Est-ce la fin de l’alcool à la buvette de l’Assemblée nationale ? C’est ce que recommande le rapport du député Emmanuel Duplessy. Est-ce souhaitable? Notre directrice ne fuit pas le débat, qu’elle aime sans modération
Un rapport préconise l’arrêt de la vente d’alcool à la buvette de l’Assemblée nationale. Un nouveau scandale menace la République. Les députés boivent et à nos frais. Chaque année, ils consomment pour 100 000€ d’alcool à la buvette de l’Assemblée, dont une proportion non précisée passe en notes de frais. À la louche, cela fait environ 30 verres par an et par député, soit trois par mois de session. Il n’y a pas de quoi se rouler par terre même s’il arrive que certaines séances nocturnes soient particulièrement animées.
Mais au royaume de Rabelais, on ne badine pas avec l’hygiénisme. Alors qu’un député écolo par ailleurs favorable à la légalisation du cannabis veut interdire totalement le tabac aux mineurs, le rapport du député hamoniste Emmanuel Duplessy sur le train de vie de l’Etat entend proscrire la vente d’alcool à la buvette. La loi, dit-il, interdit à tous les Français de boire sur le lieu de travail (sauf pour le pot de départ, le repas client, le déjeuner de Noël etc.) et les élus doivent, dit-on, être exemplaires. Je ne veux pas que les députés me servent de maîtres à vivre et à penser, mais qu’ils fassent un budget correct. On ne va pas résorber la dette avec ces économies de bouts de bouteille.
Est-il tolérable que des députés aillent en séance ivres ? Non, il est intolérable que les gens ne soient pas parfaits, qu’ils commettent des erreurs, voire des fautes. Je sais bien qu’en dehors de l’Assemblée nationale, aucun Français ne va jamais bosser en ayant bu un verre de trop ou fumé un joint. Et qu’aucun n’a jamais fait de cochonneries entre adultes consentants dans les toilettes, il ne manquerait plus que ça.
L’alcoolisme est évidemment un problème de santé publique sérieux. Mais on ne le combat pas par le fliquage. Quant à la prohibition, cela n’a pas marché. Un jour, tous les plaisirs de pauvres seront interdits, disait Céline. Pour nos nouveaux vertueux les plaisirs des gens ordinaires, ces petites béquilles qui adoucissent l’existence ne sont pas seulement mauvais pour la santé mais moralement répréhensibles. Ils veulent que nos lois soient faites par des humains parfaits, que la vie n’a pas cabossés. Autant les demander à des IA qui ne connaissent pas l’addiction, ni le mal de vivre. En attendant, puisqu’il faut voter et que nous, électeurs, restons de misérables humains, alcootest obligatoire pour entrer dans l’isoloir !
Jean G., un automobiliste de 35 ans résidant sur l’île charentaise, a volontairement foncé pendant 35 minutes sur les passants, hier. Deux de ses victimes sont en urgence absolue. Il a mis le feu à sa Honda Civic avant son interpellation, dans laquelle une bonbonne de gaz aurait été présente. Et il aurait évoqué en garde à vue sa conversion récente à l’islam.
Ce pourrait être le titre d’un bien mauvais polar, de ceux dont l’auteur tient à mettre un nom de lieu dans le titre afin de s’attirer au moins le public local. Mais ce qui s’est passé mercredi matin à Oléron, les trente-cinq minutes de fureur meurtrière qui ont ensanglanté l’île paisible, ne relève pas de la fiction romanesque. Mais bel et bien de la tragédie. La tragédie des temps nouveaux qui – à répétition, soulignons-le – endeuille désormais nos sociétés.
« Allah Akbar »
À tout moment et en tout lieu, cette tragédie peut frapper. Personne n’est vraiment à l’abri. Si, comme son nom l’indique, le terrorisme a pour but et pour stratégie de faire en sorte que la peur, la terreur gangrène la vie des citoyens partout où ils se trouvent, à tous les moments de leur existence, qu’ils en arrivent à ne plus pouvoir aller au boulot ou acheter leur baguette sans savoir la boule au ventre, la victoire est en bonne voie.
On n’en est même plus à redouter et donc traquer des réseaux constitués, organisés, charpentés. On découvre avec stupeur que n’importe quel clampin plus ou moins paumé, plus ou moins exalté qui s’est tranquillement monté le bourrichon tout seul dans son coin, fait parfaitement l’affaire. À Oléron, c’est un gars vaguement à la ramasse mais qu’on connaissait, qu’on croisait, presque un voisin, quoi! qui s’est mué en serial criminel d’un matin, assoiffé de sang. Pas de n’importe quel sang, celui de Français, blancs de préférence, la cible désormais désignée d’un certain fanatisme religieux, islamique pour dire les choses comme elles sont. Car ce n’est pas non plus n’importe quel cri que pousse l’assassin, forcené ou non, c’est le « Allah Akbar » des fous de Dieu, cette incantation dévoyée en cri de haine. Oui, forcené, déséquilibré ou non, car là n’est pas le sujet à ce stade de l’affaire et de notre sujet. Non, ce n’est pas derrière n’importe quel cri, et donc sous n’importe quelle bannière que le barbare d’Oléron assume son crime aveugle. La haine aurait donc bien, aujourd’hui, sa confession de prédilection, son culte de référence. C’est à cela qu’il faut réfléchir, c’est cela qu’il faut traiter. Sans tourner autour du pot et s’interdire de lâcher les mots justes, comme l’a fait le ministre de l’Intérieur dans son intervention sur les lieux-mêmes du drame, évitant avec des pudeurs de gazelle de rapporter le cri en question. Pathétique.
Sans doute serait-on tout disposé à croire que, dans sa grande majorité, la communauté des fidèles de ce courant religieux – ou plus exactement de ces courants – se situerait à des années-lumière d’une telle violence, d’une telle barbarie, encore serait-il plus que souhaitable qu’elle le fasse clairement savoir, qu’elle lutte elle-même pour que ce qui est probablement pour elle autant de paroles sacrées ne se trouvent pas aussi aisément, aussi souvent, transformées en beuglement de haine et de mort. Faute de quoi, tout silence – ce silence tellement assourdissant de cette communauté – pourrait être interprété comme un cautionnement, un encouragement. Une complicité.
Pas la lumière à tous les étages
Oléron pose une fois encore, une fois de plus, une fois de trop la question qui nous taraude et à quoi doit s’atteler de répondre, cette fois, l’ensemble des populations : comment notre société a-t-elle pu en arriver à générer tant de violence, tant de bêtise fanatique, à produire tant et tant de cerveaux malades, de consciences perverties ?
Car bien sûr, on ira nous raconter – croyant nous apaiser, nous rassurer – que l’auteur n’avait probablement pas la lumière à tous les étages. La belle affaire ! Tout le monde sait bien qu’il ne faut pas être tout à fait normal pour prendre une bagnole et s’en servir comme d’une arme de destruction quasiment massive. Le déséquilibre mental est évident. Soit, mais quelles en sont les causes, où vont-elles se nicher, ces causes ? Osons une esquisse de réponse : elles sont à chercher aussi dans la crétinisation massive et galopante des masses. Dans l’abandon de l’humain à ses instincts, à ce qu’il a en lui de plus bestial (du moins, si employer ce mot ne revenait pas à insulter des animaux qui, du moins à ce que j’en sais, ne se livrent jamais à ce genre de massacre gratuit.)
Symboliquement, les îles nous semblent être des îlots de tranquillité, des espaces à part, des refuges de tranquillité, de volupté, de paix. On pouvait se bercer de cette douce illusion jusqu’à ce mercredi matin. Oléron nous en aura guéri. Partout, en tout lieu, à tout moment, disais-je, le pire du pire peut frapper. Frapper les citoyens d’une société frappée, quant à elle, d’impuissance…
Des œuvres, des chefs-d’œuvre! toujours aussi stupéfiants! Et des interprètes toujours magnifiques. Aujourd’hui centenaire, la plus ancienne des compagnies de danse américaines affiche une vitalité d’adolescente.
Quel émerveillement ! 100 ans après la création de la compagnie en 1927, 34 ans après la disparition de sa créatrice, la Martha Graham Dance Company offre un profil demeuré extraordinaire avec le répertoire de l’une des plus grandes chorégraphes de tous les temps encore servie par des danseurs admirables.
Ceux d’aujourd’hui demeurent généralement au niveau de leurs prédécesseurs, même s’ils ne feront pas oublier les extraordinaires interprètes qui, génération après génération, se sont succédé en un siècle au sein d’une compagnie passée au rang de mythe.
Des figures de grandes tragédiennes
Les danseuses surtout ! Ici, dans Cave of the Heart, une pièce d’anthologie qui figure au premier des deux programmes qu’affiche le Théâtre du Châtelet, dans leur véhémence, leur hiératisme et leur noblesse, elles font penser à ces grandes figures de tragédiennes qui illuminaient jadis la scène du Théâtre Français :
Xin Ling qui interprète le personnage de Médée et poursuit la lignée des danseuses d’origine asiatique qui ont marqué l’histoire de la troupe ; Marzia Memoli en Créuse, princesse de Corinthe ; Anne Souder qui personnifie le chœur antique. Chacune, dans des rôles de nature extrêmement différente, est remarquable, sinon éblouissante. Et l’on dira la même chose de Laurel Dalley Smith incarnant l’Ariane d’Errand into the Maze.
Face à elles, deux hommes athlétiques, puissants: Zacchary Jeppsen-Toy dans le rôle du Minotaure et Llyod Knight dans celui de Jason. Ils sont de ce lignage de danseurs athlétiques qu’affectionnait Martha Graham… pour mieux souligner leur pouvoir destructeur et mieux les anéantir.
Comme un trait de peinture éclatante
Souvent froide, pas toujours convaincante au cours de sa carrière de danseuse étoile à l’Opéra de Paris, Aurélie Dupont, venue en invitée, se lance ici dans un solo, Désir, créé pour elle par une ancienne danseuse de Martha Graham, Virginie Mécène, d’après quelques traces subsistant d’un solo oublié de la chorégraphe américaine.
Virginie Mécène y déploie avec une parfaite intelligence et une impeccable rigueur un vocabulaire parfaitement grahamien. Et dans une robe d’un rouge superbe qui illumine la scène comme un trait de peinture éclatante le ferait sur un fond noir, Aurélie Dupont, ici magnifique, se glisse à merveille dans une brève chorégraphie qu’elle a adoptée et qu’elle restitue avec une perfection confondante.
Unanimité tribale
Afin de ne pas confiner les danseurs dans un répertoire uniquement grahamien, la compagnie dirigée par Janet Eilber commande des pièces contemporaines. Pour elle, l’Israélien Hofesh Shechter a composé Cave qui regroupe onze interprètes d’une vaillance et d’une virtuosité à toute épreuve. Ils sont remarquables et paraissent s’y divertir.
« Cave » Photo: Brian Pollock.
La pièce est menée à un rythme d’enfer sur un fond sonore électronique binaire, accablant d’indigence. Shechter y déploie une énergie et un savoir-faire indéniables. Mais pour accoucher de quelque chose de parfaitement creux, vite ennuyeux, déjà vu cent fois, affichant une unanimité tribale, un élan collectif qui plaisent beaucoup par les temps qui courent. C’est racoleur, sinon populiste, si tant est que l’on puisse appliquer cet adjectif à un ouvrage chorégraphique.
Le public a applaudi chaleureusement les deux chefs-d’œuvre de Graham et le solo dansé par l’étoile française. Mais il a acclamé sans retenue une pièce faite pour flatter les perceptions les plus primaires. Voilà qui en dit long sur la dégénérescence du goût de foules qui se laissent si facilement séduire par la seule énergie d’un rythme pauvrement binaire et d’ensembles au fond terriblement racoleurs.
On se souvient qu’en mars dernier, Wajdi Mouawad triomphait à l’Opéra de Paris, avec un Pelléas et Mélisande d’anthologie, nouvelle production donnée dans la salle de la Bastille. Ce n’est donc pas sans préjugé favorable qu’on s’apprêtait à découvrir ce que (prenant la relève de la fameuse régie signée Krzysztof Warlikowski en 2006 pour le même Opéra de Paris, et dont la dernière reprise remonte à 2021) le metteur en scène, dramaturge et écrivain franco-libanais ferait, à son tour, d’Iphigénie en Tauride, chef d’œuvre absolu de la maturité tardive de Christoph Willibald Gluck (1714-1787), dans cette production inédite, commande de l’Opéra – Comique pour la saison 2025.
Parallélisme
Pari gagné haut la main, à tous points de vue. En guise de prélude, Wajdi Mouawad choisit de raccorder cette « tragédie lyrique en quatre actes » millésimée 1779, à Iphigénie en Aulide, autre opéra du même compositeur allemand, composé quelques années plus tôt, et dont la flamboyante ouverture orchestrale, dans la fosse, s’accompagne, défilant en arrière-plan surtitré, d’un texte chargé de récapituler la teneur du mythe antique à l’intention d’un public sensément peu au fait, en 2025, de la généalogie des Atrides.
Et comme la Tauride de l’ancienne Grèce correspond géographiquement à l’actuelle Crimée, des photos en gros plan de tanks russes roulant sur ces routes immémoriales viennent rappeler que la sauvagerie des armes ensanglante la Terre de toute éternité. Au risque d’un parallélisme exagérément didactique (quoique sans parti pris lourdement appuyé), l’allusion se prolonge encore, à travers un préambule dialogué qui place les futurs protagonistes de l’opéra au sein d’une salle de musée, à Kiev. À la cimaise est accrochée une toile contemporaine vaguement figurative (on y distingue une silhouette féminine), rouge sang, perfusée de poches d’hémoglobine : dans cette saynète, Oreste et Pylade, ambassadeurs de la cause grecque, réclament sans succès à Thoas, le directeur – russe – du musée, la restitution de deux statuettes pillées à la faveur de la guerre ; Iphigénie, conservateur manifestement pris entre deux feux, fait l’aveu de son impuissance…
Pleinement assumé par le metteur en scène, le fil rouge constitué par ce triple prologue se matérialise enfin dans un décor unique, boîte aux parois anthracites dont les reliefs de papier froissé se révèleront peu à peu dans un subtil clair-obscur qui s’empare progressivement du plateau, dont le centre reste occupé, en guise de temple de Diane, par une sorte de Kaaba noire, promise à se marbrer toute entière du sang des victimes sacrificielles, élément d’architecture qui avance et recule tel le cœur battant d’une hémorragie sans fin qui irriguera jusqu’aux longues jupes des prêtresses, maculées de sang, tandis qu’Oreste et Pylade arborent quant à eux de sobres étoffes bleu nuit…
La saisissante beauté plastique de la scénographie, signée Emmanuel Clolus, se double de l’extraordinaire vitalité de la phalange Le Consort, ensemble parisien dédié depuis maintenant dix ans à la musique baroque. Au pupitre, le maestro Louis Langrée, à la tête de l’Opéra-Comique depuis bientôt cinq ans comme l’on sait, cèdera sa place à Théotime Langlois de Swarte pour les trois dernières représentations de cette production (les 8, 10 et 12 novembre prochains). Parions qu’à son tour le jeune chef insufflera à l’orchestre et au chœur le même souffle tour à tour sauvage et délicat, la même rutilance, la même intensité qui, d’un bout à l’autre, se retrouvait également, lors des premières représentations, dans le cast vocal de très haute tenue dont bénéficie le spectacle. A commencer par la soprano franco-algérienne Tamara Bounazou qu’on découvrait donc ici dans cette prise de rôle de la fille d’Agamemnon : articulation parfaite, superbe puissance de projection, brillance paroxystique d’une voix au métal qu’on voudrait parfois voir s’adoucir davantage dans l’onctuosité des passages pianissimo. Pour camper le matricide Oreste, le léger accent du baryton américain Theo Hoffmann ajoute au charme de son élégant vibrato (et à la séduction d’une performance de nu intégral dénouée de toute provocation), tandis que le ténor bien connu Philippe Talbot incarne Pylade avec un éclat juvénile singulièrement touchant. En Thoas, la basse -baryton imposante Jean-Fernand Setti appellera, au tomber de rideau, les ovations de la salle, unanime pour acclamer à juste titre l’impeccable réussite de ce spectacle.
Iphigénie en Tauride. Tragédie lyrique en quatre actes de Christoph Willibald Gluck.
Avec Tamara Bounazou, Theo Hoffmann, Philippe Talbot, Jean-Fernand Setti… Direction : Louis Langrée/ Théotime Langlois de Swarte. Mises en scène : Wajdi Mouawad. Orchestre : Le Consort. Chœur : Les éléments.
Durée : 2h30.
Opéra-Comique, Paris. Les 6, 8, 10 et 12 novembre à 20h.
Le Soudan est en train de mourir. Une douzaine de millions d’êtres humains déplacés, ou réfugiés hors de leur pays. Des villes rayées de la carte. Des femmes violées par dizaines de milliers, des enfants qui meurent de faim sous les bombes. Trente millions de personnes en besoin d’assistance humanitaire. Un nombre de morts incertain mais estimé à 150 000 peut-être, selon des experts. Et personne ne dit rien.
Silence total. Silence des gouvernements. Silence des ONG saturées. Silence surtout de nos habituels donneurs de leçons.
Où sont-ils, les professionnels de l’indignation et de la dénonciation ? Les porte-drapeaux de la « justice mondiale » ? Les chevaliers de la cause palestinienne ? Où sont les encartés de LFI, ces députés braillards toujours prompts à hurler au “génocide” quand cela arrange leurs petites affaires électorales ?
Le Soudan ne les intéresse pas. Trop loin. Trop noir. Trop compliqué.
Pas de colons à accuser, pas d’Israël à vouer aux gémonies, pas d’Occident à crucifier. Alors on détourne les yeux. On ferme sa gueule. On attend le prochain round à Gaza car tout le monde sait bien que la mèche se rallumera un jour ou l’autre. Et alors, on les reverra, soyez-en sûrs.
C’est ça, l’indignation sélective. Une émotion calibrée, une morale fonction de l’algorithme. On pleure quand c’est rentable, on s’émeut quand ça fait du bruit, on défile quand ça fait le jeu de son camp. Pendant ce temps, le Soudan s’effondre. Dans un silence assourdissant.
Le Haut-Commissariat aux Réfugiés parle de la « pire crise humanitaire de la planète ». Les chiffres ci-dessus le démontrent. Pourtant, personne n’organise le moindre rassemblement sur la place de la République – feux de Bengale et bannière à slogans autour de la statue monumentale de Marianne -, personne n’a envie de marcher pour Khartoum, et personne ne porte un T-shirt « Je suis Darfour ».
La vérité, c’est que notre compassion est – fondamentalement – raciste. Elle ne s’étend qu’à ceux qui servent notre vision du juste et bon ordre du monde. L’universalisme est mort, remplacé par le militantisme tribal. Un peuple africain crève tout entier dans l’ombre, mais les peuples occidentaux – nourris de bien-pensance – détournent leur regard avec indifférence. Avec leurs pancartes proprettes, leurs indignations bien repassées, leurs larmes sous-titrées.
Le Soudan brûle, voyez-vous. Mais tout le monde s’en fout. Il est si difficile de se souvenir que le silence tue autant que la guerre…
Dès son arrivée au pouvoir, François Mitterrand souhaite associer son nom à une réalisation architecturale grandiose. Le projet de la Grande Arche de la Défense est lancé. Dans L’Inconnu de la Grande Arche, en salles ce mercredi, Stéphane Demoustier retrace l’épopée d’un chantier hors norme chahuté par les défis architecturaux et les embrouilles politiques.
La Défense, ce quartier d’affaires parisien, est une vraie forêt urbaine. Rien à voir avec les friches mort-nées que bine la maire Hidalgo. Mais cette forêt de gratte-ciel fermant la perspective magistrale des Champs-Élysées a du souci à se faire : s’il faut en croire la Cour des comptes, en 2025 son modèle économique est frappé d’obsolescence. Bureaux désertés, tours invendables, entretien des infrastructures trop dispendieux…
Idée en tête
François Mitterrand, à peine installé sur le trône de la République, lance en 1982 le projet « Tête Défense ». Le monarque bâtisseur n’a qu’une idée en tête, justement : associer son nom à une œuvre architecturale grandiose, en cette fin de siècle où la France s’apprête à fêter le bicentenaire de la Révolution. Un portique géant qui dame le pion à l’Arc de Triomphe, voilà qui plaît au pharaon de la gauche. Il se rallie à la proposition du jury, lequel s’est porté sur cet étrange projet de cube évidé, signé d’un obscur architecte danois au patronyme imprononçable : Otto von Spreckelsen – entre initiés, on dit « Spreck ». L’édifice doit abriter un « centre international de communications » – l’ectoplasme fera long feu.
L’Inconnu de la Grande Arche fictionne cette saga érectile, porté par un habile scénario, en dépit d’une distribution artistique inégale. Côté gagnant, l’irremplaçable comédien et metteur en scène Michel Fau qui, dans Borgo, précédent long métrage de Stéphane Demoustier, incarnait un commissaire de police. Ce n’est pas sans délectation qu’on retrouve Fau dans la peau d’un François Mitterrand impavide, sphinx indéchiffrable défendant mordicus son architecte face aux contingences. Même suffrage pour Swan Arlaud qui endosse le rôle de Paul Andreu (le créateur du premier aéroport de Roissy), seul architecte qu’on sut apparier à Spreck, non sans heurts, comme maître d’œuvre apte à recadrer l’esthète évanescent, interprété quant à lui par Claes Banc, acteur danois dont les répliques polyglottes servent la véracité du rôle. Seule erreur de casting,l’inénarrable Canadien Xavier Dolan, agaçant cinéaste nombriliste-gay, dans un contre-emploi caricatural, celui du haut fonctionnaire chahuté par des vents contraires, affublé ici du nom grotesque de « Subilon », transposition dépréciative du bien réel Jean-Louis Subileau, urbaniste aujourd’hui âgé de 85 ans, alors maître d’ouvrage incontournable du projet. Autant Mitterrand sous les traits de Fau, ça colle, autant Dolan accoutré d’un costard-cravate, on se pince. Subileau ne méritait pas de se voir singé par un myrmidon cabotin.
Nonobstant cette réserve, L’Inconnu de la Grande Arche est une réussite. Il est vrai que Stéphane Demoustier est à son affaire en matière d’archi : sorti de HEC, le frère de la comédienne Anaïs Demoustier a, des années durant, à la tête de sa société Année Zéro, produit et réalisé nombre de docus de qualité pour le compte de la Cité de l’architecture et du patrimoine.
En notre temps où la parité passe pour la panacée (de fait, la profession d’architecte s’est fortement féminisée en un demi-siècle), l’époque où le BTP était exclusivement affaire d’hommes paraît une incongruité, irréductible à la sensibilité contemporaine. Au point que le cinéaste a cru bon de flanquer son Spreck d’une épouse suractive (sous les traits de l’actrice danoise Sidse Babett Knudsen) que son mari égotiste, au péril de la paix conjugale, sacrifie à son utopie : dans la réalité, Karen Spreck se tenait bien aux côtés d’Otto – mais muette et glaciale…
Effets spéciaux parfaits
Lauréat surprise d’un concours anonyme où s’affrontent près de 400 candidats, l’architecte multiplie les exigences tatillonnes (blancheur immaculée des façades en marbre de Carrare, par exemple) sans arrêt remises en cause pour des raisons techniques, budgétaires et… politiques, lorsque survient la « cohabitation » avec le gouvernement Chirac. Dans le film, les effets spéciaux simulent à la perfection les états successifs du chantier, tout comme sont restitués avec un réalisme épatant le trafic automobile vintage d’alors et l’ambiance bâtisseuse de la capitale – on y voit même Pei, sur le chantier naissant de sa pyramide au Louvre.
Le projet est progressivement dénaturé et Spreck finit par jeter l’éponge. Le pire est à venir : le marbre est remplacé par du granit, le « nuage » de verre promis à flotter poétiquement dans le vide est écarté, la voile vaporeuse est ravalée à l’aspect d’une bâche, l’édifice s’altère, le toit-terrasse devient un vaisseau fantôme, comme l’ensemble du bâtiment réputé inoccupable. Toutes ces péripéties tragi-comiques sont détaillées en bonne langue dans La Grande Arche, le cruel livre-enquête de Laurence Cossé qui a inspiré le film, et que Gallimard réédite en Folio.
Il y a loin de l’épure au réel. Le génie de Spreck ? « Concevoir une œuvre qui, à peine édifiée, a dissipé la confusion et donné un éclat spectaculaire à la totalité du quartier. On n’a plus conscience aujourd’hui, admet Cossé, du tour de force accompli là. » À l’heure où la tour Triangle vient incongrûment pointer son pic dans le ciel de Paris, la Grande Arche se pare rétrospectivement d’une vertu quasi miraculeuse : avoir préservé la sublime perspective urbaine qui joint le palais du Louvre aux hauteurs de Nanterre, d’un gros bouchon étanche en forme de gratte-ciel.
À voir :L’Inconnu de la Grande Arche, de Stéphane Demoustier, avec Michel Fau, Swan Arlaud, Xavier Dolan, Claes Banc et Sidse Babett Knudsen. Sortie le 5 novembre.
À lire : La Grande Arche, Laurence Cossé, Gallimard (Folio), 2025.
En insistant sur le contexte colonial — ce que ne faisait pas Albert Camus dans son roman — et en filmant Benjamin Voisin avec sa caméra amoureuse, le réalisateur de Huit Femmes et Potiche trahit l’esprit du texte original.
Adapter L’Étranger relève presque du pari impossible : rares sont les cinéastes capables de traduire la nudité philosophique de Camus sans la trahir. Après la superbe et trop longtemps incomprise version de Luchino Visconti (1967) — honnie par la critique d’alors, et encore contestée aujourd’hui — voici que François Ozon, cinéaste d’une filmographie inégale (où je sauve Une robe d’été (1996), Gouttes d’eau sur pierres brûlantes (2000) et Sous le sable (2000)), s’attaque à ce monument littéraire.
Présenté à la Mostra de Venise 2025, ce film tourné en noir et blanc de belle facture oscille entre transposition sobre et réminiscences de la qualité française des années 1940. L’adaptation d’Ozon fluctue entre une certaine fidélité — l’indifférence et le manque de compassion humaine de Meursault — et une trahison patente, par son manque d’ambition métaphysique et son interprétation « politiquement correcte » du roman. Adapter L’Étranger est une entreprise périlleuse : comment traduire au cinéma la sécheresse de la prose camusienne sans trahir sa vérité ? François Ozon, souvent habile dans la stylisation, se laisse ici captiver par sa propre maîtrise. Ce qu’il filme n’est plus le monde, mais un dispositif.
L’image, pourtant belle, est close sur elle-même et n’accueille ni le hasard ni la vie. Là où Camus écrivait dans la lumière, Ozon filme dans la pénombre du sens. Le réalisme moral du roman cède la place à un esthétisme glacé où la caméra fige le réel au lieu de le révéler.
Le formalisme comme clôture du sens
Chez Camus, l’absurde jaillit du heurt entre l’homme et le monde. Chez Ozon, il se dissout dans une mise en scène sans porosité. Chaque plan, chaque geste semble voulu, pensé, dirigé. L’absurde n’est plus vécu, il est démontré. Bazin rappelait que le cinéma devait « laisser les choses advenir » : ici, tout est tenu à distance, organisé selon un schéma mental. Ozon filme des concepts là où Camus montrait des existences.
Benjamin Voisin incarne un Meursault abstrait, presque spectral. Le visage est impassible mais sans profondeur ; le corps, présent mais inerte. L’acteur, prisonnier d’une direction glaciale, ne parvient jamais à rendre la densité d’un homme traversé par le monde sans le comprendre.
Un réel vidé de sa substance
Le soleil, la mer, la chaleur — éléments essentiels chez Camus — sont ici réduits à des effets d’atmosphère. Le film semble avoir peur du réel : tout paraît contrôlé, fermé, presque désinfecté.
L’Algérie n’est plus un espace vécu, mais un décor moral. On y perçoit la volonté de corriger Camus, de lui adjoindre une conscience politique que le roman, en 1942, laissait dans l’ombre.
Antiracisme démonstratif et commentaire post-colonial
Ce qui, chez Camus, relevait de la suggestion — l’indifférence à la mort de «l’Arabe», l’angle mort du contexte colonial — devient chez Ozon un programme idéologique. L’Algérie filmée n’est plus celle d’un écrivain méditerranéen face à la lumière, mais celle d’un cinéaste contemporain soucieux de corriger l’Histoire. Cette sur-inscription politique trahit l’esprit du texte : au lieu de révéler l’ambiguïté morale du monde, elle impose un discours à parti pris antiraciste, détournant le sens camusien.
Amplification des figures féminines
Autre dérive : la volonté de donner plus de relief aux personnages féminins. Marie, la maîtresse de Meursault, se voit dotée d’une profondeur psychologique et sentimentale que Camus refusait de lui donner. Ces scènes, souvent bavardes, installent une émotion programmée qui rompt le ton du récit. L’absurde, qui suppose silence et distance, se trouve submergé par un drame sentimental.
Photo : Carole Bethuel / Gaumont
De même, Ozon accorde une place plus importante à Djemila (Hajar Bouzaouit), ce qui lui permet — comme je l’ai dit — d’insister sur l’arrière-plan colonial, sur « l’Arabe », qui, bien que silencieux dans le texte, devient ici le marqueur d’une violence coloniale désignée comme « systémique ». De ce fait, l’acte incompréhensible et absurde de Meursault se transforme en crime raciste dans l’Algérie colonisée. Ozon cherche sans doute à compenser la froideur du texte ; il n’y parvient qu’en altérant sa rigueur.
Une sensualité homo-érotique incongrue
Le cinéaste introduit par ailleurs une tension homo-érotique diffuse — entre Meursault et certains personnages masculins, dans des regards, des gestes, une proximité étudiée. Ce motif, familier du cinéma d’Ozon, n’a ici que peu de nécessité. L’absurde devient prétexte à une exploration du désir que rien ne justifie dramaturgiquement. Là où Camus décrivait la nudité morale d’un homme face à la lumière, Ozon ajoute une sensualité artificielle, presque décorative : le corps filmé comme signe ajouté, ornement esthétique sans nécessité ontologique.
Le contresens esthétique
Tout cela aboutit à un film qui veut dire trop. Ozon surcharge Camus d’intentions politiques, sociales, sexuelles, esthétiques. Le résultat est une œuvre lourde, refermée sur sa propre conscience morale, qui oublie l’essentiel : L’Étranger n’est pas un manifeste, mais une expérience existentielle nue. La fidélité à Camus ne réside pas dans l’illustration ou la correction, mais dans le courage de filmer la lumière sans explication.
L’Étranger selon François Ozon est un film d’orfèvrerie poli, pensé, maîtrisé, mais sans souffle. Sous le vernis d’intelligence, il ne reste ni vie, ni mystère, ni réel. Le cinéaste n’adapte pas Camus : il le commente.
L’élection du premier maire musulman et socialiste de l’histoire de la ville de New York met en joie en France les élus de la très sectaire France insoumise. M. Mamdani s’est présenté comme l’exact contraire du président Trump. Les analyses d’Ivan Rioufol
Les milliardaires américains ont dépensé plus de 20 millions de dollars pour empêcher @ZohranKMamdani d'être élu maire de New-York.
Mais la vague populaire qui se lève peut les balayer.
La gauche radicale est « l’antidote à Trump » à New York, mais « le péril populiste » à Paris. Zohran Mamdani est la solution là-bas, ici ce serait le problème.
Même gauche, deux traitements médiatiques. Sur place aussi les ralliés de la 25ème heure adorent ce qu'ils ont… pic.twitter.com/hQ80SyatGv
L’anti-trumpisme a tout pour satisfaire Donald Trump. Poussés à la radicalité, ses adversaires s’engouffrent dans des surenchères dangereuses. L’élection de Zohran Mamdani (50,4% des voix, contre 41% à Andrew Cuomo) à la mairie de New-York, ce matin, est le produit des deux idéologies totalitaires de l’époque : le wokisme, avec sa guerre raciale, et l’islamisme, avec sa guerre religieuse.
M. Mamdani s’est présenté comme l’exact contraire du président américain. Il a fait campagne au nom de la revanche des minorités plaintives du Queens, mais aussi au nom d’un antisionisme répondant aux mots d’ordre des frères musulmans. Son militantisme pro-palestinien et pro-boycott d’Israël ne l’a pas empêché de récolter plus de 30% des voix de l’électorat juif de la ville, qui rassemble la plus forte communauté israélite du monde. En fait, Mamdani, premier maire musulman, est le symbole de ce que peut produire le progressisme aveuglé par ses dogmes, y compris auprès d’une partie d’un électorat juif qui préfère s’arrimer à une gauche aux relents antisémites plutôt que de rejoindre le camp modéré. Le centrisme de Cuomo, soutenu in fine par Trump, a néanmoins récolté 60% des voix de cet électorat. Reste qu’une même contradiction se retrouve en France chez une partie des intellectuels de gauche qui, se réclamant de leur judéité, ont défendu et défendent encore pour certains, dans un affichage conformiste, une société multiculturelle et un cosmopolite irréfléchi, en dépit du fait que ces utopies soient le cheval de Troie de l’islam conquérant et judéophobe.
La pente totalitaire n’est pas seulement dans la gauche américaine, rendue folle par la révolution conservatrice trumpienne et ses succès. Une même fuite en avant s’observe en France dans le camp progressiste ; il se laisse gagner par la pratique stalinienne du refus du débat. C’est un fait : la gauche française ne sait plus argumenter autrement que par le mépris, l’injure, la diabolisation. Lundi, sur France 5, c’est une journaliste du Nouvel Obs qui a fait un parallèle entre Jordan Bardella et Adolf Hitler (1), sans que le plateau ne réagisse à l’outrance. Ce manichéisme bas de gamme est également utilisé par une partie de la droite affiliée à LR. Il suffit d’entendre les arguments anti-RN rudimentaires de Xavier Bertrand ou de Jean-François Copé pour s’en convaincre.
Or les mutations politiques, sociales, culturelles en cours méritent mieux que ces chasses aux hérétiques menées par une meute intellectuellement paresseuse. La clarification de la ligne des LR, réclamée notamment par Bertrand, devient un préalable indispensable. Manuel Valls avait théorisé à juste titre les « deux gauches irréconciliables ». Il y a aussi, désormais, deux droites irréconciliables. Dans la radicalité qui s’impose, il est temps de trancher entre ceux des LR qui veulent s’abriter encore derrière un centrisme sous tutelle de la gauche, et ceux qui veulent rompre avec ce monde finissant. Mamdani s’annonce comme l’ultime soubresaut d’un progressisme intolérant.
La une du « New York Post », tabloïd américain. DR.
1 Caroline Michel-Aguirre a affirmé : « Le patronat prend un risque parce qu’une partie (des chefs d’entreprise) multiplie les contacts avec Jordan Bardella et se dit : « On va prendre le contrôle de son cerveau. Il est jeune, il n’y connaît rien, on va lui donner un programme libéral. (…) « C’est ce qu’Alain Minc appelle l’effet von Papen ; c’est-à-dire qu’au nom d’une potentielle stabilité, on va prendre ce risque parce qu’on va le contrôler » NDLR
Dix-huit mois avant les prochaines élections nationales (du moins en théorie), la favorite des sondages continue sa guerre d’usure contre le bloc central mais ne veut toujours pas entendre parler de l’union des droites.
Le bureau de Marine Le Pen à l’Assemblée nationale est l’un des plus charmants endroits du Palais-Bourbon. En sa qualité de présidente de groupe, l’élue du Pas-de-Calais a droit à une belle pièce lambrissée au cœur du bâtiment historique, quand les députés « de base » sont relégués dans des locaux annexes nettement plus exigus et ternes. Certains habitués prétendent pourtant que le lieu, occupé par le passé par deux stars du gaullisme au destin brisé, Philippe Séguin et François Fillon, porte malheur. Quand elle nous y reçoit le 15 octobre, Marine Le Pen semble toutefois imperméable aux mauvais présages. En dépit des vents judiciaires contraires, la patronne du RN est remontée à bloc. À travers la porte, on l’entend lancer : « Tu sens mauvais ! » Qu’on se rassure, cette apostrophe s’adresse au chaton aperçu dans ses bras dans la cour de Matignon, quelques jours plus tôt – il grossit. Ce jour-là, elle a compris que les deux motions de censure inscrites à l’agenda du lendemain dans l’Hémicycle ne passeront pas, mais cela n’entame pas sa belle humeur. Elle est persuadée que la chute du gouvernement Lecornu n’est qu’une question de semaines. Et rêve à voix haute d’une prochaine dissolution et d’une victoire du RN, donc de gouverner la France.
Causeur. Vous avez sifflé la fin des gouvernements Barnier puis Bayrou. Mais celui de Sébastien Lecornu a survécu à votre tentative de censure et vous n’avez pas obtenu la dissolution que vous réclamiez. Auriez-vous perdu la main ?
Marine Le Pen. La dissolution est inéluctable. Demain, dans quinze jours, dans un mois et demi, elle aura lieu. Nos institutions sont ainsi faites que c’est la seule solution possible au blocage actuel. En attendant, il est intéressant d’observer le spectacle de tous ceux qui cherchent des prétextes pour empêcher cette issue : les socialistes, qui ont sauté sur l’excuse de la suspension de la réforme des retraites pourtant loin d’être acquise, et les Républicains, dont le grand écart doit considérablement malmener les adducteurs. Leur point commun : ils ont peur des élections. Et ils ont raison d’avoir peur.
Nous, nous n’avons aucun poste à défendre, mais nous sommes opposés à la dissolution. Nous pensons qu’il serait préférable, pour le pays, de retrouver les échéances normales : une présidentielle dans dix-huit mois et ensuite des législatives qui donneraient une majorité au nouveau président. Certes, en l’absence de majorité, on ne va pas faire de grandes réformes. Il faut tenir.
Sauf qu’en politique, quand on n’avance pas, on recule. Le blocage actuel aggrave la situation de la France, notamment la situation budgétaire.
Oui mais une nouvelle dissolution pourrait engendrer une assemblée aussi gouvernementale et nous plonger dans une situation insoluble. Vous êtes prête à parier le destin du pays sur votre certitude d’avoir une majorité en cas d’élection ?
Je ne parie sur rien, je respecte la démocratie. Et je crois que les Français sont prêts à se donner aujourd’hui une alternance.
Sauf que vous ne pouvez pas provoquer immédiatement l’alternance présidentielle.
Nous n’avons en effet pas prise sur la démission du président de la République. Mais, puisque Emmanuel Macron a fait savoir qu’il prononcerait une dissolution en cas de nouvelle chute du gouvernement, nous avons prise sur un retour des députés devant les urnes, voulu par 66 % des Français.
En attendant, si la réforme des retraites est suspendue, le PS pourra se targuer de cette victoire…
Je ne compte pas tomber dans le piège socialiste consistant à faire de cette suspension l’alpha et l’oméga du débat public. Il existe bien d’autres sujets de préoccupation dans notre pays, comme le record de présence de personnes étrangères sur le territoire, l’insécurité qui continue de se dégrader dans des proportions spectaculaires, les 74 milliards de charges de la dette à payer en 2026, c’est-à-dire 6 milliards de plus que ce qui avait été prévu, et le budget en préparation, qui prévoit 20 milliards de hausses et 28 milliards d’augmentation de la dépense publique.
Il se trouve que bon nombre de Républicains partagent vos inquiétudes et semblent très réticents à rester dans le « socle commun ».
Oui, surtout ceux qui ne sont pas concernés ! Monsieur Bellamy a indiqué que, s’il était député, il aurait voté la censure. Et moi, si j’avais des roulettes, je ferais un bel autobus !
On dirait que vous affectionnez le « tout ou rien ». Alors qu’après tout, au lieu de faire des concessions aux socialistes, Sébastien Lecornu aurait très bien pu essayer de s’arranger avec vous.
Mais la feuille de route que lui a fixée Emmanuel Macron, c’était de négocier avec les socialistes. Au nom du « tout sauf le Rassemblement national ». C’est insensé, mais c’est ainsi.
Il se dit pourtant que, lorsqu’il a décidé de dissoudre, Emmanuel Macron espérait vous donner les clés de Matignon.
Je vais vous raconter la véritable histoire. Le 9 juin 2024, quand Emmanuel Macron dissout l’Assemblée, il croit en effet faire un coup mitterrandien. Il prévoit alors notre victoire dans les urnes, et donc notre arrivée aux affaires, ce qui lui permettra, s’imagine-t-il, de démontrer que le Rassemblement national est un ramassis d’incapables. Sauf que le soir du premier tour, le vertige le prend. Il se dit : « Non, ce n’est pas possible ! » Alors il change totalement son fusil d’épaule. Et il appelle lui-même ses propres députés – j’en ai eu le témoignage – pour leur demander de se désister dans les triangulaires où ils sont mal placés afin de nous faire barrage. Ultérieurement, l’Élysée a diffusé une légende urbaine pour faire accroire que cette manœuvre, que l’on a appelée le « front républicain », était une initiative de Gabriel Attal non désirée par le président. C’est totalement faux.
Si c’est faux, c’est bien inventé. Quittons un instant de la séquence actuelle. Vous êtes revenue des enfers politiques : en 2017, on vous faisait un procès en cryptofascisme et en incompétence, et aujourd’hui, alors que vous êtes l’ultra-favorite de la présidentielle, il n’est pas sûr que vous puissiez vous présenter. Comment le vivez-vous ?
C’est précisément parce que je suis ultra-favorite qu’on veut m’empêcher de me présenter. Avec cette grille de lecture, vous comprenez tout ce qui se passe aujourd’hui à l’Assemblée, mais aussi les ingérences d’autorités judiciaires et la multiplication des affaires. Le pouvoir a peur de nous, car il sait bien que, dans tous les pays gouvernés par des mouvements qui nous ressemblent, ou du moins qui partagent nos grandes lignes, les citoyens sont satisfaits. On le voit aussi, d’ailleurs, dans les municipalités RN, où nous avons été élus et réélus, souvent dès le premier tour. Non seulement les administrés se sont rendu compte que notre politique n’était pas la catastrophe annoncée, mais ils apprécient ce que nous faisons.
Malgré votre condamnation à une peine d’inéligibilité avec exécution provisoire, plusieurs spécialistes affirment que, si une élection nationale avait lieu demain, le Conseil constitutionnel ne vous empêcherait pas de vous présenter. Partagez-vous leur analyse ?
Le Conseil constitutionnel a en effet toujours considéré que l’exécution provisoire d’une peine d’inéligibilité ne pouvait pas s’appliquer à un mandat national. Le fait qu’il ne s’oppose pas à ma candidature en cas de législatives anticipées et, a fortiori, de présidentielle serait donc logique vu ses jurisprudences. C’est en tout cas ce qu’a écrit le rapporteur du Conseil d’État, suite au recours que j’ai formulé concernant mon mandat de conseillère départementale. Et la Cour européenne des droits de l’homme dit la même chose.
Et si votre inéligibilité est confirmée en appel cet été, pourrez-vous vous présenter ?
Évidemment pas. Raison pour laquelle j’ai indiqué dès le départ que je prendrai ma décision de me présenter ou non lors du rendu de l’arrêt de la cour d’appel.
Sans attendre une éventuelle décision en cassation ?
Non, car on ne sait pas quand une telle décision serait rendue et on ne peut pas se lancer dans une campagne présidentielle au dernier moment. J’annoncerai donc ma décision cet été pour ne pas hypothéquer la candidature de Jordan Bardella dans le cas où il devrait y aller.
Dans la situation catastrophique de la France, qu’est-ce qui vous fait penser que vous êtes en mesure de la redresser ?
Mon camp politique est le seul à avoir véritablement le courage de faire ce qui doit être fait, pour la bonne raison que nous nous moquons du jugement des élites autoproclamées qui, depuis des décennies, gouvernent la France contre le peuple.
Une proportion non négligeable de Français vous sont toutefois très hostiles…
Sur les grands sujets, comme la restauration du délit de présence irrégulière sur le territoire, la mise en place de la priorité nationale dans les logements sociaux ou l’organisation d’un référendum sur l’immigration, le peuple est très majoritairement d’accord avec nous.
Un projet pour la France ne peut se réduire à des mesures sur l’immigration c!
Une majorité de nos concitoyens, y compris d’ailleurs bon nombre d’électeurs LFI, sont aussi d’accord avec nous pour que l’État fasse des économies sur son train de vie, qu’il lutte sérieusement contre les fraudes non seulement sociales mais aussi fiscales, et qu’il mette davantage à contribution les hauts patrimoines pour financer une baisse d’impôts pour les classes moyennes. Bref, une majorité de Français soutiennent les grandes orientations que nous portons.
En ce cas, pourquoi ne vous ont-ils pas déjà élue ? Pourquoi n’ont-ils pas bravé le front républicain pour donner une majorité à Bardella ?
La transformation du soutien à des mesures en vote prend toujours du temps ; mais je dis aux Français qu’il y a urgence avant que la situation soit hors de contrôle.
Avoir une majorité derrière soi ne suffit pas. Pour gouverner, il vous faut aussi savoir dialoguer avec les autres partis, les syndicats, les corps intermédiaires. Vous qui méprisez les « élites autoproclamées », comme vous dîtes, avez-vous cette capacité ?
Absolument et je le démontre. Nous sommes le parti le moins sectaire du Parlement, celui qui vote le plus d’amendements ou de propositions de loi qui n’émanent pas de ses rangs. Et depuis que nous avons tendu la main à Éric Ciotti, nous travaillons merveilleusement bien ensemble, malgré certaines divergences d’approches sur l’économie.
Curieusement, vous êtes l’alliée du parti Ciotti, dont le nom est « Union des droites pour la République », mais vous vous refusez à vous dire de droite.
Je ne dis pas non plus que je suis de gauche.
« Je suis la candidate de Jordan à la présidentielle. » Marine Le Pen et Jordan Bardella en meeting à Hénin-Beaumont, 24 mai 2024. Francois Greuez/SIPA
Certes, mais vous êtes attachée à la nation et vous avez une conception plutôt traditionnelle du régalien. Tout cela est aujourd’hui plutôt de droite, non ?
Vous avez vu la droite défendre la nation, ces dernières années ? J’ai plutôt le sentiment qu’elle a soumis la France à l’Union européenne et qu’elle a voté pour Madame von der Leyen !
La droite est soucieuse de continuité historique. Elle veut que « la France reste la France ». La France est-elle menacée ?
Si je ne pensais pas que la France est menacée, j’irais planter des fraises. Elle l’est d’autant plus que beaucoup de gens le savent et nous font perdre du temps en disant la même chose que nous pour nous empêcher de le faire. C’est pour cela que j’en veux bien plus à la droite qu’à la gauche. La droite sait ce qui se passe et, arrivée aux responsabilités, ne fait pas ce qu’il faut faire. Beaucoup de gens à droite espèrent des gens comme nous, mais qui soient plutôt comme eux. Peut-être ne sommes-nous pas assez bourgeois.
En attendant, à gauche, on brandit plus facilement le drapeau palestinien que le drapeau français.
Pour ma part, je me sens plutôt gaullienne. Le général de Gaulle appréciait la gauche pour son côté social, mais la trouvait complètement utopique avec sa propension à aspirer à n’importe quelle nouveauté, dès lors qu’elle était définie comme un progrès. Et il appréciait la droite pour son réalisme, tout en la trouvant enferrée dans l’immobilisme, la défense des intérêts particuliers et une forme de conservatisme excluant toute forme d’évolution ou d’amélioration.
En vous écoutant, on a l’impression que, contrairement à Jordan Bardella, vous considérez « libéralisme » et « conservatisme » comme des gros mots. Êtes-vous conservatrice ?
Non. Le conservatisme est une posture de peur et de nostalgie, qui consiste à rester assis sur le ballon. Une fuite en arrière, dans le sens inverse du macronisme, qui est une fuite en avant. Ma vision du pays n’est pas celle-là. On peut défendre l’histoire, la culture et les grands idéaux qui sont les nôtres, sans opposer, comme la droite et la gauche aiment à le faire, les principes de la République et notre héritage plus ancestral. Je considère au contraire que les deux se nourrissent l’un de l’autre. Et puis surtout, je suis pour monter, aller vers le haut. Notre pays a encore énormément à offrir. À commencer par sa souveraineté, c’est-à-dire sa liberté de choisir son destin.
Encore faut-il conserver cette souveraineté. Sans quoi dans trente ans, la France ressemblera à la Belgique islamisée.
Je lutte, me semble-t-il, avec plus d’efficacité que les conservateurs, contre l’immigration massive qui change notre mode de vie, nos codes et nos mœurs.
En quoi ?
Ma famille politique alerte depuis des décennies sur ces sujets et propose depuis maintenant des années des textes législatifs pour répondre à ces enjeux, que ce soit notre référendum sur l’immigration ou ma proposition de loi de lutte contre les idéologies islamistes.
Êtes-vous libérale ?
Sur le plan sociétal assurément, mais modérément. Sur le plan économique, notre mouvement a été libéral quand le socialo-communisme constituait un danger majeur pour le monde. Mais après la chute du mur de Berlin, le libéralisme est devenu, du fait de la disparition des frontières, ce qu’on a appelé l’« ultra-libéralisme », c’est-à-dire une forme de globalisme qui représente aujourd’hui un péril au moins aussi grave que le socialo-communisme en son temps. À cet égard, Jean-Marie Le Pen a été visionnaire. Lui qui avait été thatchérien dans les années 1980 a lancé le slogan « Mondialisation, piège à cons » dès 1998.
Vous trouvez que nous sommes un pays ultra-libéral ?
Non. La France, c’est le pire du libéralisme et le pire du socialisme, « en même temps ». Ce qui est tout de même assez extraordinaire.
Pourquoi dites-vous « gaullienne » et pas « gaulliste » ?
À cause de l’Algérie. Je reproche à de Gaulle d’avoir menti aux pieds-noirs et d’avoir abandonné les harkis. Il a laissé tomber des gens qui avaient choisi la France. C’est incompréhensible. Reste qu’il avait raison au sujet de la gauche et la droite. Comme lui, je pense qu’il y a des patriotes aussi bien à droite qu’à gauche mais qu’en réalité, la droite et la gauche, c’est totalement dépassé.
C’est aussi ce que pense Macron.
Sa position est calquée sur la nôtre. Et je rappelle que je suis élue dans une circonscription qui était socialo-communiste pendant quatre-vingts ans.
La suite de l’entretien est à lire dans le magazine dès maintenant pour les abonnés, et demain sur le site.
Qui est le nouveau maire radical de New York ? Sur quelles mesures a-t-il été élu ?
Zohran Mamdani, 34 ans, a créé la surprise en remportant hier la mairie de New York avec 50,4 % des voix, devançant nettement Andrew Cuomo et le républicain Curtis Sliwa. Inconnu il y a un an, le candidat socialiste et communautariste radicalement opposé à Trump a bâti sa campagne sur la dénonciation des élites et des « milliardaires qui achètent les élections ». « Le futur est entre nos mains », a-t-il lancé hier soir à ses partisans, saluant une « renaissance » politique de la ville • La rédaction
Le mardi 4 novembre est jour de vote aux Etats-Unis. Et en cette année « blanche » (il n’y a ni élection présidentielle, ni renouvellement du Congrès) les yeux des médias sont braqués sur la ville de New York, où l’histoire est en train de s’écrire.
Pour la première fois en plus de quatre siècles d’existence de la « grosse pomme » (New York a été fondée en 1624), un candidat radical socialiste est favori pour être élu maire. En plus d’être d’extrême gauche, il est musulman et antisioniste ! Il n’est pas né aux Etats-Unis et n’a acquis la nationalité américaine qu’en 2018, lors de son entrée en politique ! Il s’appelle Zohran Mamdani. Il a 34 ans et il représente peut-être l’avenir du parti démocrate. Pour le meilleur ou pour le pire !
Comment est-il arrivé là ? Et comment New York en est-elle arrivée là ? C’est ce que nous allons voir !
Une métropole de 23 millions d’habitants
New-York est la capitale économique et la ville la plus peuplée des Etats-Unis avec 8 millions d’habitants. Sa métropole en compte près de vingt-trois millions. C’est la porte d’entrée vers la Etats-Unis. Depuis 1886, la Statue de la Liberté, dressée au milieu des eaux de la baie d’Hudson, accueille les immigrants… qui continuent d’affluer. La zone métropolitaine de New York possède la plus forte concentration de personnes nées à l’étranger de tous les Etats-Unis, 5,6 millions soit près du quart de la population.
La ville même rassemble cinq « boroughs », des « quartiers » (beaucoup plus étendus que des arrondissements parisiens) : Queens, Brooklyn, Manhattan, le Bronx et Staten Island. Manhattan possède la plus forte densité de population des Etats-Unis, le mètre carré habitable le plus cher, le plus haut revenu moyen et la plus importante concentration de richesse du pays.
Mais elle n’est plus ce qu’elle a été. A cours des dix dernières années elle a vu sa population diminuer. Une première historique. Son résident le plus célèbre l’a quittée avec fracas, Donald Trump, désormais résident de Floride. Comme des milliers d’autres qui ont fui son coût de la vie prohibitif et progressivement privé la ville d’importants revenus fiscaux.
New York est dirigée par un maire, élu au suffrage universel tous les quatre ans. Le maire actuel s’appelle Eric Adams. C’est un Noir, ancien policier, élu en 2021. Face à des accusations de corruption, il a renoncé à briguer un second. Trois candidats se disputent sa succession. Curtis Sliwa, un républicain, Zohran Mamdani, le démocrate et Andrew Cuomo, l’ancien gouverneur de l’Etat de New York qui se présente en indépendant.
65% des électeurs de New York sont inscrits comme Démocrates contre 11% comme Républicains. Tandis que 21% se disent indépendants. Sur le papier Mamdani est donc archi-favori pour l’emporter ce 4 novembre. En soi ce n’est pas sensationnel. Ce qui l’est c’est le pédigrée de Mamdani. Il vient de l’extrême gauche radicale, un parti appelé « le parti démocrate-socialiste d’Amérique » (DSA) et se revendique d’un marxisme pur et dur. Pour Mamdani, « le capitalisme c’est du vol » et seule « la propriété collective des moyens de production » peut établir la justice sociale…
Son ascension jusqu’à la nomination du parti démocrate pour la mairie de New York est révélatrice, de la dérive à gauche du parti emmené par une minorité progressiste très agissante.
Les extrémistes très motivés aux primaires
Les élections aux Etats-Unis se déroulent toujours en deux temps : une élection primaire suivie d’une élection générale. L’élection primaire sert à désigner le candidat de chaque parti, l’élection générale sert à départager les candidats désignés lors des primaires. Lorsqu’un parti dispose de la majorité au sein de l’électorat, le vainqueur de la primaire est assuré d’être aussi le vainqueur de l’élection générale.
Typiquement les élections primaires attirent beaucoup moins d’électeurs que les élections générales. Et typiquement ces électeurs sont plus motivés et plus extrémistes que ceux qui votent au scrutin général. Ce sont deux caractéristiques que les radicaux ont récemment exploitées pour gagner en influence au sein du parti démocrate.
Il y a quelques années, en 2018, Alexandria Ocasio Cortez (« AOC » pour la presse américaine), elle aussi militante du DSA, avait utilisé cette stratégie pour se faire élire au Congrès. Elle avait défié le démocrate sortant lors de la primaire et l’avait aisément emporté : 57% contre 43% dans le 14eme district de New York. Moins de trente mille électeurs démocrates firent l’effort de participer à ce scrutin. Sur une population de sept cent cinquante mille personnes. En clair avec quinze mille voix seulement sur deux cent dix mille inscrits, soit 7,5% des voix, elle avait obtenu l’imprimatur du parti démocrate garantissant sa victoire lors de l’élection générale de novembre. A 36 ans, elle est devenue depuis l’une des figures de proue des Démocrates du Congrès et personnifie une nouvelle garde, jeune, enthousiaste, énergique et radicale.
M. Mamdani espère clairement lui emboiter le pas à New York. Sa première victoire est survenue le 24 juin lorsqu’il a battu Andrew Cuomo dans la primaire démocrate. Plus d’une dizaine de candidats étaient en lice et il a profité de l’émiettement du vote et de l’impopularité de Cuomo – personnellement accusé de harcèlement sexuel et dont le mandat de gouverneur a été entaché d’accusations de mauvais management – pour arriver en tête avec 44% des voix contre 36%. Soit un peu plus de 450 000 votes sur 5,1 millions d’électeurs inscrits. C’est à dire moins de 10% des électeurs. Mais cela a suffi à le parachuter en tête et en faire la vedette inattendue du parti démocrate en 2025.
M. Cuomo a décidé de maintenir sa candidature sous l’étiquette « indépendant ». Il traine dix points derrière M. Mamdani dans les sondages. Quant au Républicain Sliwa, il plafonna à 19%. L’establishment du parti démocrate s’est récemment rangé derrière Mamdani. Kathy Hochul la gouverneur et Hakeem Jeffries, le premier Démocrate de la Chambre lui ont tous les deux accordé leur soutien officiel. Un boulevard s’ouvre donc devant ce nouveau venu.
Radical chic
Zohran Mamdani est un enfant de la bourgeoisie intellectuelle progressiste de New York. Son père, originaire d’une famille musulmane de Bombay, en Inde, est professeur à la prestigieuse université Columbia. Sa mère, également Indienne, est une cinéaste reconnue. Ses films ont été primés à Cannes et à Venise et elle a reçu deux Césars. L’enseignement du père, et les films de la mère touchent aux mêmes sujets : l’identité, la culture et la race à l’âge des migrations de masse dans le monde post-colonial. Les préoccupations politiques de Zohran Mandani se sont construites autour de ces mêmes thèmes.
Zohran est né à Kampala en Ouganda, où ses parents vivaient et travaillaient alors. Après un détour par l’Afrique du Sud, ils ont emménagé à New York quand Zohran avait sept ans. Après des études dans une école privée du Bronx, Zohran a obtenu un « B.A. » (Bachelor of Arts, l’équivalent d’une licence) en Etudes africaines du Bowdoin College, une université privée, très exclusive du Maine (les frais de scolarité sont de 72 ,000 $ par an). Pendant ses études il fut président de l’association locale des « Etudiants pour la justice en Palestine », une organisation qui milite pour le droit au retour des réfugiés palestiniens et n’a jamais reconnu la légitimité de l’existence d’Israël. Mamdani affirme encore aujourd’hui que « la question de la Palestine est au cœur de son engagement. » Il se définit comme « antisioniste » mais se défend d’être « antisémite ». Avec son diplôme en poche, en 2014, Mamdani devint activiste au service de causes progressistes. Il travailla notamment pour une association d’aide aux locataires à bas revenu en les aidant à contrer les menaces d’expulsion.
Il s’essaya aussi à la musique Hip-Hop, sous le pseudonyme de « Young Cardamom ». Il portait déjà une barbe courte, et de longues tuniques indiennes. Son clip « Nani » (visionnable sur YouTube) est un hommage humoristique à sa grand-mère, à la cuisine indienne, aux « food-trucks » et à l’autorité parentale (pas très « démocrate-socialiste »). « Cardamom » y joue le rôle d’un gosse de la rue, mais sa barbe, courte et bien taillé à la mode des Frères Musulmans, le rend peu crédible.
Dans « Kanda Chap Chap », clip tourné à Kampala, il distribue à la volée (chap chap) du pain dont il a lui-même pétri la pâte (kanda)) et se moque de ses études universitaires… C’est un plus irrévérencieux, mais pas bien méchant. Papa-maman ont peut-être pensé en découvrant le clip que les frais de scolarité à Bowdoin avaient été de l’argent mal investi…
Mais « Young Cardamom » n’a jamais eu de Grammy et Zohran Mamdani a abandonné la musique pour la politique. Raison pour laquelle il a fini par se faire naturaliser Américain. C’était en 2018, à l’âge de 27 ans.
En 2020 Mamdani s’est présenté pour un siège à l’Assemblée de l’Etat de New York sous l’étiquette des « Démocrates Socialistes Américains ». Le DSA est un petit parti politique (moins de cent mille membres aux Etats-Unis) d’inspiration marxiste-léniniste qui rejette « l’oligarchie » au pouvoir aux Etats-Unis, au profit d’une société plus égalitariste, avec une couverture sociale gratuite et universelle, la nationalisation des services essentiels (transports, etc), et soutient le droit des immigrants et des personnes LGBTQ…
Lors de la primaire démocrate, Mamdani défia la sortante, une jeune avocate d’origine grecque Aravella Simotas et il l’emporta de moins de cinq cents vote, 8 410 contre 7 987. Lors de l’élection générale en novembre, il n’eut aucun adversaire. La politique à New York c’est l’affaire du parti démocrate. Ainsi huit mille suffrages ont suffi pour lancer sa carrière politique.
Ses compétences très incertaines
Mamdani n’a jamais eu de vrai métier. Il ne sait rien faire, ce qui, en politique, est le gage inévitable d’une longue carrière. Bernie Sanders non plus n’a jamais eu de métier et Alexandria Ocasio Cortez était serveuse dans un restaurant (un gagne-pain, pas un métier) quand elle s’est présentée au Congrès.
Aujourd’hui Mamdani vise un poste beaucoup plus exposé, sans avoir rien renié de ses idéaux marxistes. Au contraire. Il a fait de son radicalisme sa distinction et sa force. Voici ses propositions phares pour la ville de New York :
– le gel des loyers ! Une mesure destinée à lutter contre le coût du logement dont on sait qu’elle entraine une chute de l‘offre et une pénurie de logements locatifs. Pour y remédier il a promis de construire deux cent mille logements à loyers modérés sur dix ans, et d’octroyer ces contrats uniquement à des entreprises avec 100% d’ouvriers syndiqués.
– la gratuité des bus. Actuellement le ticket vaut 2,90 $, ou 7 $ pour les bus « express ». Au passage, Mamdani a promis qu’une fois gratuits, les bus iraient aussi plus vite ! Mais il n’a pas expliqué comment !
– la gratuité des crèches et des soins de santé pour les bébés de 6 semaines à 5 ans.
– l’arrêt du programme « élèves doués et talentueux » qui permet aux meilleurs jeunes écoliers de bénéficier d’une instruction supplémentaire, s’ils le souhaitent.
-la création d’au moins cinq « épiceries municipales » (une par quartier), gérées par la ville de New York, donc sans l’obligation d’être rentables, pour offrir des produits alimentaires à bas prix.
– Le doublement (ou presque) du salaire minimum pour le porter à 30 $ de l’heure, contre 16,50 $ actuellement.
– la création d’un « département de la sécurité commune » (Department of community safety) pour alléger la tache de la police municipale et faire gérer la petite criminalité, par des travailleurs sociaux, des médiateurs et autres spécialistes de la santé mentale, etc. Pour rappel en 2020, Mamdani avait soutenu le mouvement « defund the police » visant à baisser voire supprimer les budgets des polices municipales. Il a aussi appelé à la fin des prisons qui ne sont rien d’autre pour lui que les manifestations d’un « Etat carcéral » qu’il rejette.
– la création de centres d’accueils pour des jeunes LGBTQ ou en processus de « transition » de genre. Mamdani veut faire de NYC une ville sanctuaire pour les transgenres, comme d’autres villes américaines se sont déclarées sanctuaires pour les immigrants clandestins.
Tax the rich !
Pour financer ces programmes il propose une hausse de la taxe sur les sociétés de 8,85% à 11,5% et une surtaxe de 2% sur les revenus supérieurs à un million de dollars par an.
Lors d’un grand meeting, fin octobre, la foule n’a cessé de scander « tax the rich ». Mamdani lui-même avoue « ne pas aimer les millionnaires »… Il aura pourtant besoin d’eux pour financer ses programmes. Chacun sait que « taxer les riches » est une proposition démagogique qui plait toujours aux foules mais qui ne permet pas de boucler les budgets. Il n’y a tout simplement pas assez de riches et ils ont toujours le loisir de déménager pour des cieux plus accueillants. Quand on commence par taxer les riches, on finit toujours par taxer la classe moyenne. C’est là qu’il y a de l’argent… Bref, le programme de Mamdani est une catastrophe en devenir pour New York. Mais c’est un programme qui attire un électorat jeune, né après la fin de la guerre froide, venu de tous les horizons, et élevé à la propagande de gauche qui passe pour de l’enseignement dans les écoles publiques et domine dans les réseaux sociaux. Cet électorat n’a jamais connu ni la difficulté, ni l’absence de liberté, ni les privations associées aux régimes socialistes dans l’histoire récente et ils sont prêts à tenter l’expérience avec Zohran…Les contradictions ne les effraient pas. Bien que prétendant parler au nom des masses laborieuses, M. Mandani n’en fait pas partie. C’est un bourgeois et un intellectuel, qui a grandi dans un milieu privilégié. Il s’identifie aux masses mais les masses ne s’identifient pas à lui. D’ailleurs les quartiers les plus populaires de New York sont ceux où il a fait ses plus mauvais scores lors de la primaire.
Le ressentiment est au cœur de sa démarche. Mamdani est un narcissique déraciné de naissance. Il appartient à plusieurs mondes et ne se sent chez lui dans aucun. Bien que né en Ouganda, il était Indien et, en Afrique, perçu comme un blanc ; et bien que blanc il est désormais perçu aux Etats-Unis comme un Indien, musulman de surcroit. Identité qu’il revendique mais qui l’isole. Il n’est chez lui nulle part et il a fini par développer une vision idéalisée de la culture du pays de départ, et un rejet des valeurs du pays d’accueil, alors que c’est ce pays qui lui a offert à la fois la sécurité et la possibilité de suivre la voix de son choix.
Et puis, il y a le sujet subsidiaire de la religion, de la vision du monde qu’elle engendre et de son incidence sur la société newyorkaise…
Mamdani est un musulman chiite duodécimain et sa religion est une composante majeure de sa personnalité. Il croit au « Mahdi », à « l’imam caché », le douzième imam qui fera son retour à la fin des temps pour instaurer la justice d’Allah. Son épouse Rama Duwaji est musulmane d’origine syrienne. Lors de leur mariage ils ont organisé une cérémonie à Dubaï pour conclure un « nikah » c’est-à-dire un contrat de mariage selon les règles de la « sharia », la loi islamique.
Invité à plusieurs reprises durant la campagne à dénoncer cette « loi islamique », M. Mamdani a toujours esquivé la question. Lorsqu’il parle de l’islam c’est pour dénoncer à demi-mots une islamophobie qu’il perçoit chez les Américains. Il a évoqué une « tante » qui après les attaques du 11 septembre 2001 aurait eu « peur de prendre le métro avec un hijab parce qu’elle ne se sentait plus en sécurité ». L’histoire semble être une affabulation. Mamdani n’a jamais eu de tante à New York, mais son intention à travers un tel récit est claire : revendiquer le port de l’habit islamique et dénoncer l’islamophobie latente des Américains.
New York City compte environ huit cent mille musulmans, originaires du Proche Orient, d’Asie centrale et d’Asie du Sud-Est. Ce sont souvent des immigrants récents, dont des étudiants, et par forcément des gens ayant la citoyenneté américaine, mais pour ceux qui l’ont, c’est un vote ethnico-religieux acquis à Mamdani.
Antisioniste, pas antisémite
Il n’y a pas que des musulmans à New York. Il y a aussi plus d’un million de juifs. Et la question de la relation de cette communauté avec Mamdani, s’il l’emporte, est posée. Mamdani ne reconnaît pas la légitimité de l’Etat d’Israël, ni le droit des juifs à un foyer national sur la terre de leurs ancêtres. Mais il se défend d’être antisémite. La différence est subtile et ténue. Comment rejeter le droit des juifs à disposer d’un foyer national où ils puissent être à l’abri des persécutions dont ils ont été victimes au cours des siècles passés, y compris au 20ème, tout en prétendant ne pas rejeter les juifs tout court ? Mamdani a soutenu les slogans « la Palestine de la rivière à la mer », et « globaliser l’intifada ». Le premier nie le droit d’Israël à exister, le second appelle à une lutte globale et violente contre l’Etat israélien. Or depuis la guerre à Gaza, ces slogans ont pris une place qu’ils n’avaient pas jusqu’alors, dans un contexte marqué par une montée sans précédent de l’antisémitisme, notamment chez les jeunes et sur les campus universitaires. Mandani a lui encouragé cet antisémitisme en accusant Israël de mener un « génocide » à Gaza, à l’encontre de la réalité des faits. Au nom de sa religion, il s’est aussi affiché avec des imams radicaux, y compris certains ayant été lié à des attentats terroristes à New York.
Si beaucoup de juifs de New York ont une sensibilité démocrate, et partagent certaines positions progressistes, l’élection de Zohran Mamdani à la mairie, aurait des conséquences inévitables au sein, et peut-être à l’encontre, de cette communauté.
Cette victoire aurait aussi des conséquences sur le parti démocrate lui-même. Après la défaite électorale de 2024, et la paralysie des instances actuelles, il y a une place à prendre à la tête du parti de l’âne, pour 2028 et pour après. La jeune garde radicale est prête pour ce défi. D’autant qu’elle a su greffer au crédo marxiste classique des considérations plus contemporaines sur le genre, les identités multiculturelles et les migrations.
L’idéologie dont se revendique Zohran Mamdani n’est pas que marxiste-leniniste. C’est un cocktail de ressentiment tiers-mondiste, d’idéalisme néo-communiste et d’anti-américanisme, le tout baignant dans une totale ignorance des lois naturelles de l’économie. C’est un cocktail détonnant qui pourrait rassembler une large faction du parti démocrate et représenter le futur de ce parti. Ou bien le mener à son éclatement. Le score de Mamdani au soir du 4 novembre sera un premier enseignement sur la question.
Est-ce la fin de l’alcool à la buvette de l’Assemblée nationale ? C’est ce que recommande le rapport du député Emmanuel Duplessy. Est-ce souhaitable? Notre directrice ne fuit pas le débat, qu’elle aime sans modération
Un rapport préconise l’arrêt de la vente d’alcool à la buvette de l’Assemblée nationale. Un nouveau scandale menace la République. Les députés boivent et à nos frais. Chaque année, ils consomment pour 100 000€ d’alcool à la buvette de l’Assemblée, dont une proportion non précisée passe en notes de frais. À la louche, cela fait environ 30 verres par an et par député, soit trois par mois de session. Il n’y a pas de quoi se rouler par terre même s’il arrive que certaines séances nocturnes soient particulièrement animées.
Mais au royaume de Rabelais, on ne badine pas avec l’hygiénisme. Alors qu’un député écolo par ailleurs favorable à la légalisation du cannabis veut interdire totalement le tabac aux mineurs, le rapport du député hamoniste Emmanuel Duplessy sur le train de vie de l’Etat entend proscrire la vente d’alcool à la buvette. La loi, dit-il, interdit à tous les Français de boire sur le lieu de travail (sauf pour le pot de départ, le repas client, le déjeuner de Noël etc.) et les élus doivent, dit-on, être exemplaires. Je ne veux pas que les députés me servent de maîtres à vivre et à penser, mais qu’ils fassent un budget correct. On ne va pas résorber la dette avec ces économies de bouts de bouteille.
Est-il tolérable que des députés aillent en séance ivres ? Non, il est intolérable que les gens ne soient pas parfaits, qu’ils commettent des erreurs, voire des fautes. Je sais bien qu’en dehors de l’Assemblée nationale, aucun Français ne va jamais bosser en ayant bu un verre de trop ou fumé un joint. Et qu’aucun n’a jamais fait de cochonneries entre adultes consentants dans les toilettes, il ne manquerait plus que ça.
L’alcoolisme est évidemment un problème de santé publique sérieux. Mais on ne le combat pas par le fliquage. Quant à la prohibition, cela n’a pas marché. Un jour, tous les plaisirs de pauvres seront interdits, disait Céline. Pour nos nouveaux vertueux les plaisirs des gens ordinaires, ces petites béquilles qui adoucissent l’existence ne sont pas seulement mauvais pour la santé mais moralement répréhensibles. Ils veulent que nos lois soient faites par des humains parfaits, que la vie n’a pas cabossés. Autant les demander à des IA qui ne connaissent pas l’addiction, ni le mal de vivre. En attendant, puisqu’il faut voter et que nous, électeurs, restons de misérables humains, alcootest obligatoire pour entrer dans l’isoloir !
Jean G., un automobiliste de 35 ans résidant sur l’île charentaise, a volontairement foncé pendant 35 minutes sur les passants, hier. Deux de ses victimes sont en urgence absolue. Il a mis le feu à sa Honda Civic avant son interpellation, dans laquelle une bonbonne de gaz aurait été présente. Et il aurait évoqué en garde à vue sa conversion récente à l’islam.
Ce pourrait être le titre d’un bien mauvais polar, de ceux dont l’auteur tient à mettre un nom de lieu dans le titre afin de s’attirer au moins le public local. Mais ce qui s’est passé mercredi matin à Oléron, les trente-cinq minutes de fureur meurtrière qui ont ensanglanté l’île paisible, ne relève pas de la fiction romanesque. Mais bel et bien de la tragédie. La tragédie des temps nouveaux qui – à répétition, soulignons-le – endeuille désormais nos sociétés.
« Allah Akbar »
À tout moment et en tout lieu, cette tragédie peut frapper. Personne n’est vraiment à l’abri. Si, comme son nom l’indique, le terrorisme a pour but et pour stratégie de faire en sorte que la peur, la terreur gangrène la vie des citoyens partout où ils se trouvent, à tous les moments de leur existence, qu’ils en arrivent à ne plus pouvoir aller au boulot ou acheter leur baguette sans savoir la boule au ventre, la victoire est en bonne voie.
On n’en est même plus à redouter et donc traquer des réseaux constitués, organisés, charpentés. On découvre avec stupeur que n’importe quel clampin plus ou moins paumé, plus ou moins exalté qui s’est tranquillement monté le bourrichon tout seul dans son coin, fait parfaitement l’affaire. À Oléron, c’est un gars vaguement à la ramasse mais qu’on connaissait, qu’on croisait, presque un voisin, quoi! qui s’est mué en serial criminel d’un matin, assoiffé de sang. Pas de n’importe quel sang, celui de Français, blancs de préférence, la cible désormais désignée d’un certain fanatisme religieux, islamique pour dire les choses comme elles sont. Car ce n’est pas non plus n’importe quel cri que pousse l’assassin, forcené ou non, c’est le « Allah Akbar » des fous de Dieu, cette incantation dévoyée en cri de haine. Oui, forcené, déséquilibré ou non, car là n’est pas le sujet à ce stade de l’affaire et de notre sujet. Non, ce n’est pas derrière n’importe quel cri, et donc sous n’importe quelle bannière que le barbare d’Oléron assume son crime aveugle. La haine aurait donc bien, aujourd’hui, sa confession de prédilection, son culte de référence. C’est à cela qu’il faut réfléchir, c’est cela qu’il faut traiter. Sans tourner autour du pot et s’interdire de lâcher les mots justes, comme l’a fait le ministre de l’Intérieur dans son intervention sur les lieux-mêmes du drame, évitant avec des pudeurs de gazelle de rapporter le cri en question. Pathétique.
Sans doute serait-on tout disposé à croire que, dans sa grande majorité, la communauté des fidèles de ce courant religieux – ou plus exactement de ces courants – se situerait à des années-lumière d’une telle violence, d’une telle barbarie, encore serait-il plus que souhaitable qu’elle le fasse clairement savoir, qu’elle lutte elle-même pour que ce qui est probablement pour elle autant de paroles sacrées ne se trouvent pas aussi aisément, aussi souvent, transformées en beuglement de haine et de mort. Faute de quoi, tout silence – ce silence tellement assourdissant de cette communauté – pourrait être interprété comme un cautionnement, un encouragement. Une complicité.
Pas la lumière à tous les étages
Oléron pose une fois encore, une fois de plus, une fois de trop la question qui nous taraude et à quoi doit s’atteler de répondre, cette fois, l’ensemble des populations : comment notre société a-t-elle pu en arriver à générer tant de violence, tant de bêtise fanatique, à produire tant et tant de cerveaux malades, de consciences perverties ?
Car bien sûr, on ira nous raconter – croyant nous apaiser, nous rassurer – que l’auteur n’avait probablement pas la lumière à tous les étages. La belle affaire ! Tout le monde sait bien qu’il ne faut pas être tout à fait normal pour prendre une bagnole et s’en servir comme d’une arme de destruction quasiment massive. Le déséquilibre mental est évident. Soit, mais quelles en sont les causes, où vont-elles se nicher, ces causes ? Osons une esquisse de réponse : elles sont à chercher aussi dans la crétinisation massive et galopante des masses. Dans l’abandon de l’humain à ses instincts, à ce qu’il a en lui de plus bestial (du moins, si employer ce mot ne revenait pas à insulter des animaux qui, du moins à ce que j’en sais, ne se livrent jamais à ce genre de massacre gratuit.)
Symboliquement, les îles nous semblent être des îlots de tranquillité, des espaces à part, des refuges de tranquillité, de volupté, de paix. On pouvait se bercer de cette douce illusion jusqu’à ce mercredi matin. Oléron nous en aura guéri. Partout, en tout lieu, à tout moment, disais-je, le pire du pire peut frapper. Frapper les citoyens d’une société frappée, quant à elle, d’impuissance…
Des œuvres, des chefs-d’œuvre! toujours aussi stupéfiants! Et des interprètes toujours magnifiques. Aujourd’hui centenaire, la plus ancienne des compagnies de danse américaines affiche une vitalité d’adolescente.
Quel émerveillement ! 100 ans après la création de la compagnie en 1927, 34 ans après la disparition de sa créatrice, la Martha Graham Dance Company offre un profil demeuré extraordinaire avec le répertoire de l’une des plus grandes chorégraphes de tous les temps encore servie par des danseurs admirables.
Ceux d’aujourd’hui demeurent généralement au niveau de leurs prédécesseurs, même s’ils ne feront pas oublier les extraordinaires interprètes qui, génération après génération, se sont succédé en un siècle au sein d’une compagnie passée au rang de mythe.
Des figures de grandes tragédiennes
Les danseuses surtout ! Ici, dans Cave of the Heart, une pièce d’anthologie qui figure au premier des deux programmes qu’affiche le Théâtre du Châtelet, dans leur véhémence, leur hiératisme et leur noblesse, elles font penser à ces grandes figures de tragédiennes qui illuminaient jadis la scène du Théâtre Français :
Xin Ling qui interprète le personnage de Médée et poursuit la lignée des danseuses d’origine asiatique qui ont marqué l’histoire de la troupe ; Marzia Memoli en Créuse, princesse de Corinthe ; Anne Souder qui personnifie le chœur antique. Chacune, dans des rôles de nature extrêmement différente, est remarquable, sinon éblouissante. Et l’on dira la même chose de Laurel Dalley Smith incarnant l’Ariane d’Errand into the Maze.
Face à elles, deux hommes athlétiques, puissants: Zacchary Jeppsen-Toy dans le rôle du Minotaure et Llyod Knight dans celui de Jason. Ils sont de ce lignage de danseurs athlétiques qu’affectionnait Martha Graham… pour mieux souligner leur pouvoir destructeur et mieux les anéantir.
Comme un trait de peinture éclatante
Souvent froide, pas toujours convaincante au cours de sa carrière de danseuse étoile à l’Opéra de Paris, Aurélie Dupont, venue en invitée, se lance ici dans un solo, Désir, créé pour elle par une ancienne danseuse de Martha Graham, Virginie Mécène, d’après quelques traces subsistant d’un solo oublié de la chorégraphe américaine.
Virginie Mécène y déploie avec une parfaite intelligence et une impeccable rigueur un vocabulaire parfaitement grahamien. Et dans une robe d’un rouge superbe qui illumine la scène comme un trait de peinture éclatante le ferait sur un fond noir, Aurélie Dupont, ici magnifique, se glisse à merveille dans une brève chorégraphie qu’elle a adoptée et qu’elle restitue avec une perfection confondante.
Unanimité tribale
Afin de ne pas confiner les danseurs dans un répertoire uniquement grahamien, la compagnie dirigée par Janet Eilber commande des pièces contemporaines. Pour elle, l’Israélien Hofesh Shechter a composé Cave qui regroupe onze interprètes d’une vaillance et d’une virtuosité à toute épreuve. Ils sont remarquables et paraissent s’y divertir.
« Cave » Photo: Brian Pollock.
La pièce est menée à un rythme d’enfer sur un fond sonore électronique binaire, accablant d’indigence. Shechter y déploie une énergie et un savoir-faire indéniables. Mais pour accoucher de quelque chose de parfaitement creux, vite ennuyeux, déjà vu cent fois, affichant une unanimité tribale, un élan collectif qui plaisent beaucoup par les temps qui courent. C’est racoleur, sinon populiste, si tant est que l’on puisse appliquer cet adjectif à un ouvrage chorégraphique.
Le public a applaudi chaleureusement les deux chefs-d’œuvre de Graham et le solo dansé par l’étoile française. Mais il a acclamé sans retenue une pièce faite pour flatter les perceptions les plus primaires. Voilà qui en dit long sur la dégénérescence du goût de foules qui se laissent si facilement séduire par la seule énergie d’un rythme pauvrement binaire et d’ensembles au fond terriblement racoleurs.
On se souvient qu’en mars dernier, Wajdi Mouawad triomphait à l’Opéra de Paris, avec un Pelléas et Mélisande d’anthologie, nouvelle production donnée dans la salle de la Bastille. Ce n’est donc pas sans préjugé favorable qu’on s’apprêtait à découvrir ce que (prenant la relève de la fameuse régie signée Krzysztof Warlikowski en 2006 pour le même Opéra de Paris, et dont la dernière reprise remonte à 2021) le metteur en scène, dramaturge et écrivain franco-libanais ferait, à son tour, d’Iphigénie en Tauride, chef d’œuvre absolu de la maturité tardive de Christoph Willibald Gluck (1714-1787), dans cette production inédite, commande de l’Opéra – Comique pour la saison 2025.
Parallélisme
Pari gagné haut la main, à tous points de vue. En guise de prélude, Wajdi Mouawad choisit de raccorder cette « tragédie lyrique en quatre actes » millésimée 1779, à Iphigénie en Aulide, autre opéra du même compositeur allemand, composé quelques années plus tôt, et dont la flamboyante ouverture orchestrale, dans la fosse, s’accompagne, défilant en arrière-plan surtitré, d’un texte chargé de récapituler la teneur du mythe antique à l’intention d’un public sensément peu au fait, en 2025, de la généalogie des Atrides.
Et comme la Tauride de l’ancienne Grèce correspond géographiquement à l’actuelle Crimée, des photos en gros plan de tanks russes roulant sur ces routes immémoriales viennent rappeler que la sauvagerie des armes ensanglante la Terre de toute éternité. Au risque d’un parallélisme exagérément didactique (quoique sans parti pris lourdement appuyé), l’allusion se prolonge encore, à travers un préambule dialogué qui place les futurs protagonistes de l’opéra au sein d’une salle de musée, à Kiev. À la cimaise est accrochée une toile contemporaine vaguement figurative (on y distingue une silhouette féminine), rouge sang, perfusée de poches d’hémoglobine : dans cette saynète, Oreste et Pylade, ambassadeurs de la cause grecque, réclament sans succès à Thoas, le directeur – russe – du musée, la restitution de deux statuettes pillées à la faveur de la guerre ; Iphigénie, conservateur manifestement pris entre deux feux, fait l’aveu de son impuissance…
Pleinement assumé par le metteur en scène, le fil rouge constitué par ce triple prologue se matérialise enfin dans un décor unique, boîte aux parois anthracites dont les reliefs de papier froissé se révèleront peu à peu dans un subtil clair-obscur qui s’empare progressivement du plateau, dont le centre reste occupé, en guise de temple de Diane, par une sorte de Kaaba noire, promise à se marbrer toute entière du sang des victimes sacrificielles, élément d’architecture qui avance et recule tel le cœur battant d’une hémorragie sans fin qui irriguera jusqu’aux longues jupes des prêtresses, maculées de sang, tandis qu’Oreste et Pylade arborent quant à eux de sobres étoffes bleu nuit…
La saisissante beauté plastique de la scénographie, signée Emmanuel Clolus, se double de l’extraordinaire vitalité de la phalange Le Consort, ensemble parisien dédié depuis maintenant dix ans à la musique baroque. Au pupitre, le maestro Louis Langrée, à la tête de l’Opéra-Comique depuis bientôt cinq ans comme l’on sait, cèdera sa place à Théotime Langlois de Swarte pour les trois dernières représentations de cette production (les 8, 10 et 12 novembre prochains). Parions qu’à son tour le jeune chef insufflera à l’orchestre et au chœur le même souffle tour à tour sauvage et délicat, la même rutilance, la même intensité qui, d’un bout à l’autre, se retrouvait également, lors des premières représentations, dans le cast vocal de très haute tenue dont bénéficie le spectacle. A commencer par la soprano franco-algérienne Tamara Bounazou qu’on découvrait donc ici dans cette prise de rôle de la fille d’Agamemnon : articulation parfaite, superbe puissance de projection, brillance paroxystique d’une voix au métal qu’on voudrait parfois voir s’adoucir davantage dans l’onctuosité des passages pianissimo. Pour camper le matricide Oreste, le léger accent du baryton américain Theo Hoffmann ajoute au charme de son élégant vibrato (et à la séduction d’une performance de nu intégral dénouée de toute provocation), tandis que le ténor bien connu Philippe Talbot incarne Pylade avec un éclat juvénile singulièrement touchant. En Thoas, la basse -baryton imposante Jean-Fernand Setti appellera, au tomber de rideau, les ovations de la salle, unanime pour acclamer à juste titre l’impeccable réussite de ce spectacle.
Iphigénie en Tauride. Tragédie lyrique en quatre actes de Christoph Willibald Gluck.
Avec Tamara Bounazou, Theo Hoffmann, Philippe Talbot, Jean-Fernand Setti… Direction : Louis Langrée/ Théotime Langlois de Swarte. Mises en scène : Wajdi Mouawad. Orchestre : Le Consort. Chœur : Les éléments.
Durée : 2h30.
Opéra-Comique, Paris. Les 6, 8, 10 et 12 novembre à 20h.
Le Soudan est en train de mourir. Une douzaine de millions d’êtres humains déplacés, ou réfugiés hors de leur pays. Des villes rayées de la carte. Des femmes violées par dizaines de milliers, des enfants qui meurent de faim sous les bombes. Trente millions de personnes en besoin d’assistance humanitaire. Un nombre de morts incertain mais estimé à 150 000 peut-être, selon des experts. Et personne ne dit rien.
Silence total. Silence des gouvernements. Silence des ONG saturées. Silence surtout de nos habituels donneurs de leçons.
Où sont-ils, les professionnels de l’indignation et de la dénonciation ? Les porte-drapeaux de la « justice mondiale » ? Les chevaliers de la cause palestinienne ? Où sont les encartés de LFI, ces députés braillards toujours prompts à hurler au “génocide” quand cela arrange leurs petites affaires électorales ?
Le Soudan ne les intéresse pas. Trop loin. Trop noir. Trop compliqué.
Pas de colons à accuser, pas d’Israël à vouer aux gémonies, pas d’Occident à crucifier. Alors on détourne les yeux. On ferme sa gueule. On attend le prochain round à Gaza car tout le monde sait bien que la mèche se rallumera un jour ou l’autre. Et alors, on les reverra, soyez-en sûrs.
C’est ça, l’indignation sélective. Une émotion calibrée, une morale fonction de l’algorithme. On pleure quand c’est rentable, on s’émeut quand ça fait du bruit, on défile quand ça fait le jeu de son camp. Pendant ce temps, le Soudan s’effondre. Dans un silence assourdissant.
Le Haut-Commissariat aux Réfugiés parle de la « pire crise humanitaire de la planète ». Les chiffres ci-dessus le démontrent. Pourtant, personne n’organise le moindre rassemblement sur la place de la République – feux de Bengale et bannière à slogans autour de la statue monumentale de Marianne -, personne n’a envie de marcher pour Khartoum, et personne ne porte un T-shirt « Je suis Darfour ».
La vérité, c’est que notre compassion est – fondamentalement – raciste. Elle ne s’étend qu’à ceux qui servent notre vision du juste et bon ordre du monde. L’universalisme est mort, remplacé par le militantisme tribal. Un peuple africain crève tout entier dans l’ombre, mais les peuples occidentaux – nourris de bien-pensance – détournent leur regard avec indifférence. Avec leurs pancartes proprettes, leurs indignations bien repassées, leurs larmes sous-titrées.
Le Soudan brûle, voyez-vous. Mais tout le monde s’en fout. Il est si difficile de se souvenir que le silence tue autant que la guerre…
Dès son arrivée au pouvoir, François Mitterrand souhaite associer son nom à une réalisation architecturale grandiose. Le projet de la Grande Arche de la Défense est lancé. Dans L’Inconnu de la Grande Arche, en salles ce mercredi, Stéphane Demoustier retrace l’épopée d’un chantier hors norme chahuté par les défis architecturaux et les embrouilles politiques.
La Défense, ce quartier d’affaires parisien, est une vraie forêt urbaine. Rien à voir avec les friches mort-nées que bine la maire Hidalgo. Mais cette forêt de gratte-ciel fermant la perspective magistrale des Champs-Élysées a du souci à se faire : s’il faut en croire la Cour des comptes, en 2025 son modèle économique est frappé d’obsolescence. Bureaux désertés, tours invendables, entretien des infrastructures trop dispendieux…
Idée en tête
François Mitterrand, à peine installé sur le trône de la République, lance en 1982 le projet « Tête Défense ». Le monarque bâtisseur n’a qu’une idée en tête, justement : associer son nom à une œuvre architecturale grandiose, en cette fin de siècle où la France s’apprête à fêter le bicentenaire de la Révolution. Un portique géant qui dame le pion à l’Arc de Triomphe, voilà qui plaît au pharaon de la gauche. Il se rallie à la proposition du jury, lequel s’est porté sur cet étrange projet de cube évidé, signé d’un obscur architecte danois au patronyme imprononçable : Otto von Spreckelsen – entre initiés, on dit « Spreck ». L’édifice doit abriter un « centre international de communications » – l’ectoplasme fera long feu.
L’Inconnu de la Grande Arche fictionne cette saga érectile, porté par un habile scénario, en dépit d’une distribution artistique inégale. Côté gagnant, l’irremplaçable comédien et metteur en scène Michel Fau qui, dans Borgo, précédent long métrage de Stéphane Demoustier, incarnait un commissaire de police. Ce n’est pas sans délectation qu’on retrouve Fau dans la peau d’un François Mitterrand impavide, sphinx indéchiffrable défendant mordicus son architecte face aux contingences. Même suffrage pour Swan Arlaud qui endosse le rôle de Paul Andreu (le créateur du premier aéroport de Roissy), seul architecte qu’on sut apparier à Spreck, non sans heurts, comme maître d’œuvre apte à recadrer l’esthète évanescent, interprété quant à lui par Claes Banc, acteur danois dont les répliques polyglottes servent la véracité du rôle. Seule erreur de casting,l’inénarrable Canadien Xavier Dolan, agaçant cinéaste nombriliste-gay, dans un contre-emploi caricatural, celui du haut fonctionnaire chahuté par des vents contraires, affublé ici du nom grotesque de « Subilon », transposition dépréciative du bien réel Jean-Louis Subileau, urbaniste aujourd’hui âgé de 85 ans, alors maître d’ouvrage incontournable du projet. Autant Mitterrand sous les traits de Fau, ça colle, autant Dolan accoutré d’un costard-cravate, on se pince. Subileau ne méritait pas de se voir singé par un myrmidon cabotin.
Nonobstant cette réserve, L’Inconnu de la Grande Arche est une réussite. Il est vrai que Stéphane Demoustier est à son affaire en matière d’archi : sorti de HEC, le frère de la comédienne Anaïs Demoustier a, des années durant, à la tête de sa société Année Zéro, produit et réalisé nombre de docus de qualité pour le compte de la Cité de l’architecture et du patrimoine.
En notre temps où la parité passe pour la panacée (de fait, la profession d’architecte s’est fortement féminisée en un demi-siècle), l’époque où le BTP était exclusivement affaire d’hommes paraît une incongruité, irréductible à la sensibilité contemporaine. Au point que le cinéaste a cru bon de flanquer son Spreck d’une épouse suractive (sous les traits de l’actrice danoise Sidse Babett Knudsen) que son mari égotiste, au péril de la paix conjugale, sacrifie à son utopie : dans la réalité, Karen Spreck se tenait bien aux côtés d’Otto – mais muette et glaciale…
Effets spéciaux parfaits
Lauréat surprise d’un concours anonyme où s’affrontent près de 400 candidats, l’architecte multiplie les exigences tatillonnes (blancheur immaculée des façades en marbre de Carrare, par exemple) sans arrêt remises en cause pour des raisons techniques, budgétaires et… politiques, lorsque survient la « cohabitation » avec le gouvernement Chirac. Dans le film, les effets spéciaux simulent à la perfection les états successifs du chantier, tout comme sont restitués avec un réalisme épatant le trafic automobile vintage d’alors et l’ambiance bâtisseuse de la capitale – on y voit même Pei, sur le chantier naissant de sa pyramide au Louvre.
Le projet est progressivement dénaturé et Spreck finit par jeter l’éponge. Le pire est à venir : le marbre est remplacé par du granit, le « nuage » de verre promis à flotter poétiquement dans le vide est écarté, la voile vaporeuse est ravalée à l’aspect d’une bâche, l’édifice s’altère, le toit-terrasse devient un vaisseau fantôme, comme l’ensemble du bâtiment réputé inoccupable. Toutes ces péripéties tragi-comiques sont détaillées en bonne langue dans La Grande Arche, le cruel livre-enquête de Laurence Cossé qui a inspiré le film, et que Gallimard réédite en Folio.
Il y a loin de l’épure au réel. Le génie de Spreck ? « Concevoir une œuvre qui, à peine édifiée, a dissipé la confusion et donné un éclat spectaculaire à la totalité du quartier. On n’a plus conscience aujourd’hui, admet Cossé, du tour de force accompli là. » À l’heure où la tour Triangle vient incongrûment pointer son pic dans le ciel de Paris, la Grande Arche se pare rétrospectivement d’une vertu quasi miraculeuse : avoir préservé la sublime perspective urbaine qui joint le palais du Louvre aux hauteurs de Nanterre, d’un gros bouchon étanche en forme de gratte-ciel.
À voir :L’Inconnu de la Grande Arche, de Stéphane Demoustier, avec Michel Fau, Swan Arlaud, Xavier Dolan, Claes Banc et Sidse Babett Knudsen. Sortie le 5 novembre.
À lire : La Grande Arche, Laurence Cossé, Gallimard (Folio), 2025.
En insistant sur le contexte colonial — ce que ne faisait pas Albert Camus dans son roman — et en filmant Benjamin Voisin avec sa caméra amoureuse, le réalisateur de Huit Femmes et Potiche trahit l’esprit du texte original.
Adapter L’Étranger relève presque du pari impossible : rares sont les cinéastes capables de traduire la nudité philosophique de Camus sans la trahir. Après la superbe et trop longtemps incomprise version de Luchino Visconti (1967) — honnie par la critique d’alors, et encore contestée aujourd’hui — voici que François Ozon, cinéaste d’une filmographie inégale (où je sauve Une robe d’été (1996), Gouttes d’eau sur pierres brûlantes (2000) et Sous le sable (2000)), s’attaque à ce monument littéraire.
Présenté à la Mostra de Venise 2025, ce film tourné en noir et blanc de belle facture oscille entre transposition sobre et réminiscences de la qualité française des années 1940. L’adaptation d’Ozon fluctue entre une certaine fidélité — l’indifférence et le manque de compassion humaine de Meursault — et une trahison patente, par son manque d’ambition métaphysique et son interprétation « politiquement correcte » du roman. Adapter L’Étranger est une entreprise périlleuse : comment traduire au cinéma la sécheresse de la prose camusienne sans trahir sa vérité ? François Ozon, souvent habile dans la stylisation, se laisse ici captiver par sa propre maîtrise. Ce qu’il filme n’est plus le monde, mais un dispositif.
L’image, pourtant belle, est close sur elle-même et n’accueille ni le hasard ni la vie. Là où Camus écrivait dans la lumière, Ozon filme dans la pénombre du sens. Le réalisme moral du roman cède la place à un esthétisme glacé où la caméra fige le réel au lieu de le révéler.
Le formalisme comme clôture du sens
Chez Camus, l’absurde jaillit du heurt entre l’homme et le monde. Chez Ozon, il se dissout dans une mise en scène sans porosité. Chaque plan, chaque geste semble voulu, pensé, dirigé. L’absurde n’est plus vécu, il est démontré. Bazin rappelait que le cinéma devait « laisser les choses advenir » : ici, tout est tenu à distance, organisé selon un schéma mental. Ozon filme des concepts là où Camus montrait des existences.
Benjamin Voisin incarne un Meursault abstrait, presque spectral. Le visage est impassible mais sans profondeur ; le corps, présent mais inerte. L’acteur, prisonnier d’une direction glaciale, ne parvient jamais à rendre la densité d’un homme traversé par le monde sans le comprendre.
Un réel vidé de sa substance
Le soleil, la mer, la chaleur — éléments essentiels chez Camus — sont ici réduits à des effets d’atmosphère. Le film semble avoir peur du réel : tout paraît contrôlé, fermé, presque désinfecté.
L’Algérie n’est plus un espace vécu, mais un décor moral. On y perçoit la volonté de corriger Camus, de lui adjoindre une conscience politique que le roman, en 1942, laissait dans l’ombre.
Antiracisme démonstratif et commentaire post-colonial
Ce qui, chez Camus, relevait de la suggestion — l’indifférence à la mort de «l’Arabe», l’angle mort du contexte colonial — devient chez Ozon un programme idéologique. L’Algérie filmée n’est plus celle d’un écrivain méditerranéen face à la lumière, mais celle d’un cinéaste contemporain soucieux de corriger l’Histoire. Cette sur-inscription politique trahit l’esprit du texte : au lieu de révéler l’ambiguïté morale du monde, elle impose un discours à parti pris antiraciste, détournant le sens camusien.
Amplification des figures féminines
Autre dérive : la volonté de donner plus de relief aux personnages féminins. Marie, la maîtresse de Meursault, se voit dotée d’une profondeur psychologique et sentimentale que Camus refusait de lui donner. Ces scènes, souvent bavardes, installent une émotion programmée qui rompt le ton du récit. L’absurde, qui suppose silence et distance, se trouve submergé par un drame sentimental.
Photo : Carole Bethuel / Gaumont
De même, Ozon accorde une place plus importante à Djemila (Hajar Bouzaouit), ce qui lui permet — comme je l’ai dit — d’insister sur l’arrière-plan colonial, sur « l’Arabe », qui, bien que silencieux dans le texte, devient ici le marqueur d’une violence coloniale désignée comme « systémique ». De ce fait, l’acte incompréhensible et absurde de Meursault se transforme en crime raciste dans l’Algérie colonisée. Ozon cherche sans doute à compenser la froideur du texte ; il n’y parvient qu’en altérant sa rigueur.
Une sensualité homo-érotique incongrue
Le cinéaste introduit par ailleurs une tension homo-érotique diffuse — entre Meursault et certains personnages masculins, dans des regards, des gestes, une proximité étudiée. Ce motif, familier du cinéma d’Ozon, n’a ici que peu de nécessité. L’absurde devient prétexte à une exploration du désir que rien ne justifie dramaturgiquement. Là où Camus décrivait la nudité morale d’un homme face à la lumière, Ozon ajoute une sensualité artificielle, presque décorative : le corps filmé comme signe ajouté, ornement esthétique sans nécessité ontologique.
Le contresens esthétique
Tout cela aboutit à un film qui veut dire trop. Ozon surcharge Camus d’intentions politiques, sociales, sexuelles, esthétiques. Le résultat est une œuvre lourde, refermée sur sa propre conscience morale, qui oublie l’essentiel : L’Étranger n’est pas un manifeste, mais une expérience existentielle nue. La fidélité à Camus ne réside pas dans l’illustration ou la correction, mais dans le courage de filmer la lumière sans explication.
L’Étranger selon François Ozon est un film d’orfèvrerie poli, pensé, maîtrisé, mais sans souffle. Sous le vernis d’intelligence, il ne reste ni vie, ni mystère, ni réel. Le cinéaste n’adapte pas Camus : il le commente.
La députée européenne d'extrème gauche Manon Aubry a fait le déplacement à New-York. RS.
L’élection du premier maire musulman et socialiste de l’histoire de la ville de New York met en joie en France les élus de la très sectaire France insoumise. M. Mamdani s’est présenté comme l’exact contraire du président Trump. Les analyses d’Ivan Rioufol
Les milliardaires américains ont dépensé plus de 20 millions de dollars pour empêcher @ZohranKMamdani d'être élu maire de New-York.
Mais la vague populaire qui se lève peut les balayer.
La gauche radicale est « l’antidote à Trump » à New York, mais « le péril populiste » à Paris. Zohran Mamdani est la solution là-bas, ici ce serait le problème.
Même gauche, deux traitements médiatiques. Sur place aussi les ralliés de la 25ème heure adorent ce qu'ils ont… pic.twitter.com/hQ80SyatGv
L’anti-trumpisme a tout pour satisfaire Donald Trump. Poussés à la radicalité, ses adversaires s’engouffrent dans des surenchères dangereuses. L’élection de Zohran Mamdani (50,4% des voix, contre 41% à Andrew Cuomo) à la mairie de New-York, ce matin, est le produit des deux idéologies totalitaires de l’époque : le wokisme, avec sa guerre raciale, et l’islamisme, avec sa guerre religieuse.
M. Mamdani s’est présenté comme l’exact contraire du président américain. Il a fait campagne au nom de la revanche des minorités plaintives du Queens, mais aussi au nom d’un antisionisme répondant aux mots d’ordre des frères musulmans. Son militantisme pro-palestinien et pro-boycott d’Israël ne l’a pas empêché de récolter plus de 30% des voix de l’électorat juif de la ville, qui rassemble la plus forte communauté israélite du monde. En fait, Mamdani, premier maire musulman, est le symbole de ce que peut produire le progressisme aveuglé par ses dogmes, y compris auprès d’une partie d’un électorat juif qui préfère s’arrimer à une gauche aux relents antisémites plutôt que de rejoindre le camp modéré. Le centrisme de Cuomo, soutenu in fine par Trump, a néanmoins récolté 60% des voix de cet électorat. Reste qu’une même contradiction se retrouve en France chez une partie des intellectuels de gauche qui, se réclamant de leur judéité, ont défendu et défendent encore pour certains, dans un affichage conformiste, une société multiculturelle et un cosmopolite irréfléchi, en dépit du fait que ces utopies soient le cheval de Troie de l’islam conquérant et judéophobe.
La pente totalitaire n’est pas seulement dans la gauche américaine, rendue folle par la révolution conservatrice trumpienne et ses succès. Une même fuite en avant s’observe en France dans le camp progressiste ; il se laisse gagner par la pratique stalinienne du refus du débat. C’est un fait : la gauche française ne sait plus argumenter autrement que par le mépris, l’injure, la diabolisation. Lundi, sur France 5, c’est une journaliste du Nouvel Obs qui a fait un parallèle entre Jordan Bardella et Adolf Hitler (1), sans que le plateau ne réagisse à l’outrance. Ce manichéisme bas de gamme est également utilisé par une partie de la droite affiliée à LR. Il suffit d’entendre les arguments anti-RN rudimentaires de Xavier Bertrand ou de Jean-François Copé pour s’en convaincre.
Or les mutations politiques, sociales, culturelles en cours méritent mieux que ces chasses aux hérétiques menées par une meute intellectuellement paresseuse. La clarification de la ligne des LR, réclamée notamment par Bertrand, devient un préalable indispensable. Manuel Valls avait théorisé à juste titre les « deux gauches irréconciliables ». Il y a aussi, désormais, deux droites irréconciliables. Dans la radicalité qui s’impose, il est temps de trancher entre ceux des LR qui veulent s’abriter encore derrière un centrisme sous tutelle de la gauche, et ceux qui veulent rompre avec ce monde finissant. Mamdani s’annonce comme l’ultime soubresaut d’un progressisme intolérant.
La une du « New York Post », tabloïd américain. DR.
1 Caroline Michel-Aguirre a affirmé : « Le patronat prend un risque parce qu’une partie (des chefs d’entreprise) multiplie les contacts avec Jordan Bardella et se dit : « On va prendre le contrôle de son cerveau. Il est jeune, il n’y connaît rien, on va lui donner un programme libéral. (…) « C’est ce qu’Alain Minc appelle l’effet von Papen ; c’est-à-dire qu’au nom d’une potentielle stabilité, on va prendre ce risque parce qu’on va le contrôler » NDLR
Dix-huit mois avant les prochaines élections nationales (du moins en théorie), la favorite des sondages continue sa guerre d’usure contre le bloc central mais ne veut toujours pas entendre parler de l’union des droites.
Le bureau de Marine Le Pen à l’Assemblée nationale est l’un des plus charmants endroits du Palais-Bourbon. En sa qualité de présidente de groupe, l’élue du Pas-de-Calais a droit à une belle pièce lambrissée au cœur du bâtiment historique, quand les députés « de base » sont relégués dans des locaux annexes nettement plus exigus et ternes. Certains habitués prétendent pourtant que le lieu, occupé par le passé par deux stars du gaullisme au destin brisé, Philippe Séguin et François Fillon, porte malheur. Quand elle nous y reçoit le 15 octobre, Marine Le Pen semble toutefois imperméable aux mauvais présages. En dépit des vents judiciaires contraires, la patronne du RN est remontée à bloc. À travers la porte, on l’entend lancer : « Tu sens mauvais ! » Qu’on se rassure, cette apostrophe s’adresse au chaton aperçu dans ses bras dans la cour de Matignon, quelques jours plus tôt – il grossit. Ce jour-là, elle a compris que les deux motions de censure inscrites à l’agenda du lendemain dans l’Hémicycle ne passeront pas, mais cela n’entame pas sa belle humeur. Elle est persuadée que la chute du gouvernement Lecornu n’est qu’une question de semaines. Et rêve à voix haute d’une prochaine dissolution et d’une victoire du RN, donc de gouverner la France.
Causeur. Vous avez sifflé la fin des gouvernements Barnier puis Bayrou. Mais celui de Sébastien Lecornu a survécu à votre tentative de censure et vous n’avez pas obtenu la dissolution que vous réclamiez. Auriez-vous perdu la main ?
Marine Le Pen. La dissolution est inéluctable. Demain, dans quinze jours, dans un mois et demi, elle aura lieu. Nos institutions sont ainsi faites que c’est la seule solution possible au blocage actuel. En attendant, il est intéressant d’observer le spectacle de tous ceux qui cherchent des prétextes pour empêcher cette issue : les socialistes, qui ont sauté sur l’excuse de la suspension de la réforme des retraites pourtant loin d’être acquise, et les Républicains, dont le grand écart doit considérablement malmener les adducteurs. Leur point commun : ils ont peur des élections. Et ils ont raison d’avoir peur.
Nous, nous n’avons aucun poste à défendre, mais nous sommes opposés à la dissolution. Nous pensons qu’il serait préférable, pour le pays, de retrouver les échéances normales : une présidentielle dans dix-huit mois et ensuite des législatives qui donneraient une majorité au nouveau président. Certes, en l’absence de majorité, on ne va pas faire de grandes réformes. Il faut tenir.
Sauf qu’en politique, quand on n’avance pas, on recule. Le blocage actuel aggrave la situation de la France, notamment la situation budgétaire.
Oui mais une nouvelle dissolution pourrait engendrer une assemblée aussi gouvernementale et nous plonger dans une situation insoluble. Vous êtes prête à parier le destin du pays sur votre certitude d’avoir une majorité en cas d’élection ?
Je ne parie sur rien, je respecte la démocratie. Et je crois que les Français sont prêts à se donner aujourd’hui une alternance.
Sauf que vous ne pouvez pas provoquer immédiatement l’alternance présidentielle.
Nous n’avons en effet pas prise sur la démission du président de la République. Mais, puisque Emmanuel Macron a fait savoir qu’il prononcerait une dissolution en cas de nouvelle chute du gouvernement, nous avons prise sur un retour des députés devant les urnes, voulu par 66 % des Français.
En attendant, si la réforme des retraites est suspendue, le PS pourra se targuer de cette victoire…
Je ne compte pas tomber dans le piège socialiste consistant à faire de cette suspension l’alpha et l’oméga du débat public. Il existe bien d’autres sujets de préoccupation dans notre pays, comme le record de présence de personnes étrangères sur le territoire, l’insécurité qui continue de se dégrader dans des proportions spectaculaires, les 74 milliards de charges de la dette à payer en 2026, c’est-à-dire 6 milliards de plus que ce qui avait été prévu, et le budget en préparation, qui prévoit 20 milliards de hausses et 28 milliards d’augmentation de la dépense publique.
Il se trouve que bon nombre de Républicains partagent vos inquiétudes et semblent très réticents à rester dans le « socle commun ».
Oui, surtout ceux qui ne sont pas concernés ! Monsieur Bellamy a indiqué que, s’il était député, il aurait voté la censure. Et moi, si j’avais des roulettes, je ferais un bel autobus !
On dirait que vous affectionnez le « tout ou rien ». Alors qu’après tout, au lieu de faire des concessions aux socialistes, Sébastien Lecornu aurait très bien pu essayer de s’arranger avec vous.
Mais la feuille de route que lui a fixée Emmanuel Macron, c’était de négocier avec les socialistes. Au nom du « tout sauf le Rassemblement national ». C’est insensé, mais c’est ainsi.
Il se dit pourtant que, lorsqu’il a décidé de dissoudre, Emmanuel Macron espérait vous donner les clés de Matignon.
Je vais vous raconter la véritable histoire. Le 9 juin 2024, quand Emmanuel Macron dissout l’Assemblée, il croit en effet faire un coup mitterrandien. Il prévoit alors notre victoire dans les urnes, et donc notre arrivée aux affaires, ce qui lui permettra, s’imagine-t-il, de démontrer que le Rassemblement national est un ramassis d’incapables. Sauf que le soir du premier tour, le vertige le prend. Il se dit : « Non, ce n’est pas possible ! » Alors il change totalement son fusil d’épaule. Et il appelle lui-même ses propres députés – j’en ai eu le témoignage – pour leur demander de se désister dans les triangulaires où ils sont mal placés afin de nous faire barrage. Ultérieurement, l’Élysée a diffusé une légende urbaine pour faire accroire que cette manœuvre, que l’on a appelée le « front républicain », était une initiative de Gabriel Attal non désirée par le président. C’est totalement faux.
Si c’est faux, c’est bien inventé. Quittons un instant de la séquence actuelle. Vous êtes revenue des enfers politiques : en 2017, on vous faisait un procès en cryptofascisme et en incompétence, et aujourd’hui, alors que vous êtes l’ultra-favorite de la présidentielle, il n’est pas sûr que vous puissiez vous présenter. Comment le vivez-vous ?
C’est précisément parce que je suis ultra-favorite qu’on veut m’empêcher de me présenter. Avec cette grille de lecture, vous comprenez tout ce qui se passe aujourd’hui à l’Assemblée, mais aussi les ingérences d’autorités judiciaires et la multiplication des affaires. Le pouvoir a peur de nous, car il sait bien que, dans tous les pays gouvernés par des mouvements qui nous ressemblent, ou du moins qui partagent nos grandes lignes, les citoyens sont satisfaits. On le voit aussi, d’ailleurs, dans les municipalités RN, où nous avons été élus et réélus, souvent dès le premier tour. Non seulement les administrés se sont rendu compte que notre politique n’était pas la catastrophe annoncée, mais ils apprécient ce que nous faisons.
Malgré votre condamnation à une peine d’inéligibilité avec exécution provisoire, plusieurs spécialistes affirment que, si une élection nationale avait lieu demain, le Conseil constitutionnel ne vous empêcherait pas de vous présenter. Partagez-vous leur analyse ?
Le Conseil constitutionnel a en effet toujours considéré que l’exécution provisoire d’une peine d’inéligibilité ne pouvait pas s’appliquer à un mandat national. Le fait qu’il ne s’oppose pas à ma candidature en cas de législatives anticipées et, a fortiori, de présidentielle serait donc logique vu ses jurisprudences. C’est en tout cas ce qu’a écrit le rapporteur du Conseil d’État, suite au recours que j’ai formulé concernant mon mandat de conseillère départementale. Et la Cour européenne des droits de l’homme dit la même chose.
Et si votre inéligibilité est confirmée en appel cet été, pourrez-vous vous présenter ?
Évidemment pas. Raison pour laquelle j’ai indiqué dès le départ que je prendrai ma décision de me présenter ou non lors du rendu de l’arrêt de la cour d’appel.
Sans attendre une éventuelle décision en cassation ?
Non, car on ne sait pas quand une telle décision serait rendue et on ne peut pas se lancer dans une campagne présidentielle au dernier moment. J’annoncerai donc ma décision cet été pour ne pas hypothéquer la candidature de Jordan Bardella dans le cas où il devrait y aller.
Dans la situation catastrophique de la France, qu’est-ce qui vous fait penser que vous êtes en mesure de la redresser ?
Mon camp politique est le seul à avoir véritablement le courage de faire ce qui doit être fait, pour la bonne raison que nous nous moquons du jugement des élites autoproclamées qui, depuis des décennies, gouvernent la France contre le peuple.
Une proportion non négligeable de Français vous sont toutefois très hostiles…
Sur les grands sujets, comme la restauration du délit de présence irrégulière sur le territoire, la mise en place de la priorité nationale dans les logements sociaux ou l’organisation d’un référendum sur l’immigration, le peuple est très majoritairement d’accord avec nous.
Un projet pour la France ne peut se réduire à des mesures sur l’immigration c!
Une majorité de nos concitoyens, y compris d’ailleurs bon nombre d’électeurs LFI, sont aussi d’accord avec nous pour que l’État fasse des économies sur son train de vie, qu’il lutte sérieusement contre les fraudes non seulement sociales mais aussi fiscales, et qu’il mette davantage à contribution les hauts patrimoines pour financer une baisse d’impôts pour les classes moyennes. Bref, une majorité de Français soutiennent les grandes orientations que nous portons.
En ce cas, pourquoi ne vous ont-ils pas déjà élue ? Pourquoi n’ont-ils pas bravé le front républicain pour donner une majorité à Bardella ?
La transformation du soutien à des mesures en vote prend toujours du temps ; mais je dis aux Français qu’il y a urgence avant que la situation soit hors de contrôle.
Avoir une majorité derrière soi ne suffit pas. Pour gouverner, il vous faut aussi savoir dialoguer avec les autres partis, les syndicats, les corps intermédiaires. Vous qui méprisez les « élites autoproclamées », comme vous dîtes, avez-vous cette capacité ?
Absolument et je le démontre. Nous sommes le parti le moins sectaire du Parlement, celui qui vote le plus d’amendements ou de propositions de loi qui n’émanent pas de ses rangs. Et depuis que nous avons tendu la main à Éric Ciotti, nous travaillons merveilleusement bien ensemble, malgré certaines divergences d’approches sur l’économie.
Curieusement, vous êtes l’alliée du parti Ciotti, dont le nom est « Union des droites pour la République », mais vous vous refusez à vous dire de droite.
Je ne dis pas non plus que je suis de gauche.
« Je suis la candidate de Jordan à la présidentielle. » Marine Le Pen et Jordan Bardella en meeting à Hénin-Beaumont, 24 mai 2024. Francois Greuez/SIPA
Certes, mais vous êtes attachée à la nation et vous avez une conception plutôt traditionnelle du régalien. Tout cela est aujourd’hui plutôt de droite, non ?
Vous avez vu la droite défendre la nation, ces dernières années ? J’ai plutôt le sentiment qu’elle a soumis la France à l’Union européenne et qu’elle a voté pour Madame von der Leyen !
La droite est soucieuse de continuité historique. Elle veut que « la France reste la France ». La France est-elle menacée ?
Si je ne pensais pas que la France est menacée, j’irais planter des fraises. Elle l’est d’autant plus que beaucoup de gens le savent et nous font perdre du temps en disant la même chose que nous pour nous empêcher de le faire. C’est pour cela que j’en veux bien plus à la droite qu’à la gauche. La droite sait ce qui se passe et, arrivée aux responsabilités, ne fait pas ce qu’il faut faire. Beaucoup de gens à droite espèrent des gens comme nous, mais qui soient plutôt comme eux. Peut-être ne sommes-nous pas assez bourgeois.
En attendant, à gauche, on brandit plus facilement le drapeau palestinien que le drapeau français.
Pour ma part, je me sens plutôt gaullienne. Le général de Gaulle appréciait la gauche pour son côté social, mais la trouvait complètement utopique avec sa propension à aspirer à n’importe quelle nouveauté, dès lors qu’elle était définie comme un progrès. Et il appréciait la droite pour son réalisme, tout en la trouvant enferrée dans l’immobilisme, la défense des intérêts particuliers et une forme de conservatisme excluant toute forme d’évolution ou d’amélioration.
En vous écoutant, on a l’impression que, contrairement à Jordan Bardella, vous considérez « libéralisme » et « conservatisme » comme des gros mots. Êtes-vous conservatrice ?
Non. Le conservatisme est une posture de peur et de nostalgie, qui consiste à rester assis sur le ballon. Une fuite en arrière, dans le sens inverse du macronisme, qui est une fuite en avant. Ma vision du pays n’est pas celle-là. On peut défendre l’histoire, la culture et les grands idéaux qui sont les nôtres, sans opposer, comme la droite et la gauche aiment à le faire, les principes de la République et notre héritage plus ancestral. Je considère au contraire que les deux se nourrissent l’un de l’autre. Et puis surtout, je suis pour monter, aller vers le haut. Notre pays a encore énormément à offrir. À commencer par sa souveraineté, c’est-à-dire sa liberté de choisir son destin.
Encore faut-il conserver cette souveraineté. Sans quoi dans trente ans, la France ressemblera à la Belgique islamisée.
Je lutte, me semble-t-il, avec plus d’efficacité que les conservateurs, contre l’immigration massive qui change notre mode de vie, nos codes et nos mœurs.
En quoi ?
Ma famille politique alerte depuis des décennies sur ces sujets et propose depuis maintenant des années des textes législatifs pour répondre à ces enjeux, que ce soit notre référendum sur l’immigration ou ma proposition de loi de lutte contre les idéologies islamistes.
Êtes-vous libérale ?
Sur le plan sociétal assurément, mais modérément. Sur le plan économique, notre mouvement a été libéral quand le socialo-communisme constituait un danger majeur pour le monde. Mais après la chute du mur de Berlin, le libéralisme est devenu, du fait de la disparition des frontières, ce qu’on a appelé l’« ultra-libéralisme », c’est-à-dire une forme de globalisme qui représente aujourd’hui un péril au moins aussi grave que le socialo-communisme en son temps. À cet égard, Jean-Marie Le Pen a été visionnaire. Lui qui avait été thatchérien dans les années 1980 a lancé le slogan « Mondialisation, piège à cons » dès 1998.
Vous trouvez que nous sommes un pays ultra-libéral ?
Non. La France, c’est le pire du libéralisme et le pire du socialisme, « en même temps ». Ce qui est tout de même assez extraordinaire.
Pourquoi dites-vous « gaullienne » et pas « gaulliste » ?
À cause de l’Algérie. Je reproche à de Gaulle d’avoir menti aux pieds-noirs et d’avoir abandonné les harkis. Il a laissé tomber des gens qui avaient choisi la France. C’est incompréhensible. Reste qu’il avait raison au sujet de la gauche et la droite. Comme lui, je pense qu’il y a des patriotes aussi bien à droite qu’à gauche mais qu’en réalité, la droite et la gauche, c’est totalement dépassé.
C’est aussi ce que pense Macron.
Sa position est calquée sur la nôtre. Et je rappelle que je suis élue dans une circonscription qui était socialo-communiste pendant quatre-vingts ans.
La suite de l’entretien est à lire dans le magazine dès maintenant pour les abonnés, et demain sur le site.
Qui est le nouveau maire radical de New York ? Sur quelles mesures a-t-il été élu ?
Zohran Mamdani, 34 ans, a créé la surprise en remportant hier la mairie de New York avec 50,4 % des voix, devançant nettement Andrew Cuomo et le républicain Curtis Sliwa. Inconnu il y a un an, le candidat socialiste et communautariste radicalement opposé à Trump a bâti sa campagne sur la dénonciation des élites et des « milliardaires qui achètent les élections ». « Le futur est entre nos mains », a-t-il lancé hier soir à ses partisans, saluant une « renaissance » politique de la ville • La rédaction
Le mardi 4 novembre est jour de vote aux Etats-Unis. Et en cette année « blanche » (il n’y a ni élection présidentielle, ni renouvellement du Congrès) les yeux des médias sont braqués sur la ville de New York, où l’histoire est en train de s’écrire.
Pour la première fois en plus de quatre siècles d’existence de la « grosse pomme » (New York a été fondée en 1624), un candidat radical socialiste est favori pour être élu maire. En plus d’être d’extrême gauche, il est musulman et antisioniste ! Il n’est pas né aux Etats-Unis et n’a acquis la nationalité américaine qu’en 2018, lors de son entrée en politique ! Il s’appelle Zohran Mamdani. Il a 34 ans et il représente peut-être l’avenir du parti démocrate. Pour le meilleur ou pour le pire !
Comment est-il arrivé là ? Et comment New York en est-elle arrivée là ? C’est ce que nous allons voir !
Une métropole de 23 millions d’habitants
New-York est la capitale économique et la ville la plus peuplée des Etats-Unis avec 8 millions d’habitants. Sa métropole en compte près de vingt-trois millions. C’est la porte d’entrée vers la Etats-Unis. Depuis 1886, la Statue de la Liberté, dressée au milieu des eaux de la baie d’Hudson, accueille les immigrants… qui continuent d’affluer. La zone métropolitaine de New York possède la plus forte concentration de personnes nées à l’étranger de tous les Etats-Unis, 5,6 millions soit près du quart de la population.
La ville même rassemble cinq « boroughs », des « quartiers » (beaucoup plus étendus que des arrondissements parisiens) : Queens, Brooklyn, Manhattan, le Bronx et Staten Island. Manhattan possède la plus forte densité de population des Etats-Unis, le mètre carré habitable le plus cher, le plus haut revenu moyen et la plus importante concentration de richesse du pays.
Mais elle n’est plus ce qu’elle a été. A cours des dix dernières années elle a vu sa population diminuer. Une première historique. Son résident le plus célèbre l’a quittée avec fracas, Donald Trump, désormais résident de Floride. Comme des milliers d’autres qui ont fui son coût de la vie prohibitif et progressivement privé la ville d’importants revenus fiscaux.
New York est dirigée par un maire, élu au suffrage universel tous les quatre ans. Le maire actuel s’appelle Eric Adams. C’est un Noir, ancien policier, élu en 2021. Face à des accusations de corruption, il a renoncé à briguer un second. Trois candidats se disputent sa succession. Curtis Sliwa, un républicain, Zohran Mamdani, le démocrate et Andrew Cuomo, l’ancien gouverneur de l’Etat de New York qui se présente en indépendant.
65% des électeurs de New York sont inscrits comme Démocrates contre 11% comme Républicains. Tandis que 21% se disent indépendants. Sur le papier Mamdani est donc archi-favori pour l’emporter ce 4 novembre. En soi ce n’est pas sensationnel. Ce qui l’est c’est le pédigrée de Mamdani. Il vient de l’extrême gauche radicale, un parti appelé « le parti démocrate-socialiste d’Amérique » (DSA) et se revendique d’un marxisme pur et dur. Pour Mamdani, « le capitalisme c’est du vol » et seule « la propriété collective des moyens de production » peut établir la justice sociale…
Son ascension jusqu’à la nomination du parti démocrate pour la mairie de New York est révélatrice, de la dérive à gauche du parti emmené par une minorité progressiste très agissante.
Les extrémistes très motivés aux primaires
Les élections aux Etats-Unis se déroulent toujours en deux temps : une élection primaire suivie d’une élection générale. L’élection primaire sert à désigner le candidat de chaque parti, l’élection générale sert à départager les candidats désignés lors des primaires. Lorsqu’un parti dispose de la majorité au sein de l’électorat, le vainqueur de la primaire est assuré d’être aussi le vainqueur de l’élection générale.
Typiquement les élections primaires attirent beaucoup moins d’électeurs que les élections générales. Et typiquement ces électeurs sont plus motivés et plus extrémistes que ceux qui votent au scrutin général. Ce sont deux caractéristiques que les radicaux ont récemment exploitées pour gagner en influence au sein du parti démocrate.
Il y a quelques années, en 2018, Alexandria Ocasio Cortez (« AOC » pour la presse américaine), elle aussi militante du DSA, avait utilisé cette stratégie pour se faire élire au Congrès. Elle avait défié le démocrate sortant lors de la primaire et l’avait aisément emporté : 57% contre 43% dans le 14eme district de New York. Moins de trente mille électeurs démocrates firent l’effort de participer à ce scrutin. Sur une population de sept cent cinquante mille personnes. En clair avec quinze mille voix seulement sur deux cent dix mille inscrits, soit 7,5% des voix, elle avait obtenu l’imprimatur du parti démocrate garantissant sa victoire lors de l’élection générale de novembre. A 36 ans, elle est devenue depuis l’une des figures de proue des Démocrates du Congrès et personnifie une nouvelle garde, jeune, enthousiaste, énergique et radicale.
M. Mamdani espère clairement lui emboiter le pas à New York. Sa première victoire est survenue le 24 juin lorsqu’il a battu Andrew Cuomo dans la primaire démocrate. Plus d’une dizaine de candidats étaient en lice et il a profité de l’émiettement du vote et de l’impopularité de Cuomo – personnellement accusé de harcèlement sexuel et dont le mandat de gouverneur a été entaché d’accusations de mauvais management – pour arriver en tête avec 44% des voix contre 36%. Soit un peu plus de 450 000 votes sur 5,1 millions d’électeurs inscrits. C’est à dire moins de 10% des électeurs. Mais cela a suffi à le parachuter en tête et en faire la vedette inattendue du parti démocrate en 2025.
M. Cuomo a décidé de maintenir sa candidature sous l’étiquette « indépendant ». Il traine dix points derrière M. Mamdani dans les sondages. Quant au Républicain Sliwa, il plafonna à 19%. L’establishment du parti démocrate s’est récemment rangé derrière Mamdani. Kathy Hochul la gouverneur et Hakeem Jeffries, le premier Démocrate de la Chambre lui ont tous les deux accordé leur soutien officiel. Un boulevard s’ouvre donc devant ce nouveau venu.
Radical chic
Zohran Mamdani est un enfant de la bourgeoisie intellectuelle progressiste de New York. Son père, originaire d’une famille musulmane de Bombay, en Inde, est professeur à la prestigieuse université Columbia. Sa mère, également Indienne, est une cinéaste reconnue. Ses films ont été primés à Cannes et à Venise et elle a reçu deux Césars. L’enseignement du père, et les films de la mère touchent aux mêmes sujets : l’identité, la culture et la race à l’âge des migrations de masse dans le monde post-colonial. Les préoccupations politiques de Zohran Mandani se sont construites autour de ces mêmes thèmes.
Zohran est né à Kampala en Ouganda, où ses parents vivaient et travaillaient alors. Après un détour par l’Afrique du Sud, ils ont emménagé à New York quand Zohran avait sept ans. Après des études dans une école privée du Bronx, Zohran a obtenu un « B.A. » (Bachelor of Arts, l’équivalent d’une licence) en Etudes africaines du Bowdoin College, une université privée, très exclusive du Maine (les frais de scolarité sont de 72 ,000 $ par an). Pendant ses études il fut président de l’association locale des « Etudiants pour la justice en Palestine », une organisation qui milite pour le droit au retour des réfugiés palestiniens et n’a jamais reconnu la légitimité de l’existence d’Israël. Mamdani affirme encore aujourd’hui que « la question de la Palestine est au cœur de son engagement. » Il se définit comme « antisioniste » mais se défend d’être « antisémite ». Avec son diplôme en poche, en 2014, Mamdani devint activiste au service de causes progressistes. Il travailla notamment pour une association d’aide aux locataires à bas revenu en les aidant à contrer les menaces d’expulsion.
Il s’essaya aussi à la musique Hip-Hop, sous le pseudonyme de « Young Cardamom ». Il portait déjà une barbe courte, et de longues tuniques indiennes. Son clip « Nani » (visionnable sur YouTube) est un hommage humoristique à sa grand-mère, à la cuisine indienne, aux « food-trucks » et à l’autorité parentale (pas très « démocrate-socialiste »). « Cardamom » y joue le rôle d’un gosse de la rue, mais sa barbe, courte et bien taillé à la mode des Frères Musulmans, le rend peu crédible.
Dans « Kanda Chap Chap », clip tourné à Kampala, il distribue à la volée (chap chap) du pain dont il a lui-même pétri la pâte (kanda)) et se moque de ses études universitaires… C’est un plus irrévérencieux, mais pas bien méchant. Papa-maman ont peut-être pensé en découvrant le clip que les frais de scolarité à Bowdoin avaient été de l’argent mal investi…
Mais « Young Cardamom » n’a jamais eu de Grammy et Zohran Mamdani a abandonné la musique pour la politique. Raison pour laquelle il a fini par se faire naturaliser Américain. C’était en 2018, à l’âge de 27 ans.
En 2020 Mamdani s’est présenté pour un siège à l’Assemblée de l’Etat de New York sous l’étiquette des « Démocrates Socialistes Américains ». Le DSA est un petit parti politique (moins de cent mille membres aux Etats-Unis) d’inspiration marxiste-léniniste qui rejette « l’oligarchie » au pouvoir aux Etats-Unis, au profit d’une société plus égalitariste, avec une couverture sociale gratuite et universelle, la nationalisation des services essentiels (transports, etc), et soutient le droit des immigrants et des personnes LGBTQ…
Lors de la primaire démocrate, Mamdani défia la sortante, une jeune avocate d’origine grecque Aravella Simotas et il l’emporta de moins de cinq cents vote, 8 410 contre 7 987. Lors de l’élection générale en novembre, il n’eut aucun adversaire. La politique à New York c’est l’affaire du parti démocrate. Ainsi huit mille suffrages ont suffi pour lancer sa carrière politique.
Ses compétences très incertaines
Mamdani n’a jamais eu de vrai métier. Il ne sait rien faire, ce qui, en politique, est le gage inévitable d’une longue carrière. Bernie Sanders non plus n’a jamais eu de métier et Alexandria Ocasio Cortez était serveuse dans un restaurant (un gagne-pain, pas un métier) quand elle s’est présentée au Congrès.
Aujourd’hui Mamdani vise un poste beaucoup plus exposé, sans avoir rien renié de ses idéaux marxistes. Au contraire. Il a fait de son radicalisme sa distinction et sa force. Voici ses propositions phares pour la ville de New York :
– le gel des loyers ! Une mesure destinée à lutter contre le coût du logement dont on sait qu’elle entraine une chute de l‘offre et une pénurie de logements locatifs. Pour y remédier il a promis de construire deux cent mille logements à loyers modérés sur dix ans, et d’octroyer ces contrats uniquement à des entreprises avec 100% d’ouvriers syndiqués.
– la gratuité des bus. Actuellement le ticket vaut 2,90 $, ou 7 $ pour les bus « express ». Au passage, Mamdani a promis qu’une fois gratuits, les bus iraient aussi plus vite ! Mais il n’a pas expliqué comment !
– la gratuité des crèches et des soins de santé pour les bébés de 6 semaines à 5 ans.
– l’arrêt du programme « élèves doués et talentueux » qui permet aux meilleurs jeunes écoliers de bénéficier d’une instruction supplémentaire, s’ils le souhaitent.
-la création d’au moins cinq « épiceries municipales » (une par quartier), gérées par la ville de New York, donc sans l’obligation d’être rentables, pour offrir des produits alimentaires à bas prix.
– Le doublement (ou presque) du salaire minimum pour le porter à 30 $ de l’heure, contre 16,50 $ actuellement.
– la création d’un « département de la sécurité commune » (Department of community safety) pour alléger la tache de la police municipale et faire gérer la petite criminalité, par des travailleurs sociaux, des médiateurs et autres spécialistes de la santé mentale, etc. Pour rappel en 2020, Mamdani avait soutenu le mouvement « defund the police » visant à baisser voire supprimer les budgets des polices municipales. Il a aussi appelé à la fin des prisons qui ne sont rien d’autre pour lui que les manifestations d’un « Etat carcéral » qu’il rejette.
– la création de centres d’accueils pour des jeunes LGBTQ ou en processus de « transition » de genre. Mamdani veut faire de NYC une ville sanctuaire pour les transgenres, comme d’autres villes américaines se sont déclarées sanctuaires pour les immigrants clandestins.
Tax the rich !
Pour financer ces programmes il propose une hausse de la taxe sur les sociétés de 8,85% à 11,5% et une surtaxe de 2% sur les revenus supérieurs à un million de dollars par an.
Lors d’un grand meeting, fin octobre, la foule n’a cessé de scander « tax the rich ». Mamdani lui-même avoue « ne pas aimer les millionnaires »… Il aura pourtant besoin d’eux pour financer ses programmes. Chacun sait que « taxer les riches » est une proposition démagogique qui plait toujours aux foules mais qui ne permet pas de boucler les budgets. Il n’y a tout simplement pas assez de riches et ils ont toujours le loisir de déménager pour des cieux plus accueillants. Quand on commence par taxer les riches, on finit toujours par taxer la classe moyenne. C’est là qu’il y a de l’argent… Bref, le programme de Mamdani est une catastrophe en devenir pour New York. Mais c’est un programme qui attire un électorat jeune, né après la fin de la guerre froide, venu de tous les horizons, et élevé à la propagande de gauche qui passe pour de l’enseignement dans les écoles publiques et domine dans les réseaux sociaux. Cet électorat n’a jamais connu ni la difficulté, ni l’absence de liberté, ni les privations associées aux régimes socialistes dans l’histoire récente et ils sont prêts à tenter l’expérience avec Zohran…Les contradictions ne les effraient pas. Bien que prétendant parler au nom des masses laborieuses, M. Mandani n’en fait pas partie. C’est un bourgeois et un intellectuel, qui a grandi dans un milieu privilégié. Il s’identifie aux masses mais les masses ne s’identifient pas à lui. D’ailleurs les quartiers les plus populaires de New York sont ceux où il a fait ses plus mauvais scores lors de la primaire.
Le ressentiment est au cœur de sa démarche. Mamdani est un narcissique déraciné de naissance. Il appartient à plusieurs mondes et ne se sent chez lui dans aucun. Bien que né en Ouganda, il était Indien et, en Afrique, perçu comme un blanc ; et bien que blanc il est désormais perçu aux Etats-Unis comme un Indien, musulman de surcroit. Identité qu’il revendique mais qui l’isole. Il n’est chez lui nulle part et il a fini par développer une vision idéalisée de la culture du pays de départ, et un rejet des valeurs du pays d’accueil, alors que c’est ce pays qui lui a offert à la fois la sécurité et la possibilité de suivre la voix de son choix.
Et puis, il y a le sujet subsidiaire de la religion, de la vision du monde qu’elle engendre et de son incidence sur la société newyorkaise…
Mamdani est un musulman chiite duodécimain et sa religion est une composante majeure de sa personnalité. Il croit au « Mahdi », à « l’imam caché », le douzième imam qui fera son retour à la fin des temps pour instaurer la justice d’Allah. Son épouse Rama Duwaji est musulmane d’origine syrienne. Lors de leur mariage ils ont organisé une cérémonie à Dubaï pour conclure un « nikah » c’est-à-dire un contrat de mariage selon les règles de la « sharia », la loi islamique.
Invité à plusieurs reprises durant la campagne à dénoncer cette « loi islamique », M. Mamdani a toujours esquivé la question. Lorsqu’il parle de l’islam c’est pour dénoncer à demi-mots une islamophobie qu’il perçoit chez les Américains. Il a évoqué une « tante » qui après les attaques du 11 septembre 2001 aurait eu « peur de prendre le métro avec un hijab parce qu’elle ne se sentait plus en sécurité ». L’histoire semble être une affabulation. Mamdani n’a jamais eu de tante à New York, mais son intention à travers un tel récit est claire : revendiquer le port de l’habit islamique et dénoncer l’islamophobie latente des Américains.
New York City compte environ huit cent mille musulmans, originaires du Proche Orient, d’Asie centrale et d’Asie du Sud-Est. Ce sont souvent des immigrants récents, dont des étudiants, et par forcément des gens ayant la citoyenneté américaine, mais pour ceux qui l’ont, c’est un vote ethnico-religieux acquis à Mamdani.
Antisioniste, pas antisémite
Il n’y a pas que des musulmans à New York. Il y a aussi plus d’un million de juifs. Et la question de la relation de cette communauté avec Mamdani, s’il l’emporte, est posée. Mamdani ne reconnaît pas la légitimité de l’Etat d’Israël, ni le droit des juifs à un foyer national sur la terre de leurs ancêtres. Mais il se défend d’être antisémite. La différence est subtile et ténue. Comment rejeter le droit des juifs à disposer d’un foyer national où ils puissent être à l’abri des persécutions dont ils ont été victimes au cours des siècles passés, y compris au 20ème, tout en prétendant ne pas rejeter les juifs tout court ? Mamdani a soutenu les slogans « la Palestine de la rivière à la mer », et « globaliser l’intifada ». Le premier nie le droit d’Israël à exister, le second appelle à une lutte globale et violente contre l’Etat israélien. Or depuis la guerre à Gaza, ces slogans ont pris une place qu’ils n’avaient pas jusqu’alors, dans un contexte marqué par une montée sans précédent de l’antisémitisme, notamment chez les jeunes et sur les campus universitaires. Mandani a lui encouragé cet antisémitisme en accusant Israël de mener un « génocide » à Gaza, à l’encontre de la réalité des faits. Au nom de sa religion, il s’est aussi affiché avec des imams radicaux, y compris certains ayant été lié à des attentats terroristes à New York.
Si beaucoup de juifs de New York ont une sensibilité démocrate, et partagent certaines positions progressistes, l’élection de Zohran Mamdani à la mairie, aurait des conséquences inévitables au sein, et peut-être à l’encontre, de cette communauté.
Cette victoire aurait aussi des conséquences sur le parti démocrate lui-même. Après la défaite électorale de 2024, et la paralysie des instances actuelles, il y a une place à prendre à la tête du parti de l’âne, pour 2028 et pour après. La jeune garde radicale est prête pour ce défi. D’autant qu’elle a su greffer au crédo marxiste classique des considérations plus contemporaines sur le genre, les identités multiculturelles et les migrations.
L’idéologie dont se revendique Zohran Mamdani n’est pas que marxiste-leniniste. C’est un cocktail de ressentiment tiers-mondiste, d’idéalisme néo-communiste et d’anti-américanisme, le tout baignant dans une totale ignorance des lois naturelles de l’économie. C’est un cocktail détonnant qui pourrait rassembler une large faction du parti démocrate et représenter le futur de ce parti. Ou bien le mener à son éclatement. Le score de Mamdani au soir du 4 novembre sera un premier enseignement sur la question.