Accueil Culture Révolution en sous-sol

Révolution en sous-sol

"Les Justes", théâtre de Poche-Montparnasse, du mardi au samedi à 19 h, le dimanche à 15 h


Révolution en sous-sol
Les Justes, d’Albert Camus, mise en scène Maxime d’Aboville © SEBASTIEN TOUBON

Les Justes d’Albert Camus fomentent leur attentat sur les planches du théâtre de Poche-Montparnasse. Un texte grave qui continue d’alerter sur les ravages du nihilisme.


La critique bouda Les Justes à sa sortie en 1949. La droite se méfiait d’Albert Camus qui n’était pas son ami et les communistes le trouvaient trop critique envers la révolution bolchévique. Mais la pièce, portée par Maria Casarès, Serge Reggiani et Michel Bouquet, ne fut pas un four pour autant.

Kaliayev, Stepan, Boris et Dora sont des socialistes révolutionnaires qui, dans ce Moscou de 1905, se préparent à assassiner le grand-duc Serge, oncle du tsar Nicolas II et raide gouverneur de la ville.

Maxime d’Aboville, qui endosse pour la première fois le rôle de metteur en scène, offre une lecture sobre et éclairée de la pièce. Camus avait placé ses personnages dans les hauteurs d’un appartement : nous les retrouvons ici dans un souterrain. D’un soupirail, ils observent la rue et attendent le passage du grand-duc. En ressort une vision qui dévoile l’action d’une façon nouvelle. Si la sécheresse du texte peut rendre l’interprétation parfois aride, chacun des comédiens témoigne habilement de la fièvre de ces possédés politiques. Toutefois, quand le grand-duc arrive flanqué d’épouse et d’enfants, la vieille question de la fin et des moyens, de l’omelette et des œufs oppose Stepan et Kaliayev.

A lire aussi: Aïda chez les mollahs

Sur scène, les quatre comédiens se partagent habilement huit rôles. Et nous observons certaines de ces âmes damnées qui ne croient pas au diable. Peu de place au rire : Camus n’était pas un grand auteur comique et ces personnages sont habités par l’esprit de sérieux. Peut-il en être autrement ? La frivolité, la légèreté, la douceur et la tendresse ne sont que l’apanage de leurs ennemis. L’amour, pourtant, existe : jusqu’à ce que le crime sépare Dora et son amant. L’attentat perpétré, Kaliayev s’écrit : « À bas le tsar ! À bas le gouvernement ! Vive le parti socialiste révolutionnaire ! » Cette histoire vraie, ce fait divers, est montée sur les planches au moment où Sartre règne sur une bonne partie de l’intelligentsia parisienne. Et il ne reste alors plus beaucoup de temps avant qu’une fâcherie signe la fin de son amitié avec Camus : la parution de L’Homme révolté, qui prolonge la réflexion des Justes.

Fidèles à l’œuvre, la mise en scène et l’interprétation ajoutent une dimension surnaturelle à l’ensemble. On devine, au-dessus, les yeux célestes d’un Bernanos, ou plus encore d’un Dostoïevski, auteur qu’admira longtemps Camus, au point d’adapter au théâtre ses Démons, dix ans après cette pièce.

Aujourd’hui, on ne se déchire plus à la sortie des salles, ni même dans les rubriques des journaux. Mais au milieu des spectateurs qui sortent du Poche-Montparnasse, on a la sensation de ne pas être tout à fait le seul à craindre que le nihilisme et la bêtise fassent de nouveau entendre leur fureur.


Les Justes, théâtre de Poche-Montparnasse, du mardi au samedi à 19 h, le dimanche à 15 h. Renseignements et réservations : www.theatredepochemontparnasse.com/spectacle/les-justes/

Octobre 2025 – #138

Article extrait du Magazine Causeur




Article précédent Podcast: Trump versus Maduro; Russie et Syrie; Jacques de Molay
Article suivant Kolyma, l’autre nom de l’enfer

RÉAGISSEZ À CET ARTICLE

Pour laisser un commentaire sur un article, nous vous invitons à créer un compte Disqus ci-dessous (bouton S'identifier) ou à vous connecter avec votre compte existant.
Une tenue correcte est exigée. Soyez courtois et évitez le hors sujet.
Notre charte de modération