À Épinay-sur-Seine, on se souvient que l’olivier planté en hommage à Ilan Halimi (assassiné par le « gang des barbares » en 2006) avait été tronçonné mi-août par deux frères jumeaux tunisiens, Ismaël et Brahim K. Identifiés grâce à des traces d’ADN retrouvées sur des morceaux de pastèque abandonnés près de leur méfait, les deux hommes ont été jugés à Bobigny. Verdict: huit mois à l’ombre pour l’un, du sursis pour l’autre. Mais la justice n’a pas retenu le caractère antisémite de la dégradation, suscitant l’indignation des associations. « C’est un acte grave, mais la justice ne suit pas ! » a déploré l’Union des étudiants juifs de France (UEJF). Le parquet fait appel. Analyse.

Deux jeunes hommes tunisiens, clandestins, ont tronçonné un olivier planté dans une ville de banlieue française. Cet arbre avait été érigé à la mémoire d’un garçon supplicié parce qu’il était juif. Le tribunal les a condamnés pour destruction de bien public, mais a refusé de reconnaître le caractère antisémite de l’acte. Ainsi parlent nos élites : pour ne rien dire. Ils ont scié l’arbre d’Ilan Halimi. Lentement, à la hâte du mal banal, dans un square public, sous les fenêtres d’un pays somnambule. Un arbre planté pour rappeler qu’ici, sur cette terre de France, on a torturé et assassiné un jeune homme parce qu’il était juif.
Et la justice, servile et prudente, a décrété que non : que la haine n’y était pour rien, qu’ils ne savaient pas, qu’il fallait comprendre. Ce n’est pas la France que je condamne — elle souffre, elle subit, elle se tait —, mais ceux qui parlent à sa place. Ce sont les élites, les juges, les éditorialistes, les professeurs de morale, les évêques laïcs de la compassion obligatoire. Ceux qui, au nom du Bien, désarment la vérité.
L’idéologie du doute
Le mal de la France n’est pas dans ses banlieues ou l’immigration, mais dans ses institutions. Ses élites vivent dans un mensonge confortable : celui d’un pays post-historique, où plus rien ne doit être nommé pour ne pas blesser. Leur langage est une anesthésie. Ils ont remplacé la clarté par le soupçon, la justice par le commentaire, la vérité par le compromis. Ils ne jugent plus : ils interprètent. Ils ne condamnent plus : ils contextualisent. Ils ont fait du doute un dogme, du relativisme un catéchisme, et du silence un signe de vertu.
Ces juges sans feu ne veulent plus trancher, mais comprendre. Ils réduisent l’acte à son contexte, la haine à la misère, la faute à la maladresse. Ils se croient humains : ils sont seulement fatigués. Et dans cette fatigue morale s’effondre le peu d’autorité qui restait à la civilisation.
Les complices du mensonge
La bien-pensance n’est pas née du peuple, mais de la peur des puissants. Peur d’être accusés de racisme, peur d’être mal jugés, peur d’avoir tort. Cette peur a colonisé la pensée, l’école, la presse, la justice, jusqu’à devenir la langue officielle du déni. Les élites se lavent les mains dans la morale comme d’autres dans le sang. Elles transforment la profanation en incident, la haine en méprise, la lâcheté en pédagogie. Elles ne défendent plus le pays, elles s’en protègent.
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Le peuple, lui, voit clair — il sait que la haine du Juif, du policier, du professeur, du Français ordinaire, est redevenue monnaie courante. Mais il ne peut plus le dire : il serait aussitôt jugé, suspecté, réduit au silence par ceux-là mêmes qui prétendent le défendre.
L’arbre abattu
L’olivier d’Ilan Halimi n’était pas un symbole parmi d’autres : il portait la trace d’une promesse — celle qu’un peuple s’était faite à lui-même après la Shoah, de ne plus jamais laisser la haine renaître dans son ombre.
En le tranchant, ces deux jeunes hommes n’ont pas seulement coupé un arbre : ils ont signé la défaite morale de ceux qui devaient le protéger. La justice, en refusant de nommer l’antisémitisme, a brisé la chaîne du sens. C’est un geste plus grave encore que le crime : une abdication de la parole publique. La neutralité n’est plus ici un principe, mais une trahison. Car refuser de nommer le mal, c’est le laisser régner.
La caste morale
Nos élites se veulent éclairées. En vérité, elles vivent dans la pénombre. Elles ne voient plus le monde, elles se contemplent.
Elles se répètent que la France est diverse, généreuse, ouverte — pendant que la haine circule, tranquille, dans les écoles, les stades, les réseaux, les mosquées. Elles appellent cela la démocratie. Moi, j’y vois une épuration du réel. Elles pardonnent à tout, sauf à ceux qui osent dire ce qu’elles n’osent plus penser. Elles ont remplacé la lucidité par le soupçon, la justice par l’émotion, le courage par la communication.
La faillite du sens
Il ne s’agit pas de deux délinquants, mais d’un système.
Celui d’un pays où l’on s’indigne à heures fixes, où la compassion est devenue une arme de censure, où les crimes sont excusés à proportion de leur gravité. On ne veut plus de tragique : on veut du confort. Mais une civilisation qui ne supporte plus la vérité prépare son propre effacement. Ils ont scié un arbre de mémoire. Nos juges ont scié la conscience du pays.
Et les élites, satisfaites de leur vertu, ont applaudi en silence.
Le bruit du néant
Je n’accuse pas la France : je la plains. Elle a été trahie par ceux qui prétendaient la servir.
Les élites, en refusant de nommer la haine, en transformant la justice en anesthésiant moral, ont déserté le champ du réel. Elles ont laissé le peuple seul face à la peur, à la colère, à la désillusion. On ne détruit pas un arbre sans abattre un peu du monde. Et dans le vrombissement de la tronçonneuse, j’entends autre chose que le bois qu’on fend : le son pur et définitif d’une civilisation qui se coupe elle-même du sens — sous les applaudissements polis de ses élites.




