Les Frères musulmans ne sont pas un mouvement religieux, mais une organisation politique qui devrait rapidement être classée terroriste.
En décembre dernier, j’ai eu l’honneur de recevoir le Prix autrichien de la réussite multiculturelle 2024, décerné par le ministère fédéral autrichien des Affaires européennes et internationales. Cette distinction saluait mes efforts pour promouvoir le dialogue entre croyants, encourager le pluralisme et renforcer la coexistence entre les cultures et les religions.
Quelques heures à peine après l’annonce, une campagne d’une violence inouïe s’est déclenchée contre moi. Elle a été menée par des figures islamistes radicales liées aux Frères musulmans, notamment les fondateurs de la branche yéménite du mouvement, dont l’un est député, bénéficiant d’un soutien financier venu de Turquie. Leurs accusations étaient révélatrices – comme des empreintes digitales idéologiques : « [je travaillerais] à saper la sacralité des textes religieux islamiques et manifester de l’hostilité envers l’islam. » et à « promouvoir la coexistence avec toutes les croyances et toutes les idées. » Ces attaques, relayées sur leurs plateformes extrémistes et leurs comptes personnels, montrent toute la contradiction du discours des Frères musulmans. Dans leur idéologie, œuvrer pour la paix entre les religions revient à menacer la foi, et prôner la coexistence constitue une faute morale. Ce qu’ils m’ont reproché, c’est précisément ce qu’ils redoutent le plus : la pensée libre, le dialogue et la paix. Ce qu’ils pratiquent n’est pas la défense d’une religion, mais une guerre contre la pensée modérée.
Cette campagne m’a brutalement ramené quinze ans en arrière. Pendant le Printemps arabe au Yémen, j’étais étudiant en journalisme à l’université de Sanaa. J’y publiais un journal étudiant non officiel, d’inspiration libérale, qui critiquait ouvertement les tabous sociaux et politiques. Rapidement, j’ai été la cible de l’aile étudiante du Rassemblement yéménite pour la réforme, la branche locale des Frères musulmans.
En 2010, pour mon projet de fin d’études, j’ai publié un numéro spécial contenant un article intitulé « Le sexe au Yémen ». Ce texte, qui voulait simplement aborder sans hypocrisie une réalité sociale, a déclenché une véritable tempête : passage à tabac, menaces de mort, accusations de prosélytisme chrétien et de diffusion de la débauche. L’université a finalement cédé à la pression islamiste et m’a suspendu pour un an.
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Ma suspension a été dénoncée par des organisations de défense des droits de l’homme et des mouvements étudiants de gauche. De cette crise est née une mobilisation plus large : nous avons organisé des marches et des sit-in qui ont rapidement rejoint le mouvement du Printemps arabe. J’ai moi-même rédigé le premier communiqué annonçant la création de la Place du Changement à Sanaa, le 20 février 2011.
Mais lorsque les Frères musulmans ont pris le contrôle du mouvement, la révolution a changé de nature. Ceux qui, comme moi, défendaient une vision civile, démocratique et non partisane ont été marginalisés, parfois agressés. Parce que je documentais les violences commises par leurs comités de sécurité, on m’a accusé d’être un agent du régime.
Après mon exil forcé en 2015, je me suis installé au Soudan, pays refuge pour de nombreux dirigeants des Frères musulmans. J’y ai fondé une initiative intitulée « Nous voulons vivre », appelant à la paix et à la fin de la guerre. Ce projet a reçu le Prix des bâtisseurs de paix de la plateforme 30-Yemen, en partenariat avec l’UNESCO et les Nations unies.
Notre initiative devait culminer par un événement international, le Rassemblement yéménite pour la paix. Mais au lieu de susciter un débat, elle a déclenché une nouvelle campagne de haine. L’ambassade du Yémen l’a alimentée, et les Frères musulmans s’en sont servis pour me dénigrer, m’accusant d’être un « Houthi ». Ironie du sort, cette conférence devait se tenir le 21 septembre 2015, Journée internationale de la paix, jour où Sanaa tombait aux mains des Houthis.
Neuf ans plus tard, à Vienne, les visages de mes nouveaux détracteurs m’étaient familiers. La campagne contre moi a été menée par la plateforme Qiyam, une organisation extrémiste prétendant défendre les « valeurs familiales et sociales », dirigée par le cheikh Ibrahim Ahmed Ali Al-Ebi, frère du prédicateur et député Abdullah Ahmed Ali Al-Adaini, l’un des fondateurs du parti islamiste yéménite. Ensemble, ils ont orchestré une campagne de diffamation, relayant sur leurs réseaux des accusations fallacieuses. Une fois encore, la meute idéologique s’est mise en mouvement.
Les Frères musulmans démontrent ainsi, une fois de plus, qu’ils sont le vecteur idéologique du fondamentalisme violent qui a engendré Al-Qaïda et l’État islamique. En tant que journaliste spécialisé dans le fait religieux, je pose une question simple : avez-vous jamais entendu un dirigeant des Frères musulmans condamner l’idéologie d’Al-Qaïda ou de Daech ? Se désolidariser de la pensée qui a justifié leurs crimes ? La réponse est non. Leur lien est organique. Les Frères musulmans sont la matrice intellectuelle du terrorisme islamiste contemporain, même s’ils le dissimulent pour des raisons tactiques.
Aujourd’hui, en Europe, les sociétés civiles commencent à comprendre. Des mouvements citoyens réclament la désignation des Frères musulmans comme organisation terroriste. Cette prise de conscience est salutaire. L’Europe découvre qu’un réseau né de la manipulation du Printemps arabe s’est installé dans ses villes, qu’il infiltre ses mosquées, ses associations, ses médias et même certaines institutions.
Des lieux de culte et des associations caritatives servent désormais de relais à des discours de haine. Des manifestations publiques soutiennent des groupes terroristes. Des provocations religieuses dans les rues cherchent moins à exprimer la foi qu’à tester la tolérance des sociétés européennes et à intimider leurs opposants.
Je crois profondément que la campagne internationale #ClassifyMBNow, visant à classer les Frères musulmans comme organisation terroriste, ne sera pas un simple slogan. Ce sera un mouvement d’assainissement moral et politique. Car sous les eaux stagnantes de l’indulgence et du relativisme prospèrent les germes du fanatisme.
L’Europe doit s’y préparer. Le prix minimum à payer pour protéger ses citoyens et ses valeurs civiles est d’affronter cette réalité : les Frères musulmans ne sont pas un mouvement religieux, mais une organisation politique totalitaire.
Il est temps de couper leurs financements et de lever le voile du déni.
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