Les médias conservateurs sont instamment priés de ne pas trop en faire sur le procès de Dahbia Benkired, l’Algérienne soupçonnée d’avoir torturé, violé puis massacré la petite Lola, retrouvée dans une malle en octobre 2022 dans le nord de Paris. C’est que ce fait divers sinistre pourrait mettre à mal la belle légende des bienfaits de l’idéologie diversitaire.
« Devant la diversité tu te prosterneras ». Mais le premier Commandement du régime et de sa presse ne souffre aucune opinion contraire. Ce dogme, que Nicolas Sarkozy voulut inscrire dans la Constitution en 2008, est donc une escroquerie intellectuelle. Le procès de la meurtrière de Lola, qui reprend ce lundi à Paris, illustre l’usage militant de cette pensée obligée qui empêche toute critique de l’immigration de masse. Parce que l’enfant de 12 ans avait été violée, tuée et dépecée, il y a trois ans, par une Algérienne soumise à une obligation de quitter le territoire français (OQTF), Dahbia Benkired, la presse de gauche avait immédiatement exigé « la décence du silence ».
Le garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti, avait accusé « l’extrême droite » de « se servir du cercueil d’une petite de 12 ans pour en faire un marchepied politique ». France 5 avait commis une émission sur « La fabrique du mensonge » pour instruire un procès en racisme et en xénophobie contre « les charognards » qui faisaient remarquer que l’enfant blond serait toujours en vie si l’OQTF contre ce démon avait été appliquée par les pouvoirs publics. Vendredi, à l’ouverture du procès, le frère de Lola, Thibault, s’est adressé au bourreau aux yeux vides en lui demandant de « dire la vérité pour nous et pour la France », justifiant le refus de sa famille de faire de ce procès un huis-clos. Lola est devenue, n’en déplaise aux censeurs, le symbole de l’injustice d’un système construit sur la préférence étrangère et l’oubli des indigènes. Si l’indignation a été permise pour George Flyod, Adama Traoré ou Nahel, elle a été interdite par les pandores du politiquement correct pour Thomas, Philippine ou Lola. Cette bêtise va cesser.
L’identité malheureuse
La diversité, dans son instrumentalisation, s’est transformée en arme létale contre la transmission de l’identité française. Le 12 octobre, place de la République, une manifestation a rassemblé, sous un flot de drapeaux français, plus d’un millier de personnes répondant à l’initiative des « Patriotes de la diversité », mouvement créé en juin par Henda Ayari, qui combat l’islamisme. Pour m’y être rendu en observateur, j’ai vu une foule paisible, ethniquement bariolée en effet, ne feignant pas son attachement à la France.
Pour autant, la diversité dont se réclame cette organisation entache ses objectifs, en laissant place à une conception multiculturelle de la société, incompatible avec l’assimilation. Dans une République « une et indivisible », la diversité fait courir le risque de sa libanisation.
De surcroit, la sacralisation du concept empêche toute critique du phénomène de substitution de population. Or ce remplacement en cours pourrait faire basculer la nation judéo-chrétienne, avant la fin du siècle, en un territoire à majorité africaine et musulmane. Comme l’écrit Pierre Brochand, ancien patron de la DGSE, dans Le Figaro Magazine, la France ne se sauvera qu’à la condition d’avoir recours à « un radicalisme sans remords » dans la suspension des flux, des naturalisations, des aides, etc. Le cambriolage des bijoux du Louvre, hier matin, symbolise la fragilité de la nation ouverte et désarmée. Le diversitisme est anti-français.
Le 23 octobre, laissez-vous griser par l’élégance des syrahs de Crozes-Hermitage à La Felicità, insolite repaire parisien, où quarante vignerons passionnés feront rimer jeunesse, convivialité et grand vin…
Dans le marasme ambiant, certaines « initiatives citoyennes » nous mettent du baume au cœur et nous laissent entendre que, non, décidément, tout n’est pas foutu en France… Un collectif de « jeunes » a ainsi eu la bonne idée d’aller à contre-courant des préjugés et autres « enquêtes d’opinions » effectuées par des sociologues dépressifs qui n’aiment rien tant que mettre un thermomètre dans le cul des Français pour voir s’ils ont de la température. Ces « jeunes », donc, ont entrepris de démontrer que, contrairement à tous les ragots colportés sur leur compte, ils sont encore nombreux à aimer boire du bon vin, alors que tous les journaux nous assurent que l’effondrement de la consommation de vin est un « phénomène mondial » (comme le disait Depardieu dans le merveilleux film Le Sucre de Jacques Rouffio sorti en 1976). Comme tous les lecteurs de Causeur sont cultivés et attachés aux racines chrétiennes de notre civilisation, je les invite donc à réserver leur jeudi 23 octobre, de 18h à 23h, pour se rendre gratuitement dans un lieu extraordinaire et tout ce qu’il y a de plus insolite : La Felicita, un espace gigantesque situé dans une ancienne gare du 13ème arrondissement de Paris (où est exposée une ancienne Micheline). C’est là que, sur l’invitation de nos « jeunes », une quarantaine de grands vignerons de Crozes-Hermitage viendront présenter et goûter leurs vins : l’occasion, ainsi, de découvrir l’une des appellations les plus dynamiques et sympathiques qui soient, et de faire le plein de cartons en vue des fêtes de fin d’année (les prix proposés étant exceptionnellement et légèrement inférieurs à ceux du commerce habituel).
La Felicita, Paris
Une aubaine
Alors que la plupart des vins de Bourgogne sont devenus aujourd’hui financièrement inatteignables (y compris les Marsannay qu’on pouvait encore se payer l’an dernier), ceux de Crozes-Hermitage forment une aubaine, les prix moyens se situant entre 15 et 25 euros la bouteille (avec, il est vrai, quelques crus d’exception montant jusqu’à 36 ou 40 euros).
Et pour ce qui est du plaisir de boire, la syrah, ici, développe des notes de cassis d’une fraîcheur enthousiasmante, qui nous font oublier le pinot noir de Bourgogne devenu à la longue un peu monotone ! Donc, vous l’avez compris, voici une initiative citoyenne qui va permettre à une appellation encore trop méconnue de conquérir un nouveau public.
À titre personnel, je le confesse, j’entretiens avec ce vignoble une relation affective qui remonte à l’enfance. Dans les années 1970-80, mes parents et moi vivions près de Grenoble. Nous passions nos week-ends et nos vacances dans une antique ferme en pisé située dans « les terres froides » du Dauphiné, non loin de la Drôme. Une fois l’an au moins, nous allions ainsi visiter le palais idéal du facteur Cheval à Hauterives, puis partions acheter nos vins à Crozes-Hermitage, entre l’Isère et le Rhône, car c’était le vignoble le plus proche. Nous allions ensuite acheter notre huile d’olive à Nyons et en profitions pour rendre visite aux artisans du village de Dieulefit, au milieu de paysages somptueux célébrés par Jean Giono. La Drôme, quelle merveille !
Les vins de Crozes-Hermitage, à l’époque, n’avaient pas trop la cote, le rouge était parfois aigrelet, c’est pourquoi nous privilégions le blanc pour accompagner les ravioles de Royan, les fromages de Saint-Marcellin, la truite du Vercors, la frisée aux noix de Grenoble et le gratin dauphinois… mmh !
Yann Chave, adoubé par la laiterie Bayard
Aujourd’hui, les choses ont bien changé et les progrès qualitatifs accomplis par les 170 vignerons de l’appellation (créée en 1937) forcent l’admiration. N’hésitez donc pas à visiter un jour ce vignoble de 2000 hectares (le plus important de toute la Vallée du Rhône après celui de Châteauneuf-du-Pape) dont les principaux villages sont Mercurol, Pont-de-l’Isère et Gervans. Au nord, les côteaux sont escarpés et durs d’accès, au sud, les vignes sont plantées sur un plateau composé de galets-roulés et d’argile rouge. On y produit 90% de rouge à base de syrah, un cépage qui délivre ici des tannins ronds et souples, sur le fruit et la fraîcheur. Le blanc, lui, se compose de roussanne et de marsanne : la première apportant des notes explosives de fleurs blanches, alors que la seconde cisèle le vin par l’amertume et le relief.
De nombreux jeunes vignerons se sont installés à Crozes-Hermitage au cours de ces vingt dernières années et ont décidé de faire leur propre vin plutôt que de le vendre à la cave coopérative de Tain-L’Hermitage qui est d’ailleurs très réputée.
Les trois domaines historiques (les premiers à avoir fait connaître ce vignoble dans le monde) sont ceux d’Alain Graillot (dirigé par son fils Maxime), de Laurent Combier (en bio depuis 1970 !) et de Laurent Fayolle.
J’ai pour ma part une prédilection pour les vins de Yann Chave (notre photo) dont le domaine a été créé en 1996. C’est le regretté caviste de Grenoble, patron de la Laiterie Bayard, François Blanc-Gonnet, qui m’avait fait découvrir ce vigneron passionné. « Être adoubé par François, raconte Yann Chave, était pour moi une consécration, car c’était un connaisseur, quelqu’un qui avait dans sa boutique quantités de trésors… C’est chez lui que j’ai bu et acheté ma première Chartreuse de Taragonne ! »
Yann produit des rouges fantastiques qu’il vous faudra absolument goûter le 23 octobre… « Je veux élaborer des vins frais, concentrés et élégants. Je les élève dans des demi-muids de 600 litres. Toute la difficulté et d’avoir en même temps la maturité des raisins et l’équilibre, c’est-à-dire pas trop de puissance alcoolique. » Mission accomplie !
Avec ce type de vignerons-orfèvres, on se rend compte qu’il vaut mieux boire un très bon Crozes-Hermitage à 25 euros qu’un Cornas ou un Saint-Joseph moyens (qui vont coûter près du double !).
Les très bons rouges ont un potentiel de garde de 10 à 20 ans, un peu poivrés, gorgés de sève et veloutés, il faut les marier avec une épaule d’agneau de la Drôme confite à l’ail et aux herbes ou, pourquoi pas, une belle fricassée de poulet de Bresse aux écrevisses du lac Léman !
Yann produit aussi des vins somptueux sur les appellations Cornas et Hermitage, et là, on entre encore dans une autre dimension… Mais commençons par les Croze !
« Génération Crozes-Hermitage » à La FELICITA Jeudi 23 octobre de 18 à 23h. Parvis Alain Turing 75013 Paris Métro Chevaleret ou Bibliothèque François Mitterrand. Entrée gratuite. Ateliers d’initiation à la dégustation.
Dans la deuxième plus grande ville d’Angleterre, certes peut-être mal gérée par ailleurs, ce sont bien les décisions de justice tatillonnes et aberrantes sur la parité salariale entre hommes et femmes qui ont transformé la mégalopole en décharge à ciel ouvert. Explications.
Le 5 octobre, Le Parisien publie sur YouTube une vidéo intitulée « Faillite de Birmingham : des habitants désemparés et un commissaire aux comptes sans pitié » dans laquelle, après avoir évoqué la faillite en 2023 de la ville insolvable qui croule désormais sous les déchets, le journaliste demande au sujet du berceau de la Révolution industrielle avec plus d’un million d’habitants : « Comment une ville aussi importante que Birmingham a pu en arriver là ? » La question est, effectivement, fort intéressante ; hélas, le moins que l’on puisse dire est que la réponse qui y est apportée par la vidéo est incomplète, tant elle passe à côté de ce que la ville a de révélatrice des conséquences d’un égalitarisme poussé à l’absurde et dont elle est une victime sacrificielle.
Égalité des sexes et banqueroute
Le journaliste continue en expliquant que la ville « a été condamnée à payer près de 800 millions euros d’indemnités pour les milliers de femmes qui étaient employées à des salaires plus bas que leurs homologues masculins ». Il passe tout de suite à autre chose. On n’en saura pas plus… Il y a pourtant lieu de s’attarder un peu sur le développement judiciaire qui a provoqué la faillite de la ville en 2023 : quoi donc, ce bastion du Parti travailliste aurait fait défaut à l’égalité salariale entre les sexes ? Cette place forte de la gauche aurait payé les femmes moins que leurs collègues masculins pour le même travail, et ce à tel point que le redressement des torts était propre à provoquer la banqueroute municipale ? N’est-ce pas incroyable ?… Effectivement. Et serait bien en tort celui qui aurait tiré cette conclusion du résumé lapidaire de l’affaire donné par la vidéo. En un sens, cependant, la vérité de cette affaire est plus incroyable encore.
En 1997, la Cour de justice de l’Union européenne donne raison à une orthophoniste britannique qui s’estime victime de discrimination liée au sexe parce que, appartenant à une profession très largement féminine, elle est moins payée que ses collègues majoritairement masculins en psychologie clinique et en pharmacie ; mais là où l’article 119 du traité de Rome parlait d’égalité salariale à « travail égal », les juges dans leur décision mettent en valeur l’idée de « travail à valeur égale » – la nuance est de taille. L’année suivante, cette même cour déclare qu’une femme ayant subi une discrimination salariale peut récupérer non pas deux mais six ans de salaire, augmentant ainsi l’attrait des procédures judiciaires en ce sens, surtout au Royaume-Uni où la libéralisation judiciaire a créé un juteux marché d’avocats qui, y compris par la publicité télévisée, offrent leurs services à des clients auxquels ils ne facturent rien s’ils ne remportent pas leur procès (« no win, no fee »). Au fil des années, la source ruisselante que firent apparaître les magistrats de la CJUE devient un fleuve qui a vocation à emporter toujours davantage dans son passage.
Quand, en 2012, la Cour suprême du Royaume-Uni autorise 170 travailleuses de Birmingham à poursuivre la ville pour discrimination devant les tribunaux civils plutôt qu’aux prud’hommes (où il y avait prescription) au motif que les femmes de ménage et les cuisinières sont moins bien payées que les éboueurs et les ouvriers routiers (notamment parce que fonctionnant moins aux primes), le fleuve devient un déluge : entre 2012 et 2023, Birmingham se retrouve à devoir payer plus d’un milliard d’euros en compensations financières au titre de l’égalité salariale, avant que la perspective du dit paiement supplémentaire de plus de 800 millions d’euros ne force la ville à déclarer faillite.
(Entre temps, en 2022, Glasgow – ville passée des travaillistes aux nationalistes écossais de gauche dans les années 2010 – a annoncé payer presque 900 millions d’euros au même titre, tandis qu’il y a trois semaines, c’est la municipalité travailliste de Sheffield dans le Yorkshire qui déclarait le paiement à venir de près de 60 millions d’euros. Le secteur privé n’est pas épargné, avec une vague de plaintes qui frappent les chaînes de supermarchés depuis que la Cour suprême a décidé en 2021 que les femmes travaillant dans les magasins Asda pouvaient contester leur salaire moindre vis-à-vis des hommes travaillant dans les hangars des plateformes logistiques, conduisant par exemple la chaîne Next à être condamnée en 2024 parce que leurs employées en magasin étaient payées moins que les manutentionnaires ; la dite chaîne de supermarchés Asda, quant à elle, risque de devoir payer 1,4 milliard d’euros en compensations financières et de voir ses dépenses augmenter de 460 millions d’euros par an pour combler la différence salariale).
Développement jurisprudentiel fou
Frappée par ces dépenses monstrueuses, la ville de Birmingham a bien dû trouver des économies à faire. Or, où mieux faire tomber le couperet que sur les éboueurs, dont les avantages en matière de rémunération avaient concentré les critiques des employées municipales ? Les éboueurs, ne souhaitant bien sûr pas se laisser faire, se sont mis en grève, et la ville est devenue une telle décharge à ciel ouvert qu’en mars, ce sont dix-sept mille tonnes de déchets qui jonchaient les rues, les livrant aux rats et forçant la municipalité à déclarer un « incident majeur » la permettant de mettre en œuvre des moyens supplémentaires pour s’attaquer au problème en concertation avec le gouvernement et les communes environnantes.
Comme en témoigne cependant la vidéo du Parisien, la grève des éboueurs continue de faire ses effets, mais le demi-million de personnes qui l’ont visionnée à ce jour n’en seraient pas plus éclairées sur le fait que les habitants de la ville sont les victimes d’un développement jurisprudentiel dans lequel les magistrats ont décidé que les employeurs devaient désormais payer leurs salariés en fonction non pas des lois du marché, mais d’une estimation d’équivalence de travail entre le ramassage de poubelles et le nettoyage des bureaux, entre l’opération d’un chariot élévateur et le stockage des rayons, entre le goudronnage d’une route et le travail en cuisine, attribuant des « points » à chaque tâche qui, s’ils ne s’additionnent pas pour donner des « valeurs » équivalentes aux postes majoritairement masculins et à ceux à majorité féminine, sont une invitation à la sanction de la part du juge… !
Si vous comparez deux choses qui n’a rien à voir, l’Anglais moyen vous dira que vous « comparez les pommes et les oranges ». Mais le magistrat anglais, qui ne s’embarrasse pas des contraintes du bon sens, s’adonne désormais gaiement avec pour conséquence des centaines de millions d’euros d’amende tantôt pour les entités publiques, tantôt pour les entreprises. Combien de temps avant que la directive européenne sur la transparence salariale, qui s’applique à l’échelle de l’UE à partir de juin 2026, n’ait les mêmes effets ailleurs ?
En octobre 1925, Clemenceau apportait les ultimes corrections à son Démosthène, un ouvrage consacré à l’un des plus grands orateurs de la Grèce antique mais largement autobiographique. Comme les Anciens, le Tigre estimait que la démocratie allait de pair avec l’éloquence. Cent ans plus tard, ses successeurs lui donnent raison.
Le 13 juillet dernier, notre président de la République citait Georges Clemenceau (1841-1929) dans son discours aux armées. On cite Saint-Exupéry quand on ne veut surtout pas faire de politique, et Clemenceau quand on prétend en faire. La phrase du Père la Victoire – « il faut savoir ce que l’on veut ; quand on le sait, il faut avoir le courage de le dire ; quand on le dit, il faut avoir le courage de le faire » – fit l’effet du vivant plaqué sur du mécanique. D’un côté, des mots simples – savoir, vouloir, dire et faire – que seules les circonstances de la vie permettent de comprendre. De l’autre, une langue obscure qui ne parle ni à la raison ni au cœur, avec son fatras d’éléments de langage empilés dans le discours comme des marchandises sur un porte-conteneurs – initier un état des lieux, combler des zones de fragilité, pousser le curseur de l’entraînement des soldats, porter un effort nouveau et historique. Entre la langue du Tigre et celle du syndic de copropriété de la nation-cadre, le contraste est douloureux. Un siècle les sépare. Un monde, surtout.
Il y a exactement cent ans, en octobre 1925, Georges Clemenceau, alors âgé de 84 ans, confiait dans sa correspondance apporter d’ultimes corrections à son Démosthène, petit ouvrage sur l’un des plus grands orateurs de la Grèce antique (384-322 av. J.-C.), héros de l’hellénisme face à Philippe de Macédoine, au temps où, chez les Grecs, la démocratie allait de pair avec l’éloquence. Pour Clemenceau qui fut tour à tour maire, président du conseil municipal, sénateur, député, ministre et président du Conseil, la parole politique est l’art de se donner, un art capable de lutter contre la passivité des peuples qu’il qualifie de « paix des décadences » et de « servitude n’ayant plus l’excuse du collier ». Largement autobiographique, miroir du destin de la France, le Démosthène de Clemenceau eut un succès limité. On lui reprocha sa langue inaccessible, ce à quoi l’auteur répondit : « Si Racine avait lu Cadet-Rousselle tous les jours, il n’aurait jamais fait Iphigénie. » Quant aux Discours de Démosthène, la récente édition des Belles Lettres (2023) les introduit aujourd’hui en posant cette question : où en sommes-nous de la maîtrise d’une parole politique publique élaborée et complexe ?
Où en sommes-nous ? Nous en sommes au discours de rentrée de la ministre de l’Éducation nationale, venue déclarer benoîtement au pupitre de la nation, « j’en suis convaincue, l’avenir d’un pays s’écrit dans les cahiers d’écolier », après avoir égrené le chapelet des produits marketing du moment – assises de la santé scolaire, plan filles et maths, plan avenir, dispositif portable en pause, charte relation école-parents – avec l’impayable intonation de l’élève qui ne comprend rien à ce qu’il lit à voix haute et bute sur les mots. Nous en sommes à « la conviction inarrachable » (sic) de l’ex-Premier ministre, version 2025 de l’éthique de conviction de Max Weber. Nous en sommes aux discours creux, aux nullités oratoires, aux phrases branlantes et aux expressions honteuses des figures politiques de notre temps. De la valetaille semi-analphabète aux prétendus ténors des différents partis, des favelas parlementaires au plus haut sommet de l’État, les smicards de la langue française infligent aux citoyens une langue hideuse, à la fois pauvre et hyperbolique, une langue où la liberté est toujours immense, l’engagement inestimable, le sacrifice ultime, une langue qui traîne derrière elle une foule d’adverbes – totalement, absolument, pleinement, impérativement – dont la mission est de saturer le sens comme on force sur les épices devant un plat insipide. Qu’on se rassure, les figures de style chères à notre patrie littéraire n’ont pas toutes disparu pour autant. Reste l’anaphore du moi ce que je pense, moi ce que je sais, moi ce que je veux, hommage insistant à l’inoubliable «moi président de la République » qui couronna, sinon l’éloquence française du deuxième millénaire, du moins l’humilité socialiste aux élections présidentielles de 2012. Reste surtout ce qu’on nomme la reprise pronominale, cette grammaire (parfois) touchante dont abuse le langage enfantin : « la maîtresse, elle a dit que… » Avouons qu’à distance respectueuse du cours préparatoire, des phrases telles que « le sujet, il est trop important », « le pays, il est au bord de la rupture » ou « le combat du gouvernement, il est sans ambiguïté », sont nettement moins attendrissantes.
Caricature de Georges Clemenceau par André Gill, fin xixe siècle.
« Il faut savoir défendre la République autrement que par des gesticulations, par des vociférations et par des cris inarticulés », lançait Georges Clemenceau aux députés socialistes, en mars 1918. La gauche qu’incarna ce républicain exigeant au verbe acéré et aux phrases subtilement acides fut une gauche radicale, anticléricale, individualiste, anticollectiviste, anticolonialiste, dreyfusarde et patriote, une gauche largement maudite par la gauche (Michel Winock). Sa recommandation n’a pas pris une ride et s’adresse aujourd’hui à l’extrême gauche tribunitienne qui fulmine et hurle, le doigt accusateur pointé vers les « puissants de la terre » (qu’elle se rassure, ils n’habitent pas en France), les « perruqués poudrés » (qu’elle se rassure encore, elle les a refait décapiter aux derniers Jeux olympiques) et la classe médiatique (qu’elle se rassure enfin, pas un média qui ne lui tende le crachoir). Mû par l’éthique d’irresponsabilité, le grand patron des damnés de la terre évoque, la haine aux lèvres, un monde plus beau. Il est ce prophète chiliastique dont parle Max Weber, qui vient prêcher l’amour contre la violence tout en appelant à la violence ultime pour faire advenir une vie meilleure. Ses discours sont une seule et même phrase, interminable, hémorragique, asphyxiante, ponctuée de et… car… parceque, jalonnée de mots pédants pour faire cultivé et haut du panier – nonobstant, pantois, malcontent –, et de grossièretés calibrées pour faire popu et ras les pâquerettes – qu’ils la ferment, les grandes gueules. Sa langue emprunte à la langue du Troisième Reich, étudiée par Victor Klemperer, l’hyperbole, la saturation, l’exclamation, ainsi que la doctrine raciale et démographique : au concept nazi d’« aufnorden » (rendre plus nordique), elle a substitué celui de « créolisation » de la France (rendre moins blanc, paraît-il, selon le contresens consacré).
Revenons à l’automne 1925 et à ce qu’écrit Georges Clemenceau à Marguerite Baldensperger le 2 octobre, au gré de leur correspondance assidue, entre deux remarques sur sa relecture de Démosthène. « J’ai beau vouloir détourner mes pensées de l’universelle décivilisation, j’y reviens malgré moi à toute heure. » Homme de son temps, Clemenceau pensait l’histoire des nations en termes de civilisation et de barbarie. L’expérience lui enseigna que les nations civilisées étaient doublement fragiles : qu’elles étaient faibles face à la fureur d’autres nations, mais qu’elles pouvaient elles-mêmes régresser à un stade moins glorieux des aventures collectives, comme lors des émeutes antijuives d’Alger (1898) qui montrèrent, selon lui, « sous quel mince vernis de civilisation se cache notre barbarie ». Et d’ajouter, pour les citoyens que nous sommes devenus : « cela se passe en territoire français, avec cette inscription aux murs : Liberté, Égalité, Fraternité ». Aujourd’hui, la culture a remplacé la civilisation : il n’y a pas de revers à la médaille culturelle, juste des différences qui doivent aiguiser notre curiosité et émousser notre prudence.
Le langage de nos personnalités politiques est l’expression quotidienne de notre décivilisation contemporaine. Chaque jour, un micro leur est tendu pour déclarer : « La République, c’est que… » L’actuel président de la République a lui-même entériné ce processus de désagrègement de la langue au plus haut niveau, en déclarant, en 2020, « je vous demande un engagement, c’est d’être cool ». Georges Clemenceau n’était pas cool, malgré sa belle maîtrise de la langue anglaise, et il n’hésitait pas à qualifier les anglicismes de barbarismes. Le recul de l’éloquence héritée de la Grèce antique, alliance de la sagesse et de l’art de persuader, de la beauté et de la vérité (Marc Fumaroli) est la traduction de notre recul civilisationnel. On aurait tort, toutefois, de penser ce recul en invoquant la violence des mots : au temps du discours Sur la couronne de Démosthène – long discours de trois heures –, la violence verbale contrainte par les règles de la rhétorique, la beauté de la langue et le souci de vérité, menait l’orateur à traiter son accusateur de déchet de place publique, de pique-assiette et de fils de prostituée. Georges Clemenceau déclarait pour sa part, à la mort de Félix Faure, que cela ne faisait pas un homme de moins en France. L’éloquence française a laissé place à une langue en loques, et la barbarie affleure à nouveau, mais sous un vernis que notre hypocrisie collective a décidé de nommer, non plus civilisation, mais dignité humaine.
À lire
Démosthène, Georges Clemenceau, 1926 (ouvrage non réédité, mais accessible sur le site Gallica de la BNF).
Lettres à une amie (1923-1929), Georges Clemenceau, Gallimard, 1970.
Discours, Démosthène, Pierre Chiron (dir.), Belles Lettres, 2023.
Clemenceau, Michel Winock, Perrin, 2007.
À voir
Clemenceau, la force d’aimer (2022), film de Lorraine Lévy d’après un scénario de Jacques Santamaria et Nathalie Saint-Cricq.
Monsieur Nostalgie nous parle d’un film sorti en mai 1986 qui n’a pas la cote auprès des cinéphiles. Si on loue la version originelle d’ « Un homme et une femme » datant de 1966 et la dernière salve du réalisateur en 2019 avec « Les plus belles années d’une vie », « Un homme et une femme, vingt ans déjà » traine une réputation déplorable. Il est temps de le réhabiliter !
Lelouch ne sait pas couper. Il empile les histoires, les superpose jusqu’à ce que l’édifice devienne complètement instable. De cette instabilité naît une patte originale, bavarde, sentimentale, cascadeuse, brouillonne et attachante. On y adhère ou elle laisse de marbre. Ce garnement insatiable ne sait pas choisir entre une histoire d’amour, d’amitié, un film d’action, un polar ou une trame historique. Alors, magnanime et goinfre, il nous met tout dans la bobine. Il se permet tout ce qui est d’habitude interdit par les guildes qui professent l’austérité et la sécheresse, l’esquisse à la chevauchée fantastique. Lelouch ne sait pas faire dans l’allégé et le digeste ; l’épure le met mal à l’aise. Il ne croit pas aux vertus de l’effleurement des sentiments, il préfère les solidifier quitte à les décortiquer, à les analyser, à les faire tourner en bourrique par la suite. Il a peur d’ennuyer. Cette peur salutaire devrait saisir tous les réalisateurs au moment de dire : Action ! Des gens ont payé leur ticket, ce sera peut-être leur seule sortie du mois ou du trimestre, je me dois de leur offrir l’inattendu et le magique, des girafes et des funambules, des beautés fatales et des sauts de l’ange. Alors a-t-il la main trop lourde ? Parfois, il exagère comme avec cette longue scène d’ouverture divertissante, accidentogène en diable qui ravit les rouleurs de mécanique mais qui peut rebuter l’intellectuel assis. Rétrospectivement, cette scène était suicidaire.
Aujourd’hui, elle serait proscrite. Des députés demanderaient son annulation. On y voit plusieurs voitures de front se frotter, déraper, sauter, s’aimanter, freiner, accélérer, perdre leur pare-chocs et exploser leur pare-brise sur une piste d’essais en Italie bien connue des essayeurs de la presse automobile européenne. Trintignant au volant jubile. Rémy Julienne stoïque a néanmoins l’œil farceur. Ces grands enfants jouent aux autos-tamponneuses, titre d’un charmant roman de Stéphane Hoffmann. Cette scène dure. Elle est un morceau de bravoure, elle esthétise les carrosseries. Lelouch, je le redis ici, est le plus grand cinéaste en termes de perception rendue de la vitesse. Il a été à la meilleure école, celle du service cinématographique des armées au Fort d’Ivry-sur-Seine. Il y a appris le mouvement, la chute, le vertige et cette façon si artistique de coller le frisson à l’image. Vingt ans après « Un homme et une femme », Lelouch reprend ses personnages et déambule dans ses souvenirs. Anne Gauthier (Anouk Aimée) n’est plus scripte mais productrice en mal de succès et Jean-Louis Duroc (Jean-Louis Trintignant) n’est plus pilote de rallye mais il dessine le futur tracé du Paris-Dakar. Leurs enfants ont grandi. Le fils de Jean-Louis s’est marié et a plongé dans le motonautisme. La fille d’Anne est actrice. Charles Gérard téléphone pour connaître les chiffres de la séance du soir dans les cinémas des Champs-Elysées et de banlieue. C’est du Lelouch pur jus, calorique, débordant de la cafetière, avec ses travers ; il filme le film du film dans le film, des histoires entrecroisées, des amours triangulaires, la plage de Deauville au petit matin, la toile de Jouy des chambres du Normandy et la soif dans le désert. On ne sait plus très bien si on regarde un reportage, un thriller, le dénouement ou le renouvellement d’un amour éternel. On s’y perd un peu et c’est très agréable. Un Lelouch aussi touffu vous évite quinze mauvais films d’auteurs et blockbusters fadasses. Ce long-métrage se savoure pour son parfum d’ambiance, celui des années 1980. Il en a toutes les qualités et quelques défauts mineurs. Il est clinquant et pourtant assez fidèle aux hommes de cette décennie pubarde. Il est frimeur et déboussolé. Il est surtout un témoignage extraordinaire sur les passions masculines.
Thierry Sabine ne le verra pas, il meurt dans un accident d’hélicoptère, quatre mois plus tôt. Pour ceux qui l’ont connu, ils le retrouveront à l’identique, jouant son propre rôle, playboy des sables, chef de mission à la barbe claire, agile dans les airs et dans les dunes. Là aussi, la longue séquence tournée en Afrique est visuellement belle et dramatiquement prémonitoire. Dans les années 1980, on ose tout, par ruse, par goût du risque, par éclat. Lelouch embauche PPDA et s’offre des figurants statiques et muets qui s’appellent Gérard Oury et Michèle Morgan. Jean-Claude Brialy fait une apparition furtive dans une salle de cinéma. Jacques Weber, Robert Hossein, Richard Berry et Marie-Sophie L, entre autres, complètent le casting. On ne se refuse rien. La fiction se dissimule derrière la réalité ou n’est-ce pas le contraire ? Á la fin, éberlué, sonné par tant de virevoltes, nous avons un flash. Comment avons-nous pu oublier cet événement sportif existant depuis 1955 qu’étaient les 6 heures motonautiques de Paris ? La municipalité actuelle s’étranglerait d’imaginer ces nuées de bateaux ultra-rapides qui zigzaguaient jadis entre les ponts de la Seine…
Redécouvrir Christine Pawlowska, auteur d’un unique livre
La cohorte étroite des auteurs d’un seul et unique livre m’a toujours fasciné. Ce sont des écrivains trop exigeants. Ils se sont astreints au minimum, pour cultiver une discrétion sublime, qui ajoute à leur talent. Pas question pour eux d’outrager la création artistique : « L’intelligence est la faculté qui fait que l’on s’abstient », comme le disait Montherlant. Publier un livre doit rester, pour ces créateurs de haut standing, un acte exceptionnel, et n’arriver tout au plus qu’une fois dans la vie et sans appel. Ainsi d’Otto Weininger, qui n’a écrit qu’un seul livre en 1903, Sexe et caractère,et s’est suicidé juste après. On comprend dès lors qu’il y avait urgence, et que tout devait être dit en peu de pages et sans retour. C’est du définitif.
Un livre des années 70
Avec le très mince volume de Christine Pawlowska, intitulé Écarlate, qui reparaît aux éditions du Sous-Sol, nous avons affaire à ce phénomène. La jeune Pawlowska, née en 1952, le publie en 1974 au Mercure de France, sous la houlette de Simone Gallimard. Le livre connaît un succès immédiat, et de grands critiques, comme François Nourissier ou Claude Mauriac, y contribuent. Il faut se remettre à l’esprit cette sensibilité de l’époque, les années 70, avec leur propension à croire à la liberté sans limites. On pourra alors saisir dans leur spontanéité magique ces émotions de petite fille amoureuse et y voir un miroir fidèle d’une société très libérale, qui donnait la parole à tous. Bien sûr, ensuite il fallut déchanter. Mais le rêve s’est incarné un instant, comme un Esprit du temps qui aurait soufflé sur les êtres les plus fragiles.
Aimer et ne pas devenir adulte
Pawlowska raconte dans Écarlate son enfance de petite fille modèle de ces années-là. Elle le fait dans un style simple et cru, en décrivant les mouvements secrets de son âme sans fausse pudeur, avec un feu contenu qui ne peut que brûler le lecteur. Il y a d’abord cette solitude viscérale, dans laquelle elle se complaisait. « Toute petite, écrit-elle, j’ai rêvé dans ma solitude des merveilles multicolores. Je parle de ma solitude parce que c’était ce que j’aimais le plus au monde. » Sa solitude est fondatrice, comme le désir de ne plus grandir, de ne jamais devenir adulte. Elle se réfugie dans ses lectures, avec le Caligula de Camus « mort d’avoir voulu la lune », ou encore la Bible que lui a donnée une mère à la fois haïe et adorée. Mais, cela ne suffisant pas : « je me mis à voler des volumes dans la bibliothèque de mes parents et dans celle de ma sœur ». Elle souffre d’insomnie, également. Et puis elle est amoureuse d’une autre petite fille, nommée Melly. « J’avais douze ans quand je connus Melly. » Elle ajoute : « et jamais plus je n’aimerai avec la ferveur, la terrible intensité dont mon amour était alors capable ». On lit ces confessions parfois avec gêne, mais fascination. Qui, devenu adulte, ne se souvient de ces « verts paradis », dont parlait Baudelaire, que les étranges années 70 ont portés à leur paroxysme ?
Au fond, Écarlate met en scène une autre « Zazie dans le métro », au langage certes moins fleuri, mais tout aussi enchanteur que celui de la petite héroïne de Queneau. La découverte de la vie passera, pour Pawlowska, par un autre « moyen de transport souterrain », si je puis dire, celui des expériences tragiques, comme cette tentative de suicide qu’elle nous raconte dans sa banalité navrante : « Mourir. Me suicider. Mais je n’avais pas voulu me tuer. J’avais subi mon suicide comme je subissais mon écœurement. […] Je n’avais pas choisi de mourir. J’avais cédé à la lassitude, à l’étouffement des jours et des jours. » Elle décrit admirablement cette tristesse qui l’étreint, et qui lui restera toute la vie, comme le signe distinctif de son élection.
Le fonds commun des auteurs sans œuvre
En même temps que ce très beau texte de Christine Pawlowska, paraît une biographie que lui a consacrée le journaliste Pierre Boisson. C’est l’ouvrage idéal pour mieux comprendre Écarlate et le génie de l’éphémère qui l’habite. Pierre Boisson a mené une enquête assez poussée sur la vie de Pawlowska. Lui aussi insiste sur le fait qu’elle n’a écrit qu’un seul livre, comme si cette spécificité expliquait la nature même de son projet et sa réussite. Pour l’approfondir et tenter de comprendre, Pierre Boisson établit un intéressant parallèle avec le roman culte de Daniele del Giudice, Le Stade de Wimbledon (1983), consacré à la figure d’un écrivain, Roberto Bazlen, qui, lui, a renoncé à l’écriture et n’a même pas écrit de premier livre. Le Stade de Wimbledon présente l’histoire d’un jeune homme, le narrateur, parcourant au hasard les rues de Trieste, à la recherche des traces perdues de Bazlen. Or, le destin littéraire de Pawlowska repose exactement sur les mêmes prémisses. Comme si, au fondement de l’écriture, ne résidait jamais qu’une seule problématique, que révèlent justement ces écrivains qui n’ont pas ou peu écrit, telle Pawlowska.Le narrateuraboutit finalement au domicile de Ljuba, la compagne de Bazlen. Elle tient à lui offrir un pull-over (pourquoi ?), et lui confie le message suivant : « Il y a un moment dans la vie, où on doit prendre une décision fondamentale. À ce moment-là, les choses changent ou doivent changer, et l’on ne peut plus avancer par ajustements progressifs, automatiques. Voilà : beaucoup de gens, arrivés à ce point, ont fait sa connaissance. Et il les a aidés à changer ou à prendre une décision. Je crois que c’était là sa passion, et son chef-d’œuvre. Rien d’autre. » C’est presque ici une définition par défaut de la littérature, et elle s’applique, comme le sous-entend avec justesse Pierre Boisson, à Christine Pawlowska et à son unique et si frêle ouvrage.
Christine Pawlowska, Écarlate. Préface de Blandine Rinkel. Éd. du Sous-sol, 110 pages.
Chaque semaine, Philippe Lacoche nous donne des nouvelles de Picardie…
L’autre jour, la Sauvageonne et moi avons surpris Yvonne, notre fidèle et bien aimée jument, allongée sur le canapé du salon en train de lire La Jument verte, de Marcel Aymé. J’adore cet écrivain, styliste incomparable, esprit libre et tolérant, conspué par la critique de l’époque qui lui reprocha notamment de ne pas avoir lâché ses amis Céline et Brasillach à la Libération. Nous l’avons donc observée de loin et, finalement, laissée tranquille alors qu’elle savait pertinemment qu’elle n’était pas autorisée à se prélasser sur notre beau fauteuil en cuir beige, héritage des parents de mon adorée ébouriffée. Je savais qu’Yvonne était dotée d’un certain goût pour les bons écrivains, ce depuis qu’elle a fréquenté les cours de l’Ecole normale supérieure des équidés de la rue d’Ulm. Alors, je compris mieux pourquoi, deux semaines plus tôt, elle m’avait fait sourire et ému en racontant comment Roger Vailland, résistant et communiste, compagnon de khâgne de Brasillach, collaborationniste éhonté et écrivain de haut vol, avait conseillé à ce dernier de se planquer. La scène se passait dans une rue du Quartier latin en été 1944 ; l’épuration battait son plein. « A quoi bon ? » eût-il répondu au futur créateur de Drôle de jeu. « Il est déjà trop tard. » Je comprenais mieux également, pourquoi, trois jours plus tôt, elle avait demandé à la Sauvageonne si elle pouvait lui acheter de la Gyraldose qui eût pu, selon ses dires, contribuer à son hygiène intime. Sacrée Yvonne ! Troublant hasard, alors que je fouinais dans la boîte à livres près de La Poste de mon quartier, je tombais sur Les contes bleus du chat perché en édition Folio Junior. Un livre exquis. Je me revoyais devant le clavier de ma machine à écrire, installé dans le salon de la jolie maison de la rue Pierre-Sauvage, à Abbeville, que nous avions achetée Féline, mon ex-épouse, et moi ; je rédigeais un article sur Marcel Aymé – à l’occasion de l’édition de Nouvelles complètes, Quarto Gallimard (2002) – pour Immédiatement, revue d’inspiration bernanosienne, fondée par Luc Richard, à laquelle j’avais le plaisir de collaborer. Nous étions une vingtaine de jeunes Turcs, insolents, fous de littérature, vilipendeurs de l’Europe des marchés ; parmi eux quelques bons amis : Jérôme Leroy, Sébastien Lapaque, Jean-Christophe Buisson… Nous nous retrouvions parfois à Paris pour voyager au bout de la nuit, la tête égayé par les bulles du savoureux champagne Drappier (le préféré du Général ; 100 % pinot noir). Nous refaisions le monde et riions beaucoup ; le monde continua à tourner – mal ! – et nous rîmes un peu moins. Oui, tout cela me revenait ; tout cela grâce à la boîte à livres, ma boîte à souvenirs. Et à Yvonne, notre – presque – jument verte allongée sur le canapé en train de lire Marcel Aymé…
L’exclamation de Mohamed Sifaoui résonne en moi comme un cri. Un cri face au spectacle de la désolation à Gaza, à ce désastre que le Hamas a provoqué.
En frappant Israël, en assassinant plus de 1200 personnes, en capturant 245 otages, les prédateurs djihadistes ont sciemment détruit la Palestine.
Soixante-sept mille morts1. Des milliers de femmes et d’enfants écrasés sous les décombres. Des villes rasées, des familles pulvérisées. Un peuple vivant sous la terreur islamiste, condamné à l’exil ou à la peur.
Tout ça pour ça !
Pour un champ de ruines. Pour un peuple martyrisé deux fois. Par l’ennemi qu’il s’est désigné, et par les maîtres qu’il subit.
Le 7 octobre 2023, le Hamas a cru accomplir l’exploit de l’histoire : infliger à Israël une humiliation absolue. Ce fut, pour quelques heures, la jubilation obscène d’un carnage présenté comme une victoire des opprimés sur leurs oppresseurs.
Mais cette victoire d’un jour fut le tombeau d’une nation en devenir. En une matinée, le Hamas a réduit à néant des décennies d’espoirs fragiles, de soutiens construits à travers le monde, malgré la reconnaissance diplomatique de ce vide qu’est l’Etat de Palestine.
Il a transformé Gaza en cimetière et la cause palestinienne en cause désespérée.
Car les terroristes du Hamas ne libèrent pas, ils sacrifient. Ils ne gouvernent pas, ils endoctrinent. Ils ne construisent pas, ils détruisent.
Mais la tragédie ne s’arrête pas à Gaza. Le 7-octobre a réveillé une autre bête : l’antisémitisme le plus abject.
En frappant Israël, le Hamas a ravivé cette vieille haine qu’on croyait contenue. Il l’a rhabillée du keffieh de la vertu, repeinte aux couleurs du progressisme, rendue fréquentable dans les universités et sur les plateaux télé.
Pour y parvenir, il a trouvé ici, chez nous une armée d’idiots utiles. Ceux qui, au nom de la justice, ont relayé sa propagande, qui ont sciemment confondu anticolonialisme et haine d’Israël, ont transformé la compassion en posture et la morale en arme idéologique.
Les mêmes qui, en prétendant défendre la Palestine, l’ont condamnée une seconde fois en célébrant ceux qui la détruisent, règlent aujourd’hui leurs comptes dans le sang à coup d’exécutions sommaires que d’aucuns trouveront toujours moyen d’expliquer.
Dans son livre, Arthur dit d’une voix douce et sidérée : « Je ne pensais pas me sentir aussi seul après le 7 octobre. »
Cette solitude, tant de Français juifs la partagent aujourd’hui. Elle ne vient pas seulement de l’abominable massacre, mais du silence qui l’a suivi.
Des amitiés effacées. Des indignations sélectives. De ce monde qui, sous prétexte de défendre les Palestiniens, s’est remis à haïr les juifs.
Tout ça pour ça.
Pour que le Hamas détruise la Palestine au nom de sa libération. Pour ressusciter aussi, dans le vacarme des slogans, la haine la plus vieille du monde.
Et pour qu’au bout du compte, des deux côtés du mur, il ne reste que des larmes à sécher.
L’Affranchi, de notre ami Cyril Bennasar, est un roman jubilatoire. L’histoire d’un homme qui refuse de se soumettre à une société de servitudes, du matraquage de l’Urssaf à la propagande immigrationniste en passant par les diktats du néoféminisme. Une liberté de ton et une autodérision rares et savoureuses.
Si tout roman est une variation sur son titre ou son explicitation, L’Affranchi a pour premier mérite le direct, ce dernier mot entendu de façon polysémique, comme on disait à l’université de Vincennes, dans les années 1970, un lieu où l’on pensait encore, et dans une France où le peuple français pouvait encore se dire tel sans nationalisme ni réduction à l’« extrême droite ». L’affranchi dont il sera question ici est un homme qui, soucieux de son indépendance d’esprit, se délivre de ce qui l’entrave tout en continuant à vivre parmi un peuple d’esclaves, ou, si ce mot est trop direct, de citoyens plus ou moins flous, asservis aux mots d’ordre de ce qu’on appelle le Bien mais qui, dans un monde entièrement inversé, est l’exercice même du Mal.
Cyril Bennasar est de la génération qui suit la mienne et celle de son préfacier, Renaud Camus, donc pas tout à fait celle des boomers, comme on nous nomme en ce globish qui, comme les tags, les hijabs, les casquettes à l’envers, les mauvais romans et les « incivilités », est une des plaies du monde contemporain. Dire que Bennasar écrit direct, c’est se référer à la boxe, à ce coup de poing porté à distance dans l’axe direct de l’adversaire. Le direct est donc la caractéristique du style de Bennasar et de son narrateur, Pierre Schwab, qui dresse tout au long de son chemin, comme Stendhal, un miroir qui reflète à la fois son itinéraire et le langage qu’il renvoie à l’ennemi.
Ce dont Pierre Schwab, menuisier de son état, s’affranchit en premier lieu, c’est de l’Urssaf, organisme à connotation soviétique et dont il se résout à être radié pour ne pas faire bénéficier de ses contributions les « remplaçants » privilégiés par le « parti immigrationniste » au pouvoir. « Ce dispositif qui consiste à transférer l’argent de ceux qui se retroussent les manches vers ceux qui tendent la main n’a jamais vraiment eu mon adhésion, mais maintenant que les mains qui se tendent lèvent un poing qui tient un couteau, la solidarité n’aura plus mon agrément », surtout, je cite encore, pour des types débarqués du « bled » en clamant que le hijab est « une tenue française » et Mohamed un prénom bien de chez nous. À ce compte-là, la France ne sera bientôt plus qu’une région de l’Oumma, et le sabir arabo-franco-globish un langage supérieur à la langue de Proust. On est au cœur du problème et l’évoquer, c’est se dresser contre la néo-civilisation selon Netflix, Disney et Arte, Bible chatoyante du monde tel qu’on voudrait qu’il soit mais non tel qu’il est, et que la soumission des masses au Divertissement général accepte sans rechigner.
Être radié de l’Urssaf : un des fils conducteurs de ce roman qui s’ouvre sur un bel hommage à Anne, qui vient de mourir et qui avait révélé au narrateur son pouvoir littéraire, sur Radio libertaire, avant que Schwab en soit exclu pour hérésie antiraciste, les « anars » étant aussi vertueux que les wokistes. Non content d’être un mâle juif, Schwab refuse le monde tel qu’on nous le vante pour mieux lui vendre notre âme, notre civilisation. Ce refus n’est pas une position de belle âme blessée : Schwab le manifeste publiquement en retouchant telle fresque consacrée à un « victime » devenue « iconique » de prétendues violences policières, comme le sont ces épouvantables chanteuses « issues de l’immigration », notamment celle qui, quoique pesant un quintal, s’« approprie » le prénom d’Yseult, tandis que les Blanches cultivent la « laideur pour échapper au diktat du séduisant ou de sexy ». Certaines des actions schwabiennes vont jusqu’à la confrontation directe avec des représentants de l’incivilité « décomplexée », pour reprendre une épithète dont la presse bien-pensante affuble ce qu’elle appelle l’« extrême droite ».
Le plus grand péché de notre narrateur est bien sûr son comportement avec les femmes. Dire qu’il les aime est d’emblée suspect de domination sexiste. Les scènes de sexe, comme on dit au cinéma, sont des plus crues, chacun des deux « partenaires » jouant son rôle, les corps ne pouvant plus tricher, les fantasmes féminins ne se souciant plus de féminisme, ni les masculins de « domination mâle ». Et quand le narrateur déclare : « C’est magique de mettre sa main dans la culotte d’une fille pour la première fois », on est d’autant plus d’accord avec lui qu’il ne fait que citer non pas Miller ou Bukowski mais Mathieu Amalric, dans un film de Desplechin. Amalric, Desplechin : on est bien loin de la « faschospère »… Si on ne peut citer ici sans danger ni éclater de rire devant ce à quoi Schwab voue le personnel politique féminin actuel, on l’écoutera donner la formule de son hétérosexualité : « Le type de relations que je préfère avec les femmes, c’est : Moi Tarzan, toi Jane. » Que les scènes érotiques soient à ce point réussies montre aussi combien Bennasar est dans le vrai – la chose étant bien plus difficile à écrire qu’on ne croit, faites-en l’expérience avec les romanciers contemporains, même les libertins autoproclamés qui semblent, à côté de Bennnasar, des euphémistes qui ont anticipé la domination féministe du monde éditorial et du roman, qu’ils tirent du côté du vertueux, là où Bennasar nous rappelle à l’ordre naturel des choses.
Ainsi, sans militer pour personne, mais refusant la « propagande des immigrationnistes assurée par des LGBT », l’existence de Schwab est celle d’un être libre dans un monde hyperconnecté et en proie à cette servitude non seulement volontaire mais qui cherche son propre néant : l’aveuglement rejoint le consumérisme, l’antiracisme et le néo-féminisme dans le nihilisme du Bien. Évoquer ici Houellebecq serait réduire Schwab à une posture de citoyen un peu lunaire ; plus drôle que déprimé ou acerbe, Schwab est plutôt du côté de Muray, et ce que ce roman révèle ou rappelle, c’est une réalité qu’abhorrent les écrivains auto-émasculés de la « rentrée littéraire » : la vérité sur la France et sur le monde, à travers la vérité sur soi, non pas dans un miroir esthétique où se coiffer à la rebelle, le cou ceint d’un keffieh, mais en se montrant tel qu’on est, avec une autodérision dont les imbéciles font les frais.
Dans La mauvaise joueuse Victor Jestin se glisse dans la peau d’une femme et décrypte les mécanismes de l’addiction. Un roman impossible à lâcher.
Victor Jestin. Retenez bien le nom de cet écrivain. Il ira loin. À trente ans et des poussières, le jeune homme a déjà commis deux romans. Le premier, La chaleur, s’est vu attribué en 2019 le Prix Femina des lycéens. Le second, L’homme qui danse, a confirmé d’indéniables qualités. Un sens du rythme, un univers, une voix. Le troisième, La mauvaise joueuse, séduit par son étrangeté.
Envie irrésistible
Un soir, Maud, la trentaine, un compagnon, un projet de bébé, un métier qui lui plaît, prend sa voiture pour rentrer chez elle. Dans son sac, un portable que lui a confié un collègue de travail et un jeu: Candy Crush. « Il fallait trier des lignes de bonbons pour faire des combinaisons ». Elle tente de penser à autre chose, essaye de résister, puis, malgré elle, commence à jouer jusqu’à ce qu’elle percute quelque chose. Une personne ? Un animal ? Elle l’ignore mais paniquée prend la fuite. Commence alors une longue errance pavée de tentations pour celle qui vient de rechuter dans une très vieille addiction: le jeu. Petite déjà Maud jouait. Rien d’inquiétant chez une enfant. Le contraire l’eût été. Personne n’imagine donc que les choses pourraient mal tourner. Surtout pas le père, joueur à ses heures. Les chiens ne font pas des chats. Maud pousse la porte d’un bowling, s’intègre dans un groupe. « J’enchaînais les strikes. J’avais le geste et la confiance. J’étais bien. Tout allait bien ». Jusqu’à ce qu’elle perde. Hurlement. Sidération des autres joueurs. Puis il y aura le flipper, les fléchettes, les échecs et le reste. A chaque fois le même scénario se répète. L’envie irrépressible. La volonté de ne pas céder qui vole en éclat. L’excitation à son comble. Le désir de gagner à tout prix. Puis, quelle que soit l’issue du jeu, le sentiment de souillure et de honte jusqu’à la prochaine fois. Pour la narratrice, jeune femme mal dans sa peau, jouer revient à faire taire ses démons le temps d’une partie. Sentiment de puissance temporaire qui n’est pas sans rappeler le temps béni de l’enfance. « L’enfant qui joue habite une aire qu’il quitte avec difficulté » rappelle le psychanalyste Donald Winnicott en exergue du livre. Pour Maud rien n’a changé.
Folie
Victor Jestin, avec une justesse qui permet de penser qu’il a lui-même été confronté au problème, raconte à la première personne l’enfer de l’addiction. Une addiction d’autant plus sournoise qu’elle est sous-estimée. L’on souligne volontiers les ravages des jeux d’argent ou des jeux vidéo, beaucoup moins ceux du Monopoly ou du tir à la carabine. C’est pourtant un même processus qui est à l’œuvre et que l’écrivain décrypte à la perfection. De son écriture précise, quasi-chirurgicale, il brosse le portrait d’une jeune femme à la lisière de la folie dans laquelle elle ne verse pourtant jamais. C’est la grande force de ce roman que de se tenir sur la ligne de crête. Maud est une jeune femme comme les autres ou presque. Et ce presque tient le lecteur en haleine pensant 150 pages. Haletant, troublant, Mauvaise joueuse est un roman dérangeant. Et de fait addictif !
Les médias conservateurs sont instamment priés de ne pas trop en faire sur le procès de Dahbia Benkired, l’Algérienne soupçonnée d’avoir torturé, violé puis massacré la petite Lola, retrouvée dans une malle en octobre 2022 dans le nord de Paris. C’est que ce fait divers sinistre pourrait mettre à mal la belle légende des bienfaits de l’idéologie diversitaire.
« Devant la diversité tu te prosterneras ». Mais le premier Commandement du régime et de sa presse ne souffre aucune opinion contraire. Ce dogme, que Nicolas Sarkozy voulut inscrire dans la Constitution en 2008, est donc une escroquerie intellectuelle. Le procès de la meurtrière de Lola, qui reprend ce lundi à Paris, illustre l’usage militant de cette pensée obligée qui empêche toute critique de l’immigration de masse. Parce que l’enfant de 12 ans avait été violée, tuée et dépecée, il y a trois ans, par une Algérienne soumise à une obligation de quitter le territoire français (OQTF), Dahbia Benkired, la presse de gauche avait immédiatement exigé « la décence du silence ».
Le garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti, avait accusé « l’extrême droite » de « se servir du cercueil d’une petite de 12 ans pour en faire un marchepied politique ». France 5 avait commis une émission sur « La fabrique du mensonge » pour instruire un procès en racisme et en xénophobie contre « les charognards » qui faisaient remarquer que l’enfant blond serait toujours en vie si l’OQTF contre ce démon avait été appliquée par les pouvoirs publics. Vendredi, à l’ouverture du procès, le frère de Lola, Thibault, s’est adressé au bourreau aux yeux vides en lui demandant de « dire la vérité pour nous et pour la France », justifiant le refus de sa famille de faire de ce procès un huis-clos. Lola est devenue, n’en déplaise aux censeurs, le symbole de l’injustice d’un système construit sur la préférence étrangère et l’oubli des indigènes. Si l’indignation a été permise pour George Flyod, Adama Traoré ou Nahel, elle a été interdite par les pandores du politiquement correct pour Thomas, Philippine ou Lola. Cette bêtise va cesser.
L’identité malheureuse
La diversité, dans son instrumentalisation, s’est transformée en arme létale contre la transmission de l’identité française. Le 12 octobre, place de la République, une manifestation a rassemblé, sous un flot de drapeaux français, plus d’un millier de personnes répondant à l’initiative des « Patriotes de la diversité », mouvement créé en juin par Henda Ayari, qui combat l’islamisme. Pour m’y être rendu en observateur, j’ai vu une foule paisible, ethniquement bariolée en effet, ne feignant pas son attachement à la France.
Pour autant, la diversité dont se réclame cette organisation entache ses objectifs, en laissant place à une conception multiculturelle de la société, incompatible avec l’assimilation. Dans une République « une et indivisible », la diversité fait courir le risque de sa libanisation.
De surcroit, la sacralisation du concept empêche toute critique du phénomène de substitution de population. Or ce remplacement en cours pourrait faire basculer la nation judéo-chrétienne, avant la fin du siècle, en un territoire à majorité africaine et musulmane. Comme l’écrit Pierre Brochand, ancien patron de la DGSE, dans Le Figaro Magazine, la France ne se sauvera qu’à la condition d’avoir recours à « un radicalisme sans remords » dans la suspension des flux, des naturalisations, des aides, etc. Le cambriolage des bijoux du Louvre, hier matin, symbolise la fragilité de la nation ouverte et désarmée. Le diversitisme est anti-français.
Le 23 octobre, laissez-vous griser par l’élégance des syrahs de Crozes-Hermitage à La Felicità, insolite repaire parisien, où quarante vignerons passionnés feront rimer jeunesse, convivialité et grand vin…
Dans le marasme ambiant, certaines « initiatives citoyennes » nous mettent du baume au cœur et nous laissent entendre que, non, décidément, tout n’est pas foutu en France… Un collectif de « jeunes » a ainsi eu la bonne idée d’aller à contre-courant des préjugés et autres « enquêtes d’opinions » effectuées par des sociologues dépressifs qui n’aiment rien tant que mettre un thermomètre dans le cul des Français pour voir s’ils ont de la température. Ces « jeunes », donc, ont entrepris de démontrer que, contrairement à tous les ragots colportés sur leur compte, ils sont encore nombreux à aimer boire du bon vin, alors que tous les journaux nous assurent que l’effondrement de la consommation de vin est un « phénomène mondial » (comme le disait Depardieu dans le merveilleux film Le Sucre de Jacques Rouffio sorti en 1976). Comme tous les lecteurs de Causeur sont cultivés et attachés aux racines chrétiennes de notre civilisation, je les invite donc à réserver leur jeudi 23 octobre, de 18h à 23h, pour se rendre gratuitement dans un lieu extraordinaire et tout ce qu’il y a de plus insolite : La Felicita, un espace gigantesque situé dans une ancienne gare du 13ème arrondissement de Paris (où est exposée une ancienne Micheline). C’est là que, sur l’invitation de nos « jeunes », une quarantaine de grands vignerons de Crozes-Hermitage viendront présenter et goûter leurs vins : l’occasion, ainsi, de découvrir l’une des appellations les plus dynamiques et sympathiques qui soient, et de faire le plein de cartons en vue des fêtes de fin d’année (les prix proposés étant exceptionnellement et légèrement inférieurs à ceux du commerce habituel).
La Felicita, Paris
Une aubaine
Alors que la plupart des vins de Bourgogne sont devenus aujourd’hui financièrement inatteignables (y compris les Marsannay qu’on pouvait encore se payer l’an dernier), ceux de Crozes-Hermitage forment une aubaine, les prix moyens se situant entre 15 et 25 euros la bouteille (avec, il est vrai, quelques crus d’exception montant jusqu’à 36 ou 40 euros).
Et pour ce qui est du plaisir de boire, la syrah, ici, développe des notes de cassis d’une fraîcheur enthousiasmante, qui nous font oublier le pinot noir de Bourgogne devenu à la longue un peu monotone ! Donc, vous l’avez compris, voici une initiative citoyenne qui va permettre à une appellation encore trop méconnue de conquérir un nouveau public.
À titre personnel, je le confesse, j’entretiens avec ce vignoble une relation affective qui remonte à l’enfance. Dans les années 1970-80, mes parents et moi vivions près de Grenoble. Nous passions nos week-ends et nos vacances dans une antique ferme en pisé située dans « les terres froides » du Dauphiné, non loin de la Drôme. Une fois l’an au moins, nous allions ainsi visiter le palais idéal du facteur Cheval à Hauterives, puis partions acheter nos vins à Crozes-Hermitage, entre l’Isère et le Rhône, car c’était le vignoble le plus proche. Nous allions ensuite acheter notre huile d’olive à Nyons et en profitions pour rendre visite aux artisans du village de Dieulefit, au milieu de paysages somptueux célébrés par Jean Giono. La Drôme, quelle merveille !
Les vins de Crozes-Hermitage, à l’époque, n’avaient pas trop la cote, le rouge était parfois aigrelet, c’est pourquoi nous privilégions le blanc pour accompagner les ravioles de Royan, les fromages de Saint-Marcellin, la truite du Vercors, la frisée aux noix de Grenoble et le gratin dauphinois… mmh !
Yann Chave, adoubé par la laiterie Bayard
Aujourd’hui, les choses ont bien changé et les progrès qualitatifs accomplis par les 170 vignerons de l’appellation (créée en 1937) forcent l’admiration. N’hésitez donc pas à visiter un jour ce vignoble de 2000 hectares (le plus important de toute la Vallée du Rhône après celui de Châteauneuf-du-Pape) dont les principaux villages sont Mercurol, Pont-de-l’Isère et Gervans. Au nord, les côteaux sont escarpés et durs d’accès, au sud, les vignes sont plantées sur un plateau composé de galets-roulés et d’argile rouge. On y produit 90% de rouge à base de syrah, un cépage qui délivre ici des tannins ronds et souples, sur le fruit et la fraîcheur. Le blanc, lui, se compose de roussanne et de marsanne : la première apportant des notes explosives de fleurs blanches, alors que la seconde cisèle le vin par l’amertume et le relief.
De nombreux jeunes vignerons se sont installés à Crozes-Hermitage au cours de ces vingt dernières années et ont décidé de faire leur propre vin plutôt que de le vendre à la cave coopérative de Tain-L’Hermitage qui est d’ailleurs très réputée.
Les trois domaines historiques (les premiers à avoir fait connaître ce vignoble dans le monde) sont ceux d’Alain Graillot (dirigé par son fils Maxime), de Laurent Combier (en bio depuis 1970 !) et de Laurent Fayolle.
J’ai pour ma part une prédilection pour les vins de Yann Chave (notre photo) dont le domaine a été créé en 1996. C’est le regretté caviste de Grenoble, patron de la Laiterie Bayard, François Blanc-Gonnet, qui m’avait fait découvrir ce vigneron passionné. « Être adoubé par François, raconte Yann Chave, était pour moi une consécration, car c’était un connaisseur, quelqu’un qui avait dans sa boutique quantités de trésors… C’est chez lui que j’ai bu et acheté ma première Chartreuse de Taragonne ! »
Yann produit des rouges fantastiques qu’il vous faudra absolument goûter le 23 octobre… « Je veux élaborer des vins frais, concentrés et élégants. Je les élève dans des demi-muids de 600 litres. Toute la difficulté et d’avoir en même temps la maturité des raisins et l’équilibre, c’est-à-dire pas trop de puissance alcoolique. » Mission accomplie !
Avec ce type de vignerons-orfèvres, on se rend compte qu’il vaut mieux boire un très bon Crozes-Hermitage à 25 euros qu’un Cornas ou un Saint-Joseph moyens (qui vont coûter près du double !).
Les très bons rouges ont un potentiel de garde de 10 à 20 ans, un peu poivrés, gorgés de sève et veloutés, il faut les marier avec une épaule d’agneau de la Drôme confite à l’ail et aux herbes ou, pourquoi pas, une belle fricassée de poulet de Bresse aux écrevisses du lac Léman !
Yann produit aussi des vins somptueux sur les appellations Cornas et Hermitage, et là, on entre encore dans une autre dimension… Mais commençons par les Croze !
« Génération Crozes-Hermitage » à La FELICITA Jeudi 23 octobre de 18 à 23h. Parvis Alain Turing 75013 Paris Métro Chevaleret ou Bibliothèque François Mitterrand. Entrée gratuite. Ateliers d’initiation à la dégustation.
Dans la deuxième plus grande ville d’Angleterre, certes peut-être mal gérée par ailleurs, ce sont bien les décisions de justice tatillonnes et aberrantes sur la parité salariale entre hommes et femmes qui ont transformé la mégalopole en décharge à ciel ouvert. Explications.
Le 5 octobre, Le Parisien publie sur YouTube une vidéo intitulée « Faillite de Birmingham : des habitants désemparés et un commissaire aux comptes sans pitié » dans laquelle, après avoir évoqué la faillite en 2023 de la ville insolvable qui croule désormais sous les déchets, le journaliste demande au sujet du berceau de la Révolution industrielle avec plus d’un million d’habitants : « Comment une ville aussi importante que Birmingham a pu en arriver là ? » La question est, effectivement, fort intéressante ; hélas, le moins que l’on puisse dire est que la réponse qui y est apportée par la vidéo est incomplète, tant elle passe à côté de ce que la ville a de révélatrice des conséquences d’un égalitarisme poussé à l’absurde et dont elle est une victime sacrificielle.
Égalité des sexes et banqueroute
Le journaliste continue en expliquant que la ville « a été condamnée à payer près de 800 millions euros d’indemnités pour les milliers de femmes qui étaient employées à des salaires plus bas que leurs homologues masculins ». Il passe tout de suite à autre chose. On n’en saura pas plus… Il y a pourtant lieu de s’attarder un peu sur le développement judiciaire qui a provoqué la faillite de la ville en 2023 : quoi donc, ce bastion du Parti travailliste aurait fait défaut à l’égalité salariale entre les sexes ? Cette place forte de la gauche aurait payé les femmes moins que leurs collègues masculins pour le même travail, et ce à tel point que le redressement des torts était propre à provoquer la banqueroute municipale ? N’est-ce pas incroyable ?… Effectivement. Et serait bien en tort celui qui aurait tiré cette conclusion du résumé lapidaire de l’affaire donné par la vidéo. En un sens, cependant, la vérité de cette affaire est plus incroyable encore.
En 1997, la Cour de justice de l’Union européenne donne raison à une orthophoniste britannique qui s’estime victime de discrimination liée au sexe parce que, appartenant à une profession très largement féminine, elle est moins payée que ses collègues majoritairement masculins en psychologie clinique et en pharmacie ; mais là où l’article 119 du traité de Rome parlait d’égalité salariale à « travail égal », les juges dans leur décision mettent en valeur l’idée de « travail à valeur égale » – la nuance est de taille. L’année suivante, cette même cour déclare qu’une femme ayant subi une discrimination salariale peut récupérer non pas deux mais six ans de salaire, augmentant ainsi l’attrait des procédures judiciaires en ce sens, surtout au Royaume-Uni où la libéralisation judiciaire a créé un juteux marché d’avocats qui, y compris par la publicité télévisée, offrent leurs services à des clients auxquels ils ne facturent rien s’ils ne remportent pas leur procès (« no win, no fee »). Au fil des années, la source ruisselante que firent apparaître les magistrats de la CJUE devient un fleuve qui a vocation à emporter toujours davantage dans son passage.
Quand, en 2012, la Cour suprême du Royaume-Uni autorise 170 travailleuses de Birmingham à poursuivre la ville pour discrimination devant les tribunaux civils plutôt qu’aux prud’hommes (où il y avait prescription) au motif que les femmes de ménage et les cuisinières sont moins bien payées que les éboueurs et les ouvriers routiers (notamment parce que fonctionnant moins aux primes), le fleuve devient un déluge : entre 2012 et 2023, Birmingham se retrouve à devoir payer plus d’un milliard d’euros en compensations financières au titre de l’égalité salariale, avant que la perspective du dit paiement supplémentaire de plus de 800 millions d’euros ne force la ville à déclarer faillite.
(Entre temps, en 2022, Glasgow – ville passée des travaillistes aux nationalistes écossais de gauche dans les années 2010 – a annoncé payer presque 900 millions d’euros au même titre, tandis qu’il y a trois semaines, c’est la municipalité travailliste de Sheffield dans le Yorkshire qui déclarait le paiement à venir de près de 60 millions d’euros. Le secteur privé n’est pas épargné, avec une vague de plaintes qui frappent les chaînes de supermarchés depuis que la Cour suprême a décidé en 2021 que les femmes travaillant dans les magasins Asda pouvaient contester leur salaire moindre vis-à-vis des hommes travaillant dans les hangars des plateformes logistiques, conduisant par exemple la chaîne Next à être condamnée en 2024 parce que leurs employées en magasin étaient payées moins que les manutentionnaires ; la dite chaîne de supermarchés Asda, quant à elle, risque de devoir payer 1,4 milliard d’euros en compensations financières et de voir ses dépenses augmenter de 460 millions d’euros par an pour combler la différence salariale).
Développement jurisprudentiel fou
Frappée par ces dépenses monstrueuses, la ville de Birmingham a bien dû trouver des économies à faire. Or, où mieux faire tomber le couperet que sur les éboueurs, dont les avantages en matière de rémunération avaient concentré les critiques des employées municipales ? Les éboueurs, ne souhaitant bien sûr pas se laisser faire, se sont mis en grève, et la ville est devenue une telle décharge à ciel ouvert qu’en mars, ce sont dix-sept mille tonnes de déchets qui jonchaient les rues, les livrant aux rats et forçant la municipalité à déclarer un « incident majeur » la permettant de mettre en œuvre des moyens supplémentaires pour s’attaquer au problème en concertation avec le gouvernement et les communes environnantes.
Comme en témoigne cependant la vidéo du Parisien, la grève des éboueurs continue de faire ses effets, mais le demi-million de personnes qui l’ont visionnée à ce jour n’en seraient pas plus éclairées sur le fait que les habitants de la ville sont les victimes d’un développement jurisprudentiel dans lequel les magistrats ont décidé que les employeurs devaient désormais payer leurs salariés en fonction non pas des lois du marché, mais d’une estimation d’équivalence de travail entre le ramassage de poubelles et le nettoyage des bureaux, entre l’opération d’un chariot élévateur et le stockage des rayons, entre le goudronnage d’une route et le travail en cuisine, attribuant des « points » à chaque tâche qui, s’ils ne s’additionnent pas pour donner des « valeurs » équivalentes aux postes majoritairement masculins et à ceux à majorité féminine, sont une invitation à la sanction de la part du juge… !
Si vous comparez deux choses qui n’a rien à voir, l’Anglais moyen vous dira que vous « comparez les pommes et les oranges ». Mais le magistrat anglais, qui ne s’embarrasse pas des contraintes du bon sens, s’adonne désormais gaiement avec pour conséquence des centaines de millions d’euros d’amende tantôt pour les entités publiques, tantôt pour les entreprises. Combien de temps avant que la directive européenne sur la transparence salariale, qui s’applique à l’échelle de l’UE à partir de juin 2026, n’ait les mêmes effets ailleurs ?
En octobre 1925, Clemenceau apportait les ultimes corrections à son Démosthène, un ouvrage consacré à l’un des plus grands orateurs de la Grèce antique mais largement autobiographique. Comme les Anciens, le Tigre estimait que la démocratie allait de pair avec l’éloquence. Cent ans plus tard, ses successeurs lui donnent raison.
Le 13 juillet dernier, notre président de la République citait Georges Clemenceau (1841-1929) dans son discours aux armées. On cite Saint-Exupéry quand on ne veut surtout pas faire de politique, et Clemenceau quand on prétend en faire. La phrase du Père la Victoire – « il faut savoir ce que l’on veut ; quand on le sait, il faut avoir le courage de le dire ; quand on le dit, il faut avoir le courage de le faire » – fit l’effet du vivant plaqué sur du mécanique. D’un côté, des mots simples – savoir, vouloir, dire et faire – que seules les circonstances de la vie permettent de comprendre. De l’autre, une langue obscure qui ne parle ni à la raison ni au cœur, avec son fatras d’éléments de langage empilés dans le discours comme des marchandises sur un porte-conteneurs – initier un état des lieux, combler des zones de fragilité, pousser le curseur de l’entraînement des soldats, porter un effort nouveau et historique. Entre la langue du Tigre et celle du syndic de copropriété de la nation-cadre, le contraste est douloureux. Un siècle les sépare. Un monde, surtout.
Il y a exactement cent ans, en octobre 1925, Georges Clemenceau, alors âgé de 84 ans, confiait dans sa correspondance apporter d’ultimes corrections à son Démosthène, petit ouvrage sur l’un des plus grands orateurs de la Grèce antique (384-322 av. J.-C.), héros de l’hellénisme face à Philippe de Macédoine, au temps où, chez les Grecs, la démocratie allait de pair avec l’éloquence. Pour Clemenceau qui fut tour à tour maire, président du conseil municipal, sénateur, député, ministre et président du Conseil, la parole politique est l’art de se donner, un art capable de lutter contre la passivité des peuples qu’il qualifie de « paix des décadences » et de « servitude n’ayant plus l’excuse du collier ». Largement autobiographique, miroir du destin de la France, le Démosthène de Clemenceau eut un succès limité. On lui reprocha sa langue inaccessible, ce à quoi l’auteur répondit : « Si Racine avait lu Cadet-Rousselle tous les jours, il n’aurait jamais fait Iphigénie. » Quant aux Discours de Démosthène, la récente édition des Belles Lettres (2023) les introduit aujourd’hui en posant cette question : où en sommes-nous de la maîtrise d’une parole politique publique élaborée et complexe ?
Où en sommes-nous ? Nous en sommes au discours de rentrée de la ministre de l’Éducation nationale, venue déclarer benoîtement au pupitre de la nation, « j’en suis convaincue, l’avenir d’un pays s’écrit dans les cahiers d’écolier », après avoir égrené le chapelet des produits marketing du moment – assises de la santé scolaire, plan filles et maths, plan avenir, dispositif portable en pause, charte relation école-parents – avec l’impayable intonation de l’élève qui ne comprend rien à ce qu’il lit à voix haute et bute sur les mots. Nous en sommes à « la conviction inarrachable » (sic) de l’ex-Premier ministre, version 2025 de l’éthique de conviction de Max Weber. Nous en sommes aux discours creux, aux nullités oratoires, aux phrases branlantes et aux expressions honteuses des figures politiques de notre temps. De la valetaille semi-analphabète aux prétendus ténors des différents partis, des favelas parlementaires au plus haut sommet de l’État, les smicards de la langue française infligent aux citoyens une langue hideuse, à la fois pauvre et hyperbolique, une langue où la liberté est toujours immense, l’engagement inestimable, le sacrifice ultime, une langue qui traîne derrière elle une foule d’adverbes – totalement, absolument, pleinement, impérativement – dont la mission est de saturer le sens comme on force sur les épices devant un plat insipide. Qu’on se rassure, les figures de style chères à notre patrie littéraire n’ont pas toutes disparu pour autant. Reste l’anaphore du moi ce que je pense, moi ce que je sais, moi ce que je veux, hommage insistant à l’inoubliable «moi président de la République » qui couronna, sinon l’éloquence française du deuxième millénaire, du moins l’humilité socialiste aux élections présidentielles de 2012. Reste surtout ce qu’on nomme la reprise pronominale, cette grammaire (parfois) touchante dont abuse le langage enfantin : « la maîtresse, elle a dit que… » Avouons qu’à distance respectueuse du cours préparatoire, des phrases telles que « le sujet, il est trop important », « le pays, il est au bord de la rupture » ou « le combat du gouvernement, il est sans ambiguïté », sont nettement moins attendrissantes.
Caricature de Georges Clemenceau par André Gill, fin xixe siècle.
« Il faut savoir défendre la République autrement que par des gesticulations, par des vociférations et par des cris inarticulés », lançait Georges Clemenceau aux députés socialistes, en mars 1918. La gauche qu’incarna ce républicain exigeant au verbe acéré et aux phrases subtilement acides fut une gauche radicale, anticléricale, individualiste, anticollectiviste, anticolonialiste, dreyfusarde et patriote, une gauche largement maudite par la gauche (Michel Winock). Sa recommandation n’a pas pris une ride et s’adresse aujourd’hui à l’extrême gauche tribunitienne qui fulmine et hurle, le doigt accusateur pointé vers les « puissants de la terre » (qu’elle se rassure, ils n’habitent pas en France), les « perruqués poudrés » (qu’elle se rassure encore, elle les a refait décapiter aux derniers Jeux olympiques) et la classe médiatique (qu’elle se rassure enfin, pas un média qui ne lui tende le crachoir). Mû par l’éthique d’irresponsabilité, le grand patron des damnés de la terre évoque, la haine aux lèvres, un monde plus beau. Il est ce prophète chiliastique dont parle Max Weber, qui vient prêcher l’amour contre la violence tout en appelant à la violence ultime pour faire advenir une vie meilleure. Ses discours sont une seule et même phrase, interminable, hémorragique, asphyxiante, ponctuée de et… car… parceque, jalonnée de mots pédants pour faire cultivé et haut du panier – nonobstant, pantois, malcontent –, et de grossièretés calibrées pour faire popu et ras les pâquerettes – qu’ils la ferment, les grandes gueules. Sa langue emprunte à la langue du Troisième Reich, étudiée par Victor Klemperer, l’hyperbole, la saturation, l’exclamation, ainsi que la doctrine raciale et démographique : au concept nazi d’« aufnorden » (rendre plus nordique), elle a substitué celui de « créolisation » de la France (rendre moins blanc, paraît-il, selon le contresens consacré).
Revenons à l’automne 1925 et à ce qu’écrit Georges Clemenceau à Marguerite Baldensperger le 2 octobre, au gré de leur correspondance assidue, entre deux remarques sur sa relecture de Démosthène. « J’ai beau vouloir détourner mes pensées de l’universelle décivilisation, j’y reviens malgré moi à toute heure. » Homme de son temps, Clemenceau pensait l’histoire des nations en termes de civilisation et de barbarie. L’expérience lui enseigna que les nations civilisées étaient doublement fragiles : qu’elles étaient faibles face à la fureur d’autres nations, mais qu’elles pouvaient elles-mêmes régresser à un stade moins glorieux des aventures collectives, comme lors des émeutes antijuives d’Alger (1898) qui montrèrent, selon lui, « sous quel mince vernis de civilisation se cache notre barbarie ». Et d’ajouter, pour les citoyens que nous sommes devenus : « cela se passe en territoire français, avec cette inscription aux murs : Liberté, Égalité, Fraternité ». Aujourd’hui, la culture a remplacé la civilisation : il n’y a pas de revers à la médaille culturelle, juste des différences qui doivent aiguiser notre curiosité et émousser notre prudence.
Le langage de nos personnalités politiques est l’expression quotidienne de notre décivilisation contemporaine. Chaque jour, un micro leur est tendu pour déclarer : « La République, c’est que… » L’actuel président de la République a lui-même entériné ce processus de désagrègement de la langue au plus haut niveau, en déclarant, en 2020, « je vous demande un engagement, c’est d’être cool ». Georges Clemenceau n’était pas cool, malgré sa belle maîtrise de la langue anglaise, et il n’hésitait pas à qualifier les anglicismes de barbarismes. Le recul de l’éloquence héritée de la Grèce antique, alliance de la sagesse et de l’art de persuader, de la beauté et de la vérité (Marc Fumaroli) est la traduction de notre recul civilisationnel. On aurait tort, toutefois, de penser ce recul en invoquant la violence des mots : au temps du discours Sur la couronne de Démosthène – long discours de trois heures –, la violence verbale contrainte par les règles de la rhétorique, la beauté de la langue et le souci de vérité, menait l’orateur à traiter son accusateur de déchet de place publique, de pique-assiette et de fils de prostituée. Georges Clemenceau déclarait pour sa part, à la mort de Félix Faure, que cela ne faisait pas un homme de moins en France. L’éloquence française a laissé place à une langue en loques, et la barbarie affleure à nouveau, mais sous un vernis que notre hypocrisie collective a décidé de nommer, non plus civilisation, mais dignité humaine.
À lire
Démosthène, Georges Clemenceau, 1926 (ouvrage non réédité, mais accessible sur le site Gallica de la BNF).
Lettres à une amie (1923-1929), Georges Clemenceau, Gallimard, 1970.
Discours, Démosthène, Pierre Chiron (dir.), Belles Lettres, 2023.
"Un homme et une femme : Vingt ans déjà" de Claude Lelouch, 1986. DR.
Monsieur Nostalgie nous parle d’un film sorti en mai 1986 qui n’a pas la cote auprès des cinéphiles. Si on loue la version originelle d’ « Un homme et une femme » datant de 1966 et la dernière salve du réalisateur en 2019 avec « Les plus belles années d’une vie », « Un homme et une femme, vingt ans déjà » traine une réputation déplorable. Il est temps de le réhabiliter !
Lelouch ne sait pas couper. Il empile les histoires, les superpose jusqu’à ce que l’édifice devienne complètement instable. De cette instabilité naît une patte originale, bavarde, sentimentale, cascadeuse, brouillonne et attachante. On y adhère ou elle laisse de marbre. Ce garnement insatiable ne sait pas choisir entre une histoire d’amour, d’amitié, un film d’action, un polar ou une trame historique. Alors, magnanime et goinfre, il nous met tout dans la bobine. Il se permet tout ce qui est d’habitude interdit par les guildes qui professent l’austérité et la sécheresse, l’esquisse à la chevauchée fantastique. Lelouch ne sait pas faire dans l’allégé et le digeste ; l’épure le met mal à l’aise. Il ne croit pas aux vertus de l’effleurement des sentiments, il préfère les solidifier quitte à les décortiquer, à les analyser, à les faire tourner en bourrique par la suite. Il a peur d’ennuyer. Cette peur salutaire devrait saisir tous les réalisateurs au moment de dire : Action ! Des gens ont payé leur ticket, ce sera peut-être leur seule sortie du mois ou du trimestre, je me dois de leur offrir l’inattendu et le magique, des girafes et des funambules, des beautés fatales et des sauts de l’ange. Alors a-t-il la main trop lourde ? Parfois, il exagère comme avec cette longue scène d’ouverture divertissante, accidentogène en diable qui ravit les rouleurs de mécanique mais qui peut rebuter l’intellectuel assis. Rétrospectivement, cette scène était suicidaire.
Aujourd’hui, elle serait proscrite. Des députés demanderaient son annulation. On y voit plusieurs voitures de front se frotter, déraper, sauter, s’aimanter, freiner, accélérer, perdre leur pare-chocs et exploser leur pare-brise sur une piste d’essais en Italie bien connue des essayeurs de la presse automobile européenne. Trintignant au volant jubile. Rémy Julienne stoïque a néanmoins l’œil farceur. Ces grands enfants jouent aux autos-tamponneuses, titre d’un charmant roman de Stéphane Hoffmann. Cette scène dure. Elle est un morceau de bravoure, elle esthétise les carrosseries. Lelouch, je le redis ici, est le plus grand cinéaste en termes de perception rendue de la vitesse. Il a été à la meilleure école, celle du service cinématographique des armées au Fort d’Ivry-sur-Seine. Il y a appris le mouvement, la chute, le vertige et cette façon si artistique de coller le frisson à l’image. Vingt ans après « Un homme et une femme », Lelouch reprend ses personnages et déambule dans ses souvenirs. Anne Gauthier (Anouk Aimée) n’est plus scripte mais productrice en mal de succès et Jean-Louis Duroc (Jean-Louis Trintignant) n’est plus pilote de rallye mais il dessine le futur tracé du Paris-Dakar. Leurs enfants ont grandi. Le fils de Jean-Louis s’est marié et a plongé dans le motonautisme. La fille d’Anne est actrice. Charles Gérard téléphone pour connaître les chiffres de la séance du soir dans les cinémas des Champs-Elysées et de banlieue. C’est du Lelouch pur jus, calorique, débordant de la cafetière, avec ses travers ; il filme le film du film dans le film, des histoires entrecroisées, des amours triangulaires, la plage de Deauville au petit matin, la toile de Jouy des chambres du Normandy et la soif dans le désert. On ne sait plus très bien si on regarde un reportage, un thriller, le dénouement ou le renouvellement d’un amour éternel. On s’y perd un peu et c’est très agréable. Un Lelouch aussi touffu vous évite quinze mauvais films d’auteurs et blockbusters fadasses. Ce long-métrage se savoure pour son parfum d’ambiance, celui des années 1980. Il en a toutes les qualités et quelques défauts mineurs. Il est clinquant et pourtant assez fidèle aux hommes de cette décennie pubarde. Il est frimeur et déboussolé. Il est surtout un témoignage extraordinaire sur les passions masculines.
Thierry Sabine ne le verra pas, il meurt dans un accident d’hélicoptère, quatre mois plus tôt. Pour ceux qui l’ont connu, ils le retrouveront à l’identique, jouant son propre rôle, playboy des sables, chef de mission à la barbe claire, agile dans les airs et dans les dunes. Là aussi, la longue séquence tournée en Afrique est visuellement belle et dramatiquement prémonitoire. Dans les années 1980, on ose tout, par ruse, par goût du risque, par éclat. Lelouch embauche PPDA et s’offre des figurants statiques et muets qui s’appellent Gérard Oury et Michèle Morgan. Jean-Claude Brialy fait une apparition furtive dans une salle de cinéma. Jacques Weber, Robert Hossein, Richard Berry et Marie-Sophie L, entre autres, complètent le casting. On ne se refuse rien. La fiction se dissimule derrière la réalité ou n’est-ce pas le contraire ? Á la fin, éberlué, sonné par tant de virevoltes, nous avons un flash. Comment avons-nous pu oublier cet événement sportif existant depuis 1955 qu’étaient les 6 heures motonautiques de Paris ? La municipalité actuelle s’étranglerait d’imaginer ces nuées de bateaux ultra-rapides qui zigzaguaient jadis entre les ponts de la Seine…
Redécouvrir Christine Pawlowska, auteur d’un unique livre
La cohorte étroite des auteurs d’un seul et unique livre m’a toujours fasciné. Ce sont des écrivains trop exigeants. Ils se sont astreints au minimum, pour cultiver une discrétion sublime, qui ajoute à leur talent. Pas question pour eux d’outrager la création artistique : « L’intelligence est la faculté qui fait que l’on s’abstient », comme le disait Montherlant. Publier un livre doit rester, pour ces créateurs de haut standing, un acte exceptionnel, et n’arriver tout au plus qu’une fois dans la vie et sans appel. Ainsi d’Otto Weininger, qui n’a écrit qu’un seul livre en 1903, Sexe et caractère,et s’est suicidé juste après. On comprend dès lors qu’il y avait urgence, et que tout devait être dit en peu de pages et sans retour. C’est du définitif.
Un livre des années 70
Avec le très mince volume de Christine Pawlowska, intitulé Écarlate, qui reparaît aux éditions du Sous-Sol, nous avons affaire à ce phénomène. La jeune Pawlowska, née en 1952, le publie en 1974 au Mercure de France, sous la houlette de Simone Gallimard. Le livre connaît un succès immédiat, et de grands critiques, comme François Nourissier ou Claude Mauriac, y contribuent. Il faut se remettre à l’esprit cette sensibilité de l’époque, les années 70, avec leur propension à croire à la liberté sans limites. On pourra alors saisir dans leur spontanéité magique ces émotions de petite fille amoureuse et y voir un miroir fidèle d’une société très libérale, qui donnait la parole à tous. Bien sûr, ensuite il fallut déchanter. Mais le rêve s’est incarné un instant, comme un Esprit du temps qui aurait soufflé sur les êtres les plus fragiles.
Aimer et ne pas devenir adulte
Pawlowska raconte dans Écarlate son enfance de petite fille modèle de ces années-là. Elle le fait dans un style simple et cru, en décrivant les mouvements secrets de son âme sans fausse pudeur, avec un feu contenu qui ne peut que brûler le lecteur. Il y a d’abord cette solitude viscérale, dans laquelle elle se complaisait. « Toute petite, écrit-elle, j’ai rêvé dans ma solitude des merveilles multicolores. Je parle de ma solitude parce que c’était ce que j’aimais le plus au monde. » Sa solitude est fondatrice, comme le désir de ne plus grandir, de ne jamais devenir adulte. Elle se réfugie dans ses lectures, avec le Caligula de Camus « mort d’avoir voulu la lune », ou encore la Bible que lui a donnée une mère à la fois haïe et adorée. Mais, cela ne suffisant pas : « je me mis à voler des volumes dans la bibliothèque de mes parents et dans celle de ma sœur ». Elle souffre d’insomnie, également. Et puis elle est amoureuse d’une autre petite fille, nommée Melly. « J’avais douze ans quand je connus Melly. » Elle ajoute : « et jamais plus je n’aimerai avec la ferveur, la terrible intensité dont mon amour était alors capable ». On lit ces confessions parfois avec gêne, mais fascination. Qui, devenu adulte, ne se souvient de ces « verts paradis », dont parlait Baudelaire, que les étranges années 70 ont portés à leur paroxysme ?
Au fond, Écarlate met en scène une autre « Zazie dans le métro », au langage certes moins fleuri, mais tout aussi enchanteur que celui de la petite héroïne de Queneau. La découverte de la vie passera, pour Pawlowska, par un autre « moyen de transport souterrain », si je puis dire, celui des expériences tragiques, comme cette tentative de suicide qu’elle nous raconte dans sa banalité navrante : « Mourir. Me suicider. Mais je n’avais pas voulu me tuer. J’avais subi mon suicide comme je subissais mon écœurement. […] Je n’avais pas choisi de mourir. J’avais cédé à la lassitude, à l’étouffement des jours et des jours. » Elle décrit admirablement cette tristesse qui l’étreint, et qui lui restera toute la vie, comme le signe distinctif de son élection.
Le fonds commun des auteurs sans œuvre
En même temps que ce très beau texte de Christine Pawlowska, paraît une biographie que lui a consacrée le journaliste Pierre Boisson. C’est l’ouvrage idéal pour mieux comprendre Écarlate et le génie de l’éphémère qui l’habite. Pierre Boisson a mené une enquête assez poussée sur la vie de Pawlowska. Lui aussi insiste sur le fait qu’elle n’a écrit qu’un seul livre, comme si cette spécificité expliquait la nature même de son projet et sa réussite. Pour l’approfondir et tenter de comprendre, Pierre Boisson établit un intéressant parallèle avec le roman culte de Daniele del Giudice, Le Stade de Wimbledon (1983), consacré à la figure d’un écrivain, Roberto Bazlen, qui, lui, a renoncé à l’écriture et n’a même pas écrit de premier livre. Le Stade de Wimbledon présente l’histoire d’un jeune homme, le narrateur, parcourant au hasard les rues de Trieste, à la recherche des traces perdues de Bazlen. Or, le destin littéraire de Pawlowska repose exactement sur les mêmes prémisses. Comme si, au fondement de l’écriture, ne résidait jamais qu’une seule problématique, que révèlent justement ces écrivains qui n’ont pas ou peu écrit, telle Pawlowska.Le narrateuraboutit finalement au domicile de Ljuba, la compagne de Bazlen. Elle tient à lui offrir un pull-over (pourquoi ?), et lui confie le message suivant : « Il y a un moment dans la vie, où on doit prendre une décision fondamentale. À ce moment-là, les choses changent ou doivent changer, et l’on ne peut plus avancer par ajustements progressifs, automatiques. Voilà : beaucoup de gens, arrivés à ce point, ont fait sa connaissance. Et il les a aidés à changer ou à prendre une décision. Je crois que c’était là sa passion, et son chef-d’œuvre. Rien d’autre. » C’est presque ici une définition par défaut de la littérature, et elle s’applique, comme le sous-entend avec justesse Pierre Boisson, à Christine Pawlowska et à son unique et si frêle ouvrage.
Christine Pawlowska, Écarlate. Préface de Blandine Rinkel. Éd. du Sous-sol, 110 pages.
Chaque semaine, Philippe Lacoche nous donne des nouvelles de Picardie…
L’autre jour, la Sauvageonne et moi avons surpris Yvonne, notre fidèle et bien aimée jument, allongée sur le canapé du salon en train de lire La Jument verte, de Marcel Aymé. J’adore cet écrivain, styliste incomparable, esprit libre et tolérant, conspué par la critique de l’époque qui lui reprocha notamment de ne pas avoir lâché ses amis Céline et Brasillach à la Libération. Nous l’avons donc observée de loin et, finalement, laissée tranquille alors qu’elle savait pertinemment qu’elle n’était pas autorisée à se prélasser sur notre beau fauteuil en cuir beige, héritage des parents de mon adorée ébouriffée. Je savais qu’Yvonne était dotée d’un certain goût pour les bons écrivains, ce depuis qu’elle a fréquenté les cours de l’Ecole normale supérieure des équidés de la rue d’Ulm. Alors, je compris mieux pourquoi, deux semaines plus tôt, elle m’avait fait sourire et ému en racontant comment Roger Vailland, résistant et communiste, compagnon de khâgne de Brasillach, collaborationniste éhonté et écrivain de haut vol, avait conseillé à ce dernier de se planquer. La scène se passait dans une rue du Quartier latin en été 1944 ; l’épuration battait son plein. « A quoi bon ? » eût-il répondu au futur créateur de Drôle de jeu. « Il est déjà trop tard. » Je comprenais mieux également, pourquoi, trois jours plus tôt, elle avait demandé à la Sauvageonne si elle pouvait lui acheter de la Gyraldose qui eût pu, selon ses dires, contribuer à son hygiène intime. Sacrée Yvonne ! Troublant hasard, alors que je fouinais dans la boîte à livres près de La Poste de mon quartier, je tombais sur Les contes bleus du chat perché en édition Folio Junior. Un livre exquis. Je me revoyais devant le clavier de ma machine à écrire, installé dans le salon de la jolie maison de la rue Pierre-Sauvage, à Abbeville, que nous avions achetée Féline, mon ex-épouse, et moi ; je rédigeais un article sur Marcel Aymé – à l’occasion de l’édition de Nouvelles complètes, Quarto Gallimard (2002) – pour Immédiatement, revue d’inspiration bernanosienne, fondée par Luc Richard, à laquelle j’avais le plaisir de collaborer. Nous étions une vingtaine de jeunes Turcs, insolents, fous de littérature, vilipendeurs de l’Europe des marchés ; parmi eux quelques bons amis : Jérôme Leroy, Sébastien Lapaque, Jean-Christophe Buisson… Nous nous retrouvions parfois à Paris pour voyager au bout de la nuit, la tête égayé par les bulles du savoureux champagne Drappier (le préféré du Général ; 100 % pinot noir). Nous refaisions le monde et riions beaucoup ; le monde continua à tourner – mal ! – et nous rîmes un peu moins. Oui, tout cela me revenait ; tout cela grâce à la boîte à livres, ma boîte à souvenirs. Et à Yvonne, notre – presque – jument verte allongée sur le canapé en train de lire Marcel Aymé…
L’exclamation de Mohamed Sifaoui résonne en moi comme un cri. Un cri face au spectacle de la désolation à Gaza, à ce désastre que le Hamas a provoqué.
En frappant Israël, en assassinant plus de 1200 personnes, en capturant 245 otages, les prédateurs djihadistes ont sciemment détruit la Palestine.
Soixante-sept mille morts1. Des milliers de femmes et d’enfants écrasés sous les décombres. Des villes rasées, des familles pulvérisées. Un peuple vivant sous la terreur islamiste, condamné à l’exil ou à la peur.
Tout ça pour ça !
Pour un champ de ruines. Pour un peuple martyrisé deux fois. Par l’ennemi qu’il s’est désigné, et par les maîtres qu’il subit.
Le 7 octobre 2023, le Hamas a cru accomplir l’exploit de l’histoire : infliger à Israël une humiliation absolue. Ce fut, pour quelques heures, la jubilation obscène d’un carnage présenté comme une victoire des opprimés sur leurs oppresseurs.
Mais cette victoire d’un jour fut le tombeau d’une nation en devenir. En une matinée, le Hamas a réduit à néant des décennies d’espoirs fragiles, de soutiens construits à travers le monde, malgré la reconnaissance diplomatique de ce vide qu’est l’Etat de Palestine.
Il a transformé Gaza en cimetière et la cause palestinienne en cause désespérée.
Car les terroristes du Hamas ne libèrent pas, ils sacrifient. Ils ne gouvernent pas, ils endoctrinent. Ils ne construisent pas, ils détruisent.
Mais la tragédie ne s’arrête pas à Gaza. Le 7-octobre a réveillé une autre bête : l’antisémitisme le plus abject.
En frappant Israël, le Hamas a ravivé cette vieille haine qu’on croyait contenue. Il l’a rhabillée du keffieh de la vertu, repeinte aux couleurs du progressisme, rendue fréquentable dans les universités et sur les plateaux télé.
Pour y parvenir, il a trouvé ici, chez nous une armée d’idiots utiles. Ceux qui, au nom de la justice, ont relayé sa propagande, qui ont sciemment confondu anticolonialisme et haine d’Israël, ont transformé la compassion en posture et la morale en arme idéologique.
Les mêmes qui, en prétendant défendre la Palestine, l’ont condamnée une seconde fois en célébrant ceux qui la détruisent, règlent aujourd’hui leurs comptes dans le sang à coup d’exécutions sommaires que d’aucuns trouveront toujours moyen d’expliquer.
Dans son livre, Arthur dit d’une voix douce et sidérée : « Je ne pensais pas me sentir aussi seul après le 7 octobre. »
Cette solitude, tant de Français juifs la partagent aujourd’hui. Elle ne vient pas seulement de l’abominable massacre, mais du silence qui l’a suivi.
Des amitiés effacées. Des indignations sélectives. De ce monde qui, sous prétexte de défendre les Palestiniens, s’est remis à haïr les juifs.
Tout ça pour ça.
Pour que le Hamas détruise la Palestine au nom de sa libération. Pour ressusciter aussi, dans le vacarme des slogans, la haine la plus vieille du monde.
Et pour qu’au bout du compte, des deux côtés du mur, il ne reste que des larmes à sécher.
L’Affranchi, de notre ami Cyril Bennasar, est un roman jubilatoire. L’histoire d’un homme qui refuse de se soumettre à une société de servitudes, du matraquage de l’Urssaf à la propagande immigrationniste en passant par les diktats du néoféminisme. Une liberté de ton et une autodérision rares et savoureuses.
Si tout roman est une variation sur son titre ou son explicitation, L’Affranchi a pour premier mérite le direct, ce dernier mot entendu de façon polysémique, comme on disait à l’université de Vincennes, dans les années 1970, un lieu où l’on pensait encore, et dans une France où le peuple français pouvait encore se dire tel sans nationalisme ni réduction à l’« extrême droite ». L’affranchi dont il sera question ici est un homme qui, soucieux de son indépendance d’esprit, se délivre de ce qui l’entrave tout en continuant à vivre parmi un peuple d’esclaves, ou, si ce mot est trop direct, de citoyens plus ou moins flous, asservis aux mots d’ordre de ce qu’on appelle le Bien mais qui, dans un monde entièrement inversé, est l’exercice même du Mal.
Cyril Bennasar est de la génération qui suit la mienne et celle de son préfacier, Renaud Camus, donc pas tout à fait celle des boomers, comme on nous nomme en ce globish qui, comme les tags, les hijabs, les casquettes à l’envers, les mauvais romans et les « incivilités », est une des plaies du monde contemporain. Dire que Bennasar écrit direct, c’est se référer à la boxe, à ce coup de poing porté à distance dans l’axe direct de l’adversaire. Le direct est donc la caractéristique du style de Bennasar et de son narrateur, Pierre Schwab, qui dresse tout au long de son chemin, comme Stendhal, un miroir qui reflète à la fois son itinéraire et le langage qu’il renvoie à l’ennemi.
Ce dont Pierre Schwab, menuisier de son état, s’affranchit en premier lieu, c’est de l’Urssaf, organisme à connotation soviétique et dont il se résout à être radié pour ne pas faire bénéficier de ses contributions les « remplaçants » privilégiés par le « parti immigrationniste » au pouvoir. « Ce dispositif qui consiste à transférer l’argent de ceux qui se retroussent les manches vers ceux qui tendent la main n’a jamais vraiment eu mon adhésion, mais maintenant que les mains qui se tendent lèvent un poing qui tient un couteau, la solidarité n’aura plus mon agrément », surtout, je cite encore, pour des types débarqués du « bled » en clamant que le hijab est « une tenue française » et Mohamed un prénom bien de chez nous. À ce compte-là, la France ne sera bientôt plus qu’une région de l’Oumma, et le sabir arabo-franco-globish un langage supérieur à la langue de Proust. On est au cœur du problème et l’évoquer, c’est se dresser contre la néo-civilisation selon Netflix, Disney et Arte, Bible chatoyante du monde tel qu’on voudrait qu’il soit mais non tel qu’il est, et que la soumission des masses au Divertissement général accepte sans rechigner.
Être radié de l’Urssaf : un des fils conducteurs de ce roman qui s’ouvre sur un bel hommage à Anne, qui vient de mourir et qui avait révélé au narrateur son pouvoir littéraire, sur Radio libertaire, avant que Schwab en soit exclu pour hérésie antiraciste, les « anars » étant aussi vertueux que les wokistes. Non content d’être un mâle juif, Schwab refuse le monde tel qu’on nous le vante pour mieux lui vendre notre âme, notre civilisation. Ce refus n’est pas une position de belle âme blessée : Schwab le manifeste publiquement en retouchant telle fresque consacrée à un « victime » devenue « iconique » de prétendues violences policières, comme le sont ces épouvantables chanteuses « issues de l’immigration », notamment celle qui, quoique pesant un quintal, s’« approprie » le prénom d’Yseult, tandis que les Blanches cultivent la « laideur pour échapper au diktat du séduisant ou de sexy ». Certaines des actions schwabiennes vont jusqu’à la confrontation directe avec des représentants de l’incivilité « décomplexée », pour reprendre une épithète dont la presse bien-pensante affuble ce qu’elle appelle l’« extrême droite ».
Le plus grand péché de notre narrateur est bien sûr son comportement avec les femmes. Dire qu’il les aime est d’emblée suspect de domination sexiste. Les scènes de sexe, comme on dit au cinéma, sont des plus crues, chacun des deux « partenaires » jouant son rôle, les corps ne pouvant plus tricher, les fantasmes féminins ne se souciant plus de féminisme, ni les masculins de « domination mâle ». Et quand le narrateur déclare : « C’est magique de mettre sa main dans la culotte d’une fille pour la première fois », on est d’autant plus d’accord avec lui qu’il ne fait que citer non pas Miller ou Bukowski mais Mathieu Amalric, dans un film de Desplechin. Amalric, Desplechin : on est bien loin de la « faschospère »… Si on ne peut citer ici sans danger ni éclater de rire devant ce à quoi Schwab voue le personnel politique féminin actuel, on l’écoutera donner la formule de son hétérosexualité : « Le type de relations que je préfère avec les femmes, c’est : Moi Tarzan, toi Jane. » Que les scènes érotiques soient à ce point réussies montre aussi combien Bennasar est dans le vrai – la chose étant bien plus difficile à écrire qu’on ne croit, faites-en l’expérience avec les romanciers contemporains, même les libertins autoproclamés qui semblent, à côté de Bennnasar, des euphémistes qui ont anticipé la domination féministe du monde éditorial et du roman, qu’ils tirent du côté du vertueux, là où Bennasar nous rappelle à l’ordre naturel des choses.
Ainsi, sans militer pour personne, mais refusant la « propagande des immigrationnistes assurée par des LGBT », l’existence de Schwab est celle d’un être libre dans un monde hyperconnecté et en proie à cette servitude non seulement volontaire mais qui cherche son propre néant : l’aveuglement rejoint le consumérisme, l’antiracisme et le néo-féminisme dans le nihilisme du Bien. Évoquer ici Houellebecq serait réduire Schwab à une posture de citoyen un peu lunaire ; plus drôle que déprimé ou acerbe, Schwab est plutôt du côté de Muray, et ce que ce roman révèle ou rappelle, c’est une réalité qu’abhorrent les écrivains auto-émasculés de la « rentrée littéraire » : la vérité sur la France et sur le monde, à travers la vérité sur soi, non pas dans un miroir esthétique où se coiffer à la rebelle, le cou ceint d’un keffieh, mais en se montrant tel qu’on est, avec une autodérision dont les imbéciles font les frais.
Dans La mauvaise joueuse Victor Jestin se glisse dans la peau d’une femme et décrypte les mécanismes de l’addiction. Un roman impossible à lâcher.
Victor Jestin. Retenez bien le nom de cet écrivain. Il ira loin. À trente ans et des poussières, le jeune homme a déjà commis deux romans. Le premier, La chaleur, s’est vu attribué en 2019 le Prix Femina des lycéens. Le second, L’homme qui danse, a confirmé d’indéniables qualités. Un sens du rythme, un univers, une voix. Le troisième, La mauvaise joueuse, séduit par son étrangeté.
Envie irrésistible
Un soir, Maud, la trentaine, un compagnon, un projet de bébé, un métier qui lui plaît, prend sa voiture pour rentrer chez elle. Dans son sac, un portable que lui a confié un collègue de travail et un jeu: Candy Crush. « Il fallait trier des lignes de bonbons pour faire des combinaisons ». Elle tente de penser à autre chose, essaye de résister, puis, malgré elle, commence à jouer jusqu’à ce qu’elle percute quelque chose. Une personne ? Un animal ? Elle l’ignore mais paniquée prend la fuite. Commence alors une longue errance pavée de tentations pour celle qui vient de rechuter dans une très vieille addiction: le jeu. Petite déjà Maud jouait. Rien d’inquiétant chez une enfant. Le contraire l’eût été. Personne n’imagine donc que les choses pourraient mal tourner. Surtout pas le père, joueur à ses heures. Les chiens ne font pas des chats. Maud pousse la porte d’un bowling, s’intègre dans un groupe. « J’enchaînais les strikes. J’avais le geste et la confiance. J’étais bien. Tout allait bien ». Jusqu’à ce qu’elle perde. Hurlement. Sidération des autres joueurs. Puis il y aura le flipper, les fléchettes, les échecs et le reste. A chaque fois le même scénario se répète. L’envie irrépressible. La volonté de ne pas céder qui vole en éclat. L’excitation à son comble. Le désir de gagner à tout prix. Puis, quelle que soit l’issue du jeu, le sentiment de souillure et de honte jusqu’à la prochaine fois. Pour la narratrice, jeune femme mal dans sa peau, jouer revient à faire taire ses démons le temps d’une partie. Sentiment de puissance temporaire qui n’est pas sans rappeler le temps béni de l’enfance. « L’enfant qui joue habite une aire qu’il quitte avec difficulté » rappelle le psychanalyste Donald Winnicott en exergue du livre. Pour Maud rien n’a changé.
Folie
Victor Jestin, avec une justesse qui permet de penser qu’il a lui-même été confronté au problème, raconte à la première personne l’enfer de l’addiction. Une addiction d’autant plus sournoise qu’elle est sous-estimée. L’on souligne volontiers les ravages des jeux d’argent ou des jeux vidéo, beaucoup moins ceux du Monopoly ou du tir à la carabine. C’est pourtant un même processus qui est à l’œuvre et que l’écrivain décrypte à la perfection. De son écriture précise, quasi-chirurgicale, il brosse le portrait d’une jeune femme à la lisière de la folie dans laquelle elle ne verse pourtant jamais. C’est la grande force de ce roman que de se tenir sur la ligne de crête. Maud est une jeune femme comme les autres ou presque. Et ce presque tient le lecteur en haleine pensant 150 pages. Haletant, troublant, Mauvaise joueuse est un roman dérangeant. Et de fait addictif !