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Des planches de Deauville au désert des Touaregs!

La chronique de Thomas Morales


Des planches de Deauville au désert des Touaregs!
"Un homme et une femme : Vingt ans déjà" de Claude Lelouch, 1986. DR.

Monsieur Nostalgie nous parle d’un film sorti en mai 1986 qui n’a pas la cote auprès des cinéphiles. Si on loue la version originelle d’ « Un homme et une femme » datant de 1966 et la dernière salve du réalisateur en 2019 avec « Les plus belles années d’une vie », « Un homme et une femme, vingt ans déjà » traine une réputation déplorable. Il est temps de le réhabiliter !


Lelouch ne sait pas couper. Il empile les histoires, les superpose jusqu’à ce que l’édifice devienne complètement instable. De cette instabilité naît une patte originale, bavarde, sentimentale, cascadeuse, brouillonne et attachante. On y adhère ou elle laisse de marbre. Ce garnement insatiable ne sait pas choisir entre une histoire d’amour, d’amitié, un film d’action, un polar ou une trame historique. Alors, magnanime et goinfre, il nous met tout dans la bobine. Il se permet tout ce qui est d’habitude interdit par les guildes qui professent l’austérité et la sécheresse, l’esquisse à la chevauchée fantastique. Lelouch ne sait pas faire dans l’allégé et le digeste ; l’épure le met mal à l’aise. Il ne croit pas aux vertus de l’effleurement des sentiments, il préfère les solidifier quitte à les décortiquer, à les analyser, à les faire tourner en bourrique par la suite. Il a peur d’ennuyer. Cette peur salutaire devrait saisir tous les réalisateurs au moment de dire : Action ! Des gens ont payé leur ticket, ce sera peut-être leur seule sortie du mois ou du trimestre, je me dois de leur offrir l’inattendu et le magique, des girafes et des funambules, des beautés fatales et des sauts de l’ange. Alors a-t-il la main trop lourde ? Parfois, il exagère comme avec cette longue scène d’ouverture divertissante, accidentogène en diable qui ravit les rouleurs de mécanique mais qui peut rebuter l’intellectuel assis. Rétrospectivement, cette scène était suicidaire.

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Aujourd’hui, elle serait proscrite. Des députés demanderaient son annulation. On y voit plusieurs voitures de front se frotter, déraper, sauter, s’aimanter, freiner, accélérer, perdre leur pare-chocs et exploser leur pare-brise sur une piste d’essais en Italie bien connue des essayeurs de la presse automobile européenne. Trintignant au volant jubile. Rémy Julienne stoïque a néanmoins l’œil farceur. Ces grands enfants jouent aux autos-tamponneuses, titre d’un charmant roman de Stéphane Hoffmann. Cette scène dure. Elle est un morceau de bravoure, elle esthétise les carrosseries. Lelouch, je le redis ici, est le plus grand cinéaste en termes de perception rendue de la vitesse. Il a été à la meilleure école, celle du service cinématographique des armées au Fort d’Ivry-sur-Seine. Il y a appris le mouvement, la chute, le vertige et cette façon si artistique de coller le frisson à l’image. Vingt ans après « Un homme et une femme », Lelouch reprend ses personnages et déambule dans ses souvenirs. Anne Gauthier (Anouk Aimée) n’est plus scripte mais productrice en mal de succès et Jean-Louis Duroc (Jean-Louis Trintignant) n’est plus pilote de rallye mais il dessine le futur tracé du Paris-Dakar. Leurs enfants ont grandi. Le fils de Jean-Louis s’est marié et a plongé dans le motonautisme. La fille d’Anne est actrice. Charles Gérard téléphone pour connaître les chiffres de la séance du soir dans les cinémas des Champs-Elysées et de banlieue. C’est du Lelouch pur jus, calorique, débordant de la cafetière, avec ses travers ; il filme le film du film dans le film, des histoires entrecroisées, des amours triangulaires, la plage de Deauville au petit matin, la toile de Jouy des chambres du Normandy et la soif dans le désert. On ne sait plus très bien si on regarde un reportage, un thriller, le dénouement ou le renouvellement d’un amour éternel. On s’y perd un peu et c’est très agréable. Un Lelouch aussi touffu vous évite quinze mauvais films d’auteurs et blockbusters fadasses. Ce long-métrage se savoure pour son parfum d’ambiance, celui des années 1980. Il en a toutes les qualités et quelques défauts mineurs. Il est clinquant et pourtant assez fidèle aux hommes de cette décennie pubarde. Il est frimeur et déboussolé. Il est surtout un témoignage extraordinaire sur les passions masculines.

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Thierry Sabine ne le verra pas, il meurt dans un accident d’hélicoptère, quatre mois plus tôt. Pour ceux qui l’ont connu, ils le retrouveront à l’identique, jouant son propre rôle, playboy des sables, chef de mission à la barbe claire, agile dans les airs et dans les dunes. Là aussi, la longue séquence tournée en Afrique est visuellement belle et dramatiquement prémonitoire. Dans les années 1980, on ose tout, par ruse, par goût du risque, par éclat. Lelouch embauche PPDA et s’offre des figurants statiques et muets qui s’appellent Gérard Oury et Michèle Morgan. Jean-Claude Brialy fait une apparition furtive dans une salle de cinéma. Jacques Weber, Robert Hossein, Richard Berry et Marie-Sophie L, entre autres, complètent le casting. On ne se refuse rien. La fiction se dissimule derrière la réalité ou n’est-ce pas le contraire ? Á la fin, éberlué, sonné par tant de virevoltes, nous avons un flash. Comment avons-nous pu oublier cet événement sportif existant depuis 1955 qu’étaient les 6 heures motonautiques de Paris ? La municipalité actuelle s’étranglerait d’imaginer ces nuées de bateaux ultra-rapides qui zigzaguaient jadis entre les ponts de la Seine…



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Journaliste et écrivain. Dernières publications : "Tendre est la province", (Équateurs), "Les Bouquinistes" (Héliopoles), et "Monsieur Nostalgie" (Héliopoles).

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