« On va changer totalement le paradigme du ministère de la Justice. Au lieu de mettre l’accusé au centre, nous allons mettre la victime au centre » a affirmé Gérald Darmanin, sur LCI, mardi soir. Le garde des Sceaux a annoncé que les victimes seront désormais « notifiées » quand leur agresseur sort de prison. Cette instruction ministérielle prendra effet dès lundi prochain.
Gérald Darmanin annonce que les victimes seront notifiées lorsque leur agresseur sort de prison. D’abord, on ne dit pas les victimes sont « notifiées », mais il sera notifié aux victimes que. Cet anglicisme est logique : cette idée sort tout droit des séries policières américaines – dans lesquelles est récurrent le scénario où la victime apprend que son violeur/agresseur/tueur de proche sort de prison. Et généralement, il est resté malfaisant – ce qui témoigne d’une faible confiance dans la capacité de l’être humain à changer et dans celle de la Justice à réinsérer après avoir sanctionné.
Une attente légitime
Il est légitime que les victimes puissent suivre le parcours judiciaire du coupable. Et qu’elles puissent être reçues à leur demande par le Parquet, comme l’annonce également le ministre. Beaucoup disent qu’elles n’ont jamais aucune information, que personne ne s’enquiert de leur sort, que la Justice s’intéresse plus au coupable.
C’est possible, et ce n’est pas complètement anormal : le rôle de la Justice, c’est d’abord de sanctionner les coupables. C’est ça, la première réparation. Mais dans un Etat de droit, pour les sanctionner, on doit prouver (enfin normalement), donc les écouter conformément à nos règles fondamentales (contradictoire etc…). Ce qui me gêne, plus que les mesures concrètes satisfaisantes annoncées par le ministre, c’est donc l’emballage philosophique. Tout cela doit conduire, selon M. Darmanin, à mettre la victime, grande oubliée du système, au centre du système judiciaire.
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Mais c’est normal, me répliquera-t-on. Non ! Fausse évidence ! C’est comme pour l’enfant au centre du système scolaire – cette philosophie pédagosiste qui a amené beaucoup de catastrophes… C’est une erreur de point de vue. La Justice est rendue au nom du peuple français, pas de la victime. Certes, le déclencheur c’est le préjudice, la souffrance causée. Mais ce n’est pas la victime qui apprécie le tort, fixe et exécute la peine. Un tiers qui est l’État s’interpose entre victime et coupable. Cela distingue la justice de la vengeance.
La mission première de la Justice, c’est d’abord protéger la société ; la réparation vient après. D’ailleurs, l’Etat poursuit même en l’absence de victimes (par exemple, lors d’un attentat raté) ou quand la victime est une personne morale (par exemple, dans le cas d’un abus de bien social).
Effets secondaires
La sacralisation de la victime a des effets délétères sur la société. Victime devient un statut social dont on ne se sort plus, voire un sujet de gloire (on veut les panthéoniser, on admire leur courage…).
Au lieu d’encourager les gens à se relever, on leur serine avec une gourmandise morbide à longueur de journées que leur trauma est irréparable (« votre vie est foutue et votre violeur va sortir… ») N’écoutons plus ces mauvais psychanalystes ! Non, ta vie n’est pas finie parce que tu as été violée. L’encouragement à la plainte engendre une société de plaintifs. Et se plaindre n’a jamais aidé personne.
Cette chronique a été diffusée sur Sud Radio
Retrouvez Elisabeth Lévy au micro de Sud Radio.




