Dix-huit mois avant les prochaines élections nationales (du moins en théorie), la favorite des sondages continue sa guerre d’usure contre le bloc central mais ne veut toujours pas entendre parler de l’union des droites.
Le bureau de Marine Le Pen à l’Assemblée nationale est l’un des plus charmants endroits du Palais-Bourbon. En sa qualité de présidente de groupe, l’élue du Pas-de-Calais a droit à une belle pièce lambrissée au cœur du bâtiment historique, quand les députés « de base » sont relégués dans des locaux annexes nettement plus exigus et ternes. Certains habitués prétendent pourtant que le lieu, occupé par le passé par deux stars du gaullisme au destin brisé, Philippe Séguin et François Fillon, porte malheur. Quand elle nous y reçoit le 15 octobre, Marine Le Pen semble toutefois imperméable aux mauvais présages. En dépit des vents judiciaires contraires, la patronne du RN est remontée à bloc. À travers la porte, on l’entend lancer : « Tu sens mauvais ! » Qu’on se rassure, cette apostrophe s’adresse au chaton aperçu dans ses bras dans la cour de Matignon, quelques jours plus tôt – il grossit. Ce jour-là, elle a compris que les deux motions de censure inscrites à l’agenda du lendemain dans l’Hémicycle ne passeront pas, mais cela n’entame pas sa belle humeur. Elle est persuadée que la chute du gouvernement Lecornu n’est qu’une question de semaines. Et rêve à voix haute d’une prochaine dissolution et d’une victoire du RN, donc de gouverner la France.
Causeur. Vous avez sifflé la fin des gouvernements Barnier puis Bayrou. Mais celui de Sébastien Lecornu a survécu à votre tentative de censure et vous n’avez pas obtenu la dissolution que vous réclamiez. Auriez-vous perdu la main ?
Marine Le Pen. La dissolution est inéluctable. Demain, dans quinze jours, dans un mois et demi, elle aura lieu. Nos institutions sont ainsi faites que c’est la seule solution possible au blocage actuel. En attendant, il est intéressant d’observer le spectacle de tous ceux qui cherchent des prétextes pour empêcher cette issue : les socialistes, qui ont sauté sur l’excuse de la suspension de la réforme des retraites pourtant loin d’être acquise, et les Républicains, dont le grand écart doit considérablement malmener les adducteurs. Leur point commun : ils ont peur des élections. Et ils ont raison d’avoir peur.
Nous, nous n’avons aucun poste à défendre, mais nous sommes opposés à la dissolution. Nous pensons qu’il serait préférable, pour le pays, de retrouver les échéances normales : une présidentielle dans dix-huit mois et ensuite des législatives qui donneraient une majorité au nouveau président. Certes, en l’absence de majorité, on ne va pas faire de grandes réformes. Il faut tenir.
Sauf qu’en politique, quand on n’avance pas, on recule. Le blocage actuel aggrave la situation de la France, notamment la situation budgétaire.
Oui mais une nouvelle dissolution pourrait engendrer une assemblée aussi gouvernementale et nous plonger dans une situation insoluble. Vous êtes prête à parier le destin du pays sur votre certitude d’avoir une majorité en cas d’élection ?
Je ne parie sur rien, je respecte la démocratie. Et je crois que les Français sont prêts à se donner aujourd’hui une alternance.
Sauf que vous ne pouvez pas provoquer immédiatement l’alternance présidentielle.
Nous n’avons en effet pas prise sur la démission du président de la République. Mais, puisque Emmanuel Macron a fait savoir qu’il prononcerait une dissolution en cas de nouvelle chute du gouvernement, nous avons prise sur un retour des députés devant les urnes, voulu par 66 % des Français.
En attendant, si la réforme des retraites est suspendue, le PS pourra se targuer de cette victoire…
Je ne compte pas tomber dans le piège socialiste consistant à faire de cette suspension l’alpha et l’oméga du débat public. Il existe bien d’autres sujets de préoccupation dans notre pays, comme le record de présence de personnes étrangères sur le territoire, l’insécurité qui continue de se dégrader dans des proportions spectaculaires, les 74 milliards de charges de la dette à payer en 2026, c’est-à-dire 6 milliards de plus que ce qui avait été prévu, et le budget en préparation, qui prévoit 20 milliards de hausses et 28 milliards d’augmentation de la dépense publique.
Il se trouve que bon nombre de Républicains partagent vos inquiétudes et semblent très réticents à rester dans le « socle commun ».
Oui, surtout ceux qui ne sont pas concernés ! Monsieur Bellamy a indiqué que, s’il était député, il aurait voté la censure. Et moi, si j’avais des roulettes, je ferais un bel autobus !
On dirait que vous affectionnez le « tout ou rien ». Alors qu’après tout, au lieu de faire des concessions aux socialistes, Sébastien Lecornu aurait très bien pu essayer de s’arranger avec vous.
Mais la feuille de route que lui a fixée Emmanuel Macron, c’était de négocier avec les socialistes. Au nom du « tout sauf le Rassemblement national ». C’est insensé, mais c’est ainsi.
Il se dit pourtant que, lorsqu’il a décidé de dissoudre, Emmanuel Macron espérait vous donner les clés de Matignon.
Je vais vous raconter la véritable histoire. Le 9 juin 2024, quand Emmanuel Macron dissout l’Assemblée, il croit en effet faire un coup mitterrandien. Il prévoit alors notre victoire dans les urnes, et donc notre arrivée aux affaires, ce qui lui permettra, s’imagine-t-il, de démontrer que le Rassemblement national est un ramassis d’incapables. Sauf que le soir du premier tour, le vertige le prend. Il se dit : « Non, ce n’est pas possible ! » Alors il change totalement son fusil d’épaule. Et il appelle lui-même ses propres députés – j’en ai eu le témoignage – pour leur demander de se désister dans les triangulaires où ils sont mal placés afin de nous faire barrage. Ultérieurement, l’Élysée a diffusé une légende urbaine pour faire accroire que cette manœuvre, que l’on a appelée le « front républicain », était une initiative de Gabriel Attal non désirée par le président. C’est totalement faux.
Si c’est faux, c’est bien inventé. Quittons un instant de la séquence actuelle. Vous êtes revenue des enfers politiques : en 2017, on vous faisait un procès en cryptofascisme et en incompétence, et aujourd’hui, alors que vous êtes l’ultra-favorite de la présidentielle, il n’est pas sûr que vous puissiez vous présenter. Comment le vivez-vous ?
C’est précisément parce que je suis ultra-favorite qu’on veut m’empêcher de me présenter. Avec cette grille de lecture, vous comprenez tout ce qui se passe aujourd’hui à l’Assemblée, mais aussi les ingérences d’autorités judiciaires et la multiplication des affaires. Le pouvoir a peur de nous, car il sait bien que, dans tous les pays gouvernés par des mouvements qui nous ressemblent, ou du moins qui partagent nos grandes lignes, les citoyens sont satisfaits. On le voit aussi, d’ailleurs, dans les municipalités RN, où nous avons été élus et réélus, souvent dès le premier tour. Non seulement les administrés se sont rendu compte que notre politique n’était pas la catastrophe annoncée, mais ils apprécient ce que nous faisons.
Malgré votre condamnation à une peine d’inéligibilité avec exécution provisoire, plusieurs spécialistes affirment que, si une élection nationale avait lieu demain, le Conseil constitutionnel ne vous empêcherait pas de vous présenter. Partagez-vous leur analyse ?
Le Conseil constitutionnel a en effet toujours considéré que l’exécution provisoire d’une peine d’inéligibilité ne pouvait pas s’appliquer à un mandat national. Le fait qu’il ne s’oppose pas à ma candidature en cas de législatives anticipées et, a fortiori, de présidentielle serait donc logique vu ses jurisprudences. C’est en tout cas ce qu’a écrit le rapporteur du Conseil d’État, suite au recours que j’ai formulé concernant mon mandat de conseillère départementale. Et la Cour européenne des droits de l’homme dit la même chose.
Et si votre inéligibilité est confirmée en appel cet été, pourrez-vous vous présenter ?
Évidemment pas. Raison pour laquelle j’ai indiqué dès le départ que je prendrai ma décision de me présenter ou non lors du rendu de l’arrêt de la cour d’appel.
Sans attendre une éventuelle décision en cassation ?
Non, car on ne sait pas quand une telle décision serait rendue et on ne peut pas se lancer dans une campagne présidentielle au dernier moment. J’annoncerai donc ma décision cet été pour ne pas hypothéquer la candidature de Jordan Bardella dans le cas où il devrait y aller.
Dans la situation catastrophique de la France, qu’est-ce qui vous fait penser que vous êtes en mesure de la redresser ?
Mon camp politique est le seul à avoir véritablement le courage de faire ce qui doit être fait, pour la bonne raison que nous nous moquons du jugement des élites autoproclamées qui, depuis des décennies, gouvernent la France contre le peuple.
Une proportion non négligeable de Français vous sont toutefois très hostiles…
Sur les grands sujets, comme la restauration du délit de présence irrégulière sur le territoire, la mise en place de la priorité nationale dans les logements sociaux ou l’organisation d’un référendum sur l’immigration, le peuple est très majoritairement d’accord avec nous.
Un projet pour la France ne peut se réduire à des mesures sur l’immigration c!
Une majorité de nos concitoyens, y compris d’ailleurs bon nombre d’électeurs LFI, sont aussi d’accord avec nous pour que l’État fasse des économies sur son train de vie, qu’il lutte sérieusement contre les fraudes non seulement sociales mais aussi fiscales, et qu’il mette davantage à contribution les hauts patrimoines pour financer une baisse d’impôts pour les classes moyennes. Bref, une majorité de Français soutiennent les grandes orientations que nous portons.
En ce cas, pourquoi ne vous ont-ils pas déjà élue ? Pourquoi n’ont-ils pas bravé le front républicain pour donner une majorité à Bardella ?
La transformation du soutien à des mesures en vote prend toujours du temps ; mais je dis aux Français qu’il y a urgence avant que la situation soit hors de contrôle.
Avoir une majorité derrière soi ne suffit pas. Pour gouverner, il vous faut aussi savoir dialoguer avec les autres partis, les syndicats, les corps intermédiaires. Vous qui méprisez les « élites autoproclamées », comme vous dîtes, avez-vous cette capacité ?
Absolument et je le démontre. Nous sommes le parti le moins sectaire du Parlement, celui qui vote le plus d’amendements ou de propositions de loi qui n’émanent pas de ses rangs. Et depuis que nous avons tendu la main à Éric Ciotti, nous travaillons merveilleusement bien ensemble, malgré certaines divergences d’approches sur l’économie.
Curieusement, vous êtes l’alliée du parti Ciotti, dont le nom est « Union des droites pour la République », mais vous vous refusez à vous dire de droite.
Je ne dis pas non plus que je suis de gauche.

Certes, mais vous êtes attachée à la nation et vous avez une conception plutôt traditionnelle du régalien. Tout cela est aujourd’hui plutôt de droite, non ?
Vous avez vu la droite défendre la nation, ces dernières années ? J’ai plutôt le sentiment qu’elle a soumis la France à l’Union européenne et qu’elle a voté pour Madame von der Leyen !
La droite est soucieuse de continuité historique. Elle veut que « la France reste la France ». La France est-elle menacée ?
Si je ne pensais pas que la France est menacée, j’irais planter des fraises. Elle l’est d’autant plus que beaucoup de gens le savent et nous font perdre du temps en disant la même chose que nous pour nous empêcher de le faire. C’est pour cela que j’en veux bien plus à la droite qu’à la gauche. La droite sait ce qui se passe et, arrivée aux responsabilités, ne fait pas ce qu’il faut faire. Beaucoup de gens à droite espèrent des gens comme nous, mais qui soient plutôt comme eux. Peut-être ne sommes-nous pas assez bourgeois.
En attendant, à gauche, on brandit plus facilement le drapeau palestinien que le drapeau français.
Pour ma part, je me sens plutôt gaullienne. Le général de Gaulle appréciait la gauche pour son côté social, mais la trouvait complètement utopique avec sa propension à aspirer à n’importe quelle nouveauté, dès lors qu’elle était définie comme un progrès. Et il appréciait la droite pour son réalisme, tout en la trouvant enferrée dans l’immobilisme, la défense des intérêts particuliers et une forme de conservatisme excluant toute forme d’évolution ou d’amélioration.
En vous écoutant, on a l’impression que, contrairement à Jordan Bardella, vous considérez « libéralisme » et « conservatisme » comme des gros mots. Êtes-vous conservatrice ?
Non. Le conservatisme est une posture de peur et de nostalgie, qui consiste à rester assis sur le ballon. Une fuite en arrière, dans le sens inverse du macronisme, qui est une fuite en avant. Ma vision du pays n’est pas celle-là. On peut défendre l’histoire, la culture et les grands idéaux qui sont les nôtres, sans opposer, comme la droite et la gauche aiment à le faire, les principes de la République et notre héritage plus ancestral. Je considère au contraire que les deux se nourrissent l’un de l’autre. Et puis surtout, je suis pour monter, aller vers le haut. Notre pays a encore énormément à offrir. À commencer par sa souveraineté, c’est-à-dire sa liberté de choisir son destin.
Encore faut-il conserver cette souveraineté. Sans quoi dans trente ans, la France ressemblera à la Belgique islamisée.
Je lutte, me semble-t-il, avec plus d’efficacité que les conservateurs, contre l’immigration massive qui change notre mode de vie, nos codes et nos mœurs.
En quoi ?
Ma famille politique alerte depuis des décennies sur ces sujets et propose depuis maintenant des années des textes législatifs pour répondre à ces enjeux, que ce soit notre référendum sur l’immigration ou ma proposition de loi de lutte contre les idéologies islamistes.
Êtes-vous libérale ?
Sur le plan sociétal assurément, mais modérément. Sur le plan économique, notre mouvement a été libéral quand le socialo-communisme constituait un danger majeur pour le monde. Mais après la chute du mur de Berlin, le libéralisme est devenu, du fait de la disparition des frontières, ce qu’on a appelé l’« ultra-libéralisme », c’est-à-dire une forme de globalisme qui représente aujourd’hui un péril au moins aussi grave que le socialo-communisme en son temps. À cet égard, Jean-Marie Le Pen a été visionnaire. Lui qui avait été thatchérien dans les années 1980 a lancé le slogan « Mondialisation, piège à cons » dès 1998.
Vous trouvez que nous sommes un pays ultra-libéral ?
Non. La France, c’est le pire du libéralisme et le pire du socialisme, « en même temps ». Ce qui est tout de même assez extraordinaire.
Pourquoi dites-vous « gaullienne » et pas « gaulliste » ?
À cause de l’Algérie. Je reproche à de Gaulle d’avoir menti aux pieds-noirs et d’avoir abandonné les harkis. Il a laissé tomber des gens qui avaient choisi la France. C’est incompréhensible. Reste qu’il avait raison au sujet de la gauche et la droite. Comme lui, je pense qu’il y a des patriotes aussi bien à droite qu’à gauche mais qu’en réalité, la droite et la gauche, c’est totalement dépassé.
C’est aussi ce que pense Macron.
Sa position est calquée sur la nôtre. Et je rappelle que je suis élue dans une circonscription qui était socialo-communiste pendant quatre-vingts ans.
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