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🎙️ Podcast: Micmac autour du Mercosur; la guerre Russie-Ukraine, côté bancaire; la Biélorussie et l’Amérique

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Avec Harold Hyman et Jeremy Stubbs.


Le journaliste franco-américain spécialiste des affaires internationales Harold Hyman. Photo D.R.

Harold Hyman commente pour nous les actualités internationales.

Si les agriculteurs français sont inquiets, de manière compréhensible, au sujet d’une mise en oeuvre imminente de l’accord commercial entre l’UE et le Mercosur, Giorgia Meloni a obtenu, de la part du président brésilien, Luiz Inácio Lula da Silva, un délai d’un mois avant la signature. Ce répit laisserait le temps pour modifier l’accord afin d’aligner certaines des normes sanitaires s’appliquant aux exportations agricoles. On peut se demander pourquoi une telle harmonisation n’avait pas déjà été négociée… Sans doute que, face aux tarifs douaniers de Donald Trump, l’UE était pressée de conclure un accord permettant de développer son commerce avec d’autres parties du monde.

En Europe, presque tout le monde semble dénoncer le document américain sur la Stratégie de sécurité nationale. En fait, ce texte représente une synthèse des différents courants de pensée qui circulent dans l’entourage du président américain. Le plus important, c’est que cette stratégie, en dépit de certaines phrases apparemment critiques à l’égard de l’UE, ne s’écarte pas de la doctrine traditionnelle énoncée par Henry Kissinger et d’autres, que les Etats-Unis et l’Europe sont plus forts ensemble que séparés. Ils doivent se rapprocher encore pour faire face à la Chine.

A ne pas manquer, notre numéro 140 en kiosques: Causeur: Il était une foi en France

L’UE vient d’échouer à trouver un accord pour prêter à l’Ukraine les 210 milliards d’euros d’avoirs russes gelés détenus majoritairement par la société Euroclear à Bruxelles. A la place, 24 des Etats-membres vont emprunter 90 milliards d’euros pour ensuite les prêter à l’Ukraine. La Hongrie, la Slovaquie et la République tchèque ont obtenu une exemption pour ne participer au financement de l’effort de guerre ukrainien. Si c’est le Premier ministre belge, Bart De Wever, qui a bloqué cette tentative d’exploiter le capital des avoirs russes (les Européens ont déjà exploité les intérêts de ce capital), Emmanuel Macron, ancien banquier, doit comprendre lui aussi les difficultés qu’une telle expropriation créerait pour le système bancaire.

Qu’est-ce qui se passe en Biélorussie, pays allié de Vladimir Poutine ? Son leader autoritaire, Alexandre Loukachenko, dépend de la Russie pour rester au pouvoir, mais il ressent quand même un besoin de s’afficher comme un dirigeant indépendant. Récemment, il a fait des tentatives pour se rapprocher des Etats-Unis. Pourquoi? Que sait-il au sujet de la machine de guerre de Poutine?


Joyeux Noël et Bonne année !

Entrisme islamiste: la commission a rendu sa copie

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Nos partis politiques sont-ils infiltrés par des ennemis mortels de la République ? Un rapport parlementaire pointe l’ « opportunisme électoral » de l’extrême gauche. « Dans certaines villes, il existe la mise en place d’une forme d’écosystème entriste avec l’infiltration dans les services et les conseils municipaux, le contrôle de certains quartiers, et parfois du périscolaire » a dénoncé le député Xavier Breton (LR) alors que les Français éliront leurs maires en mars.


La commission parlementaire d’enquête sur « les liens existants entre les représentants de mouvements politiques et des organisations et réseaux soutenant l’action terroriste ou propageant l’idéologie islamiste » a élaboré un rapport1 qui a été présenté ce mardi par le président Xavier Breton (LR) et le rapporteur Matthieu Bloch (UDR) lors d’une conférence de presse.

Musulmans et islamistes, ne faites plus l’amalgame

Beaucoup de pages, au vu du document posé sur le pupitre des deux orateurs. Le compte-rendu de vingt-neuf auditions dont le but, tient à préciser le président, n’était nullement de produire du spectacle mais d’écouter, de comprendre, de chercher à établir un constat. Une image à l’appui de ses propos, la commission n’avait vocation à être ni « une cage de MMA, ni une piste de cirque. » Et le même de se lancer aussitôt dans une périlleuse dénonciation d’un éventuel amalgame en miroir qui conduirait à voir dans chaque musulman un islamiste en puissance, et inversement dans tout islamiste un musulman. Il se peut que j’aie mal compris, mais j’avoue humblement que jusqu’à ce jour la notion d’islamiste non musulman m’échappait totalement. Comme quoi, même soporifique, une commission parlementaire peut avoir du bon.

A lire aussi: «DZ Mafia»: une mafia post-coloniale

Cependant, toute ironie mise à part, du bon, il y en a au détour de ce rapport. Des choses sont dites qui le sont clairement. La menace islamiste n’est pas un fantasme, mais une réalité qui nécessite que nous luttions activement contre et que nous nous employions à générer un « sursaut démocratique ». Cela allait sans le dire, ricaneront certains, mais il est clair que cela va mieux toute de même en le disant. Mettre des mots sur le réel est un premier pas digne de considération. Même s’il faut se contenter de devoir attendre les suivants…

Où est passé Laurent Wauquiez ?

Prenant la parole à son tour, M. le député Matthieu Bloch commence quant à lui par exposer les difficultés de mise en place de la commission. Un faux départ, d’abord, dont il impute la responsabilité à son collègue Laurent Wauquiez dont la présentation du projet aurait conduit à ce que le bureau de l’Assemblée le rejette en l’état. Donc perte de temps, et le temps, justement, déplore le rapporteur, a fini par manquer. Ce pourquoi l’audition vedette, l’audition star de la séquence – celle de M. Mélenchon –  a pu, confesse l’orateur, laisser les commentateurs sur leur faim. Il est vrai que, pour ma part, ayant suivi très attentivement l’heure trois-quarts d’audition du Lider Maximo de la France Insoumise, je me suis pris à penser ici ou là qu’il en usait passablement à son aise, voguant de digression en digression, d’effet oratoire en assaut de courtoisie à l’adresse de MM. le président et des membres présents. À ces instants-là, ne manquaient que le thé et les biscuits à la cuiller. Nous eûmes même droit à une sorte de cour magistral sur l’apport du philosophe arabo-andalou Averroès dans la pensée occidentale médiévale. Assez bien rendu, d’ailleurs. Enfin, moins discutable en tout cas que l’hasardeuse comparaison qui allait suivre peu après entre le foulard porté par les fillettes et la circoncision.

Mélenchon, la farce tranquille

Cela pour dire que M. Mélenchon ne se vit guère repoussé dans ses retranchements lors de cette prestation. Il est vrai, que comme cela a été rappelé, le temps était compté et que juste après son tour de chant devait intervenir celui de M. Le Garde des Sceaux. En vedette américaine, d’une certaine manière.

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Bref, la commission a rendu son rapport. Les conclusions sont sans surprises. On va de nouveau beaucoup réfléchir. On va consulter, se réunir, échanger. Avec, entre autres structures, le CNRS et aussi au niveau européen. Réfléchir sur quoi me direz-vous ? Certainement pas sur d’éventuels liens entre la montée de l’islamisme et l’immigration massive, incontrôlée, ce point n’ayant pas été une seule fois évoqué. Faute de temps, probablement là encore. Pourtant on aurait pu l’espérer, puisque d’emblée le président devait nous allécher en affirmant que le but de ce travail parlementaire était « d’éclairer les angles morts » du problème. Passons…

Bien sûr, dans le fonctionnement normal d’une démocratie de telles commissions parlementaires ont leur intérêt, mais l’on ne peut guère s’empêcher de penser à ce qu’en disait en son temps Georges Clémenceau : « Lorsqu’on veut enterrer une prise de décision, on crée une commission », ironisait-il. Mieux encore, dans le même esprit, il s’empressait d’ajouter : « Une commission d’enquête pour être efficace ne doit compter que trois membres dont deux sont absents ».

Voulez-vous que je vous dise le fond de ma pensée ? En vérité, quand on suit avec fidélité les travaux, les séances de l’Assemblée nationale, on en arriverait vite à se demander si ce qui nous manque le plus cruellement aujourd’hui ne serait pas de fins diseurs de la stature du Tigre…

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  1. https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/rapports/cepolisl/l17b2235_rapport-enquete ↩︎

Géoéconomie à hauteur d’homme

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Charles Gave publie Les mondes de demain. Les vingt prochaines années décryptées


Économiste reconnu et figure centrale de l’analyse libérale en France, Charles Gave[1] s’est imposé depuis plusieurs décennies comme l’un des meilleurs spécialistes des marchés financiers internationaux. Fondateur du groupe de recherche Gavekal, il s’appuie sur une masse considérable de données financières, monétaires et macroéconomiques pour décrypter les grandes évolutions du monde contemporain. Sa singularité tient à la combinaison d’une rigueur analytique fondée sur les chiffres et d’une longue expérience des marchés, nourrie par ce que l’on pourrait appeler un véritable « flair » pour les grandes tendances de fond. Ce n’est pas un hasard s’il choisit de s’installer à Londres dès 1981, puis plus tard à Hong Kong et en Chine, afin de se placer au cœur des moteurs de croissance et des centres nerveux de la finance mondiale.

Europe peu innovante et montée en puissance de l’Asie

Dans son ouvrage le plus récent, Les mondes de demain. Les vingt prochaines années décryptées, coécrit avec Pierre de Taillac, Charles Gave propose une lecture prospective ambitieuse des transformations économiques à venir. L’attelage est pertinent. Journaliste économique et essayiste, Pierre de Taillac s’est spécialisé dans l’analyse des marchés financiers et des grandes mutations du capitalisme contemporain. Il est notamment reconnu pour sa capacité à rendre intelligibles des mécanismes financiers complexes et à les inscrire dans une réflexion plus large sur les équilibres économiques, politiques et sociaux.

Loin des exercices spéculatifs ou idéologiques, le livre s’appuie sur les indicateurs concrets que Gavekal produit et analyse depuis des décennies. Il s’agit moins de prédire l’avenir que d’identifier, à partir de séries longues et comparables, les tendances structurelles lourdes qui façonnent déjà l’économie mondiale et continueront de le faire au cours des vingt prochaines années.

A lire aussi: Fièvre bovine, colère humaine

L’un des principaux intérêts de l’ouvrage réside précisément dans l’exploitation de ces données originales, qui constituent le cœur du métier de Charles Gave. Elles offrent une vision comparative des dynamiques économiques à l’œuvre en Asie, en Europe et aux États-Unis, et permettent de mettre en lumière des divergences souvent sous-estimées. À travers graphiques, ratios et séries statistiques, le lecteur est invité à comprendre les mutations profondes liées à l’énergie, à la consommation, à l’endettement public et privé, à la rentabilité du capital ou encore à l’évolution de la productivité. Ces éléments chiffrés ne sont jamais présentés comme des abstractions, mais comme des instruments permettant de saisir les rapports de force économiques réels et les contraintes qui pèsent sur les choix politiques.

L’ouvrage reflète également les grands axes de la pensée de Charles Gave. On y retrouve sa défense constante de l’économie de marché comme système de coordination efficace des décisions individuelles, sa critique de l’intervention excessive des États et des banques centrales, ainsi que sa méfiance envers les modèles européens, jugés trop bureaucratiques, trop normatifs et insuffisamment innovants. À l’inverse, il souligne la montée en puissance de l’Asie, et en particulier de la Chine, qu’il estime, malgré des fragilités internes bien réelles, appelée à jouer un rôle central dans le monde à venir. Ayant vécu de nombreuses années à Hong Kong, Charles Gave a pu observer de l’intérieur les transformations économiques, sociales et industrielles de la Chine depuis les années 1980, ce qui nourrit une analyse à la fois informée et nuancée. Pour lui, le défi chinois constitue l’un des enjeux majeurs des décennies à venir, et la France comme l’Europe doivent dès à présent se préparer à affronter cette concurrence stratégique, économique et technologique.

Les arbitrages de l’épargnant

Enfin, fidèle à sa démarche pédagogique, Charles Gave s’efforce de rendre accessibles des mécanismes économiques souvent complexes, convaincu que la compréhension des faits économiques constitue une condition fondamentale de la liberté individuelle et d’un débat démocratique éclairé. Les mondes de demain s’impose ainsi comme un ouvrage stimulant, à la fois analytique et engagé, qui offre au lecteur des clés pour penser les grandes transformations économiques et géopolitiques contemporaines, tout en lui permettant d’en tirer des conclusions à son propre niveau, celui, très concret, d’un épargnant soucieux de l’avenir de sa famille.

C’est peut-être là que réside l’un des principaux intérêts du livre. Le macroéconomique le plus abstrait y rejoint constamment le microéconomique le plus personnel, afin d’aider chacun à répondre à une question à la fois simple et décisive : que faire de son épargne dans le monde qui vient ? Si cet ouvrage était une chanson, ce serait sans doute ce tube de Jacques Dutronc :

Sept cent millions de Chinois
Et moi, et moi, et moi
Avec ma vie, mon petit chez-moi
Mon mal de tête, mon point au foie

la force du livre est là : relier les masses, les flux et les puissances du monde aux inquiétudes très humaines de l’individu face à l’avenir. Rappeler que derrière les courbes et les rapports de force mondiaux, il y a toujours un individu, ses choix de vie, ses inquiétudes pour ses enfants et sa retraite et des arbitrages très concrets.


Charles Gave, Les mondes de demain. Les vingt prochaines années décryptées Pierre de Taillac Idées en liberté 2025. 200 pages.

Les mondes de demain: Les vingt prochaines années décryptées par Charles Gave

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[1] Charles Gave détient une participation indirecte au capital de Causeur

De Medellín à Sydney

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« Globalize the Intifada » : ce n’est pas Bondi Beach qui a changé le monde, c’est le monde qui a rendu Bondi possible…


De Medellín, où nous nous trouvons avec une grande partie de la famille la plus proche – France, Israël, États-Unis – pour célébrer la joie du mariage de l’un de nos fils, j’avais la ferme intention de ne pas écrire ma chronique hebdomadaire. Je voulais être présent pour ma famille et sortir du prisme de notre actualité afin de découvrir la Colombie, ce grand pays latino-américain qui, dans le grand public, n’évoque en général que le mot « cocaïne ».

Mais l’allumage du premier soir de Hanouka avait lieu ici presque vingt-quatre heures après celui de Sydney. Chacun connaissait les nouvelles, et il ne suffisait pas de rappeler la symbolique de la lumière, le miracle de la fiole et les exploits des Maccabées contre les troupes d’Antiochos, ce roi séleucide qui porte le même nom que la grande province colombienne d’Antioquia, dont Medellín est la capitale.

L’actualité s’imposait massivement

Beaucoup de lecteurs de cette chronique ont suivi le massacre de Bondi avec une plus grande minutie que moi. Beaucoup, comme moi, n’en ont probablement pas été surpris. La haine contre les Juifs est devenue dans le monde une addiction puissante, et c’est peut-être de trafic de drogue qu’on devrait accuser ceux qui, tel Anthony Albanese, le Premier ministre australien, l’ont laissée se développer impunément !

J’ai un souvenir très fort d’un voyage effectué il y a une dizaine d’années, à la demande du Keren Hayessod, auprès de la communauté juive australienne. Il s’agissait de leur expliquer la situation en France et la réémergence violente d’un antisémitisme que certains Juifs australiens, originaires d’Europe centrale, avaient fui après la guerre pour s’éloigner le plus loin possible de ses sources. Ils n’arrivaient pas à comprendre ce qui se passait en France. Les Juifs australiens semblaient incarner la synthèse même d’un judaïsme assumé, d’un sionisme sans équivoque et d’une intégration parfaite dans un pays qui était, sur la scène internationale, l’un des plus fermes soutiens d’Israël.

Le libéral John Howard, le travailliste Kevin Rudd, la travailliste Julia Gillard, le libéral Tony Abbott, le libéral Malcolm Turnbull, le libéral Scott Morrison : ce sont les Premiers ministres australiens de 1996 à 2022. Ils ont tous, de façon variable mais pour certains très explicite, été des alliés en lesquels Israël avait toute confiance. Tous, fait unique dans le monde, ont signé au lendemain du 7 octobre un communiqué appelant à lutter contre l’antisémitisme.

En mai 2022, le parti travailliste a remporté les élections législatives aux dépens de la coalition libérale nationale, avec un programme axé sur le climat et le coût de la vie. Son chef, Anthony Albanese (aucun lien familial avec la sinistre Francesca), appartenant à l’aile gauche du parti, est devenu Premier ministre. Il a immédiatement infléchi l’orientation pro-israélienne de son prédécesseur Scott Morrison et, après octobre 2023, sans manifester lui-même de débordements antisémites à la Corbyn, a favorisé dans son pays ce que la sociologue Eva Illouz a appelé une « haine vertueuse » contre Israël.

Dans ce pays que j’avais trouvé exemplaire quelques années auparavant, les manifestations antisémites ont commencé immédiatement après le 7 octobre, alors que l’armée israélienne n’avait pas encore mis un pied à Gaza. Le 9 octobre 2023, une manifestation à Sydney fait entendre des slogans tels que « Fuck the Jews » et « Globalize the Intifada », devenu le maître mot de la situation actuelle dans le monde.

Ensuite, les actes antisémites explosent : attaques contre des lieux juifs, harcèlements, discours de haine sur les campus. Les Juifs se plaignent de la surdité du gouvernement et d’une protection policière insuffisante. Invitée elle aussi par la communauté juive d’Australie, la journaliste britannique Melanie Phillips, pourtant habituée à Londres aux manifestations contre Israël, est stupéfaite de rencontrer une communauté vivant en état de siège.

Y a-t-il chez les jeunes Australiens — car, comme partout, l’élément générationnel est prédominant — un ethos particulier qui facilite cette dérive ? Peut-être. Dans ce pays immense, sans voisins hostiles, éloigné géographiquement des conflits du monde, l’histoire et ses leçons ne sont pas aussi présentes que la nature omniprésente. Anthony Albanese et le parti travailliste sont arrivés au pouvoir en 2022 à la suite des « élections du climat », où la mauvaise gestion des incendies massifs par le gouvernement de Scott Morrison (un grand ami d’Israël) a joué un rôle central.

Les clones de Greta Thunberg abondent en Australie, et on ne peut que se demander pourquoi l’alliance entre les objectifs sociaux des travaillistes et les objectifs climatiques des écologistes produit presque immanquablement en Occident une profonde détestation d’Israël. Comme si, dans le combat pour la nature, l’incarnation de l’ennemi par des firmes internationales n’était pas assez mobilisatrice et qu’il faille se fabriquer un épouvantail plus prestigieux. Au bourreau fantasmé fait face la victime sacralisée. Les Juifs sont là pour endosser le premier rôle, qu’ils connaissent de longue date, cette fois-ci sous l’avatar sioniste, qui ne supprime d’ailleurs pas les précédents déguisements. Les Palestiniens jouent le second rôle, soutenus par une propagande distillée, entre autres, par les canaux qataris — l’État le moins écologique de la planète. Il y a de plus en Australie, dans la défense des Palestiniens, comme une façon de se dédouaner d’une mauvaise conscience à propos des peuples aborigènes.

Leçon australienne

Mais la vraie leçon australienne est qu’il suffit d’un changement de majorité, d’une inflexion politique provoquée par des événements n’ayant rien à voir avec la situation en Israël, pour que s’ouvre la boîte de Pandore et saute le verrou qui maintenait l’antisémitisme à distance…

L’indolence — pour ne pas dire plus — de M. Albanese à l’égard de la flambée antisémite qui parcourt son pays depuis plus de deux ans est un fait indiscutable, et il porte une très lourde responsabilité dans le déclenchement de cette haine. La reconnaissance de la Palestine par le gouvernement australien est-elle pour autant le déclencheur de la tuerie de Bondi ? Évidemment non, quoi qu’en dise Benjamin Netanyahou pour des raisons purement politiques. Messieurs Akram, père et fils, se moquaient de cette reconnaissance. Ils ont tiré dans une foule parce qu’ils savaient qu’ils y tueraient beaucoup de Juifs.

Les nouveaux nazis de l’islamisme radical, qui ont assassiné entre autres Alex Kleytman, un homme de 87 ans ayant survécu à la Shoah en Pologne — glaçant symbole de l’évolution du monde —, se souciaient moins des gesticulations politiciennes que des carences sécuritaires, indiscutables, dont M. Albanese est in fine le responsable ultime.

Ce qui m’a frappé, et qu’Yves Mamou a parfaitement analysé, c’est que l’origine islamiste du massacre de Juifs a été tue aussi longtemps que possible par de nombreux organes de presse (toujours les mêmes…). On a su très vite que l’homme d’un immense courage qui a désarmé l’un des tueurs était musulman. Il avait devant lui le spectacle de la commémoration et savait forcément que les cibles étaient des Juifs. Nous lui devons une immense reconnaissance. Je suis heureux que cet homme soit musulman, car c’est un signe d’espoir pour notre commune humanité.

Mais si les tueurs s’étaient échappés, j’imagine la marée de commentaires qui auraient présenté le massacre comme l’œuvre de nazis, contre lesquels un musulman se serait levé pour sauver des Juifs. On a appris plus tard que parmi les victimes se trouvaient aussi Boris et Sofia Gourman, un couple héroïque de Juifs d’origine russe qui, malgré un âge dépassant la soixantaine, ont tenté de désarmer un terroriste et furent abattus par lui.

DR.

Ce que cet épisode tragique nous confirme — ceux qui ont réfléchi aux Justes parmi les Nations le savent —, c’est qu’il faut toujours dire « des » et jamais « les » en parlant des hommes. Il n’en est pas de même pour les idées. Certaines peuvent être critiquées, mais le nazisme et l’islamisme radical ne relèvent pas du débat d’interprétation et doivent être combattus par tous les moyens. Mettre le sionisme, mouvement de libération nationale des Juifs, dans la même catégorie relève d’une manipulation machiavélique ou d’une ignorance abyssale.

Des vidéos confirment que Naveed Akram, le terroriste survivant, présenté comme un jeune homme discret et timide, fuyant la politique, était en réalité un militant islamiste actif. J’ignore s’il était, avec son père, manipulé par une puissance étrangère ou s’ils ont décidé eux-mêmes de tuer des Juifs pour aller plus vite au paradis, ou pour donner l’exemple en vue de massacres généralisés.

Grande fut la tentation d’attribuer de tels actes à des « loups solitaires » dont il devenait tentant de dire qu’ils n’avaient « rien à voir avec l’islam ». Ce type d’analyse, qui paraît aujourd’hui un peu daté, a encore été mobilisé pour les derniers assassinats islamistes en France. Les liens entre les assassins de Bondi et Daech ont été dénoncés par les autorités australiennes elles-mêmes, une façon aussi de restreindre la réprobation à une entité unanimement considérée en Occident comme un ennemi à abattre, et peut-être de dérouler le tapis, par contraste, sous des mouvements aux conséquences analogues mais à la férocité idéologique moins explicite, tels les Frères musulmans dans toutes leurs variantes. Quant à l’intervention d’États eux-mêmes, on a déjà oublié que l’Iran est un grand responsable d’attentats, dont certains furent particulièrement sanglants.

Pas optimiste

Ce massacre ouvrira-t-il les yeux sur la dangerosité du terrorisme islamique et sur la nécessité de le combattre sans réserve ? Les exemples passés n’incitent pas à l’optimisme. Au-delà des paroles martiales, l’histoire des cinquante dernières années est remplie de compromissions et de lâchetés, dont la première fut peut-être la mise à l’abri d’Abou Daoud, le planificateur des attentats de Munich, que la France de Giscard refusa d’extrader vers l’Allemagne en 1977.

Il est vraisemblable que la tuerie de Bondi engendrera chez nos concitoyens un sentiment d’écœurement. Certains tenteront de le dissoudre dans une réprobation généralisée, naïve ou complaisante, de tous les actes « racistes ». D’autres, plus rares, le glorifieront de façon plus ou moins codée, ou en attribueront la responsabilité aux « sionistes » eux-mêmes. Nous connaissons tout cela depuis les attentats du 11-Septembre, et un nouveau Thierry Meyssan est peut-être déjà en train d’écrire le livre qui en fera l’idole de ceux qui ne « s’en laissent pas compter ».

Mais le risque essentiel est peut-être ailleurs. Lorsqu’une organisation ou un État est à l’œuvre dans des attentats de cette nature, son objectif principal est de faire peur à l’ensemble de la population. Or si la peur est parfois mauvaise conseillère lorsqu’elle entraîne des réactions extrêmes, elle l’est souvent de façon plus insidieuse lorsqu’elle conduit au silence, qui peut devenir une forme de collusion.

Lorsque, à Medellín, j’ai visité le mémorial aux victimes de la Violencia, cette période de vingt ans qui fit de cette ville la plus dangereuse du monde jusqu’à la mort de Pablo Escobar en 1993, j’ai été effaré par le nombre et la variété des lieux d’attentats. Pourquoi faire exploser, de façon apparemment aveugle, des pharmacies, des écoles ou des clubs de sport ? Parce que les gangs savaient que, lorsqu’une personne avait publiquement émis des critiques contre eux, même au cours d’une conversation banale, il fallait frapper de manière diffuse les lieux publics fréquentés par cette personne ou sa famille.

Le but n’était pas de punir, mais de prévenir. Il s’agissait de désigner la personne critique comme responsable, en fin de compte, de l’attentat frappant d’autres personnes qui « n’y étaient pour rien ». Raymond Barre avait parlé de « Français innocents ». Ce fut sans doute un lapsus, mais un lapsus lourd de sens.

C’est là le sens profond de l’expression « généraliser l’Intifada ». Aucun Juif n’est innocent puisqu’il est supposé soutenir Israël. Et bientôt, chaque non-Juif prenant la défense des Juifs sera à son tour présumé coupable et, au mieux, mis à l’index. Le mécanisme a été appliqué dans bien des pays, et pas seulement contre les Juifs. Les régimes totalitaires en ont fait un outil de répression aussi invisible qu’efficace, qui a conduit des familles à se désagréger par peur d’être considérées comme complices. Nous voyons peut-être aujourd’hui, chez nous, les linéaments de cette stratégie dans la hantise de certains de ne pas être perçus comme trop proches des sionistes réprouvés.

Francia Nostra

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Un mois après l’assassinat du frère du militant Amine Kessaci, le président Macron s’est une nouvelle fois rendu à Marseille pour déclarer la guerre au narcotrafic en début de semaine


Le 29 octobre dernier au Brésil, à Rio, la police a mené l’opération la plus meurtrière de son histoire contre un cartel. 132 morts, des explosions, des corps mutilés et un bilan tel que l’ONU a demandé une enquête[1]. Voilà ce qui arrive dans un pays qui a laissé prospérer des gangs devenus si puissants qu’ils rançonnent l’eau, l’électricité et octroient des droits de passage arbitraires. En 2025, près de 5 millions de Brésiliens vivent sous la coupe des criminels contre lesquels l’État mène des actions de guerre.

La France prend aussi ce chemin. Depuis 2020, c’est une déferlante des narcotrafiquants et des mafieux qui inondent la France de drogues, d’armes, amassent des fortunes[2] et règlent leurs comptes à coup d’assassinats et de « guerre des gangs » à ciel ouvert. À tel point que les autorités qualifient le phénomène de « narcoterrorisme. »

A lire aussi, Charles Rojzman: La drogue, poésie noire de notre renoncement

Marseille, Toulouse, Grenoble, l’Île-de-France, toute la France est aux prises avec le narcotrafic qui ferait « travailler » 200 000 personnes, majoritairement des jeunes hommes fascinés par l’argent facile, la violence et les films de gangsters américains.

Devenir une marque pour gagner en crédibilité

Contrairement aux « sociétés du silence »[3] qui prospèrent par une discrétion absolue, les nouveaux acteurs du narcotrafic deviennent visibles et jouent le jeu de la communication : DZ Mafia, Black Manjak Family, Yoda … Ces noms sont devenus des marques grâce à leur utilisation des réseaux sociaux pour recruter et faire de la communication. Le plus puissant, victorieux de la « guerre des gangs » en 2023 (49 morts) est la DZ Mafia, qui dirige l’ensemble des trafics du sud de la France et a des ramifications en Espagne, au Maroc, en Italie et en Hollande. Il est surveillé et poursuivi par les autorités qui redoutent un scénario mexicain où son pouvoir serait tel qu’il concurrencerait celui de l’État. D’ailleurs, pourquoi cette mafia réfrénerait ses ambitions ? On n’a jamais vu une organisation criminelle reculer d’elle-même. Il a fallu la vaincre, comme en témoigne la chute de Cosa Nostra et de son capo dei capi, Toto Riina.

Amine Kessaci, au centre, et sa mère assistent à un rassemblement en hommage à son frère Mehdi Kessaci, au rond-point où il a été assassiné, et pour protester contre le trafic de drogue, à Marseille, 22 novembre 2025 © Philippe Magoni/AP/SIPA

Rap et administration

Les narcos ont décidé de diversifier leurs activités en faisant irruption dans le rap français[4].  Le succès financier et le pouvoir des rappeurs en ont fait des cibles de choix pour les mafieux, menant à des extorsions, du chantage et des assassinats ciblés. Le milieu de la musique est devenu la proie de « narcoproducteurs » qui, grâce au silence des maisons de disques, étendent le business des mafias. En revanche, les rappeurs ciblés vivent comme des fugitifs, tandis que les producteurs rechignent à dénicher des talents de peur d’être aux prises avec les gangs.

Enfin, les cas de corruption dans l’administration existent et risquent de se multiplier à mesure que les cartels seront plus riches, plus armés et plus effrayants. En 2023, l’Agence Française Anti-Corruption indiquait que les gendarmes et les policiers avaient enregistré 934 infractions d’atteinte à la probité dont 6% liés au trafic de stupéfiants (greffiers, douaniers). Cela augmente la probabilité de voir des magistrats et des politiques menacés si puissamment qu’ils n’auront d’autres choix que de céder à la mafia. Ce risque est l’un des plus dangereux car c’est l’État qui vacillerait. En somme, c’est l’Italie de la Cosa Nostra.

Que faire ?

Si les mafias progressent en France, c’est parce que l’État ne cesse de reculer sur tous les plans. La faute est générale et concerne aussi bien les consommateurs qui financent ce système, que les élus politiques qui n’ont pas assez fait pour enrayer ce fléau. Les opérations « places nettes » ou « zéro téléphone » en prison, bien que très médiatisées, sont insuffisantes et ne résolvent rien. La politique a ses défauts, notamment ceux de l’immédiateté et des impératifs de communication. Les opérations anti-drogue coûtent chères et prennent du temps avant que l’on en voie les résultats, ce qui va à l’encontre des stratégies de communication des élus qui doivent avoir des résultats rapides à présenter aux citoyens pour les rassurer et s’assurer de leur vote pour une potentielle réélection.

A lire aussi, David Duquesne: «DZ Mafia»: une mafia post-coloniale

La France et ses responsables doivent avoir le courage de prendre ce problème de front et ne doivent plus tergiverser. Il faut mener une lutte anti-mafia nationale, ambitieuse et suffisamment financée pour l’être. Il faut qu’elle soit soutenue par tous les élus et les partis politiques. Au-delà des calculs électoraux, c’est un combat national où aucun acteur ne peut rester neutre car, telle la pieuvre, la mafia étend son emprise et son pouvoir chaque jour qui passe. Si nous ne nous prenons pas les décisions qui s’imposent, le risque est que certains pans du territoire français tombent aux mains des cartels. La fiction d’une « Francia Nostra » [5] n’est pas si loin.

L'Empire: Enquête au coeur du RAP français

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Les sociétés du silence: L'invisibilité du crime organisé

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[1] A ce sujet, on peut relire le papier de Driss Ghali : https://www.causeur.fr/rio-les-faubourgs-du-desordre-favelas-comando-vermelho-morts-28-octobre-318167

[2] Entre 3 et 7 milliards d’euros d’après l’OFAST, voir note ici : https://www.ofdt.fr/sites/ofdt/files/2025-01/note-bilan-offre-stups-2023_0.pdf

[3] Voir livre de Jean-François Gayraud, Les sociétés du silence, chez Fayard

[4] Voir le livre de Joan Tilouine, Paul Deutschmann et Simon Piel, L’Empire, chez Flammarion

[5] « Notre France », en référence au nom de l’organisation mafieuse sicilienne « Costa Nostra » (notre chose).

Menu de Noël à 10 euros pour néo-prolo

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Pardon de parler de moi… Mais cela peut éclairer l’angle de notre discussion.

J’appartiens à une génération (celle de 1968) qui a grandi dans les années 1970-1980. À l’époque, la classe moyenne française vivait bien, modestement, mais bien. Mes parents avaient une Renault 16, puis une Renault 21. On avait une maison à la campagne. Habitant près de Grenoble, on allait faire du ski l’hiver, c’était quasiment gratuit, à Chamrousse ou à Autrans. On avait une chaîne hi-fi achetée à la Fnac. Deux teckels et un chat. A Noël, le sapin sentait bon la forêt (les sapins ne sentent plus rien). Il y avait des portraits d’écrivains sur les billets de banque. Les grands films français en noir et blanc passaient à la télé à 20h30. La France avait encore une industrie et une agriculture, une armée, les élèves avaient peur des profs (et pas le contraire), les grands cuisiniers français faisaient la une de Paris Match, l’équipe de France de foot ne gagnait rien mais Rocheteau, Marius Trésor et Platini avaient des têtes sympathiques. Bref, par rapport à aujourd’hui, c’était plutôt chouette…

Tous les matins, en buvant mon café d’Ethiopie fraîchement moulu, j’écoute Radio Classique. J’en suis venu à me demander si cette radio n’était pas subventionnée par les médicaments Prozac, tant le tableau donné de notre pays est cataclysmique. J’ai ainsi appris, la semaine dernière, que les assureurs internationaux notaient la France au même niveau que le Nigéria et l’Afrique du Sud pour le risque d’émeutes… Tous les matins, donc, David Abiker enfonce un peu plus le clou. Comment a-t-on fait pour en arriver-là ? Trahison des élites ?

En plus, comme beaucoup de mes compatriotes et confrères journaleux, je n’ai plus un radis en poche pour fêter Noël, et ça, c’est vraiment grave, vu ma passion maladive pour la nourriture.

Heureusement, comme disait le slogan de 1974 : « en France, on n’a pas de pétrole mais on a des idées ! ».

Angoissé, j’ai donc pris mon téléphone et appelé mon ami cuisinier Michel Husser, célèbre chef alsacien étoilé de l’auberge du Cerf, à Marlenheim, près de Strasbourg, surnommé « le Robert Redford de la choucroute » :

« Allô Michel ? Dis-moi, est-ce que tu serais capable d’imaginer un menu de Noël pour les néo-prolo qui lisent Causeur ? Oui, ils sont de plus en plus nombreux, hélas. Un menu à 10 euros par personne, quoi, à faire à la maison, en famille, tranquille, mais délicieux et festif, pour oublier l’horreur du temps présent ? Pas de doubitchou roulé sous les aisselles de monsieur Preskovic ! Ni de saumon fumé d’élevage de Norvège bourré de cochonneries. Un menu facile élaboré à partir de produits simples. »

« No problemo » fut sa réponse, comme disait Homer Simpson.

Le menu de Noël que nous vous proposons ici a donc été inventé en Alsace, rien que pour vous : du sur-mesure ! Pour les vins, Michel Husser m’a conseillé un vigneron de son village de Marlenheim, le domaine Fritsch, qui est en bio et qui produit d’admirables Riesling à un peu moins de 10 euros la bouteille… À défaut, je vous conseille juste de vous rendre chez un bon caviste de quartier (non dans une grande surface) : le caviste est un « libraire du vin », un médiateur passionné capable de vous dénicher une bonne bouteille à petit prix ! Faites-lui confiance.

Permettez-moi aussi de vous dire un mot sur les Husser. Leur majestueuse auberge campagnarde (bâtie en 1739 !) avait été autrefois un relais de diligence sur la route Paris-Strasbourg. Quand les grands-parents de Michel l’a reprennent, en 1930, ils commencent par y proposer leurs spécialités alsaciennes, et notamment leur fameux presskopf (fabriqué avec des têtes et des langues de porc) qu’ils servent sur une tranche de jambon salé et fumé maison avec des radis, des cornichons et des tomates du jardin potager, une livre de beurre baraté par le fermier du coin, une miche de pain paysan cuit au feu de bois, le tout accompagné d’une carafe de vin rosé du village, bien frais, aux notes de fraises des bois ! Le paradis. La tarte aux prunes et la charlotte au kirsch et gelée de groseilles deviennent vite réputées dans tout le département ! Jacques Chirac aimait tellement cette adresse qu’il y invitera à déjeuner le chancelier Schroeder. Protestant de naissance, Michel Husser a été élevé chez les Franciscains catholiques avant de faire l’armée dans la marine : discipline, rigueur ! Au début des années 1980, il part cuisiner à Paris auprès du grand chef Alain Senderens, spécialiste mondial des accords mets-vins : une révélation ! En rentrant chez lui, en Alsace, il décide alors d’injecter au Cerf une dose de créativité, d’où les deux étoiles Michelin qui vont lui tomber dessus au fil des ans. Il remporte aussi l’équivalent du concours « Masterchef » au Japon ce qui lui vaut d’être photographié dans Playboy entre deux donzelles seins nus… (jeune, Michel ressemblait un peu à Kevin Costner, en plus baraqué). La photo, hélas, a été planquée quelque part.

Michel Husser est aussi un pédagogue qui a formé de nombreux jeunes chefs, dont Kei, le seul Japonais à avoir trois étoiles Michelin à Paris aujourd’hui.

Avec le temps, il s’est lassé de la cuisine gastronomique pleine de chichis et est revenu aux sources de son terroir en proposant deux plats de légende indémodables qui figurent depuis trente ans à sa carte : la choucroute « fil d’or » au riesling, aux épices, au boudin noir et au foie gras, et la bouchée à la reine au ris de veau et aux morilles ! Rien que pour elles, vous devez aller à Marlenheim (on peut passer la nuit au Cerf), car il n’y a l’équivalent nulle part ailleurs…

Aujourd’hui, Michel est en train de passer le relai à son fils Lucas, 29 ans : « il est encore plus doué que moi ! » Voir le père et le fils cuisinier ensemble à quatre mains est un sacré spectacle… L’auberge reste dans le giron familial.

Restautant Le Cerf, 30 rue du Général-de-Gaulle, Marlenheim, 67520, France

Voici donc le menu de Noël tant attendu, pas cher, facile à réaliser !


Entrée 

Tartare de daurade mariné au raifort.

Plat 

Fameuse bouchée à la reine du Cerf (vous pouvez remplacer le ris de veau par de la volaille, moins coûteuse, et mettre un autre champignon à la place de la morille).

Dessert 

Tarte feuilletée aux clémentines de Corse


Tartare de daurade, mariné façon maatjes, fleurette au raifort

Ingrédients pour 4 personnes

Filet de daurade sans peau et sans arêtes300g
Vinaigre de Chardonnay2cl
Huile d’olive1cl
Saké1cl
Cressonnette100g
Petites pommes de terre cuites en robe des champs3
Cébettes ciselées50g
Cornichons aigre-doux en brunoise80g
Pomme granny smith en brunoise80g
Persil, ciboulette, cerfeuil haché20g
Raifort15g
Citron pressé1/2
Crème fleurette2dl
Pomme granny smith1
  • Mélanger la crème avec le jus de citron et le raifort, saler.
  • Mélanger les cébettes, cornichons, pommes granny smith et les herbes avec un peu de crème au raifort.
  • Couper les pommes de terre en rondelles, les tenir au chaud avec le reste de la crème.
  • Couper la daurade en petits cubes, l’assaisonner de sel, poivre, huile d’olive, vinaigre de Chardonnay, saké.
  • Garnir le pourtour des assiettes avec la cressonnette, puis le milieu de l’assiette avec les pommes de terre tièdes.
  • A l’aide de cercle, dresser la garniture à la crème sur les pommes de terre, puis le tartare de daurade.
  • Décorer le dessus du tartare avec de la cressonnette et une julienne de pomme granny smith.

Poisson de substitution : Truite saumonée, saumon, bar

Vin d’accompagnement : Sylvaner Vieilles Vignes Anne-Marie Schmitt Bergbieten

Les fameuses « bouchées à la reine » du Cerf

Ingrédients pour 6 personnes

Volaille fermière1
Ris de veau250g
Collet de veau500g
Pied de veau1
Bouillon de volaille2l
Riesling0,5l
Croûte en feuilletage au beurre6
Légumes aromatiques : 
Gros oignon2
Carotte4
Poireau2
Céleri150g
Thym, 1 feuille de laurier, coriandre, 1 clou de girofle 
Tête d’ail1
Garniture et sauce : 
Champignons de Paris300g
Crème fleurette0,6l
Farine50g
Beurre50g
Citron1/2
Persil, ciboulette 
Cerfeuil 
Quenelles de volaille : 
Crème fleurette200g
Blanc d’oeuf1
Sel, poivre, muscade 
  • Séparer les blancs de volaille et les cuisses de la carcasse.
  • Après avoir fait dégorger les pieds de veau, les ris de veau, les blanchir à l’eau bouillante. Éplucher les ris de veau.
  • Cuire à feu doux le collet de veau, les cuisses et la carcasse de volaille, les ris et le pied de veau dans le bouillon avec les légumes, les épices et aromates et le vin.
  • Repêcher tous les ingrédients au fur et à mesure de leur cuisson, d’abord les ris de veau, puis les cuisses de volaille et les légumes et enfin le pied et collet de veau. Laisser réduire le bouillon des 2/3.
  • Couper les viandes et les légumes en cube de 2 cm.

Les quenelles de volaille

  • Hacher la chair des blancs de volaille très finement et la mettre au congélateur. Réduire la chair congelée en purée au cutter puis ajouter la crème et le blanc d’œuf. Assaisonner avec sel, poivre et muscade.
  • Nettoyer les champignons, les faire sauter au beurre avec un peu d’échalote, ajouter du bouillon. Cuire et récupérer le bouillon.
  • Faire un roux avec la farine et le beurre. Ajouter le bouillon de champignons, une partie du bouillon de cuisson et la crème. Laisser cuire pendant 20 mn pour faire épaissir. Fouetter énergiquement la sauce avec un mixer plongeant ou un fouet) pour la rendre onctueuse puis ajouter le demi jus de citron. Rajouter la viande, les quenelles et les légumes et garnir les vol-au-vent, puis parsemer des fines herbes hachées.

Astuces

  • Cuire les ingrédients à feu très doux (85 à 90°) pour que la viande ne dessèche pas.
  • On peut utiliser toute sorte de champignons sauvages (morilles, girolles, rosés des prés) en place des champignons de Paris, qui donneront un goût exquis à la sauce.
  • Ne pas oublier de réchauffer les vol-au-vent avant de les garnir.
  • Servir avec des pâtes fraîches ou spaetzles.

Vin conseillé : Pinot gris Grand Cru Steinklotz Serge Fend Marlenheim 2010

Tarte feuilletée aux clémentines de Corse

Ingrédients

1 abaisse de pâte feuilletée au beurre (environ 300g) = vous en trouvez des déjà faites au supermarché, par exemple celles de Marie.
1 kg de clémentines de Corse
50 g de sucre roux 
50g de poudre d’amande 
50 g de couscous (moyen)
50g de beurre 
50g de sucre glace 

Préparation

  • Disposer la pâte feuilletée dans un moule à tarte sans bord 
  • Piquer la pâte à l’aide d’une fourchette 
  • Couvrir la pâte avec du papier sulfurisé et des billes et précuite cette pâte à 180 degrés pendant 20 minutes 
  • Pendant ce temps, coupez les clémentines en fines lamelles
  • Mélanger le sucre roux, le couscous et la poudre d’amande
  • Étaler ce mélange sur la pâte précuite 
  • Disposer les lamelles de clémentine en rond en partant du rebord de la tarte vers le centre en les chevauchant 
  • Faire fondre le beurre, ajoutez le sucre glace et en badigeonner les clémentines à l’aide d’un pinceau 
  • Cuire la tarte à 180 degrés pendant 20 minutes (chaleur tournante).
  • À la sortie du four pulvériser la tarte avec un peu de sucre glace pour la faire briller 

Servir tiède avec une glace vanille ou un sorbet mangue ou ananas. 

MMMh !…

Que Gérald Darmanin nous aide à le soutenir…

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Après une visite en prison très commentée de l’ancien président Nicolas Sarkozy, des syndicats de magistrats se sont déclarés hier « consternés » par le soutien exprimé par le garde des Sceaux à Damien Castelain, président de la métropole lilloise condamné mardi à 18 mois de prison avec sursis, 20 000 euros d’amende et deux ans d’inéligibilité avec exécution provisoire pour « abus de confiance et recel » et « détournement de fonds publics ».


Mon premier mouvement a toujours été de soutenir le garde des Sceaux dans ses interventions périphériques, sans qu’elles soient jamais totalement détachées de sa prestigieuse fonction de ministre de la Justice. Je ne pouvais, en effet, m’empêcher d’estimer cette personnalité qui entendait demeurer libre et refusait, même dans son expression publique, de sacrifier ses amitiés ou son estime.

Récidive

Il l’a fait pour Nicolas Sarkozy, en tentant tant bien que mal de rattacher sa sollicitude à l’égard de l’ancien président à son obligation de vérifier, pour sa sauvegarde, les conditions de son incarcération. Il a été très critiqué par les syndicats de magistrats, mais, en définitive, on n’a pas considéré que la manière dont ce soutien avait été formulé portait atteinte à l’équité de l’appel à venir au début de l’année 2026.

Mais, à l’évidence, le ministre est un homme entêté dans ses résolutions, pour le meilleur en ce qui concerne la politique qu’il mène et qu’il projette, sur un mode plus ambigu s’agissant de la persistance de ses fidélités amicales et politiques malgré l’énoncé d’une condamnation.

A lire aussi, Gilles-William Goldnadel: Dénigrez-moi!

En effet, le ministre a assuré de son « soutien » un élu du Nord condamné par la cour d’appel de Douai à dix-huit mois de prison avec sursis et à deux ans d’inéligibilité pour détournement de fonds.

Deux syndicats de magistrats se sont indignés, jeudi 18 décembre, des propos de Gérald Darmanin. Celui-ci a précisé sur X que, « sans commenter d’aucune manière une décision de justice », il avait « une pensée plus qu’amicale pour Damien Castelain, qui est un grand président de la Métropole de Lille et un maire passionné de Péronne-en-Mélantois (…), dans un moment difficile ».

Même si Gérald Darmanin délimite clairement son champ d’expression en affirmant qu’il ne relève pas du commentaire d’une décision de justice, l’USM a considéré comme « problématique » toute expression publique de soutien à un justiciable condamné.

Ligne de crête

Pour le moins, il s’agit d’une attitude quelque peu schizophrénique du garde des Sceaux, qui choisit de rester sur une ligne de crête, conciliant les exigences de sa fonction et ses fidélités politiques et personnelles.

On notera qu’il ne s’agit pas de la démarche qui avait été reprochée à François Bayrou, lequel ne parvenait pas à comprendre que le citoyen ne pouvait pas, sur des sujets judiciaires, prendre sans difficulté la relève du garde des Sceaux.

Gérald Darmanin s’efforce de faire d’une pierre ministérielle deux coups, si j’ose dire. Il me semble que cette intervention, qui introduit un peu de liberté dans le carcan ministériel, n’a rien de gravissime.

Elle me paraît plus préjudiciable à la multitude de ceux qui soutiennent l’émergence et la pratique intelligente, très active, enfin, d’un authentique et remarquable ministre de la Justice. Non pas parce qu’il a succédé, place Vendôme, à une personnalité qui validait le contraire de ce que l’avocat plaidait – cela ne concerne que le seul Éric Dupond-Moretti – et qui n’était pas loin de faire passer pour une politique pénale ses éructations constantes, notamment parlementaires, contre le Rassemblement national.

Je demande respectueusement à Gérald Darmanin de songer, dans son expression publique, aux citoyens qui sont enfin heureux – comme hier avec Bruno Retailleau – de voir le régalien pris en charge par des responsables dignes de ce nom, qui honorent et ont honoré leur fonction sans se contenter d’être honorés par elle.

Il faut que le ministre Darmanin ne rende pas trop difficile le soutien qui lui est apporté, ni l’admiration qu’il peut susciter au sein d’un gouvernement imparfait, par son inlassable et novatrice volonté de changement, et par son action effective. Si j’osais, j’irais jusqu’à lui demander de ne pas me contraindre, lorsque j’écris des billets pour le défendre ou l’approuver, à des exercices de plus en plus éprouvants.

L’homme qui dort

Le sommeil a toujours inspiré les artistes. Et en réunissant des œuvres de l’Antiquité à nos jours, «L’Empire du sommeil», au musée Marmottan Monet, brosse le portrait psychologique de l’humanité occidentale : ses amours, ses textes saints, sa mythologie, ses désirs érotiques, ses ivresses et ses paradis artificiels.


Qu’il soit doux et « réparateur », profond, agité, peuplé de rêves ou de cauchemars, qu’il occupe une nuit noire ou un après-midi ensoleillé, le sommeil demeure une absence mystérieuse. Tout le monde dort, même les insomniaques. Nous passerions un tiers de notre vie à dormir. Et cet état d’abandon physique et intellectuel « frère de la mort » (Théophile Gautier) a toujours nourri la création artistique. Depuis des millénaires, musiciens, dramaturges, poètes, romanciers, sculpteurs et peintres ont représenté ce temps suspendu – qui n’est pas forcément de tout repos – avec une fascination teintée de crainte irrationnelle. Puis la médecine s’est penchée sur ce curieux moment de notre existence. Il lui reste beaucoup de choses à découvrir mais elle dévoile petit à petit l’activité perpétuelle du cerveau humain. Ce champ d’études infini a été exploré par la psychanalyse dès ses débuts, Freud estimant que « l’interprétation des rêves est la voie royale qui mène à la connaissance de l’inconscient de la vie psychique ». Le Viennois a également formulé un constat que nous pouvons tous partager : « La pensée des rêves est presque toute faite d’images. » Pourtant, aucune exposition n’avait été consacrée aux représentations du sommeil ; jusqu’à ce que le musée Marmottan Monet ouvre ses portes à Laura Bossi.

Cette neurologue et historienne des sciences s’est illustrée par les ponts qu’elle tend entre les disciplines, par sa façon peu commune d’associer histoire de l’art, histoire des idées et histoire des sciences. « Les Origines du monde. L’invention de la Nature au xixe siècle », au musée d’Orsay en 2020, en était une remarquable synthèse. On trouvait déjà cette patte à travers ses collaborations avec son époux Jean Clair qui ont fait date, « Mélancolie » (Grand Palais, 2005), « Crime et châtiment » (Orsay, 2010), « Sigmund Freud. Du regard à l’écoute » (MAHJ, 2018)… Avec « L’Empire du sommeil », elle brosse le portrait psychologique de l’humanité occidentale, ses amours, ses textes saints, sa mythologie, ses désirs érotiques, ses ivresses et ses paradis artificiels. Tout au long des huit salles du musée se côtoient dans un accrochage très « xixe » tableaux et gravures, photographies et dessins, sculptures et enluminures, soit cent trente-sept œuvres venues du monde entier et de tous les temps, de l’Antiquité à nos jours.

Laura Bossi. Photo : Hannah Assouline

Tendre regard

« Quasiment tous les artistes ont peint ou dessiné leurs proches endormis, nous dit Laura Bossi. Pendant la sieste, ce sommeil diurne particulièrement doux, ils ont portraituré leurs épouses, leurs maîtresses, leurs enfants ou leurs animaux domestiques. » Claude Monet peint son fils Jean au berceau (1868), les yeux clos, il serre une poupée aux joues roses comme les siennes. Mais le sommeil peut s’emparer de nous n’importe où. John Everett Millais immortalise une fillette richement vêtue qui s’est assoupie assise à l’église. Ses mains sont dissimulées dans un manchon de fourrure et ses petites jambes tendues d’un collant rouge ne touchent pas le sol. S’est-elle endormie d’ennui ? La toile s’intitule Mon deuxième sermon (1864).

À l’inverse, Un martyr. Le Marchand de violettes (1885) de Fernand Pelez représente un garçon bouleversant, a-t-il 10 ans, affalé à même le trottoir. Le malheureux aux pieds nus est tombé d’épuisement contre une porte cochère. Il dort la bouche ouverte, on découvre sa peau diaphane à travers ses haillons, ses mains délicates aux ongles noirs reposent parmi ses petits bouquets.

Une photo prise en 1905 nous montre Pierre Bonnard et le prince Antoine Bibesco piquant du nez, côte à côte sur une banquette de train, un livre ouvert sur les genoux. Quant à David Hockney, il a consacré une série de gravures à son chien en boule dans son panier (ici la No. 8, 1998). Les nombreux traits à la pointe sèche traduiraient presque les ronflements de l’animal. « Tous les animaux dorment, nous apprend Laura Bossi. Ceux qui nous sont les plus proches, les mammifères ou les oiseaux, mais aussi les serpents, les poissons, les araignées, les vers de terre… même les méduses ! »

La Somnambule, Maximilian Pirner, 1878. National Gallery Prague

C’était écrit

On dort aussi abondamment dans la Bible. Jacques Le Goff a recensé quarante-trois rêves dans l’Ancien Testament et neuf dans les Évangiles[1]. Dans la Genèse, le sommeil est lié à la symbolique des origines : Adam est endormi lors de la création d’Ève (superbe enluminure d’une Bible latine, xiie-xiiie siècles) ; Noé s’endort après avoir trop bu (la remarquable toile de Bellini, peinte vers 1515, montre ses fils tentant de cacher sa nudité avec un drap – rose et non blanc comme un linceul, car Noé dort, il n’est pas mort) ; et Job souffre d’insomnies (la gravure de William Blake, Rêves terrifiants de Job, 1825, en témoigne par une vision infernale).

Avec la promesse de résurrection du christianisme, le sommeil n’est plus apparenté à la mort. Au contraire, la mort est considérée comme un sommeil dont on sera réveillé. Le terme « dormition », du latin dormitio (sommeil), est d’ailleurs employé pour qualifier la mort des saints et surtout celle de la Vierge Marie. La Dormition de la Vierge est un état transitoire qui se caractérise par l’absence de souffrance et la paix de l’âme avant son élévation au Ciel, son Assomption. Il se dégage de La Dormition du xve siècle qui est exposée, exceptionnel haut-relief en bois polychrome et doré, un souffle joyeux. Les douze apôtres qui encadrent le lit de la Vierge lisent et chantent en chœur, ils sourient.

Le Christ a également eu de célèbres sommeils. Notamment en pleine tempête sur le lac de Tibériade. Affolés sur leur barque, les apôtres le réveillent, Il calme les eaux puis leur lance : « Hommes de peu de foi, de quoi avez-vous peur ? » Un sommeil serein comme allégorie de la foi. Ce même sommeil peut aussi être celui de la douleur, de la tristesse profonde face à la mort du Christ, c’est le cas de Luc et de Jean souvent représentés endormis ou mélancoliques. Jean s’endort même à la table de la Cène. Les Trois Apôtres endormis, un ivoire sculpté du xive siècle de quelques centimètres de hauteur est des plus émouvants.

Blanche nuit

« Je jalouse le sort des plus vils animaux / Qui peuvent se plonger dans un sommeil stupide », écrit Charles Baudelaire dans Les Fleurs du mal. Le « sommeil du juste » n’est pas donné à tout le monde et dès la fin du xviiie siècle, l’insomnie et les troubles nocturnes tels que le somnambulisme et les cauchemars ont inspiré les artistes bien avant les scientifiques. Goya, Füssli et Blake ont ainsi ouvert une voie aux romantiques allemands et français : la représentation des troubles de l’âme.

L’incube est une figure particulièrement équivoque. Ce gnome grotesque mêle angoisse et érotisme. C’est un démon à forme humaine qui vient violer les femmes dans leur sommeil. Assis comme une gargouille oppressante sur la poitrine de la belle endormie, il peut également incarner la paralysie du sommeil, cette incapacité éphémère de bouger ses muscles et de parler. Dans L’incube s’envolant, laissant deux jeunes femmes (1780), Füssli peint deux éplorées sur leur lit alors que la bête s’envole sur un cheval à travers la fenêtre. Peu de doute : elles ont vu le loup. Dans Le Cauchemar (1860), d’après Füssli, Gabriel von Max brosse un gnome terrifiant qui fixe le spectateur. Sous lui, la dame semble dormir, alanguie. A-t-il déjà commis son crime, s’apprête-t-il à le faire ? Sous le même titre, en 1846, Ditlev Blunck n’y va pas par quatre chemins. L’incube, corps d’homme et tête de lapin aux yeux exorbités, découvre les seins de l’endormie qui ne paraît pas du tout cauchemarder.

La nuit blanche est aussi synonyme de solitude. Edvard Munch, insomniaque, l’a représentée dans plusieurs autoportraits. Le magistral Noctambule (1923-24) erre ici dans la pénombre de son appartement, épaules voûtées et traits floutés.

In bed with…

« L’Empire du sommeil » se conclut sur un meuble qui lui est forcément associé, le lit. Georges Perec souligne que « même l’homme le plus criblé de dettes peut le conserver : les huissiers n’ont pas le pouvoir de saisir votre lit ; cela veut dire aussi – et on le vérifie dans la pratique – que nous n’avons qu’un lit, qui est notre lit ; quand il y en a d’autres dans la maison, on dit que ce sont des lits d’amis ou des lits d’appoint[2] ». Autrefois compagnon pour la vie, de la naissance à la mort en passant par la maladie, le lit personnel se troque désormais pour un lit à hôpital. Chez soi, il n’est plus que le lieu du sommeil et peut-être de l’amour. La force d’évocation des draps froissés de Delacroix (Le Lit défait, 1824), comme des oreillers rapprochés d’Avigdor Arikha (Lits, 2004), témoigne d’une action passée, d’un souffle érotique ou sensuel. Dans Mère (1900), de Joaquin Sorolla y Bastida, c’est un immense cocon de couettes blanches, chaud, profond et rassurant, duquel émergent les visages paisibles d’une mère et de son nourrisson. Avant d’empêcher ses parents de dormir, le petit d’homme consacre les premiers temps de son existence au sommeil.


À voir

« L’Empire du sommeil », musée Marmottan Monet, 2, rue Louis-Boilly, 75016 Paris, jusqu’au 1er mars 2026.

À lire

Le catalogue de l’exposition est riche de nombreux textes complémentaires, tels le sommeil au cinéma (Dominique Païni) et dans la musique (Ivan Alexandre).

L’Empire du sommeil, Laura Bossi (dir.), In Fine Éditions/Musée Marmottan Monet, 2025. 248 pages

L'EMPIRE DU SOMMEIL

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[1] « Le christianisme et les rêves », in L’Imaginaire médiéval, 1985.

[2] Espèces d’espaces, 1974.

Globalisme et complotisme, le bel avenir du complot juif

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Les nouvelles théories complotistes, les fantasmes autour du Forum de Davos, de l’Etat profond ou du « Great reset » auront-ils raison de l’inusable complot juif ?


Trois projets politiques globaux – sans définition nationale –  se sont affrontés au XXe siècle : le fascisme, le communisme et la démocratie  libérale. La démocratie libérale l’a emporté. La proclamation de sa victoire  en 1991, s’est accompagnée d’innovations technologiques  qui  ont permis d’organiser la division du travail à l’échelle mondiale, et ainsi d’étendre l’emprise du libéralisme,  sinon de la démocratie, au monde entier.  La « mondialisation heureuse » louée par Alain Minc a vu une amélioration  des conditions  matérielles d’une grande part de l’humanité. Mais celle-ci a été acquise au prix de l’urbanisation généralisée  qui a entraîné de graves atteintes  aux équilibres naturels et un ébranlement général  des systèmes de croyance et de socialisation. Ainsi la mondialisation est-elle  devenue également celle des angoisses : ce fut  la crise écologique, puis le réchauffement climatique et enfin le  risque pandémique.

On laissera ici de côté les controverses sur la nature, la profondeur et même  la réalité de ces problèmes. Les médias, l’école et les gouvernements les évoquent en permanence et prétendent y conformer leurs programmes et leurs politiques. Cela leur confère une consistance, une crédibilité, et suscite une nouvelle génération  de  projets globaux. Car à des problème globaux, il ne peut y avoir que des solution globales. Lesquelles supposent  une gouvernance globale.

L’ONU a été la première à proposer ses services  en 1992 à la Conférence de Rio sur l’environnement et le développement, le « Sommet de la terre », puis avec les Objectifs de Développement du Millénaire. Mais l’ONU n’a pas de mains, elle n’a que celles que lui prêtent les Etats, lesquels ont par définition un horizon essentiellement national. Kofi Annan, Secrétaire général  de l’ONU,  eut l’idée d’élargir aux entreprises l’assise financière  de l’organisation. Le seul grand capitaliste à jouer le jeu fut Bill Gates et ainsi naquit  l’Alliance Mondiale pour le vaccin et l’immunisation, le GAVI.

Dans son ensemble le grand capital s’est rallié à la proposition inverse : assujettir les peuples et les Etats à un agenda mondial défini par lui-même. Une fois de plus le capitalisme a démontré sa supériorité sur les bureaucraties. Aucune résolution n’a été adoptée, encore moins par un vote. Aucun objectif chiffré, aucun indicateur, aucune loi. Juste un consensus élaboré, entretenu, par un jamboree annuel à Davos, Suisse. Son contenu est assez simple : Même si le commun des mortels n’en a pas suffisamment conscience et doit être éduqué, les problèmes globaux existent. Ils sont gravissimes mais ils peuvent être réglés –  mieux, ils sont de opportunités de progrès – en tirant partie des avancées technologiques. Mais à deux conditions :  intensifier en capital les processus de production sans aucune limite au détriment du travail,  et ne pas entraver la liberté de mouvement capitalisme, ne pas toucher  à la  règle d’or du libéralisme : l’individu seul.

Divine surprise

La pandémie de 2020 a été pour Davos une divine surprise qui a permis de faire un grand bond en avant  vers l’informatisation de tout. Que de tels progrès conduisent tout droit à la division de l’humanité en deux classes, la seconde et la plus nombreuse étant celle d’un cheptel docile modestement entretenu, est une conséquence qui n’est pas mentionnée, du moins pas sous une forme aussi crue. Davos est le nom de ce programme et Klaus Schwab qui en a donné une formulation, le « Great Reset »,  est son prophète[1].

Si l’on ajoute au Forum Economique Mondial de Davos, quelques conciliabules annexes comme la conférence  de Bilderberg ou la Trilatérale, on voit apparaître en arrière-plan de cet inquiétant projet, une nébuleuse qui pourrait facilement être prise pour un gouvernement secret du monde. L’élite qui fréquente ces hauts lieux,  capitalistes, bureaucrates  et politique mêlés, se veut multilatéraliste, c’est-à-dire qu’elle soutient, du moins verbalement,  le renforcement du rôle de l’ONU dans la résolution des problèmes internationaux et globaux. Cela revient à défendre l’idée que ce qu’il faudrait, c’est un gouvernement mondial.

A lire aussi, Mgr Matthieu Rougé et Eric Zemmour: La crosse et le réséda

Il y a de fortes raisons de se méfier des projets de gouvernement mondial, la moindre d’entre elles étant qu’ils sont exclusifs de toute forme de démocratie. En outre, tout projet politique global est intrinsèquement dangereux car, étant situé à la plus grande distance  de l’expérience et du contrôle personnels, aucun amortisseur, sinon la morale la plus intime, ne limite son hybris. Quant au Great reset, qu’il s’intéresse au «   développement durable », à la « croissance inclusive », ou à la « quatrième révolution industrielle », il  est  soupçonné  d’être l’habillage  d’une mutation du capitalisme  vers de nouvelles  formes d’exploitation, de bureaucratisation,  voire d’emprise totalitaire. Mais ses implications politiques ne sont pas formalisées, malgré l’émergence du mouvement des « Lumières noires » outre-atlantique,  ni portées par une organisation politique comparable à l’ancienne internationale communiste. Ils ouvrent donc une  grande  fenêtre aux théories du complot.

Celles-ci ont effet pour premier objectif de  démasquer les conjurés[2] Pour ce faire, il faut les nommer : l’Etat profond, les globalistes, les Illuminati,  sont des termes qui ne désignent personne en particulier mais un parti caché qui tirerait  les ficelles et commanderait  aux politiques, lesquels  ne seraient que ses hommes de paille. Mais ces termes sont flous, alors qu’on dispose depuis longtemps  d’un nom pour désigner une internationale invisible organisée pour s’approprier le gouvernement du monde : l’inusable complot juif. Si l’on tient à trouver une conjuration internationale c’est évidemment là qu’il faut la chercher : qui donc sinon la diaspora juive  a des représentants  dans la plupart des cercles  de richesse  et de pouvoir du monde blanc et entretient une infinité de  réseaux  familiaux transfrontaliers?

Du bout des lèvres

En Occident tout au moins, le surmoi hérité de la seconde guerre mondiale interdit  pour l’instant de s’abandonner au grand jour à cette facilité. Beaucoup ont le mot au bout des lèvres  et la seule question est de savoir quand ils oseront le cracher. Certains ont d’ailleurs commencé à le faire : en Occident parmi les groupuscules de la vraie extrême-droite, dans le monde musulman que cette lubie occupe depuis des décennies,  et en Russie chez les tenants de la ligne dure contre l’Occident, les « turbopatriotes » . Il suffit d’aller voir les commentaires des articles de Russia Today pour constater que le complot juif n’a pas pris une ride, le mot sioniste a simplement remplacé le mot juif,  et que la Russie, du moins une partie d’entre elle, est, avec ses supporters inconditionnels, à l’avant-garde de la libération de la parole antisémite. 

Une théorie du complot a réponse à tout. Toute objection la renforce, la rationalité n’a pas de prise sur elle. Elle se nourrit d’équivoques, de demi-vérités, de fausses évidences, prospère dans les  zones d’ombre. Essayons  d’allumer un peu  la lumière.

Y a-t-il une machination ? Oui. Mais pas au sens d’une conjuration des gros cigares ou du Sanhédrin, au sens que lui donne Renaud Camus : la transformation progressive du monde en une vaste machine. La généalogie de ce processus a été décrite par Pierre  Musso dans  La religion industrielle[3] et  son actualité par Renaud Camus  dans ses récents ouvrages[4]. Il n’y a ni complot, ni  conjurés,  seulement le développement d’une métaphysique, celle de l’Occident, qui poursuit inexorablement sa marche en avant  vers la valorisation c’est-à-dire numérisation totale, la machination, du monde.

Celle-ci est-elle l’ennemie du genre humain ? Encore oui.  D’ores-et-déjà le transhumanisme  apparaît comme l’horizon inéluctable de cette accumulation de progrès.

Certains en tirent-ils profit?  Oui bien sûr. Comme toujours dans les grandes mutations, ceux qui sont capables, par les moyens dont ils disposent ou par leur intelligence et par leur cynisme,  de s’enrichir sur le dos de ceux qui n’ont pas ces atouts. En attendant d’apercevoir l’iceberg, la fête bat son plein sur le Titanic du progrès et les fortunes montent à des hauteurs sans doute jamais vues dans l’histoire.

Combien parmi ces gagnants y a-t-il de Juifs ? La réponse est la même qu’à l’ancienne question , combien de Juifs dans les organes  du Parti puis de l’Etat bolchevique : Beaucoup.  C’est naturellement là que le complot juif contemporain, comme naguère le judéo-bolchevisme trouve sa consistance.  Pourtant, dans un cas comme dans l’autre, il n’y a rien là  de mystérieux : la réussite sociale des Juifs tient à leur suradaptation  au mode de pensée de l’Occident. Sans doute parce qu’ils en sont les premiers auteurs, ou simplement  parce que des siècles et des siècles  d’étude talmudique ininterrompue de génération en génération, ça crée des habitudes de travail intellectuel.

C’est ainsi que, lorsque vers  1870 le régime tsariste  décide d’ouvrir l’enseignement supérieur à ce qui est alors la plus forte communauté juive du monde, la jeunesse juive , dont la plupart des parents savaient à peine le russe, se précipite vers les universités en si grand nombre et y connait de tels succès qu’on juge nécessaire d’instaurer des quotas limitant le nombre de  Juifs par établissement. Un demi-siècle plus tard, les mêmes causes produisant les mêmes effets, les universités américaines de l’Ivy League  prendront des mesures comparables.

Entretemps le judaïsme russe a connu trois ruptures : L’émigration de deux  millions de juifs russes aux Etats-Unis, le sionisme et  la révolution bolchevique.

La révolution de 1917 interdit le commerce privé, source première de revenu des Juifs russes, supprima la zone de résidence  des Juifs et détruisit l’administration tsariste. Les Juifs quittèrent alors massivement la zone de résidence et se ruèrent vers les grandes villes où s’offrit à eux une seule possibilité économique : remplacer les cadres de l’ancienne administration. Ils le firent avec une efficacité qui sans doute sauva le nouveau régime de l’effondrement et, pour beaucoup, une tendance à se venger d’un siècle d’humiliation . Cela suffit-il à accréditer le mythe du judéo-bolchevisme, cette variante  du complot juif qui fut le  grand thème de la propagande nazie ?  Soljenitsyne, qui a dressé un tableau implacable de la participation  des Juifs à la mise en place du pouvoir bolchevique et  de leur rôle dans les organes de répression, a répondu : la révolution bolchevique  a été faite par des rénégats. En majorité des rénégats de l’orthodoxie  russe, mais aussi des rénégats du judaïsme  et d’autres traditions encore. Dire que la révolution bolchevique a été une révolution juive n’a aucun sens[5].

A lire aussi, Didier Desrimais: Faut-il laisser Orwell tranquille?

Les Juifs qui émigrèrent en Amérique, emportèrent avec eux, en même temps qu’un ressentiment à l’égard de la Russie  dont on trouve la trace encore aujourd’hui chez les Kagan, Wolfowitz et autres  néo-conservateurs,  leur capacités intellectuelles et de travail. Au XXe siècle 37% des Américains honorés d’un prix Nobel  ont été des juifs, lesquels représentaient  2% de la  population du pays . Il n’y avait  aucune raison pour que ces talents  restent  cantonnés aux sphères éthérées de la science et des arts. Elles assurèrent dès le début du XXe siècle une place importante aux Juifs dans le monde  des affaires et d’abord de la finance, un domaine d’expertise traditionnel des Juifs. Bien entendu, les Juifs américains sont largement représentés à Davos.

Ils y retrouvent d’ailleurs  des Juifs russes, ceux-ci étant, tout aussi évidemment,  nombreux parmi les oligarques, adversaires mais plus souvent (pour ceux qui sont encore en vie) soutiens de Vladimir  Poutine. On ne prend pas trop de risque à prédire que si les fins stratèges  qui ne souhaitent que le départ de Poutine obtiennent gain de cause, on assistera à une nouvelle poussée de fièvre antisémite en Russie.


Globalisme et complotisme sont les deux faces d’une même monnaie, celle dont se paie le déracinement. L’un comme l’autre nous disent qu’on a raison d’avoir peur. Le globalisme contemporain n’embrigade plus, ne promet  plus des lendemains qui chantent, il protège. La technocratie, « la science » qui savent mieux que nous, nous disent comment nous devons vivre  pour conjurer les invisibles et d’autant plus terribles périls qui nous menacent. Le complotisme , lui, désigne des coupables.

Peter Thiel, quant à lui, annonce carrément le retour de l’Antéchrist et l’Apocalypse. On peut en sourire,  ou bien lire le Court récit sur l’Antéchrist[6] écrit en 1899 par Vladimir Soloviev. On y apprend que l’Antéchrist n’est pas du tout un méchant. Il  est le chef de ce que Philippe Muray nommera quelques  décennies plus tard, L’Empire du Bien[7]. Lui aussi prétend sauver la planète. La différence avec la situation actuelle est que dans le texte de Soloviev, les grandes religions sont encore capables de se lever pour dénoncer et, avec l’aide du Ciel, renverser l’imposteur.  Aujourd’hui plus rien ne semble capable  de s’opposer au dogme écologiste-progressiste-davosien sinon la colère, pour l’instant impuissante, du peuple.

Le complotisme fait  cadeau à ses adversaires d’une arme extraordinairement efficace : son existence-même , avec ses obsessions, sa vulgarité, son antisémitisme plus ou moins subliminal. Toute opposition, toute expression d’un doute à l’égard des causes du changement climatique, des bienfaits de l’escalade électronique ou du bien-fondé des atteintes aux libertés fondamentales sous couvert de prophylaxie, sont disqualifiées avec dédain comme complotistes. Mais c’est une arme à double tranchant. La mise au ban de la représentation les couches populaires  sous l’incrimination de «  populisme », qui est une façon encore polie de les renvoyer aux marécages malodorants  du complotisme,  met en danger la pérennité-même du système démocratique. Elle les pousse dans la direction de l’embrigadement de la colère,  ce qui, au siècle dernier,  s’appelait le fascisme.

La Dépossession: ou Du remplacisme global

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LE MAGICIEN DE DAVOS : vérité(s) et mensonge(s) de la Grande Réinitialisation

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[1] Cf Modeste Schwarz, Le Magicien de Davos, vérité(s) et mesnsonge(s) de la grande réinitialisation, Cultures et Racines, 2021

[2] Dans Les Protocoles des sages de Sion, faux et usage d’un faux (Berg et Fayard 2004) Pierre- André Taguieff définit plus précisément les fonctions des théories du complot: identifier les forces occultes à l’origine du prétendu complot — et confirmer qu’elles sont impitoyables ; lutter contre ces forces en révélant les secrets qui les rendent puissantes ; justifier la contre-attaque contre l’ennemi désormais identifié ; mobiliser les foules (et/ou les autorités) en faveur de la cause opposée au complot ; recréer un monde enchanté.

[3] Fayard 2017

[4] Voir en particulier La Dépossession  ou du remplacisme global, La Nouvelle Librairie 2022

[5] Alexandre Soljenitsyne Deux Siècles ensemble, tome 2 Juifs et Russes pendant la période soviétique Fayard 2003

[6] Vladimir Soloviev, Trois entretiens. Sur la guerre, la morale et la religion suivis du Court récit sur l’Antéchrist, Ad Solem 2005

[7] Philippe Muray, L’Empire du Bien, Les Belles Lettres 1991

Apprivoiser la mort

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Dans ses romans biographiques érudits, Sophie Chauveau explore la vie des plus grands peintres (Lippi, Botticelli, Picasso, Fragonard ou encore Masaccio …).

Elle a aussi été la première à ouvrir la boite de Pandore du tabou de l’inceste « généalogique », avec La fabrique des pervers, le livre qui, selon Camille Kouchner, l’a incitée à livrer son propre témoignage choc.

J’ai adoré mourir est un singulier pas de côté. John Huston nous invitait en 1974 à une Promenade avec l’amour et la mort, Sophie Chauveau nous propose plus encore : un cheminement souriant, main dans la main avec la camarde, derrière le cortège, de plus en plus fourni, des défunts qui ont occupé une place à part dans sa vie, partageant ses passions et ses engagements féministes et écologistes de la première heure. Marceline Loridan-Ivens, Maurice Clavel, Honoré, Philippe Sollers :  elle leur dit son amour, son affection et son admiration.

De leur vivant, ils ont cheminé de conserve, morts ils habitent avec elle chaque jour. Son récit est aussi un chant d’amour à ses filles et aux animaux de sa vie (sans véritable préséance, tant sa dévotion aux unes comme aux autres est inconditionnelle). Sophie Chauveau n’a pas seulement apprivoisé la mort des autres, elle a croisé la sienne à plusieurs reprises et le raconte avec un naturel apaisé et réconfortant. Scène mémorable : la dispersion des cendres de son père dans la mer, précédée pourtant d’un lourd passif, exhale la sérénité joyeuse qui traverse ce texte, baigné par la lumière et les parfums de la Méditerranée. Sophie Chauveau a adoré mourir, la lire peut revigorer les anxieux.

J’ai adoré mourir de Sophie Chauveau, Editions Telemaque 325 pages

J'ai adoré mourir

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🎙️ Podcast: Micmac autour du Mercosur; la guerre Russie-Ukraine, côté bancaire; la Biélorussie et l’Amérique

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Des agriculteurs manifestent à Bruxelles, le 18 décembre 2025 © Bob Reijnders/ZUMA/SIPA

Avec Harold Hyman et Jeremy Stubbs.


Le journaliste franco-américain spécialiste des affaires internationales Harold Hyman. Photo D.R.

Harold Hyman commente pour nous les actualités internationales.

Si les agriculteurs français sont inquiets, de manière compréhensible, au sujet d’une mise en oeuvre imminente de l’accord commercial entre l’UE et le Mercosur, Giorgia Meloni a obtenu, de la part du président brésilien, Luiz Inácio Lula da Silva, un délai d’un mois avant la signature. Ce répit laisserait le temps pour modifier l’accord afin d’aligner certaines des normes sanitaires s’appliquant aux exportations agricoles. On peut se demander pourquoi une telle harmonisation n’avait pas déjà été négociée… Sans doute que, face aux tarifs douaniers de Donald Trump, l’UE était pressée de conclure un accord permettant de développer son commerce avec d’autres parties du monde.

En Europe, presque tout le monde semble dénoncer le document américain sur la Stratégie de sécurité nationale. En fait, ce texte représente une synthèse des différents courants de pensée qui circulent dans l’entourage du président américain. Le plus important, c’est que cette stratégie, en dépit de certaines phrases apparemment critiques à l’égard de l’UE, ne s’écarte pas de la doctrine traditionnelle énoncée par Henry Kissinger et d’autres, que les Etats-Unis et l’Europe sont plus forts ensemble que séparés. Ils doivent se rapprocher encore pour faire face à la Chine.

A ne pas manquer, notre numéro 140 en kiosques: Causeur: Il était une foi en France

L’UE vient d’échouer à trouver un accord pour prêter à l’Ukraine les 210 milliards d’euros d’avoirs russes gelés détenus majoritairement par la société Euroclear à Bruxelles. A la place, 24 des Etats-membres vont emprunter 90 milliards d’euros pour ensuite les prêter à l’Ukraine. La Hongrie, la Slovaquie et la République tchèque ont obtenu une exemption pour ne participer au financement de l’effort de guerre ukrainien. Si c’est le Premier ministre belge, Bart De Wever, qui a bloqué cette tentative d’exploiter le capital des avoirs russes (les Européens ont déjà exploité les intérêts de ce capital), Emmanuel Macron, ancien banquier, doit comprendre lui aussi les difficultés qu’une telle expropriation créerait pour le système bancaire.

Qu’est-ce qui se passe en Biélorussie, pays allié de Vladimir Poutine ? Son leader autoritaire, Alexandre Loukachenko, dépend de la Russie pour rester au pouvoir, mais il ressent quand même un besoin de s’afficher comme un dirigeant indépendant. Récemment, il a fait des tentatives pour se rapprocher des Etats-Unis. Pourquoi? Que sait-il au sujet de la machine de guerre de Poutine?


Joyeux Noël et Bonne année !

Entrisme islamiste: la commission a rendu sa copie

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Assemblée nationale, commission d'enquete sur les liens existants entre les représentants de mouvements politiques et des organisations et réseaux soutenant l'action terroriste ou propageant l'ideologie islamiste, 18 novembre 2025 © ISA HARSIN/SIPA

Nos partis politiques sont-ils infiltrés par des ennemis mortels de la République ? Un rapport parlementaire pointe l’ « opportunisme électoral » de l’extrême gauche. « Dans certaines villes, il existe la mise en place d’une forme d’écosystème entriste avec l’infiltration dans les services et les conseils municipaux, le contrôle de certains quartiers, et parfois du périscolaire » a dénoncé le député Xavier Breton (LR) alors que les Français éliront leurs maires en mars.


La commission parlementaire d’enquête sur « les liens existants entre les représentants de mouvements politiques et des organisations et réseaux soutenant l’action terroriste ou propageant l’idéologie islamiste » a élaboré un rapport1 qui a été présenté ce mardi par le président Xavier Breton (LR) et le rapporteur Matthieu Bloch (UDR) lors d’une conférence de presse.

Musulmans et islamistes, ne faites plus l’amalgame

Beaucoup de pages, au vu du document posé sur le pupitre des deux orateurs. Le compte-rendu de vingt-neuf auditions dont le but, tient à préciser le président, n’était nullement de produire du spectacle mais d’écouter, de comprendre, de chercher à établir un constat. Une image à l’appui de ses propos, la commission n’avait vocation à être ni « une cage de MMA, ni une piste de cirque. » Et le même de se lancer aussitôt dans une périlleuse dénonciation d’un éventuel amalgame en miroir qui conduirait à voir dans chaque musulman un islamiste en puissance, et inversement dans tout islamiste un musulman. Il se peut que j’aie mal compris, mais j’avoue humblement que jusqu’à ce jour la notion d’islamiste non musulman m’échappait totalement. Comme quoi, même soporifique, une commission parlementaire peut avoir du bon.

A lire aussi: «DZ Mafia»: une mafia post-coloniale

Cependant, toute ironie mise à part, du bon, il y en a au détour de ce rapport. Des choses sont dites qui le sont clairement. La menace islamiste n’est pas un fantasme, mais une réalité qui nécessite que nous luttions activement contre et que nous nous employions à générer un « sursaut démocratique ». Cela allait sans le dire, ricaneront certains, mais il est clair que cela va mieux toute de même en le disant. Mettre des mots sur le réel est un premier pas digne de considération. Même s’il faut se contenter de devoir attendre les suivants…

Où est passé Laurent Wauquiez ?

Prenant la parole à son tour, M. le député Matthieu Bloch commence quant à lui par exposer les difficultés de mise en place de la commission. Un faux départ, d’abord, dont il impute la responsabilité à son collègue Laurent Wauquiez dont la présentation du projet aurait conduit à ce que le bureau de l’Assemblée le rejette en l’état. Donc perte de temps, et le temps, justement, déplore le rapporteur, a fini par manquer. Ce pourquoi l’audition vedette, l’audition star de la séquence – celle de M. Mélenchon –  a pu, confesse l’orateur, laisser les commentateurs sur leur faim. Il est vrai que, pour ma part, ayant suivi très attentivement l’heure trois-quarts d’audition du Lider Maximo de la France Insoumise, je me suis pris à penser ici ou là qu’il en usait passablement à son aise, voguant de digression en digression, d’effet oratoire en assaut de courtoisie à l’adresse de MM. le président et des membres présents. À ces instants-là, ne manquaient que le thé et les biscuits à la cuiller. Nous eûmes même droit à une sorte de cour magistral sur l’apport du philosophe arabo-andalou Averroès dans la pensée occidentale médiévale. Assez bien rendu, d’ailleurs. Enfin, moins discutable en tout cas que l’hasardeuse comparaison qui allait suivre peu après entre le foulard porté par les fillettes et la circoncision.

Mélenchon, la farce tranquille

Cela pour dire que M. Mélenchon ne se vit guère repoussé dans ses retranchements lors de cette prestation. Il est vrai, que comme cela a été rappelé, le temps était compté et que juste après son tour de chant devait intervenir celui de M. Le Garde des Sceaux. En vedette américaine, d’une certaine manière.

A lire aussi, Eric Zemmour: « Mon parti représente un judéo-christianisme conservateur et identitaire! »

Bref, la commission a rendu son rapport. Les conclusions sont sans surprises. On va de nouveau beaucoup réfléchir. On va consulter, se réunir, échanger. Avec, entre autres structures, le CNRS et aussi au niveau européen. Réfléchir sur quoi me direz-vous ? Certainement pas sur d’éventuels liens entre la montée de l’islamisme et l’immigration massive, incontrôlée, ce point n’ayant pas été une seule fois évoqué. Faute de temps, probablement là encore. Pourtant on aurait pu l’espérer, puisque d’emblée le président devait nous allécher en affirmant que le but de ce travail parlementaire était « d’éclairer les angles morts » du problème. Passons…

Bien sûr, dans le fonctionnement normal d’une démocratie de telles commissions parlementaires ont leur intérêt, mais l’on ne peut guère s’empêcher de penser à ce qu’en disait en son temps Georges Clémenceau : « Lorsqu’on veut enterrer une prise de décision, on crée une commission », ironisait-il. Mieux encore, dans le même esprit, il s’empressait d’ajouter : « Une commission d’enquête pour être efficace ne doit compter que trois membres dont deux sont absents ».

Voulez-vous que je vous dise le fond de ma pensée ? En vérité, quand on suit avec fidélité les travaux, les séances de l’Assemblée nationale, on en arriverait vite à se demander si ce qui nous manque le plus cruellement aujourd’hui ne serait pas de fins diseurs de la stature du Tigre…

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  1. https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/rapports/cepolisl/l17b2235_rapport-enquete ↩︎

Géoéconomie à hauteur d’homme

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L'essayiste et financier français Charles Gave © Hannah Assouline.

Charles Gave publie Les mondes de demain. Les vingt prochaines années décryptées


Économiste reconnu et figure centrale de l’analyse libérale en France, Charles Gave[1] s’est imposé depuis plusieurs décennies comme l’un des meilleurs spécialistes des marchés financiers internationaux. Fondateur du groupe de recherche Gavekal, il s’appuie sur une masse considérable de données financières, monétaires et macroéconomiques pour décrypter les grandes évolutions du monde contemporain. Sa singularité tient à la combinaison d’une rigueur analytique fondée sur les chiffres et d’une longue expérience des marchés, nourrie par ce que l’on pourrait appeler un véritable « flair » pour les grandes tendances de fond. Ce n’est pas un hasard s’il choisit de s’installer à Londres dès 1981, puis plus tard à Hong Kong et en Chine, afin de se placer au cœur des moteurs de croissance et des centres nerveux de la finance mondiale.

Europe peu innovante et montée en puissance de l’Asie

Dans son ouvrage le plus récent, Les mondes de demain. Les vingt prochaines années décryptées, coécrit avec Pierre de Taillac, Charles Gave propose une lecture prospective ambitieuse des transformations économiques à venir. L’attelage est pertinent. Journaliste économique et essayiste, Pierre de Taillac s’est spécialisé dans l’analyse des marchés financiers et des grandes mutations du capitalisme contemporain. Il est notamment reconnu pour sa capacité à rendre intelligibles des mécanismes financiers complexes et à les inscrire dans une réflexion plus large sur les équilibres économiques, politiques et sociaux.

Loin des exercices spéculatifs ou idéologiques, le livre s’appuie sur les indicateurs concrets que Gavekal produit et analyse depuis des décennies. Il s’agit moins de prédire l’avenir que d’identifier, à partir de séries longues et comparables, les tendances structurelles lourdes qui façonnent déjà l’économie mondiale et continueront de le faire au cours des vingt prochaines années.

A lire aussi: Fièvre bovine, colère humaine

L’un des principaux intérêts de l’ouvrage réside précisément dans l’exploitation de ces données originales, qui constituent le cœur du métier de Charles Gave. Elles offrent une vision comparative des dynamiques économiques à l’œuvre en Asie, en Europe et aux États-Unis, et permettent de mettre en lumière des divergences souvent sous-estimées. À travers graphiques, ratios et séries statistiques, le lecteur est invité à comprendre les mutations profondes liées à l’énergie, à la consommation, à l’endettement public et privé, à la rentabilité du capital ou encore à l’évolution de la productivité. Ces éléments chiffrés ne sont jamais présentés comme des abstractions, mais comme des instruments permettant de saisir les rapports de force économiques réels et les contraintes qui pèsent sur les choix politiques.

L’ouvrage reflète également les grands axes de la pensée de Charles Gave. On y retrouve sa défense constante de l’économie de marché comme système de coordination efficace des décisions individuelles, sa critique de l’intervention excessive des États et des banques centrales, ainsi que sa méfiance envers les modèles européens, jugés trop bureaucratiques, trop normatifs et insuffisamment innovants. À l’inverse, il souligne la montée en puissance de l’Asie, et en particulier de la Chine, qu’il estime, malgré des fragilités internes bien réelles, appelée à jouer un rôle central dans le monde à venir. Ayant vécu de nombreuses années à Hong Kong, Charles Gave a pu observer de l’intérieur les transformations économiques, sociales et industrielles de la Chine depuis les années 1980, ce qui nourrit une analyse à la fois informée et nuancée. Pour lui, le défi chinois constitue l’un des enjeux majeurs des décennies à venir, et la France comme l’Europe doivent dès à présent se préparer à affronter cette concurrence stratégique, économique et technologique.

Les arbitrages de l’épargnant

Enfin, fidèle à sa démarche pédagogique, Charles Gave s’efforce de rendre accessibles des mécanismes économiques souvent complexes, convaincu que la compréhension des faits économiques constitue une condition fondamentale de la liberté individuelle et d’un débat démocratique éclairé. Les mondes de demain s’impose ainsi comme un ouvrage stimulant, à la fois analytique et engagé, qui offre au lecteur des clés pour penser les grandes transformations économiques et géopolitiques contemporaines, tout en lui permettant d’en tirer des conclusions à son propre niveau, celui, très concret, d’un épargnant soucieux de l’avenir de sa famille.

C’est peut-être là que réside l’un des principaux intérêts du livre. Le macroéconomique le plus abstrait y rejoint constamment le microéconomique le plus personnel, afin d’aider chacun à répondre à une question à la fois simple et décisive : que faire de son épargne dans le monde qui vient ? Si cet ouvrage était une chanson, ce serait sans doute ce tube de Jacques Dutronc :

Sept cent millions de Chinois
Et moi, et moi, et moi
Avec ma vie, mon petit chez-moi
Mon mal de tête, mon point au foie

la force du livre est là : relier les masses, les flux et les puissances du monde aux inquiétudes très humaines de l’individu face à l’avenir. Rappeler que derrière les courbes et les rapports de force mondiaux, il y a toujours un individu, ses choix de vie, ses inquiétudes pour ses enfants et sa retraite et des arbitrages très concrets.


Charles Gave, Les mondes de demain. Les vingt prochaines années décryptées Pierre de Taillac Idées en liberté 2025. 200 pages.

Les mondes de demain: Les vingt prochaines années décryptées par Charles Gave

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[1] Charles Gave détient une participation indirecte au capital de Causeur

De Medellín à Sydney

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Le Premier ministre australien Anthony Albanese rencontre Ahmed al Ahmed à l'hopital, qui avait désarmé l'un des assaillants de l'attaque terroriste de dimanche dernier, Sydney, le 16 décembre 2025 © Australian Prime Minister Office/AP/SIPA

« Globalize the Intifada » : ce n’est pas Bondi Beach qui a changé le monde, c’est le monde qui a rendu Bondi possible…


De Medellín, où nous nous trouvons avec une grande partie de la famille la plus proche – France, Israël, États-Unis – pour célébrer la joie du mariage de l’un de nos fils, j’avais la ferme intention de ne pas écrire ma chronique hebdomadaire. Je voulais être présent pour ma famille et sortir du prisme de notre actualité afin de découvrir la Colombie, ce grand pays latino-américain qui, dans le grand public, n’évoque en général que le mot « cocaïne ».

Mais l’allumage du premier soir de Hanouka avait lieu ici presque vingt-quatre heures après celui de Sydney. Chacun connaissait les nouvelles, et il ne suffisait pas de rappeler la symbolique de la lumière, le miracle de la fiole et les exploits des Maccabées contre les troupes d’Antiochos, ce roi séleucide qui porte le même nom que la grande province colombienne d’Antioquia, dont Medellín est la capitale.

L’actualité s’imposait massivement

Beaucoup de lecteurs de cette chronique ont suivi le massacre de Bondi avec une plus grande minutie que moi. Beaucoup, comme moi, n’en ont probablement pas été surpris. La haine contre les Juifs est devenue dans le monde une addiction puissante, et c’est peut-être de trafic de drogue qu’on devrait accuser ceux qui, tel Anthony Albanese, le Premier ministre australien, l’ont laissée se développer impunément !

J’ai un souvenir très fort d’un voyage effectué il y a une dizaine d’années, à la demande du Keren Hayessod, auprès de la communauté juive australienne. Il s’agissait de leur expliquer la situation en France et la réémergence violente d’un antisémitisme que certains Juifs australiens, originaires d’Europe centrale, avaient fui après la guerre pour s’éloigner le plus loin possible de ses sources. Ils n’arrivaient pas à comprendre ce qui se passait en France. Les Juifs australiens semblaient incarner la synthèse même d’un judaïsme assumé, d’un sionisme sans équivoque et d’une intégration parfaite dans un pays qui était, sur la scène internationale, l’un des plus fermes soutiens d’Israël.

Le libéral John Howard, le travailliste Kevin Rudd, la travailliste Julia Gillard, le libéral Tony Abbott, le libéral Malcolm Turnbull, le libéral Scott Morrison : ce sont les Premiers ministres australiens de 1996 à 2022. Ils ont tous, de façon variable mais pour certains très explicite, été des alliés en lesquels Israël avait toute confiance. Tous, fait unique dans le monde, ont signé au lendemain du 7 octobre un communiqué appelant à lutter contre l’antisémitisme.

En mai 2022, le parti travailliste a remporté les élections législatives aux dépens de la coalition libérale nationale, avec un programme axé sur le climat et le coût de la vie. Son chef, Anthony Albanese (aucun lien familial avec la sinistre Francesca), appartenant à l’aile gauche du parti, est devenu Premier ministre. Il a immédiatement infléchi l’orientation pro-israélienne de son prédécesseur Scott Morrison et, après octobre 2023, sans manifester lui-même de débordements antisémites à la Corbyn, a favorisé dans son pays ce que la sociologue Eva Illouz a appelé une « haine vertueuse » contre Israël.

Dans ce pays que j’avais trouvé exemplaire quelques années auparavant, les manifestations antisémites ont commencé immédiatement après le 7 octobre, alors que l’armée israélienne n’avait pas encore mis un pied à Gaza. Le 9 octobre 2023, une manifestation à Sydney fait entendre des slogans tels que « Fuck the Jews » et « Globalize the Intifada », devenu le maître mot de la situation actuelle dans le monde.

Ensuite, les actes antisémites explosent : attaques contre des lieux juifs, harcèlements, discours de haine sur les campus. Les Juifs se plaignent de la surdité du gouvernement et d’une protection policière insuffisante. Invitée elle aussi par la communauté juive d’Australie, la journaliste britannique Melanie Phillips, pourtant habituée à Londres aux manifestations contre Israël, est stupéfaite de rencontrer une communauté vivant en état de siège.

Y a-t-il chez les jeunes Australiens — car, comme partout, l’élément générationnel est prédominant — un ethos particulier qui facilite cette dérive ? Peut-être. Dans ce pays immense, sans voisins hostiles, éloigné géographiquement des conflits du monde, l’histoire et ses leçons ne sont pas aussi présentes que la nature omniprésente. Anthony Albanese et le parti travailliste sont arrivés au pouvoir en 2022 à la suite des « élections du climat », où la mauvaise gestion des incendies massifs par le gouvernement de Scott Morrison (un grand ami d’Israël) a joué un rôle central.

Les clones de Greta Thunberg abondent en Australie, et on ne peut que se demander pourquoi l’alliance entre les objectifs sociaux des travaillistes et les objectifs climatiques des écologistes produit presque immanquablement en Occident une profonde détestation d’Israël. Comme si, dans le combat pour la nature, l’incarnation de l’ennemi par des firmes internationales n’était pas assez mobilisatrice et qu’il faille se fabriquer un épouvantail plus prestigieux. Au bourreau fantasmé fait face la victime sacralisée. Les Juifs sont là pour endosser le premier rôle, qu’ils connaissent de longue date, cette fois-ci sous l’avatar sioniste, qui ne supprime d’ailleurs pas les précédents déguisements. Les Palestiniens jouent le second rôle, soutenus par une propagande distillée, entre autres, par les canaux qataris — l’État le moins écologique de la planète. Il y a de plus en Australie, dans la défense des Palestiniens, comme une façon de se dédouaner d’une mauvaise conscience à propos des peuples aborigènes.

Leçon australienne

Mais la vraie leçon australienne est qu’il suffit d’un changement de majorité, d’une inflexion politique provoquée par des événements n’ayant rien à voir avec la situation en Israël, pour que s’ouvre la boîte de Pandore et saute le verrou qui maintenait l’antisémitisme à distance…

L’indolence — pour ne pas dire plus — de M. Albanese à l’égard de la flambée antisémite qui parcourt son pays depuis plus de deux ans est un fait indiscutable, et il porte une très lourde responsabilité dans le déclenchement de cette haine. La reconnaissance de la Palestine par le gouvernement australien est-elle pour autant le déclencheur de la tuerie de Bondi ? Évidemment non, quoi qu’en dise Benjamin Netanyahou pour des raisons purement politiques. Messieurs Akram, père et fils, se moquaient de cette reconnaissance. Ils ont tiré dans une foule parce qu’ils savaient qu’ils y tueraient beaucoup de Juifs.

Les nouveaux nazis de l’islamisme radical, qui ont assassiné entre autres Alex Kleytman, un homme de 87 ans ayant survécu à la Shoah en Pologne — glaçant symbole de l’évolution du monde —, se souciaient moins des gesticulations politiciennes que des carences sécuritaires, indiscutables, dont M. Albanese est in fine le responsable ultime.

Ce qui m’a frappé, et qu’Yves Mamou a parfaitement analysé, c’est que l’origine islamiste du massacre de Juifs a été tue aussi longtemps que possible par de nombreux organes de presse (toujours les mêmes…). On a su très vite que l’homme d’un immense courage qui a désarmé l’un des tueurs était musulman. Il avait devant lui le spectacle de la commémoration et savait forcément que les cibles étaient des Juifs. Nous lui devons une immense reconnaissance. Je suis heureux que cet homme soit musulman, car c’est un signe d’espoir pour notre commune humanité.

Mais si les tueurs s’étaient échappés, j’imagine la marée de commentaires qui auraient présenté le massacre comme l’œuvre de nazis, contre lesquels un musulman se serait levé pour sauver des Juifs. On a appris plus tard que parmi les victimes se trouvaient aussi Boris et Sofia Gourman, un couple héroïque de Juifs d’origine russe qui, malgré un âge dépassant la soixantaine, ont tenté de désarmer un terroriste et furent abattus par lui.

DR.

Ce que cet épisode tragique nous confirme — ceux qui ont réfléchi aux Justes parmi les Nations le savent —, c’est qu’il faut toujours dire « des » et jamais « les » en parlant des hommes. Il n’en est pas de même pour les idées. Certaines peuvent être critiquées, mais le nazisme et l’islamisme radical ne relèvent pas du débat d’interprétation et doivent être combattus par tous les moyens. Mettre le sionisme, mouvement de libération nationale des Juifs, dans la même catégorie relève d’une manipulation machiavélique ou d’une ignorance abyssale.

Des vidéos confirment que Naveed Akram, le terroriste survivant, présenté comme un jeune homme discret et timide, fuyant la politique, était en réalité un militant islamiste actif. J’ignore s’il était, avec son père, manipulé par une puissance étrangère ou s’ils ont décidé eux-mêmes de tuer des Juifs pour aller plus vite au paradis, ou pour donner l’exemple en vue de massacres généralisés.

Grande fut la tentation d’attribuer de tels actes à des « loups solitaires » dont il devenait tentant de dire qu’ils n’avaient « rien à voir avec l’islam ». Ce type d’analyse, qui paraît aujourd’hui un peu daté, a encore été mobilisé pour les derniers assassinats islamistes en France. Les liens entre les assassins de Bondi et Daech ont été dénoncés par les autorités australiennes elles-mêmes, une façon aussi de restreindre la réprobation à une entité unanimement considérée en Occident comme un ennemi à abattre, et peut-être de dérouler le tapis, par contraste, sous des mouvements aux conséquences analogues mais à la férocité idéologique moins explicite, tels les Frères musulmans dans toutes leurs variantes. Quant à l’intervention d’États eux-mêmes, on a déjà oublié que l’Iran est un grand responsable d’attentats, dont certains furent particulièrement sanglants.

Pas optimiste

Ce massacre ouvrira-t-il les yeux sur la dangerosité du terrorisme islamique et sur la nécessité de le combattre sans réserve ? Les exemples passés n’incitent pas à l’optimisme. Au-delà des paroles martiales, l’histoire des cinquante dernières années est remplie de compromissions et de lâchetés, dont la première fut peut-être la mise à l’abri d’Abou Daoud, le planificateur des attentats de Munich, que la France de Giscard refusa d’extrader vers l’Allemagne en 1977.

Il est vraisemblable que la tuerie de Bondi engendrera chez nos concitoyens un sentiment d’écœurement. Certains tenteront de le dissoudre dans une réprobation généralisée, naïve ou complaisante, de tous les actes « racistes ». D’autres, plus rares, le glorifieront de façon plus ou moins codée, ou en attribueront la responsabilité aux « sionistes » eux-mêmes. Nous connaissons tout cela depuis les attentats du 11-Septembre, et un nouveau Thierry Meyssan est peut-être déjà en train d’écrire le livre qui en fera l’idole de ceux qui ne « s’en laissent pas compter ».

Mais le risque essentiel est peut-être ailleurs. Lorsqu’une organisation ou un État est à l’œuvre dans des attentats de cette nature, son objectif principal est de faire peur à l’ensemble de la population. Or si la peur est parfois mauvaise conseillère lorsqu’elle entraîne des réactions extrêmes, elle l’est souvent de façon plus insidieuse lorsqu’elle conduit au silence, qui peut devenir une forme de collusion.

Lorsque, à Medellín, j’ai visité le mémorial aux victimes de la Violencia, cette période de vingt ans qui fit de cette ville la plus dangereuse du monde jusqu’à la mort de Pablo Escobar en 1993, j’ai été effaré par le nombre et la variété des lieux d’attentats. Pourquoi faire exploser, de façon apparemment aveugle, des pharmacies, des écoles ou des clubs de sport ? Parce que les gangs savaient que, lorsqu’une personne avait publiquement émis des critiques contre eux, même au cours d’une conversation banale, il fallait frapper de manière diffuse les lieux publics fréquentés par cette personne ou sa famille.

Le but n’était pas de punir, mais de prévenir. Il s’agissait de désigner la personne critique comme responsable, en fin de compte, de l’attentat frappant d’autres personnes qui « n’y étaient pour rien ». Raymond Barre avait parlé de « Français innocents ». Ce fut sans doute un lapsus, mais un lapsus lourd de sens.

C’est là le sens profond de l’expression « généraliser l’Intifada ». Aucun Juif n’est innocent puisqu’il est supposé soutenir Israël. Et bientôt, chaque non-Juif prenant la défense des Juifs sera à son tour présumé coupable et, au mieux, mis à l’index. Le mécanisme a été appliqué dans bien des pays, et pas seulement contre les Juifs. Les régimes totalitaires en ont fait un outil de répression aussi invisible qu’efficace, qui a conduit des familles à se désagréger par peur d’être considérées comme complices. Nous voyons peut-être aujourd’hui, chez nous, les linéaments de cette stratégie dans la hantise de certains de ne pas être perçus comme trop proches des sionistes réprouvés.

Francia Nostra

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Le président Macron inaugure la nouvelle extension de la prison des Baumettes à Marseille, le 16 décembre 2025 © Christian Liewig -Pool/SIPA

Un mois après l’assassinat du frère du militant Amine Kessaci, le président Macron s’est une nouvelle fois rendu à Marseille pour déclarer la guerre au narcotrafic en début de semaine


Le 29 octobre dernier au Brésil, à Rio, la police a mené l’opération la plus meurtrière de son histoire contre un cartel. 132 morts, des explosions, des corps mutilés et un bilan tel que l’ONU a demandé une enquête[1]. Voilà ce qui arrive dans un pays qui a laissé prospérer des gangs devenus si puissants qu’ils rançonnent l’eau, l’électricité et octroient des droits de passage arbitraires. En 2025, près de 5 millions de Brésiliens vivent sous la coupe des criminels contre lesquels l’État mène des actions de guerre.

La France prend aussi ce chemin. Depuis 2020, c’est une déferlante des narcotrafiquants et des mafieux qui inondent la France de drogues, d’armes, amassent des fortunes[2] et règlent leurs comptes à coup d’assassinats et de « guerre des gangs » à ciel ouvert. À tel point que les autorités qualifient le phénomène de « narcoterrorisme. »

A lire aussi, Charles Rojzman: La drogue, poésie noire de notre renoncement

Marseille, Toulouse, Grenoble, l’Île-de-France, toute la France est aux prises avec le narcotrafic qui ferait « travailler » 200 000 personnes, majoritairement des jeunes hommes fascinés par l’argent facile, la violence et les films de gangsters américains.

Devenir une marque pour gagner en crédibilité

Contrairement aux « sociétés du silence »[3] qui prospèrent par une discrétion absolue, les nouveaux acteurs du narcotrafic deviennent visibles et jouent le jeu de la communication : DZ Mafia, Black Manjak Family, Yoda … Ces noms sont devenus des marques grâce à leur utilisation des réseaux sociaux pour recruter et faire de la communication. Le plus puissant, victorieux de la « guerre des gangs » en 2023 (49 morts) est la DZ Mafia, qui dirige l’ensemble des trafics du sud de la France et a des ramifications en Espagne, au Maroc, en Italie et en Hollande. Il est surveillé et poursuivi par les autorités qui redoutent un scénario mexicain où son pouvoir serait tel qu’il concurrencerait celui de l’État. D’ailleurs, pourquoi cette mafia réfrénerait ses ambitions ? On n’a jamais vu une organisation criminelle reculer d’elle-même. Il a fallu la vaincre, comme en témoigne la chute de Cosa Nostra et de son capo dei capi, Toto Riina.

Amine Kessaci, au centre, et sa mère assistent à un rassemblement en hommage à son frère Mehdi Kessaci, au rond-point où il a été assassiné, et pour protester contre le trafic de drogue, à Marseille, 22 novembre 2025 © Philippe Magoni/AP/SIPA

Rap et administration

Les narcos ont décidé de diversifier leurs activités en faisant irruption dans le rap français[4].  Le succès financier et le pouvoir des rappeurs en ont fait des cibles de choix pour les mafieux, menant à des extorsions, du chantage et des assassinats ciblés. Le milieu de la musique est devenu la proie de « narcoproducteurs » qui, grâce au silence des maisons de disques, étendent le business des mafias. En revanche, les rappeurs ciblés vivent comme des fugitifs, tandis que les producteurs rechignent à dénicher des talents de peur d’être aux prises avec les gangs.

Enfin, les cas de corruption dans l’administration existent et risquent de se multiplier à mesure que les cartels seront plus riches, plus armés et plus effrayants. En 2023, l’Agence Française Anti-Corruption indiquait que les gendarmes et les policiers avaient enregistré 934 infractions d’atteinte à la probité dont 6% liés au trafic de stupéfiants (greffiers, douaniers). Cela augmente la probabilité de voir des magistrats et des politiques menacés si puissamment qu’ils n’auront d’autres choix que de céder à la mafia. Ce risque est l’un des plus dangereux car c’est l’État qui vacillerait. En somme, c’est l’Italie de la Cosa Nostra.

Que faire ?

Si les mafias progressent en France, c’est parce que l’État ne cesse de reculer sur tous les plans. La faute est générale et concerne aussi bien les consommateurs qui financent ce système, que les élus politiques qui n’ont pas assez fait pour enrayer ce fléau. Les opérations « places nettes » ou « zéro téléphone » en prison, bien que très médiatisées, sont insuffisantes et ne résolvent rien. La politique a ses défauts, notamment ceux de l’immédiateté et des impératifs de communication. Les opérations anti-drogue coûtent chères et prennent du temps avant que l’on en voie les résultats, ce qui va à l’encontre des stratégies de communication des élus qui doivent avoir des résultats rapides à présenter aux citoyens pour les rassurer et s’assurer de leur vote pour une potentielle réélection.

A lire aussi, David Duquesne: «DZ Mafia»: une mafia post-coloniale

La France et ses responsables doivent avoir le courage de prendre ce problème de front et ne doivent plus tergiverser. Il faut mener une lutte anti-mafia nationale, ambitieuse et suffisamment financée pour l’être. Il faut qu’elle soit soutenue par tous les élus et les partis politiques. Au-delà des calculs électoraux, c’est un combat national où aucun acteur ne peut rester neutre car, telle la pieuvre, la mafia étend son emprise et son pouvoir chaque jour qui passe. Si nous ne nous prenons pas les décisions qui s’imposent, le risque est que certains pans du territoire français tombent aux mains des cartels. La fiction d’une « Francia Nostra » [5] n’est pas si loin.

L'Empire: Enquête au coeur du RAP français

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[1] A ce sujet, on peut relire le papier de Driss Ghali : https://www.causeur.fr/rio-les-faubourgs-du-desordre-favelas-comando-vermelho-morts-28-octobre-318167

[2] Entre 3 et 7 milliards d’euros d’après l’OFAST, voir note ici : https://www.ofdt.fr/sites/ofdt/files/2025-01/note-bilan-offre-stups-2023_0.pdf

[3] Voir livre de Jean-François Gayraud, Les sociétés du silence, chez Fayard

[4] Voir le livre de Joan Tilouine, Paul Deutschmann et Simon Piel, L’Empire, chez Flammarion

[5] « Notre France », en référence au nom de l’organisation mafieuse sicilienne « Costa Nostra » (notre chose).

Menu de Noël à 10 euros pour néo-prolo

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Le chef Michel Husser et son fils Lucas. © Restaurant Le Cerf

Pardon de parler de moi… Mais cela peut éclairer l’angle de notre discussion.

J’appartiens à une génération (celle de 1968) qui a grandi dans les années 1970-1980. À l’époque, la classe moyenne française vivait bien, modestement, mais bien. Mes parents avaient une Renault 16, puis une Renault 21. On avait une maison à la campagne. Habitant près de Grenoble, on allait faire du ski l’hiver, c’était quasiment gratuit, à Chamrousse ou à Autrans. On avait une chaîne hi-fi achetée à la Fnac. Deux teckels et un chat. A Noël, le sapin sentait bon la forêt (les sapins ne sentent plus rien). Il y avait des portraits d’écrivains sur les billets de banque. Les grands films français en noir et blanc passaient à la télé à 20h30. La France avait encore une industrie et une agriculture, une armée, les élèves avaient peur des profs (et pas le contraire), les grands cuisiniers français faisaient la une de Paris Match, l’équipe de France de foot ne gagnait rien mais Rocheteau, Marius Trésor et Platini avaient des têtes sympathiques. Bref, par rapport à aujourd’hui, c’était plutôt chouette…

Tous les matins, en buvant mon café d’Ethiopie fraîchement moulu, j’écoute Radio Classique. J’en suis venu à me demander si cette radio n’était pas subventionnée par les médicaments Prozac, tant le tableau donné de notre pays est cataclysmique. J’ai ainsi appris, la semaine dernière, que les assureurs internationaux notaient la France au même niveau que le Nigéria et l’Afrique du Sud pour le risque d’émeutes… Tous les matins, donc, David Abiker enfonce un peu plus le clou. Comment a-t-on fait pour en arriver-là ? Trahison des élites ?

En plus, comme beaucoup de mes compatriotes et confrères journaleux, je n’ai plus un radis en poche pour fêter Noël, et ça, c’est vraiment grave, vu ma passion maladive pour la nourriture.

Heureusement, comme disait le slogan de 1974 : « en France, on n’a pas de pétrole mais on a des idées ! ».

Angoissé, j’ai donc pris mon téléphone et appelé mon ami cuisinier Michel Husser, célèbre chef alsacien étoilé de l’auberge du Cerf, à Marlenheim, près de Strasbourg, surnommé « le Robert Redford de la choucroute » :

« Allô Michel ? Dis-moi, est-ce que tu serais capable d’imaginer un menu de Noël pour les néo-prolo qui lisent Causeur ? Oui, ils sont de plus en plus nombreux, hélas. Un menu à 10 euros par personne, quoi, à faire à la maison, en famille, tranquille, mais délicieux et festif, pour oublier l’horreur du temps présent ? Pas de doubitchou roulé sous les aisselles de monsieur Preskovic ! Ni de saumon fumé d’élevage de Norvège bourré de cochonneries. Un menu facile élaboré à partir de produits simples. »

« No problemo » fut sa réponse, comme disait Homer Simpson.

Le menu de Noël que nous vous proposons ici a donc été inventé en Alsace, rien que pour vous : du sur-mesure ! Pour les vins, Michel Husser m’a conseillé un vigneron de son village de Marlenheim, le domaine Fritsch, qui est en bio et qui produit d’admirables Riesling à un peu moins de 10 euros la bouteille… À défaut, je vous conseille juste de vous rendre chez un bon caviste de quartier (non dans une grande surface) : le caviste est un « libraire du vin », un médiateur passionné capable de vous dénicher une bonne bouteille à petit prix ! Faites-lui confiance.

Permettez-moi aussi de vous dire un mot sur les Husser. Leur majestueuse auberge campagnarde (bâtie en 1739 !) avait été autrefois un relais de diligence sur la route Paris-Strasbourg. Quand les grands-parents de Michel l’a reprennent, en 1930, ils commencent par y proposer leurs spécialités alsaciennes, et notamment leur fameux presskopf (fabriqué avec des têtes et des langues de porc) qu’ils servent sur une tranche de jambon salé et fumé maison avec des radis, des cornichons et des tomates du jardin potager, une livre de beurre baraté par le fermier du coin, une miche de pain paysan cuit au feu de bois, le tout accompagné d’une carafe de vin rosé du village, bien frais, aux notes de fraises des bois ! Le paradis. La tarte aux prunes et la charlotte au kirsch et gelée de groseilles deviennent vite réputées dans tout le département ! Jacques Chirac aimait tellement cette adresse qu’il y invitera à déjeuner le chancelier Schroeder. Protestant de naissance, Michel Husser a été élevé chez les Franciscains catholiques avant de faire l’armée dans la marine : discipline, rigueur ! Au début des années 1980, il part cuisiner à Paris auprès du grand chef Alain Senderens, spécialiste mondial des accords mets-vins : une révélation ! En rentrant chez lui, en Alsace, il décide alors d’injecter au Cerf une dose de créativité, d’où les deux étoiles Michelin qui vont lui tomber dessus au fil des ans. Il remporte aussi l’équivalent du concours « Masterchef » au Japon ce qui lui vaut d’être photographié dans Playboy entre deux donzelles seins nus… (jeune, Michel ressemblait un peu à Kevin Costner, en plus baraqué). La photo, hélas, a été planquée quelque part.

Michel Husser est aussi un pédagogue qui a formé de nombreux jeunes chefs, dont Kei, le seul Japonais à avoir trois étoiles Michelin à Paris aujourd’hui.

Avec le temps, il s’est lassé de la cuisine gastronomique pleine de chichis et est revenu aux sources de son terroir en proposant deux plats de légende indémodables qui figurent depuis trente ans à sa carte : la choucroute « fil d’or » au riesling, aux épices, au boudin noir et au foie gras, et la bouchée à la reine au ris de veau et aux morilles ! Rien que pour elles, vous devez aller à Marlenheim (on peut passer la nuit au Cerf), car il n’y a l’équivalent nulle part ailleurs…

Aujourd’hui, Michel est en train de passer le relai à son fils Lucas, 29 ans : « il est encore plus doué que moi ! » Voir le père et le fils cuisinier ensemble à quatre mains est un sacré spectacle… L’auberge reste dans le giron familial.

Restautant Le Cerf, 30 rue du Général-de-Gaulle, Marlenheim, 67520, France

Voici donc le menu de Noël tant attendu, pas cher, facile à réaliser !


Entrée 

Tartare de daurade mariné au raifort.

Plat 

Fameuse bouchée à la reine du Cerf (vous pouvez remplacer le ris de veau par de la volaille, moins coûteuse, et mettre un autre champignon à la place de la morille).

Dessert 

Tarte feuilletée aux clémentines de Corse


Tartare de daurade, mariné façon maatjes, fleurette au raifort

Ingrédients pour 4 personnes

Filet de daurade sans peau et sans arêtes300g
Vinaigre de Chardonnay2cl
Huile d’olive1cl
Saké1cl
Cressonnette100g
Petites pommes de terre cuites en robe des champs3
Cébettes ciselées50g
Cornichons aigre-doux en brunoise80g
Pomme granny smith en brunoise80g
Persil, ciboulette, cerfeuil haché20g
Raifort15g
Citron pressé1/2
Crème fleurette2dl
Pomme granny smith1
  • Mélanger la crème avec le jus de citron et le raifort, saler.
  • Mélanger les cébettes, cornichons, pommes granny smith et les herbes avec un peu de crème au raifort.
  • Couper les pommes de terre en rondelles, les tenir au chaud avec le reste de la crème.
  • Couper la daurade en petits cubes, l’assaisonner de sel, poivre, huile d’olive, vinaigre de Chardonnay, saké.
  • Garnir le pourtour des assiettes avec la cressonnette, puis le milieu de l’assiette avec les pommes de terre tièdes.
  • A l’aide de cercle, dresser la garniture à la crème sur les pommes de terre, puis le tartare de daurade.
  • Décorer le dessus du tartare avec de la cressonnette et une julienne de pomme granny smith.

Poisson de substitution : Truite saumonée, saumon, bar

Vin d’accompagnement : Sylvaner Vieilles Vignes Anne-Marie Schmitt Bergbieten

Les fameuses « bouchées à la reine » du Cerf

Ingrédients pour 6 personnes

Volaille fermière1
Ris de veau250g
Collet de veau500g
Pied de veau1
Bouillon de volaille2l
Riesling0,5l
Croûte en feuilletage au beurre6
Légumes aromatiques : 
Gros oignon2
Carotte4
Poireau2
Céleri150g
Thym, 1 feuille de laurier, coriandre, 1 clou de girofle 
Tête d’ail1
Garniture et sauce : 
Champignons de Paris300g
Crème fleurette0,6l
Farine50g
Beurre50g
Citron1/2
Persil, ciboulette 
Cerfeuil 
Quenelles de volaille : 
Crème fleurette200g
Blanc d’oeuf1
Sel, poivre, muscade 
  • Séparer les blancs de volaille et les cuisses de la carcasse.
  • Après avoir fait dégorger les pieds de veau, les ris de veau, les blanchir à l’eau bouillante. Éplucher les ris de veau.
  • Cuire à feu doux le collet de veau, les cuisses et la carcasse de volaille, les ris et le pied de veau dans le bouillon avec les légumes, les épices et aromates et le vin.
  • Repêcher tous les ingrédients au fur et à mesure de leur cuisson, d’abord les ris de veau, puis les cuisses de volaille et les légumes et enfin le pied et collet de veau. Laisser réduire le bouillon des 2/3.
  • Couper les viandes et les légumes en cube de 2 cm.

Les quenelles de volaille

  • Hacher la chair des blancs de volaille très finement et la mettre au congélateur. Réduire la chair congelée en purée au cutter puis ajouter la crème et le blanc d’œuf. Assaisonner avec sel, poivre et muscade.
  • Nettoyer les champignons, les faire sauter au beurre avec un peu d’échalote, ajouter du bouillon. Cuire et récupérer le bouillon.
  • Faire un roux avec la farine et le beurre. Ajouter le bouillon de champignons, une partie du bouillon de cuisson et la crème. Laisser cuire pendant 20 mn pour faire épaissir. Fouetter énergiquement la sauce avec un mixer plongeant ou un fouet) pour la rendre onctueuse puis ajouter le demi jus de citron. Rajouter la viande, les quenelles et les légumes et garnir les vol-au-vent, puis parsemer des fines herbes hachées.

Astuces

  • Cuire les ingrédients à feu très doux (85 à 90°) pour que la viande ne dessèche pas.
  • On peut utiliser toute sorte de champignons sauvages (morilles, girolles, rosés des prés) en place des champignons de Paris, qui donneront un goût exquis à la sauce.
  • Ne pas oublier de réchauffer les vol-au-vent avant de les garnir.
  • Servir avec des pâtes fraîches ou spaetzles.

Vin conseillé : Pinot gris Grand Cru Steinklotz Serge Fend Marlenheim 2010

Tarte feuilletée aux clémentines de Corse

Ingrédients

1 abaisse de pâte feuilletée au beurre (environ 300g) = vous en trouvez des déjà faites au supermarché, par exemple celles de Marie.
1 kg de clémentines de Corse
50 g de sucre roux 
50g de poudre d’amande 
50 g de couscous (moyen)
50g de beurre 
50g de sucre glace 

Préparation

  • Disposer la pâte feuilletée dans un moule à tarte sans bord 
  • Piquer la pâte à l’aide d’une fourchette 
  • Couvrir la pâte avec du papier sulfurisé et des billes et précuite cette pâte à 180 degrés pendant 20 minutes 
  • Pendant ce temps, coupez les clémentines en fines lamelles
  • Mélanger le sucre roux, le couscous et la poudre d’amande
  • Étaler ce mélange sur la pâte précuite 
  • Disposer les lamelles de clémentine en rond en partant du rebord de la tarte vers le centre en les chevauchant 
  • Faire fondre le beurre, ajoutez le sucre glace et en badigeonner les clémentines à l’aide d’un pinceau 
  • Cuire la tarte à 180 degrés pendant 20 minutes (chaleur tournante).
  • À la sortie du four pulvériser la tarte avec un peu de sucre glace pour la faire briller 

Servir tiède avec une glace vanille ou un sorbet mangue ou ananas. 

MMMh !…

Que Gérald Darmanin nous aide à le soutenir…

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Le ministre de la Justice Gérald Darmanin photographié à Paris le 26 novembre dernier © Gaspard Lamouret/SIPA

Après une visite en prison très commentée de l’ancien président Nicolas Sarkozy, des syndicats de magistrats se sont déclarés hier « consternés » par le soutien exprimé par le garde des Sceaux à Damien Castelain, président de la métropole lilloise condamné mardi à 18 mois de prison avec sursis, 20 000 euros d’amende et deux ans d’inéligibilité avec exécution provisoire pour « abus de confiance et recel » et « détournement de fonds publics ».


Mon premier mouvement a toujours été de soutenir le garde des Sceaux dans ses interventions périphériques, sans qu’elles soient jamais totalement détachées de sa prestigieuse fonction de ministre de la Justice. Je ne pouvais, en effet, m’empêcher d’estimer cette personnalité qui entendait demeurer libre et refusait, même dans son expression publique, de sacrifier ses amitiés ou son estime.

Récidive

Il l’a fait pour Nicolas Sarkozy, en tentant tant bien que mal de rattacher sa sollicitude à l’égard de l’ancien président à son obligation de vérifier, pour sa sauvegarde, les conditions de son incarcération. Il a été très critiqué par les syndicats de magistrats, mais, en définitive, on n’a pas considéré que la manière dont ce soutien avait été formulé portait atteinte à l’équité de l’appel à venir au début de l’année 2026.

Mais, à l’évidence, le ministre est un homme entêté dans ses résolutions, pour le meilleur en ce qui concerne la politique qu’il mène et qu’il projette, sur un mode plus ambigu s’agissant de la persistance de ses fidélités amicales et politiques malgré l’énoncé d’une condamnation.

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En effet, le ministre a assuré de son « soutien » un élu du Nord condamné par la cour d’appel de Douai à dix-huit mois de prison avec sursis et à deux ans d’inéligibilité pour détournement de fonds.

Deux syndicats de magistrats se sont indignés, jeudi 18 décembre, des propos de Gérald Darmanin. Celui-ci a précisé sur X que, « sans commenter d’aucune manière une décision de justice », il avait « une pensée plus qu’amicale pour Damien Castelain, qui est un grand président de la Métropole de Lille et un maire passionné de Péronne-en-Mélantois (…), dans un moment difficile ».

Même si Gérald Darmanin délimite clairement son champ d’expression en affirmant qu’il ne relève pas du commentaire d’une décision de justice, l’USM a considéré comme « problématique » toute expression publique de soutien à un justiciable condamné.

Ligne de crête

Pour le moins, il s’agit d’une attitude quelque peu schizophrénique du garde des Sceaux, qui choisit de rester sur une ligne de crête, conciliant les exigences de sa fonction et ses fidélités politiques et personnelles.

On notera qu’il ne s’agit pas de la démarche qui avait été reprochée à François Bayrou, lequel ne parvenait pas à comprendre que le citoyen ne pouvait pas, sur des sujets judiciaires, prendre sans difficulté la relève du garde des Sceaux.

Gérald Darmanin s’efforce de faire d’une pierre ministérielle deux coups, si j’ose dire. Il me semble que cette intervention, qui introduit un peu de liberté dans le carcan ministériel, n’a rien de gravissime.

Elle me paraît plus préjudiciable à la multitude de ceux qui soutiennent l’émergence et la pratique intelligente, très active, enfin, d’un authentique et remarquable ministre de la Justice. Non pas parce qu’il a succédé, place Vendôme, à une personnalité qui validait le contraire de ce que l’avocat plaidait – cela ne concerne que le seul Éric Dupond-Moretti – et qui n’était pas loin de faire passer pour une politique pénale ses éructations constantes, notamment parlementaires, contre le Rassemblement national.

Je demande respectueusement à Gérald Darmanin de songer, dans son expression publique, aux citoyens qui sont enfin heureux – comme hier avec Bruno Retailleau – de voir le régalien pris en charge par des responsables dignes de ce nom, qui honorent et ont honoré leur fonction sans se contenter d’être honorés par elle.

Il faut que le ministre Darmanin ne rende pas trop difficile le soutien qui lui est apporté, ni l’admiration qu’il peut susciter au sein d’un gouvernement imparfait, par son inlassable et novatrice volonté de changement, et par son action effective. Si j’osais, j’irais jusqu’à lui demander de ne pas me contraindre, lorsque j’écris des billets pour le défendre ou l’approuver, à des exercices de plus en plus éprouvants.

L’homme qui dort

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Le Sommeil de saint Pierre, Giuseppe Antonio Petrini, vers 1740 © Grand Palais RMN/Stéphane Maréchalle

Le sommeil a toujours inspiré les artistes. Et en réunissant des œuvres de l’Antiquité à nos jours, «L’Empire du sommeil», au musée Marmottan Monet, brosse le portrait psychologique de l’humanité occidentale : ses amours, ses textes saints, sa mythologie, ses désirs érotiques, ses ivresses et ses paradis artificiels.


Qu’il soit doux et « réparateur », profond, agité, peuplé de rêves ou de cauchemars, qu’il occupe une nuit noire ou un après-midi ensoleillé, le sommeil demeure une absence mystérieuse. Tout le monde dort, même les insomniaques. Nous passerions un tiers de notre vie à dormir. Et cet état d’abandon physique et intellectuel « frère de la mort » (Théophile Gautier) a toujours nourri la création artistique. Depuis des millénaires, musiciens, dramaturges, poètes, romanciers, sculpteurs et peintres ont représenté ce temps suspendu – qui n’est pas forcément de tout repos – avec une fascination teintée de crainte irrationnelle. Puis la médecine s’est penchée sur ce curieux moment de notre existence. Il lui reste beaucoup de choses à découvrir mais elle dévoile petit à petit l’activité perpétuelle du cerveau humain. Ce champ d’études infini a été exploré par la psychanalyse dès ses débuts, Freud estimant que « l’interprétation des rêves est la voie royale qui mène à la connaissance de l’inconscient de la vie psychique ». Le Viennois a également formulé un constat que nous pouvons tous partager : « La pensée des rêves est presque toute faite d’images. » Pourtant, aucune exposition n’avait été consacrée aux représentations du sommeil ; jusqu’à ce que le musée Marmottan Monet ouvre ses portes à Laura Bossi.

Cette neurologue et historienne des sciences s’est illustrée par les ponts qu’elle tend entre les disciplines, par sa façon peu commune d’associer histoire de l’art, histoire des idées et histoire des sciences. « Les Origines du monde. L’invention de la Nature au xixe siècle », au musée d’Orsay en 2020, en était une remarquable synthèse. On trouvait déjà cette patte à travers ses collaborations avec son époux Jean Clair qui ont fait date, « Mélancolie » (Grand Palais, 2005), « Crime et châtiment » (Orsay, 2010), « Sigmund Freud. Du regard à l’écoute » (MAHJ, 2018)… Avec « L’Empire du sommeil », elle brosse le portrait psychologique de l’humanité occidentale, ses amours, ses textes saints, sa mythologie, ses désirs érotiques, ses ivresses et ses paradis artificiels. Tout au long des huit salles du musée se côtoient dans un accrochage très « xixe » tableaux et gravures, photographies et dessins, sculptures et enluminures, soit cent trente-sept œuvres venues du monde entier et de tous les temps, de l’Antiquité à nos jours.

Laura Bossi. Photo : Hannah Assouline

Tendre regard

« Quasiment tous les artistes ont peint ou dessiné leurs proches endormis, nous dit Laura Bossi. Pendant la sieste, ce sommeil diurne particulièrement doux, ils ont portraituré leurs épouses, leurs maîtresses, leurs enfants ou leurs animaux domestiques. » Claude Monet peint son fils Jean au berceau (1868), les yeux clos, il serre une poupée aux joues roses comme les siennes. Mais le sommeil peut s’emparer de nous n’importe où. John Everett Millais immortalise une fillette richement vêtue qui s’est assoupie assise à l’église. Ses mains sont dissimulées dans un manchon de fourrure et ses petites jambes tendues d’un collant rouge ne touchent pas le sol. S’est-elle endormie d’ennui ? La toile s’intitule Mon deuxième sermon (1864).

À l’inverse, Un martyr. Le Marchand de violettes (1885) de Fernand Pelez représente un garçon bouleversant, a-t-il 10 ans, affalé à même le trottoir. Le malheureux aux pieds nus est tombé d’épuisement contre une porte cochère. Il dort la bouche ouverte, on découvre sa peau diaphane à travers ses haillons, ses mains délicates aux ongles noirs reposent parmi ses petits bouquets.

Une photo prise en 1905 nous montre Pierre Bonnard et le prince Antoine Bibesco piquant du nez, côte à côte sur une banquette de train, un livre ouvert sur les genoux. Quant à David Hockney, il a consacré une série de gravures à son chien en boule dans son panier (ici la No. 8, 1998). Les nombreux traits à la pointe sèche traduiraient presque les ronflements de l’animal. « Tous les animaux dorment, nous apprend Laura Bossi. Ceux qui nous sont les plus proches, les mammifères ou les oiseaux, mais aussi les serpents, les poissons, les araignées, les vers de terre… même les méduses ! »

La Somnambule, Maximilian Pirner, 1878. National Gallery Prague

C’était écrit

On dort aussi abondamment dans la Bible. Jacques Le Goff a recensé quarante-trois rêves dans l’Ancien Testament et neuf dans les Évangiles[1]. Dans la Genèse, le sommeil est lié à la symbolique des origines : Adam est endormi lors de la création d’Ève (superbe enluminure d’une Bible latine, xiie-xiiie siècles) ; Noé s’endort après avoir trop bu (la remarquable toile de Bellini, peinte vers 1515, montre ses fils tentant de cacher sa nudité avec un drap – rose et non blanc comme un linceul, car Noé dort, il n’est pas mort) ; et Job souffre d’insomnies (la gravure de William Blake, Rêves terrifiants de Job, 1825, en témoigne par une vision infernale).

Avec la promesse de résurrection du christianisme, le sommeil n’est plus apparenté à la mort. Au contraire, la mort est considérée comme un sommeil dont on sera réveillé. Le terme « dormition », du latin dormitio (sommeil), est d’ailleurs employé pour qualifier la mort des saints et surtout celle de la Vierge Marie. La Dormition de la Vierge est un état transitoire qui se caractérise par l’absence de souffrance et la paix de l’âme avant son élévation au Ciel, son Assomption. Il se dégage de La Dormition du xve siècle qui est exposée, exceptionnel haut-relief en bois polychrome et doré, un souffle joyeux. Les douze apôtres qui encadrent le lit de la Vierge lisent et chantent en chœur, ils sourient.

Le Christ a également eu de célèbres sommeils. Notamment en pleine tempête sur le lac de Tibériade. Affolés sur leur barque, les apôtres le réveillent, Il calme les eaux puis leur lance : « Hommes de peu de foi, de quoi avez-vous peur ? » Un sommeil serein comme allégorie de la foi. Ce même sommeil peut aussi être celui de la douleur, de la tristesse profonde face à la mort du Christ, c’est le cas de Luc et de Jean souvent représentés endormis ou mélancoliques. Jean s’endort même à la table de la Cène. Les Trois Apôtres endormis, un ivoire sculpté du xive siècle de quelques centimètres de hauteur est des plus émouvants.

Blanche nuit

« Je jalouse le sort des plus vils animaux / Qui peuvent se plonger dans un sommeil stupide », écrit Charles Baudelaire dans Les Fleurs du mal. Le « sommeil du juste » n’est pas donné à tout le monde et dès la fin du xviiie siècle, l’insomnie et les troubles nocturnes tels que le somnambulisme et les cauchemars ont inspiré les artistes bien avant les scientifiques. Goya, Füssli et Blake ont ainsi ouvert une voie aux romantiques allemands et français : la représentation des troubles de l’âme.

L’incube est une figure particulièrement équivoque. Ce gnome grotesque mêle angoisse et érotisme. C’est un démon à forme humaine qui vient violer les femmes dans leur sommeil. Assis comme une gargouille oppressante sur la poitrine de la belle endormie, il peut également incarner la paralysie du sommeil, cette incapacité éphémère de bouger ses muscles et de parler. Dans L’incube s’envolant, laissant deux jeunes femmes (1780), Füssli peint deux éplorées sur leur lit alors que la bête s’envole sur un cheval à travers la fenêtre. Peu de doute : elles ont vu le loup. Dans Le Cauchemar (1860), d’après Füssli, Gabriel von Max brosse un gnome terrifiant qui fixe le spectateur. Sous lui, la dame semble dormir, alanguie. A-t-il déjà commis son crime, s’apprête-t-il à le faire ? Sous le même titre, en 1846, Ditlev Blunck n’y va pas par quatre chemins. L’incube, corps d’homme et tête de lapin aux yeux exorbités, découvre les seins de l’endormie qui ne paraît pas du tout cauchemarder.

La nuit blanche est aussi synonyme de solitude. Edvard Munch, insomniaque, l’a représentée dans plusieurs autoportraits. Le magistral Noctambule (1923-24) erre ici dans la pénombre de son appartement, épaules voûtées et traits floutés.

In bed with…

« L’Empire du sommeil » se conclut sur un meuble qui lui est forcément associé, le lit. Georges Perec souligne que « même l’homme le plus criblé de dettes peut le conserver : les huissiers n’ont pas le pouvoir de saisir votre lit ; cela veut dire aussi – et on le vérifie dans la pratique – que nous n’avons qu’un lit, qui est notre lit ; quand il y en a d’autres dans la maison, on dit que ce sont des lits d’amis ou des lits d’appoint[2] ». Autrefois compagnon pour la vie, de la naissance à la mort en passant par la maladie, le lit personnel se troque désormais pour un lit à hôpital. Chez soi, il n’est plus que le lieu du sommeil et peut-être de l’amour. La force d’évocation des draps froissés de Delacroix (Le Lit défait, 1824), comme des oreillers rapprochés d’Avigdor Arikha (Lits, 2004), témoigne d’une action passée, d’un souffle érotique ou sensuel. Dans Mère (1900), de Joaquin Sorolla y Bastida, c’est un immense cocon de couettes blanches, chaud, profond et rassurant, duquel émergent les visages paisibles d’une mère et de son nourrisson. Avant d’empêcher ses parents de dormir, le petit d’homme consacre les premiers temps de son existence au sommeil.


À voir

« L’Empire du sommeil », musée Marmottan Monet, 2, rue Louis-Boilly, 75016 Paris, jusqu’au 1er mars 2026.

À lire

Le catalogue de l’exposition est riche de nombreux textes complémentaires, tels le sommeil au cinéma (Dominique Païni) et dans la musique (Ivan Alexandre).

L’Empire du sommeil, Laura Bossi (dir.), In Fine Éditions/Musée Marmottan Monet, 2025. 248 pages

L'EMPIRE DU SOMMEIL

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[1] « Le christianisme et les rêves », in L’Imaginaire médiéval, 1985.

[2] Espèces d’espaces, 1974.

Globalisme et complotisme, le bel avenir du complot juif

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Klaus Schwab à Davos, 18 janvier 2023 © Markus Schreiber/AP/SIPA

Les nouvelles théories complotistes, les fantasmes autour du Forum de Davos, de l’Etat profond ou du « Great reset » auront-ils raison de l’inusable complot juif ?


Trois projets politiques globaux – sans définition nationale –  se sont affrontés au XXe siècle : le fascisme, le communisme et la démocratie  libérale. La démocratie libérale l’a emporté. La proclamation de sa victoire  en 1991, s’est accompagnée d’innovations technologiques  qui  ont permis d’organiser la division du travail à l’échelle mondiale, et ainsi d’étendre l’emprise du libéralisme,  sinon de la démocratie, au monde entier.  La « mondialisation heureuse » louée par Alain Minc a vu une amélioration  des conditions  matérielles d’une grande part de l’humanité. Mais celle-ci a été acquise au prix de l’urbanisation généralisée  qui a entraîné de graves atteintes  aux équilibres naturels et un ébranlement général  des systèmes de croyance et de socialisation. Ainsi la mondialisation est-elle  devenue également celle des angoisses : ce fut  la crise écologique, puis le réchauffement climatique et enfin le  risque pandémique.

On laissera ici de côté les controverses sur la nature, la profondeur et même  la réalité de ces problèmes. Les médias, l’école et les gouvernements les évoquent en permanence et prétendent y conformer leurs programmes et leurs politiques. Cela leur confère une consistance, une crédibilité, et suscite une nouvelle génération  de  projets globaux. Car à des problème globaux, il ne peut y avoir que des solution globales. Lesquelles supposent  une gouvernance globale.

L’ONU a été la première à proposer ses services  en 1992 à la Conférence de Rio sur l’environnement et le développement, le « Sommet de la terre », puis avec les Objectifs de Développement du Millénaire. Mais l’ONU n’a pas de mains, elle n’a que celles que lui prêtent les Etats, lesquels ont par définition un horizon essentiellement national. Kofi Annan, Secrétaire général  de l’ONU,  eut l’idée d’élargir aux entreprises l’assise financière  de l’organisation. Le seul grand capitaliste à jouer le jeu fut Bill Gates et ainsi naquit  l’Alliance Mondiale pour le vaccin et l’immunisation, le GAVI.

Dans son ensemble le grand capital s’est rallié à la proposition inverse : assujettir les peuples et les Etats à un agenda mondial défini par lui-même. Une fois de plus le capitalisme a démontré sa supériorité sur les bureaucraties. Aucune résolution n’a été adoptée, encore moins par un vote. Aucun objectif chiffré, aucun indicateur, aucune loi. Juste un consensus élaboré, entretenu, par un jamboree annuel à Davos, Suisse. Son contenu est assez simple : Même si le commun des mortels n’en a pas suffisamment conscience et doit être éduqué, les problèmes globaux existent. Ils sont gravissimes mais ils peuvent être réglés –  mieux, ils sont de opportunités de progrès – en tirant partie des avancées technologiques. Mais à deux conditions :  intensifier en capital les processus de production sans aucune limite au détriment du travail,  et ne pas entraver la liberté de mouvement capitalisme, ne pas toucher  à la  règle d’or du libéralisme : l’individu seul.

Divine surprise

La pandémie de 2020 a été pour Davos une divine surprise qui a permis de faire un grand bond en avant  vers l’informatisation de tout. Que de tels progrès conduisent tout droit à la division de l’humanité en deux classes, la seconde et la plus nombreuse étant celle d’un cheptel docile modestement entretenu, est une conséquence qui n’est pas mentionnée, du moins pas sous une forme aussi crue. Davos est le nom de ce programme et Klaus Schwab qui en a donné une formulation, le « Great Reset »,  est son prophète[1].

Si l’on ajoute au Forum Economique Mondial de Davos, quelques conciliabules annexes comme la conférence  de Bilderberg ou la Trilatérale, on voit apparaître en arrière-plan de cet inquiétant projet, une nébuleuse qui pourrait facilement être prise pour un gouvernement secret du monde. L’élite qui fréquente ces hauts lieux,  capitalistes, bureaucrates  et politique mêlés, se veut multilatéraliste, c’est-à-dire qu’elle soutient, du moins verbalement,  le renforcement du rôle de l’ONU dans la résolution des problèmes internationaux et globaux. Cela revient à défendre l’idée que ce qu’il faudrait, c’est un gouvernement mondial.

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Il y a de fortes raisons de se méfier des projets de gouvernement mondial, la moindre d’entre elles étant qu’ils sont exclusifs de toute forme de démocratie. En outre, tout projet politique global est intrinsèquement dangereux car, étant situé à la plus grande distance  de l’expérience et du contrôle personnels, aucun amortisseur, sinon la morale la plus intime, ne limite son hybris. Quant au Great reset, qu’il s’intéresse au «   développement durable », à la « croissance inclusive », ou à la « quatrième révolution industrielle », il  est  soupçonné  d’être l’habillage  d’une mutation du capitalisme  vers de nouvelles  formes d’exploitation, de bureaucratisation,  voire d’emprise totalitaire. Mais ses implications politiques ne sont pas formalisées, malgré l’émergence du mouvement des « Lumières noires » outre-atlantique,  ni portées par une organisation politique comparable à l’ancienne internationale communiste. Ils ouvrent donc une  grande  fenêtre aux théories du complot.

Celles-ci ont effet pour premier objectif de  démasquer les conjurés[2] Pour ce faire, il faut les nommer : l’Etat profond, les globalistes, les Illuminati,  sont des termes qui ne désignent personne en particulier mais un parti caché qui tirerait  les ficelles et commanderait  aux politiques, lesquels  ne seraient que ses hommes de paille. Mais ces termes sont flous, alors qu’on dispose depuis longtemps  d’un nom pour désigner une internationale invisible organisée pour s’approprier le gouvernement du monde : l’inusable complot juif. Si l’on tient à trouver une conjuration internationale c’est évidemment là qu’il faut la chercher : qui donc sinon la diaspora juive  a des représentants  dans la plupart des cercles  de richesse  et de pouvoir du monde blanc et entretient une infinité de  réseaux  familiaux transfrontaliers?

Du bout des lèvres

En Occident tout au moins, le surmoi hérité de la seconde guerre mondiale interdit  pour l’instant de s’abandonner au grand jour à cette facilité. Beaucoup ont le mot au bout des lèvres  et la seule question est de savoir quand ils oseront le cracher. Certains ont d’ailleurs commencé à le faire : en Occident parmi les groupuscules de la vraie extrême-droite, dans le monde musulman que cette lubie occupe depuis des décennies,  et en Russie chez les tenants de la ligne dure contre l’Occident, les « turbopatriotes » . Il suffit d’aller voir les commentaires des articles de Russia Today pour constater que le complot juif n’a pas pris une ride, le mot sioniste a simplement remplacé le mot juif,  et que la Russie, du moins une partie d’entre elle, est, avec ses supporters inconditionnels, à l’avant-garde de la libération de la parole antisémite. 

Une théorie du complot a réponse à tout. Toute objection la renforce, la rationalité n’a pas de prise sur elle. Elle se nourrit d’équivoques, de demi-vérités, de fausses évidences, prospère dans les  zones d’ombre. Essayons  d’allumer un peu  la lumière.

Y a-t-il une machination ? Oui. Mais pas au sens d’une conjuration des gros cigares ou du Sanhédrin, au sens que lui donne Renaud Camus : la transformation progressive du monde en une vaste machine. La généalogie de ce processus a été décrite par Pierre  Musso dans  La religion industrielle[3] et  son actualité par Renaud Camus  dans ses récents ouvrages[4]. Il n’y a ni complot, ni  conjurés,  seulement le développement d’une métaphysique, celle de l’Occident, qui poursuit inexorablement sa marche en avant  vers la valorisation c’est-à-dire numérisation totale, la machination, du monde.

Celle-ci est-elle l’ennemie du genre humain ? Encore oui.  D’ores-et-déjà le transhumanisme  apparaît comme l’horizon inéluctable de cette accumulation de progrès.

Certains en tirent-ils profit?  Oui bien sûr. Comme toujours dans les grandes mutations, ceux qui sont capables, par les moyens dont ils disposent ou par leur intelligence et par leur cynisme,  de s’enrichir sur le dos de ceux qui n’ont pas ces atouts. En attendant d’apercevoir l’iceberg, la fête bat son plein sur le Titanic du progrès et les fortunes montent à des hauteurs sans doute jamais vues dans l’histoire.

Combien parmi ces gagnants y a-t-il de Juifs ? La réponse est la même qu’à l’ancienne question , combien de Juifs dans les organes  du Parti puis de l’Etat bolchevique : Beaucoup.  C’est naturellement là que le complot juif contemporain, comme naguère le judéo-bolchevisme trouve sa consistance.  Pourtant, dans un cas comme dans l’autre, il n’y a rien là  de mystérieux : la réussite sociale des Juifs tient à leur suradaptation  au mode de pensée de l’Occident. Sans doute parce qu’ils en sont les premiers auteurs, ou simplement  parce que des siècles et des siècles  d’étude talmudique ininterrompue de génération en génération, ça crée des habitudes de travail intellectuel.

C’est ainsi que, lorsque vers  1870 le régime tsariste  décide d’ouvrir l’enseignement supérieur à ce qui est alors la plus forte communauté juive du monde, la jeunesse juive , dont la plupart des parents savaient à peine le russe, se précipite vers les universités en si grand nombre et y connait de tels succès qu’on juge nécessaire d’instaurer des quotas limitant le nombre de  Juifs par établissement. Un demi-siècle plus tard, les mêmes causes produisant les mêmes effets, les universités américaines de l’Ivy League  prendront des mesures comparables.

Entretemps le judaïsme russe a connu trois ruptures : L’émigration de deux  millions de juifs russes aux Etats-Unis, le sionisme et  la révolution bolchevique.

La révolution de 1917 interdit le commerce privé, source première de revenu des Juifs russes, supprima la zone de résidence  des Juifs et détruisit l’administration tsariste. Les Juifs quittèrent alors massivement la zone de résidence et se ruèrent vers les grandes villes où s’offrit à eux une seule possibilité économique : remplacer les cadres de l’ancienne administration. Ils le firent avec une efficacité qui sans doute sauva le nouveau régime de l’effondrement et, pour beaucoup, une tendance à se venger d’un siècle d’humiliation . Cela suffit-il à accréditer le mythe du judéo-bolchevisme, cette variante  du complot juif qui fut le  grand thème de la propagande nazie ?  Soljenitsyne, qui a dressé un tableau implacable de la participation  des Juifs à la mise en place du pouvoir bolchevique et  de leur rôle dans les organes de répression, a répondu : la révolution bolchevique  a été faite par des rénégats. En majorité des rénégats de l’orthodoxie  russe, mais aussi des rénégats du judaïsme  et d’autres traditions encore. Dire que la révolution bolchevique a été une révolution juive n’a aucun sens[5].

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Les Juifs qui émigrèrent en Amérique, emportèrent avec eux, en même temps qu’un ressentiment à l’égard de la Russie  dont on trouve la trace encore aujourd’hui chez les Kagan, Wolfowitz et autres  néo-conservateurs,  leur capacités intellectuelles et de travail. Au XXe siècle 37% des Américains honorés d’un prix Nobel  ont été des juifs, lesquels représentaient  2% de la  population du pays . Il n’y avait  aucune raison pour que ces talents  restent  cantonnés aux sphères éthérées de la science et des arts. Elles assurèrent dès le début du XXe siècle une place importante aux Juifs dans le monde  des affaires et d’abord de la finance, un domaine d’expertise traditionnel des Juifs. Bien entendu, les Juifs américains sont largement représentés à Davos.

Ils y retrouvent d’ailleurs  des Juifs russes, ceux-ci étant, tout aussi évidemment,  nombreux parmi les oligarques, adversaires mais plus souvent (pour ceux qui sont encore en vie) soutiens de Vladimir  Poutine. On ne prend pas trop de risque à prédire que si les fins stratèges  qui ne souhaitent que le départ de Poutine obtiennent gain de cause, on assistera à une nouvelle poussée de fièvre antisémite en Russie.


Globalisme et complotisme sont les deux faces d’une même monnaie, celle dont se paie le déracinement. L’un comme l’autre nous disent qu’on a raison d’avoir peur. Le globalisme contemporain n’embrigade plus, ne promet  plus des lendemains qui chantent, il protège. La technocratie, « la science » qui savent mieux que nous, nous disent comment nous devons vivre  pour conjurer les invisibles et d’autant plus terribles périls qui nous menacent. Le complotisme , lui, désigne des coupables.

Peter Thiel, quant à lui, annonce carrément le retour de l’Antéchrist et l’Apocalypse. On peut en sourire,  ou bien lire le Court récit sur l’Antéchrist[6] écrit en 1899 par Vladimir Soloviev. On y apprend que l’Antéchrist n’est pas du tout un méchant. Il  est le chef de ce que Philippe Muray nommera quelques  décennies plus tard, L’Empire du Bien[7]. Lui aussi prétend sauver la planète. La différence avec la situation actuelle est que dans le texte de Soloviev, les grandes religions sont encore capables de se lever pour dénoncer et, avec l’aide du Ciel, renverser l’imposteur.  Aujourd’hui plus rien ne semble capable  de s’opposer au dogme écologiste-progressiste-davosien sinon la colère, pour l’instant impuissante, du peuple.

Le complotisme fait  cadeau à ses adversaires d’une arme extraordinairement efficace : son existence-même , avec ses obsessions, sa vulgarité, son antisémitisme plus ou moins subliminal. Toute opposition, toute expression d’un doute à l’égard des causes du changement climatique, des bienfaits de l’escalade électronique ou du bien-fondé des atteintes aux libertés fondamentales sous couvert de prophylaxie, sont disqualifiées avec dédain comme complotistes. Mais c’est une arme à double tranchant. La mise au ban de la représentation les couches populaires  sous l’incrimination de «  populisme », qui est une façon encore polie de les renvoyer aux marécages malodorants  du complotisme,  met en danger la pérennité-même du système démocratique. Elle les pousse dans la direction de l’embrigadement de la colère,  ce qui, au siècle dernier,  s’appelait le fascisme.

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LE MAGICIEN DE DAVOS : vérité(s) et mensonge(s) de la Grande Réinitialisation

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[1] Cf Modeste Schwarz, Le Magicien de Davos, vérité(s) et mesnsonge(s) de la grande réinitialisation, Cultures et Racines, 2021

[2] Dans Les Protocoles des sages de Sion, faux et usage d’un faux (Berg et Fayard 2004) Pierre- André Taguieff définit plus précisément les fonctions des théories du complot: identifier les forces occultes à l’origine du prétendu complot — et confirmer qu’elles sont impitoyables ; lutter contre ces forces en révélant les secrets qui les rendent puissantes ; justifier la contre-attaque contre l’ennemi désormais identifié ; mobiliser les foules (et/ou les autorités) en faveur de la cause opposée au complot ; recréer un monde enchanté.

[3] Fayard 2017

[4] Voir en particulier La Dépossession  ou du remplacisme global, La Nouvelle Librairie 2022

[5] Alexandre Soljenitsyne Deux Siècles ensemble, tome 2 Juifs et Russes pendant la période soviétique Fayard 2003

[6] Vladimir Soloviev, Trois entretiens. Sur la guerre, la morale et la religion suivis du Court récit sur l’Antéchrist, Ad Solem 2005

[7] Philippe Muray, L’Empire du Bien, Les Belles Lettres 1991

Apprivoiser la mort

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L'écrivain Sophie Chauveau © GINIES/SIPA Numéro de reportage : 00552468_000006

Dans ses romans biographiques érudits, Sophie Chauveau explore la vie des plus grands peintres (Lippi, Botticelli, Picasso, Fragonard ou encore Masaccio …).

Elle a aussi été la première à ouvrir la boite de Pandore du tabou de l’inceste « généalogique », avec La fabrique des pervers, le livre qui, selon Camille Kouchner, l’a incitée à livrer son propre témoignage choc.

J’ai adoré mourir est un singulier pas de côté. John Huston nous invitait en 1974 à une Promenade avec l’amour et la mort, Sophie Chauveau nous propose plus encore : un cheminement souriant, main dans la main avec la camarde, derrière le cortège, de plus en plus fourni, des défunts qui ont occupé une place à part dans sa vie, partageant ses passions et ses engagements féministes et écologistes de la première heure. Marceline Loridan-Ivens, Maurice Clavel, Honoré, Philippe Sollers :  elle leur dit son amour, son affection et son admiration.

De leur vivant, ils ont cheminé de conserve, morts ils habitent avec elle chaque jour. Son récit est aussi un chant d’amour à ses filles et aux animaux de sa vie (sans véritable préséance, tant sa dévotion aux unes comme aux autres est inconditionnelle). Sophie Chauveau n’a pas seulement apprivoisé la mort des autres, elle a croisé la sienne à plusieurs reprises et le raconte avec un naturel apaisé et réconfortant. Scène mémorable : la dispersion des cendres de son père dans la mer, précédée pourtant d’un lourd passif, exhale la sérénité joyeuse qui traverse ce texte, baigné par la lumière et les parfums de la Méditerranée. Sophie Chauveau a adoré mourir, la lire peut revigorer les anxieux.

J’ai adoré mourir de Sophie Chauveau, Editions Telemaque 325 pages

J'ai adoré mourir

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