Plus les dépenses de santé explosent, plus le taux de satisfaction des patients s’effondre. La France devrait prendre exemple sur Singapour, les Pays-Bas et Taïwan qui parviennent à mieux soigner et à moindre coût. En mêlant gestion privée et régulation publique, ces pays responsabilisent leurs citoyens.
Cela s’appelle jeter de l’argent par les fenêtres. Alors qu’en France les dépenses de santé représentent 12 % du produit intérieur brut, soit l’un des ratios les plus élevés de la planète, le taux de satisfaction des patients parvient seulement à se hisser dans la moyenne basse des pays industrialisés, avec une piteuse 21e place sur 38 au sein de l’OCDE.
Responsabilisation
La France qui a longtemps fait figure de référence en matière médicale est désormais largement distancée par des pays comme Singapour, les Pays-Bas ou Taïwan. Comment parviennent-ils à soigner mieux que nous et à moindre coût ? Petit inventaire des recettes qui marchent.
Tout d’abord direction Singapour. Là-bas les dépenses de santé de la population sont couvertes par des assurances privées, auxquelles chacun doit obligatoirement souscrire, même s’il existe par ailleurs une caisse publique destinée à prendre en charge les soins des plus démunis. La plupart des habitants ont donc un compte santé individuel, ce qui les responsabilise et évite les gaspillages. De son côté, l’État, loin d’abdiquer son rôle, subventionne massivement les hôpitaux et contrôle les tarifs.
Le contraste avec notre pays est saisissant. En 2019, les Singapouriens ont dépensé environ 2 370 euros par habitant pour leur santé, contre près de 5 130 euros en France. Pourtant, les résultats sanitaires sont comparables avec des indicateurs d’espérance de vie et de mortalité infantile très proches. Caroline, expatriée à Singapour, témoigne : « L’accès aux soins est rapide. Il faut moins de quarante-huit heures pour décrocher un rendez-vous. Prélèvements, examens, vaccins et médicaments ont souvent lieu dans le même cabinet médical. Cela évite des allers-retours chronophages. La qualité médicale est perçue comme excellente, à condition toutefois de disposer d’une bonne couverture privée. »
Bons élèves
Rendons-nous maintenant aux Pays-Bas, qui ont amélioré depuis une vingtaine d’années leur régime de santé pour aboutir à un modèle considéré à présent par divers observateurs comme le plus performant d’Europe. Depuis la réforme de 2006, chaque résident, qu’il soit néerlandais ou immigré, est tenu de prendre une assurance médicale auprès d’une compagnie privée, librement choisie mais strictement encadrée. Le contenu du contrat est défini par le ministère de la Santé, qui impose le périmètre de la couverture standard ainsi qu’une grille tarifaire unique, avec l’interdiction de refuser les mauvais dossiers médicaux.
Les cotisations sont composées d’une prime mensuelle fixe (environ 140 euros par adulte) et d’une contribution proportionnelle au revenu, versée via les impôts, ce qui permet d’introduire une part de progressivité. Une franchise annuelle obligatoire de 385 euros s’applique à la plupart des soins, incitant à un usage mesuré du système. L’État vient en aide aux classes populaires en leur versant une allocation santé, dont bénéficient environ 40 % des ménages. Cette architecture hybride, privée dans la gestion, publique dans la régulation, permet aux Pays-Bas d’obtenir des résultats très élevés en termes d’accessibilité, de satisfaction des patients et d’indicateurs de santé, tout en contenant les délais d’attente et les coûts.
Dernier bon élève en matière de santé publique : Taïwan. Depuis 1995, l’île a mis en place un système d’assurance-maladie très étatisé, avec un organisme public qui couvre la quasi-totalité de la population, y compris les résidents étrangers, et qui centralise le financement des soins. Le régime est alimenté par trois sources : des cotisations salariales (proportionnelles aux revenus), des contributions d’employeurs et des subventions publiques. Le modèle a donc quelque ressemblance avec le nôtre, à la différence près que les actes de soin, eux, sont assurés presque totalement par le secteur privé. Les médecins et les hôpitaux négocient ainsi chaque année leurs tarifs avec l’administration, ce qui évite les gaspillages.
Cette formule présente toutefois un inconvénient : pour maintenir de faibles cotisations, les autorités ont longtemps sous-indexé les actes médicaux, ce qui a mis en difficulté les établissements de santé les plus fragiles. En 2023, une injection de 24 milliards de dollars taïwanais (près de 700 millions d’euros) a été nécessaire pour remettre à flot le secteur. Conscientes de ce point faible, les autorités, qui se refusent à remettre en cause le principe fondamental d’un système universel centré sur la qualité des soins, sont condamnée à opérer régulièrement des ajustements financiers.
De ces trois exemples, la France doit tirer plusieurs leçons. La première est qu’il n’y a pas de solution magique, mais que des marges d’ajustement existent. La seconde est qu’on peut diversifier les sources de financement en favorisant des assurances complémentaires individuelles, avec des contributions modulées selon les risques, sans pour autant renoncer à un panier de soins essentiels garanti par l’État.
Les Français n’ont pas une idée juste du coût de leur santé. Le ticket modérateur est largement effacé par les complémentaires, ce qui donne aux patients le sentiment d’être soignés gracieusement et encourage la surconsommation. Un système de franchise, comme aux Pays-Bas, même symbolique, aurait le mérite de responsabiliser. Quant aux dispositifs spécifiques, comme l’aide médicale d’État, leur logique d’accès inconditionnel mérite d’être repensée dans un souci d’équité et de soutenabilité.
La solidarité doit évidemment rester une boussole en France, mais elle ne peut se concevoir sans une exigence de responsabilité. Lors de notre enquête, un expatrié a résumé la situation à Singapour : « Chacun doit évaluer son risque à couvrir et payer en fonction des risques qu’il souhaite éviter. » Dans une France où la gratuité a été érigée en dogme, cette philosophie peut paraître iconoclaste. Elle est pourtant la condition d’une reconstruction réaliste et durable de notre modèle social.





