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Astérix, Champignac, Corto, Lefranc et Cosey sont de retour

À l’automne, on ramasse les BD à la pelle dans les librairies. C’est la saison des nouveautés et le retour des personnages légendaires. Durant les vacances de la Toussaint, Monsieur Nostalgie nous parle de ces héros du passé qui sont plus forts que leur image. Ils résistent au temps.


Au départ, il y a un léger agacement du lecteur entré dans l’âge adulte. Le malaise d’une époque refusant la rupture chère à François Mitterrand et l’esprit coquillard hérité de François Villon. Toute création BD est aujourd’hui soumise aux diktats du « message ». Message de confraternité, d’entraide, de bienveillance, de soumission heureuse, de culpabilité, message quasi-biblique et un peu tarte où les héros jadis sombres et complexes, tourmentés et désaxés choisissent d’œuvrer désormais dans le camp du bien. Le repentir est à la mode.

Suis-je un vieux con ?

Tous nos héros sont devenus des guides pour bien penser, bien se comporter et bien diriger sa vie. L’État leur dit merci. Sans l’ombre d’un accent de malveillance ou de malignité, ce sont des saints ou des vigies qui nous alertent contre les forces du mal et les troubles intérieurs. Ils chassent les mauvaises pensées au risque de réduire, voire de phagocyter l’imaginaire brouillon du public. Je préfère la ligne claire au message clair. L’école et les parents ayant failli dans l’éducation, la BD est la nouvelle religion gnangnan des enfants sages. Notre XXIème siècle ressemble à s’y méprendre au « Petit Vingtième », supplément confessionnel belge où l’on prêchait la bonne parole et les bons usages. Je me rends compte alors que j’ai certainement vieilli. Suis-je un vieux con ? Probablement. Le discours cotonneux, quelque peu irritant, d’un « humanisme progressiste » s’est propagé partout, dans les cases et les écrits. Nous vivons à l’ère de la contrition. Nous passons notre existence à nous racheter de fautes inconnues.

Cette bipolarité, bien et mal, gentil et méchant, à trop la transcender finit par éteindre la flamme et lasser. Le lecteur devra s’habituer à la petite leçon de morale qui sous-tend les albums de cette rentrée. Comme il s’est habitué à visiter des expositions sponsorisées par des marques. Le mélange des genres, sainteté et marchandage, n’existe pas que dans les musées de France. Cependant, miraculeusement, la force de la BD populaire demeure. Malgré le message souvent lénifiant, l’onde nostalgique l’emporte. C’est le mystère de cet art populaire ; la mémoire, les souvenirs de l’enfance, le dessin, la connectique du cerveau, tout se remet en place, par magie aux premières planches. Tout se réaccorde et l’adulte suspicieux accepte les scories du temps présent. Alors, on replonge dans la marmite gaiement. Parce qu’un album d’Astérix ou de Lefranc, c’est chaud, ça sent la brioche et le molletonné de nos jeunes années. Voyez, j’essaye d’être le plus sincère avec vous. Deux mouvements contradictoires nous assaillent, la fatigue des discours convenus, à la manœuvre, qui n’épargnent ni les auteurs de BD, ni les chaines de télé et le plaisir grand, plein et entier de revoir nos amis de toujours. La Toussaint est la saison idéale pour communier avec les fantômes d’hier. La sortie d’un nouvel opus d’Astérix (qui se vendra à des dizaines de milliers d’exemplaires jusqu’à Noël) et donc sa permanence à travers les âges, est un bonheur simple qu’il est bien difficile de snober. Qui serions-nous pour le refuser ? On retrouve cette année nos irréductibles gaulois en Lusitanie (Texte de Fabcaro / Dessins de Didier Conrad). Ils n’ont pas changé ces deux-là, « un petit anxieux et un gros nonchalant » vont goûter à l’intranquillité de l’être, ce fado de l’âme qui est le métronome des Portugais. Ce vague-à-l’âme poétique et à effet comique est une belle réussite scénaristique. Un gimmick à la Pessoa. On aura toujours un regard attendri pour leurs deux créateurs originels, les géniaux Goscinny et Uderzo. Avec ces deux-là, le mot « génial » n’était pas une figure de style.

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Au rayon des vieilleries succulentes, le dernier Guy Lefranc d’après Jacques Martin tient la route avec une histoire d’aventures qui nous amène du port de Rotterdam à l’Indonésie sur fond de décolonisation et de prédation hollandaise. On aime Lefranc, son côté boy-scout asexué, globe-trotteur des Trente Glorieuses, reporter sans houppette, aussi à l’aise au volant de son coupé Alfa Romeo qu’à la barre d’un ketch dans des mers démontées. La régate aux éditions Casterman, c’est du solide.

Et que penser de Pâcome Hégésippe Adélard Ladislas, Comte de Champignac ? Il nous salue dans un quatrième album déjà. Né chez Franquin en 1950, le Comte ami des champignons, scientifique fantasque et non-conventionnel, roi de l’atome et du chapeau mou a droit à sa propre série aux éditions Dupuis avec le duo Etien et Beka. Dans les albums précédents, il a notamment décrypté « Enigma » et découvert les vertus de la pilule. Il séjourne désormais à Los Alamos au Nouveau-Mexique sous la tutelle d’Edgar Hoover dans Les années noires. Si Champignac s’évertue à sauver le monde, il n’arrive pas à oublier Blair, sa fiancée décédée. Le charme de cette série tient surtout à cette faille psychologique. Un Champignac désorienté et inconsolable, un fil conducteur sensible et merveilleusement retranscrit. Corto n’est pas mort, la créature mouvante de Hugo Pratt revient vieillie et délavée avec Martin Quenehen et Bastien Vivès dans Le jour d’avant (Casterman). Direction les îles Tuvalu où la drogue fait des ravages. Si le héros n’a plus le charme des marges et de l’équivoque, il conserve néanmoins la manière des affranchis. Et, enfin Cosey sort Yiyun au Lombard. Au-delà de la quête de la justice du Suisse, c’est le décor, l’apnée féérique des montagnes, sa jeune héroïne au bandeau masqué, sa triste élégance qui captiveront le lecteur. On se perd dans son immensité neigeuse et ça fait du bien. Au-delà du catéchisme ambiant et de notre humeur irritable, il faut bien admettre que nos héros d’hier plongés dans la lessive des bons sentiments ont encore de la sève. S’ils portent en eux les tics de l’époque, ils ne sont pas totalement « toc ».

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Marine Tondelier, hélas…

Exclusif : Marine Tondelier «Je suis candidate à la présidentielle» peut-on lire en une du Nouvel Obs cette semaine. Défense de rire! L’écolo d’Hénin-Beaumont, alias la Marine qui ne fait pas peur, compense sa microscopique influence politique par un aplomb hors norme à la télévision.


Ne serait-elle pas une femme que j’aurais le même titre…

Ne serait-elle pas écologiste que je serais tout aussi négatif…

Elle vient d’annoncer son intention d’être candidate à l’élection présidentielle de 2027, ou d’avant, selon les impasses politiques et les humeurs de l’Élysée.

La légitimation par la télévision

On se demande bien comment elle va faire pour justifier sa volonté d’accéder à la charge suprême. Mais après tout, aujourd’hui, dans le marasme démocratique, à quel titre irait-on lui demander des comptes ? Elle a envie, elle le dit et nul n’a à formuler la moindre objection. C’est cela, le progrès : « impossible » n’est plus politique, « inconcevable » n’est plus acceptable…

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Peu importe qu’elle n’ait aucune chance et que sa seule légitimité, selon elle, soit d’avoir été beaucoup vue à la télévision… avec sa tentative désespérée, et à force touchante, de chercher à nous vendre l’union des gauches, les pires avec les meilleures (oui, cela peut exister !).

Et si c’était moi ?

Mais je veux être honnête. Ne suis-je pas injuste ? Pourquoi me focaliser sur elle ? Dans le monde des gens sérieux (apparemment, rien que des hommes, sauf si Ségolène Royal s’en mêle), combien d’ambitions vont se manifester, aussi ridicules que la sienne, aussi dangereuses pour la victoire finale que celle de Marine Tondelier ? À droite comme à gauche, on les sent frémir, ces conquérants de la dernière ligne droite, ces importants de fin de course qui, après tout, se murmurent : « Pourquoi pas moi ? »

À tel point que les officiels, les prudents qui ont largement pris les devants – Édouard Philippe, Gabriel Attal, ou, sur un mode heureusement ralenti, Laurent Wauquiez – commencent à s’interroger, à s’inquiéter… Et si c’était quelqu’un d’autre, surgi contre toute attente de la boîte républicaine ?

Marine Tondelier ne sera pas la dernière à appeler de ma part ce si triste « hélas » !

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Affaire Jubillar: le doute ne tient parfois qu’à un fil

Dans une procédure pénale de type anglo-saxonne, Cédric Jubillar, reconnu coupable d’avoir tué sa femme Delphine dont le corps n’a jamais été retrouvé, aurait-il pu obtenir un verdict différent ? Ses avocats ont fait appel de cette condamnation. Analyse et comparaisons.


If a person is innocent of a crime, then he is not a suspect (en v.o.).
(Lorsque l’on est innocent d’un crime, l’on n’est pas un suspect, en v.f.)
Edwin Meese, secrétaire à la justice de Ronald Reagan.

Combien il est malaisé pour le juré de se faire une opinion propre, de ne pas épouser celle du président.
André Gide, « Souvenirs de la cour d’assises ».


En l’absence de preuves formelles, Cédric Jubillar, au nom du peuple français, vient d’être reconnu le 17 octobre coupable du meurtre de son épouse. Voilà un verdict qui appelle quelques réflexions générales sur la procédure pénale française (comportant quelques comparaisons avec le droit processuel anglo-saxon « noir sur blanc », lequel est plus protecteur des droits de la défense), qui peine à se dégager du carcan idéologique de la Sainte Inquisition.

D’abord, il y a la mentalité surtout française (mais pas seulement). Si l’accusé jouit de la présomption d’innocence selon les doctes traités de procédure pénale, il n’en va pas toujours de même en pratique : quand il y a procès pénal, « ce n’est pas pour rien ».

En ce qui concerne notamment la phase préalable au procès, est bien connu le problème des instructions menées à charge (qui n’est d’ailleurs pas un monopole français). Grâce, par exemple – à tout seigneur tout honneur – à Fabrice Burgaud, qui est déjà passé à l’Histoire, il n’est plus à démontrer que les enquêteurs et les juges d’instruction (et les procureurs où est en vigueur la common law) le moindrement expérimentés sont en mesure d’orienter le processus et de manipuler les témoins. A fortiori, il est plus facile de « piéger » un suspect/accusé, qui a rarement les armes, notamment psychologiques, pour se défendre contre une infernale machine judiciaire; les contradictions ou incohérences alléguées du gibier ne prouvent rien dans un sens comme dans l’autre. Voilà d’ailleurs pourquoi le droit au silence en tout temps revêt un caractère sacré dans les ressorts anglo-saxons.

Quant aux juridictions de jugement, on constate en France la raréfaction des jurés populaires. Il est bien connu que les magistrats professionnels, qui sont des collègues de travail des représentants du ministère public, sont moins portés à la mansuétude que les jurés, par définition « hors-système ».

Chaque système a sa logique interne : une juridiction uniquement composée de magistrats professionnels est (théoriquement) moins influencée par les préjugés des profanes. À l’inverse, un jury populaire est plus en mesure de jeter un regard neuf sur les faits et les constater selon le bon sens ordinaire.

Mais que dire du tribunal français d’assises mixte composé de six jurés citoyens et de trois magistrats? Arithmétiquement, ces derniers ne disposent que de trois voix sur neuf, mais, en pratique, leur influence est disproportionnée car ils peuvent jouer de leur expérience et de leur expertise pour impressionner, sinon même influencer les jurés. Pire, ils peuvent exercer des pressions plus ou moins subtiles sur ces derniers et les intimider.

(On notera à cet égard une sinistre, mais révélatrice, jurisprudence. En 2013, Thierry Allègre, juré dans une affaire de viol sur mineur, dénonça à la presse les manœuvres et pressions des trois magistrats, notamment de la présidente, afin de truquer les délibérations et orienter les jurés vers un vote de culpabilité. Et condamnation il y eut. Comme de juste (si l’on peut dire), M. Allègre fut, en conséquence, lui-même condamné pour violation du secret du délibéré, lequel est total selon la loi, ce qui est tout à fait exact. Cependant, la Cour a alors feint de ne pas comprendre qu’il n’y a alors jamais eu une telle violation : lorsqu’il y a manœuvres illégales de la part d’un magistrat, certes, on ne sort pas de la salle de délibérés, mais… on sort du délibéré. Soutenir le contraire, c’est vouloir couvrir tout ce qui se passe dans cette salle, c’est donner au magistrat l’autorisation illimitée de violer la loi dès qu’il en ferme la porte. Mais que les lanceurs d’alerte se le tiennent pour dit…).

Il est hasardeux de mélanger l’huile et le vinaigre. Le système français est donc un système bâtard où la volonté du peuple français n’est que poudre aux yeux.

Surtout si l’affaire est médiatique.

Quant au procès proprement dit, le rideau s’ouvre avec les « expertises » psychiatriques. Une ânerie impensable en procédure pénale anglo-saxonne. A la rigueur, on peut admettre que les psys expliquent pourquoi l’accusé a pressé sur la détente, mais il faut, logiquement, en premier lieu, établir matériellement si c’est bien son doigt qui a activé la détente! Le problème est que, dans la pratique, les personnes qui se retrouvent devant une juridiction pénale n’ont pas toujours un CV sans tache (n’est pas l’abbé Pierre qui veut, n’est-ce pas?) et une personnalité des plus amènes. Les « constats » forcément hostiles des psys pipent donc, dès le départ, les dés en faveur d’une propension au crime et donc à une conclusion de culpabilité. Il y a forcément « préjugé », dans tous les sens du terme.

Puis, on voit défiler des soi-disant témoins qui viennent faire état de leurs « convictions » et de leurs états d’âme, puisés dans les dires et ouï-dires du cousin de la belle-sœur du neveu de Marcel Gotlib.

En l’espèce, était particulièrement malvenue l’affirmation de la mère de l’accusé portant que son fils ne dirait jamais la vérité, sans qu’elle relate quelque fait brut que ce soit… Quand une mère, étouffée par l’air vicié du prétoire, condamne elle-même sans preuves… la messe est presque dite…

Voici, en vrac, quelques éléments épars qui ressortent du procès Jubillar. Les soi-disant souvenirs d’un enfant qui avait six ans lorsqu’il aurait entendu cinq auparavant une dispute de ses parents le soir en cause (la mémoire est pourtant une faculté qui oublie); les insuffisances de deux gendarmettes, formées et formatées par le maréchal des logis-chef Ludovic Cruchot, et un gendarme qui a assuré, le cœur sur la main, avoir commis une simple erreur de « coupé-collé » en ce qui concerne le bornage du téléphone de l’amant de la disparue… le soir fatal. À noter d’ailleurs l’aplomb de ce dernier avec sa réplique insolente au sujet de l’expertise technique téléphonique des avocats de la défense… Manifestement, il était en territoire ami. Incidemment, il est intéressant de constater que (pas seulement en France!) l’enquêteur exposé à des accusations de mensonge et de falsification de preuve est toujours le premier à proclamer son innocence en invoquant son propre crétinisme.

Cerise empoisonnée sur le gâteau, l’on retient comme fiable le témoignage d’un ex-codétenu! Les membres de la Cour sont manifestement ignorants des histoires d’horreur judiciaire aux États-Unis à ce sujet.

Et comment ne pas citer cette délicieuse perle de l’avocat général Nicolas Ruff :

Un dossier vide parce qu’il manque le corps de Delphine Aussaguel. On se servira de l’absence de ce corps pour créer le doute. Mais dissimuler un corps doit-il faire échapper à toute responsabilité ?

Un bel exemple de raisonnement circulaire où l’on tient pour acquis ce qui, précisément, était à démontrer : la responsabilité de l’accusé.

Mais sur le plan de l’inobservation de la logique aristotélicienne élémentaire, voici une perle encore plus éclatante de noirceur, digne des perles de l’épreuve de philo du bac.

La Cour reproche à Cédric Jubillar son « manque de remords »et le fait qu’il « n’a donné aucune information sur l’endroit où se trouve le corps de son épouse, privant la famille de cette dernière d’un lieu de recueillement »puisqu’il proclame son innocence! Humour noir involontaire. Que les juges rejettent ce plaidoyer, c’est une chose, mais, par définition, on ne peut s’attendre à ce que la personne qui se prétend innocente exprime des remords et donne des renseignements au sujet d’un crime qu’il nie. Et c’est à l’accusé que l’on reproche des incohérences?… Sainte Inquisition, quand tu nous tiens…

Cette seule énormité jette le discrédit sur l’ensemble des conclusions de la Cour : une chaîne n’a que la force du plus faible de ses maillons.

Une certitude incontournable ressort de ce procès : en ce qui concerne la couronne du gendre idéal, il est permis de conjecturer que Cédric Jubillar n’est sans doute pas sur le point de détrôner Michel Drucker.

À ce stade, eût été un élément contextuel instructif le récapitulatif des dépenses engagées dans ce dossier par les forces de l’ordre depuis l’ouverture de l’enquête, par le ministère public et, bien sûr, par les parties civiles (un investissement rentable pour l’instant), complété par leurs prévisions budgétaires pour la procédure d’appel (on n’en est pas encore au pourvoi à la Cour de cass’), que l’on eût pu recenser dans la colonne de gauche.

Et, dans la colonne de droite, eût pu être exposé le trésor de guerre de Cédric Jubillar.

L’acte I est clos. Affaire à suivre en appel, acte II.

PS. Il faut instamment recommander à tous ceux qu’intéresse le parfois hasardeux processus décisionnel des jurés de voir ce chef-d’œuvre du 7ème art américain de 1957, « Twelve angry men » en v.o. (« Douze hommes en colère » en v.f.). Le doute ne tient parfois qu’à un fil…

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L’arbre d’Ilan Halimi, ou la lâcheté des élites

À Épinay-sur-Seine, on se souvient que l’olivier planté en hommage à Ilan Halimi (assassiné par le « gang des barbares » en 2006) avait été tronçonné mi-août par deux frères jumeaux tunisiens, Ismaël et Brahim K. Identifiés grâce à des traces d’ADN retrouvées sur des morceaux de pastèque abandonnés près de leur méfait, les deux hommes ont été jugés à Bobigny. Verdict: huit mois à l’ombre pour l’un, du sursis pour l’autre. Mais la justice n’a pas retenu le caractère antisémite de la dégradation, suscitant l’indignation des associations. « C’est un acte grave, mais la justice ne suit pas ! » a déploré l’Union des étudiants juifs de France (UEJF). Le parquet fait appel. Analyse.


Charles Rojzman vient de publier « La société malade » (FYP éditions) NDLR.

Deux jeunes hommes tunisiens, clandestins, ont tronçonné un olivier planté dans une ville de banlieue française. Cet arbre avait été érigé à la mémoire d’un garçon supplicié parce qu’il était juif. Le tribunal les a condamnés pour destruction de bien public, mais a refusé de reconnaître le caractère antisémite de l’acte. Ainsi parlent nos élites : pour ne rien dire. Ils ont scié l’arbre d’Ilan Halimi. Lentement, à la hâte du mal banal, dans un square public, sous les fenêtres d’un pays somnambule. Un arbre planté pour rappeler qu’ici, sur cette terre de France, on a torturé et assassiné un jeune homme parce qu’il était juif.

Et la justice, servile et prudente, a décrété que non : que la haine n’y était pour rien, qu’ils ne savaient pas, qu’il fallait comprendre. Ce n’est pas la France que je condamne — elle souffre, elle subit, elle se tait —, mais ceux qui parlent à sa place. Ce sont les élites, les juges, les éditorialistes, les professeurs de morale, les évêques laïcs de la compassion obligatoire. Ceux qui, au nom du Bien, désarment la vérité.

L’idéologie du doute

Le mal de la France n’est pas dans ses banlieues ou l’immigration, mais dans ses institutions. Ses élites vivent dans un mensonge confortable : celui d’un pays post-historique, où plus rien ne doit être nommé pour ne pas blesser. Leur langage est une anesthésie. Ils ont remplacé la clarté par le soupçon, la justice par le commentaire, la vérité par le compromis. Ils ne jugent plus : ils interprètent. Ils ne condamnent plus : ils contextualisent. Ils ont fait du doute un dogme, du relativisme un catéchisme, et du silence un signe de vertu.

Ces juges sans feu ne veulent plus trancher, mais comprendre. Ils réduisent l’acte à son contexte, la haine à la misère, la faute à la maladresse. Ils se croient humains : ils sont seulement fatigués. Et dans cette fatigue morale s’effondre le peu d’autorité qui restait à la civilisation.

Les complices du mensonge

La bien-pensance n’est pas née du peuple, mais de la peur des puissants. Peur d’être accusés de racisme, peur d’être mal jugés, peur d’avoir tort. Cette peur a colonisé la pensée, l’école, la presse, la justice, jusqu’à devenir la langue officielle du déni. Les élites se lavent les mains dans la morale comme d’autres dans le sang. Elles transforment la profanation en incident, la haine en méprise, la lâcheté en pédagogie. Elles ne défendent plus le pays, elles s’en protègent.

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Le peuple, lui, voit clair — il sait que la haine du Juif, du policier, du professeur, du Français ordinaire, est redevenue monnaie courante. Mais il ne peut plus le dire : il serait aussitôt jugé, suspecté, réduit au silence par ceux-là mêmes qui prétendent le défendre.

L’arbre abattu

L’olivier d’Ilan Halimi n’était pas un symbole parmi d’autres : il portait la trace d’une promesse — celle qu’un peuple s’était faite à lui-même après la Shoah, de ne plus jamais laisser la haine renaître dans son ombre.

En le tranchant, ces deux jeunes hommes n’ont pas seulement coupé un arbre : ils ont signé la défaite morale de ceux qui devaient le protéger. La justice, en refusant de nommer l’antisémitisme, a brisé la chaîne du sens. C’est un geste plus grave encore que le crime : une abdication de la parole publique. La neutralité n’est plus ici un principe, mais une trahison. Car refuser de nommer le mal, c’est le laisser régner.

La caste morale

Nos élites se veulent éclairées. En vérité, elles vivent dans la pénombre. Elles ne voient plus le monde, elles se contemplent.

Elles se répètent que la France est diverse, généreuse, ouverte — pendant que la haine circule, tranquille, dans les écoles, les stades, les réseaux, les mosquées. Elles appellent cela la démocratie. Moi, j’y vois une épuration du réel. Elles pardonnent à tout, sauf à ceux qui osent dire ce qu’elles n’osent plus penser. Elles ont remplacé la lucidité par le soupçon, la justice par l’émotion, le courage par la communication.

La faillite du sens

Il ne s’agit pas de deux délinquants, mais d’un système.

Celui d’un pays où l’on s’indigne à heures fixes, où la compassion est devenue une arme de censure, où les crimes sont excusés à proportion de leur gravité. On ne veut plus de tragique : on veut du confort. Mais une civilisation qui ne supporte plus la vérité prépare son propre effacement. Ils ont scié un arbre de mémoire. Nos juges ont scié la conscience du pays.

Et les élites, satisfaites de leur vertu, ont applaudi en silence.

Le bruit du néant

Je n’accuse pas la France : je la plains. Elle a été trahie par ceux qui prétendaient la servir.

Les élites, en refusant de nommer la haine, en transformant la justice en anesthésiant moral, ont déserté le champ du réel. Elles ont laissé le peuple seul face à la peur, à la colère, à la désillusion. On ne détruit pas un arbre sans abattre un peu du monde. Et dans le vrombissement de la tronçonneuse, j’entends autre chose que le bois qu’on fend : le son pur et définitif d’une civilisation qui se coupe elle-même du sens — sous les applaudissements polis de ses élites.

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Rwanda: trente ans après le génocide, la littérature comme mémoire politique

Dans son roman Les fils qui nous relient, Emmanuel Cortez explore les cicatrices du Rwanda contemporain et les liens complexes entre mémoire, identité et réconciliation.


Trente et un ans après le génocide des Tutsis, qui fit entre 800 000 et un million de morts en à peine cent jours, le Rwanda s’affiche comme un modèle de stabilité et de développement en Afrique. Mais derrière la réussite économique du « pays des mille collines », la question mémorielle reste centrale. La littérature, souvent plus libre que le discours politique, continue d’interroger les blessures du passé. C’est dans cette veine qu’Emmanuel Cortez publie Les fils qui nous relient, un roman où l’intime et l’Histoire se répondent, et où la fiction devient un prolongement de la mémoire collective.

Un récit entre fuite, survie et reconstruction

Le roman s’inspire de faits réels. Il raconte l’histoire de Marie-Ange, jeune paysanne tutsie qui parvient à échapper aux massacres de 1994. Réfugiée dans un camp protégé par les légionnaires français, elle croise Enguerrand, un lieutenant venu d’un autre monde. De cette rencontre brève naît Jean-Jacques, un enfant métis, fils de la guerre et témoin d’un double héritage : celui du Rwanda meurtri et celui de la France spectatrice et actrice à la fois de son histoire.

« J’ai voulu donner voix à une génération marquée par le génocide, en racontant la fuite, la survie, mais surtout la reconstruction », confie Emmanuel Cortez.

Le parcours de Jean-Jacques, de Kigali à Paris, devient alors une métaphore : celle d’un peuple cherchant à se relever tout en affrontant le poids du passé.

Réconciliation et mémoire collective

Depuis la fin du conflit, le Rwanda a mis en place une politique de réconciliation nationale structurée autour de la justice, de la vérité et du rétablissement de la cohésion sociale. Les juridictions gacaca, créées au début des années 2000, ont permis de juger plus d’un million de personnes tout en rétablissant un dialogue communautaire. La Constitution de 2003 affirme désormais que tous les Rwandais jouissent des mêmes droits, indépendamment de leur origine ethnique.

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Pourtant, au-delà du cadre institutionnel, la reconstruction passe aussi par la culture. Les fils qui nous relient s’inscrit dans cette dynamique de mémoire vivante. En retraçant le destin d’un enfant né du chaos, Emmanuel Cortez rappelle que la mémoire du génocide n’est pas un monument figé mais un tissu de récits individuels, transmis de génération en génération. « Comment un peuple peut-il se réconcilier après s’être autodétruit ? », interroge l’auteur. « Ce roman est une manière de dire que les fils de l’humanité ne se rompent jamais. »

Les zones grises de la relation franco-rwandaise

Le choix de faire d’un officier français le père du héros n’est pas anodin. Il renvoie aux ambiguïtés diplomatiques entre Paris et Kigali, longtemps marquées par le soupçon et la distance. Le rapport Duclert, remis en 2021, a reconnu les « responsabilités lourdes et accablantes » de la France, sans toutefois conclure à une complicité directe. Depuis, la relation entre les deux pays s’est apaisée, marquée par les visites officielles et une coopération accrue.

Dans le roman, la rencontre entre Marie-Ange et Enguerrand traduit cette complexité : celle d’un lien à la fois douloureux et nécessaire, fait de mémoire et de compréhension mutuelle. Le métissage de Jean-Jacques devient ainsi un symbole géopolitique autant qu’humain, celui d’une identité partagée, entre deux continents que l’histoire a unis dans le drame.

Quand la littérature prolonge la diplomatie

En situant son intrigue entre Kigali et Paris, Emmanuel Cortez inscrit Les fils qui nous relient dans la continuité des écrivains de la mémoire: Scholastique Mukasonga, Gaël Faye ou Boubacar Boris Diop, qui ont chacun donné voix aux rescapés et aux témoins. Son roman illustre le rôle de la littérature comme outil de diplomatie culturelle et de compréhension internationale, à l’heure où les mémoires coloniales et post-conflit restent des points sensibles du dialogue entre l’Afrique et l’Europe.

Plus de trois décennies après les faits, alors que le Rwanda s’affirme comme un acteur régional influent et un partenaire clé pour les puissances étrangères, Les fils qui nous relient rappelle une vérité simple : la réconciliation ne se décrète pas, elle se construit. Et la mémoire, loin d’être un fardeau, demeure une boussole pour les peuples qui refusent de répéter l’histoire.

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Laurence Bloch demande à Radio France de «rattraper» les ploucs et autres culs-terreux…

L’ancienne patronne de France inter postule que  «le jour où l’audiovisuel public ne sera plus là, ce pays sera plus difficile à vivre». Elle enjoint à la patrouille médiatique progressiste de «rattraper les CSP–, c’est-à-dire ces gens qui n’ont pas un patrimoine culturel suffisant pour être en tranquillité avec ce monde»…


À l’occasion de la sortie de son livre Radioactive, l’ancienne directrice de France Inter, Laurence Bloch, était reçue le 21 octobre par Benjamin Duhamel dans la Grande matinale de… France Inter. Elle est très heureuse, dit-elle, de se retrouver à côté de Patrick Cohen: « Je trouve que la chronique de Patrick, ça dit tout de l’audiovisuel public, c’est-à-dire que nulle part ailleurs vous n’avez cette profondeur de champ. » Dans le monde de Mme Bloch, la superficielle bien-pensance de gauche est appelée « profondeur de champ ». S’il est vrai que Patrick Cohen « dit tout de l’audiovisuel public », ce n’est sûrement pas dans le sens qu’elle imagine.         

Écoutez la déférence

Benjamin Duhamel habite le même monde que Mme Bloch. Monde de mensonges, de contre-vérités, d’affabulations victimaires. « Pourquoi n’y a-t-il pas de grandes voix pour défendre le service public ? », ose-t-il demander à l’ancienne directrice de France Inter qui, sachant qu’elle n’a à redouter aucune contradiction, dénonce vigoureusement l’absence de soutien et « la lâcheté des politiques, des intellectuels et du monde culturel ». Curieux ! La grande majorité des susnommés prennent régulièrement leur courage à deux mains pour dénigrer les « médias bollorisés » et défendre mordicus l’audiovisuel public mais Mme Bloch juge vraisemblablement que cela est encore insuffisant.

Dans ce monde parallèle où la réalité est inversée, les propos extravagants de Mme Bloch sont accueillis comme paroles d’évangile : « Si tout d’un coup, les voix de France TV et de Radio France s’arrêtaient, où est-ce qu’on pourrait trouver toutes ces émissions qui nous donnent le sentiment d’être un peu plus à l’aise dans ce monde qui est compliqué ? Où est-ce qu’on retrouverait des émissions d’économie, des émissions géopolitiques, des émissions de science ? Nulle part ailleurs. » Heureusement que le ridicule ne tue pas. Encouragée par la silencieuse approbation du jeune journaliste fraîchement france-intérisé – notons que celui-ci, héritier d’une puissante tradition familiale médiatique, semble doué d’une exceptionnelle capacité à s’adapter aux idéologies en vogue et à interviewer ses invités avec rudesse ou déférence selon qu’ils sont considérés, d’après des critères qui lui sont propres mais qu’on peut aisément deviner, comme des adversaires ou, au contraire, comme de potentiels alliés à la seule cause qui vaille à ses yeux : sa carrière – l’ex-directrice de la stratégie éditoriale de Radio France affirme que l’audiovisuel public « se bat pour les faits, le réel et pas la reconstruction idéologique de la réalité. » Un monde parallèle, vous dis-je.

Médias Bolloré : mais pourquoi sont-ils aussi méchants ?

Bien entendu, une émission de France Inter évoquant les médias ne saurait éviter de dénigrer Vincent Bolloré et CNews. Mme Bloch y va donc de sa charge : « Il y a une technique de marketing qu’est utilisée par un groupe privé, très très très fort, et beaucoup trop portée par les autres médias, en particulier la presse écrite. (sic)» Les succès de CNews, d’Europe 1 et du JDD restent en travers de la gorge de leurs contempteurs. Ces médias n’hésitent pas à aborder de front les sujets qui importent aux Français et que délaissent les médias autorisés se contentant de relayer les dépêches orientées de l’AFP et autres organes officiels de propagande. CNews attire de plus en plus de téléspectateurs qui, intrigués par les propos dépréciatifs des employés de l’audiovisuel public, de Libé, de Télérama et du Monde, ont commencé à y jeter un coup d’œil par simple curiosité, puis se sont aperçus que les journalistes et les intervenants soulevaient des questions primordiales, qui les touchaient directement, sur l’immigration, l’insécurité, la déficience des services publics, la dégringolade économique, l’impéritie de notre classe politique, la pénétration conjointe et paradoxale du wokisme et de l’islamisme dans les milieux universitaires, politiques et associatifs, etc.

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Au fur et à mesure que les mois passent, CNews accroît son audience. Les gens qui constituent son public sont des personnes ordinaires dont la perception du monde, reposant sur de simples notions empreintes d’histoire et de transmission, de vie commune et de liens traditionnels, est très éloignée des divagations alambiquées de la nouvelle classe dominante qui a pour objectifs principaux l’effacement du passé et la transfiguration du réel. Si ces gens ordinaires échappent à l’attraction de Radio France, c’est qu’ils sont bêtes, pense Mme Bloch. Ne cachant pas son mépris pour certains Français, elle demande aux journalistes france-intériens de tout faire pour « rattraper les CSP, c’est-à-dire ces gens qui n’ont pas un patrimoine culturel suffisant pour être en tranquillité avec ce monde ». Derrière cette novlangue, il est facile de deviner le fond de la pensée de Mme Bloch : il faut, par tous les moyens possibles, attirer dans les filets de la radio publique ceux qu’elle considère être des Français subalternes, les artisans, les employés, les ouvriers et les paysans encore attachés à quelques métiers et traditions qu’elle juge archaïques, et les abrutir jusqu’à ce qu’ils respectent et adorent, à la place de leur véritable patrimoine, celui, faux, superficiel, abstrait, du nouveau monde radieux qu’elle et ses congénères appellent de leurs vœux. Le programme d’endoctrinement du peuple et d’effacement du réel établi par la caste médiatico-culturelle au pouvoir est diffusé sur les ondes de Radio France, établissement public que Mme Bloch a façonné pendant des années à cette seule fin. Ce programme prévoit le remplacement de la langue par la novlangue, de la vérité par le mensonge, de la mémoire par l’oubli, de la science par le wokisme, du savoir par la croyance, du temps par l’immédiateté, de la proximité par l’éloignement, de l’enracinement par l’hyper-mobilité, du local par le global. Pour, comme dit Mme Bloch dans sa langue dégradée, « être en tranquillité avec ce monde» – monde qui n’est en vérité que celui souhaité par les élites – les gens ordinaires devraient gober le catéchisme progressiste et woke diffusé sans relâche sur les ondes et les écrans de l’audiovisuel public, ce à quoi ils se refusent de plus en plus. La moindre résistance est qualifiée d’extrême droite et le moindre résistant est accusé d’être un suppôt de Bolloré, voire pire. Mais peu importe, résistance il y a. Même Mme Bloch est obligée, à sa manière tordue, d’en convenir. Il lui faut donc, dans le style absurde et outrancier qui lui est habituel, en rajouter encore un peu, jusqu’à atteindre ou dépasser, chacun jugera, les limites du ridicule.

L’ex-directrice de France Inter pare l’audiovisuel public de toutes les vertus – « utilité », « pluralité », « exceptionnalité » – et, envisageant le pire, continue de divaguer sous l’œil attendri de Benjamin Duhamel : « Le jour où l’audiovisuel public ne sera plus là, ce pays sera moins tranquille et plus difficile à vivre. »

Un journaliste même moyennement compétent aurait sans doute réclamé quelques éclaircissements, quelques précisions, quelques exemples d’intranquillité ou de difficulté à vivre dans le cas, pour le moment malheureusement improbable, où l’audiovisuel public viendrait à disparaître. Benjamin Duhamel, qui s’est rapidement adapté aux manières affables du journalisme de salon france-intérien, surtout lorsqu’il s’agit de promouvoir l’ouvrage d’une figure de Radio France, ne s’aventure pas de ce côté-là. De toute manière, personne n’est dupe, ce n’est pas demain la veille que l’audiovisuel public sera mis en péril – et Mme Bloch aura sûrement l’occasion d’y revenir faire la leçon aux Français récalcitrants, aux ploucs, aux beaufs et aux culs-terreux qui ne comprennent décidément rien à « ce monde »…

Radioactive

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Sagan connaît la chanson

Les éditions Seghers ont réuni toutes les paroles des chansons de la romancière dans un même volume, textes, inédits et brouillons compris, sous le titre Sans un regret. Les plus grands, Juliette Gréco, Mouloudji, Régine et même Johnny ont chanté Sagan…


Françoise Sagan (1935-2004) est joueuse. Mélancolique et spirituelle comme toutes les filles du Lot élevées boulevard Malesherbes et roulant en grosse américaine (sans le permis de conduire). Toute sa vie, elle ne s’interdira aucun genre, aucune farce, aucun excès, aucun expédient, aucune descente. À l’ombre de l’église Saint-Germain-des-Prés, sur le port de Saint-Tropez, à la roulette, en col claudine ou en socquettes d’écolière, son appétit d’écrire ne se limitera pas aux romans d’initiation.

Avant-propos de Denis Westhoff

On connaît l’histoire par cœur, la déflagration de l’année 1954, elle sert la légende. Elle se propage dans les collèges privés et les sous-sols des maisons d’édition. On extrapole, on invente, on médit, on fantasme à son sujet car, plus de vingt ans après sa disparition, le phénomène Sagan ne lasse pas. Il n’est pas souillé, il brille encore. Le tapage médiatique, « le charmant petit monstre », « le père Julliard », « le million d’exemplaires vendus », « l’accident en Aston Martin », « Jacques Chazot, Bernard Frank et Florence Malraux », toute la lyre en papier glacé n’a pas abîmé sa plume. Au contraire, aujourd’hui on loue plus qu’hier son toucher de pages, cette rosse délicatesse des adolescences endolories, cette sarabande des sentiments étouffée sous le poids des conventions. Sagan inoffensive, indolente, gentillette : balivernes ! Elle a la sauvagerie gracile des bêtes féroces. Elle semble fragile et lointaine, elle est carnassière et intensément dans le présent. Elle sait par instinct que la vie n’est qu’un tourbillon. S’il ne fait aucun doute que Sagan est un grand écrivain de langue française, on connaît moins la parolière. Dans l’avant-propos de ce recueil, Denis Westhoff, son fils, raconte la genèse de cette idylle entre sa mère et la chanson. Tout débute par un coup de fil de Michel Magne, le trublion des infrasons, le futur père musical des Tontons, d’Un Singe en hiver ou des Fantômas, le « pionnier des musiques électroniques ». Michel Magne n’est pas encore le turbulent propriétaire du château d’Hérouville, célèbre studio des dissidents.

A lire aussi, du même auteur: Des planches de Deauville au désert des Touaregs!

Stars de la chanson

Il a lu Bonjour tristesse et s’enthousiasme pour cette inconnue. « Françoise a tout de suite compris ma musique, et moi j’avais compris sa poésie. Il suffisait que je joue une mesure pour qu’elle trouve un titre, le premier vers. Il suffisait qu’elle assemble des mots pour que je trouve un air », dira-t-il. Ces deux-là, réfractaires aux cases, aux codes, aux boniments, au sérieux des grandes personnes s’accordent à merveille. Sagan écrira, Magne composera des mélodies. Dans ce milieu des années 1950, on démarre en trombe, on ne fait pas des tableaux de prévisions, on ne s’épargne pas, on plonge pour le plaisir de se retrouver la nuit dans les boîtes de la rive gauche. Dans sa préface, Sophie Delassein nous apprend que « l’auteure de Bonjour tristesse vit en musique, elle apprécie le classique avec une préférence pour Mozart et Beethoven, et le jazz de cave qu’elle qualifie d’« insouciance accélérée ». Françoise et Michel ont une passion commune pour Billie Holiday, ils iront l’écouter dans un bouge du Connecticut. Naîtront des disques que les moins de 60 ans ne peuvent pas connaître et des textes censurés à la radio. D’abord, ce sera Juliette Gréco, l’égérie du VIème arrondissement qui chantera Sagan, puis viendra le tour de Mouloudji, d’Annabel qui n’est pas encore l’épouse de Bernard Buffet et puis Régine, la reine de la nuit, patronne rousse au tempérament volcanique, sa tendre complice du New Jimmy’s. Ces deux-là ne se chamaillaient jamais. Ces deux insoumises avaient le sens de l’amitié.

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Sophie Delassein rappelle que Sagan fut son témoin de mariage en 1969. On lit donc avec plaisir ces chansons écrits pour la plupart, il y a 70 ans : « La valse », « Sans vous aimer », « Le jour », « Vous mon cœur », « Le soleil », etc. Beaucoup plus tard, au tournant du millénaire, Sagan reviendra à cet exercice de jeunesse pour le compte de Johnny qui se confiera à elle, durant une nuit de connivence. Quelques cris saura inspirer David le grand ordonnateur de l’album « Sang pour sang » qui se vend à 250 000 ex. le jour de sa sortie. Parmi les inédits, l’esprit de Sagan est partout présent, retenons cette strophe de « L’homme jaloux » :

Ne sais-tu pas
Qu’on peut aimer
Tous les visages
Rencontrés
Sans pour cela
Faire de toi
L’homme trompé

Sans un regret – François Sagan – Toutes les paroles de ses chansons – éditions Seghers 112 pages

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Guitry fait de la résistance

Une pièce inédite de Sacha Guitry refait surface, mettant à mal son injuste et mauvaise réputation. Mon auguste grand-père, interdit par la censure allemande, témoigne du bras de fer qui l’opposa toute la guerre à l’occupant.


Les mauvaises réputations ont la vie dure, même lorsqu’elles sont infondées. Sacha Guitry en sait quelque chose : son passé de collabo fut tel que les tribunaux d’épuration ne trouvèrent rien, aucune preuve de quoi que ce soit pour le condamner. Cette accusation mensongère lui colle encore à la peau. Certes il ne prit pas le maquis, mais il passa toute l’Occupation à résister à l’occupant. Avec ses armes : son esprit et son théâtre.

Parce qu’il avait du talent, il eut beaucoup de succès et autant d’ennemis. Avant d’essuyer les foudres des gardiens de la culture d’après-guerre – à peu près les mêmes qu’aujourd’hui –, il eut à ferrailler avec les critiques de la presse collaborationniste (« il faut voir leur gueule, cela explique et rassure »).

Quelques semaines après l’instauration des premières lois antijuives, ladite presse l’accuse, en décembre 1940, d’être juif. À lui de prouver le contraire. Il griffonne cette note : « Donc faire tout de suite une pièce qui tournerait en dérision la question juive. En souligner la gravité en montrant le ridicule. Détourner les Français d’en être les complices. Leur faire entendre un son de cloche différent – en insistant sur les ravages que peut causer la délation. La faire sans tarder, cette pièce – en raison même des dangers auxquels une pareille démonstration m’expose. »

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En seulement trois jours, Guitry écrit Mon auguste grand-père. Une pièce en cinq actes pour vingt et un comédiens[1]. On suit Christian, un artiste peintre à qui la chance sourit. Du moins au début de la première scène de l’acte I. La jeune femme qu’il aime est prête à se marier avec lui, une commande va lui rapporter une fortune, et le nouveau directeur des Beaux-Arts veut le rencontrer. Mais la dulcinée déboule rapidement pour lui dire que tout est fini entre eux, il apprend au téléphone que la commande est annulée et un autre appel lui annonce que le rendez-vous n’aura pas lieu. À ses côtés, son copain Titi lui fait comprendre la soudaineté de ces revirements : le bruit court qu’il est juif.

Christian ne l’est pas, mais comme Guitry, il néglige ses papiers de famille et va difficilement reconstituer son arbre généalogique. Le dénouement, avec son monologue final, est inattendu, brillant et poétique.

Fin décembre, les cinq décors sont construits et les répétions s’enchaînent jusqu’à la mi-janvier au théâtre de la Madeleine que dirige le maître. Mais quelques jours avant la première, le 25 janvier 1941, Mon auguste grand-père est interdit par la censure. Guitry est convoqué par M. Epting, le directeur de l’Institut allemand. « J’entends ces mots », écrit Sacha : « Nous ne pouvons tolérer que vous tourniez en dérision les lois raciales. Vos intentions sont claires et nous ne sommes pas dupes de la légèreté apparente de l’ouvrage. Votre pièce est drôle, elle est précisément trop drôle et nous n’accepterons pas qu’on se moque de nous. Quant aux Français, ils ne sont pas encore mûrs pour entendre une pièce pareille. »

Elle ne sera jamais jouée ni publiée[2].

Jusqu’à ce qu’Albert Willemetz (petit-fils du grand librettiste et président de l’Association des amis de Sacha Guitry) mette la main sur le manuscrit et décide de le faire imprimer. À quand la première, quatre-vingt-quatre ans après la répétition générale ?


À lire

Mon auguste grand-père, Sacha Guitry, 2024.

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[1] Pendant quatre ans, il tentera toujours de monter de grandes productions afin de faire travailler le plus possible d’acteurs de la profession (comédiens, machinos, costumiers, décorateurs etc.).

[2] Par la suite, la censure interdira d’autres pièces telles Le Nouveau Troubadour et Le Soir d’Austerlitz, ainsi que son film Ceux de chez nous.

Christine fait un carton

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Chaque semaine, Philippe Lacoche nous donne des nouvelles de Picardie…


Peintre et comédienne, ma Sauvageonne adore le théâtre. Il n’est pas rare qu’elle m’y entraîne. J’adore ça. Je me sens dans la peau de Blaise Cendrars quand il suivait sa compagne, la comédienne Raymone, dans les théâtres de Paris et de province à la faveur de ses tournées. Il a raconté l’univers du monde du théâtre dans son délicieux roman à clefs, Emmène-moi au bout du monde (qui doit beaucoup aux pérégrinations théâtrales – pas que… – de la comédienne Marguerite Moreno, une amie de Raymone), paru en 1956, chez Denoël. Un roman terriblement rock’n’roll et, contrairement à ce que certaines ont cru à l’époque, puissamment féministe. Dans l’un des scènes, l’héroïne, Thérèse Espinosa, 80 ans, perd son dentier lors d’ébats amoureux avec un vigoureux légionnaire – tiens, tiens…- ; elle finit par lui demander de la frapper encore et encore tant elle aime ça. Rassurez-vous, lectrices vénérées, je n’ai jamais levé la main sur une femme, et encore moins sur mon ébouriffée adorée.

C’est peut-être aussi pour ça qu’elle m’emmène, non pas au bout du monde, mais au théâtre. L’autre soir, à la Comédie de Picardie, à Amiens, nous avons assisté avec un vif plaisir à la pièce Pauline&Carton, d’après les écrits de Pauline Carton, mis en scène par Charles Tordjman, avec l’incroyable et irrésistible Christine Murillo. Une pièce ? Pas vraiment. Un one-woman-show plutôt ! Un magnifique et drôlatique one-woman-show, à la fois puissant, intelligent et marrant, œuvre de la talentueuse Christine Murillo. Celle-ci ne raconte pas seulement Pauline Caron ; elle est Pauline Carton. La voix, la gestuelle, l’humour, la dégaine, l’aura. Tout y est.

Christine Murillo Spectacle Pauline & Carton, octobre 2025

Comment oublier la comédienne Pauline Carton (1884-1974), qui, dans les films d’Henri-Georges Clouzot, Max Ophuls, Abel Gance, Jean Cocteau, Marcel L’Herbier, etc., interpréta des rôles de concierges et de domestiques ? Derrière son statut de second rôle, « on découvre une femme très sensuelle et féministe sans jamais se prendre au sérieux. Une femme libre », comme l’indique le metteur en scène Charles Tordjman. « (…) Christine Murillo a toujours détesté jouer les concierges et les bonnes. Pauline Carton a toujours aimé jouer les bonnes et les concierges. Mais Christine Murillo adore jouer Pauline Carton. » Oui, Christine Murillo excelle. On n’en attendait pas moins de cette comédienne chevronnée : sociétaire de la Comédie française, elle a reçu cinq Molière pour des rôles sur les planches. « J’ai rencontré Pauline Carton à la faveur du Festival de la Correspondance de Grignan qui a contacté Charles Tordjman en lui proposant des correspondances de Pauline Carton réunies par Virginie Berling. On s’est jeté dessus ; moi, j’avais lu, il y a fort longtemps, les textes de Carton que je trouvais merveilleux », m’a raconté, en coulisses, Christine Murillo. « On a donc fait Les correspondances. Ça a plu. Frédéric Biessy, directeur général de La Scala Paris et de La Scala Provence, nous a proposé de le jouer l’année suivante à La Scala Provence et à La Scala de Paris. Donc, depuis 2023, je joue comme ce spectacle – et plus du tout les Correspondances même s’il en reste quelques-unes. On s’est plongé à donf dans les anecdotes, dans son amour du théâtre, et surtout on a choisi tout ce qui nous correspondait à Charles et à moi. C’est à la fois du pur Pauline Carton avec notre sensibilité à nous. On pourrait en faire deux heures et même plus ! On s’est bien sûr inspiré du livre Les Théâtres de Carton, mais on a mis les souvenirs dans un autre ordre. C’est son livre, plus quelques anecdotes. Je joue ce spectacle à la Pépinière-Opéra tous les week-ends jusqu’au 30 novembre. Et il y aura certainement une tournée proposée en 2027 à mon avis. Il y aura d’autres villes ; j’arrive avec ma servante, ma table comme décors et mon petit chapeau, emballé, c’est pesé ! »

Nous, en tout cas, la Sauvageonne et moi, on a passé une super soirée. De plus, le maître des lieux, l’incontournable Nicolas Auvray, directeur de la Comédie de Picardie, homme de goût, fêtait, ce soir-là, son anniversaire. Faut-il préciser que le champagne coula à flot ? Sans aucun doute, cela eût plu à Pauline, à Blaise, à Raymone et à Marguerite (avec ou sans dentier, et surtout, surtout, sans légionnaire frappeur de dames). 

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Les théâtres de Carton

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Je gonfle donc je suis

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Un aquarium de l’absurde ! Dans le grand parc d’attractions de la Modernité qu’est Paris, tout se gonfle, tout s’inverse, tout flotte. Alors qu’elle aurait préféré pouvoir admirer tranquillement les bijoux, notre contributrice n’a pas apprécié son dernier passage près du ministère de la Justice où est exposée une installation d’art moderne d’Alex Da Corte, du 20 au 26 octobre.


Le vent soufflait fort sur Paris ce jeudi. Avec la tempête Benjamin, les feuilles virevoltaient, les branches ployaient… et même l’art contemporain vacillait. Place Vendôme, la grenouille géante d’Alex Da Corte tanguait au gré des bourrasques, tel un piteux ballon de fête foraine en perdition…

Pas bête, l’artiste !

Installée depuis le 20 octobre dans le cadre du grand raout de l’art contemporain, Art Basel, cette grenouille gonflable XXL, à quatre pattes, la tête en bas et le postérieur en l’air, dans une posture pour le moins équivoque, résume à elle seule l’esprit du temps.

L’artiste vénézuélo-américain présente son « œuvre », intitulée Kermit the Frog, comme l’incarnation d’un « existentialisme américain ». Mais z’encore ? On peine à saisir le rapport entre une grenouille et l’Amérique. Ou peut-être l’artiste cherche-t-il la profondeur dans l’inconsistance ? Si, chez Sartre, l’homme était jeté dans le monde, chez Da Corte, il est jeté sur la place Vendôme, cul par-dessus tête, transformé en batracien fluo. Après tout, les bêtes sont des hommes comme les autres !

Gigantesque et creux

Derrière cette expression pseudo-intellectuelle se cache, on l’aura compris, tout l’esprit de notre époque : Je gonfle donc je suis. Un moi gonflé à l’hélium, un corps désincarné, déshumanisé. Sous ses airs pop et faussement joyeux, ce Kermit renversé incarne le gigantisme creux d’un art contemporain égocentrique et prétendument conceptuel.

A lire aussi: Fric-Frac

Dans une interview, M. Da Corte explique comment il conçoit son propre corps et dit vouloir « modeler cette carapace en quelque chose d’autre » et « vivre dans un état psychédélique ». En clair : vivre hors du corps, hors des limites du réel. Ne reconnaît-on pas là les stigmates d’une idéologie woke qui prétend libérer l’homme en l’arrachant à tout ce qui le détermine (son corps, son sexe, son histoire, sa nation…) pour en faire une entité fluide, sans contours ni gravité ? Plus qu’une installation artistique, la grenouille molle de Da Corte est une allégorie plastique parfaite de l’esprit du temps : informe, flottante, sans ancrage. Elle incarne une époque désarticulée, mouvante, sans colonne vertébrale ni centre de gravité. Une époque « liquide », pour reprendre le mot du sociologue Zygmunt Bauman, où tout se dissout : les formes, les valeurs, les repères, bref une époque à la dérive.

Temps criards et religion du climat

Même sa couleur en dit long : ce vert fluo, criard, agressif, qui envahit et sature l’espace de la place historique, n’est-il pas la couleur de Mère Nature, unique divinité autorisée dans un monde déchristianisé ? Et aussi ce symbole d’un paganisme écologique qui remplace la foi en Dieu par le culte du climat. Cette nouvelle idole païenne célèbre le mou et le flou : un monde malléable, sans forme, sans sexe, sans repères, où être neutre, indéterminé, « fluide », est devenu une vertu morale, le nouveau bréviaire de l’inclusivité.

A lire aussi: Art contemporain: «une production fade, aseptisée, facilement exportable»

Après le plug anal vert de McCarthy, présenté aux gogos comme un sapin de Noël, voici la grenouille verte, nouvelle idole d’un temps où le laid tient lieu d’esthétique.

Le vide a désormais ses gardiens, et la beauté, ses voleurs

Du haut de sa colonne de pierre, l’Empereur contemple la scène : en contrebas, une masse informe, gonflée d’air comme de vide. Lui est immortel, elle est éphémère. Lui appartient à l’Histoire, elle au néant. Lui restera droit, tandis qu’elle finira par se dégonfler.

Mais qu’on se rassure : la grenouille est bien gardée… Gare aux esthètes tentés de la percer d’un coup d’épingle : les caméras de surveillance veillent ! Nous vivons une époque formidable, où la laideur et le vide insignifiant qui souillent notre passé sont protégés, pendant que le Louvre se fait braquer et que notre patrimoine légendaire se fait voler.

Astérix, Champignac, Corto, Lefranc et Cosey sont de retour

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Casterman

À l’automne, on ramasse les BD à la pelle dans les librairies. C’est la saison des nouveautés et le retour des personnages légendaires. Durant les vacances de la Toussaint, Monsieur Nostalgie nous parle de ces héros du passé qui sont plus forts que leur image. Ils résistent au temps.


Au départ, il y a un léger agacement du lecteur entré dans l’âge adulte. Le malaise d’une époque refusant la rupture chère à François Mitterrand et l’esprit coquillard hérité de François Villon. Toute création BD est aujourd’hui soumise aux diktats du « message ». Message de confraternité, d’entraide, de bienveillance, de soumission heureuse, de culpabilité, message quasi-biblique et un peu tarte où les héros jadis sombres et complexes, tourmentés et désaxés choisissent d’œuvrer désormais dans le camp du bien. Le repentir est à la mode.

Suis-je un vieux con ?

Tous nos héros sont devenus des guides pour bien penser, bien se comporter et bien diriger sa vie. L’État leur dit merci. Sans l’ombre d’un accent de malveillance ou de malignité, ce sont des saints ou des vigies qui nous alertent contre les forces du mal et les troubles intérieurs. Ils chassent les mauvaises pensées au risque de réduire, voire de phagocyter l’imaginaire brouillon du public. Je préfère la ligne claire au message clair. L’école et les parents ayant failli dans l’éducation, la BD est la nouvelle religion gnangnan des enfants sages. Notre XXIème siècle ressemble à s’y méprendre au « Petit Vingtième », supplément confessionnel belge où l’on prêchait la bonne parole et les bons usages. Je me rends compte alors que j’ai certainement vieilli. Suis-je un vieux con ? Probablement. Le discours cotonneux, quelque peu irritant, d’un « humanisme progressiste » s’est propagé partout, dans les cases et les écrits. Nous vivons à l’ère de la contrition. Nous passons notre existence à nous racheter de fautes inconnues.

Cette bipolarité, bien et mal, gentil et méchant, à trop la transcender finit par éteindre la flamme et lasser. Le lecteur devra s’habituer à la petite leçon de morale qui sous-tend les albums de cette rentrée. Comme il s’est habitué à visiter des expositions sponsorisées par des marques. Le mélange des genres, sainteté et marchandage, n’existe pas que dans les musées de France. Cependant, miraculeusement, la force de la BD populaire demeure. Malgré le message souvent lénifiant, l’onde nostalgique l’emporte. C’est le mystère de cet art populaire ; la mémoire, les souvenirs de l’enfance, le dessin, la connectique du cerveau, tout se remet en place, par magie aux premières planches. Tout se réaccorde et l’adulte suspicieux accepte les scories du temps présent. Alors, on replonge dans la marmite gaiement. Parce qu’un album d’Astérix ou de Lefranc, c’est chaud, ça sent la brioche et le molletonné de nos jeunes années. Voyez, j’essaye d’être le plus sincère avec vous. Deux mouvements contradictoires nous assaillent, la fatigue des discours convenus, à la manœuvre, qui n’épargnent ni les auteurs de BD, ni les chaines de télé et le plaisir grand, plein et entier de revoir nos amis de toujours. La Toussaint est la saison idéale pour communier avec les fantômes d’hier. La sortie d’un nouvel opus d’Astérix (qui se vendra à des dizaines de milliers d’exemplaires jusqu’à Noël) et donc sa permanence à travers les âges, est un bonheur simple qu’il est bien difficile de snober. Qui serions-nous pour le refuser ? On retrouve cette année nos irréductibles gaulois en Lusitanie (Texte de Fabcaro / Dessins de Didier Conrad). Ils n’ont pas changé ces deux-là, « un petit anxieux et un gros nonchalant » vont goûter à l’intranquillité de l’être, ce fado de l’âme qui est le métronome des Portugais. Ce vague-à-l’âme poétique et à effet comique est une belle réussite scénaristique. Un gimmick à la Pessoa. On aura toujours un regard attendri pour leurs deux créateurs originels, les géniaux Goscinny et Uderzo. Avec ces deux-là, le mot « génial » n’était pas une figure de style.

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Au rayon des vieilleries succulentes, le dernier Guy Lefranc d’après Jacques Martin tient la route avec une histoire d’aventures qui nous amène du port de Rotterdam à l’Indonésie sur fond de décolonisation et de prédation hollandaise. On aime Lefranc, son côté boy-scout asexué, globe-trotteur des Trente Glorieuses, reporter sans houppette, aussi à l’aise au volant de son coupé Alfa Romeo qu’à la barre d’un ketch dans des mers démontées. La régate aux éditions Casterman, c’est du solide.

Et que penser de Pâcome Hégésippe Adélard Ladislas, Comte de Champignac ? Il nous salue dans un quatrième album déjà. Né chez Franquin en 1950, le Comte ami des champignons, scientifique fantasque et non-conventionnel, roi de l’atome et du chapeau mou a droit à sa propre série aux éditions Dupuis avec le duo Etien et Beka. Dans les albums précédents, il a notamment décrypté « Enigma » et découvert les vertus de la pilule. Il séjourne désormais à Los Alamos au Nouveau-Mexique sous la tutelle d’Edgar Hoover dans Les années noires. Si Champignac s’évertue à sauver le monde, il n’arrive pas à oublier Blair, sa fiancée décédée. Le charme de cette série tient surtout à cette faille psychologique. Un Champignac désorienté et inconsolable, un fil conducteur sensible et merveilleusement retranscrit. Corto n’est pas mort, la créature mouvante de Hugo Pratt revient vieillie et délavée avec Martin Quenehen et Bastien Vivès dans Le jour d’avant (Casterman). Direction les îles Tuvalu où la drogue fait des ravages. Si le héros n’a plus le charme des marges et de l’équivoque, il conserve néanmoins la manière des affranchis. Et, enfin Cosey sort Yiyun au Lombard. Au-delà de la quête de la justice du Suisse, c’est le décor, l’apnée féérique des montagnes, sa jeune héroïne au bandeau masqué, sa triste élégance qui captiveront le lecteur. On se perd dans son immensité neigeuse et ça fait du bien. Au-delà du catéchisme ambiant et de notre humeur irritable, il faut bien admettre que nos héros d’hier plongés dans la lessive des bons sentiments ont encore de la sève. S’ils portent en eux les tics de l’époque, ils ne sont pas totalement « toc ».

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Marine Tondelier, hélas…

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La chef des Verts Marine Tondelier photographiée en 2025 © ISA HARSIN/SIPA

Exclusif : Marine Tondelier «Je suis candidate à la présidentielle» peut-on lire en une du Nouvel Obs cette semaine. Défense de rire! L’écolo d’Hénin-Beaumont, alias la Marine qui ne fait pas peur, compense sa microscopique influence politique par un aplomb hors norme à la télévision.


Ne serait-elle pas une femme que j’aurais le même titre…

Ne serait-elle pas écologiste que je serais tout aussi négatif…

Elle vient d’annoncer son intention d’être candidate à l’élection présidentielle de 2027, ou d’avant, selon les impasses politiques et les humeurs de l’Élysée.

La légitimation par la télévision

On se demande bien comment elle va faire pour justifier sa volonté d’accéder à la charge suprême. Mais après tout, aujourd’hui, dans le marasme démocratique, à quel titre irait-on lui demander des comptes ? Elle a envie, elle le dit et nul n’a à formuler la moindre objection. C’est cela, le progrès : « impossible » n’est plus politique, « inconcevable » n’est plus acceptable…

A lire aussi, Ivan Rioufol: La peur du peuple, dernier programme politique à la mode

Peu importe qu’elle n’ait aucune chance et que sa seule légitimité, selon elle, soit d’avoir été beaucoup vue à la télévision… avec sa tentative désespérée, et à force touchante, de chercher à nous vendre l’union des gauches, les pires avec les meilleures (oui, cela peut exister !).

Et si c’était moi ?

Mais je veux être honnête. Ne suis-je pas injuste ? Pourquoi me focaliser sur elle ? Dans le monde des gens sérieux (apparemment, rien que des hommes, sauf si Ségolène Royal s’en mêle), combien d’ambitions vont se manifester, aussi ridicules que la sienne, aussi dangereuses pour la victoire finale que celle de Marine Tondelier ? À droite comme à gauche, on les sent frémir, ces conquérants de la dernière ligne droite, ces importants de fin de course qui, après tout, se murmurent : « Pourquoi pas moi ? »

À tel point que les officiels, les prudents qui ont largement pris les devants – Édouard Philippe, Gabriel Attal, ou, sur un mode heureusement ralenti, Laurent Wauquiez – commencent à s’interroger, à s’inquiéter… Et si c’était quelqu’un d’autre, surgi contre toute attente de la boîte républicaine ?

Marine Tondelier ne sera pas la dernière à appeler de ma part ce si triste « hélas » !

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Affaire Jubillar: le doute ne tient parfois qu’à un fil

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Cédric Jubillar lors de son procès à Albi, 22 septembre 2025 © JM HAEDRICH/SIPA

Dans une procédure pénale de type anglo-saxonne, Cédric Jubillar, reconnu coupable d’avoir tué sa femme Delphine dont le corps n’a jamais été retrouvé, aurait-il pu obtenir un verdict différent ? Ses avocats ont fait appel de cette condamnation. Analyse et comparaisons.


If a person is innocent of a crime, then he is not a suspect (en v.o.).
(Lorsque l’on est innocent d’un crime, l’on n’est pas un suspect, en v.f.)
Edwin Meese, secrétaire à la justice de Ronald Reagan.

Combien il est malaisé pour le juré de se faire une opinion propre, de ne pas épouser celle du président.
André Gide, « Souvenirs de la cour d’assises ».


En l’absence de preuves formelles, Cédric Jubillar, au nom du peuple français, vient d’être reconnu le 17 octobre coupable du meurtre de son épouse. Voilà un verdict qui appelle quelques réflexions générales sur la procédure pénale française (comportant quelques comparaisons avec le droit processuel anglo-saxon « noir sur blanc », lequel est plus protecteur des droits de la défense), qui peine à se dégager du carcan idéologique de la Sainte Inquisition.

D’abord, il y a la mentalité surtout française (mais pas seulement). Si l’accusé jouit de la présomption d’innocence selon les doctes traités de procédure pénale, il n’en va pas toujours de même en pratique : quand il y a procès pénal, « ce n’est pas pour rien ».

En ce qui concerne notamment la phase préalable au procès, est bien connu le problème des instructions menées à charge (qui n’est d’ailleurs pas un monopole français). Grâce, par exemple – à tout seigneur tout honneur – à Fabrice Burgaud, qui est déjà passé à l’Histoire, il n’est plus à démontrer que les enquêteurs et les juges d’instruction (et les procureurs où est en vigueur la common law) le moindrement expérimentés sont en mesure d’orienter le processus et de manipuler les témoins. A fortiori, il est plus facile de « piéger » un suspect/accusé, qui a rarement les armes, notamment psychologiques, pour se défendre contre une infernale machine judiciaire; les contradictions ou incohérences alléguées du gibier ne prouvent rien dans un sens comme dans l’autre. Voilà d’ailleurs pourquoi le droit au silence en tout temps revêt un caractère sacré dans les ressorts anglo-saxons.

Quant aux juridictions de jugement, on constate en France la raréfaction des jurés populaires. Il est bien connu que les magistrats professionnels, qui sont des collègues de travail des représentants du ministère public, sont moins portés à la mansuétude que les jurés, par définition « hors-système ».

Chaque système a sa logique interne : une juridiction uniquement composée de magistrats professionnels est (théoriquement) moins influencée par les préjugés des profanes. À l’inverse, un jury populaire est plus en mesure de jeter un regard neuf sur les faits et les constater selon le bon sens ordinaire.

Mais que dire du tribunal français d’assises mixte composé de six jurés citoyens et de trois magistrats? Arithmétiquement, ces derniers ne disposent que de trois voix sur neuf, mais, en pratique, leur influence est disproportionnée car ils peuvent jouer de leur expérience et de leur expertise pour impressionner, sinon même influencer les jurés. Pire, ils peuvent exercer des pressions plus ou moins subtiles sur ces derniers et les intimider.

(On notera à cet égard une sinistre, mais révélatrice, jurisprudence. En 2013, Thierry Allègre, juré dans une affaire de viol sur mineur, dénonça à la presse les manœuvres et pressions des trois magistrats, notamment de la présidente, afin de truquer les délibérations et orienter les jurés vers un vote de culpabilité. Et condamnation il y eut. Comme de juste (si l’on peut dire), M. Allègre fut, en conséquence, lui-même condamné pour violation du secret du délibéré, lequel est total selon la loi, ce qui est tout à fait exact. Cependant, la Cour a alors feint de ne pas comprendre qu’il n’y a alors jamais eu une telle violation : lorsqu’il y a manœuvres illégales de la part d’un magistrat, certes, on ne sort pas de la salle de délibérés, mais… on sort du délibéré. Soutenir le contraire, c’est vouloir couvrir tout ce qui se passe dans cette salle, c’est donner au magistrat l’autorisation illimitée de violer la loi dès qu’il en ferme la porte. Mais que les lanceurs d’alerte se le tiennent pour dit…).

Il est hasardeux de mélanger l’huile et le vinaigre. Le système français est donc un système bâtard où la volonté du peuple français n’est que poudre aux yeux.

Surtout si l’affaire est médiatique.

Quant au procès proprement dit, le rideau s’ouvre avec les « expertises » psychiatriques. Une ânerie impensable en procédure pénale anglo-saxonne. A la rigueur, on peut admettre que les psys expliquent pourquoi l’accusé a pressé sur la détente, mais il faut, logiquement, en premier lieu, établir matériellement si c’est bien son doigt qui a activé la détente! Le problème est que, dans la pratique, les personnes qui se retrouvent devant une juridiction pénale n’ont pas toujours un CV sans tache (n’est pas l’abbé Pierre qui veut, n’est-ce pas?) et une personnalité des plus amènes. Les « constats » forcément hostiles des psys pipent donc, dès le départ, les dés en faveur d’une propension au crime et donc à une conclusion de culpabilité. Il y a forcément « préjugé », dans tous les sens du terme.

Puis, on voit défiler des soi-disant témoins qui viennent faire état de leurs « convictions » et de leurs états d’âme, puisés dans les dires et ouï-dires du cousin de la belle-sœur du neveu de Marcel Gotlib.

En l’espèce, était particulièrement malvenue l’affirmation de la mère de l’accusé portant que son fils ne dirait jamais la vérité, sans qu’elle relate quelque fait brut que ce soit… Quand une mère, étouffée par l’air vicié du prétoire, condamne elle-même sans preuves… la messe est presque dite…

Voici, en vrac, quelques éléments épars qui ressortent du procès Jubillar. Les soi-disant souvenirs d’un enfant qui avait six ans lorsqu’il aurait entendu cinq auparavant une dispute de ses parents le soir en cause (la mémoire est pourtant une faculté qui oublie); les insuffisances de deux gendarmettes, formées et formatées par le maréchal des logis-chef Ludovic Cruchot, et un gendarme qui a assuré, le cœur sur la main, avoir commis une simple erreur de « coupé-collé » en ce qui concerne le bornage du téléphone de l’amant de la disparue… le soir fatal. À noter d’ailleurs l’aplomb de ce dernier avec sa réplique insolente au sujet de l’expertise technique téléphonique des avocats de la défense… Manifestement, il était en territoire ami. Incidemment, il est intéressant de constater que (pas seulement en France!) l’enquêteur exposé à des accusations de mensonge et de falsification de preuve est toujours le premier à proclamer son innocence en invoquant son propre crétinisme.

Cerise empoisonnée sur le gâteau, l’on retient comme fiable le témoignage d’un ex-codétenu! Les membres de la Cour sont manifestement ignorants des histoires d’horreur judiciaire aux États-Unis à ce sujet.

Et comment ne pas citer cette délicieuse perle de l’avocat général Nicolas Ruff :

Un dossier vide parce qu’il manque le corps de Delphine Aussaguel. On se servira de l’absence de ce corps pour créer le doute. Mais dissimuler un corps doit-il faire échapper à toute responsabilité ?

Un bel exemple de raisonnement circulaire où l’on tient pour acquis ce qui, précisément, était à démontrer : la responsabilité de l’accusé.

Mais sur le plan de l’inobservation de la logique aristotélicienne élémentaire, voici une perle encore plus éclatante de noirceur, digne des perles de l’épreuve de philo du bac.

La Cour reproche à Cédric Jubillar son « manque de remords »et le fait qu’il « n’a donné aucune information sur l’endroit où se trouve le corps de son épouse, privant la famille de cette dernière d’un lieu de recueillement »puisqu’il proclame son innocence! Humour noir involontaire. Que les juges rejettent ce plaidoyer, c’est une chose, mais, par définition, on ne peut s’attendre à ce que la personne qui se prétend innocente exprime des remords et donne des renseignements au sujet d’un crime qu’il nie. Et c’est à l’accusé que l’on reproche des incohérences?… Sainte Inquisition, quand tu nous tiens…

Cette seule énormité jette le discrédit sur l’ensemble des conclusions de la Cour : une chaîne n’a que la force du plus faible de ses maillons.

Une certitude incontournable ressort de ce procès : en ce qui concerne la couronne du gendre idéal, il est permis de conjecturer que Cédric Jubillar n’est sans doute pas sur le point de détrôner Michel Drucker.

À ce stade, eût été un élément contextuel instructif le récapitulatif des dépenses engagées dans ce dossier par les forces de l’ordre depuis l’ouverture de l’enquête, par le ministère public et, bien sûr, par les parties civiles (un investissement rentable pour l’instant), complété par leurs prévisions budgétaires pour la procédure d’appel (on n’en est pas encore au pourvoi à la Cour de cass’), que l’on eût pu recenser dans la colonne de gauche.

Et, dans la colonne de droite, eût pu être exposé le trésor de guerre de Cédric Jubillar.

L’acte I est clos. Affaire à suivre en appel, acte II.

PS. Il faut instamment recommander à tous ceux qu’intéresse le parfois hasardeux processus décisionnel des jurés de voir ce chef-d’œuvre du 7ème art américain de 1957, « Twelve angry men » en v.o. (« Douze hommes en colère » en v.f.). Le doute ne tient parfois qu’à un fil…

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L’arbre d’Ilan Halimi, ou la lâcheté des élites

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Ilan Halimi (1982-2006). DR.

À Épinay-sur-Seine, on se souvient que l’olivier planté en hommage à Ilan Halimi (assassiné par le « gang des barbares » en 2006) avait été tronçonné mi-août par deux frères jumeaux tunisiens, Ismaël et Brahim K. Identifiés grâce à des traces d’ADN retrouvées sur des morceaux de pastèque abandonnés près de leur méfait, les deux hommes ont été jugés à Bobigny. Verdict: huit mois à l’ombre pour l’un, du sursis pour l’autre. Mais la justice n’a pas retenu le caractère antisémite de la dégradation, suscitant l’indignation des associations. « C’est un acte grave, mais la justice ne suit pas ! » a déploré l’Union des étudiants juifs de France (UEJF). Le parquet fait appel. Analyse.


Charles Rojzman vient de publier « La société malade » (FYP éditions) NDLR.

Deux jeunes hommes tunisiens, clandestins, ont tronçonné un olivier planté dans une ville de banlieue française. Cet arbre avait été érigé à la mémoire d’un garçon supplicié parce qu’il était juif. Le tribunal les a condamnés pour destruction de bien public, mais a refusé de reconnaître le caractère antisémite de l’acte. Ainsi parlent nos élites : pour ne rien dire. Ils ont scié l’arbre d’Ilan Halimi. Lentement, à la hâte du mal banal, dans un square public, sous les fenêtres d’un pays somnambule. Un arbre planté pour rappeler qu’ici, sur cette terre de France, on a torturé et assassiné un jeune homme parce qu’il était juif.

Et la justice, servile et prudente, a décrété que non : que la haine n’y était pour rien, qu’ils ne savaient pas, qu’il fallait comprendre. Ce n’est pas la France que je condamne — elle souffre, elle subit, elle se tait —, mais ceux qui parlent à sa place. Ce sont les élites, les juges, les éditorialistes, les professeurs de morale, les évêques laïcs de la compassion obligatoire. Ceux qui, au nom du Bien, désarment la vérité.

L’idéologie du doute

Le mal de la France n’est pas dans ses banlieues ou l’immigration, mais dans ses institutions. Ses élites vivent dans un mensonge confortable : celui d’un pays post-historique, où plus rien ne doit être nommé pour ne pas blesser. Leur langage est une anesthésie. Ils ont remplacé la clarté par le soupçon, la justice par le commentaire, la vérité par le compromis. Ils ne jugent plus : ils interprètent. Ils ne condamnent plus : ils contextualisent. Ils ont fait du doute un dogme, du relativisme un catéchisme, et du silence un signe de vertu.

Ces juges sans feu ne veulent plus trancher, mais comprendre. Ils réduisent l’acte à son contexte, la haine à la misère, la faute à la maladresse. Ils se croient humains : ils sont seulement fatigués. Et dans cette fatigue morale s’effondre le peu d’autorité qui restait à la civilisation.

Les complices du mensonge

La bien-pensance n’est pas née du peuple, mais de la peur des puissants. Peur d’être accusés de racisme, peur d’être mal jugés, peur d’avoir tort. Cette peur a colonisé la pensée, l’école, la presse, la justice, jusqu’à devenir la langue officielle du déni. Les élites se lavent les mains dans la morale comme d’autres dans le sang. Elles transforment la profanation en incident, la haine en méprise, la lâcheté en pédagogie. Elles ne défendent plus le pays, elles s’en protègent.

A lire aussi, du même auteur: Reconnaissance de la Palestine: pari diplomatique ou suicide vertueux?

Le peuple, lui, voit clair — il sait que la haine du Juif, du policier, du professeur, du Français ordinaire, est redevenue monnaie courante. Mais il ne peut plus le dire : il serait aussitôt jugé, suspecté, réduit au silence par ceux-là mêmes qui prétendent le défendre.

L’arbre abattu

L’olivier d’Ilan Halimi n’était pas un symbole parmi d’autres : il portait la trace d’une promesse — celle qu’un peuple s’était faite à lui-même après la Shoah, de ne plus jamais laisser la haine renaître dans son ombre.

En le tranchant, ces deux jeunes hommes n’ont pas seulement coupé un arbre : ils ont signé la défaite morale de ceux qui devaient le protéger. La justice, en refusant de nommer l’antisémitisme, a brisé la chaîne du sens. C’est un geste plus grave encore que le crime : une abdication de la parole publique. La neutralité n’est plus ici un principe, mais une trahison. Car refuser de nommer le mal, c’est le laisser régner.

La caste morale

Nos élites se veulent éclairées. En vérité, elles vivent dans la pénombre. Elles ne voient plus le monde, elles se contemplent.

Elles se répètent que la France est diverse, généreuse, ouverte — pendant que la haine circule, tranquille, dans les écoles, les stades, les réseaux, les mosquées. Elles appellent cela la démocratie. Moi, j’y vois une épuration du réel. Elles pardonnent à tout, sauf à ceux qui osent dire ce qu’elles n’osent plus penser. Elles ont remplacé la lucidité par le soupçon, la justice par l’émotion, le courage par la communication.

La faillite du sens

Il ne s’agit pas de deux délinquants, mais d’un système.

Celui d’un pays où l’on s’indigne à heures fixes, où la compassion est devenue une arme de censure, où les crimes sont excusés à proportion de leur gravité. On ne veut plus de tragique : on veut du confort. Mais une civilisation qui ne supporte plus la vérité prépare son propre effacement. Ils ont scié un arbre de mémoire. Nos juges ont scié la conscience du pays.

Et les élites, satisfaites de leur vertu, ont applaudi en silence.

Le bruit du néant

Je n’accuse pas la France : je la plains. Elle a été trahie par ceux qui prétendaient la servir.

Les élites, en refusant de nommer la haine, en transformant la justice en anesthésiant moral, ont déserté le champ du réel. Elles ont laissé le peuple seul face à la peur, à la colère, à la désillusion. On ne détruit pas un arbre sans abattre un peu du monde. Et dans le vrombissement de la tronçonneuse, j’entends autre chose que le bois qu’on fend : le son pur et définitif d’une civilisation qui se coupe elle-même du sens — sous les applaudissements polis de ses élites.

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Rwanda: trente ans après le génocide, la littérature comme mémoire politique

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RS.

Dans son roman Les fils qui nous relient, Emmanuel Cortez explore les cicatrices du Rwanda contemporain et les liens complexes entre mémoire, identité et réconciliation.


Trente et un ans après le génocide des Tutsis, qui fit entre 800 000 et un million de morts en à peine cent jours, le Rwanda s’affiche comme un modèle de stabilité et de développement en Afrique. Mais derrière la réussite économique du « pays des mille collines », la question mémorielle reste centrale. La littérature, souvent plus libre que le discours politique, continue d’interroger les blessures du passé. C’est dans cette veine qu’Emmanuel Cortez publie Les fils qui nous relient, un roman où l’intime et l’Histoire se répondent, et où la fiction devient un prolongement de la mémoire collective.

Un récit entre fuite, survie et reconstruction

Le roman s’inspire de faits réels. Il raconte l’histoire de Marie-Ange, jeune paysanne tutsie qui parvient à échapper aux massacres de 1994. Réfugiée dans un camp protégé par les légionnaires français, elle croise Enguerrand, un lieutenant venu d’un autre monde. De cette rencontre brève naît Jean-Jacques, un enfant métis, fils de la guerre et témoin d’un double héritage : celui du Rwanda meurtri et celui de la France spectatrice et actrice à la fois de son histoire.

« J’ai voulu donner voix à une génération marquée par le génocide, en racontant la fuite, la survie, mais surtout la reconstruction », confie Emmanuel Cortez.

Le parcours de Jean-Jacques, de Kigali à Paris, devient alors une métaphore : celle d’un peuple cherchant à se relever tout en affrontant le poids du passé.

Réconciliation et mémoire collective

Depuis la fin du conflit, le Rwanda a mis en place une politique de réconciliation nationale structurée autour de la justice, de la vérité et du rétablissement de la cohésion sociale. Les juridictions gacaca, créées au début des années 2000, ont permis de juger plus d’un million de personnes tout en rétablissant un dialogue communautaire. La Constitution de 2003 affirme désormais que tous les Rwandais jouissent des mêmes droits, indépendamment de leur origine ethnique.

A lire aussi: La Syrie des deux Assad était-elle réellement laïque?

Pourtant, au-delà du cadre institutionnel, la reconstruction passe aussi par la culture. Les fils qui nous relient s’inscrit dans cette dynamique de mémoire vivante. En retraçant le destin d’un enfant né du chaos, Emmanuel Cortez rappelle que la mémoire du génocide n’est pas un monument figé mais un tissu de récits individuels, transmis de génération en génération. « Comment un peuple peut-il se réconcilier après s’être autodétruit ? », interroge l’auteur. « Ce roman est une manière de dire que les fils de l’humanité ne se rompent jamais. »

Les zones grises de la relation franco-rwandaise

Le choix de faire d’un officier français le père du héros n’est pas anodin. Il renvoie aux ambiguïtés diplomatiques entre Paris et Kigali, longtemps marquées par le soupçon et la distance. Le rapport Duclert, remis en 2021, a reconnu les « responsabilités lourdes et accablantes » de la France, sans toutefois conclure à une complicité directe. Depuis, la relation entre les deux pays s’est apaisée, marquée par les visites officielles et une coopération accrue.

Dans le roman, la rencontre entre Marie-Ange et Enguerrand traduit cette complexité : celle d’un lien à la fois douloureux et nécessaire, fait de mémoire et de compréhension mutuelle. Le métissage de Jean-Jacques devient ainsi un symbole géopolitique autant qu’humain, celui d’une identité partagée, entre deux continents que l’histoire a unis dans le drame.

Quand la littérature prolonge la diplomatie

En situant son intrigue entre Kigali et Paris, Emmanuel Cortez inscrit Les fils qui nous relient dans la continuité des écrivains de la mémoire: Scholastique Mukasonga, Gaël Faye ou Boubacar Boris Diop, qui ont chacun donné voix aux rescapés et aux témoins. Son roman illustre le rôle de la littérature comme outil de diplomatie culturelle et de compréhension internationale, à l’heure où les mémoires coloniales et post-conflit restent des points sensibles du dialogue entre l’Afrique et l’Europe.

Plus de trois décennies après les faits, alors que le Rwanda s’affirme comme un acteur régional influent et un partenaire clé pour les puissances étrangères, Les fils qui nous relient rappelle une vérité simple : la réconciliation ne se décrète pas, elle se construit. Et la mémoire, loin d’être un fardeau, demeure une boussole pour les peuples qui refusent de répéter l’histoire.

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Laurence Bloch demande à Radio France de «rattraper» les ploucs et autres culs-terreux…

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L'ancienne patronne de France Inter Laurence Bloch photographiée en 2016 © CHAMUSSY/SIPA

L’ancienne patronne de France inter postule que  «le jour où l’audiovisuel public ne sera plus là, ce pays sera plus difficile à vivre». Elle enjoint à la patrouille médiatique progressiste de «rattraper les CSP–, c’est-à-dire ces gens qui n’ont pas un patrimoine culturel suffisant pour être en tranquillité avec ce monde»…


À l’occasion de la sortie de son livre Radioactive, l’ancienne directrice de France Inter, Laurence Bloch, était reçue le 21 octobre par Benjamin Duhamel dans la Grande matinale de… France Inter. Elle est très heureuse, dit-elle, de se retrouver à côté de Patrick Cohen: « Je trouve que la chronique de Patrick, ça dit tout de l’audiovisuel public, c’est-à-dire que nulle part ailleurs vous n’avez cette profondeur de champ. » Dans le monde de Mme Bloch, la superficielle bien-pensance de gauche est appelée « profondeur de champ ». S’il est vrai que Patrick Cohen « dit tout de l’audiovisuel public », ce n’est sûrement pas dans le sens qu’elle imagine.         

Écoutez la déférence

Benjamin Duhamel habite le même monde que Mme Bloch. Monde de mensonges, de contre-vérités, d’affabulations victimaires. « Pourquoi n’y a-t-il pas de grandes voix pour défendre le service public ? », ose-t-il demander à l’ancienne directrice de France Inter qui, sachant qu’elle n’a à redouter aucune contradiction, dénonce vigoureusement l’absence de soutien et « la lâcheté des politiques, des intellectuels et du monde culturel ». Curieux ! La grande majorité des susnommés prennent régulièrement leur courage à deux mains pour dénigrer les « médias bollorisés » et défendre mordicus l’audiovisuel public mais Mme Bloch juge vraisemblablement que cela est encore insuffisant.

Dans ce monde parallèle où la réalité est inversée, les propos extravagants de Mme Bloch sont accueillis comme paroles d’évangile : « Si tout d’un coup, les voix de France TV et de Radio France s’arrêtaient, où est-ce qu’on pourrait trouver toutes ces émissions qui nous donnent le sentiment d’être un peu plus à l’aise dans ce monde qui est compliqué ? Où est-ce qu’on retrouverait des émissions d’économie, des émissions géopolitiques, des émissions de science ? Nulle part ailleurs. » Heureusement que le ridicule ne tue pas. Encouragée par la silencieuse approbation du jeune journaliste fraîchement france-intérisé – notons que celui-ci, héritier d’une puissante tradition familiale médiatique, semble doué d’une exceptionnelle capacité à s’adapter aux idéologies en vogue et à interviewer ses invités avec rudesse ou déférence selon qu’ils sont considérés, d’après des critères qui lui sont propres mais qu’on peut aisément deviner, comme des adversaires ou, au contraire, comme de potentiels alliés à la seule cause qui vaille à ses yeux : sa carrière – l’ex-directrice de la stratégie éditoriale de Radio France affirme que l’audiovisuel public « se bat pour les faits, le réel et pas la reconstruction idéologique de la réalité. » Un monde parallèle, vous dis-je.

Médias Bolloré : mais pourquoi sont-ils aussi méchants ?

Bien entendu, une émission de France Inter évoquant les médias ne saurait éviter de dénigrer Vincent Bolloré et CNews. Mme Bloch y va donc de sa charge : « Il y a une technique de marketing qu’est utilisée par un groupe privé, très très très fort, et beaucoup trop portée par les autres médias, en particulier la presse écrite. (sic)» Les succès de CNews, d’Europe 1 et du JDD restent en travers de la gorge de leurs contempteurs. Ces médias n’hésitent pas à aborder de front les sujets qui importent aux Français et que délaissent les médias autorisés se contentant de relayer les dépêches orientées de l’AFP et autres organes officiels de propagande. CNews attire de plus en plus de téléspectateurs qui, intrigués par les propos dépréciatifs des employés de l’audiovisuel public, de Libé, de Télérama et du Monde, ont commencé à y jeter un coup d’œil par simple curiosité, puis se sont aperçus que les journalistes et les intervenants soulevaient des questions primordiales, qui les touchaient directement, sur l’immigration, l’insécurité, la déficience des services publics, la dégringolade économique, l’impéritie de notre classe politique, la pénétration conjointe et paradoxale du wokisme et de l’islamisme dans les milieux universitaires, politiques et associatifs, etc.

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Au fur et à mesure que les mois passent, CNews accroît son audience. Les gens qui constituent son public sont des personnes ordinaires dont la perception du monde, reposant sur de simples notions empreintes d’histoire et de transmission, de vie commune et de liens traditionnels, est très éloignée des divagations alambiquées de la nouvelle classe dominante qui a pour objectifs principaux l’effacement du passé et la transfiguration du réel. Si ces gens ordinaires échappent à l’attraction de Radio France, c’est qu’ils sont bêtes, pense Mme Bloch. Ne cachant pas son mépris pour certains Français, elle demande aux journalistes france-intériens de tout faire pour « rattraper les CSP, c’est-à-dire ces gens qui n’ont pas un patrimoine culturel suffisant pour être en tranquillité avec ce monde ». Derrière cette novlangue, il est facile de deviner le fond de la pensée de Mme Bloch : il faut, par tous les moyens possibles, attirer dans les filets de la radio publique ceux qu’elle considère être des Français subalternes, les artisans, les employés, les ouvriers et les paysans encore attachés à quelques métiers et traditions qu’elle juge archaïques, et les abrutir jusqu’à ce qu’ils respectent et adorent, à la place de leur véritable patrimoine, celui, faux, superficiel, abstrait, du nouveau monde radieux qu’elle et ses congénères appellent de leurs vœux. Le programme d’endoctrinement du peuple et d’effacement du réel établi par la caste médiatico-culturelle au pouvoir est diffusé sur les ondes de Radio France, établissement public que Mme Bloch a façonné pendant des années à cette seule fin. Ce programme prévoit le remplacement de la langue par la novlangue, de la vérité par le mensonge, de la mémoire par l’oubli, de la science par le wokisme, du savoir par la croyance, du temps par l’immédiateté, de la proximité par l’éloignement, de l’enracinement par l’hyper-mobilité, du local par le global. Pour, comme dit Mme Bloch dans sa langue dégradée, « être en tranquillité avec ce monde» – monde qui n’est en vérité que celui souhaité par les élites – les gens ordinaires devraient gober le catéchisme progressiste et woke diffusé sans relâche sur les ondes et les écrans de l’audiovisuel public, ce à quoi ils se refusent de plus en plus. La moindre résistance est qualifiée d’extrême droite et le moindre résistant est accusé d’être un suppôt de Bolloré, voire pire. Mais peu importe, résistance il y a. Même Mme Bloch est obligée, à sa manière tordue, d’en convenir. Il lui faut donc, dans le style absurde et outrancier qui lui est habituel, en rajouter encore un peu, jusqu’à atteindre ou dépasser, chacun jugera, les limites du ridicule.

L’ex-directrice de France Inter pare l’audiovisuel public de toutes les vertus – « utilité », « pluralité », « exceptionnalité » – et, envisageant le pire, continue de divaguer sous l’œil attendri de Benjamin Duhamel : « Le jour où l’audiovisuel public ne sera plus là, ce pays sera moins tranquille et plus difficile à vivre. »

Un journaliste même moyennement compétent aurait sans doute réclamé quelques éclaircissements, quelques précisions, quelques exemples d’intranquillité ou de difficulté à vivre dans le cas, pour le moment malheureusement improbable, où l’audiovisuel public viendrait à disparaître. Benjamin Duhamel, qui s’est rapidement adapté aux manières affables du journalisme de salon france-intérien, surtout lorsqu’il s’agit de promouvoir l’ouvrage d’une figure de Radio France, ne s’aventure pas de ce côté-là. De toute manière, personne n’est dupe, ce n’est pas demain la veille que l’audiovisuel public sera mis en péril – et Mme Bloch aura sûrement l’occasion d’y revenir faire la leçon aux Français récalcitrants, aux ploucs, aux beaufs et aux culs-terreux qui ne comprennent décidément rien à « ce monde »…

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Sagan connaît la chanson

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Françoise Sagan et Sacha Distel, Paris, 6 octobre 1966 © DALMAS/SIPA

Les éditions Seghers ont réuni toutes les paroles des chansons de la romancière dans un même volume, textes, inédits et brouillons compris, sous le titre Sans un regret. Les plus grands, Juliette Gréco, Mouloudji, Régine et même Johnny ont chanté Sagan…


Françoise Sagan (1935-2004) est joueuse. Mélancolique et spirituelle comme toutes les filles du Lot élevées boulevard Malesherbes et roulant en grosse américaine (sans le permis de conduire). Toute sa vie, elle ne s’interdira aucun genre, aucune farce, aucun excès, aucun expédient, aucune descente. À l’ombre de l’église Saint-Germain-des-Prés, sur le port de Saint-Tropez, à la roulette, en col claudine ou en socquettes d’écolière, son appétit d’écrire ne se limitera pas aux romans d’initiation.

Avant-propos de Denis Westhoff

On connaît l’histoire par cœur, la déflagration de l’année 1954, elle sert la légende. Elle se propage dans les collèges privés et les sous-sols des maisons d’édition. On extrapole, on invente, on médit, on fantasme à son sujet car, plus de vingt ans après sa disparition, le phénomène Sagan ne lasse pas. Il n’est pas souillé, il brille encore. Le tapage médiatique, « le charmant petit monstre », « le père Julliard », « le million d’exemplaires vendus », « l’accident en Aston Martin », « Jacques Chazot, Bernard Frank et Florence Malraux », toute la lyre en papier glacé n’a pas abîmé sa plume. Au contraire, aujourd’hui on loue plus qu’hier son toucher de pages, cette rosse délicatesse des adolescences endolories, cette sarabande des sentiments étouffée sous le poids des conventions. Sagan inoffensive, indolente, gentillette : balivernes ! Elle a la sauvagerie gracile des bêtes féroces. Elle semble fragile et lointaine, elle est carnassière et intensément dans le présent. Elle sait par instinct que la vie n’est qu’un tourbillon. S’il ne fait aucun doute que Sagan est un grand écrivain de langue française, on connaît moins la parolière. Dans l’avant-propos de ce recueil, Denis Westhoff, son fils, raconte la genèse de cette idylle entre sa mère et la chanson. Tout débute par un coup de fil de Michel Magne, le trublion des infrasons, le futur père musical des Tontons, d’Un Singe en hiver ou des Fantômas, le « pionnier des musiques électroniques ». Michel Magne n’est pas encore le turbulent propriétaire du château d’Hérouville, célèbre studio des dissidents.

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Stars de la chanson

Il a lu Bonjour tristesse et s’enthousiasme pour cette inconnue. « Françoise a tout de suite compris ma musique, et moi j’avais compris sa poésie. Il suffisait que je joue une mesure pour qu’elle trouve un titre, le premier vers. Il suffisait qu’elle assemble des mots pour que je trouve un air », dira-t-il. Ces deux-là, réfractaires aux cases, aux codes, aux boniments, au sérieux des grandes personnes s’accordent à merveille. Sagan écrira, Magne composera des mélodies. Dans ce milieu des années 1950, on démarre en trombe, on ne fait pas des tableaux de prévisions, on ne s’épargne pas, on plonge pour le plaisir de se retrouver la nuit dans les boîtes de la rive gauche. Dans sa préface, Sophie Delassein nous apprend que « l’auteure de Bonjour tristesse vit en musique, elle apprécie le classique avec une préférence pour Mozart et Beethoven, et le jazz de cave qu’elle qualifie d’« insouciance accélérée ». Françoise et Michel ont une passion commune pour Billie Holiday, ils iront l’écouter dans un bouge du Connecticut. Naîtront des disques que les moins de 60 ans ne peuvent pas connaître et des textes censurés à la radio. D’abord, ce sera Juliette Gréco, l’égérie du VIème arrondissement qui chantera Sagan, puis viendra le tour de Mouloudji, d’Annabel qui n’est pas encore l’épouse de Bernard Buffet et puis Régine, la reine de la nuit, patronne rousse au tempérament volcanique, sa tendre complice du New Jimmy’s. Ces deux-là ne se chamaillaient jamais. Ces deux insoumises avaient le sens de l’amitié.

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Sophie Delassein rappelle que Sagan fut son témoin de mariage en 1969. On lit donc avec plaisir ces chansons écrits pour la plupart, il y a 70 ans : « La valse », « Sans vous aimer », « Le jour », « Vous mon cœur », « Le soleil », etc. Beaucoup plus tard, au tournant du millénaire, Sagan reviendra à cet exercice de jeunesse pour le compte de Johnny qui se confiera à elle, durant une nuit de connivence. Quelques cris saura inspirer David le grand ordonnateur de l’album « Sang pour sang » qui se vend à 250 000 ex. le jour de sa sortie. Parmi les inédits, l’esprit de Sagan est partout présent, retenons cette strophe de « L’homme jaloux » :

Ne sais-tu pas
Qu’on peut aimer
Tous les visages
Rencontrés
Sans pour cela
Faire de toi
L’homme trompé

Sans un regret – François Sagan – Toutes les paroles de ses chansons – éditions Seghers 112 pages

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Guitry fait de la résistance

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Guitry dans son bureau de l'avenue Élisée-Reclus en 1942, peint par Léon Gard. DR.

Une pièce inédite de Sacha Guitry refait surface, mettant à mal son injuste et mauvaise réputation. Mon auguste grand-père, interdit par la censure allemande, témoigne du bras de fer qui l’opposa toute la guerre à l’occupant.


Les mauvaises réputations ont la vie dure, même lorsqu’elles sont infondées. Sacha Guitry en sait quelque chose : son passé de collabo fut tel que les tribunaux d’épuration ne trouvèrent rien, aucune preuve de quoi que ce soit pour le condamner. Cette accusation mensongère lui colle encore à la peau. Certes il ne prit pas le maquis, mais il passa toute l’Occupation à résister à l’occupant. Avec ses armes : son esprit et son théâtre.

Parce qu’il avait du talent, il eut beaucoup de succès et autant d’ennemis. Avant d’essuyer les foudres des gardiens de la culture d’après-guerre – à peu près les mêmes qu’aujourd’hui –, il eut à ferrailler avec les critiques de la presse collaborationniste (« il faut voir leur gueule, cela explique et rassure »).

Quelques semaines après l’instauration des premières lois antijuives, ladite presse l’accuse, en décembre 1940, d’être juif. À lui de prouver le contraire. Il griffonne cette note : « Donc faire tout de suite une pièce qui tournerait en dérision la question juive. En souligner la gravité en montrant le ridicule. Détourner les Français d’en être les complices. Leur faire entendre un son de cloche différent – en insistant sur les ravages que peut causer la délation. La faire sans tarder, cette pièce – en raison même des dangers auxquels une pareille démonstration m’expose. »

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En seulement trois jours, Guitry écrit Mon auguste grand-père. Une pièce en cinq actes pour vingt et un comédiens[1]. On suit Christian, un artiste peintre à qui la chance sourit. Du moins au début de la première scène de l’acte I. La jeune femme qu’il aime est prête à se marier avec lui, une commande va lui rapporter une fortune, et le nouveau directeur des Beaux-Arts veut le rencontrer. Mais la dulcinée déboule rapidement pour lui dire que tout est fini entre eux, il apprend au téléphone que la commande est annulée et un autre appel lui annonce que le rendez-vous n’aura pas lieu. À ses côtés, son copain Titi lui fait comprendre la soudaineté de ces revirements : le bruit court qu’il est juif.

Christian ne l’est pas, mais comme Guitry, il néglige ses papiers de famille et va difficilement reconstituer son arbre généalogique. Le dénouement, avec son monologue final, est inattendu, brillant et poétique.

Fin décembre, les cinq décors sont construits et les répétions s’enchaînent jusqu’à la mi-janvier au théâtre de la Madeleine que dirige le maître. Mais quelques jours avant la première, le 25 janvier 1941, Mon auguste grand-père est interdit par la censure. Guitry est convoqué par M. Epting, le directeur de l’Institut allemand. « J’entends ces mots », écrit Sacha : « Nous ne pouvons tolérer que vous tourniez en dérision les lois raciales. Vos intentions sont claires et nous ne sommes pas dupes de la légèreté apparente de l’ouvrage. Votre pièce est drôle, elle est précisément trop drôle et nous n’accepterons pas qu’on se moque de nous. Quant aux Français, ils ne sont pas encore mûrs pour entendre une pièce pareille. »

Elle ne sera jamais jouée ni publiée[2].

Jusqu’à ce qu’Albert Willemetz (petit-fils du grand librettiste et président de l’Association des amis de Sacha Guitry) mette la main sur le manuscrit et décide de le faire imprimer. À quand la première, quatre-vingt-quatre ans après la répétition générale ?


À lire

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[1] Pendant quatre ans, il tentera toujours de monter de grandes productions afin de faire travailler le plus possible d’acteurs de la profession (comédiens, machinos, costumiers, décorateurs etc.).

[2] Par la suite, la censure interdira d’autres pièces telles Le Nouveau Troubadour et Le Soir d’Austerlitz, ainsi que son film Ceux de chez nous.

Christine fait un carton

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Christine Murillo et Nicolas Auvray, à Amiens. © Photo Philippe Lacoche

Chaque semaine, Philippe Lacoche nous donne des nouvelles de Picardie…


Peintre et comédienne, ma Sauvageonne adore le théâtre. Il n’est pas rare qu’elle m’y entraîne. J’adore ça. Je me sens dans la peau de Blaise Cendrars quand il suivait sa compagne, la comédienne Raymone, dans les théâtres de Paris et de province à la faveur de ses tournées. Il a raconté l’univers du monde du théâtre dans son délicieux roman à clefs, Emmène-moi au bout du monde (qui doit beaucoup aux pérégrinations théâtrales – pas que… – de la comédienne Marguerite Moreno, une amie de Raymone), paru en 1956, chez Denoël. Un roman terriblement rock’n’roll et, contrairement à ce que certaines ont cru à l’époque, puissamment féministe. Dans l’un des scènes, l’héroïne, Thérèse Espinosa, 80 ans, perd son dentier lors d’ébats amoureux avec un vigoureux légionnaire – tiens, tiens…- ; elle finit par lui demander de la frapper encore et encore tant elle aime ça. Rassurez-vous, lectrices vénérées, je n’ai jamais levé la main sur une femme, et encore moins sur mon ébouriffée adorée.

C’est peut-être aussi pour ça qu’elle m’emmène, non pas au bout du monde, mais au théâtre. L’autre soir, à la Comédie de Picardie, à Amiens, nous avons assisté avec un vif plaisir à la pièce Pauline&Carton, d’après les écrits de Pauline Carton, mis en scène par Charles Tordjman, avec l’incroyable et irrésistible Christine Murillo. Une pièce ? Pas vraiment. Un one-woman-show plutôt ! Un magnifique et drôlatique one-woman-show, à la fois puissant, intelligent et marrant, œuvre de la talentueuse Christine Murillo. Celle-ci ne raconte pas seulement Pauline Caron ; elle est Pauline Carton. La voix, la gestuelle, l’humour, la dégaine, l’aura. Tout y est.

Christine Murillo Spectacle Pauline & Carton, octobre 2025

Comment oublier la comédienne Pauline Carton (1884-1974), qui, dans les films d’Henri-Georges Clouzot, Max Ophuls, Abel Gance, Jean Cocteau, Marcel L’Herbier, etc., interpréta des rôles de concierges et de domestiques ? Derrière son statut de second rôle, « on découvre une femme très sensuelle et féministe sans jamais se prendre au sérieux. Une femme libre », comme l’indique le metteur en scène Charles Tordjman. « (…) Christine Murillo a toujours détesté jouer les concierges et les bonnes. Pauline Carton a toujours aimé jouer les bonnes et les concierges. Mais Christine Murillo adore jouer Pauline Carton. » Oui, Christine Murillo excelle. On n’en attendait pas moins de cette comédienne chevronnée : sociétaire de la Comédie française, elle a reçu cinq Molière pour des rôles sur les planches. « J’ai rencontré Pauline Carton à la faveur du Festival de la Correspondance de Grignan qui a contacté Charles Tordjman en lui proposant des correspondances de Pauline Carton réunies par Virginie Berling. On s’est jeté dessus ; moi, j’avais lu, il y a fort longtemps, les textes de Carton que je trouvais merveilleux », m’a raconté, en coulisses, Christine Murillo. « On a donc fait Les correspondances. Ça a plu. Frédéric Biessy, directeur général de La Scala Paris et de La Scala Provence, nous a proposé de le jouer l’année suivante à La Scala Provence et à La Scala de Paris. Donc, depuis 2023, je joue comme ce spectacle – et plus du tout les Correspondances même s’il en reste quelques-unes. On s’est plongé à donf dans les anecdotes, dans son amour du théâtre, et surtout on a choisi tout ce qui nous correspondait à Charles et à moi. C’est à la fois du pur Pauline Carton avec notre sensibilité à nous. On pourrait en faire deux heures et même plus ! On s’est bien sûr inspiré du livre Les Théâtres de Carton, mais on a mis les souvenirs dans un autre ordre. C’est son livre, plus quelques anecdotes. Je joue ce spectacle à la Pépinière-Opéra tous les week-ends jusqu’au 30 novembre. Et il y aura certainement une tournée proposée en 2027 à mon avis. Il y aura d’autres villes ; j’arrive avec ma servante, ma table comme décors et mon petit chapeau, emballé, c’est pesé ! »

Nous, en tout cas, la Sauvageonne et moi, on a passé une super soirée. De plus, le maître des lieux, l’incontournable Nicolas Auvray, directeur de la Comédie de Picardie, homme de goût, fêtait, ce soir-là, son anniversaire. Faut-il préciser que le champagne coula à flot ? Sans aucun doute, cela eût plu à Pauline, à Blaise, à Raymone et à Marguerite (avec ou sans dentier, et surtout, surtout, sans légionnaire frappeur de dames). 

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Je gonfle donc je suis

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Paris, 21 octobre 2025 © Xavier Francolon/SIPA

Un aquarium de l’absurde ! Dans le grand parc d’attractions de la Modernité qu’est Paris, tout se gonfle, tout s’inverse, tout flotte. Alors qu’elle aurait préféré pouvoir admirer tranquillement les bijoux, notre contributrice n’a pas apprécié son dernier passage près du ministère de la Justice où est exposée une installation d’art moderne d’Alex Da Corte, du 20 au 26 octobre.


Le vent soufflait fort sur Paris ce jeudi. Avec la tempête Benjamin, les feuilles virevoltaient, les branches ployaient… et même l’art contemporain vacillait. Place Vendôme, la grenouille géante d’Alex Da Corte tanguait au gré des bourrasques, tel un piteux ballon de fête foraine en perdition…

Pas bête, l’artiste !

Installée depuis le 20 octobre dans le cadre du grand raout de l’art contemporain, Art Basel, cette grenouille gonflable XXL, à quatre pattes, la tête en bas et le postérieur en l’air, dans une posture pour le moins équivoque, résume à elle seule l’esprit du temps.

L’artiste vénézuélo-américain présente son « œuvre », intitulée Kermit the Frog, comme l’incarnation d’un « existentialisme américain ». Mais z’encore ? On peine à saisir le rapport entre une grenouille et l’Amérique. Ou peut-être l’artiste cherche-t-il la profondeur dans l’inconsistance ? Si, chez Sartre, l’homme était jeté dans le monde, chez Da Corte, il est jeté sur la place Vendôme, cul par-dessus tête, transformé en batracien fluo. Après tout, les bêtes sont des hommes comme les autres !

Gigantesque et creux

Derrière cette expression pseudo-intellectuelle se cache, on l’aura compris, tout l’esprit de notre époque : Je gonfle donc je suis. Un moi gonflé à l’hélium, un corps désincarné, déshumanisé. Sous ses airs pop et faussement joyeux, ce Kermit renversé incarne le gigantisme creux d’un art contemporain égocentrique et prétendument conceptuel.

A lire aussi: Fric-Frac

Dans une interview, M. Da Corte explique comment il conçoit son propre corps et dit vouloir « modeler cette carapace en quelque chose d’autre » et « vivre dans un état psychédélique ». En clair : vivre hors du corps, hors des limites du réel. Ne reconnaît-on pas là les stigmates d’une idéologie woke qui prétend libérer l’homme en l’arrachant à tout ce qui le détermine (son corps, son sexe, son histoire, sa nation…) pour en faire une entité fluide, sans contours ni gravité ? Plus qu’une installation artistique, la grenouille molle de Da Corte est une allégorie plastique parfaite de l’esprit du temps : informe, flottante, sans ancrage. Elle incarne une époque désarticulée, mouvante, sans colonne vertébrale ni centre de gravité. Une époque « liquide », pour reprendre le mot du sociologue Zygmunt Bauman, où tout se dissout : les formes, les valeurs, les repères, bref une époque à la dérive.

Temps criards et religion du climat

Même sa couleur en dit long : ce vert fluo, criard, agressif, qui envahit et sature l’espace de la place historique, n’est-il pas la couleur de Mère Nature, unique divinité autorisée dans un monde déchristianisé ? Et aussi ce symbole d’un paganisme écologique qui remplace la foi en Dieu par le culte du climat. Cette nouvelle idole païenne célèbre le mou et le flou : un monde malléable, sans forme, sans sexe, sans repères, où être neutre, indéterminé, « fluide », est devenu une vertu morale, le nouveau bréviaire de l’inclusivité.

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Après le plug anal vert de McCarthy, présenté aux gogos comme un sapin de Noël, voici la grenouille verte, nouvelle idole d’un temps où le laid tient lieu d’esthétique.

Le vide a désormais ses gardiens, et la beauté, ses voleurs

Du haut de sa colonne de pierre, l’Empereur contemple la scène : en contrebas, une masse informe, gonflée d’air comme de vide. Lui est immortel, elle est éphémère. Lui appartient à l’Histoire, elle au néant. Lui restera droit, tandis qu’elle finira par se dégonfler.

Mais qu’on se rassure : la grenouille est bien gardée… Gare aux esthètes tentés de la percer d’un coup d’épingle : les caméras de surveillance veillent ! Nous vivons une époque formidable, où la laideur et le vide insignifiant qui souillent notre passé sont protégés, pendant que le Louvre se fait braquer et que notre patrimoine légendaire se fait voler.