La gorge nouée, une foule d’anonymes était une fois encore réunie aujourd’hui à Tel-Aviv. Mais aujourd’hui, c’était pour fêter le retour des vingt otages du Hamas! Notre contributrice sur place raconte les scènes émouvantes auxquelles elle vient d’assister.
Tel-Aviv, place des Otages, 14h. C’est ici qu’aujourd’hui, le cœur du pays bat le plus fort.
Cette place, c’est le centre névralgique de la mobilisation pour la libération des otages depuis le 7-Octobre, renommée depuis « la place des Otages ».
Un endroit qui a accueilli les larmes et le désespoir de toute une nation. Où des survivants sont venus témoigner, et où des concerts ont été organisés pour maintenir vivant le fil de l’espoir. Sans se douter qu’il faudrait tenir aussi longtemps. Deux ans.
Aujourd’hui, on reconnaît à peine la place. Il y a dans l’air un parfum de joie, au milieu de la retenue de rigueur dans cet Israël traumatisé.
La foule est dense. Des jeunes et des vieux. Surtout des jeunes. La société israélienne dans toute sa splendeur, dans toute sa diversité, dans toute sa grâce.
On peine à croire que le hasard ait fait coïncider la fin de la guerre avec un jour de fête – et, plus encore, qu’elle tombe jour pour jour, deux ans après le 7-Octobre, selon le calendrier hébraïque.
Les affiches des otages sont posées sur les tables. Demain, elles trôneront dans un musée. Transformées en objets d’histoire. En reliques d’une période bientôt révolue.
Des mots écrits sur des cartes postales, des dessins adressés aux otages sont encore accrochés, ils pendent, tenus par des ficelles jaunes, rappelant le mur des lamentations.
La guerre est finie et les 20 otages vivants rentrent chez eux aujourd’hui.
Ils font désormais partie intégrante de l’histoire, leur sort scellé à celui du pays, et la foule semble déjà consciente de ce qui se joue en cette journée brûlante : l’Histoire s’écrit en direct sous ses yeux.
Tout va si vite ici.
Hier, le tunnel des échecs de négociations semblait sans fin.
Aujourd’hui, les écrans géants diffusent les images que la foule a rêvées comme un horizon inatteignable.
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Ici, chacun connaît le visage, le nom, l’histoire personnelle même de chaque otage. « C’est la moindre des choses », me dit une dame. « Ils ont payé de leur souffrance pendant deux ans, la moindre des choses, c’est de connaître leur histoire, et les méandres de leurs existences chamboulées. » À chaque retrouvaille d’un otage avec ses proches, la foule pleure d’émotion. Eviatar, Etan, Matan, Rom, Nimrod, Yossef-Haim, la foule répète leurs prénoms sans fin. L’intensité est à son comble.
Les visages qui crèvent les écrans auraient pu être nos fils, nos frères, notre meilleur ami. Des mois durant, nous les avons vus figés, imprimés sur des posters, ils s’animent enfin.
Et quand cette mère hurle en retrouvant son fils : « ata melech », « tu es un roi », c’est notre sang qui se fige dans une identification totale. Car son cri est celui qui est coincé dans nos gorges encore nouées.
Now
Le ciel bourdonne. La voix au micro nous annonce le nom de l’otage transporté en hélicoptère vers l’hôpital Ichilov. Nous voulons en savoir plus.
À l’intérieur, la caméra capte leurs premiers mots écrits sur des ardoises blanches: « Am Israël ‘Haï », le peuple d’Israël est vivant. Il n’a jamais été aussi vivant qu’en cet instant. À côté de moi, une femme est assise, drapée dans le drapeau bleu et blanc. Sur ses genoux, la pancarte de Daniel Peretz.

Je lui demande doucement : « C’est un proche à toi ? ». Elle secoue la tête : « Il ne reviendra pas. Mais tant que sa dépouille n’est pas arrivée, je reste ici et j’attends. »
Elle baisse la voix, répondant à la question dont j’ai déjà honte. « Je ne le connais pas. Mais c’est mon frère. Ils sont tous mes frères. Les vivants comme les morts. Tous, sans exception. »
Je retiens mes larmes. Je traverse la foule, le soleil cogne et j’aimerais photographier chacun des visages de ces anonymes, les expressions qui les traversent, une émotion chassant l’autre l’instant d’après.
Les chansons les plus iconiques du folklore israélien sont diffusées dans les haut-parleurs. On vibre à chaque mélodie et on se souvient. Telle chanson est associée à telle guerre. Les plus âgés savent. Les jeunes ouvrent grand leurs yeux : ils seront les relais de cette histoire contemporaine.
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La voix au micro annonce l’arrivée de Trump à la Knesset.
Un murmure traverse la foule : la place des Otages s’appellera bientôt la place des Héros. Mais notre héros en ce jour, c’est lui.
« Sans lui, où serions-nous ? » me dit la vendeuse des casquettes qui ne sont plus imprimées de « Bring them home now » mais d’un seul mot, « Now ».
Un drapeau américain flotte à côté du drapeau israélien. Après chacune des phrases du président américain, des tonnerres d’applaudissements. Trump remercie son équipe, puis l’armée israélienne. Il rend hommage aux soldats du pays, à ceux qui y ont laissé leur vie. Puis il dit que sans Benyamin Netanyahou, il n’y serait pas arrivé. Une partie de la foule ne retient pas ses huées, la voix au micro les rappelle immédiatement à l’ordre, recouvrant un instant les mots de Trump ; l’heure est au respect. Aujourd’hui, en ce jour historique, en ce jour de délivrance, il n’y a ni gauche, ni droite. Il n’y a qu’un seul parti : celui de ceux qui sont venus pour soutenir les familles et les survivants.
Si seulement c’était vrai
La foule se tait. Deux députés sont expulsés de la Knesset alors qu’ils affichent un panneau portant la mention « génocide » en signe de provocation. « Benyamin Netanyahou is a nice guy » déclame Trump pour détendre l’atmosphère. Et malgré le ton volontairement léger, il grave son nom dans l’Histoire, promettant au Moyen-Orient un avenir doré.
Une femme debout près de moi pose son drapeau par terre pour s’essuyer les yeux.
« Si seulement… » répète-t-elle. « Si seulement c’était vrai. »
Au même moment, loin de la Place des Otages, loin des caméras venues du monde entier pour capter quelques instantanés de ce jour pas comme les autres, des centaines de familles sont restées chez elles.
Dans une solitude chargée de gravité, celles qui ont perdu un proche ont les yeux fixés sur le décompte des jours d’absence. Il continuera pour elles à s’égrener sans fin.
Leur silence peut être traduit par les mots du poète Elyasaf Ezra :
« 915 soldats, hommes et femmes,
héros et héroïnes,
sont maintenant assis au ciel,
sur le balcon de Dieu,
dans la soukka des anges.
Se tenant la main,
essuyant les larmes de leurs yeux,
ils se regardent les uns les autres,
ils nous regardent,
et crient :
Nous l’avons fait. »




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