’histoire de cet ordre qui, organisation supranationale, a succombé à la montée des nations modernes sont multiples.
Plus les dépenses de santé explosent, plus le taux de satisfaction des patients s’effondre. La France devrait prendre exemple sur Singapour, les Pays-Bas et Taïwan qui parviennent à mieux soigner et à moindre coût. En mêlant gestion privée et régulation publique, ces pays responsabilisent leurs citoyens.
Cela s’appelle jeter de l’argent par les fenêtres. Alors qu’en France les dépenses de santé représentent 12 % du produit intérieur brut, soit l’un des ratios les plus élevés de la planète, le taux de satisfaction des patients parvient seulement à se hisser dans la moyenne basse des pays industrialisés, avec une piteuse 21e place sur 38 au sein de l’OCDE.
Responsabilisation
La France qui a longtemps fait figure de référence en matière médicale est désormais largement distancée par des pays comme Singapour, les Pays-Bas ou Taïwan. Comment parviennent-ils à soigner mieux que nous et à moindre coût ? Petit inventaire des recettes qui marchent.
Tout d’abord direction Singapour. Là-bas les dépenses de santé de la population sont couvertes par des assurances privées, auxquelles chacun doit obligatoirement souscrire, même s’il existe par ailleurs une caisse publique destinée à prendre en charge les soins des plus démunis. La plupart des habitants ont donc un compte santé individuel, ce qui les responsabilise et évite les gaspillages. De son côté, l’État, loin d’abdiquer son rôle, subventionne massivement les hôpitaux et contrôle les tarifs.
Le contraste avec notre pays est saisissant. En 2019, les Singapouriens ont dépensé environ 2 370 euros par habitant pour leur santé, contre près de 5 130 euros en France. Pourtant, les résultats sanitaires sont comparables avec des indicateurs d’espérance de vie et de mortalité infantile très proches. Caroline, expatriée à Singapour, témoigne : « L’accès aux soins est rapide. Il faut moins de quarante-huit heures pour décrocher un rendez-vous. Prélèvements, examens, vaccins et médicaments ont souvent lieu dans le même cabinet médical. Cela évite des allers-retours chronophages. La qualité médicale est perçue comme excellente, à condition toutefois de disposer d’une bonne couverture privée. »
Bons élèves
Rendons-nous maintenant aux Pays-Bas, qui ont amélioré depuis une vingtaine d’années leur régime de santé pour aboutir à un modèle considéré à présent par divers observateurs comme le plus performant d’Europe. Depuis la réforme de 2006, chaque résident, qu’il soit néerlandais ou immigré, est tenu de prendre une assurance médicale auprès d’une compagnie privée, librement choisie mais strictement encadrée. Le contenu du contrat est défini par le ministère de la Santé, qui impose le périmètre de la couverture standard ainsi qu’une grille tarifaire unique, avec l’interdiction de refuser les mauvais dossiers médicaux.
Les cotisations sont composées d’une prime mensuelle fixe (environ 140 euros par adulte) et d’une contribution proportionnelle au revenu, versée via les impôts, ce qui permet d’introduire une part de progressivité. Une franchise annuelle obligatoire de 385 euros s’applique à la plupart des soins, incitant à un usage mesuré du système. L’État vient en aide aux classes populaires en leur versant une allocation santé, dont bénéficient environ 40 % des ménages. Cette architecture hybride, privée dans la gestion, publique dans la régulation, permet aux Pays-Bas d’obtenir des résultats très élevés en termes d’accessibilité, de satisfaction des patients et d’indicateurs de santé, tout en contenant les délais d’attente et les coûts.
Dernier bon élève en matière de santé publique : Taïwan. Depuis 1995, l’île a mis en place un système d’assurance-maladie très étatisé, avec un organisme public qui couvre la quasi-totalité de la population, y compris les résidents étrangers, et qui centralise le financement des soins. Le régime est alimenté par trois sources : des cotisations salariales (proportionnelles aux revenus), des contributions d’employeurs et des subventions publiques. Le modèle a donc quelque ressemblance avec le nôtre, à la différence près que les actes de soin, eux, sont assurés presque totalement par le secteur privé. Les médecins et les hôpitaux négocient ainsi chaque année leurs tarifs avec l’administration, ce qui évite les gaspillages.
Cette formule présente toutefois un inconvénient : pour maintenir de faibles cotisations, les autorités ont longtemps sous-indexé les actes médicaux, ce qui a mis en difficulté les établissements de santé les plus fragiles. En 2023, une injection de 24 milliards de dollars taïwanais (près de 700 millions d’euros) a été nécessaire pour remettre à flot le secteur. Conscientes de ce point faible, les autorités, qui se refusent à remettre en cause le principe fondamental d’un système universel centré sur la qualité des soins, sont condamnée à opérer régulièrement des ajustements financiers.
De ces trois exemples, la France doit tirer plusieurs leçons. La première est qu’il n’y a pas de solution magique, mais que des marges d’ajustement existent. La seconde est qu’on peut diversifier les sources de financement en favorisant des assurances complémentaires individuelles, avec des contributions modulées selon les risques, sans pour autant renoncer à un panier de soins essentiels garanti par l’État.
Les Français n’ont pas une idée juste du coût de leur santé. Le ticket modérateur est largement effacé par les complémentaires, ce qui donne aux patients le sentiment d’être soignés gracieusement et encourage la surconsommation. Un système de franchise, comme aux Pays-Bas, même symbolique, aurait le mérite de responsabiliser. Quant aux dispositifs spécifiques, comme l’aide médicale d’État, leur logique d’accès inconditionnel mérite d’être repensée dans un souci d’équité et de soutenabilité.
La solidarité doit évidemment rester une boussole en France, mais elle ne peut se concevoir sans une exigence de responsabilité. Lors de notre enquête, un expatrié a résumé la situation à Singapour : « Chacun doit évaluer son risque à couvrir et payer en fonction des risques qu’il souhaite éviter. » Dans une France où la gratuité a été érigée en dogme, cette philosophie peut paraître iconoclaste. Elle est pourtant la condition d’une reconstruction réaliste et durable de notre modèle social.
Si voir un film vous racontant qu’il n’est pas facile d’être banlieusarde musulmane et lesbienne vous dit…
« Tu vas l’avoir ton bac, inch Allah ! », se moque un élève. Fatima, petite dernière des trois sœurs élevées par leur maman maghrébine (papa est peu présent) dans une barre d’immeuble, théâtre familier des banlieues dites ‘’sensibles’’, suit sagement sa Terminale, classe peuplée d’une meute bigarrée, graveleuse et quasi-analphabète, typique de la jeune pousse hexagonale d’aujourd’hui.
Pieuse, la demoiselle se refuse obstinément aux avances timorées du chaste chevalier servant, son jeune coreligionnaire enamouré, lequel rêve juste noce et procréation à la clef. C’est que la belle et ombrageuse Fatima, footballeuse à ses heures malgré les crises d’asthme dont elle est assaillie depuis l’enfance, dissimule le secret de sa vie: elle arde pour les filles et non pour les garçons. Sacrifiant aux sites de rencontres, la voilà, croit-elle, sur le chemin de l’émancipation (quitte à mentir systématiquement à la question sempiternelle qu’on lui fait : « – tu es de quelle origine ? », elle se prétend tour à tour Egyptienne, Algérienne, Marocaine)… Hélas, Fatima ne tombe décidément jamais sur la bonne – une femme mûre débauchée, une Coréenne dépressive…
Passe l’été: le film nous a propulsé en automne. Fatima, ayant intégré la fac de philo, s’est liée avec quelques jeunes congénères de mœurs légères. (Reste assez douteuse, dans le film, la vraisemblance de cette teuf bisexuelle en appartement, à laquelle se joindra l’héroïne – mais passons.) Pour se forcer à rentrer dans la norme, elle retente le coup avec son soupirant: échec prévisible. Prévaut la loi du silence, dans cet environnement socio-confessionnel hostile, où même l’imam de la Mosquée de Paris, consulté par elle dans les larmes, s’avère incapable de lui tenir un autre discours que celui, formaté, de la- nature- qui- fait- bien- les-choses et de la vertu de la prière pour regagner le droit chemin tracé par le prophète : le lesbianisme n’est pas soluble dans le décalogue. Quant à maman, elle ne comprendrait pas, pense (à tort) Fatima. Bref, ni la famille ni la foi ne viendront-elles à son secours ? Dernier plan du film, Fatima pique obstinément des têtes dans le ballon rond.
Tiré parait-il d’un roman signé Fatima Daas, c’est le troisième long métrage de Hafsia Herzi, également comédienne – elle avait le rôle principal dans Borgo, thriller plutôt réussi de Stéphane Demoustier – où jouait également Michel Fau. La crudité vaguement écœurante et quelque peu forcée de La petite dernière serait rédhibitoire si la douceur, l’émouvante beauté juvénile de Nadia Melliti, dans le rôle-titre, ne venait en tempérer le réalisme appuyé.
La « démocratie combative » (streitbare Demokratie) est une doctrine de la Constitution allemande qui permet à l’État de se défendre activement contre les ennemis de la démocratie, même quand ceux-ci utilisent les libertés démocratiques pour la détruire… Elle autorise ainsi des mesures comme l’interdiction de partis ou d’organisations anticonstitutionnels et la restriction de certains droits fondamentaux pour protéger l’Allemagne…
À Cologne, le 6 septembre, CDU, SPD, les Verts, Die Linke… sept partis politiques allemands en campagne électorale renouvelaient un « pacte d’équité » qui les engageait à taire toute critique de l’immigration. Sans surprise, le 14 septembre, l’AfD, ce parti anti-immigration créé en 2013, le seul qui n’avait pas signé le pacte d’équité, faisait un carton aux élections locales de Rhénanie-du-Nord-Westphalie, le Land le plus peuplé d’Allemagne de l’Ouest.
La « démocratie combative », doctrine inscrite dans la Constitution allemande de 1949, prévoit de tuer dans l’œuf toute atteinte aux institutions. Et s’appuie pour ce faire sur un arsenal législatif et institutionnel d’une efficacité toute germanique. Le code criminel punit incitation à la rébellion et diffamation de la classe politique. Le Bureau de protection de la Constitution débusque toute activité potentiellement antidémocratique. Les lois contre les discours de haine se sont corsées pour bâillonner tout propos dissident à consonance populiste, d’extrême droite, islamophobe.
Ainsi la liberté d’expression, garantie par la Constitution, est-elle sapée pour protéger… la Constitution. « De plus en plus de citoyens sont punis de lourdes amendes voire de peines de prison pour propos délictueux. Le cas le plus emblématique est celui de Michael Stürzenberger, critique radical de l’islam politique, condamné pour propos islamophobes après avoir été lui-même gravement blessé lors de l’attentat islamiste de Mannheim en mai 2024 », note Sabine Beppler-Spahl, présidente du Freiblickinstitut, groupe de réflexion berlinois dédié à la défense de la liberté d’expression. Attentat au cours duquel un Afghan avait poignardé quatre personnes et tué un officier de police. Les procureurs épluchent les propos en ligne, constituent des dossiers, diligentent des raids à l’aube chez les auteurs de propos illicites, avec confiscation d’ordinateur et de téléphone. « On commence par vouloir la justice et on finit par organiser une police », écrivait Camus, dans Les Justes). En attendant, on dirait bien que la « démocratie combative », c’est la démocratie contre le peuple !
Le leader de l'extrème gauche Jean-Luc Mélenchon adresse un doigt d'honneur au journaliste Benjamin Duhamel en quittant le studio de France inter, lundi 13 octobre 2025. Capture TMC / Quotidien.
Des gestes plus ou moins républicains, plus ou moins démocratiques
Voilà que M. Mélenchon, décidément au mieux de sa forme, érige le doigt d’honneur en argument politique opposable aux journalistes qui auraient l’incroyable audace de ne pas se prosterner devant lui, qui se permettraient de trouver à redire sur ses inepties à répétition, qui oseraient ne pas apprécier les saillies insultantes, méprisantes dont, de plus en plus, il se plaît à émailler ses diatribes : « Vous ne savez pas, taisez-vous. Quand on est ce que vous êtes, on ne peut pas comprendre… » etc., etc.
C'était très tendu entre Jean-Luc Mélenchon et Benjamin Duhamel sur France Inter ce matin. Mais avez-vous vu ce doigt d'honneur ? pic.twitter.com/tOn2hmRxuC
Et puis, il y a M. Lecornu qui, quant à lui, met en œuvre une forme nouvelle de politique, quelque chose qui doit être selon lui en parfaite cohérence avec la rupture promise, la politique au doigt mouillé. Sauf que – pardon pour la rupture – c’est ce que nous avons en France depuis l’avènement de sa majesté Macron premier. D’aucuns pensaient avoir élu un président de la République, ils se retrouvent avec une ombre, un pâle Résident de la République… Le pauvre en est réduit aux jeux de rôles afin de tenter de se persuader que le plan Trump pour Gaza est en fait le sien, se persuader aussi qu’il pèse tout de même un peu plus qu’une cacahuète dans le concert des nations. On lui souhaite malgré tout d’avoir encore une once d’autorité chez lui, les portes et fenêtres de son logis refermées, parce que c’est bien là le seul endroit où il peut se bercer de l’illusion d’en exercer une quelconque. Après tout, il n’est pas impossible, que animée d’une bienveillance quasi maternelle, Madame la première Dame veuille bien faire comme si… Qu’elle en soit félicitée.
Cela dit, nous ne nous sentons pas tenus, nous autres, à autant de mansuétude. Nous, Français, citoyens, électeurs, contribuables, qui sommes en droit d’interpréter la plupart des initiatives, des comportements de ce Résident comme à peu près autant de doigts d’honneurs qui nous sont adressés. Quand Donald Trump le charrie, quand il pointe son obsession puérile de jouer des coudes pour se retrouver en bonne place sur la photo, il lui met certes une claque, mais c’est surtout nous qui la recevons. Car ce Résident est devenu au fil du temps une humiliation pour la France, et donc pour nous, chacun d’entre nous. On pourrait ricaner, si ce n’était si triste.
Les deux font la paire
Et puis, il y a son prédécesseur, empêché de se représenter à la magistrature suprême pour cause de bilan calamiteux et d’incapacité avérée mais qui, tout content de lui, tout replet de contentement, tout rose d’auto-satisfaction, applaudit sur son banc de député à l’hallali de sa propre réforme, celle dont il était si fier quand il avait éventuellement encore une petite idée de ce que le sentiment de fierté peut être. En l’occurrence, magistral doigt d’honneur adressé à ses électeurs, sa majorité, sa ministre d’alors, Mme Touraine.
Bref, eux deux, le Résident et le Retoqué, font la paire.
Et puis, dans ce registre du doigt d’honneur, il y a cette juge qui, nous dit-on, se situerait dans la mouvance du Syndicat de la Magistrature. Peut-être même y aurait-elle assumé des fonctions importantes. Oui, doigt d’honneur de la part de cette femme, mais, paradoxalement, contre ses propres convictions, contre les principes mêmes qu’elle et ses confrères de la paroisse précitée défendent bec et oncles depuis des lustres, depuis notamment 1985 où ledit syndicat prévoyait à terme l’abolition pure et simple des peines de prison, l’incarcération n’étant, selon sa doctrine, qu’une odieuse survivance des temps barbares où l’on pensait que punir avait encore du sens. Et pourtant, par le biais d’un jugement pour le moins sujet à interprétations, un ancien président de la République, ancien Chef de l’État, de notre État, va bel et bien s’y retrouver, en taule. Un président élu en son temps au suffrage universel par le peuple de France. Certes la légitimité électorale ne saurait impliquer l’impunité. Mais, il me semble qu’elle implique un certain sens de la mesure, ainsi que des égards. Si l’instance judiciaire ne souhaite pas les respecter, ces égards, pour la personne jugée, qu’elle se l’impose au moins pour la légitimité électorale incarnée. En d’autres termes, pour le citoyen, pour le corps électoral, bref pour le peuple de France. Tout simplement. Faire franchir les portes de la prison – et pour si peu – à un ancien président de notre République, c’est, qu’on le veuille ou non, un doigt d’honneur qu’on fait à la démocratie. Ni plus, ni moins.
Pour tout dire, entre doigt mouillé et doigts d’honneur cela fait beaucoup pour un seul et même pays, un seul et même peuple. Il paraît que nous adorons battre des records. Toutes sortes de records. Nous sommes donc en très bonne voie. C’est mon petit doigt mouillé qui me le dit. Alors…
Israël / Palestine: l’Histoire n’obéit pas à des logiques morales ou théologiques; elle est tragique, rappelle Charles Rojzman dans ce texte. Alors que les Israéliens luttent pour exister dans le réel, les Palestiniens se consument dans le mythe, la défaite et la revanche…
« L’histoire n’est pas le règne du bien, mais celui du possible. » — Raymond Aron
« Ne pas se moquer, ne pas déplorer, ne pas détester, mais comprendre. » — Spinoza
Le conflit israélo-palestinien est devenu le théâtre symbolique de toutes nos confusions morales et politiques. Il ne s’agit plus seulement d’un affrontement territorial : c’est une lutte d’interprétations, un combat entre le mythe et le réel.
Chaque camp revendique une légitimité absolue, enracinée dans la mémoire, la foi ou la souffrance, et chacun refuse d’admettre que l’histoire ne s’écrit pas selon les droits mais selon les forces.
Ce conflit traverse jusqu’au cœur du monde juif.
Certains défendent Israël avec une ardeur intransigeante, comme si le destin du peuple juif tout entier dépendait de chaque opération militaire. D’autres, plus rares, s’identifient aux Palestiniens, croyant prolonger ainsi la vocation prophétique d’un judaïsme moral, universel, héritier de l’expérience des persécutions. Mais tous, à des degrés divers, sont pris dans la même tension : celle d’un peuple à la fois dans le mythe et dans le réel.
Car nul peuple n’a autant incarné cette ambivalence. Les Juifs portent dans leur histoire le souvenir d’une promesse divine, d’une élection fondatrice — le mythe d’un lien indestructible entre un peuple et une terre. Mais ils sont aussi, depuis des millénaires, le peuple de l’exil, de la dispersion, de la négociation avec le monde tel qu’il est. Ils ont appris à vivre sans pouvoir, à survivre par l’intelligence, la mémoire et la parole — c’est-à-dire à inscrire la transcendance dans le réel. Leur retour sur la scène politique du monde, avec la création d’Israël, les a contraints à affronter à nouveau cette dualité : redevenir un peuple d’histoire, et non seulement un peuple de mémoire.
C’est pourquoi l’argument religieux ou moral ne peut suffire à justifier Israël. Invoquer la promesse biblique, c’est oublier que l’histoire ne se fonde pas sur les textes mais sur les faits. Les Arabes, de leur côté, revendiquent à leur tour une antériorité millénaire, tout aussi mythifiée. Ainsi, les deux se font miroir : chacun s’appuie sur la transcendance pour nier la légitimité de l’autre. Le débat s’enlise dans le sacré, et le politique disparaît. Or l’histoire obéit à une autre logique. Elle n’est pas morale, elle n’est pas théologique : elle est tragique. Les nations naissent, vivent et meurent par la force, par la victoire ou la défaite, par le déplacement et la reconstruction. C’est là le mouvement même du monde.
Si l’Alsace est française, c’est parce que l’Allemagne a perdu. Si la Prusse orientale et la Silésie sont devenues polonaises, c’est parce que les vainqueurs de 1945 en ont décidé ainsi, et que des millions d’Allemands ont dû quitter leurs maisons, leurs chemins de fer, leurs cimetières. Les Grecs d’Asie Mineure furent expulsés d’Anatolie malgré deux millénaires de présence. Les Juifs des pays arabes, du Maroc à l’Irak, durent fuir après 1948, abandonnant leurs biens, leurs langues, leurs souvenirs. Partout, l’histoire a tranché sans pitié. Aucune de ces tragédies n’a trouvé de réparation, mais toutes ont trouvé un avenir : la reconstruction ailleurs, autrement.
Le droit vient après la victoire, jamais avant. Il ne crée pas la légitimité, il la consacre. C’est pourquoi la question israélo-palestinienne ne peut se résoudre par la morale. Elle suppose la reconnaissance de cette loi tragique : la politique n’est pas la recherche du bien, mais l’art de faire tenir ensemble les survivants de l’histoire.
Israël incarne, mieux qu’aucun autre pays, ce paradoxe : un peuple ancien, façonné par le mythe, qui a su faire retour dans le réel. Il vit dans la contradiction entre la promesse et la puissance, entre la mémoire et la souveraineté. C’est là sa grandeur et son tourment. Ses ennemis, eux, refusent le passage au réel : ils préfèrent la pureté de la cause à la complexité de la vie. Ils font de la défaite un destin et de la haine une identité.
Ce conflit ne se réduit donc pas à une opposition entre deux peuples, mais entre deux rapports au monde : ceux qui acceptent la réalité tragique de l’histoire et ceux qui s’enferment dans l’innocence imaginaire des victimes éternelles. Il ne s’agit pas d’excuser Israël ni de condamner les Palestiniens, mais de voir ce que chacun représente dans le théâtre du monde : l’un qui lutte pour exister dans le réel, l’autre qui se consume dans le mythe.
Sortir du religieux, retrouver le politique
Le drame de notre temps tient à la confusion du religieux, du moral et du politique. Nous persistons à croire que la justice des causes peut suppléer à la compréhension des faits. Mais l’histoire ne se rédime pas : elle s’assume.
Tant que la paix sera pensée comme réparation, elle restera prisonnière de la faute et de la vengeance. Le politique commence là où cesse la théologie de la souffrance. Il suppose qu’on regarde les peuples non pour ce qu’ils ont subi, mais pour ce qu’ils font. Israël n’est pas innocent, mais il est vivant. Et c’est peut-être là sa véritable justification : il incarne cette alliance difficile entre le mythe et le réel, entre la mémoire et l’action. Tant que l’humanité cherchera dans la religion ou la morale la solution de ses conflits politiques, elle restera dans cet âge infantile où l’on croit encore que Dieu ou la pureté peuvent effacer la tragédie du monde. La maturité des peuples commence quand ils acceptent d’habiter le réel — même quand celui-ci dément leurs rêves.
La paix, fragile et très incertaine, renaît après la libération des otages israéliens, fruit de la ténacité d’Israël et de la diplomatie de Donald Trump. L’absence de retour de certaines dépouilles n’est pas seulement une brèche dans les accords, c’est un aveu de culpabilité du Hamas dont finalement peu de monde s’émeut.
Pour les juifs, Sim’hat Torah est traditionnellement un jour de joie. Ce ne l’était plus depuis 2023. Ce l’est redevenu en 2025.
Pour beaucoup, dont j’étais, l’espoir de voir revenir ces vingt otages dont les services israéliens avaient annoncé qu’ils étaient encore vivants relevait de la prophylaxie émotionnelle et non du discours de la raison. Je pensais que la lente, prudente mais implacable avancée de l’armée israélienne à l’intérieur de Gaza ville pourrait aboutir à quelques libérations ponctuelles, avec des geôliers négociant ici ou là leur survie contre celle des otages qu’ils détenaient, mais comment envisager une libération complète ?
Noa Argamani retrouve son compagnon
Entre des militants du Hamas pour qui les otages étaient le billet de survie dont ils ne se sépareraient qu’au goutte à goutte et des ministres israéliens pour qui la destruction du mouvement terroriste, gage d’une meilleure sécurité pour Israël, importait plus que les destins individuels, il n’y avait pas d’échappatoire, d’autant qu’en deux ans, une seule opération militaire avait réussi, celle de juin 2024 où dans le camp de Nuseirat les commandos marins de la Shayetet et une unité du Yamam – dont un des chefs, Arnon Zamora, fut tué durant l’assaut – libérèrent quatre otages dont Noa Argamani.
Il y a deux semaines encore, peu d’Israéliens pensaient que la même Noa Argamani, symbole du 7-Octobre avec la video de son enlèvement en moto, pourrait retrouver vivant son compagnon Avinatan Or, dont on n’avait strictement aucune nouvelle. Ce fut pourtant le cas.
Exiger et surtout obtenir que, en préalable à toute négociation, tous les otages israéliens soient libérés a changé Israël, le peuple juif et tous ceux qui l’ont soutenu. Les armes se sont tues, comme l’avaient promis dans le passé les Israéliens à un monde incrédule et de plus en plus hostile.
C’est Donald Trump par son sens des rapports de force qui a su imposer un plan avec des préalables pareils à ses interlocuteurs musulmans dont plusieurs étaient non seulement des soutiens avérés du Hamas, mais des dirigeants inspirés par la même idéologie, celle des Frères Musulmans.
Trump : des hommages justifiés
Il n’y a pas à tergiverser là-dessus, même pour ceux qui détestent le président américain, ses vantardises et ses «accommodements» avec la vérité. Il a été, et ses émissaires aussi, un exceptionnel défenseur d’Israël. Les hommages qu’il a reçus lors de sa visite en Israël en sont une reconnaissance justifiée.
Mais ce résultat n’aurait pas été possible si l’armée israélienne n’avait pas, en poursuivant son offensive, acculé le Hamas au bord de l’effondrement. C’est en grande partie Benjamin Netanyahu, beaucoup critiqué parce qu’il intensifiait une guerre dont on ne voyait pas les objectifs qui, par sa détermination, a conduit à ce collapsus. Il faut lui en rendre hommage, quoi qu’on pense de sa politique, de ses alliances, de ses responsabilités et de sa froideur émotionnelle.
Le Hamas prétend qu’il ne trouve pas les restes de 19 otages. Les services israéliens le contestent; ces services, soit dit en passant, ne s’étaient pas trompés dans les noms des otages survivants, ce qui montre leur efficacité et confirme que l’action de l’armée israélienne sur le terrain était compliquée par la crainte de nuire aux otages.
De ce fait, les Israéliens pensent que beaucoup de dépouilles ne sont pas rendues parce que les causes de la mort seraient trop facilement détectées par les médecins légistes. Car il s’agit d’hommes jeunes qui n’ont certainement pas tous été victimes des bombardements.
A titre de comparaison, sur les 251 otages enlevés par le Hamas, 103 sont morts en captivité, soit plus d’un tiers, alors que la mortalité de la population gazaouie, civils et militaires inclus, telle qu’indiquée par le fameux Ministère de la Santé du Hamas lui-même, est d’environ 3% de la population, soit dix fois moins.
Certains des morts sont des cadavres d’Israéliens que le Hamas a emportés comme trophées; tel était le cas de l’héroïque capitaine Daniel Perez, Juif religieux combattant dans l’armée israélienne, tombé le 7-Octobre et enterré hier au Mont Herzl de Jérusalem en présence de Matan Angrest, le seul survivant de son groupe de combat, libéré il y a trois jours. Mais des otages ont été assassinés à Gaza pendant qu’ils étaient en captivité. Ce fut le cas des enfants Bibas et probablement de bien d’autres.
Cela ne semble pas émouvoir grand monde alors que des centaines de prisonniers palestiniens dont beaucoup ont les mains couvertes de sang, iront après leur libération grossir les rangs du terrorisme. On imagine l’opprobre mondiale, parfaitement justifiée d’ailleurs, qui se serait abattue sur Israël s’il avait répondu que certains Palestiniens avaient disparu pendant qu’ils étaient dans ses prisons…
L’absence de retour des dépouilles n’est pas seulement une brèche dans les accords, une blessure nouvelle pour des familles endeuillées, c’est un aveu de culpabilité.
Dès le départ de l’armée israélienne on voit les militants du Hamas patrouiller dans certains secteurs de Gaza ville. Une vidéo montre des exécutions d’hommes agenouillés et abattus en public comme collaborateurs d’Israël. Des combats ont eu lieu avec des milices rivales qualifiées de gangs par les médias.
Erdogan hors-jeu ?
Donald Trump a rappelé à sa façon au Hamas qu’il devait se désarmer et le Centcom (Commandement central des États-Unis) a menacé d’intervenir. La route ne sera pas simple et certains des associés au plan de paix du président américain, tels le Qatar et la Turquie essaieront d’éviter au Hamas l’humiliation d’une reddition. Dans la force internationale que les Américains mettent en place, on dit que la Turquie sera absente, malgré les souhaits de Erdogan. Rappelons que celui-ci avait qualifié l’arraisonnement de la flottille pour Gaza, survenu sans la moindre effusion de sang, de symbole de la barbarie israélienne.
Que deviendra plus tard l’enclave où la reconstruction prendra de nombreuses années et où habite une population très nombreuse, jeune, traumatisée, humiliée, sans perspectives économiques claires et biberonnée à la haine anti-israélienne? Aucun Etat arabe n’en veut, en particulier l’Egypte qui serait pourtant le pays de rattachement naturel…
Les Israéliens savent qu’une force internationale privée de moyens et d’objectifs deviendra l’otage complaisant des factions terroristes qui l’entourent. L’exemple du Liban est probant et n’a pas échappé aux Américains qui ont rejeté la trop facile tentation onusienne.
Quant à l’option palestinienne pour Gaza, sous la houlette de Mahmoud Abbas, chacun sait, sauf le président français, qu’elle serait une garantie de chaos….
Cette guerre terrible laisse une population gazaouie dans une détresse dont le Hamas est le responsable et une population israélienne soulagée, divisée mais formidablement résiliente, avec un Etat d’Israël désormais honni à l’étranger en raison d’une propagande mensongère extrêmement efficace. Cet Etat a renforcé sa relation vitale avec les Etats Unis, mais des pays musulmans qui lui sont hostiles ont aussi l’oreille du président américain. L’axe du mal dirigé par l’Iran est très affaibli. Il n’est pas abattu. Il faut apprécier la trêve, et le poids qu’elle nous retire d’une sensation d’impuissance devant le martyre des otages et de leurs familles. La paix, elle, n’est pas encore là, mais au moins a-t-on désormais une possibilité réaliste de l’espérer…
« On va changer totalement le paradigme du ministère de la Justice. Au lieu de mettre l’accusé au centre, nous allons mettre la victime au centre » a affirmé Gérald Darmanin, sur LCI, mardi soir. Le garde des Sceaux a annoncé que les victimes seront désormais « notifiées » quand leur agresseur sort de prison. Cette instruction ministérielle prendra effet dès lundi prochain.
Gérald Darmanin annonce que les victimes seront notifiées lorsque leur agresseur sort de prison. D’abord, on ne dit pas les victimes sont « notifiées », mais il sera notifié aux victimes que. Cet anglicisme est logique : cette idée sort tout droit des séries policières américaines – dans lesquelles est récurrent le scénario où la victime apprend que son violeur/agresseur/tueur de proche sort de prison. Et généralement, il est resté malfaisant – ce qui témoigne d’une faible confiance dans la capacité de l’être humain à changer et dans celle de la Justice à réinsérer après avoir sanctionné.
Une attente légitime
Il est légitime que les victimes puissent suivre le parcours judiciaire du coupable. Et qu’elles puissent être reçues à leur demande par le Parquet, comme l’annonce également le ministre. Beaucoup disent qu’elles n’ont jamais aucune information, que personne ne s’enquiert de leur sort, que la Justice s’intéresse plus au coupable.
C’est possible, et ce n’est pas complètement anormal : le rôle de la Justice, c’est d’abord de sanctionner les coupables. C’est ça, la première réparation. Mais dans un Etat de droit, pour les sanctionner, on doit prouver (enfin normalement), donc les écouter conformément à nos règles fondamentales (contradictoire etc…). Ce qui me gêne, plus que les mesures concrètes satisfaisantes annoncées par le ministre, c’est donc l’emballage philosophique. Tout cela doit conduire, selon M. Darmanin, à mettre la victime, grande oubliée du système, au centre du système judiciaire.
Mais c’est normal, me répliquera-t-on. Non ! Fausse évidence ! C’est comme pour l’enfant au centre du système scolaire – cette philosophie pédagosiste qui a amené beaucoup de catastrophes… C’est une erreur de point de vue. La Justice est rendue au nom du peuple français, pas de la victime. Certes, le déclencheur c’est le préjudice, la souffrance causée. Mais ce n’est pas la victime qui apprécie le tort, fixe et exécute la peine. Un tiers qui est l’État s’interpose entre victime et coupable. Cela distingue la justice de la vengeance.
La mission première de la Justice, c’est d’abord protéger la société ; la réparation vient après. D’ailleurs, l’Etat poursuit même en l’absence de victimes (par exemple, lors d’un attentat raté) ou quand la victime est une personne morale (par exemple, dans le cas d’un abus de bien social).
Effets secondaires
La sacralisation de la victime a des effets délétères sur la société. Victime devient un statut social dont on ne se sort plus, voire un sujet de gloire (on veut les panthéoniser, on admire leur courage…).
Au lieu d’encourager les gens à se relever, on leur serine avec une gourmandise morbide à longueur de journées que leur trauma est irréparable (« votre vie est foutue et votre violeur va sortir… ») N’écoutons plus ces mauvais psychanalystes ! Non, ta vie n’est pas finie parce que tu as été violée. L’encouragement à la plainte engendre une société de plaintifs. Et se plaindre n’a jamais aidé personne.