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Il est temps d’ouvrir les yeux

Notre chroniqueur décrit pour nous ici ceux qui ont réinventé la haine au nom de l’amour, le racisme au nom de l’antiracisme et l’exclusion au nom de l’inclusion. Ils se rêvent résistants et ne voient pas qu’ils préparent peut-être le terrain d’une nouvelle barbarie.


Depuis plusieurs mois, en Europe et dans le monde occidental, se multiplient des manifestations contre des artistes, des musiciens et des athlètes israéliens. À Paris, des militants ont tenté d’empêcher le concert de l’Orchestre philharmonique d’Israël à la Philharmonie, au nom d’un boycott culturel. À Londres, le Royal Albert Hall a été pris d’assaut par des protestataires avant une représentation du même orchestre. À Berlin, des chanteurs israéliens ont reçu des menaces, certains festivals ont cédé aux pressions militantes et annulé leurs invitations. À Madrid, une nageuse israélienne a été huée lors d’une compétition internationale ; à Melbourne, un joueur de tennis a dû renoncer à un tournoi pour « raisons de sécurité ».

Contagion

On croyait pourtant que la musique, l’art, le sport avaient échappé à la contagion des haines politiques. Que les salles de concert, les stades, les théâtres demeuraient ces lieux où la beauté suspend un instant la brutalité du monde. Et pourtant, voici qu’on manifeste contre un orchestre un peu comme jadis on huait des Juifs sur les places d’Europe. Des pancartes s’élèvent, des cris accusent, des drapeaux s’interposent entre la musique et ceux qui voudraient simplement l’écouter. Ce ne sont plus des dictatures qui censurent, mais des foules démocratiques qui sifflent. Ce ne sont plus des ordres venus d’en haut, mais des émotions fabriquées dans les réseaux, amplifiées par des consciences sûres de leur pureté.

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Sous couvert de solidarité avec un peuple lointain, on rejoue les vieux scénarios de l’exclusion. On croit défendre la paix en désignant l’ennemi. On croit protéger les victimes en en inventant d’autres. Ce ne sont pas des chars, cette fois, qui encerclent un peuple, mais des slogans, des hashtags, des boycotts culturels. La civilisation qui se vantait d’avoir aboli la barbarie la réinvente sous forme de vertu.

Ces manifestations n’ont rien d’anodin : elles marquent le basculement d’un humanisme malade de lui-même. Elles ne visent pas des politiques, mais des êtres ; elles ne s’attaquent pas à des décisions, mais à des identités. Et dans le silence gêné des institutions culturelles, dans la complaisance molle des médias, on entend déjà résonner la vieille musique de la désignation. L’artiste israélien est redevenu le Juif d’autrefois : symbole commode de la faute originelle, cible idéale de la colère morale.

C’est ainsi que tout recommence, toujours : non par la guerre, mais par le refus d’écouter. Par la haine qui s’avance sous le masque du bien. Par l’indignation qui croit sauver et ne fait que condamner.

Amnésie

Il est temps d’ouvrir les yeux — non plus ceux du confort moral ou de la compassion mécanique, mais ceux, brûlants, que la lucidité arrache aux ténèbres. Nous vivons dans une époque d’amnésie volontaire où l’homme postmoderne, sûr de sa vertu et de son innocence, croit avoir aboli la barbarie par décret humanitaire. Il ne sait pas — ou ne veut pas savoir — que la barbarie sommeille dans chaque phrase de son indignation, dans chaque slogan qu’il répète, dans chaque certitude morale dont il se couronne pour échapper à la honte de vivre.

Je songe à ces terres de l’Est — Biélorussie, Ukraine, Lituanie, Russie — où, durant la Seconde Guerre mondiale, des hommes instruits, raffinés, diplômés, ont dirigé les Einsatzgruppen, ces unités de sécurité préventive chargées, disait-on, d’« assainir » le front. L’expression avait la froideur administrative des mots qui précèdent la tuerie. Ces hommes n’étaient pas des brutes incultes : c’étaient des docteurs en philosophie, des professeurs d’université, des juristes, des poètes parfois. Ils parlaient Goethe et Schiller, lisaient Kant le soir dans leurs baraquements, citaient Nietzsche en latin pour justifier leurs ordres. Ils savaient la musique, l’histoire, la grammaire des civilisations. Et pourtant, ils ont enseigné à d’autres hommes — simples soldats, paysans arrachés à leurs campagnes — l’art méthodique d’exterminer femmes et enfants.

La culture n’avait donc pas sauvé l’Europe. Elle avait servi à rationaliser la mort. Elle avait donné à la barbarie un vernis de raison, une syntaxe, un style. Il n’y eut pas de rupture entre le séminaire universitaire et le charnier : seulement une gradation dans la conviction. Car les intellectuels de ces temps-là avaient trouvé la justification suprême : ils croyaient défendre la civilisation contre la menace du chaos — le chaos des « judéo-bolcheviques », des partisans, des vaincus. Toujours, le meurtre collectif se pare des habits du salut.

Un mal transfiguré ?

On se tromperait lourdement en croyant que cette logique appartient au passé. Le même mal, transfiguré, circule aujourd’hui dans nos veines démocratiques. Il a changé de vocabulaire, non de nature. Hier, on parlait de purification ethnique ; aujourd’hui, on parle de justice historique. Hier, on nommait parasite celui qu’on voulait détruire ; aujourd’hui, on le dit oppresseur. Les mots sont polis, inclusifs, universitaires. Mais ils procèdent du même abîme moral.

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Il est temps d’ouvrir les yeux, dis-je, car les prochains massacreurs ne portent pas d’uniforme. Ils enseignent, ils tweetent, ils rééduquent. Ils habitent nos universités, nos médias, nos ONG. Ils parlent le langage du bien et de la tolérance, mais c’est une tolérance qui désigne ses ennemis à la vindicte. Ils ont inventé la haine au nom de l’amour, le racisme au nom de l’antiracisme, l’exclusion au nom de l’inclusion. Comme jadis les Einsatzgruppen, ils croient agir en légitime défense : défendre la pureté morale du monde contre les « dominants », les « sionistes », les « colonialistes », les « hommes blancs », les « héritiers du patriarcat ». Ils se rêvent résistants et ne voient pas qu’ils préparent le terrain d’une nouvelle barbarie morale.

Rien n’est plus dangereux que la haine justifiée par la vertu. Elle tue sans remords, elle massacre en chantant. C’est elle qui, au Rwanda, a fait des paysans hutus les exécuteurs d’un peuple voisin — au nom de la peur d’être exterminés. C’est elle qui, au Cambodge, a poussé les enfants de la paysannerie à abattre leurs professeurs. C’est elle, déjà, qui en Europe avait transformé la culture allemande en machine à détruire. Et c’est elle, encore, qui aujourd’hui, sous des noms nouveaux, sous des drapeaux arc-en-ciel ou des pancartes de campus, insinue dans les esprits le même poison : celui de la désignation, du ressentiment, du droit à haïr au nom du bien.

Déguisements

Nous sommes redevenus les spectateurs tranquilles du retour du mal. Il se déploie à visage découvert dans les réseaux sociaux, dans les cortèges, dans les universités américaines où l’on acclame des massacres, où l’on exulte devant des cadavres israéliens, où l’on nie le droit à l’existence d’un peuple au nom de la justice. La barbarie nouvelle est morale, sentimentale, compassionnelle. Elle s’enrobe de culpabilité occidentale, d’antisionisme déguisé en humanisme. Elle croit réparer les crimes de l’histoire en préparant ceux de demain.

Il est temps d’ouvrir les yeux, car l’histoire recommence toujours sous d’autres formes. Nous n’avons rien appris de nos ruines. Nous ne voulons pas savoir que les massacres naissent d’abord des mots, puis des silences. Que les crimes de masse commencent dans les universités, dans les tribunes, dans la presse, dans l’inversion tranquille du bien et du mal. Et que, lorsque la vérité sera enfin dite, il sera trop tard : il y aura déjà des morts, des charniers, des cris effacés par le vacarme des justifications.

Ce siècle qui se dit éclairé vit déjà dans la nuit du cœur. Le mensonge est devenu foi, la haine s’appelle amour, la lâcheté se nomme prudence. Il est temps d’ouvrir les yeux — non pour fuir, mais pour affronter. Car il n’y aura de paix qu’à condition de nommer le mal, fût-il dissimulé sous les apparences du progrès ou de la justice. Ce n’est pas le monde qu’il faut sauver, mais l’âme humaine — cette chose fragile, invisible, qui disparaît chaque fois qu’un homme croit avoir raison d’un autre au nom de la vertu.

La société malade

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Les colonnes de Buren seront-elles vraiment balayées par le vent de l’histoire, comme le dit Jean Clair?

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45 ans que ça dure! et nous sommes loin d’être sortis de cette panade…


La plus grotesque et la plus longue arnaque intellectuelle de tous les temps est-elle vouée à se résorber à terme dans son vide consubstantiel ? C’est ce que nous présage Jean Clair, dans son article du Figaro, publié ce mercredi, intitulé : « Les colonnes de Buren sont le jeu de quilles que la roue du Temps finira par renverser[1] », et où il affirme que cette œuvre est l’incarnation du vide : « un style peut-être, mais pour ne rien dire ».

Lorsque Mitterrand fut chargé par MM. Lang et Mollard de choisir entre le projet de Pol Bury et celui de Buren, il prit celui qu’il trouvait le plus « intelligent », le préférant au plus sensible et poétique.

Une œuvre vaniteuse qui a fait couler beaucoup d’encre

Il intronisait ainsi Buren comme figure de proue d’un art d’Etat auto-proclamé « contemporain », de type posturo-conceptuel, casseur de codes, déconstructif, progressiste, et surtout redoutablement totalitaire. Commençait alors le règne du gauchisme culturel qui exclut toujours 95% de la création vivante pour facho-ringardisme et réduit ad hitlerum toute contestation de l’ineptie régnante !

A lire aussi, Isabelle Marchandier: Je gonfle donc je suis

On est encore très loin de voir les colonnes, buses et autres architectures buréniennes, dispersées à grand renfort d’argent public, dans l’hexagone, renversées par quelque vent que ce soit, parce qu’elles sont en béton, et surtout, suprême vertu, parce qu’elles ont été réalisées in situ, donc juridiquement indéplaçables, comme pourraient l’être les sculptures de Bury, d’Ipoustéguy, de César, de Miro, etc. qui n’ont pas besoin d’un contexte pour exister en elles-mêmes, puisqu’elles ont un contenu artistique indépendant de leur environnement et de tout embobinage discursif. Buren possède d’ailleurs une armée d’avocats pour la protection de son « droit moral et intellectuel ».

Membre de l’Académie française, Jean Clair est ancien conservateur général du patrimoine, ex-directeur du Musée Picasso, écrivain et critique d’art, il a notamment publié Le Temps des avant-gardes. Chroniques d’art 1968-1978 (La Différence, 2012), Considérations sur l’état des Beaux-Arts, La Part de l’ange. Journal 2012-2015  (Gallimard, 2016) et Terre natale. Exercices de piété (Gallimard, 2019).

Droit moral

Je vous joins ci-dessous cette video réalisée en 1985 au Palais Royal où l’on voit Mr et Mme Michu (tels que les désigne avec mépris, le présentateur) protester contre ces immondes colonnes… où l’on voit le culot inouï, dans la défense de son « droit moral », de celui qui va devenir le plasticien numéro 1 français… Celui que les générations futures considéreront peut-être comme une honte pour la France.

Se dirige-t-on vers la fin du terrorisme intellectuel de gauche ? Il est possible de considérer cette parution d’un texte de Jean Clair comme le signe d’un réveil de la droite dans le domaine culturel… Elle qui a toujours été complexée en la matière et a laissé ce domaine à la gauche. Doit-on considérer cela comme signe d’un retour imminent de la peste brune ou de la bête immonde ? À suivre…

Je vous joins, pour terminer, cette image de Buren en coloriste de la mer, qui prouve que l’art d’État dit contemporain est capable des pires atrocités envers l’humain…

L'art n'a jamais été aussi contemporain qu'aujourd'hui

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Suite à la publication de mon article sur le « carnage » dans les Écoles Des Beaux-arts publiques (70 000 vues sur Facebook) j’ai reçu ce témoignage d’une artiste broyée par le système auquel elle a cru :

« Si je vous écris aujourd’hui c’est que certaines choses doivent être dénoncées. Et vous le faites très bien. Je vais vous raconter un petit bout de mon histoire. J’ai fait mes études à l’école des beaux-arts. J’en suis sortie diplômée en 1990. Je ne suis donc pas un « lapin de 6 semaines ». Je suis une « vieille » de 59 ans. J’étais figurative et je le suis toujours. Ça m’a valu d’être placardisée, menacée, ringardisée…. Il ne faut pas oublier que Jack Lang était le ministre de la Culture.
Maintenant, ceux qui sortent des écoles d’art ont tout ce que nous n’avions pas. Organismes de toutes sortes, associations, et internet. L’info à portée de clics. Les artistes nés en 80-90 et après se font curateurs maintenant. Donc ces fameux curateurs ne vont surtout pas mettre en avant une « vieille » comme moi. Je suis condamnée à l’invisibilité. Je suis donc confrontée à une mort professionnelle, sociale. Je suis abonnée aux salons plus ou moins merdiques, aux expositions payantes et aux plateformes de vente d’art (comme Artmajeur) (il y a beaucoup de choses à dire sur ces plateformes).
Aujourd’hui j’ai la désespérante sensation d’avoir été enterrée vivante. C’est l’enfer. Je ne sais plus quoi faire. Continuer ce chemin cauchemardesque ou arrêter ? Et faire quoi ? J’ai consacré toute ma vie à l’art. J’ai eu beaucoup d’échecs dans la vie que j’ai surmontés. Je pense que celui-ci sera de trop. Continuez ce que vous faites. »

[1] https://www.lefigaro.fr/vox/culture/jean-clair-les-colonnes-de-buren-sont-le-jeu-de-quilles-que-la-roue-du-temps-finira-par-renverser-20251111

Les Frères musulmans, une machine de guerre idéologique

Les Frères musulmans ne sont pas un mouvement religieux, mais une organisation politique qui devrait rapidement être classée terroriste.


En décembre dernier, j’ai eu l’honneur de recevoir le Prix autrichien de la réussite multiculturelle 2024, décerné par le ministère fédéral autrichien des Affaires européennes et internationales. Cette distinction saluait mes efforts pour promouvoir le dialogue entre croyants, encourager le pluralisme et renforcer la coexistence entre les cultures et les religions.

Quelques heures à peine après l’annonce, une campagne d’une violence inouïe s’est déclenchée contre moi. Elle a été menée par des figures islamistes radicales liées aux Frères musulmans, notamment les fondateurs de la branche yéménite du mouvement, dont l’un est député, bénéficiant d’un soutien financier venu de Turquie. Leurs accusations étaient révélatrices – comme des empreintes digitales idéologiques : « [je travaillerais] à saper la sacralité des textes religieux islamiques et manifester de l’hostilité envers l’islam. » et à « promouvoir la coexistence avec toutes les croyances et toutes les idées. » Ces attaques, relayées sur leurs plateformes extrémistes et leurs comptes personnels, montrent toute la contradiction du discours des Frères musulmans. Dans leur idéologie, œuvrer pour la paix entre les religions revient à menacer la foi, et prôner la coexistence constitue une faute morale. Ce qu’ils m’ont reproché, c’est précisément ce qu’ils redoutent le plus : la pensée libre, le dialogue et la paix. Ce qu’ils pratiquent n’est pas la défense d’une religion, mais une guerre contre la pensée modérée.

Cette campagne m’a brutalement ramené quinze ans en arrière. Pendant le Printemps arabe au Yémen, j’étais étudiant en journalisme à l’université de Sanaa. J’y publiais un journal étudiant non officiel, d’inspiration libérale, qui critiquait ouvertement les tabous sociaux et politiques. Rapidement, j’ai été la cible de l’aile étudiante du Rassemblement yéménite pour la réforme, la branche locale des Frères musulmans.

En 2010, pour mon projet de fin d’études, j’ai publié un numéro spécial contenant un article intitulé « Le sexe au Yémen ». Ce texte, qui voulait simplement aborder sans hypocrisie une réalité sociale, a déclenché une véritable tempête : passage à tabac, menaces de mort, accusations de prosélytisme chrétien et de diffusion de la débauche. L’université a finalement cédé à la pression islamiste et m’a suspendu pour un an.

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Ma suspension a été dénoncée par des organisations de défense des droits de l’homme et des mouvements étudiants de gauche. De cette crise est née une mobilisation plus large : nous avons organisé des marches et des sit-in qui ont rapidement rejoint le mouvement du Printemps arabe. J’ai moi-même rédigé le premier communiqué annonçant la création de la Place du Changement à Sanaa, le 20 février 2011.

Mais lorsque les Frères musulmans ont pris le contrôle du mouvement, la révolution a changé de nature. Ceux qui, comme moi, défendaient une vision civile, démocratique et non partisane ont été marginalisés, parfois agressés. Parce que je documentais les violences commises par leurs comités de sécurité, on m’a accusé d’être un agent du régime.

Après mon exil forcé en 2015, je me suis installé au Soudan, pays refuge pour de nombreux dirigeants des Frères musulmans. J’y ai fondé une initiative intitulée « Nous voulons vivre », appelant à la paix et à la fin de la guerre. Ce projet a reçu le Prix des bâtisseurs de paix de la plateforme 30-Yemen, en partenariat avec l’UNESCO et les Nations unies.

Notre initiative devait culminer par un événement international, le Rassemblement yéménite pour la paix. Mais au lieu de susciter un débat, elle a déclenché une nouvelle campagne de haine. L’ambassade du Yémen l’a alimentée, et les Frères musulmans s’en sont servis pour me dénigrer, m’accusant d’être un « Houthi ». Ironie du sort, cette conférence devait se tenir le 21 septembre 2015, Journée internationale de la paix, jour où Sanaa tombait aux mains des Houthis.

Neuf ans plus tard, à Vienne, les visages de mes nouveaux détracteurs m’étaient familiers. La campagne contre moi a été menée par la plateforme Qiyam, une organisation extrémiste prétendant défendre les « valeurs familiales et sociales », dirigée par le cheikh Ibrahim Ahmed Ali Al-Ebi, frère du prédicateur et député Abdullah Ahmed Ali Al-Adaini, l’un des fondateurs du parti islamiste yéménite. Ensemble, ils ont orchestré une campagne de diffamation, relayant sur leurs réseaux des accusations fallacieuses. Une fois encore, la meute idéologique s’est mise en mouvement.

Les Frères musulmans démontrent ainsi, une fois de plus, qu’ils sont le vecteur idéologique du fondamentalisme violent qui a engendré Al-Qaïda et l’État islamique. En tant que journaliste spécialisé dans le fait religieux, je pose une question simple : avez-vous jamais entendu un dirigeant des Frères musulmans condamner l’idéologie d’Al-Qaïda ou de Daech ? Se désolidariser de la pensée qui a justifié leurs crimes ? La réponse est non. Leur lien est organique. Les Frères musulmans sont la matrice intellectuelle du terrorisme islamiste contemporain, même s’ils le dissimulent pour des raisons tactiques.

Aujourd’hui, en Europe, les sociétés civiles commencent à comprendre. Des mouvements citoyens réclament la désignation des Frères musulmans comme organisation terroriste. Cette prise de conscience est salutaire. L’Europe découvre qu’un réseau né de la manipulation du Printemps arabe s’est installé dans ses villes, qu’il infiltre ses mosquées, ses associations, ses médias et même certaines institutions.

Des lieux de culte et des associations caritatives servent désormais de relais à des discours de haine. Des manifestations publiques soutiennent des groupes terroristes. Des provocations religieuses dans les rues cherchent moins à exprimer la foi qu’à tester la tolérance des sociétés européennes et à intimider leurs opposants.

Je crois profondément que la campagne internationale #ClassifyMBNow, visant à classer les Frères musulmans comme organisation terroriste, ne sera pas un simple slogan. Ce sera un mouvement d’assainissement moral et politique. Car sous les eaux stagnantes de l’indulgence et du relativisme prospèrent les germes du fanatisme.

L’Europe doit s’y préparer. Le prix minimum à payer pour protéger ses citoyens et ses valeurs civiles est d’affronter cette réalité : les Frères musulmans ne sont pas un mouvement religieux, mais une organisation politique totalitaire.
Il est temps de couper leurs financements et de lever le voile du déni.

Tant qu’il y aura des films

Passée sous les radars du dernier Festival de Cannes, la nouvelle fiction du cinéaste ukrainien Sergeï Loznitsa domine incontestablement les sorties de novembre, même si par ailleurs Jodie Foster et Daniel Auteuil illuminent un remarquable polar français.


Glaçant

Deux procureurs, de Sergeï Loznitsa

Sortie le 5 novembre

Union soviétique, 1937. Des milliers de lettres de détenus accusés à tort par le régime sont brûlées dans une cellule de prison. Contre toute attente, l’une d’entre elles, subtilisée au dernier moment par le prisonnier chargé de les détruire, parvient à destination, sur le bureau du procureur local fraîchement nommé, Alexander Kornev. Ce dernier va se démener pour rencontrer le prisonnier qui a écrit cette lettre dans laquelle il se dit victime d’agents corrompus de la police secrète, la NKVD. Bolchevik chevronné et intègre, le jeune magistrat croit à un dysfonctionnement du système. Sa quête de justice le conduit jusqu’au bureau du procureur général, à Moscou. À l’heure des grandes purges staliniennes, c’est la plongée d’un homme dans un régime totalitaire qui ne dit pas son nom.

Telle est l’implacable trame du nouveau film de Sergeï Loznitsa, réalisateur ukrainien qui oscille sans cesse entre fictions (My Joy, Dans la brume, Donbass, entre autres) et documentaires (Maïdan, Babi Yar.Contexte, L’Invasion,notamment). Des œuvres fortes, âpres et rugueuses qui interrogent autant le passé que le présent. Avec Deux procureurs,il explore donc les arcanes du système judiciaire et carcéral d’une URSS cadenassée par Staline et son régime de terreur permanente. La totale réussite du film tient à la façon dont le cinéaste rend palpable le véritable parcours du combattant qui attend le petit juge : rien ne fonctionne comme ailleurs dans cet univers concentrationnaire conduit par une bureaucratie effrayante. Le temps d’abord y est suspendu : le directeur de la prison le fait attendre des heures et des heures, comme pour l’épuiser jusqu’à le faire renoncer à sa démarche. Quand enfin l’autorisation de visite lui est accordée, c’est un incroyable ballet de portes, de sas, de grilles, de couloirs glauques, de corridors sans fin, de clés bruyantes et de serrures énormes qui prend le relais. Comme si cette fois, il s’agissait de décourager l’obstiné fonctionnaire en le perdant dans un labyrinthe sombre et terrorisant. Un véritable dédale qui rend fou tant il est à la fois complexe et vide de toute logique spatiale. Ou comment démontrer avec un incroyable brio la machine stalinienne dans toute sa capacité à broyer chaque individu.

Incarné à la perfection par Alexandre Kouznetsov (découvert en 2008 dans Leto de Kirill Serebrennikov), l’imprudent juge devient une sorte de Christ aux outrages qui pour progresser doit subir toutes les humiliations générées par une mécanique redoutable, sous les sourires et les blagues de geôliers débonnaires. Inspiré d’un texte écrit clandestinement en 1969 par Gueorgui Demidov (1908-1987), physicien déporté en 1938 dans les camps de la Kolyma durant quatorze ans, le film colle au plus près du réel avec un soin presque documentaire. Il a d’ailleurs été tourné dans une véritable prison de l’Empire russe, à Riga, en Lettonie. Et pour accentuer la sensation d’enfermement, Loznitsa a choisi pour l’image un format carré, une réalisation en plans fixes et une palette de couleurs n’allant que du gris au marron, dans un décor dépouillé, froid, métallique, presque abstrait. Porté par ce formalisme dénué de tout artifice, le film déploie très habilement une narration proprement diabolique qui vise en permanence à manier le chaud et le froid, comme le font d’ailleurs les interlocuteurs successifs et interchangeables du petit juge. Jusqu’au bout, Deux procureurs maintient le spectateur dans un état d’intranquillité totale. C’est bien le moins quand on dépeint l’enfer sur terre.


George Lechaptois

Réchauffant

Vie privée, de Rebecca Zlotowski

Sortie le 26 novembre

Lilian Steiner est une psychiatre reconnue. Un jour, elle apprend la mort de l’une de ses patientes et se persuade qu’il s’agit d’un assassinat. Elle décide de mener l’enquête. Le nouveau film de la surdouée Rebecca Zlotowski passe la vitesse supérieure en se présentant comme un hommage assumé aux films d’Alfred Hitchcock et de Woody Allen, pour ne parler que de ces deux-là. Entre Une femme disparaît et Meurtre mystérieux à Manhattan, Vie privée a l’indéniable saveur des vrais-faux polars bâtis d’abord pour s’amuser entre auteurs (ici Anne Berest et la réalisatrice), puis nous distraire. Et un impeccable casting renforce ce plaisir simple, mais finalement pas si fréquent : Jodie Foster et Daniel Auteuil en tête, accompagnés par Virginie Efira, Mathieu Amalric et Vincent Lacoste notamment. Impossible de résister aux quiproquos, fausses pistes et autres joyeusetés scénaristiques d’un film qui ne se prend jamais au sérieux, sans pour autant mépriser son spectateur. On en redemande et sans réserve.


Focus Features

Refroidissant

Bugonia, de Yorgos Lanthimos

Sortie le 26 novembre

On pourrait parler d’une douche glacée, tant Bugonia, le nouveau film du cinéaste grec Yorgos Lanthimos joue une nouvelle fois (une fois de trop ?) avec nos limites en matière de Grand Guignol. Manifestement, son plaisir de réalisateur est de maltraiter la malheureuse actrice dénommée Emma Stone, ici dans le rôle d’une patronne enlevée par deux crétins convaincus qu’elle est une extraterrestre venue pour détruire la Terre. S’ensuit une série de sévices corporels et psychologiques censés sauver l’humanité en péril. C’est laid, c’est bête, et c’est long. On se demande ce qui peut pousser des acteurs non dénués de talent à accepter de tels rôles, et on s’interroge sur les intentions réelles du cinéaste. Puis on finit par baisser les bras devant ce cinéma poseur et boursouflé qui multiplie les images faussement provocantes et pleines de bassesse pour essayer de faire oublier qu’il n’a rien à dire.

https://www.youtube.com/watch?v=bd_5HcTujfc

Municipales marseillaises: un sacré pastis


Nul n’ignore qu’à Marseille, depuis que la Sardine a bouché son port, tout peut arriver. On le constate encore aujourd’hui alors qu’une étude d’intentions de votes aux prochaines municipales, effectuée du 4 au 7 novembre par l’institut Cluster 17 pour Politico, vient d’être publiée.

Ses résultats sont de nature à troubler les siestes dans les calanques et perturber les parties de boules du parc Borély. Peuchère, ça frise la galéjade : le RN d’Allisio et le Printemps marseillais de Payan à parfaite égalité. À en sortir le double-décimètre, si on était à la pétanque. 29% des exprimés au premier tour pour l’un et l’autre. À noter que, localement, le RN est passé de 19,5% aux précédentes municipales à 30% aux dernières européennes. Dynamique prometteuse, au moins sur le papier.

Cela dit, en embuscade, il y a le candidat LFI, puisque la gauche Payan s’est rassemblée hors le mouvement mélenchoniste. Là aussi, on enregistre une certaine dynamique, puisque le candidat désigné réaliserait un score de 16% donc de quoi se maintenir au second tour, puisqu’atteindre les 10% au premier y suffit. Toute la question est donc là : maintien ou non maintien de LFI ? On serait tenté de miser sur le maintien, tant le candidat en question est de grande qualité. Il s’agit en effet du brillantissime Sébastien Delogu. Comment imaginer qu’on puisse se passer d’une si éminente personnalité dans une joute pour un second tour à Marseille ? Comment pourrait-on accepter d’amputer le débat d’un apport dialectique, culturel, visionnaire d’un si haut niveau ? Le mettre sur la touche, cet éminent politique, représenterait un gâchis incompréhensible, une atteinte des plus dommageables à la qualité de la vie démocratique. Il faut dire que Delogu cartonne chez les jeunes Marseillais de 18 à 34 ans. Il performe là à quelque chose comme 34% d’intentions de vote (Nous l’avons vu, le soufflet retombe tout de même à 16% sur l’ensemble des votants). La Bonne Mère ne peut que se réjouir lorsqu’elle constate qu’à ses pieds prospère une jeunesse si éclairée, politiquement et intellectuellement si exigeante, si bien formée aux arcanes de la démocratie parlementaire.

A lire aussi: Marine Le Pen: « Je ne vais pas y retourner vingt-cinq fois de suite »

Dans le cas du maintien du sieur Delogu, Payan, le maire sortant, serait à la peine. S’il est néanmoins donné gagnant, ce serait d’un cheveu. 30,5% contre 29% à Allisio. Là encore, s’en remettre au double-décimètre s’imposerait.

En embuscade, il y a aussi la candidate LR et Horizons, la présidente de la métropole, Martine Vassal, qui serait en discussion avec Renaissance pour obtenir son soutien. L’étude la crédite de 23%. Elle serait donc admissible elle aussi au second tour. Se pose dès lors la question du vote utile. Le vote d’électeurs LFI en faveur de Payan pour barrer la route au RN et le vote d’électeurs LR Horizons Renaissance en faveur du RN pour sanctionner cette alliance de circonstance et le bilan du maire sortant. Quand on vous dit sacré Pastis, on n’en est pas loin.

Un Pastis qui pourrait bien s’exporter dans tout l’hexagone, du moins dans nombre de villes, la barre du maintien étant donc à dix pour cent, on pourrait se retrouver dans maintes communes avec parfois jusqu’à six listes au second tour. Un pur régal !

Il n’en reste pas moins que, au vu de cette étude qui n’est, rappelons-le, qu’une photographie de la situation à un moment donné, le fait que le RN d’Allisio fasse jeu égal avec la gauche de Payan, les Marseillais – et au-delà – ont été fort surpris. Bien entendu, il y a ceux à qui ça fend le cœur et ceux à qui ça ensoleille l’aïoli.

Quoi qu’il en soit l’élu aura beau jeu de reprendre à son compte la bonne vieille blague prisée de tous les maires de la ville : « On dit qu’à Marseille on fait voter les morts. C’est faux : ils votent comme ils veulent. » Voilà un paramètre que l’étude évoquée aurait peut-être dû prendre en compte ? Réponse en mars. Avec les premiers beaux jours, les boules de sortie, le pastis dans les verres et la bouillabaisse sur le feu…

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New-York: qui sont ces juifs progressistes qui ont voté pour M. Zohran Mamdani?

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Le symptôme new-yorkais et la dérive morale de la modernité, une analyse de Charles Rojzman.


Le fait qu’en 2025, près de 30% des Juifs new-yorkais aient voté pour un candidat musulman ouvertement antisioniste n’est pas seulement un événement électoral : c’est un symptôme historique. Il marque la dislocation d’un lien de conscience qui unissait depuis plus de soixante-dix ans la diaspora juive américaine à Israël, et au-delà, la rupture entre la mémoire du tragique et la morale contemporaine.

Car ce geste politique n’est pas un accident. Il est l’expression d’un déplacement profond : la substitution du devoir de lucidité par l’exigence de pureté morale. Là où la fidélité à Israël incarnait jadis la conscience d’un peuple ayant tiré les leçons du mal absolu, s’impose aujourd’hui une nouvelle religion sécularisée — celle de la compassion abstraite, de la repentance universelle, et du refus du tragique.

Dans l’Amérique progressiste, le Juif éclairé se veut désormais plus moral que fidèle, plus universel que particulier. Il craint d’être confondu avec la force qu’il condamne ; il se veut au-dessus des nations et des conflits, comme si la mémoire du mal pouvait justifier la fuite devant le réel. Mais cette fuite n’est pas la paix de l’esprit : elle est une abdication du sens.

Car Israël n’est pas seulement un État : il est le symbole d’un monde où l’histoire n’a pas abdiqué. Sa simple existence rappelle que la survie suppose le courage, la frontière, la force, et la responsabilité. Et c’est précisément cela que rejettent ces électeurs new-yorkais — non pas Israël en tant que tel, mais ce que son existence continue d’affirmer contre l’air du temps : que la liberté est tragique, que la paix se conquiert, et que l’identité ne se négocie pas.

Leur choix révèle une fracture bien plus vaste : celle d’une civilisation qui, croyant se purifier par la morale, s’aveugle sur les conditions de sa survie. C’est cette cécité des « demi-sachants », selon le mot de Jacques Ellul, que ce texte explore : celle des élites juives progressistes, cultivées mais désorientées, moralisatrices mais sans mémoire, qui confondent l’universalisme avec le déni du réel.

Le paradoxe des consciences indignées

Comment comprendre qu’une part significative — près de 40 % selon certains sondages — des Juifs américains se disent « choqués » par ce qu’ils appellent les « crimes de guerre » de l’armée israélienne à Gaza, et que certains osent même employer le mot de « génocide » ? Comment expliquer que, dans ce peuple dont la mémoire est saturée du mot Shoah, on en vienne à l’utiliser contre l’État d’Israël lui-même?

Ce paradoxe n’est pas accidentel. Il révèle une faille de civilisation : celle d’un Occident arrivé à ce point d’épuisement où la morale a remplacé la pensée, où la compassion tient lieu de jugement, et où la mémoire des crimes passés empêche de comprendre les périls présents. Ces Juifs américains, héritiers d’un monde saturé de bonne conscience, sont les enfants d’une culture qui croit penser mais ne sait plus voir.

Le règne des demi-sachants

Jacques Ellul appelait demi-sachants ces êtres qui croient savoir parce qu’ils ont lu, entendu, débattu, mais dont la connaissance ne déborde pas les frontières mentales que leur époque a tracées pour eux. Ils parlent avec assurance, mais leur intelligence s’est laissée confisquer par l’air du temps.

La majorité des élites juives américaines appartient à cette catégorie : cultivées, informées, mais prisonnières d’un paradigme moral où le monde n’existe plus que sous la forme du bien et du mal, du dominant et du dominé. Leur rapport à Israël s’inscrit dans ce schéma : elles voient en lui la puissance arrogante, et en l’autre, la victime rédemptrice. Ce qu’elles jugent, en réalité, ce n’est pas Israël, mais leur propre impuissance à penser hors des catégories de la morale progressiste.

L’universalisme devenu idéologie

L’universalisme, jadis grandeur de l’Occident, s’est retourné contre lui. Né du christianisme et des Lumières, il portait en lui la promesse d’une humanité réconciliée dans la raison et la liberté. Mais détaché de ses racines historiques, il s’est transformé en idéologie : une religion séculière qui prétend abolir la tragédie.

Dans cet universalisme dévoyé, Israël fait figure de scandale. Car il rappelle que la survie d’un peuple suppose la force, la frontière, le conflit, et que la liberté n’est pas un état de grâce mais une conquête. Ce rappel du tragique choque des consciences dressées à croire que la paix est le nom de la morale.

En ce sens, Israël n’est pas seulement jugé : il est excommunié.

Le manichéisme progressiste

Le monde contemporain se pense à travers la figure du « dominé ». C’est là le fruit d’une longue déchristianisation : l’Occident n’a pas cessé d’être chrétien, il a seulement remplacé Dieu par la Victime. La compassion s’est faite dogme, et la morale, instrument de domination symbolique.

Ainsi, tout conflit est réduit à une opposition simple : le fort a tort, le faible a raison. Dans cette logique, l’État juif ne peut qu’incarner le mal. Sa puissance militaire, son attachement à la souveraineté, sa fidélité à l’idée de peuple heurtent une culture occidentale qui ne supporte plus ni la hiérarchie, ni la frontière, ni la virilité.

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Mais cette culture morale et abstraite, tournée contre la réalité, n’a pas seulement faussé le regard sur Israël : elle a désarmé tout un continent face au danger d’une islamisation rampante, longtemps sous-estimée. En refusant de nommer la violence issue d’un islam politique conquérant, en niant la logique d’emprise qui traverse certains courants religieux, l’Occident s’est condamné à l’aveuglement. Et les élites juives progressistes, par peur d’être confondues avec leurs adversaires idéologiques, se sont souvent faites complices de ce déni. Elles ont préféré accuser Israël plutôt que de reconnaître que la haine qui s’y déchaîne est la même qui grandit sur leurs propres terres.

Ce manichéisme satisfait les âmes fatiguées : il leur offre la paix du jugement moral. Il dispense de la complexité, il abolit la responsabilité. Il permet de condamner sans comprendre, d’aimer sans agir, de croire sans penser.

Le divorce entre le peuple et les élites

Mais ce discours n’a pas conquis tout le monde. Il s’est imposé dans les universités, les rédactions, les institutions culturelles, mais il n’a pas pénétré jusqu’au fond des peuples. Ceux-ci continuent, confusément, à sentir ce que leurs élites refusent de penser : que la civilisation n’est pas immortelle, que la paix n’est pas naturelle, que la violence, si elle n’est pas contenue, finit toujours par revenir. Ce peuple, qu’on dit « populiste », sait d’instinct ce que les demi-sachants ont oublié : que le monde n’est pas un espace moral, mais un champ de forces. Que la survie n’est pas un scandale, mais un devoir. Que la peur n’est pas un crime, mais une émotion civilisatrice.

Culpabilité post-Shoah et effacement identitaire

Chez les Juifs américains, cette fracture se double d’une blessure particulière : la culpabilité post-Shoah. L’horreur de l’extermination a laissé une empreinte telle qu’elle a engendré une méfiance métaphysique envers toute forme de puissance juive. Israël, en assumant sa souveraineté, rompt ce pacte implicite avec la faiblesse. Il scandalise les héritiers de la victime parce qu’il lui substitue le sujet.

Là où l’Europe juive avait appris à se taire pour survivre, Israël a appris à frapper pour vivre. Et cette mutation anthropologique est insupportable à ceux qui ont fait de la souffrance une identité. La culpabilité post-Shoah, au lieu d’engendrer la vigilance, a engendré la fuite devant la réalité. On confond aujourd’hui fidélité à la mémoire et refus du présent. Ce n’est pas l’État d’Israël que ces Juifs rejettent, mais la métamorphose du Juif qu’il incarne : de témoin à acteur, de victime à combattant.

Israël, miroir du monde déchiré

Israël est devenu, pour l’Occident, un miroir. Ce petit pays, constamment sommé de justifier son existence, reflète l’état d’une civilisation qui ne sait plus pourquoi elle existe. Sa guerre permanente est l’image renversée de notre paix épuisée. Sa détermination à vivre, malgré la haine, révèle notre résignation à mourir, par lassitude.

Israël rappelle à l’Occident ce qu’il fut : une civilisation du risque, de la volonté, de la continuité. Et c’est précisément ce rappel que l’Occident ne supporte plus. Il veut croire que l’histoire est finie, que la morale a remplacé le tragique, que la parole suffit à conjurer la guerre. Israël dément cette illusion. Son existence même prouve que la violence n’a pas disparu, qu’elle demeure au cœur du monde, et qu’elle exige d’être comprise, non niée.

C’est pourquoi l’hostilité envers Israël déborde largement le champ politique. Elle est d’ordre métaphysique : Israël incarne, à sa manière, la survivance de l’histoire dans un monde qui voulait en finir avec elle.

L’Occident regarde Israël comme on regarde un miroir où se reflète ce que l’on ne veut plus voir de soi : la nécessité du courage, la brutalité du réel, la persistance du mal. Sa condamnation d’Israël est une tentative de se purifier de sa propre impuissance.

La leçon d’Israël

Ce que nous enseigne Israël, à travers la haine qu’il suscite, c’est qu’aucune société ne se maintient sans conscience de son tragique. La paix n’est pas un état naturel, mais un effort constant. La morale n’est pas un substitut à la politique, et la compassion ne saurait tenir lieu de clairvoyance.

Il y a, dans le rapport de l’Occident à Israël, quelque chose d’un drame de la modernité : la fuite devant le réel, la peur de la puissance, la honte d’exister. Israël, par sa simple présence, contredit cette honte. Il dit : nous voulons vivre. Et ce vouloir-vivre, au lieu d’être admiré, est haï, parce qu’il rappelle ce que nous avons perdu — le sens de la continuité, le courage du particulier, la fidélité à soi-même.

Israël n’est pas seulement une nation ; il est devenu le test spirituel du monde moderne. L’aimer, c’est encore croire à l’histoire. Le haïr, c’est déjà vouloir en sortir.

La société malade

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Bons vivants et mauvais coucheurs

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Le Canon français organisait le weekend dernier l’un de ses fameux banquets géants en Ille-et-Vilaine, malgré une importante opposition gauchiste locale. Frédéric Magellan est allé boire un coup…


Site habituellement paisible de l’arrière-pays de Rennes, le château de Blossac (Goven, 35) était ce week-end au centre de l’attention médiatique. En cause : un banquet organisé par le Canon français, réparti sur trois jours, et qui s’est attiré les foudres des Antifa et des élus LFI locaux.

Les activistes anonymes au fourneau

Tout aura été fait pour enquiquiner les organisateurs. L’événement, qui devait initialement se tenir le 17 octobre au Château des Pères, à Piré-Chancé, avait été d’abord annulé. Les propriétaires des lieux, Julien et Jean-Paul Legendre, avaient alors cédé aux pressions d’activistes anonymes. Les députés LFI Marie Mesmeur et Mathilde Hignet, ainsi que le sénateur écologiste Daniel Salmon, ont joint leur nom à une pétition qui a recueilli 700 signatures. Une demande d’interdiction a également été envoyée au préfet. Autant de rabat-joie et de trouble-fête qui sont passés près d’une petite victoire symbolique, si seulement les organisateurs n’avaient pas trouvé une nouvelle date et un lieu de rechange : le château de Blossac, donc, belle bâtisse du XVIIᵉ siècle. Le maître des lieux, Christophe de la Rousserie, a bravé les menaces, y compris celles du petit milieu de la conservation historique, résolu à lâcher le châtelain. Les prochains financements risquent d’être compliqués.

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Les anti-fêtes ne passeront pas

Sur le chemin, les voitures de policiers et de gendarmes indiquent malgré elles la route à suivre. Les hordes d’antifa rennais menaçaient de gâcher l’événement. Près de Rennes, une petite manifestation s’est tenue, dénonçant « une instrumentalisation de la culture française ». Mais quelle mouche a bien pu piquer tous ces antifa anti-fêtes ? Le Canon français, fondé en 2021 et qui organise aux quatre coins de la France des banquets pantagruéliques, a été racheté par Pierre-Edouard Stérin. Celui-ci est dépeint par la presse progressiste comme le nouveau grand manitou de la droite réactionnaire, le nouveau Citizen Kane, comme l’était dans les années 80 Robert Hersant, que tout le monde a à peu près oublié depuis. Et puis, tous ces braves gens qui se réunissent autour d’un cochon grillé sont suspectés d’entretenir un entre-soi conservateur. À en lire certains médias, « saluts nazis, chants à la gloire du Rassemblement national et drapeaux royalistes » seraient le lot commun de ces banquets festifs.

La France Sardou

Ce samedi, point de saluts nazis ni de drapeaux royalistes pourtant. Plutôt une joyeuse assemblée de gais lurons bien décidés à festoyer au rythme des olas et des paquitos. Le public est partagé entre vestes Barbour, pulls marinières et chemises hawaïennes. Cornemuses et kouignamann viennent rééquilibrer une ambiance jusqu’alors plutôt gasconne. Vissés sur les têtes, les bérets griffés Canon français se portent fièrement. À table, se succèdent pâtés et jambonneaux pour une variation autour de cinquante nuances de cochonnaille. À la sono, Sardou, le petit bonhomme en mousse et Michel Delpech, entrecoupés de vibrantes Marseillaises chantées a cappella. Mais aussi les notes entraînantes de bella ciao. « Vous voyez, on n’est pas si à droite que ça », nous glisse, malicieusement, l’un des co-organisateurs.

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« Tout le monde n’est pas forcément de droite, mais quand les médias nous disent de ne pas aller faire la fête à tel endroit, ça nous donne envie d’y aller », affirme Cédric, 34 ans, directeur commercial dans le bassin rennais. La plupart des participants viennent des environs de Rennes, du Morbihan, des Côtes-d’Armor. Ils peinent à se reconnaître dans la capitale bretonne, transformée au fil des années en un repaire de cheveux bleus et de punks à chien. Alors, ces ripailles dans la campagne bretonne, c’est un sas de décompression. La politique n’est pas le sujet de discussion de l’après-midi. « Nous ne sommes pas des gauchistes, nous ne vivons pas pour la politique. Après le psychodrame politique des dernières semaines, on a plutôt envie de s’amuser ».

1848 à l’envers

Les museaux commencent à rosir sous l’effet de l’alcool. Ça n’est pas pour autant la beuverie complète et sans contrôle. Parmi les 800 convives, une grosse majorité de trentenaires. Passés par l’Éducation nationale au temps de Najat Vallaud-Belkacem, abreuvés de spots publicitaires les enjoignant de ne pas boire, ne pas fumer, manger moins gras et moins sucré, ils se retrouvent sur les pelouses clopes au bec et verres à la main. Leurs bedaines sympathiques indiquent qu’ils ont pris quelques libertés avec les injonctions gratuites, laïques et obligatoires.

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En 1847, la France des notables se réunissait clandestinement autour de tables chargées de victuailles : c’était la fameuse « campagne des banquets », destinée à contourner l’interdiction des réunions publiques imposée par le ministre François Guizot. On y trinquait à la réforme électorale, à la vertu publique et à la fin de la corruption. Déjà, en 1830, ces banquets avaient précédé la chute des Bourbons, branche aînée ; en 1848, l’interdiction de celui du 22 février fit tomber la monarchie de Juillet. Cent soixante-dix ans plus tard, ironie de l’histoire : c’est la droite festive, à chevalières et à particules, qui ressuscite ce vieux rituel républicain ; alors qu’au même moment, les héritiers de la Révolution et des sans culottes pétitionnent et donnent le coup de matraque à la rescousse de l’ordre établi.

Compromissions cairotes

Un chef-d’œuvre ! En salles demain.


Fares Fares, géant au nez de Cyrano et aux oreilles éléphantines, acteur fétiche du cinéaste suédois d’origine égyptienne Tarik Saleh, 53 ans, sert d’organe conducteur à l’extraordinaire trilogie entamée en 2017 avec Le Caire confidentiel, poursuivie en 2022 avec La Conspiration du Caire (deux joyaux incontournables du Septième art, qu’on peut par bonheur visionner l’un et l’autre actuellement sur Netflix) et dont Les Aigles de la République constitue à présent le dernier volet – très attendu – du triptyque. Trois imbroglios palpitants, trois scénarios sans continuité apparente, sinon les arrière-plans politiques dont leurs intrigues foisonnantes sont chargées, au cœur d’une capitale qui, sous l’œil implacable du cinéaste rebelle, demeure le siège des plus sordides intrigues de palais, l’épicentre de sanguinaires conflits politiques et confessionnels, la matrice d’une corruption généralisée, dans le chaudron d’ une société égyptienne toujours au bord de l’implosion, minée par les inégalités sociales vertigineuses… et poursuivie par l’hydre islamiste.

Un cinéma politique ?

Tarik Saleh est un cinéaste de l’exil ; il n’a pas remis les pieds en Egypte depuis près de dix ans. L’intrigue du Caire confidentiel se déroulait juste avant la révolution de 2011 contre le régime honni de Moubarak : ce fut un tournage à très haut risque. Fares Fares y incarnait un inspecteur de police chargé d’enquêter sur l’assassinat d’une jeune chanteuse, dont le principal suspect s’avérera un ami proche du fils du président… Hautement politique, son cinéma est une machine de guerre qui tire toujours dans le mille…  Les Aigles de la République nous transporte au-delà du coup d’Etat militaire perpétré en 2013 contre le président islamiste Mohamed Morsi par le maréchal Abdel Fattah al-Sissi, l’actuel dictateur en poste ad vitam aeternam. Etant parvenu à réprimer l’engeance sinistre des Frères musulmans, il tient depuis lors le pays sous une férule pour le moins controversée.

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Le cinéaste arabo-suédois Tarik Saleh. Photo: Duchili / Memento

Dans Les Aigles de la République, Fares Fares tient, cette fois, le rôle de composition d’une star de cinéma fictive, du nom de George Fahmy, et que le peuple égyptien surnomme le « pharaon de l’écran »:  richissime, adulé. Sous la contrainte, en dépit d’une absence totale de ressemblance physique avec son modèle, l’acteur vedette se résout à accepter de camper la figure idéalisée du président Sissi, dans un biopic à la gloire du satrape: collabo malgré lui, le voilà forcé de frayer avec les hautes sphères du régime. De compromission en compromission, de lâcheté en lâcheté, le comédien manipulé, par ailleurs père négligent, fieffé menteur, pétri de vanité et séducteur invétéré – trompant sa jeune épouse (dans le rôle, Donia Massoud, comédienne et chanteuse dissidente, désormais installée en France) avec la femme du ministre de la Défense, lequel supervise la production le copte (mais irréligieux) George Fahmy – se voit ainsi pris à son propre piège, et à celui que lui a tendu le pouvoir. Mais l’intrigue labyrinthique révélera que, éminence grise supposément chargée de veiller à ce que le script respecte scrupuleusement la ligne idéologique, le Dr Mansour (génialement interprété par le glacial et mutique Amr Waked) est, au rebours des apparences, un maître du double jeu, et le visage même de l’intégrité.

Puissante évocation

Outre que le film reconstitue de façon fascinante, par exemple, la présentation, devant un cénacle de courtisans, de la maquette géante dévoilant la future métropole mégalomane projetée (bien réellement) par Sissi au pied des Pyramides, ou bien encore, dans une mise en scène digne de Hollywood, ce défilé militaire grandiose, ou même, au dénouement, ce complot ourdi par les prétendants galonnés mais maté par les forces du régime, la stupéfiante puissance d’évocation des Aigles de la République se redouble du fait qu’on y voit, à l’image, l’authentique président Sissi, et ce pas seulement sur les affiches de propagande qui, de fait, inondent les artères du Caire tout comme son effigie envahit les écrans de télévision, mais également lui-même, Sissi, en chair en os, comme s’il était, dans Les Aigles de la République, le protagoniste bien vivant de certaines séquences plus vraies que nature. Avec l’efficacité d’un blockbuster américain, la fiction parcourt l’avenue spectaculaire d’un documentaire tourné in situ, doté de moyens illimités.  


Si, captivant de bout en bout, le long métrage emprunte aux codes du film noir, c’est aussi un chef-d’œuvre d’humour… noir ! Parmi les scènes les plus désopilantes, ce dîner mondain où l’épouse du ministre de la Défense (Zineb Triki dans le rôle) raconte comment, dans son enfance, elle croyait dur comme fer que Shakespeare était arabe et musulman. Ou encore celle où, dissimulé sous des lunettes noires et croyant ainsi préserver candidement son incognito, Fahmy est illico reconnu par le pharmacien, ce crétin de mahométan grassouillet, « barbu » comme il se doit, qui tient la discrète officine : le comédien-star, affecté d’inavouables pannes érectiles, venait en toute discrétion y commander clandestinement ses doses de viagra, prétendument « pour un ami »… Le dialogue entre eux est un ravissement comique.  

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La sobre partition d’Alexandre Desplat (génial compositeur, entre parenthèses également requis par Guillermo del Toro en ce moment même pour son Frankenstein diffusé sur Netflix depuis vendredi dernier, autre film inoubliable, à ne rater sous aucun prétexte –  n’en déplaise au critique condescendant de Télérama) vient coiffer avec une discrète élégance cette satire au vitriol. Par son humour acide et son ironie corrosive, Les Aigles de la République résiste à l’écueil de la démonstration édifiante. Fares Fares s’y montre, tout simplement, prodigieux. C’est (encore) un chef-d’œuvre.


Les Aigles de la République. Film de Tarik Saleh. Avec Fares Fares, Lyna Khoudri, Zineb Triki, Amr Waked. Suède, France, Danemark, couleur, 2025.

Durée: 2h09

En salles le 12 novembre.

Disponible Netflix, à la demande : Le Caire confidentiel et La Conspiration du Caire, de Tarik Saleh. Avec Fares Fares dans les deux films. Indispensable !

Face au wokisme, ils ne s’excusent plus d’être libres

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Sydney Sweeney, Javier Milei, Charlie Kirk, Cristiano Ronaldo… Ils sont tous coupables d’un même crime : ne pas s’excuser d’être libres. À l’heure où la soumission s’appelle “vertu” et la peur “prudence”, leur simple franchise tient lieu d’insurrection. Et si, à notre tour, nous cessions de nous excuser d’être libres ?


À première vue, tout semble les opposer: une actrice d’Hollywood, un économiste argentin excentrique, un commentateur américain conservateur et une légende du football mondial… Ils ont en commun de choisir la franchise plutôt que la soumission. Librement et simplement, ils choisissent de dire ce qu’ils pensent et d’en assumer le prix.

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Le courage tranquille

Prenez Sydney Sweeney, star montante d’Hollywood. On lui demande en plein podcast, de « condamner » une marque de jeans à laquelle elle a servi d’égérie et aujourd’hui accusée d’entretenir un supposé « suprémacisme blanc ». Au pays des Pilgrim Fathers et de la confession publique, elle répond d’un transparent « Non ». Pas un frisson de peur, pas un mot en trop. Ni explain, ni complain. Voilà la force tranquille du courage dans un monde où tout est millimétré et où la prudence est devenue une vertu obligatoire. La starlette refuse d’immoler son bon sens sur l’autel du jugement collectif. Cristiano Ronaldo, passé à la question, a répondu d’un rire franc. The woke is dead. Voilà une idole qui, pour une fois, ne s’excuse pas avant de parler. Réussite, discipline personnelle et mérite ne sont pas des crimes. Assez logiquement, il a salué publiquement Donald Trump qui, lui, obtient des résultats.

Il faut comprendre que la société américaine, née entre Réforme et capitalisme, n’a pas tant cultivé des saints que des idoles. Ces exemples ne sont pas les figures exemplaires, élevées pour édifier les âmes mais des visages pour peupler les écrans. Ces idoles, façonnées par le grand marché, lui obéissent d’ordinaire. L’opinion publique veille, traque le moindre écart. Le tribunal des fans ne pardonne guère à ceux qu’il a lui-même couronnés — surtout lorsqu’il leur attribue toutes ses victoires. Les célébrités adoptent souvent des postures standardisées et des opinions de marché. Elles aspergent d’eau tiède l’assistance à chaque Oscar ou César : contre la guerre, contre la pauvreté, pour l’humanité entière… Le showbiz est moins un divertissement qu’une pastorale. Alors, voir les idoles se rebeller contre le conformisme de la multitude, cela a tout de l’évènement !

L’insoumission érigée en principe

Les vedettes ont compris que le non-conformisme paie. N’est-ce pas aussi la leçon politique de Milei qui a fait de l’insoumission un style et un programme politique, coupant sans précaution oratoire – et à la tronçonneuse – la dépense publique et le discours diversitaire ? Depuis sa victoire aux élections parlementaires de mi-mandat, il est devenu difficile de ne voir en lui qu’un fou ou qu’un trublion. La liberté, même au prix du scandale, fait vendre, ne ternit plus l’image des stars, et peut même faire gagner les élections, carajo!

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L’esprit Charlie ? La liberté jusqu’au bout. La voix du fondateur de Turning Point USA, Charlie Kirk, résonne encore. Pour lui « une démocratie sans liberté de parole est une dictature en sursis ». Lors des Patriot Awards organisés par la chaîne Fox News, un trophée a été remis à son épouse, Erika Kirk, pour saluer son courage et la force de sa foi. Face caméra, la voix tremblante mais ferme, elle a déclaré : « Pour le reste de ma vie, je m’assurerai de ne pas rester silencieuse. Je continuerai à dire la vérité, quel qu’en soit le prix. » “La vérité” : un mot tabou dans une Amérique relativiste mais que certains ont choisi de dire, simplement et librement. Ce soir-là, sur scène, des athlètes féminines, écartées du podium par des concurrents trans nés hommes, refusaient aussi de se taire. La veuve d’un pompier tombé au champ d’honneur y recevait, la voix brisée mais fière, le prix du courage. Des vétérans, des professeurs, des parents d’élèves — tous ces héros du quotidien rappelaient que la dignité n’a pas besoin de hashtags. Une autre Amérique arrivait enfin à se célébrer.

Le retour du bon sens

Et si la France faisait de même ? Nous manquons cruellement d’une cérémonie qui honorerait nos propres héros, ceux qui refusent de se taire et de s’excuser d’être libres. Une version française des Patriot Awards pourrait voir le jour — portée par ces médias qui écoutent encore le pays réel, loin des cénacles parisiens. Célébrer la veuve de Philippe Monguillot, un professeur Balanche, intimidé en plein cours et désormais sous protection fonctionnelle, ou encore l’avocat Pierre Gentillet, pris pour cible par des nervis d’extrême gauche. Sans oublier les lanceurs d’alerte, les parents, les anonymes, qui tiennent bon dans leur coin de France. Eux aussi méritent qu’on leur dise merci, car leur courage quotidien vaut bien toutes les grandes messes télévisuelles. Dans nos entreprises où les formations “Diversité, Équité, Inclusion” tiennent lieu de confession, dans nos écoles où la propagande LGBT remplace le savoir, dans nos médias où l’objectivité se résume à réciter le catéchisme progressiste. Le courage n’est pas réservé aux présidents ni aux stars : il se mesure à la capacité de dire “non” quand tout le monde dit Amen en langage inclusif ! Le monde d’aujourd’hui récompense l’émotion, pas la conviction. Il admire ceux qui cèdent, pas ceux qui tiennent. Comme le disait Chesterton : « Seules les choses vivantes vont contre le courant. Le reste se laisse emporter par la peur, la mode ou la lâcheté. » Il ne faut donc rien céder. Car la guerre culturelle ne se gagne pas par la colère silencieuse, mais par la capacité à tenir la ligne.

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Dans un pays où repentance rime avec vertu, ces voix qui disent “non” rappellent une vérité essentielle : la liberté ne s’hérite pas, elle se défend. Elle ne se délègue pas, elle se vit au quotidien. Le courage n’est plus l’héroïsme, c’est le retour du bon sens. Alors oui, Sydney Sweeney, Milei, Kirk, Ronaldo, et ces Américains célébrés aux Patriot Awards ne sauveront peut-être pas le monde. Mais ils rappellent au moins ceci : dans un temps d’uniformité morale, refuser de s’excuser d’être libre est déjà une révolution.

Vers un Trump français ?

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Patrice Jean: «Je ne défends jamais d’idées réactionnaires»

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La France de Bernard, Les structures du mal et Revenir à Lisbonne, les trois premiers romans de Patrice Jean, publiés à l’origine aux éditions Rue Fromentin, sont désormais réédités en un seul volume, accompagnés de textes courts, d’aphorismes et d’articles inédits sous le titre La fin du monde avait pourtant bien commencé (Cherche-Midi 2025). Une occasion pour Causeur d’opérer avec Patrice Jean une petite mise au point sur sa vision du roman ainsi qu’un premier bilan de son œuvre littéraire…


Causeur. Avec le recul, quel regard portez-vous sur vos trois premiers romans ?

Patrice Jean. Ils ont paru entre 2013 et 2016, mais ils furent écrits avant, notamment La France de Bernard, commencé en 2007. De les relire suscite la même impression que de regarder des photos prises il y a quinze ou vingt ans. Je songe à l’époque où je les écrivais, où j’étais plus jeune, et où j’ignorais ce que seraient les années qui allaient suivre. Je connais la suite maintenant. Mais je n’arrive pas à les lire comme s’ils étaient ceux d’un autre que moi (c’est la même chose avec les photos : nous avons changé, et nous sommes les mêmes).

On vous renvoie souvent, avec votre roman L’homme surnuméraire, au rôle de pourfendeur des ridicules du progressisme contemporain. Même si cette veine est indéniablement présente dans votre œuvre, on voit avec ces trois livres que votre travail romanesque est varié. Pensez-vous être le romancier d’un seul livre, dont vous poursuivriez l’idéal à travers différents ouvrages, ou au contraire un écrivain qui s’essaie à des formes variées, avec des tentatives nouvelles à chaque ouvrage ? 

Tout écrivain écrit un seul livre, il ne peut pas faire autrement, ou alors il est un faiseur, un escroc. Un écrivain a des obsessions en nombre limité qu’il décline dans des romans, dans des aphorismes, des poèmes, etc. On ne peut pas reprocher à un romancier de creuser son sillon. Dostoïevski écrit toujours sur le Mal, le crime, le Christ, etc. Stendhal écrit toujours le même roman d’apprentissage (avec variations) ; Proust n’écrit que la Recherche.

Dans un de vos aphorismes, vous affirmez : « On reconnaît un vrai lecteur à ce qu’il n’affectionne pas que les romans. Lui plaisent aussi les pensées éparses, les journaux intimes et les autobiographies, les maximes, la poésie. » Est-ce aussi par la diversité des genres que l’on reconnaît les vrais écrivains et qu’apportent les aphorismes par rapport au genre romanesque ?  

Les « vrais écrivains » ne sont pas obligés de pratiquer différents genres littéraires. Dans cet aphorisme, je vise les lecteurs : un lecteur qui ne lit que des romans n’est pas, selon moi, un amoureux de la littérature. Quel manque de curiosité, quand même ! Quant aux aphorismes, ils sont plus faciles à écrire qu’un roman. Tout le monde peut en écrire. Ils sont le fruit d’un moment, ou bien la conclusion d’une réflexion, voire la réflexion elle-même. J’aime beaucoup ce genre littéraire, il est d’une lecture très facile, il n’oblige pas à se plonger des heures durant dans un roman, il ne se monte pas du col comme la poésie, il n’est pas aussi narcissique que l’autofiction et l’autobiographie. De Lichtenberg à Gomez Dàvila, en passant par Cioran, le fragment a acquis, je crois, ses lettres de noblesse. Au fond, les Pensées de Pascal en sont la réussite la plus éclatante.

Pierre Cormary me citait dernièrement Philippe Muray, lequel affirmait dans Exorcismes spirituels IV : « Tous les grands romans, d’une manière ou d’une autre, ont toujours été des infidélités par rapport au contrat social d’une époque donnée ». Ou encore : « Trahir le contrat social qui nous est imposé par les charlatans de l’heure est l’essence même de l’expérience romanesque actuelle ». Êtes-vous d’accord avec ces propos ?

Oui, je suis d’accord. À quoi bon écrire si c’est pour flatter le gros animal ? Si c’est pour illustrer les idées politiques et sociales qu’on entend partout, qu’elles soient de droite ou de gauche ? Comme le répétait Flaubert, la littérature est l’objet d’une haine universelle. Et à l’intérieur du monde littéraire, les haines prolifèrent : des écrivains en détestent d’autres (qu’ils accusent d’un succès immérité), des lecteurs haïssent des romanciers (qu’ils prétendent être des minables, indignes de leurs prédécesseurs illustres), tout le monde jalouse tout le monde. Comme me l’a dit un jour Alice Ferney : « la littérature rend fou. » Rien n’est plus vrai. Dès que j’ai publié mon premier roman, les ennuis ont commencé: des gens que je ne connaissais pas, des amis d’amis, des lecteurs lointains, ont trouvé qu’il était insupportable que j’existe et que je publie des romans. Et ils me l’ont fait savoir. Je me souviens d’un lecteur qui m’avait téléphoné, à mon numéro personnel, pour me dire de quel bois il se chauffait. Bref, le ressentiment à tous les étages. C’est l’un des points communs entre la politique et la littérature : l’enthousiasme et la haine en sont les deux sentiments dominants.

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Dans un article intitulé D’une épithète infamante : réactionnaire, vous expliquez qu’employer « un vocable politique pour critiquer une œuvre littéraire n’a pas plus de sens que d’user d’un terme esthétique pour parler de politique », avant de conclure que « Réactionnaire n’est pas un mot, c’est un sens interdit, une impasse, un crachat, la fleur de lys marquée au fer rouge sur l’épaule de Milady ». Mais en même temps, vous écrivez dans le présent volume, « Le roman, à mon sens, est consubstantiellement lié à l’idée et au social : l’individu face à l’idée-société, l’individu face à l’absurde (…)  Un roman qui n’a pas en vue plus qu’une histoire n’a pas d’intérêt ». Même si l’emploi du terme de réactionnaire est l’expression d’une paresse intellectuelle, la critique littéraire peut-elle faire pour autant l’impasse sur la dimension politique, au sens large, de vos livres?

Mes livres ont une dimension politique, mais ils ne se réduisent pas à des prises de position politique. Mes thèmes sont plus larges : le sens de l’existence, la passion, le désir, les faux-semblants, et, plus généralement, la vie intérieure, cette vie invisible qui est la nôtre et que la littérature et l’art ont pour mission d’exprimer. Si je me moque du progressisme, c’est qu’il y a là de la matière. Réduit-on Molière à la satire des progressistes de son époque : les Monsieur Jourdain, les femmes savantes, les Tartuffe ? Et puis, si un critique prétend qu’un romancier est réactionnaire, il doit faire son travail, autrement dit relever les idées réactionnaires qu’il regrette de trouver dans mes romans. Je ne défends jamais d’idées réactionnaires, c’est pourquoi cette épithète, adressée à mes livres, ne repose sur rien, ou plutôt seulement sur un point: l’ironie envers les progressistes. Je ne crois pas que ce soit suffisant. Je suis pour la liberté, l’humanisme, la tolérance, le féminisme, la justice. Comme tout le monde. Ou presque. Pas de quoi en faire un fromage.

Au sujet d’un livre d’Édouard Louis, vous expliquez, dans un de vos aphorismes « Voici donc un roman “à la manière de”, platement sociologique (au lieu de lutter contre elle !), répétitif, sans aucun humour, sans imagination, purement idéologique ». Est-ce qu’un roman idéologique peut être réussi et pourquoi, selon vous, la littérature doit lutter contre la sociologie ?

Edouard Louis © Hannah Assouline

Un roman idéologique peut être réussi, il doit y en avoir : 1984 ? Le Meilleur des mondes ? Fharenheit 451 ? Ce sont des livres contre l’idéologie totalitaire, contre l’écrasement de la personne ; en ce sens, ils sont réussis, bien qu’ils aient un aspect idéologique. Quant à la sociologie, je ne veux pas dire qu’il faut en soi lutter contre elle, mais qu’un romancier doit résister à la tentation de n’être qu’un illustrateur des thèses de Bourdieu ou de Durkheim, pour la raison que la sociologie vise le collectif et la répétition alors que la littérature, au-delà de l’insertion des personnages dans la société, exprime la sensibilité et le prisme partiels d’une personne. Le sociologue cherche le vrai interhumain, le romancier le vrai, l’émotion, le rire, les pleurs, le doute.

Comment qualifieriez-vous la vision du monde qui se dégage de vos livres, ainsi que le style qui est le vôtre ? 

Je ne peux pas vraiment qualifier la vision du monde qui se dégage de mes livres, sinon je ne les aurais pas écrits. J’ai ressenti, à un moment de ma vie, que seul le roman (pas la philosophie, pas la poésie, pas le fragment) pourrait rendre compte de ma perception du monde, et la faire comprendre aux quelques lecteurs qui auraient envie de me lire. Pour ce qui est de mon style, je n’ai qu’une exigence : la clarté. Nous vivons dans la nuit, et j’ai lu, très jeune, pour y voir plus clair. Je n’aime pas les écrivains incompréhensibles : s’ils avaient quelque chose d’important à transmettre, que n’ont-ils essayé d’être le plus clair possible ? Quand je corrige un manuscrit, et que je tombe sur une phrase dont la signification est obscure, je me préoccupe, d’abord, d’en clarifier le sens. Bien sûr, la littérature rôde près de zones ténébreuses qui obscurcissent son propos, et un grand livre échappe à la clarté absolue. Néanmoins, la défaite intervient après un rude et loyal combat contre l’obscurité.

784 pages

La fin du monde avait pourtant bien commencé...

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Il est temps d’ouvrir les yeux

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Munich, Allemagne, 11 novembre 2025 © Malin Wunderlich/DPA/SIPA

Notre chroniqueur décrit pour nous ici ceux qui ont réinventé la haine au nom de l’amour, le racisme au nom de l’antiracisme et l’exclusion au nom de l’inclusion. Ils se rêvent résistants et ne voient pas qu’ils préparent peut-être le terrain d’une nouvelle barbarie.


Depuis plusieurs mois, en Europe et dans le monde occidental, se multiplient des manifestations contre des artistes, des musiciens et des athlètes israéliens. À Paris, des militants ont tenté d’empêcher le concert de l’Orchestre philharmonique d’Israël à la Philharmonie, au nom d’un boycott culturel. À Londres, le Royal Albert Hall a été pris d’assaut par des protestataires avant une représentation du même orchestre. À Berlin, des chanteurs israéliens ont reçu des menaces, certains festivals ont cédé aux pressions militantes et annulé leurs invitations. À Madrid, une nageuse israélienne a été huée lors d’une compétition internationale ; à Melbourne, un joueur de tennis a dû renoncer à un tournoi pour « raisons de sécurité ».

Contagion

On croyait pourtant que la musique, l’art, le sport avaient échappé à la contagion des haines politiques. Que les salles de concert, les stades, les théâtres demeuraient ces lieux où la beauté suspend un instant la brutalité du monde. Et pourtant, voici qu’on manifeste contre un orchestre un peu comme jadis on huait des Juifs sur les places d’Europe. Des pancartes s’élèvent, des cris accusent, des drapeaux s’interposent entre la musique et ceux qui voudraient simplement l’écouter. Ce ne sont plus des dictatures qui censurent, mais des foules démocratiques qui sifflent. Ce ne sont plus des ordres venus d’en haut, mais des émotions fabriquées dans les réseaux, amplifiées par des consciences sûres de leur pureté.

A lire aussi: Philharmonie de Paris: l’entêtante petite musique de la haine

Sous couvert de solidarité avec un peuple lointain, on rejoue les vieux scénarios de l’exclusion. On croit défendre la paix en désignant l’ennemi. On croit protéger les victimes en en inventant d’autres. Ce ne sont pas des chars, cette fois, qui encerclent un peuple, mais des slogans, des hashtags, des boycotts culturels. La civilisation qui se vantait d’avoir aboli la barbarie la réinvente sous forme de vertu.

Ces manifestations n’ont rien d’anodin : elles marquent le basculement d’un humanisme malade de lui-même. Elles ne visent pas des politiques, mais des êtres ; elles ne s’attaquent pas à des décisions, mais à des identités. Et dans le silence gêné des institutions culturelles, dans la complaisance molle des médias, on entend déjà résonner la vieille musique de la désignation. L’artiste israélien est redevenu le Juif d’autrefois : symbole commode de la faute originelle, cible idéale de la colère morale.

C’est ainsi que tout recommence, toujours : non par la guerre, mais par le refus d’écouter. Par la haine qui s’avance sous le masque du bien. Par l’indignation qui croit sauver et ne fait que condamner.

Amnésie

Il est temps d’ouvrir les yeux — non plus ceux du confort moral ou de la compassion mécanique, mais ceux, brûlants, que la lucidité arrache aux ténèbres. Nous vivons dans une époque d’amnésie volontaire où l’homme postmoderne, sûr de sa vertu et de son innocence, croit avoir aboli la barbarie par décret humanitaire. Il ne sait pas — ou ne veut pas savoir — que la barbarie sommeille dans chaque phrase de son indignation, dans chaque slogan qu’il répète, dans chaque certitude morale dont il se couronne pour échapper à la honte de vivre.

Je songe à ces terres de l’Est — Biélorussie, Ukraine, Lituanie, Russie — où, durant la Seconde Guerre mondiale, des hommes instruits, raffinés, diplômés, ont dirigé les Einsatzgruppen, ces unités de sécurité préventive chargées, disait-on, d’« assainir » le front. L’expression avait la froideur administrative des mots qui précèdent la tuerie. Ces hommes n’étaient pas des brutes incultes : c’étaient des docteurs en philosophie, des professeurs d’université, des juristes, des poètes parfois. Ils parlaient Goethe et Schiller, lisaient Kant le soir dans leurs baraquements, citaient Nietzsche en latin pour justifier leurs ordres. Ils savaient la musique, l’histoire, la grammaire des civilisations. Et pourtant, ils ont enseigné à d’autres hommes — simples soldats, paysans arrachés à leurs campagnes — l’art méthodique d’exterminer femmes et enfants.

La culture n’avait donc pas sauvé l’Europe. Elle avait servi à rationaliser la mort. Elle avait donné à la barbarie un vernis de raison, une syntaxe, un style. Il n’y eut pas de rupture entre le séminaire universitaire et le charnier : seulement une gradation dans la conviction. Car les intellectuels de ces temps-là avaient trouvé la justification suprême : ils croyaient défendre la civilisation contre la menace du chaos — le chaos des « judéo-bolcheviques », des partisans, des vaincus. Toujours, le meurtre collectif se pare des habits du salut.

Un mal transfiguré ?

On se tromperait lourdement en croyant que cette logique appartient au passé. Le même mal, transfiguré, circule aujourd’hui dans nos veines démocratiques. Il a changé de vocabulaire, non de nature. Hier, on parlait de purification ethnique ; aujourd’hui, on parle de justice historique. Hier, on nommait parasite celui qu’on voulait détruire ; aujourd’hui, on le dit oppresseur. Les mots sont polis, inclusifs, universitaires. Mais ils procèdent du même abîme moral.

A lire aussi, du même auteur: Une guerre peut en cacher une autre

Il est temps d’ouvrir les yeux, dis-je, car les prochains massacreurs ne portent pas d’uniforme. Ils enseignent, ils tweetent, ils rééduquent. Ils habitent nos universités, nos médias, nos ONG. Ils parlent le langage du bien et de la tolérance, mais c’est une tolérance qui désigne ses ennemis à la vindicte. Ils ont inventé la haine au nom de l’amour, le racisme au nom de l’antiracisme, l’exclusion au nom de l’inclusion. Comme jadis les Einsatzgruppen, ils croient agir en légitime défense : défendre la pureté morale du monde contre les « dominants », les « sionistes », les « colonialistes », les « hommes blancs », les « héritiers du patriarcat ». Ils se rêvent résistants et ne voient pas qu’ils préparent le terrain d’une nouvelle barbarie morale.

Rien n’est plus dangereux que la haine justifiée par la vertu. Elle tue sans remords, elle massacre en chantant. C’est elle qui, au Rwanda, a fait des paysans hutus les exécuteurs d’un peuple voisin — au nom de la peur d’être exterminés. C’est elle qui, au Cambodge, a poussé les enfants de la paysannerie à abattre leurs professeurs. C’est elle, déjà, qui en Europe avait transformé la culture allemande en machine à détruire. Et c’est elle, encore, qui aujourd’hui, sous des noms nouveaux, sous des drapeaux arc-en-ciel ou des pancartes de campus, insinue dans les esprits le même poison : celui de la désignation, du ressentiment, du droit à haïr au nom du bien.

Déguisements

Nous sommes redevenus les spectateurs tranquilles du retour du mal. Il se déploie à visage découvert dans les réseaux sociaux, dans les cortèges, dans les universités américaines où l’on acclame des massacres, où l’on exulte devant des cadavres israéliens, où l’on nie le droit à l’existence d’un peuple au nom de la justice. La barbarie nouvelle est morale, sentimentale, compassionnelle. Elle s’enrobe de culpabilité occidentale, d’antisionisme déguisé en humanisme. Elle croit réparer les crimes de l’histoire en préparant ceux de demain.

Il est temps d’ouvrir les yeux, car l’histoire recommence toujours sous d’autres formes. Nous n’avons rien appris de nos ruines. Nous ne voulons pas savoir que les massacres naissent d’abord des mots, puis des silences. Que les crimes de masse commencent dans les universités, dans les tribunes, dans la presse, dans l’inversion tranquille du bien et du mal. Et que, lorsque la vérité sera enfin dite, il sera trop tard : il y aura déjà des morts, des charniers, des cris effacés par le vacarme des justifications.

Ce siècle qui se dit éclairé vit déjà dans la nuit du cœur. Le mensonge est devenu foi, la haine s’appelle amour, la lâcheté se nomme prudence. Il est temps d’ouvrir les yeux — non pour fuir, mais pour affronter. Car il n’y aura de paix qu’à condition de nommer le mal, fût-il dissimulé sous les apparences du progrès ou de la justice. Ce n’est pas le monde qu’il faut sauver, mais l’âme humaine — cette chose fragile, invisible, qui disparaît chaque fois qu’un homme croit avoir raison d’un autre au nom de la vertu.

La société malade

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Les colonnes de Buren seront-elles vraiment balayées par le vent de l’histoire, comme le dit Jean Clair?

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DR.

45 ans que ça dure! et nous sommes loin d’être sortis de cette panade…


La plus grotesque et la plus longue arnaque intellectuelle de tous les temps est-elle vouée à se résorber à terme dans son vide consubstantiel ? C’est ce que nous présage Jean Clair, dans son article du Figaro, publié ce mercredi, intitulé : « Les colonnes de Buren sont le jeu de quilles que la roue du Temps finira par renverser[1] », et où il affirme que cette œuvre est l’incarnation du vide : « un style peut-être, mais pour ne rien dire ».

Lorsque Mitterrand fut chargé par MM. Lang et Mollard de choisir entre le projet de Pol Bury et celui de Buren, il prit celui qu’il trouvait le plus « intelligent », le préférant au plus sensible et poétique.

Une œuvre vaniteuse qui a fait couler beaucoup d’encre

Il intronisait ainsi Buren comme figure de proue d’un art d’Etat auto-proclamé « contemporain », de type posturo-conceptuel, casseur de codes, déconstructif, progressiste, et surtout redoutablement totalitaire. Commençait alors le règne du gauchisme culturel qui exclut toujours 95% de la création vivante pour facho-ringardisme et réduit ad hitlerum toute contestation de l’ineptie régnante !

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On est encore très loin de voir les colonnes, buses et autres architectures buréniennes, dispersées à grand renfort d’argent public, dans l’hexagone, renversées par quelque vent que ce soit, parce qu’elles sont en béton, et surtout, suprême vertu, parce qu’elles ont été réalisées in situ, donc juridiquement indéplaçables, comme pourraient l’être les sculptures de Bury, d’Ipoustéguy, de César, de Miro, etc. qui n’ont pas besoin d’un contexte pour exister en elles-mêmes, puisqu’elles ont un contenu artistique indépendant de leur environnement et de tout embobinage discursif. Buren possède d’ailleurs une armée d’avocats pour la protection de son « droit moral et intellectuel ».

Membre de l’Académie française, Jean Clair est ancien conservateur général du patrimoine, ex-directeur du Musée Picasso, écrivain et critique d’art, il a notamment publié Le Temps des avant-gardes. Chroniques d’art 1968-1978 (La Différence, 2012), Considérations sur l’état des Beaux-Arts, La Part de l’ange. Journal 2012-2015  (Gallimard, 2016) et Terre natale. Exercices de piété (Gallimard, 2019).

Droit moral

Je vous joins ci-dessous cette video réalisée en 1985 au Palais Royal où l’on voit Mr et Mme Michu (tels que les désigne avec mépris, le présentateur) protester contre ces immondes colonnes… où l’on voit le culot inouï, dans la défense de son « droit moral », de celui qui va devenir le plasticien numéro 1 français… Celui que les générations futures considéreront peut-être comme une honte pour la France.

Se dirige-t-on vers la fin du terrorisme intellectuel de gauche ? Il est possible de considérer cette parution d’un texte de Jean Clair comme le signe d’un réveil de la droite dans le domaine culturel… Elle qui a toujours été complexée en la matière et a laissé ce domaine à la gauche. Doit-on considérer cela comme signe d’un retour imminent de la peste brune ou de la bête immonde ? À suivre…

Je vous joins, pour terminer, cette image de Buren en coloriste de la mer, qui prouve que l’art d’État dit contemporain est capable des pires atrocités envers l’humain…

L'art n'a jamais été aussi contemporain qu'aujourd'hui

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Suite à la publication de mon article sur le « carnage » dans les Écoles Des Beaux-arts publiques (70 000 vues sur Facebook) j’ai reçu ce témoignage d’une artiste broyée par le système auquel elle a cru :

« Si je vous écris aujourd’hui c’est que certaines choses doivent être dénoncées. Et vous le faites très bien. Je vais vous raconter un petit bout de mon histoire. J’ai fait mes études à l’école des beaux-arts. J’en suis sortie diplômée en 1990. Je ne suis donc pas un « lapin de 6 semaines ». Je suis une « vieille » de 59 ans. J’étais figurative et je le suis toujours. Ça m’a valu d’être placardisée, menacée, ringardisée…. Il ne faut pas oublier que Jack Lang était le ministre de la Culture.
Maintenant, ceux qui sortent des écoles d’art ont tout ce que nous n’avions pas. Organismes de toutes sortes, associations, et internet. L’info à portée de clics. Les artistes nés en 80-90 et après se font curateurs maintenant. Donc ces fameux curateurs ne vont surtout pas mettre en avant une « vieille » comme moi. Je suis condamnée à l’invisibilité. Je suis donc confrontée à une mort professionnelle, sociale. Je suis abonnée aux salons plus ou moins merdiques, aux expositions payantes et aux plateformes de vente d’art (comme Artmajeur) (il y a beaucoup de choses à dire sur ces plateformes).
Aujourd’hui j’ai la désespérante sensation d’avoir été enterrée vivante. C’est l’enfer. Je ne sais plus quoi faire. Continuer ce chemin cauchemardesque ou arrêter ? Et faire quoi ? J’ai consacré toute ma vie à l’art. J’ai eu beaucoup d’échecs dans la vie que j’ai surmontés. Je pense que celui-ci sera de trop. Continuez ce que vous faites. »

[1] https://www.lefigaro.fr/vox/culture/jean-clair-les-colonnes-de-buren-sont-le-jeu-de-quilles-que-la-roue-du-temps-finira-par-renverser-20251111

Les Frères musulmans, une machine de guerre idéologique

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L'Egyptien Hassan el-Banna (1906-1949), fondateur des Frères musulmans. DR.

Les Frères musulmans ne sont pas un mouvement religieux, mais une organisation politique qui devrait rapidement être classée terroriste.


En décembre dernier, j’ai eu l’honneur de recevoir le Prix autrichien de la réussite multiculturelle 2024, décerné par le ministère fédéral autrichien des Affaires européennes et internationales. Cette distinction saluait mes efforts pour promouvoir le dialogue entre croyants, encourager le pluralisme et renforcer la coexistence entre les cultures et les religions.

Quelques heures à peine après l’annonce, une campagne d’une violence inouïe s’est déclenchée contre moi. Elle a été menée par des figures islamistes radicales liées aux Frères musulmans, notamment les fondateurs de la branche yéménite du mouvement, dont l’un est député, bénéficiant d’un soutien financier venu de Turquie. Leurs accusations étaient révélatrices – comme des empreintes digitales idéologiques : « [je travaillerais] à saper la sacralité des textes religieux islamiques et manifester de l’hostilité envers l’islam. » et à « promouvoir la coexistence avec toutes les croyances et toutes les idées. » Ces attaques, relayées sur leurs plateformes extrémistes et leurs comptes personnels, montrent toute la contradiction du discours des Frères musulmans. Dans leur idéologie, œuvrer pour la paix entre les religions revient à menacer la foi, et prôner la coexistence constitue une faute morale. Ce qu’ils m’ont reproché, c’est précisément ce qu’ils redoutent le plus : la pensée libre, le dialogue et la paix. Ce qu’ils pratiquent n’est pas la défense d’une religion, mais une guerre contre la pensée modérée.

Cette campagne m’a brutalement ramené quinze ans en arrière. Pendant le Printemps arabe au Yémen, j’étais étudiant en journalisme à l’université de Sanaa. J’y publiais un journal étudiant non officiel, d’inspiration libérale, qui critiquait ouvertement les tabous sociaux et politiques. Rapidement, j’ai été la cible de l’aile étudiante du Rassemblement yéménite pour la réforme, la branche locale des Frères musulmans.

En 2010, pour mon projet de fin d’études, j’ai publié un numéro spécial contenant un article intitulé « Le sexe au Yémen ». Ce texte, qui voulait simplement aborder sans hypocrisie une réalité sociale, a déclenché une véritable tempête : passage à tabac, menaces de mort, accusations de prosélytisme chrétien et de diffusion de la débauche. L’université a finalement cédé à la pression islamiste et m’a suspendu pour un an.

A lire aussi: Compromissions cairotes

Ma suspension a été dénoncée par des organisations de défense des droits de l’homme et des mouvements étudiants de gauche. De cette crise est née une mobilisation plus large : nous avons organisé des marches et des sit-in qui ont rapidement rejoint le mouvement du Printemps arabe. J’ai moi-même rédigé le premier communiqué annonçant la création de la Place du Changement à Sanaa, le 20 février 2011.

Mais lorsque les Frères musulmans ont pris le contrôle du mouvement, la révolution a changé de nature. Ceux qui, comme moi, défendaient une vision civile, démocratique et non partisane ont été marginalisés, parfois agressés. Parce que je documentais les violences commises par leurs comités de sécurité, on m’a accusé d’être un agent du régime.

Après mon exil forcé en 2015, je me suis installé au Soudan, pays refuge pour de nombreux dirigeants des Frères musulmans. J’y ai fondé une initiative intitulée « Nous voulons vivre », appelant à la paix et à la fin de la guerre. Ce projet a reçu le Prix des bâtisseurs de paix de la plateforme 30-Yemen, en partenariat avec l’UNESCO et les Nations unies.

Notre initiative devait culminer par un événement international, le Rassemblement yéménite pour la paix. Mais au lieu de susciter un débat, elle a déclenché une nouvelle campagne de haine. L’ambassade du Yémen l’a alimentée, et les Frères musulmans s’en sont servis pour me dénigrer, m’accusant d’être un « Houthi ». Ironie du sort, cette conférence devait se tenir le 21 septembre 2015, Journée internationale de la paix, jour où Sanaa tombait aux mains des Houthis.

Neuf ans plus tard, à Vienne, les visages de mes nouveaux détracteurs m’étaient familiers. La campagne contre moi a été menée par la plateforme Qiyam, une organisation extrémiste prétendant défendre les « valeurs familiales et sociales », dirigée par le cheikh Ibrahim Ahmed Ali Al-Ebi, frère du prédicateur et député Abdullah Ahmed Ali Al-Adaini, l’un des fondateurs du parti islamiste yéménite. Ensemble, ils ont orchestré une campagne de diffamation, relayant sur leurs réseaux des accusations fallacieuses. Une fois encore, la meute idéologique s’est mise en mouvement.

Les Frères musulmans démontrent ainsi, une fois de plus, qu’ils sont le vecteur idéologique du fondamentalisme violent qui a engendré Al-Qaïda et l’État islamique. En tant que journaliste spécialisé dans le fait religieux, je pose une question simple : avez-vous jamais entendu un dirigeant des Frères musulmans condamner l’idéologie d’Al-Qaïda ou de Daech ? Se désolidariser de la pensée qui a justifié leurs crimes ? La réponse est non. Leur lien est organique. Les Frères musulmans sont la matrice intellectuelle du terrorisme islamiste contemporain, même s’ils le dissimulent pour des raisons tactiques.

Aujourd’hui, en Europe, les sociétés civiles commencent à comprendre. Des mouvements citoyens réclament la désignation des Frères musulmans comme organisation terroriste. Cette prise de conscience est salutaire. L’Europe découvre qu’un réseau né de la manipulation du Printemps arabe s’est installé dans ses villes, qu’il infiltre ses mosquées, ses associations, ses médias et même certaines institutions.

Des lieux de culte et des associations caritatives servent désormais de relais à des discours de haine. Des manifestations publiques soutiennent des groupes terroristes. Des provocations religieuses dans les rues cherchent moins à exprimer la foi qu’à tester la tolérance des sociétés européennes et à intimider leurs opposants.

Je crois profondément que la campagne internationale #ClassifyMBNow, visant à classer les Frères musulmans comme organisation terroriste, ne sera pas un simple slogan. Ce sera un mouvement d’assainissement moral et politique. Car sous les eaux stagnantes de l’indulgence et du relativisme prospèrent les germes du fanatisme.

L’Europe doit s’y préparer. Le prix minimum à payer pour protéger ses citoyens et ses valeurs civiles est d’affronter cette réalité : les Frères musulmans ne sont pas un mouvement religieux, mais une organisation politique totalitaire.
Il est temps de couper leurs financements et de lever le voile du déni.

Tant qu’il y aura des films

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© Pyramide Distribution

Passée sous les radars du dernier Festival de Cannes, la nouvelle fiction du cinéaste ukrainien Sergeï Loznitsa domine incontestablement les sorties de novembre, même si par ailleurs Jodie Foster et Daniel Auteuil illuminent un remarquable polar français.


Glaçant

Deux procureurs, de Sergeï Loznitsa

Sortie le 5 novembre

Union soviétique, 1937. Des milliers de lettres de détenus accusés à tort par le régime sont brûlées dans une cellule de prison. Contre toute attente, l’une d’entre elles, subtilisée au dernier moment par le prisonnier chargé de les détruire, parvient à destination, sur le bureau du procureur local fraîchement nommé, Alexander Kornev. Ce dernier va se démener pour rencontrer le prisonnier qui a écrit cette lettre dans laquelle il se dit victime d’agents corrompus de la police secrète, la NKVD. Bolchevik chevronné et intègre, le jeune magistrat croit à un dysfonctionnement du système. Sa quête de justice le conduit jusqu’au bureau du procureur général, à Moscou. À l’heure des grandes purges staliniennes, c’est la plongée d’un homme dans un régime totalitaire qui ne dit pas son nom.

Telle est l’implacable trame du nouveau film de Sergeï Loznitsa, réalisateur ukrainien qui oscille sans cesse entre fictions (My Joy, Dans la brume, Donbass, entre autres) et documentaires (Maïdan, Babi Yar.Contexte, L’Invasion,notamment). Des œuvres fortes, âpres et rugueuses qui interrogent autant le passé que le présent. Avec Deux procureurs,il explore donc les arcanes du système judiciaire et carcéral d’une URSS cadenassée par Staline et son régime de terreur permanente. La totale réussite du film tient à la façon dont le cinéaste rend palpable le véritable parcours du combattant qui attend le petit juge : rien ne fonctionne comme ailleurs dans cet univers concentrationnaire conduit par une bureaucratie effrayante. Le temps d’abord y est suspendu : le directeur de la prison le fait attendre des heures et des heures, comme pour l’épuiser jusqu’à le faire renoncer à sa démarche. Quand enfin l’autorisation de visite lui est accordée, c’est un incroyable ballet de portes, de sas, de grilles, de couloirs glauques, de corridors sans fin, de clés bruyantes et de serrures énormes qui prend le relais. Comme si cette fois, il s’agissait de décourager l’obstiné fonctionnaire en le perdant dans un labyrinthe sombre et terrorisant. Un véritable dédale qui rend fou tant il est à la fois complexe et vide de toute logique spatiale. Ou comment démontrer avec un incroyable brio la machine stalinienne dans toute sa capacité à broyer chaque individu.

Incarné à la perfection par Alexandre Kouznetsov (découvert en 2008 dans Leto de Kirill Serebrennikov), l’imprudent juge devient une sorte de Christ aux outrages qui pour progresser doit subir toutes les humiliations générées par une mécanique redoutable, sous les sourires et les blagues de geôliers débonnaires. Inspiré d’un texte écrit clandestinement en 1969 par Gueorgui Demidov (1908-1987), physicien déporté en 1938 dans les camps de la Kolyma durant quatorze ans, le film colle au plus près du réel avec un soin presque documentaire. Il a d’ailleurs été tourné dans une véritable prison de l’Empire russe, à Riga, en Lettonie. Et pour accentuer la sensation d’enfermement, Loznitsa a choisi pour l’image un format carré, une réalisation en plans fixes et une palette de couleurs n’allant que du gris au marron, dans un décor dépouillé, froid, métallique, presque abstrait. Porté par ce formalisme dénué de tout artifice, le film déploie très habilement une narration proprement diabolique qui vise en permanence à manier le chaud et le froid, comme le font d’ailleurs les interlocuteurs successifs et interchangeables du petit juge. Jusqu’au bout, Deux procureurs maintient le spectateur dans un état d’intranquillité totale. C’est bien le moins quand on dépeint l’enfer sur terre.


George Lechaptois

Réchauffant

Vie privée, de Rebecca Zlotowski

Sortie le 26 novembre

Lilian Steiner est une psychiatre reconnue. Un jour, elle apprend la mort de l’une de ses patientes et se persuade qu’il s’agit d’un assassinat. Elle décide de mener l’enquête. Le nouveau film de la surdouée Rebecca Zlotowski passe la vitesse supérieure en se présentant comme un hommage assumé aux films d’Alfred Hitchcock et de Woody Allen, pour ne parler que de ces deux-là. Entre Une femme disparaît et Meurtre mystérieux à Manhattan, Vie privée a l’indéniable saveur des vrais-faux polars bâtis d’abord pour s’amuser entre auteurs (ici Anne Berest et la réalisatrice), puis nous distraire. Et un impeccable casting renforce ce plaisir simple, mais finalement pas si fréquent : Jodie Foster et Daniel Auteuil en tête, accompagnés par Virginie Efira, Mathieu Amalric et Vincent Lacoste notamment. Impossible de résister aux quiproquos, fausses pistes et autres joyeusetés scénaristiques d’un film qui ne se prend jamais au sérieux, sans pour autant mépriser son spectateur. On en redemande et sans réserve.


Focus Features

Refroidissant

Bugonia, de Yorgos Lanthimos

Sortie le 26 novembre

On pourrait parler d’une douche glacée, tant Bugonia, le nouveau film du cinéaste grec Yorgos Lanthimos joue une nouvelle fois (une fois de trop ?) avec nos limites en matière de Grand Guignol. Manifestement, son plaisir de réalisateur est de maltraiter la malheureuse actrice dénommée Emma Stone, ici dans le rôle d’une patronne enlevée par deux crétins convaincus qu’elle est une extraterrestre venue pour détruire la Terre. S’ensuit une série de sévices corporels et psychologiques censés sauver l’humanité en péril. C’est laid, c’est bête, et c’est long. On se demande ce qui peut pousser des acteurs non dénués de talent à accepter de tels rôles, et on s’interroge sur les intentions réelles du cinéaste. Puis on finit par baisser les bras devant ce cinéma poseur et boursouflé qui multiplie les images faussement provocantes et pleines de bassesse pour essayer de faire oublier qu’il n’a rien à dire.

https://www.youtube.com/watch?v=bd_5HcTujfc

Municipales marseillaises: un sacré pastis

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Le député des Bouches du Rhône RN Franck Allisio, photographié à Marseille le 14 décembre 2024 © Alain ROBERT/SIPA

Nul n’ignore qu’à Marseille, depuis que la Sardine a bouché son port, tout peut arriver. On le constate encore aujourd’hui alors qu’une étude d’intentions de votes aux prochaines municipales, effectuée du 4 au 7 novembre par l’institut Cluster 17 pour Politico, vient d’être publiée.

Ses résultats sont de nature à troubler les siestes dans les calanques et perturber les parties de boules du parc Borély. Peuchère, ça frise la galéjade : le RN d’Allisio et le Printemps marseillais de Payan à parfaite égalité. À en sortir le double-décimètre, si on était à la pétanque. 29% des exprimés au premier tour pour l’un et l’autre. À noter que, localement, le RN est passé de 19,5% aux précédentes municipales à 30% aux dernières européennes. Dynamique prometteuse, au moins sur le papier.

Cela dit, en embuscade, il y a le candidat LFI, puisque la gauche Payan s’est rassemblée hors le mouvement mélenchoniste. Là aussi, on enregistre une certaine dynamique, puisque le candidat désigné réaliserait un score de 16% donc de quoi se maintenir au second tour, puisqu’atteindre les 10% au premier y suffit. Toute la question est donc là : maintien ou non maintien de LFI ? On serait tenté de miser sur le maintien, tant le candidat en question est de grande qualité. Il s’agit en effet du brillantissime Sébastien Delogu. Comment imaginer qu’on puisse se passer d’une si éminente personnalité dans une joute pour un second tour à Marseille ? Comment pourrait-on accepter d’amputer le débat d’un apport dialectique, culturel, visionnaire d’un si haut niveau ? Le mettre sur la touche, cet éminent politique, représenterait un gâchis incompréhensible, une atteinte des plus dommageables à la qualité de la vie démocratique. Il faut dire que Delogu cartonne chez les jeunes Marseillais de 18 à 34 ans. Il performe là à quelque chose comme 34% d’intentions de vote (Nous l’avons vu, le soufflet retombe tout de même à 16% sur l’ensemble des votants). La Bonne Mère ne peut que se réjouir lorsqu’elle constate qu’à ses pieds prospère une jeunesse si éclairée, politiquement et intellectuellement si exigeante, si bien formée aux arcanes de la démocratie parlementaire.

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Dans le cas du maintien du sieur Delogu, Payan, le maire sortant, serait à la peine. S’il est néanmoins donné gagnant, ce serait d’un cheveu. 30,5% contre 29% à Allisio. Là encore, s’en remettre au double-décimètre s’imposerait.

En embuscade, il y a aussi la candidate LR et Horizons, la présidente de la métropole, Martine Vassal, qui serait en discussion avec Renaissance pour obtenir son soutien. L’étude la crédite de 23%. Elle serait donc admissible elle aussi au second tour. Se pose dès lors la question du vote utile. Le vote d’électeurs LFI en faveur de Payan pour barrer la route au RN et le vote d’électeurs LR Horizons Renaissance en faveur du RN pour sanctionner cette alliance de circonstance et le bilan du maire sortant. Quand on vous dit sacré Pastis, on n’en est pas loin.

Un Pastis qui pourrait bien s’exporter dans tout l’hexagone, du moins dans nombre de villes, la barre du maintien étant donc à dix pour cent, on pourrait se retrouver dans maintes communes avec parfois jusqu’à six listes au second tour. Un pur régal !

Il n’en reste pas moins que, au vu de cette étude qui n’est, rappelons-le, qu’une photographie de la situation à un moment donné, le fait que le RN d’Allisio fasse jeu égal avec la gauche de Payan, les Marseillais – et au-delà – ont été fort surpris. Bien entendu, il y a ceux à qui ça fend le cœur et ceux à qui ça ensoleille l’aïoli.

Quoi qu’il en soit l’élu aura beau jeu de reprendre à son compte la bonne vieille blague prisée de tous les maires de la ville : « On dit qu’à Marseille on fait voter les morts. C’est faux : ils votent comme ils veulent. » Voilà un paramètre que l’étude évoquée aurait peut-être dû prendre en compte ? Réponse en mars. Avec les premiers beaux jours, les boules de sortie, le pastis dans les verres et la bouillabaisse sur le feu…

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New-York: qui sont ces juifs progressistes qui ont voté pour M. Zohran Mamdani?

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De gauche à droite, Lincoln Restler, le rabbin Moshe Indig et Zohran Mamdani pendant la campagne municipale à New York, 2 novembre 2025. RS.

Le symptôme new-yorkais et la dérive morale de la modernité, une analyse de Charles Rojzman.


Le fait qu’en 2025, près de 30% des Juifs new-yorkais aient voté pour un candidat musulman ouvertement antisioniste n’est pas seulement un événement électoral : c’est un symptôme historique. Il marque la dislocation d’un lien de conscience qui unissait depuis plus de soixante-dix ans la diaspora juive américaine à Israël, et au-delà, la rupture entre la mémoire du tragique et la morale contemporaine.

Car ce geste politique n’est pas un accident. Il est l’expression d’un déplacement profond : la substitution du devoir de lucidité par l’exigence de pureté morale. Là où la fidélité à Israël incarnait jadis la conscience d’un peuple ayant tiré les leçons du mal absolu, s’impose aujourd’hui une nouvelle religion sécularisée — celle de la compassion abstraite, de la repentance universelle, et du refus du tragique.

Dans l’Amérique progressiste, le Juif éclairé se veut désormais plus moral que fidèle, plus universel que particulier. Il craint d’être confondu avec la force qu’il condamne ; il se veut au-dessus des nations et des conflits, comme si la mémoire du mal pouvait justifier la fuite devant le réel. Mais cette fuite n’est pas la paix de l’esprit : elle est une abdication du sens.

Car Israël n’est pas seulement un État : il est le symbole d’un monde où l’histoire n’a pas abdiqué. Sa simple existence rappelle que la survie suppose le courage, la frontière, la force, et la responsabilité. Et c’est précisément cela que rejettent ces électeurs new-yorkais — non pas Israël en tant que tel, mais ce que son existence continue d’affirmer contre l’air du temps : que la liberté est tragique, que la paix se conquiert, et que l’identité ne se négocie pas.

Leur choix révèle une fracture bien plus vaste : celle d’une civilisation qui, croyant se purifier par la morale, s’aveugle sur les conditions de sa survie. C’est cette cécité des « demi-sachants », selon le mot de Jacques Ellul, que ce texte explore : celle des élites juives progressistes, cultivées mais désorientées, moralisatrices mais sans mémoire, qui confondent l’universalisme avec le déni du réel.

Le paradoxe des consciences indignées

Comment comprendre qu’une part significative — près de 40 % selon certains sondages — des Juifs américains se disent « choqués » par ce qu’ils appellent les « crimes de guerre » de l’armée israélienne à Gaza, et que certains osent même employer le mot de « génocide » ? Comment expliquer que, dans ce peuple dont la mémoire est saturée du mot Shoah, on en vienne à l’utiliser contre l’État d’Israël lui-même?

Ce paradoxe n’est pas accidentel. Il révèle une faille de civilisation : celle d’un Occident arrivé à ce point d’épuisement où la morale a remplacé la pensée, où la compassion tient lieu de jugement, et où la mémoire des crimes passés empêche de comprendre les périls présents. Ces Juifs américains, héritiers d’un monde saturé de bonne conscience, sont les enfants d’une culture qui croit penser mais ne sait plus voir.

Le règne des demi-sachants

Jacques Ellul appelait demi-sachants ces êtres qui croient savoir parce qu’ils ont lu, entendu, débattu, mais dont la connaissance ne déborde pas les frontières mentales que leur époque a tracées pour eux. Ils parlent avec assurance, mais leur intelligence s’est laissée confisquer par l’air du temps.

La majorité des élites juives américaines appartient à cette catégorie : cultivées, informées, mais prisonnières d’un paradigme moral où le monde n’existe plus que sous la forme du bien et du mal, du dominant et du dominé. Leur rapport à Israël s’inscrit dans ce schéma : elles voient en lui la puissance arrogante, et en l’autre, la victime rédemptrice. Ce qu’elles jugent, en réalité, ce n’est pas Israël, mais leur propre impuissance à penser hors des catégories de la morale progressiste.

L’universalisme devenu idéologie

L’universalisme, jadis grandeur de l’Occident, s’est retourné contre lui. Né du christianisme et des Lumières, il portait en lui la promesse d’une humanité réconciliée dans la raison et la liberté. Mais détaché de ses racines historiques, il s’est transformé en idéologie : une religion séculière qui prétend abolir la tragédie.

Dans cet universalisme dévoyé, Israël fait figure de scandale. Car il rappelle que la survie d’un peuple suppose la force, la frontière, le conflit, et que la liberté n’est pas un état de grâce mais une conquête. Ce rappel du tragique choque des consciences dressées à croire que la paix est le nom de la morale.

En ce sens, Israël n’est pas seulement jugé : il est excommunié.

Le manichéisme progressiste

Le monde contemporain se pense à travers la figure du « dominé ». C’est là le fruit d’une longue déchristianisation : l’Occident n’a pas cessé d’être chrétien, il a seulement remplacé Dieu par la Victime. La compassion s’est faite dogme, et la morale, instrument de domination symbolique.

Ainsi, tout conflit est réduit à une opposition simple : le fort a tort, le faible a raison. Dans cette logique, l’État juif ne peut qu’incarner le mal. Sa puissance militaire, son attachement à la souveraineté, sa fidélité à l’idée de peuple heurtent une culture occidentale qui ne supporte plus ni la hiérarchie, ni la frontière, ni la virilité.

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Mais cette culture morale et abstraite, tournée contre la réalité, n’a pas seulement faussé le regard sur Israël : elle a désarmé tout un continent face au danger d’une islamisation rampante, longtemps sous-estimée. En refusant de nommer la violence issue d’un islam politique conquérant, en niant la logique d’emprise qui traverse certains courants religieux, l’Occident s’est condamné à l’aveuglement. Et les élites juives progressistes, par peur d’être confondues avec leurs adversaires idéologiques, se sont souvent faites complices de ce déni. Elles ont préféré accuser Israël plutôt que de reconnaître que la haine qui s’y déchaîne est la même qui grandit sur leurs propres terres.

Ce manichéisme satisfait les âmes fatiguées : il leur offre la paix du jugement moral. Il dispense de la complexité, il abolit la responsabilité. Il permet de condamner sans comprendre, d’aimer sans agir, de croire sans penser.

Le divorce entre le peuple et les élites

Mais ce discours n’a pas conquis tout le monde. Il s’est imposé dans les universités, les rédactions, les institutions culturelles, mais il n’a pas pénétré jusqu’au fond des peuples. Ceux-ci continuent, confusément, à sentir ce que leurs élites refusent de penser : que la civilisation n’est pas immortelle, que la paix n’est pas naturelle, que la violence, si elle n’est pas contenue, finit toujours par revenir. Ce peuple, qu’on dit « populiste », sait d’instinct ce que les demi-sachants ont oublié : que le monde n’est pas un espace moral, mais un champ de forces. Que la survie n’est pas un scandale, mais un devoir. Que la peur n’est pas un crime, mais une émotion civilisatrice.

Culpabilité post-Shoah et effacement identitaire

Chez les Juifs américains, cette fracture se double d’une blessure particulière : la culpabilité post-Shoah. L’horreur de l’extermination a laissé une empreinte telle qu’elle a engendré une méfiance métaphysique envers toute forme de puissance juive. Israël, en assumant sa souveraineté, rompt ce pacte implicite avec la faiblesse. Il scandalise les héritiers de la victime parce qu’il lui substitue le sujet.

Là où l’Europe juive avait appris à se taire pour survivre, Israël a appris à frapper pour vivre. Et cette mutation anthropologique est insupportable à ceux qui ont fait de la souffrance une identité. La culpabilité post-Shoah, au lieu d’engendrer la vigilance, a engendré la fuite devant la réalité. On confond aujourd’hui fidélité à la mémoire et refus du présent. Ce n’est pas l’État d’Israël que ces Juifs rejettent, mais la métamorphose du Juif qu’il incarne : de témoin à acteur, de victime à combattant.

Israël, miroir du monde déchiré

Israël est devenu, pour l’Occident, un miroir. Ce petit pays, constamment sommé de justifier son existence, reflète l’état d’une civilisation qui ne sait plus pourquoi elle existe. Sa guerre permanente est l’image renversée de notre paix épuisée. Sa détermination à vivre, malgré la haine, révèle notre résignation à mourir, par lassitude.

Israël rappelle à l’Occident ce qu’il fut : une civilisation du risque, de la volonté, de la continuité. Et c’est précisément ce rappel que l’Occident ne supporte plus. Il veut croire que l’histoire est finie, que la morale a remplacé le tragique, que la parole suffit à conjurer la guerre. Israël dément cette illusion. Son existence même prouve que la violence n’a pas disparu, qu’elle demeure au cœur du monde, et qu’elle exige d’être comprise, non niée.

C’est pourquoi l’hostilité envers Israël déborde largement le champ politique. Elle est d’ordre métaphysique : Israël incarne, à sa manière, la survivance de l’histoire dans un monde qui voulait en finir avec elle.

L’Occident regarde Israël comme on regarde un miroir où se reflète ce que l’on ne veut plus voir de soi : la nécessité du courage, la brutalité du réel, la persistance du mal. Sa condamnation d’Israël est une tentative de se purifier de sa propre impuissance.

La leçon d’Israël

Ce que nous enseigne Israël, à travers la haine qu’il suscite, c’est qu’aucune société ne se maintient sans conscience de son tragique. La paix n’est pas un état naturel, mais un effort constant. La morale n’est pas un substitut à la politique, et la compassion ne saurait tenir lieu de clairvoyance.

Il y a, dans le rapport de l’Occident à Israël, quelque chose d’un drame de la modernité : la fuite devant le réel, la peur de la puissance, la honte d’exister. Israël, par sa simple présence, contredit cette honte. Il dit : nous voulons vivre. Et ce vouloir-vivre, au lieu d’être admiré, est haï, parce qu’il rappelle ce que nous avons perdu — le sens de la continuité, le courage du particulier, la fidélité à soi-même.

Israël n’est pas seulement une nation ; il est devenu le test spirituel du monde moderne. L’aimer, c’est encore croire à l’histoire. Le haïr, c’est déjà vouloir en sortir.

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Bons vivants et mauvais coucheurs

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Photos © F. Magellan

Le Canon français organisait le weekend dernier l’un de ses fameux banquets géants en Ille-et-Vilaine, malgré une importante opposition gauchiste locale. Frédéric Magellan est allé boire un coup…


Site habituellement paisible de l’arrière-pays de Rennes, le château de Blossac (Goven, 35) était ce week-end au centre de l’attention médiatique. En cause : un banquet organisé par le Canon français, réparti sur trois jours, et qui s’est attiré les foudres des Antifa et des élus LFI locaux.

Les activistes anonymes au fourneau

Tout aura été fait pour enquiquiner les organisateurs. L’événement, qui devait initialement se tenir le 17 octobre au Château des Pères, à Piré-Chancé, avait été d’abord annulé. Les propriétaires des lieux, Julien et Jean-Paul Legendre, avaient alors cédé aux pressions d’activistes anonymes. Les députés LFI Marie Mesmeur et Mathilde Hignet, ainsi que le sénateur écologiste Daniel Salmon, ont joint leur nom à une pétition qui a recueilli 700 signatures. Une demande d’interdiction a également été envoyée au préfet. Autant de rabat-joie et de trouble-fête qui sont passés près d’une petite victoire symbolique, si seulement les organisateurs n’avaient pas trouvé une nouvelle date et un lieu de rechange : le château de Blossac, donc, belle bâtisse du XVIIᵉ siècle. Le maître des lieux, Christophe de la Rousserie, a bravé les menaces, y compris celles du petit milieu de la conservation historique, résolu à lâcher le châtelain. Les prochains financements risquent d’être compliqués.

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Les anti-fêtes ne passeront pas

Sur le chemin, les voitures de policiers et de gendarmes indiquent malgré elles la route à suivre. Les hordes d’antifa rennais menaçaient de gâcher l’événement. Près de Rennes, une petite manifestation s’est tenue, dénonçant « une instrumentalisation de la culture française ». Mais quelle mouche a bien pu piquer tous ces antifa anti-fêtes ? Le Canon français, fondé en 2021 et qui organise aux quatre coins de la France des banquets pantagruéliques, a été racheté par Pierre-Edouard Stérin. Celui-ci est dépeint par la presse progressiste comme le nouveau grand manitou de la droite réactionnaire, le nouveau Citizen Kane, comme l’était dans les années 80 Robert Hersant, que tout le monde a à peu près oublié depuis. Et puis, tous ces braves gens qui se réunissent autour d’un cochon grillé sont suspectés d’entretenir un entre-soi conservateur. À en lire certains médias, « saluts nazis, chants à la gloire du Rassemblement national et drapeaux royalistes » seraient le lot commun de ces banquets festifs.

La France Sardou

Ce samedi, point de saluts nazis ni de drapeaux royalistes pourtant. Plutôt une joyeuse assemblée de gais lurons bien décidés à festoyer au rythme des olas et des paquitos. Le public est partagé entre vestes Barbour, pulls marinières et chemises hawaïennes. Cornemuses et kouignamann viennent rééquilibrer une ambiance jusqu’alors plutôt gasconne. Vissés sur les têtes, les bérets griffés Canon français se portent fièrement. À table, se succèdent pâtés et jambonneaux pour une variation autour de cinquante nuances de cochonnaille. À la sono, Sardou, le petit bonhomme en mousse et Michel Delpech, entrecoupés de vibrantes Marseillaises chantées a cappella. Mais aussi les notes entraînantes de bella ciao. « Vous voyez, on n’est pas si à droite que ça », nous glisse, malicieusement, l’un des co-organisateurs.

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« Tout le monde n’est pas forcément de droite, mais quand les médias nous disent de ne pas aller faire la fête à tel endroit, ça nous donne envie d’y aller », affirme Cédric, 34 ans, directeur commercial dans le bassin rennais. La plupart des participants viennent des environs de Rennes, du Morbihan, des Côtes-d’Armor. Ils peinent à se reconnaître dans la capitale bretonne, transformée au fil des années en un repaire de cheveux bleus et de punks à chien. Alors, ces ripailles dans la campagne bretonne, c’est un sas de décompression. La politique n’est pas le sujet de discussion de l’après-midi. « Nous ne sommes pas des gauchistes, nous ne vivons pas pour la politique. Après le psychodrame politique des dernières semaines, on a plutôt envie de s’amuser ».

1848 à l’envers

Les museaux commencent à rosir sous l’effet de l’alcool. Ça n’est pas pour autant la beuverie complète et sans contrôle. Parmi les 800 convives, une grosse majorité de trentenaires. Passés par l’Éducation nationale au temps de Najat Vallaud-Belkacem, abreuvés de spots publicitaires les enjoignant de ne pas boire, ne pas fumer, manger moins gras et moins sucré, ils se retrouvent sur les pelouses clopes au bec et verres à la main. Leurs bedaines sympathiques indiquent qu’ils ont pris quelques libertés avec les injonctions gratuites, laïques et obligatoires.

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En 1847, la France des notables se réunissait clandestinement autour de tables chargées de victuailles : c’était la fameuse « campagne des banquets », destinée à contourner l’interdiction des réunions publiques imposée par le ministre François Guizot. On y trinquait à la réforme électorale, à la vertu publique et à la fin de la corruption. Déjà, en 1830, ces banquets avaient précédé la chute des Bourbons, branche aînée ; en 1848, l’interdiction de celui du 22 février fit tomber la monarchie de Juillet. Cent soixante-dix ans plus tard, ironie de l’histoire : c’est la droite festive, à chevalières et à particules, qui ressuscite ce vieux rituel républicain ; alors qu’au même moment, les héritiers de la Révolution et des sans culottes pétitionnent et donnent le coup de matraque à la rescousse de l’ordre établi.

Compromissions cairotes

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© Memento Films.

Un chef-d’œuvre ! En salles demain.


Fares Fares, géant au nez de Cyrano et aux oreilles éléphantines, acteur fétiche du cinéaste suédois d’origine égyptienne Tarik Saleh, 53 ans, sert d’organe conducteur à l’extraordinaire trilogie entamée en 2017 avec Le Caire confidentiel, poursuivie en 2022 avec La Conspiration du Caire (deux joyaux incontournables du Septième art, qu’on peut par bonheur visionner l’un et l’autre actuellement sur Netflix) et dont Les Aigles de la République constitue à présent le dernier volet – très attendu – du triptyque. Trois imbroglios palpitants, trois scénarios sans continuité apparente, sinon les arrière-plans politiques dont leurs intrigues foisonnantes sont chargées, au cœur d’une capitale qui, sous l’œil implacable du cinéaste rebelle, demeure le siège des plus sordides intrigues de palais, l’épicentre de sanguinaires conflits politiques et confessionnels, la matrice d’une corruption généralisée, dans le chaudron d’ une société égyptienne toujours au bord de l’implosion, minée par les inégalités sociales vertigineuses… et poursuivie par l’hydre islamiste.

Un cinéma politique ?

Tarik Saleh est un cinéaste de l’exil ; il n’a pas remis les pieds en Egypte depuis près de dix ans. L’intrigue du Caire confidentiel se déroulait juste avant la révolution de 2011 contre le régime honni de Moubarak : ce fut un tournage à très haut risque. Fares Fares y incarnait un inspecteur de police chargé d’enquêter sur l’assassinat d’une jeune chanteuse, dont le principal suspect s’avérera un ami proche du fils du président… Hautement politique, son cinéma est une machine de guerre qui tire toujours dans le mille…  Les Aigles de la République nous transporte au-delà du coup d’Etat militaire perpétré en 2013 contre le président islamiste Mohamed Morsi par le maréchal Abdel Fattah al-Sissi, l’actuel dictateur en poste ad vitam aeternam. Etant parvenu à réprimer l’engeance sinistre des Frères musulmans, il tient depuis lors le pays sous une férule pour le moins controversée.

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Le cinéaste arabo-suédois Tarik Saleh. Photo: Duchili / Memento

Dans Les Aigles de la République, Fares Fares tient, cette fois, le rôle de composition d’une star de cinéma fictive, du nom de George Fahmy, et que le peuple égyptien surnomme le « pharaon de l’écran »:  richissime, adulé. Sous la contrainte, en dépit d’une absence totale de ressemblance physique avec son modèle, l’acteur vedette se résout à accepter de camper la figure idéalisée du président Sissi, dans un biopic à la gloire du satrape: collabo malgré lui, le voilà forcé de frayer avec les hautes sphères du régime. De compromission en compromission, de lâcheté en lâcheté, le comédien manipulé, par ailleurs père négligent, fieffé menteur, pétri de vanité et séducteur invétéré – trompant sa jeune épouse (dans le rôle, Donia Massoud, comédienne et chanteuse dissidente, désormais installée en France) avec la femme du ministre de la Défense, lequel supervise la production le copte (mais irréligieux) George Fahmy – se voit ainsi pris à son propre piège, et à celui que lui a tendu le pouvoir. Mais l’intrigue labyrinthique révélera que, éminence grise supposément chargée de veiller à ce que le script respecte scrupuleusement la ligne idéologique, le Dr Mansour (génialement interprété par le glacial et mutique Amr Waked) est, au rebours des apparences, un maître du double jeu, et le visage même de l’intégrité.

Puissante évocation

Outre que le film reconstitue de façon fascinante, par exemple, la présentation, devant un cénacle de courtisans, de la maquette géante dévoilant la future métropole mégalomane projetée (bien réellement) par Sissi au pied des Pyramides, ou bien encore, dans une mise en scène digne de Hollywood, ce défilé militaire grandiose, ou même, au dénouement, ce complot ourdi par les prétendants galonnés mais maté par les forces du régime, la stupéfiante puissance d’évocation des Aigles de la République se redouble du fait qu’on y voit, à l’image, l’authentique président Sissi, et ce pas seulement sur les affiches de propagande qui, de fait, inondent les artères du Caire tout comme son effigie envahit les écrans de télévision, mais également lui-même, Sissi, en chair en os, comme s’il était, dans Les Aigles de la République, le protagoniste bien vivant de certaines séquences plus vraies que nature. Avec l’efficacité d’un blockbuster américain, la fiction parcourt l’avenue spectaculaire d’un documentaire tourné in situ, doté de moyens illimités.  


Si, captivant de bout en bout, le long métrage emprunte aux codes du film noir, c’est aussi un chef-d’œuvre d’humour… noir ! Parmi les scènes les plus désopilantes, ce dîner mondain où l’épouse du ministre de la Défense (Zineb Triki dans le rôle) raconte comment, dans son enfance, elle croyait dur comme fer que Shakespeare était arabe et musulman. Ou encore celle où, dissimulé sous des lunettes noires et croyant ainsi préserver candidement son incognito, Fahmy est illico reconnu par le pharmacien, ce crétin de mahométan grassouillet, « barbu » comme il se doit, qui tient la discrète officine : le comédien-star, affecté d’inavouables pannes érectiles, venait en toute discrétion y commander clandestinement ses doses de viagra, prétendument « pour un ami »… Le dialogue entre eux est un ravissement comique.  

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La sobre partition d’Alexandre Desplat (génial compositeur, entre parenthèses également requis par Guillermo del Toro en ce moment même pour son Frankenstein diffusé sur Netflix depuis vendredi dernier, autre film inoubliable, à ne rater sous aucun prétexte –  n’en déplaise au critique condescendant de Télérama) vient coiffer avec une discrète élégance cette satire au vitriol. Par son humour acide et son ironie corrosive, Les Aigles de la République résiste à l’écueil de la démonstration édifiante. Fares Fares s’y montre, tout simplement, prodigieux. C’est (encore) un chef-d’œuvre.


Les Aigles de la République. Film de Tarik Saleh. Avec Fares Fares, Lyna Khoudri, Zineb Triki, Amr Waked. Suède, France, Danemark, couleur, 2025.

Durée: 2h09

En salles le 12 novembre.

Disponible Netflix, à la demande : Le Caire confidentiel et La Conspiration du Caire, de Tarik Saleh. Avec Fares Fares dans les deux films. Indispensable !

Face au wokisme, ils ne s’excusent plus d’être libres

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L'actrice américaine Sydney Sweeney. DR.

Sydney Sweeney, Javier Milei, Charlie Kirk, Cristiano Ronaldo… Ils sont tous coupables d’un même crime : ne pas s’excuser d’être libres. À l’heure où la soumission s’appelle “vertu” et la peur “prudence”, leur simple franchise tient lieu d’insurrection. Et si, à notre tour, nous cessions de nous excuser d’être libres ?


À première vue, tout semble les opposer: une actrice d’Hollywood, un économiste argentin excentrique, un commentateur américain conservateur et une légende du football mondial… Ils ont en commun de choisir la franchise plutôt que la soumission. Librement et simplement, ils choisissent de dire ce qu’ils pensent et d’en assumer le prix.

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Le courage tranquille

Prenez Sydney Sweeney, star montante d’Hollywood. On lui demande en plein podcast, de « condamner » une marque de jeans à laquelle elle a servi d’égérie et aujourd’hui accusée d’entretenir un supposé « suprémacisme blanc ». Au pays des Pilgrim Fathers et de la confession publique, elle répond d’un transparent « Non ». Pas un frisson de peur, pas un mot en trop. Ni explain, ni complain. Voilà la force tranquille du courage dans un monde où tout est millimétré et où la prudence est devenue une vertu obligatoire. La starlette refuse d’immoler son bon sens sur l’autel du jugement collectif. Cristiano Ronaldo, passé à la question, a répondu d’un rire franc. The woke is dead. Voilà une idole qui, pour une fois, ne s’excuse pas avant de parler. Réussite, discipline personnelle et mérite ne sont pas des crimes. Assez logiquement, il a salué publiquement Donald Trump qui, lui, obtient des résultats.

Il faut comprendre que la société américaine, née entre Réforme et capitalisme, n’a pas tant cultivé des saints que des idoles. Ces exemples ne sont pas les figures exemplaires, élevées pour édifier les âmes mais des visages pour peupler les écrans. Ces idoles, façonnées par le grand marché, lui obéissent d’ordinaire. L’opinion publique veille, traque le moindre écart. Le tribunal des fans ne pardonne guère à ceux qu’il a lui-même couronnés — surtout lorsqu’il leur attribue toutes ses victoires. Les célébrités adoptent souvent des postures standardisées et des opinions de marché. Elles aspergent d’eau tiède l’assistance à chaque Oscar ou César : contre la guerre, contre la pauvreté, pour l’humanité entière… Le showbiz est moins un divertissement qu’une pastorale. Alors, voir les idoles se rebeller contre le conformisme de la multitude, cela a tout de l’évènement !

L’insoumission érigée en principe

Les vedettes ont compris que le non-conformisme paie. N’est-ce pas aussi la leçon politique de Milei qui a fait de l’insoumission un style et un programme politique, coupant sans précaution oratoire – et à la tronçonneuse – la dépense publique et le discours diversitaire ? Depuis sa victoire aux élections parlementaires de mi-mandat, il est devenu difficile de ne voir en lui qu’un fou ou qu’un trublion. La liberté, même au prix du scandale, fait vendre, ne ternit plus l’image des stars, et peut même faire gagner les élections, carajo!

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L’esprit Charlie ? La liberté jusqu’au bout. La voix du fondateur de Turning Point USA, Charlie Kirk, résonne encore. Pour lui « une démocratie sans liberté de parole est une dictature en sursis ». Lors des Patriot Awards organisés par la chaîne Fox News, un trophée a été remis à son épouse, Erika Kirk, pour saluer son courage et la force de sa foi. Face caméra, la voix tremblante mais ferme, elle a déclaré : « Pour le reste de ma vie, je m’assurerai de ne pas rester silencieuse. Je continuerai à dire la vérité, quel qu’en soit le prix. » “La vérité” : un mot tabou dans une Amérique relativiste mais que certains ont choisi de dire, simplement et librement. Ce soir-là, sur scène, des athlètes féminines, écartées du podium par des concurrents trans nés hommes, refusaient aussi de se taire. La veuve d’un pompier tombé au champ d’honneur y recevait, la voix brisée mais fière, le prix du courage. Des vétérans, des professeurs, des parents d’élèves — tous ces héros du quotidien rappelaient que la dignité n’a pas besoin de hashtags. Une autre Amérique arrivait enfin à se célébrer.

Le retour du bon sens

Et si la France faisait de même ? Nous manquons cruellement d’une cérémonie qui honorerait nos propres héros, ceux qui refusent de se taire et de s’excuser d’être libres. Une version française des Patriot Awards pourrait voir le jour — portée par ces médias qui écoutent encore le pays réel, loin des cénacles parisiens. Célébrer la veuve de Philippe Monguillot, un professeur Balanche, intimidé en plein cours et désormais sous protection fonctionnelle, ou encore l’avocat Pierre Gentillet, pris pour cible par des nervis d’extrême gauche. Sans oublier les lanceurs d’alerte, les parents, les anonymes, qui tiennent bon dans leur coin de France. Eux aussi méritent qu’on leur dise merci, car leur courage quotidien vaut bien toutes les grandes messes télévisuelles. Dans nos entreprises où les formations “Diversité, Équité, Inclusion” tiennent lieu de confession, dans nos écoles où la propagande LGBT remplace le savoir, dans nos médias où l’objectivité se résume à réciter le catéchisme progressiste. Le courage n’est pas réservé aux présidents ni aux stars : il se mesure à la capacité de dire “non” quand tout le monde dit Amen en langage inclusif ! Le monde d’aujourd’hui récompense l’émotion, pas la conviction. Il admire ceux qui cèdent, pas ceux qui tiennent. Comme le disait Chesterton : « Seules les choses vivantes vont contre le courant. Le reste se laisse emporter par la peur, la mode ou la lâcheté. » Il ne faut donc rien céder. Car la guerre culturelle ne se gagne pas par la colère silencieuse, mais par la capacité à tenir la ligne.

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Dans un pays où repentance rime avec vertu, ces voix qui disent “non” rappellent une vérité essentielle : la liberté ne s’hérite pas, elle se défend. Elle ne se délègue pas, elle se vit au quotidien. Le courage n’est plus l’héroïsme, c’est le retour du bon sens. Alors oui, Sydney Sweeney, Milei, Kirk, Ronaldo, et ces Américains célébrés aux Patriot Awards ne sauveront peut-être pas le monde. Mais ils rappellent au moins ceci : dans un temps d’uniformité morale, refuser de s’excuser d’être libre est déjà une révolution.

Vers un Trump français ?

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Patrice Jean: «Je ne défends jamais d’idées réactionnaires»

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L'écrivain français Patrice Jean © François Grivelet

La France de Bernard, Les structures du mal et Revenir à Lisbonne, les trois premiers romans de Patrice Jean, publiés à l’origine aux éditions Rue Fromentin, sont désormais réédités en un seul volume, accompagnés de textes courts, d’aphorismes et d’articles inédits sous le titre La fin du monde avait pourtant bien commencé (Cherche-Midi 2025). Une occasion pour Causeur d’opérer avec Patrice Jean une petite mise au point sur sa vision du roman ainsi qu’un premier bilan de son œuvre littéraire…


Causeur. Avec le recul, quel regard portez-vous sur vos trois premiers romans ?

Patrice Jean. Ils ont paru entre 2013 et 2016, mais ils furent écrits avant, notamment La France de Bernard, commencé en 2007. De les relire suscite la même impression que de regarder des photos prises il y a quinze ou vingt ans. Je songe à l’époque où je les écrivais, où j’étais plus jeune, et où j’ignorais ce que seraient les années qui allaient suivre. Je connais la suite maintenant. Mais je n’arrive pas à les lire comme s’ils étaient ceux d’un autre que moi (c’est la même chose avec les photos : nous avons changé, et nous sommes les mêmes).

On vous renvoie souvent, avec votre roman L’homme surnuméraire, au rôle de pourfendeur des ridicules du progressisme contemporain. Même si cette veine est indéniablement présente dans votre œuvre, on voit avec ces trois livres que votre travail romanesque est varié. Pensez-vous être le romancier d’un seul livre, dont vous poursuivriez l’idéal à travers différents ouvrages, ou au contraire un écrivain qui s’essaie à des formes variées, avec des tentatives nouvelles à chaque ouvrage ? 

Tout écrivain écrit un seul livre, il ne peut pas faire autrement, ou alors il est un faiseur, un escroc. Un écrivain a des obsessions en nombre limité qu’il décline dans des romans, dans des aphorismes, des poèmes, etc. On ne peut pas reprocher à un romancier de creuser son sillon. Dostoïevski écrit toujours sur le Mal, le crime, le Christ, etc. Stendhal écrit toujours le même roman d’apprentissage (avec variations) ; Proust n’écrit que la Recherche.

Dans un de vos aphorismes, vous affirmez : « On reconnaît un vrai lecteur à ce qu’il n’affectionne pas que les romans. Lui plaisent aussi les pensées éparses, les journaux intimes et les autobiographies, les maximes, la poésie. » Est-ce aussi par la diversité des genres que l’on reconnaît les vrais écrivains et qu’apportent les aphorismes par rapport au genre romanesque ?  

Les « vrais écrivains » ne sont pas obligés de pratiquer différents genres littéraires. Dans cet aphorisme, je vise les lecteurs : un lecteur qui ne lit que des romans n’est pas, selon moi, un amoureux de la littérature. Quel manque de curiosité, quand même ! Quant aux aphorismes, ils sont plus faciles à écrire qu’un roman. Tout le monde peut en écrire. Ils sont le fruit d’un moment, ou bien la conclusion d’une réflexion, voire la réflexion elle-même. J’aime beaucoup ce genre littéraire, il est d’une lecture très facile, il n’oblige pas à se plonger des heures durant dans un roman, il ne se monte pas du col comme la poésie, il n’est pas aussi narcissique que l’autofiction et l’autobiographie. De Lichtenberg à Gomez Dàvila, en passant par Cioran, le fragment a acquis, je crois, ses lettres de noblesse. Au fond, les Pensées de Pascal en sont la réussite la plus éclatante.

Pierre Cormary me citait dernièrement Philippe Muray, lequel affirmait dans Exorcismes spirituels IV : « Tous les grands romans, d’une manière ou d’une autre, ont toujours été des infidélités par rapport au contrat social d’une époque donnée ». Ou encore : « Trahir le contrat social qui nous est imposé par les charlatans de l’heure est l’essence même de l’expérience romanesque actuelle ». Êtes-vous d’accord avec ces propos ?

Oui, je suis d’accord. À quoi bon écrire si c’est pour flatter le gros animal ? Si c’est pour illustrer les idées politiques et sociales qu’on entend partout, qu’elles soient de droite ou de gauche ? Comme le répétait Flaubert, la littérature est l’objet d’une haine universelle. Et à l’intérieur du monde littéraire, les haines prolifèrent : des écrivains en détestent d’autres (qu’ils accusent d’un succès immérité), des lecteurs haïssent des romanciers (qu’ils prétendent être des minables, indignes de leurs prédécesseurs illustres), tout le monde jalouse tout le monde. Comme me l’a dit un jour Alice Ferney : « la littérature rend fou. » Rien n’est plus vrai. Dès que j’ai publié mon premier roman, les ennuis ont commencé: des gens que je ne connaissais pas, des amis d’amis, des lecteurs lointains, ont trouvé qu’il était insupportable que j’existe et que je publie des romans. Et ils me l’ont fait savoir. Je me souviens d’un lecteur qui m’avait téléphoné, à mon numéro personnel, pour me dire de quel bois il se chauffait. Bref, le ressentiment à tous les étages. C’est l’un des points communs entre la politique et la littérature : l’enthousiasme et la haine en sont les deux sentiments dominants.

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Dans un article intitulé D’une épithète infamante : réactionnaire, vous expliquez qu’employer « un vocable politique pour critiquer une œuvre littéraire n’a pas plus de sens que d’user d’un terme esthétique pour parler de politique », avant de conclure que « Réactionnaire n’est pas un mot, c’est un sens interdit, une impasse, un crachat, la fleur de lys marquée au fer rouge sur l’épaule de Milady ». Mais en même temps, vous écrivez dans le présent volume, « Le roman, à mon sens, est consubstantiellement lié à l’idée et au social : l’individu face à l’idée-société, l’individu face à l’absurde (…)  Un roman qui n’a pas en vue plus qu’une histoire n’a pas d’intérêt ». Même si l’emploi du terme de réactionnaire est l’expression d’une paresse intellectuelle, la critique littéraire peut-elle faire pour autant l’impasse sur la dimension politique, au sens large, de vos livres?

Mes livres ont une dimension politique, mais ils ne se réduisent pas à des prises de position politique. Mes thèmes sont plus larges : le sens de l’existence, la passion, le désir, les faux-semblants, et, plus généralement, la vie intérieure, cette vie invisible qui est la nôtre et que la littérature et l’art ont pour mission d’exprimer. Si je me moque du progressisme, c’est qu’il y a là de la matière. Réduit-on Molière à la satire des progressistes de son époque : les Monsieur Jourdain, les femmes savantes, les Tartuffe ? Et puis, si un critique prétend qu’un romancier est réactionnaire, il doit faire son travail, autrement dit relever les idées réactionnaires qu’il regrette de trouver dans mes romans. Je ne défends jamais d’idées réactionnaires, c’est pourquoi cette épithète, adressée à mes livres, ne repose sur rien, ou plutôt seulement sur un point: l’ironie envers les progressistes. Je ne crois pas que ce soit suffisant. Je suis pour la liberté, l’humanisme, la tolérance, le féminisme, la justice. Comme tout le monde. Ou presque. Pas de quoi en faire un fromage.

Au sujet d’un livre d’Édouard Louis, vous expliquez, dans un de vos aphorismes « Voici donc un roman “à la manière de”, platement sociologique (au lieu de lutter contre elle !), répétitif, sans aucun humour, sans imagination, purement idéologique ». Est-ce qu’un roman idéologique peut être réussi et pourquoi, selon vous, la littérature doit lutter contre la sociologie ?

Edouard Louis © Hannah Assouline

Un roman idéologique peut être réussi, il doit y en avoir : 1984 ? Le Meilleur des mondes ? Fharenheit 451 ? Ce sont des livres contre l’idéologie totalitaire, contre l’écrasement de la personne ; en ce sens, ils sont réussis, bien qu’ils aient un aspect idéologique. Quant à la sociologie, je ne veux pas dire qu’il faut en soi lutter contre elle, mais qu’un romancier doit résister à la tentation de n’être qu’un illustrateur des thèses de Bourdieu ou de Durkheim, pour la raison que la sociologie vise le collectif et la répétition alors que la littérature, au-delà de l’insertion des personnages dans la société, exprime la sensibilité et le prisme partiels d’une personne. Le sociologue cherche le vrai interhumain, le romancier le vrai, l’émotion, le rire, les pleurs, le doute.

Comment qualifieriez-vous la vision du monde qui se dégage de vos livres, ainsi que le style qui est le vôtre ? 

Je ne peux pas vraiment qualifier la vision du monde qui se dégage de mes livres, sinon je ne les aurais pas écrits. J’ai ressenti, à un moment de ma vie, que seul le roman (pas la philosophie, pas la poésie, pas le fragment) pourrait rendre compte de ma perception du monde, et la faire comprendre aux quelques lecteurs qui auraient envie de me lire. Pour ce qui est de mon style, je n’ai qu’une exigence : la clarté. Nous vivons dans la nuit, et j’ai lu, très jeune, pour y voir plus clair. Je n’aime pas les écrivains incompréhensibles : s’ils avaient quelque chose d’important à transmettre, que n’ont-ils essayé d’être le plus clair possible ? Quand je corrige un manuscrit, et que je tombe sur une phrase dont la signification est obscure, je me préoccupe, d’abord, d’en clarifier le sens. Bien sûr, la littérature rôde près de zones ténébreuses qui obscurcissent son propos, et un grand livre échappe à la clarté absolue. Néanmoins, la défaite intervient après un rude et loyal combat contre l’obscurité.

784 pages

La fin du monde avait pourtant bien commencé...

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