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Hamas, la bande à Gaza

Israël a obtenu le retour des otages vivants et une partie des corps des otages morts. Cependant, les espoirs suscités par le plan de paix de Trump de voir le Hamas rendre les armes et se retirer de la scène politique sont déjà déçus. On peut même redouter une libanisation de Gaza, avec un Hamas jouant le rôle du Hezbollah.


C’était trop beau pour être vrai. Libération immédiate de tous les otages, morts et vivants, désarmement du Hamas et exclusion du mouvement terroriste de toute gouvernance à Gaza ou ailleurs, tout cela pour le modique prix d’un cessez-le-feu sans engagement israélien ni assurance américaine de mettre fin à la guerre. Pour Israël, les 20 points devenus le « plan Trump pour Gaza » semblaient parfaits. Un mois plus tard, on constate que la perfection n’est pas de ce monde.

Certes, le Hamas a libéré rapidement et en une seule fois tous les otages encore vivants, perdant ainsi sa carte maîtresse, et ce n’est pas rien, loin de là. Sauf que, la proposition de rendre tous les otages morts et vivants en échange de la fin définitive de la guerre était déjà sur la table depuis au moins février. Ce que Trump propose avec ses 20 points était bien plus favorable pour Israël : un processus menant automatiquement et sans heurts d’une phase 1 – cessez-le-feu, fin des hostilités et libération des otages – à la phase 2 – désarmement du Hamas et son éloignement de la gouvernance de la bande de Gaza –, puis au déploiement des forces de maintien de la paix, et au bout du chemin à la fin définitive de la guerre.

En Israël, si le gouvernement était passablement circonspect, une grande partie de la population a célébré le plan Trump comme un nouveau 8 mai 1945 et pavoisé ses rues à l’effigie du nouveau Roosevelt. Si le Nobel était décerné à Tel-Aviv, Trump l’aurait eu le jour même. C’est évidemment prématuré. Les chefs du Hamas ne se sont pas suicidés dans les tunnels qu’ils avaient construits pour se protéger. Le mouvement terroriste est beaucoup moins affaibli que la Wehrmacht en 1945 et bien mieux conseillé. Pris de court par Trump, il a réussi à desserrer l’étau au moyen de manigances, coups de force et revirements, gagnant du temps et du champ politique.

Manigances

Le Hamas a d’abord feint de se plier aux pressions américaines, qatariennes, turques et égyptiennes. Finalement ses dirigeants ont accepté la proposition de Donald Trump, parce qu’ils ont compris que, s’ils devaient libérer les otages vivants, ils pourraient faire traîner en longueur la restitution des dépouilles des otages morts et avec elle la première phase du plan Trump. Ce qui n’empêche pas les médias et les chancelleries de proclamer que le Hamas respecte le deal.

Il rend donc les corps au compte-gouttes et profite de la prolongation de cette phase de libération des otages pour se renforcer et tenter de rendre le désarmement prévu par la deuxième phase impossible. Sur le terrain, ses militants n’ont pas perdu une seconde pour reconstruire les bases de leur domination militaire, politique et économique. Avant même la grande messe de Charm el-Cheikh, le 13 octobre, le mouvement islamiste a engagé une violente reprise en main de Gaza, en lançant une guerre civile miniature contre des clans et des familles jugés dissidents ou accusés de collaboration avec Israël.

Le premier épisode de cette vendetta a lieu le 12 octobre. Il se déroule au sud de Gaza-ville, lorsque le Hamas tente de désarmer et d’arrêter des membres du puissant clan Doghmush. Lors des combats, au moins 27 personnes auraient été tuées, dont huit du Hamas. Certaines sources évoquent un bilan bien plus lourd, qui atteindrait jusqu’à 64 morts. Ce conflit rappelle les affrontements sanglants de 2007, lorsque le Hamas avait renversé le Fatah à Gaza. Le fait que le mouvement ait lancé cette opération si rapidement montre qu’il entend reprendre son monopole des armes et ne tolérera pas les autonomies tribales qui s’étaient développées pendant son affaiblissement temporaire durant la guerre.

Le 13 octobre, au moment où on sable le jus d’orange à Charm el-Cheikh, la répression se mue en une véritable campagne de terreur, qualifiée par la milice de « stabilisation ». Derrière ce vocabulaire se cache une journée d’arrestations arbitraires, de perquisitions brutales et de violences contre des groupes et des individus perçus comme des menaces.

Le 14 octobre, le Hamas passe de la reconquête à la terreur de masse. Il diffuse une vidéo, authentifiée par plusieurs médias, montrant l’exécution par balle dans la nuque de huit hommes ligotés, agenouillés et les yeux bandés. Les victimes, désignées comme des « collabos » ou des « hors-la-loi », sont abattues sous les yeux de civils contraints d’assister à la scène.

Le 15 octobre, de nouveaux rapports font état d’exécutions publiques et de raids armés menés par le Hamas contre des familles considérées comme dissidentes ou soupçonnées d’avoir soutenu des factions rivales. En moins d’une semaine, Gaza a ainsi connu une série de violences internes destinées à réprimer systématiquement toute structure non alignée sur le Hamas, avec un bilan de plus d’une centaine de morts. Sûr de lui et en passe de redevenir dominateur, le mouvement islamiste peut dès lors se tourner vers son grand rival dans la bande de Gaza : l’État juif.

19 octobre, le jour où l’édifice diplomatique a failli s’effondrer

Le 19 octobre, dix jours après l’entrée en vigueur du cessez-le-feu, deux soldats israéliens sont tués près de Rafah, lors d’une attaque menée par des cellules encore actives du Hamas dans les ruines de cette zone frontalière avec l’Égypte. La gravité de l’incident provoque immédiatement une réaction de Tsahal. Israël suspend, puis rétablit partiellement l’acheminement de l’aide humanitaire. Certains de ses ministres appellent à considérer le plan Trump comme caduc et à reprendre la guerre. Le Hamas nie aussitôt toute responsabilité, mais il est tout simplement inimaginable que le mouvement islamiste, qui a repris avec une telle brutalité le contrôle de Gaza, ait laissé un groupe armé prendre de sa propre initiative le risque de torpiller le cessez-le-feu.

Cet incident, et la perspective de voir l’édifice diplomatique s’effondrer, ont poussé Washington à dépêcher en Israël en mission qualifiée par la presse israélienne de « Bibi Sitter » le vice-président J. D. Vance, accompagné des deux négociateurs en chef, Steven Witkoffet Jared Kushner. Le trio a contraint Netanyahou au cessez-le-feu, mais les Américains savent que le plan Trump, très avantageux pour Israël, déplaît souverainement au Hamas. Ils savent aussi que, pour Erdogan par exemple, le fait que le Hamas grignote sa voie vers le statu quo ante 7-Octobre n’est qu’une adaptation naturelle du plan Trump à la réalité du terrain. Israël se trouve donc acculé par ces grignotages à des choix binaires : rompre ou avaler la potion amère. Ainsi, même si pour le moment, la coordination entre les États-Unis et Israël se déroule comme prévu (avec la participation active des Britanniques présents en Israël, dévoile The Times), le grignotage constant du Hamas met ces mécanismes à l’épreuve.

En Israël, les principales craintes concernent un désaccord sur les lignes exactes où se déploiera Tsahal, les règles d’engagement ainsi que sur sa liberté d’imposer des sanctions au Hamas en contrôlant – et au besoin en réduisant – le flux de l’aide. Israël s’attend donc à des pressions constantes pour « laisser passer, laisser couler » face à « de petites violations » ou « des infractions mineures ». On l’a vu le 28 octobre, après un tir de roquette sur un engin de Tsahal qui a tué un soldat. Face à cette violation flagrante, les Américains ont certes soutenu une réplique israélienne conséquente, mais ils se sont hâtés de refermer la parenthèse et de proclamer que le cessez-le-feu était toujours en vigueur. À l’évidence, si les intérêts de Washington et Jérusalem convergent largement, surtout sur le long terme, ils ne sont pas toujours identiques. Notamment autour du rôle que pourrait tenir Ankara dans « le jour d’après » à Gaza.

Pour Israël, qui voit en Erdogan un adversaire stratégique en Syrie et dans le bassin oriental de la Méditerranée ainsi qu’un soutien du Hamas et des Frères musulmans, il n’est pas question que des militaires turcs stationnent sur sa frontière. Pour Trump en revanche, Erdogan est un garçon formidable avec lequel les États-Unis entendent faire des affaires. Certes, lors d’une conférence de presse sur la base américaine de Kiryat Gat (sud d’Israël), J. D. Vance a promis que l’administration n’imposerait pas à Israël la composition de la force qui sera déployée à Gaza pour superviser l’application du cessez-le-feu. Mais en réalité, il entend bien laisser la Turquie y jouer « un rôle constructif ».

Au moment où nous bouclons, le Hamas détient toujours les corps de 12 otages. En exerçant sa terreur sur la population, il espère devenir le partenaire incontournable de la reconstruction de Gaza. Seulement, cette ambition se heurte à un obstacle de taille. Les gigantesques et très coûteux projets de reconstruction (et donc sa future pompe à fric) ne débuteront que si les puissances sollicitées pour les financer (l’Arabie saoudite, les Émirats et le Qatar) sont assurées de l’autorisation d’Israël, dont l’armée est capable de tout anéantir en quelques heures.

Une évolution à la libanaise ?

C’est donc le début d’une partie qui promet d’être longue et très serrée. La supposée force de sécurité à Gaza sera-t-elle déployée ? Selon Donald Trump, tout est prêt et les participants trépignent d’impatience. Il a ainsi écrit sur son réseau Truth Social : « Nombre de nos désormais GRANDS ALLIÉS au Moyen-Orient [Qatar, Arabie saoudite, EAU et Turquie, NDLR], et dans les régions voisines [Azerbaïdjan et Pakistan, NDLR], m’ont […] fait savoir qu’ils accueilleraient favorablement l’opportunité, à ma demande, d’entrer à GAZA avec une force importante pour “remettre le Hamas dans le droit chemin”, si celui-ci continue à se comporter mal, en violation de son accord avec nous. […] Il reste encore l’espoir que le Hamas fasse ce qu’il faut. S’il ne le fait pas, la fin du Hamas sera RAPIDE, FURIEUSE et BRUTALE ! »

Pour le moment, cette déclaration n’a pas plus de poids que la promesse de transformer Gaza en Riviera. Car même si cette force voyait le jour et le terrain de Gaza, elle pourrait bien ressembler à la Finul, déployée au Liban en 1978 et devenue, après quelques attentats contre ses Casques bleus, la caution du Hezbollah au Sud-Liban.

Donald Trump et le président indonésien Prabowo Subianto au sommet international sur Gaza, Charm el-Cheikh, 13 octobre 2025. (C) Suzanne Plunkett/Pool Photo via AP/SIPA

Une évolution « à la libanaise » n’est donc pas du tout exclue. Dans le rôle du Hezbollah, le Hamas assurerait la « résistance » contre « l’ennemi sioniste ». Dans ce scénario, le mouvement palestinien contrôlerait le territoire sans participer directement à son gouvernement, tout en captant une part de la manne économique destinée à la reconstruction.

Face à ces manigances, Israël dispose de deux cartes maîtresses pour empêcher la libanisation de Gaza et sauver l’esprit des 20 points : son armée occupe plus de la moitié de la bande de Gaza, désormais divisée en deux par la « ligne jaune », et surtout, l’État juif pourrait à tout moment, face à un réarmement du Hamas (et non pas une simple violation du cesser-le-feu) jugé insoutenable, réagir par la force et, le cas échéant, détruire tout début de reconstruction émergeant du sol.

Et ce n’est nul autre que Jared Kushner qui a explicité cette menace. Le 23 octobre, en réponse à un journaliste d’Haaretz, le gendre de Donald Trump a annoncé que les États-Unis envisageaient de commencer la reconstruction des zones sous contrôle israélien, précisant qu’« aucune reconstruction n’aurait lieu dans les zones encore sous le contrôle du Hamas ». Si cette promesse est tenue, le Hamas, sans les armes stratégiques et les ressources nécessaires pour jouer au grand jeu, serait condamné à n’être plus que le premier gang de Gaza. Sans capacité de distribuer des logements et du travail, sans pouvoir reconstruire des infrastructures et avec des soldats israéliens sur le sol de Gaza, le mouvement islamiste perdra sa légitimité populaire. Surtout si, à quelques centaines de mètres, dans le périmètre occupé par Israël, les travaux avancent.

Autrement dit, sauf coup de théâtre, le Hamas conserve le pouvoir de nuire, pas celui de faire danser toute la région au rythme de ses lubies meurtrières. De ce point de vue, la situation stratégique d’Israël s’est nettement améliorée par rapport au 6 octobre 2023. L’affaiblissement réel et significatif du Hezbollah, du Hamas, de l’Iran et la Syrie, ouvre des perspectives prometteuses dans la région et au-delà. Et le plan Trump a au moins un mérite : Israël a pu prendre ses gains et quitter la table pour convertir les jetons gagnés par la force en monnaie diplomatique. Cependant, la fenêtre d’opportunité ne restera pas ouverte indéfiniment. Et pendant ce temps, la crise politique déclenchée par la réforme judiciaire continue de diviser le pays et de fragiliser ses institutions. Alors que les élections n’auront probablement lieu que dans un an, on peut aussi compter sur les Palestiniens de Cisjordanie et sur les colons pour jeter de l’huile sur les braises.

Reste à espérer que l’Etat hébreu jouera finement de cette position de force et saura tirer parti des tensions, bien réelles et promises à s’intensifier, au sein de la société gazaouie, qui commence seulement à réaliser la catastrophe qu’elle vient de vivre. À Gaza, le « jour d’après » risque fort d’être un jour sans fin.

Chili: le retour par procuration de Pinochet

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Le conservateur José Antonio Kast affrontera Jeannette Jara au deuxième tour. Il est favori.


Les élections générales (présidentielle, législatives et sénatoriales) qui se sont tenues dimanche 16 novembre au Chili ont confirmé un net basculement à droite, voire à l’extrême droite, de l’Amérique du Sud. Sauf très improbable revirement de l’électorat, le candidat de celle-ci, José Antonio Kast, avocat de 59 ans, est en « pole position » pour l’emporter au second tour de la présidentielle prévu le 14 décembre, auquel seront à nouveau appelés les 15 millions d’électeurs. Le vote est obligatoire.

Une gauche unie au premier tour

Certes, sa rivale Jeannette Jara, 51 ans, également avocate, communiste, désignée candidate de toute la gauche à l’issue d’une primaire allant des démocrates-chrétiens au PC — à l’exception des écologistes et des régionalistes — et ex-ministre du Travail du gouvernement actuel (elle a démissionné pour pouvoir se présenter), est arrivée en tête du premier tour avec 26,85 %. Un résultat en réalité décevant : les sondages lui donnaient jusqu’à 33 %. Elle a fait le plein des voix de gauche et ne dispose dès lors pratiquement pas de réserves de voix pour espérer être élue. Avec ses 23,92 %, M. Kast arrive second et la talonne. En outre, il a fait quatre points de mieux que ce que lui attribuaient les mêmes prédictions.

Pour que la candidate de gauche gagne, il faudrait qu’elle capte la totalité des 19,7 % recueillis par le candidat populiste plutôt classé à droite, Franco Parisi, dit « l’économiste du peuple », un ingénieur commercial de 51 ans, ainsi que les suffrages de trois autres candidats qui totalisent moins de 4 %.

Arrivé troisième, M. Parisi est la petite surprise de ce scrutin. Les prévisions lui attribuaient cinq points de moins que le score obtenu, mais surtout le classaient en quatrième position derrière un postulant libertarien, Johannes Kaiser, 49 ans, personnage fantasque aux multiples professions successives, se voulant la réplique du président argentin Javier Milei de ce côté-ci des Andes.

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À la différence de Kaiser, qui avait fait savoir d’avance que s’il n’accédait pas au second tour il appellerait ses partisans à reporter leurs suffrages « sur tout autre candidat qui ne soit pas la communiste Jara », M. Parisi, lui, s’est borné à dire qu’il revenait aux deux rivaux en lice « de gagner les faveurs de ses électeurs ». Lors de la présidentielle de 2021, où il avait déjà terminé à la troisième place, il avait appelé à voter, au second tour opposant l’actuel président Gabriel Boric — d’une gauche radicale s’apparentant à une France insoumise plus policée — à ce même Kast, pour ce dernier. Dès lors, même s’il laisse cette fois la liberté de vote à ses électeurs, il est probable que la majorité d’entre eux ne se reporte pas sur la candidate de gauche…

La candidate de la droite traditionnelle, Evelyn Matthei, ancienne ministre du Travail, économiste de 72 ans, dont le père, général, fut membre de la junte militaire pendant la dictature d’Augusto Pinochet, est arrivée quatrième avec seulement 12,47 %. Autrement dit, M. Kast a siphonné un bon quota de voix de cette droite traditionnelle, laquelle avait pris ses distances avec la dictature de Pinochet sans toutefois rompre avec les fondements économiques et institutionnels de celle-ci — comme, par paradoxe chilien, une grande partie de la gauche.

Si, à la mi-décembre, les urnes n’infirment pas la logique du premier tour, l’élection de M. Kast sera plus qu’une victoire de l’extrême droite : elle constituera en quelque sorte le retour par procuration du général Pinochet.

Un héritier

Lorsqu’il avait postulé pour la première fois à la magistrature suprême, en 2017, en indépendant, il n’avait obtenu que 7,9 %. M. Kast se réclamait alors ouvertement de ce dernier. À sa seconde tentative, en 2021, après avoir créé deux ans auparavant le Parti républicain, inspiré du modèle américain, et obtenu 44 % au second tour, il revendiquait toujours cette filiation. Même s’il s’est montré plus discret à ce propos cette fois-ci, il n’en demeure pas moins que, pour l’opinion publique chilienne, il reste l’héritier putatif de Pinochet.

Son frère Miguel fut ministre sous la dictature puis directeur de la Banque centrale. Cadet d’une famille de neuf enfants, José Antonio Kast avait 7 ans lors du coup d’État militaire de 1973 qui porta Pinochet au pouvoir, et 20 ans quand celui-ci le céda à la suite d’un référendum perdu. Le fait que son père ait été soldat de la Wehrmacht durant la Seconde Guerre mondiale, membre du parti nazi (mais qui ne l’était pas à cette époque en Allemagne ?), exilé en 1950 comme beaucoup d’autres dans ce pays andin abritant depuis la fin du XIXᵉ siècle une forte communauté germanique et serbo-croate, n’a pas interféré dans la campagne1.

C’est au contraire M. Kast qui a donné le tempo de la campagne électorale en promettant une main dure contre l’insécurité et l’immigration, à telle enseigne que la candidate de gauche a été contrainte de s’y rallier peu ou prou, ajoutant qu’elle était en revanche « pour la sécurité des fins de mois et de l’assiette pleine ».

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Kast s’est engagé à construire, à l’instar de Donald Trump, un mur le long des frontières bolivienne et péruvienne pour endiguer le flot migratoire, à expulser tout délinquant étranger, à assouplir les règles d’usage des armes à feu par la police, à libéraliser leur port pour les civils, et envisage la construction d’une méga-prison sur le modèle salvadorien du président Nayib Bukele, qui fait école en Amérique latine. Très catholique, il s’est prononcé contre l’avortement, y compris en cas de viol ou de danger pour la femme. Il veut réintroduire l’enseignement facultatif de la religion dans les écoles publiques.

Mais surtout, sur le plan économique, il entend renouer avec les préceptes de l’ultralibéralisme prôné par l’école de Chicago de Milton Friedman, que Pinochet appliqua scrupuleusement. En somme, son ambition est de mettre un terme au cycle de 35 ans d’hégémonie politique du centre-gauche qui a suivi la fin du régime militaire en 1990, à l’exception de deux intermèdes de droite traditionnelle (2010-2014 et 2018-2022) sous les présidences de Sebastián Piñera.

Faute de majorité parlementaire, ce dernier ne put rompre, comme il s’y était engagé, avec la politique d’un régime où alternaient à la tête d’un État très centralisé un démocrate-chrétien puis, la fois suivante, un socialiste, sans que rien ne bouge réellement… C’est cet immobilisme qui a suscité une forme de dégagisme lors du scrutin de dimanche : les trois partis de droite incarnés par Kast, Kaiser et Matthei forment déjà un bloc parlementaire disposant d’une majorité absolue. Il ne leur manque plus que la présidence, qui ne devrait pas leur échapper.

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  1. Point que Libération s’est empressé de mettre en exergue dans son titre lundi, dans l’intention bien entendue maligne de dire : « tel père, tel fils. » ↩︎

Patriarcat acoustique

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Le député ciottiste Gérault Verny regrettera longtemps d’avoir osé demander à Sandrine Rousseau de parler moins fort dans l’hémicycle. «Sexisme» caractérisé !


En 2025, au nom d’un féminisme de combat façon opéra-bouffe, un député n’a même plus le droit de demander poliment à une collègue de baisser un peu le volume. Résultat : un drame.

Acte I La tempête

Sandrine Rousseau, fidèle à son style habituel, se lance dans un discours dont l’intensité acoustique effarante ferait reculer une fanfare militaire prussienne composée au bas mot de dix trompettes, quatre cors et cinq trombones et couvrirait facilement le bruit au décollage d’une fusée Ariane 5.

Les députés encaissent stoïquement. Souffrance générale, y compris au-delà des bancs de la droite.

Acte II Le crime

Un député UDR, resté parfaitement calme, se risque au micro à un timide :

« Madame, pourriez-vous éviter de hurler ?… »

Il n’a même pas dit « gueuler »…

Mais c’est un sacrilège suprême. Violence sexiste ! Le malheureux n’a probablement jamais été initié aux arcanes subtils du féminisme contemporain. Tremblement de terre en vue.

Acte III La Prêtresse

La présidente de l’Assemblée Madame Braun-Pivet se redresse, se crispe, sa tête gonfle, se teinte d’un rouge solennel, et, tremblante de colère, elle lance aussitôt l’anathème suprême : « Sexisme ! … C’est insupportable ! … C’est une honte ! » Le tout avec la ferveur d’une gardienne du Temple surprise à l’heure de la sieste.

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Tout le monde sent que la Grande Prêtresse va sévir d’importance, d’autant que la brebis galeuse hérétique est estampillée UDR, c’est-à-dire crypto-RN. Autant dire qu’elle lui octroie le niveau de moralité d’un tueur en série de petites filles buveur de sang.

On peut tout faire dans son hémicycle, mais il y a des limites.

Acte IV — La sentence

Le député néophyte, blanc comme un enfant de chœur fraîchement peigné pour la messe, innocent et candide comme une mariée en porcelaine rose sortie de sa vitrine, reçoit un sévère rappel à l’ordre avec inscription au procès-verbal. Mme Braun-Pivet le foudroie du regard, le menton encore agité de trémulations.

Au moment où elle prononce « rappel à l’ordre, inscription ! », le député perd cinq centimètres de hauteur. Mais son regard de bébé phoque abandonné sur la banquise ne trompe personne à gauche… ce sale bonhomme a voulu rabaisser une pauvre femme, déjà objet d’une oppression patriarcale séculaire. Ordure ! Facho ! La sanction maximale pour cette faute impardonnable est justifiée.

Le député de droite a-t-il vraiment cru, dans un moment d’égarement, que l’Assemblée nationale était encore un lieu où l’on pouvait demander calmement à une femme de ne pas hurler dans l’oreille interne de ses camarades d’infortune ?

Épilogue

On peut tout faire dans l’hémicycle : crier, invectiver, s’enflammer, déployer un drapeau palestinien, injurier, être fiché S, faire le geste du sourire kabyle, pousser des cris d’animaux, rouler un joint, dormir avachi, se gratter les parties ostensiblement… Etc. Mais demander courtoisement à une femme de baisser d’un ton ? Ça, non. Agression caractérisée, coup d’État patriarcal, transgression ultime avant féminicide programmé.

Et Mme Braun-Pivet de se rengorger sous la salve d’applaudissements de toute cette gauche… dont l’amour lui manque parfois.


https://www.youtube.com/watch?v=ZxE2roVQe9U

13-Novembre / 7-Octobre: une cause, deux effets

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Dans la fascination de nombreux jeunes Occidentaux pour Gaza, il y a quelque chose qui dépasse la politique, et même la raison.

Une sorte de fièvre, le mirage d’une génération en quête de sens qui croit le trouver dans les ruines d’une ville détruite par l’attaque insensée du Hamas. Ils voient dans la souffrance palestinienne un miroir, celui de toutes les injustices qu’ils portent confusément en eux. Privés d’horizon, ils cherchent dans la douleur de l’Autre une transcendance instantanée. C’est l’explication romantique.

Ils ne connaissent pourtant presque rien du Proche-Orient, de ses guerres, des refus arabes, du fanatisme qui y progresse comme un incendie. Ils n’ont pas besoin de savoir, une image suffit. Un enfant couvert de cendres et de poussière, un immeuble effondré, et l’histoire entière semble tenir dans ces clichés. Nous vivons un temps où l’on a troqué la connaissance pour l’émotion. De nos jours, l’indignation se consomme comme un divertissement, portée par de faux chiffres, de fausses photos, et quelques vraies manipulations.

Surjouée par les politiciens professionnels de l’agitprop, cette émotion a la mémoire courte. Les mêmes jeunes qui manifestent aujourd’hui pour Gaza ont presque oublié ce qui s’est passé chez eux, un soir de novembre 2015. Des bistros et une salle de concert parisiens transformées en abattoir parce qu’on y buvait en terrasse, ou qu’on y écoutait du rock metal. Personne n’avait alors cherché d’excuses aux tueurs, ni blâmé la coalition occidentale pour avoir rasé Mossoul.

A lire aussi, Charles Rojzman: La culpabilité des enfants gâtés de la gauche et la fabrication de l’ennemi

Huit ans plus tard, le 7 octobre 2023, des djihadistes du même acabit ont massacré, torturé, enlevé – avec la même haine du monde démocratique et ouvert. Mais cette fois, une partie de notre jeunesse n’a pas vu les victimes israéliennes, elle n’a vu qu’un récit binaire, des opprimés qui se rebiffent. Là où elle savait reconnaître un massacre, elle a trouvé des justifications.

Ce brouillage moral est le symptôme d’un temps qui préfère le symbole au réel. Le temps d’un racialisme renouvelé et d’un postféminisme paradoxal qui, à l’université, ont trouvé une synthèse dans une idéologie intersectionnelle, islamophile et antisioniste, cache-sexe de l’antisémitisme. Les Frères musulmans – généreusement financés par le Qatar – et les réseaux proches de Téhéran ont compris ce qu’ils pouvaient tirer d’une génération déboussolée. Ils lui offrent une cause prête-à-porter, une indignation low cost, un destin sans risque. Hier, le Che offrait l’aventure par procuration ; aujourd’hui, la Palestine offre l’illusion de la révolte sur Instagram, sans quitter son confort. Une révolte au service du patriarcat le plus archaïque, de l’asservissement des femmes, de la répression des homosexuels et de l’élimination des opposants.

On ne peut reprocher à personne d’aimer la justice. Mais la justice commence par un constat simple : la première victime de l’islamisme au pouvoir à Gaza n’est pas Israël mais la population de Gaza elle-même, prise en otage par une idéologie mortifère qui la dévore, la surveille, l’endoctrine, et transforme chaque mort en argument. Boucliers humains voués, contraints et forcés, au martyr.

Dans ce théâtre de la compassion sélective, l’Etat hébreu paie le prix d’être un pays trop moderne, trop techno, trop occidental, trop complexe. La Palestine, elle, est devenue un mythe commode. On oublie qu’il n’y a pas de justice dans les mythes. La justice commence là où s’arrête le mensonge.

Égalitarisme: Dostoïevski précurseur…

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Une pensée du génial écrivain russe, citée dans le dernier livre de Franz-Olivier Giesbert, m’a saisi par son absolue modernité, au point même d’annoncer ce qui allait bientôt survenir de pire dans notre société.

« La tolérance atteindra un tel niveau que les personnes intelligentes seront interdites de toute réflexion pour ne pas offenser les imbéciles ».

On n’en est pas encore là, mais cela viendra, car il devient difficile de résister à l’absurdité quand l’impuissance sert d’alibi aux dérives les plus inacceptables. Il n’y a vraiment pas de quoi rire avec la tolérance dénoncée par Dostoïevski, elle n’a rien à voir avec la saillie de Paul Claudel: « La tolérance, il y a des maisons pour ça ! »

Une plaie

La tolérance que dénonce le prophétisme de Dostoïevski renvoie à ce que nous observons aujourd’hui, dans le grave comme dans le ridicule: un refus obsessionnel de la moindre discrimination, dont l’ambition perverse est de tout niveler, d’égaliser, d’abaisser ce qui dépasse, de blâmer ce qui éblouit, et d’ériger la grisaille en unique philosophie acceptable.

Je suis convaincu qu’il ne faudra plus longtemps pour que l’évolution générale de notre démagogie nous conduise, pour ménager les imbéciles, à cesser de mettre en valeur « les personnes intelligentes ». À certains égards, toutes proportions gardées, c’est déjà la plaie de notre système scolaire, qui préfère abaisser le niveau global plutôt que de laisser apparaître une discrimination jugée intolérable entre bons et mauvais élèves. Il s’agit moins de favoriser l’excellence – tout en accompagnant les bonnes volontés limitées – que de veiller surtout à ne jamais désespérer la médiocrité.

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Ce délire de la non-discrimination touche désormais tout ce qui est vivant : les animaux – jusqu’aux rats qu’il faudrait soudain réhabiliter – les plantes, la nature majestueuse, passive et intouchable, tout ce qui existe sous le soleil. Et, bien sûr, l’être humain est particulièrement visé : il ne pourrait se prévaloir pleinement de cet attribut qu’à la condition d’avoir poussé l’humilité si loin que toute supériorité, même la plus légitime, en serait éradiquée.

Prenons aujourd’hui le triomphe de certains humoristes, portés paradoxalement par la qualité de ceux qui les écoutent ou les critiquent : parce qu’ils sont mauvais, qu’ils ne font pas rire, qu’ils pratiquent une politique de comptoir, que, par exemple, ils comparent la police ou la gendarmerie à Daech (Pierre-Emmanuel Barré sur Radio Nova1), et qu’ils doivent rire eux-mêmes de leurs plaisanteries faute d’avoir su les faire partager, on les porte aux nues. Leur réserver un autre sort serait, paraît-il, leur infliger une intolérable discrimination !

Les médiocres promus

Aujourd’hui, nous vivons presque exactement ce que Dostoïevski annonçait avec une foudroyante lucidité. On se moque plus volontiers de l’intelligence attribuée à quelqu’un – quel que soit le jugement que l’on porte sur lui par ailleurs – qu’on ne la salue. Comme s’il était devenu indécent de célébrer cette disposition désormais jugée suspecte, de peur de créer un hiatus choquant au sein du monde humain.

Ce fléau de la non-discrimination est tel que, dans l’univers politique, il explique en grande partie l’indifférence croissante envers la moralité publique. Dans un monde digne de ce nom, les vertus et les vices seraient clairement distingués, tout comme les condamnations et les innocences, les soupçons et les honnêtetés, l’éthique et les transgressions. Aujourd’hui, c’est l’inverse : pour éviter d’exercer une scandaleuse discrimination au détriment des ombres, on en vient à postuler que les lumières sont inconcevables. D’où la multiplication, à tous les niveaux, de candidatures, de fonctions et d’ambitions qui, loin d’être freinées par leurs imperfections pourtant évidentes, en tirent au contraire une forme de légitimation.

Dostoïevski est un génie. L’écrivain universel comme le prophète sombre…

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  1. https://www.europe1.fr/emissions/L-invite-de/la-police-et-la-gendarmerie-cest-daesh-avec-la-securite-de-lemploi-laurent-nunez-porte-plainte-contre-lhumoriste-pierre-emmanuel-barre-871495 ↩︎

Pas d’eau pour le G20?

Trop occupé à militer pour la Palestine, l’ANC, qui dirige la plus grande ville d’Afrique du Sud Johannesburg, a terriblement négligé le réseau de distribution de l’eau.


Les 22 et 23 novembre prochains, Johannesburg accueillera le G20. Annoncé comme « historique » par les autorités sud-africaines, le sommet sera guidé par le slogan « égalité, solidarité, durabilité ». En dépit de ces belles intentions, des petits fours et des jolies hôtesses corsetées qui les accueilleront, les grands de ce monde pourraient bien se trouver face à un problème de taille : les robinets à sec.

Depuis plusieurs mois, des quartiers entiers de la World class african city, selon le slogan fanfaronné par les autorités, sont régulièrement à court d’eau. Dans des quartiers tels que Soweto, Bertrams, Randburg ou Alexandra, les coupures durent parfois plusieurs semaines, obligeant les habitants à acheter de l’eau en bouteille pour se doucher ou pour tirer la chasse. Jusqu’à présent, Dada Morero, maire de la ville affilié à l’ANC (Congrès national africain), se contentait d’incriminer les mauvais garçons sabotant les réservoirs ou le changement climatique. Mais le 19 septembre, à la suite de manifestations d’habitants du quartier de Coronationville n’ayant plus d’eau depuis des semaines, le maire est passé aux aveux : 4 milliards de rands (200 millions d’euros) alloués par le budget à l’eau ont été détournés pour d’autres dépenses.

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Outre la méfiance grandissante à l’égard des autorités, les conséquences de cette mauvaise gestion sont lourdes sur le plan économique : des entreprises, des écoles, des bibliothèques ou des bureaux doivent régulièrement fermer leurs portes. Jusqu’à présent cantonné aux quartiers pauvres, le syndrome des “robinets à sec” frappe désormais les quartiers “blancs” tels que Sandton. De nombreux observateurs pointent la gestion catastrophique des structures aquatiques de la ville depuis 25 ans.

Candidate aux élections municipales de 2026, Helen Zille, affiliée au parti de droite Alliance Démocratique, a promis de remettre les robinets en état de marche. De son côté, Dada Morero semble avoir une autre priorité : sauver la Palestine.

Pourquoi la France peut être sauvée par les ingénieurs

La France est dirigée par des juristes, des littéraires, des commerciaux et des financiers. Les ingénieurs sont en revanche écartés des grandes décisions. Une situation regrettable.


Dans son best-seller publié en 2023, Les ingénieurs du chaos, Giuliano da Empoli a mis en lumière le rôle délétère de nouveaux conseillers politiques dans les sphères du pouvoir, qui sapent les fondements des démocraties occidentales. Pourtant, aucun d’entre eux n’est de fait ingénieur. Mais, le concept de Giuliano da Empoli est opérant car il s’agit d’ingénierie institutionnelle. S’ils avaient été de réels ingénieurs, au sens scientifique et industriel du terme, ils auraient produit du développement économique et social positif et non du chaos institutionnel.

La France est aujourd’hui avant tout dirigée et/ou animée par des juristes, des littéraires, des commerciaux et des financiers. Ceux-ci sont tout à fait respectables, avec des qualités personnelles éminentes, là n’est pas la question. Pêle-mêle, citons Emmanuel Macron, Yaël Braun-Pivet, Richard Ferrand, François Bayrou, Édouard Philippe, Laurent Wauquiez, Bruno Retailleau, Marine Le Pen, Bruno Le Maire, Olivier Faure ou Boris Vallaud.

18 députés seulement !

Les derniers grands dirigeants français à avoir été ingénieurs sont Alain Poher, Valéry Giscard d’Estaing et Elisabeth Borne. C’est un peu court. Citons aussi, pour être exhaustif, Julien Denormandie qui aurait pu être Premier ministre (mais qui ne l’a pas été : c’est en fait un contre-exemple éclairant sur la place réduite des ingénieurs en France dans l’exercice du pouvoir). Au sein du présent gouvernement, on recense quatre ingénieurs : Roland Lescure, Jean-Pierre Farandou, Philippe Baptiste et Maud Brégeon, soit une proportion de 12% des ministres du gouvernement Lecornu II.

Si l’on examine le Parlement français actuel, sur 577 députés, il y a 18 ingénieurs, soit 3% de l’Assemblée nationale. La proportion est encore plus faible au Sénat : 8 ingénieurs, soit seulement 2% de la haute assemblée composée de 348 membres.

Si l’on se réfère à la population active (30,6 millions d’individus), les 1,2 million d’ingénieurs en représentent 4%. La comparaison la plus pertinente doit cependant se faire avec la population des cadres et assimilés : 5,2 millions de personnes au sens du BIT (Bureau International du Travail). Les ingénieurs correspondent donc à 23% des cadres et assimilés. Pour mémoire, 40 000 ingénieurs sortent chaque année des écoles françaises, ce qui n’est pas mal en Europe mais sans surprise bien en dessous de l’Inde et de la Chine.

La Chine formerait ainsi 1,5 million d’ingénieurs par an mais en réalité on décompte 3,5 millions au moins de professionnels dans le secteur élargi de l’ « ingénierie ». L’Inde aurait de son côté entre 700 000 et 1,5 million d’ingénieurs formés par an. En tout état de cause, beaucoup plus que la France et l’Europe. Il se dit incidemment que le comité central du Parti communiste chinois comporte une bonne proportion d’ingénieurs… Enfin, point positif, il faut noter que Centrale Pékin a été créée en 2005 et forme une centaine d’ingénieurs d’excellence par an – les meilleurs, paraît-il. Donc le modèle d’ingénieur français essaime.

Le blues de l’ingénieur français

Pour revenir à notre France, ceci signifie que les ingénieurs sont 8 fois moins bien représentés que les autres à l’Assemblée nationale et 11 fois moins bien représentés au Sénat (étant observé par ailleurs qu’il n’y a quasiment plus d’ouvriers au Parlement). Ils ne sont que 2 fois moins bien représentés au sein du gouvernement, mais 3,5 fois moins bien représentés que dans les grandes sociétés françaises. Ce n’est dès lors pas étonnant que 84 % des ingénieurs en France ne croient pas en la reconquête industrielle du pays (IFOP-Arts et Métiers, septembre 2025). Depuis l’année dernière, les fermetures d’usines en France l’emportent en effet sur les ouvertures. Le choix du sommet Choose France 2025, cette fois-ci exclusivement réservé aux annonces d’investissements réalisés par des entreprises françaises, probablement parce que les bonnes volontés étrangères pour s’implanter en France actuellement ne sont pas légion, ne manque pas de nous interpeller. 

Le chaos institutionnel auquel les Français assistent, sidérés, à l’Assemblée nationale ces temps-ci, s’explique aussi par la faible proportion de députés imprégnés de scientificité. Les incohérences intrapartisanes et transpartisanes, qui sont le lot quotidien de la vie parlementaire d’aujourd’hui, seraient infiniment moins nombreuses sur les sujets quantitatifs que sont les lois de finances et de Sécurité sociale avec une représentation parlementaire équilibrée en termes d’ingénieurs par rapport à la population. On peut donc dire que ce problème de faible représentation des ingénieurs est donc désormais celui de tous les Français, malheureusement.

La désindustrialisation française trouve principalement son origine dans la faible représentation des ingénieurs dans la classe dirigeante politique française

La France a vu, en quatre décennies, la part de son industrie dans l’économie passer de plus de 20% à moins de 10%. Il n’y a pas de consensus sur les données statistiques mais les grandes masses sont exactes.

Les raisons de ce déclin sont multiples mais, au premier chef, il y a l’absence de vision stratégique de long terme et stable de l’État concernant l’industrie et l’énergie, à la différence des grands programmes américains et chinois. Évidemment, le poids des charges sociales et des impôts de production plombant la compétitivité nationale, la complexité croissante des procédures et normes administratives ou la désaffection pour les métiers industriels au profit des services, largement issue des biais de notre système éducatif, n’ont pas aidé.

Il convient aussi d’égrener quelques mesures anti-industrie emblématiques de la période : la retraite à 60 ans en 1981, la C3S (la bien mal nommée Contribution sociale de solidarité) en 1992, le déplafonnement de l’ISF en 1995, les 35 heures en 2000, l’absence de soutien gouvernemental à des fleurons industriels français (Péchiney, Alcatel, Alstom, Lafarge,…) ou le gel du programme nucléaire français, avec l’acmé de la fermeture de Fessenheim. Il est vrai qu’Emmanuel Macron, pourtant inspecteur général des finances, a été recalé deux fois à Normale Sup Lettres, pour insuffisance flagrante à son option « Mathématiques ». Pas étonnant que l’on se retrouve avec plus de 1000 milliards d’euros de dette supplémentaire en sept ans, pour rien… 

La classe dirigeante politique française n’a pas su et, en fait, n’a jamais vraiment voulu contribuer à la mise en place de grands programmes stratégiques industriels et énergétiques efficients, à la différence des États-Unis (DARPA, IRA) et de la Chine (plans quinquennaux). Il ne s’agissait pas de reproduire le programme nucléaire gaulliste et pompidolien ou le TGV giscardien des années 60/70 mais de s’adapter à la nouvelle donne géostratégique mondiale, multipolaire et hautement technologique de cette première moitié du XXIème siècle, avec l’émergence du Sud global et du mouvement localiste. Le programme Airbus fait exception. Pragmatisme d’ingénieur. 

La succession de programmes du type Plan Machines-outils, Plan Textile, Pôles de compétitivité, PIA (Programme d’investissements d’avenir) 1, 2, 3 et 4 ou France 2030, tous plus ambitieux les uns que les autres, n’arrive pas à cacher la modestie des moyens financiers réellement mobilisés par la sphère publique française. Une dizaine de milliards d’euros pour les meilleures années alors que les besoins sont dix fois plus importants, que les besoins de couverture de la dette publique (plus de 300 milliards d’euros par an) phagocytent l’épargne des Français et que nous subissons les retards coupables de l’Union européenne dans la mise en place d’un véritable marché de capitaux unifié, comme aux États-Unis.

Une bonne synthèse de ces évolutions se trouve dans l’ouvrage La désindustrialisation de la France 1995-2015 de Nicolas Dufourcq, directeur général de la BPI (Banque Publique d‘Investissement), publié en 2024.

Tout le monde se souvient de l’orientation « Fabless » énoncée en 2001 par le président d’Alcatel de l’époque, Serge Tchuruk : l’industrie, c’est dépassé, il ne faut conserver en Occident que les fonctions de recherche, de conception et de commercialisation. Une décennie plus tard, le fleuron des infrastructures télécom français avait disparu façon puzzle, comme diraient les Tontons flingueurs. Même les ingénieurs peuvent donc se tromper, surtout s’ils sont autocratiques et « mainstream » pour leur époque ! Mais aujourd’hui, 17 dirigeants des sociétés du CAC 40 sont ingénieurs, soit plus de 40 % de cette élite économique. Leurs sociétés sont florissantes. Elles bénéficient d’une exposition internationale remarquable et d’une gestion managériale d’ingénieurs hors pair. Quel contraste avec la sphère publique française.

Pour remettre la sphère publique française d’aplomb, il faut donc une démarche d’ingénieur

La reconfiguration de la sphère publique française relève d’une démarche d’ingénieur : « les faits, rien que les faits », diagnostic lucide de la situation, identification des leviers de changement avec une vision de long terme, organisation méthodique des modifications de structure, mise en œuvre déterminée des économies, réallocations des moyens et des investissements d’avenir, capacité à quantifier les situations, pragmatisme en toutes circonstances. 

L’exemple de Vallourec est éloquent. Fondé en 1899, ancienne star du CAC 40 en quasi-faillite en 2022, ce spécialiste mondial des tubes filetés en aciers spéciaux pour forages profonds a été magistralement repositionné en quatre ans par un ingénieur français (Mines de Nancy), riche d’une expérience diversifiée, tant sur le plan sectoriel qu’international. 

Choix de la haute valeur ajoutée, abandon des productions bas et moyen de gamme, poursuite d’une innovation de pointe avec consolidation de sa RD en France (l’excellent crédit d’impôt recherche joue sa partition en France, malgré diverses critiques), localisation de ses usines à proximité de ses clients (États-Unis, Amérique latine, Asie, Moyen-Orient), chiffre d’affaires recentré (baisse d’un tiers), ajustement de ses effectifs (diminués de moitié). La société est ainsi passée d’une dangereuse position de surendettement à une rentabilité canon de +23 % aujourd’hui. Les salariés et les actionnaires se portent bien !

Sans qu’il puisse y avoir bien sûr de transposition des solutions adoptées par Vallourec à la sphère publique française, l’esprit et les méthodes propres aux ingénieurs s’y appliqueraient au plus grand bénéfice des Français.

La France est surendettée, tout le monde le sait. Le déficit budgétaire s’élève à -156 milliards d’euros en 2024, soit près de la moitié des 326 milliards d’euros de recettes fiscales de l’État, cela ne s’invente pas (les recettes fiscales d’un État sont à peu près l’équivalent du chiffre d’affaires pour une entreprise). Le déficit budgétaire global de la sphère publique s’élève quant à lui à -169 milliards d’euros et représente ainsi -10,3 % des 1 502 milliards d’euros de recettes des administrations publiques. Le calcul du déficit budgétaire en pourcentage de PIB (-5,8 % en 2024 au sens de Maastricht) n’est pas, à cet égard, pertinent car il masque l’ampleur du déséquilibre français.

Ainsi, la sphère publique française « perd » chaque année autour de -10 % de ses revenus. François Fillon parlait déjà en 2007 d’un État en faillite, c’était il y a deux décennies. Il avait bien raison et cela a depuis empiré. Aucune entreprise ne peut survivre en perdant chaque année 10% de son chiffre d’affaires. Un État non plus, sauf à perdre sa souveraineté. Attention à la Troïka (BCE, FMI et Commission européenne) ! 

Que donnerait l’application de la méthode Vallourec à la sphère publique française ?

Passons d’abord à l’équilibre des comptes des administrations publiques : ce sont ainsi -170 milliards d’euros de dépenses publiques en moins. Si l’on souhaite aussi réduire les prélèvements obligatoires de deux raisonnables petits points de PIB, soit de 60 milliards d’euros, ce qui devrait être acceptable pour un pays champion du monde de l’impôt, l’effort sur les dépenses publiques, donc y compris les dépenses sociales, doit ainsi porter sur -230 milliards d’euros. Ceci correspond à un effort global de 15,3 % sur les dépenses publiques. Beaucoup moins important que l’ajustement opéré en quatre ans par Vallourec.

En termes d’effectifs, la sphère publique française emploie actuellement 5,8 millions d’agents, titulaires et non titulaires. Si l’on applique une réduction de 15% de ses effectifs, raisonnable dans un univers où l’intelligence artificielle se développe, ce sont 870 000 postes publics qui sont concernés à terme. En prenant un coût moyen complet de 60 000 € par agent, ceci représente une économie de 52 milliards d’euros par an en régime de croisière. Insuffisant donc pour retrouver une position saine pour la sphère publique. La réduction des effectifs publics, que l’on peut considérer comme acceptable socialement et politiquement sur une décennie compte tenu des départs en retraite, ne permet donc pas de régler le « problème structurel d’exploitation » français.

Il reste donc à trouver 180 milliards d’euros complémentaires d’économies sur les dépenses publiques. Ce qui signifie qu’il faudra, soit tailler à la hache dans les services publics et dans les dépenses sociales, soit procéder à des désindexations ciblées sur les dépenses progressivement dans le temps. La croissance nominale, c’est-à-dire incluant la croissance en volume et l’inflation, arme subtile à deux tranchants de la direction du Budget, que les parlementaires commencent juste à comprendre, y contribuera puissamment. Le pragmatisme de l’ingénieur privilégiera les désindexations ciblées, les simplifications procédurales, la suppression d’échelons administratifs et institutionnels ainsi que la priorité à la proximité, avec un vaste mouvement de déconcentration/décentralisation.

Une telle reconfiguration de la sphère publique – pour ne pas parler de restructuration industrielle mais cela en est bien une – ne pourra pas se faire en quatre ans comme pour Vallourec. Une décennie devrait être en l’occurrence l’horizon de temps acceptable, pour tenir compte des équilibres propres à la sphère publique.

Une légitimité démocratique incontestable est enfin appelée à permettre une telle reconfiguration structurelle, forme de pendant de la gouvernance actionnariale pour une entreprise. Seule l’élection présidentielle est à même de porter une telle dynamique gagnante, surmontant les oppositions de tous bords qui ne manqueront pas de se manifester, y compris dans la rue.

Le ou la future président/présidente aura ainsi tout à gagner à intégrer une démarche d’ingénieur dans son pilotage de la France à partir de 2027, avec une détermination sans faille et dans la durée. À défaut de disposer d’un Parlement irrigué par plus de compétences scientifiques et techniques…

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Le retour d’un christianisme musclé?

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Dans une France qui s’archipélise, l’apparition d’une horde de pèlerins néo-chrétienne sur les réseaux sociaux est réjouissante. Mais elle a aussi de mauvais côtés.


Qu’on le regrette ou qu’on s’en réjouisse, le constat est là : la religion semble sortie de la sphère privée et du domaine de l’intime. La mode est à la foi qu’on revendique et qu’on affiche, de manière ostensible voire ostentatoire, en particulier chez les jeunes générations. Le catholicisme ne fait pas exception : c’est ce que j’ai découvert récemment, au fil de mon parcours de catéchumène débuté il y a 16 mois. Déjà en hausse de + 30% en 2024 et de + 45% en 2025, le nombre d’adultes demandant le baptême catholique ne cesse d’augmenter en France. En Belgique, le chiffre a même triplé en dix ans. Parmi ces aspirants catholiques, la part des 18-25 ans affiche une croissance particulièrement spectaculaire, dépassant aujourd’hui celle des 26-40 ans qui représentait jusqu’ici le cœur de cible historique du catéchuménat.

Besoin d’appartenance

Durant ces deux années de préparation au baptême, les catéchumènes d’une même paroisse sont invités à se regrouper lors de journées de rites et de partage. Du haut de mes 37 ans, je me suis vite sentie doyenne de ce groupe constitué en majorité d’étudiants et de jeunes actifs, particulièrement exaltés. Considérant l’excessivité en toute chose comme l’apanage de la jeunesse, je ne me suis d’abord offusquée ni de leur désir commun d’une pratique religieuse plus stricte, ni de leur volonté d’afficher et d’assumer leur religion, qui parfois frôle le prosélytisme. La discrétion ne semble clairement plus être un critère déterminant lorsqu’il s’agit de choisir une croix ou une médaille de baptême. Dans la note de présentation des chiffres du catéchuménat 2025[1], le père Jean-Baptiste Siboulet, du diocèse de Nantes, constate ainsi le nombre croissant de jeunes gens désireux de « faire le Carême ». Il insiste également sur leur « besoin d’appartenance à un groupe ».

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Leurs histoires personnelles se ressemblent : le premier contact avec la foi catholique n’a souvent pas lieu au sein de la cellule familiale ou amicale mais sur les réseaux sociaux par le biais d’influenceurs, qu’ils ne cessent de m’exhorter à suivre. Je découvre ainsi sur Instagram et TikTok un nombre impressionnant d’influenceurs catholiques, majoritairement de moins de 30 ans, essentiellement masculins, parfois prêtres consacrés, mais le plus souvent simples croyants. Ces jeunes hommes, suivis pas des communautés de plusieurs dizaines de milliers de personnes, exposent leur foi, leur quotidien de jeunes chrétiens, commentent l’actualité  mais, de manière plus surprenante, prodiguent des conseils de musculation et de morale. Beaucoup se fantasment missionnaires et entendent vulgariser et propager la parole de Jésus-Christ, en alternant paroles d’Amour universel et vocabulaire guerrier sur fond de culturisme.

Un phénomène qui n’est plus marginal

Comment l’Église catholique réagit-elle à ce phénomène qu’elle ne peut ignorer ? Les 28 et 29 juillet dernier se tenait la première édition du jubilé des « missionnaires digitaux » organisé par le pape Léon XIV, durant lequel celui-ci a appelé les créateurs de contenu à « nourrir d’espérance chrétienne les réseaux sociaux ». Les influenceurs catholiques les plus suivis en Europe sont d’ailleurs des prêtres italiens. Parmi ceux-ci, Giuseppe Fusari, prêtre influenceur aux 66 000 abonnés, surnommé « le prêtre culturiste », n’hésite pas à mettre en avant ses biceps volumineux et tatoués dans ses vidéos. Le curé Don Cosimo Schena, belle gueule et physique de mannequin, est suivi quant à lui par 480 000 personnes. Nous sommes loin de la caricature du curé replet et dégarni façon Don Camillo ou du chrétien souffreteux des romans de Bernanos. Clairement, l’esprit ne semble pas dominer ou, plutôt, la domination de l’esprit semble indissociable de celle du corps.

Sans le savoir, ces néo-chrétiens renouent avec un mouvement religieux né en Angleterre au milieu du xixe siècle appelé « Muscular Christianity », ou « Christianisme musclé », défini par Charles Kingsley, chanoine anglican, comme l’association de la force physique et de la certitude religieuse[2]. La participation à un sport permet d’acquérir et d’assimiler la morale chrétienne, tout en définissant la virilité. Il est intéressant de constater que l’émergence du christianisme musclé a lieu pendant des périodes d’instabilité politique dans le monde anglo-saxon. Ainsi, Thomas Arnold, directeur d’un collège universitaire, théorise à l’époque ce mouvement en expliquant chercher à forger chez les jeunes gens le caractère « dur, moral et chrétien dont ont besoin les futurs dirigeants de la Grande-Bretagne ». Il est question de foi, de devoir patriotique, de discipline, de virilité mais également de beauté morale et physique via des pratiques athlétiques.

Répondre à l’expansionnisme islamique

Sur les réseaux sociaux en 2025, si la question de la morale religieuse est toujours d’actualité, d’autres grandes thématiques peinent à trouver écho dans le cœur des néo-catholiques, en particulier celle du Pardon que ceux-ci associent aisément à de la faiblesse. Il n’est pas plus question de pardonner que de tendre l’autre joue, mais bien de défendre une culture chrétienne française sur fond de patriotisme exacerbé. L’influenceur catho.costaud, simple laïc aux 20 000 followers, nous parle de l’époque des Croisades et enchaîne les prêches : « Nous sommes la lumière, par la Sainte Vierge, par le chapelet, par la prière […] La France ne renaîtra par dans les urnes mais dans les églises ».  La défense du patrimoine culturel français, matériel ou immatériel, est un thème récurrent de ces publications. Dans une France qu’ils considèrent en danger, ces jeunes gens ressentent un réel besoin de répondre à l’expansionnisme islamique par un communautarisme chrétien. Dans cette quête identitaire face à un danger ressenti comme existentiel, certains vont jusqu’à se proclamer royalistes et questionnent la séparation de l’Église et de l’État ou la loi de 1905 sur la laïcité.

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Quel mal pourrait-il y avoir à ce que des jeunes gens en quête de discipline et de sens remplissent à nouveau nos églises, les défendent, exhibent chapelets, bérets et bretelles, fassent de la musculation ou encore se passionnent pour l’histoire de France ?  Il m’a fallu plusieurs échanges avec ces jeunes catéchumènes et néo-catholiques pour comprendre ce qui me chiffonnait dans toute cette exaltation patriotique et religieuse. Ce mouvement, essentiellement porté par des jeunes hommes, se teinte aisément de sexisme, voire de masculinisme. L’avortement y est décrié, la « reconquête » de la France devant également se faire par la natalité. Si la moralité des jeunes hommes transparait dans leur musculature et leur force physique, c’est sur le terrain de la vertu que les femmes sont attendues, même si leur apparence se doit également d’être soignée. La figure traditionnelle de la femme, douce, maternelle, élégante et patriote, est ainsi glorifiée. L’historien George L. Mosse, dans son ouvrage sur la construction de la virilité[3] exposait ainsi que « l’homme, pour prendre conscience de sa virilité, a besoin de la femme, à condition que celle-ci reste vraiment féminine ». Exclues de ce néo-christianisme musclé, les femmes n’en sont pas moins présentes sur les réseaux. Tandis que de nombreux internautes les qualifient en commentaire de « bonnes à marier », le compte Instagram lesfranceries, sur fond de chanson de Charles Aznavour, détaille ainsi la journée dominicale telle qu’elle devrait se dérouler partout en France : messe, balade, chasse, sieste et poulet rôti. Et devinez qui doit préparer ce dernier dans la douce chaleur du foyer ? En ce qui me concerne, je ne m’attendais clairement pas, en retrouvant le chemin de l’église, à ce qu’on me désigne celui du foyer et de la cuisine.


[1] Dossier de presse de l’enquête « Catéchuménat 2025 » : https://eglise.catholique.fr/wp-content/uploads/sites/2/2025/04/Catechumenes_2025_chiffres_Dossier-de-presse-2.pdf

[2] Donald E. Hall, « Muscular Christianity » : Reading and Writing the Male Social Body, Cambridge University Press 1994.

[3] George L. Mosse « L’image de l’homme – L’invention de la virilité moderne » – Editions Abbeville 1997

Taïwan: la Première ministre japonaise met le feu aux poudres

En évoquant une possible intervention militaire au côté de Taïwan, la Première ministre Sanae Takaichi a déclenché la colère de Pékin et ravivé les blessures du passé, révélant un Japon désormais décidé à assumer une ligne diplomatique plus offensive.


Un mois à peine après son accession au pouvoir, en octobre 2025, la Première ministre japonaise Sanae Takaichi a déclenché une tempête diplomatique en évoquant la possibilité d’une intervention militaire du Japon en cas d’attaque chinoise contre Taïwan. Pékin a réagi avec une virulence rare.

Une escalade verbale qui fait ressurgir les fantômes du passé, réveille les tensions territoriales et confirme que Tokyo n’entend plus pratiquer l’ambiguïté stratégique.

Sanae Takaichi, la Première ministre qui bouscule les lignes

Première femme à accéder à la tête du gouvernement japonais, Sanae Takaich, 64 ans, n’est pas une novice dans l’arène politique. Figure conservatrice du Parti libéral-démocrate (PLD), protégée du Premier ministre Shinzo Abe (2006-2007 et 2012-2020), lequel a été assassiné en 2022, elle s’est construit une réputation de femme de poigne, nationaliste assumée et inflexible sur les questions de souveraineté.

Elle milite depuis des années pour la révision de l’article 9 de la Constitution pacifiste afin de reconnaître explicitement les Forces d’autodéfense comme une « armée nationale », soutient l’augmentation du budget militaire, le développement de capacités offensives et l’adoption d’une législation anti-espionnage. Selon la dirigeante japonaise, en cas de guerre, « il est primordial de neutraliser en premier lieu les bases ennemies » (2021).

Volontiers nationaliste, elle a multiplié les visites controversées au sanctuaire de Yasukuni où reposent les héros de la Seconde Guerre mondiale.  De quoi crisper la Chine qui n’apprécie pas non plus que Sanae Takaichi tienne un discours révisionniste, allant jusqu’à affirmer que les crimes de guerre japonais ont été « exagérés » par les historiens. Questionnée en 2002, lors d’une émission télévisée, sur l’incident de Mukden qui avait conduit à l’invasion de la Mandchourie en 1931, alors députée, Sanae Takaichi avait expliqué qu’il s’agissait avant tout d’une « guerre légitime afin de protéger le Japon de toute agression extérieure », remettant même en cause les milliers de morts recensés dans le bombardement (« viol ») de Nankin en 1937. Exit donc les ravages de l’unité 731 dans l’Etat fantoche du Mandchoukouo, des exécutions sommaires et viols commis contre les civils chinois, elle estime que les termes « femmes de réconfort » et « travail forcé » restent aujourd’hui « extrêmement dévalorisant » pour le peuple japonais qui se doit de se réapproprier son histoire nationale.

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Sanae Takaichi n’a jamais caché non plus sa méfiance envers Pékin : dénonciation du vol de propriété intellectuelle, plaidoyer pour réduire la dépendance économique à la Chine, soutien au déploiement de missiles américains sur l’archipel. La tonitruante leader du PLD entend remettre son pays au centre de l’échiquier politique asiatique. En avril 2025, elle s’était rendue à Taïwan pour rencontrer le président Lai Ching-te, reprenant à son compte la phrase de Shinzo Abe : « Une situation d’urgence à Taïwan est une situation d’urgence au Japon ». Une visite qui avait fortement irrité la Chine qui ne reconnaît pas l’indépendance de cette île (1949), considérée comme une simple province chinoise séparatiste.

Taïwan, la ligne rouge qui menace d’embraser l’Asie

Le 7 novembre 2025, devant la Diète, Sanae Takaichi a déclaré : « La situation concernant Taïwan est devenue si grave que nous devons envisager le pire. ». Et d’ajouter que si l’usage de la force par la Chine « impliquait une menace pour la survie du Japon », Tokyo pourrait intervenir militairement en déployant des navires de guerre.

Ajoutée au contexte historique tendu entre la Chine et le Japon, la phrase de la Première ministre a mis le feu aux poudres. Pour la Chine, le signal est clair : Tokyo n’entretient plus aucune ambiguïté stratégique et se prépare à une intervention armée au côté des États-Unis.

À chacun son point de vue sur ce qui est encore considéré comme le rempart à l’influence du dragon rouge. Pour Pékin, Taïwan n’est pas un dossier diplomatique, mais un élément fondamental de son identité nationale : la « réunification » est non négociable, y compris par la force. L’île fut longtemps occupée par le Japon jusqu’en 1945, ce qui ajoute une charge émotionnelle supplémentaire aux relations sino-japonaises. Pour Tokyo, l’enjeu est vital. Taïwan se situe à 100 km seulement de l’archipel japonais. Sa chute provoquerait un encerclement stratégique du Japon, une rupture des routes maritimes essentielles à son économie, une domination chinoise accrue sur le Pacifique que l’Empire du Soleil Levant ne saurait accepter.

La réaction furieuse de la Chine : menace, pressions et représailles

Les autorités chinoises ont réagi avec une brutalité inhabituelle. Le consul de Chine à Osaka, Xue Jian, a publié un message menaçant de « lui couper son p*tain de cou » — un niveau de violence rhétorique rare dans la diplomatie.

Envolées désormais les poignées de main entre Sanae Takaichi et le président chinois Xi Jinping en octobre dernier comme leurs déclarations pacifiques. Le ministère chinois des Affaires étrangères a prévenu : « Quiconque ose s’ingérer dans la cause de la réunification se verra infliger une riposte ferme. ». Quant aux médias officiels chinois, ils ont affirmé que la Première ministre « devrait en payer le prix ». Dans un acte de pression supplémentaire, Pékin a déconseillé à ses ressortissants de voyager au Japon, évoquant des « risques importants pour la sécurité ». Plusieurs compagnies aériennes chinoises ont immédiatement proposé des remboursements gratuits pour les vols vers l’archipel. 

La crise sino-japonaise marque un tournant. Pour la première fois, Tokyo semble prêt à lier explicitement sa sécurité à celle de Taïwan. En réponse, Pékin choisit l’intimidation, la menace et l’instrumentalisation de l’opinion publique. Aucun des deux camps ne souhaite la guerre — mais chacun se prépare à l’éventualité du pire. La Première ministre japonaise, en assumant une ligne dure, a levé le voile sur une réalité qui s’impose désormais à l’Asie : la paix dans le détroit dépendra désormais de la fermeté — ou de la retenue — du Japon et de la Chine.

Dans un climat où les mots tranchent comme des lames, l’escalade diplomatique n’est peut-être qu’un prélude à un affrontement stratégique beaucoup plus profond.

Alain Souchon, vestige de la gauche prolophobe

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Le chanteur préféré des vieilles institutrices abonnées à Télérama menace de s’exiler en Suisse si la droite populiste accède aux responsabilités. L’interprète de Foule sentimentale, qui raillait la bourgeoisie d’extrême droite raciste en 1977 dans son titre Poulailler’s Song a un train de retard. Il ne voit pas qu’en 2025, c’est le peuple ordinaire qui vote pour Jordan Bardella.


Les mirobolants progressistes, qui ont mis la France dans ce sale état, se ridiculisent dans leurs forfanteries. Alain Souchon est de ceux-là, quand il déclare, vendredi sur RTL, en promotion pour ses chansons : « Je ne crois pas que les Français soient aussi cons pour élire quelqu’un du Front national pour diriger ». En ajoutant : « Si ça arrivait, on irait en Suisse ». Certes, rien n’est plus convenu que ce commentaire élitiste.

Le mépris pour les Français ordinaires ne passe plus

Le même chanteur prolophobe pétitionna également, en juillet, contre l’implantation dans son quartier (le chic VIe arrondissement de Paris) d’un Carrefour City accusé de faire tache ; Jacques Toubon, ancien RPR recyclé dans la défense des humiliés, avait également apposé sa signature à ce petit carnet mondain[1]. Ce qui est nouveau, cependant, est l’exaspération que le jugement de classe de Souchon a immédiatement produit auprès d’une partie de l’opinion s’exprimant sur le numérique et les médias alternatifs. En fait, le mépris porté aux Français ordinaires par des humanistes d’apparat devient de plus en plus insupportable, à mesure que le système moralisateur produit toujours plus de pauvres, de violences, d’insécurités, de racismes, d’antisémitisme. Quand Souchon menace de rejoindre la Suisse, il fait certes un excellent choix. Mais ce faisant il plébiscite – au-delà du refuge pour les riches – une démocratie exemplaire dans sa politique de votations (référendums) menée en étroite collaboration avec le peuple raisonnable, que lui-même discrédite.

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Pénible spectacle

Ces élites, exhibant leur progressisme en déroute, ont cessé depuis longtemps de penser la réalité au profit d’un monde abstrait et coupé des gens. Leur univers fictif ne répond qu’à des codes sociaux marquant l’appartenance à des castes cloitrées dans leurs croyances. La décence est un mot que ces experts et donneurs de leçons ignorent, quand ils lancent des procès en incompétence contre les populistes, s’épargnant de s’arrêter sur leurs propres bilans désastreux. Jordan Bardella est une des cibles des salonnards. Ils en oublient de demander des comptes à Emmanuel Macron pour ses déroutes budgétaires et civilisationnelles. Il sera pourtant difficile de faire pire. La péroraison des faillis et des ratés, appuyés par un show-biz pétochard, devient un spectacle pénible. Mais l’air du temps se raidit. La morgue des récitants en clichés devient un carburant qui alimente la rébellion des proscrits, des injuriés. Ils ont face à eux la lâcheté molle de la pensée officielle qui a contaminé ses clones.

C’est très timidement que l’intelligentsia a ainsi défendu Boualem Sansal, emprisonné durant un an en Algérie et libéré mercredi grâce à l’intervention de l’Allemagne. Parce que la droite résistante à la dictature algérienne et à l’islamisme avait proposé le nom de l’écrivain, en septembre, pour le prestigieux Prix Sakharov, ses éditeurs, Antoine Gallimard et Jean-Marie Laclavetine, s’étaient opposés à cette initiative, vue comme venant de l’« extrême droite ». Cette posture snobinarde est celle de Souchon. Celle des imbéciles heureux.


[1] https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2025/07/19/a-paris-les-tres-chics-opposants-a-une-superette-pres-du-jardin-du-luxembourg_6622120_4500055.html

Hamas, la bande à Gaza

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Des Israéliens rassemblés à Tel-Aviv pour suivre la libération d’otages, 13 octobre 2025 © AP Photo/Oded Balilty/SIPA

Israël a obtenu le retour des otages vivants et une partie des corps des otages morts. Cependant, les espoirs suscités par le plan de paix de Trump de voir le Hamas rendre les armes et se retirer de la scène politique sont déjà déçus. On peut même redouter une libanisation de Gaza, avec un Hamas jouant le rôle du Hezbollah.


C’était trop beau pour être vrai. Libération immédiate de tous les otages, morts et vivants, désarmement du Hamas et exclusion du mouvement terroriste de toute gouvernance à Gaza ou ailleurs, tout cela pour le modique prix d’un cessez-le-feu sans engagement israélien ni assurance américaine de mettre fin à la guerre. Pour Israël, les 20 points devenus le « plan Trump pour Gaza » semblaient parfaits. Un mois plus tard, on constate que la perfection n’est pas de ce monde.

Certes, le Hamas a libéré rapidement et en une seule fois tous les otages encore vivants, perdant ainsi sa carte maîtresse, et ce n’est pas rien, loin de là. Sauf que, la proposition de rendre tous les otages morts et vivants en échange de la fin définitive de la guerre était déjà sur la table depuis au moins février. Ce que Trump propose avec ses 20 points était bien plus favorable pour Israël : un processus menant automatiquement et sans heurts d’une phase 1 – cessez-le-feu, fin des hostilités et libération des otages – à la phase 2 – désarmement du Hamas et son éloignement de la gouvernance de la bande de Gaza –, puis au déploiement des forces de maintien de la paix, et au bout du chemin à la fin définitive de la guerre.

En Israël, si le gouvernement était passablement circonspect, une grande partie de la population a célébré le plan Trump comme un nouveau 8 mai 1945 et pavoisé ses rues à l’effigie du nouveau Roosevelt. Si le Nobel était décerné à Tel-Aviv, Trump l’aurait eu le jour même. C’est évidemment prématuré. Les chefs du Hamas ne se sont pas suicidés dans les tunnels qu’ils avaient construits pour se protéger. Le mouvement terroriste est beaucoup moins affaibli que la Wehrmacht en 1945 et bien mieux conseillé. Pris de court par Trump, il a réussi à desserrer l’étau au moyen de manigances, coups de force et revirements, gagnant du temps et du champ politique.

Manigances

Le Hamas a d’abord feint de se plier aux pressions américaines, qatariennes, turques et égyptiennes. Finalement ses dirigeants ont accepté la proposition de Donald Trump, parce qu’ils ont compris que, s’ils devaient libérer les otages vivants, ils pourraient faire traîner en longueur la restitution des dépouilles des otages morts et avec elle la première phase du plan Trump. Ce qui n’empêche pas les médias et les chancelleries de proclamer que le Hamas respecte le deal.

Il rend donc les corps au compte-gouttes et profite de la prolongation de cette phase de libération des otages pour se renforcer et tenter de rendre le désarmement prévu par la deuxième phase impossible. Sur le terrain, ses militants n’ont pas perdu une seconde pour reconstruire les bases de leur domination militaire, politique et économique. Avant même la grande messe de Charm el-Cheikh, le 13 octobre, le mouvement islamiste a engagé une violente reprise en main de Gaza, en lançant une guerre civile miniature contre des clans et des familles jugés dissidents ou accusés de collaboration avec Israël.

Le premier épisode de cette vendetta a lieu le 12 octobre. Il se déroule au sud de Gaza-ville, lorsque le Hamas tente de désarmer et d’arrêter des membres du puissant clan Doghmush. Lors des combats, au moins 27 personnes auraient été tuées, dont huit du Hamas. Certaines sources évoquent un bilan bien plus lourd, qui atteindrait jusqu’à 64 morts. Ce conflit rappelle les affrontements sanglants de 2007, lorsque le Hamas avait renversé le Fatah à Gaza. Le fait que le mouvement ait lancé cette opération si rapidement montre qu’il entend reprendre son monopole des armes et ne tolérera pas les autonomies tribales qui s’étaient développées pendant son affaiblissement temporaire durant la guerre.

Le 13 octobre, au moment où on sable le jus d’orange à Charm el-Cheikh, la répression se mue en une véritable campagne de terreur, qualifiée par la milice de « stabilisation ». Derrière ce vocabulaire se cache une journée d’arrestations arbitraires, de perquisitions brutales et de violences contre des groupes et des individus perçus comme des menaces.

Le 14 octobre, le Hamas passe de la reconquête à la terreur de masse. Il diffuse une vidéo, authentifiée par plusieurs médias, montrant l’exécution par balle dans la nuque de huit hommes ligotés, agenouillés et les yeux bandés. Les victimes, désignées comme des « collabos » ou des « hors-la-loi », sont abattues sous les yeux de civils contraints d’assister à la scène.

Le 15 octobre, de nouveaux rapports font état d’exécutions publiques et de raids armés menés par le Hamas contre des familles considérées comme dissidentes ou soupçonnées d’avoir soutenu des factions rivales. En moins d’une semaine, Gaza a ainsi connu une série de violences internes destinées à réprimer systématiquement toute structure non alignée sur le Hamas, avec un bilan de plus d’une centaine de morts. Sûr de lui et en passe de redevenir dominateur, le mouvement islamiste peut dès lors se tourner vers son grand rival dans la bande de Gaza : l’État juif.

19 octobre, le jour où l’édifice diplomatique a failli s’effondrer

Le 19 octobre, dix jours après l’entrée en vigueur du cessez-le-feu, deux soldats israéliens sont tués près de Rafah, lors d’une attaque menée par des cellules encore actives du Hamas dans les ruines de cette zone frontalière avec l’Égypte. La gravité de l’incident provoque immédiatement une réaction de Tsahal. Israël suspend, puis rétablit partiellement l’acheminement de l’aide humanitaire. Certains de ses ministres appellent à considérer le plan Trump comme caduc et à reprendre la guerre. Le Hamas nie aussitôt toute responsabilité, mais il est tout simplement inimaginable que le mouvement islamiste, qui a repris avec une telle brutalité le contrôle de Gaza, ait laissé un groupe armé prendre de sa propre initiative le risque de torpiller le cessez-le-feu.

Cet incident, et la perspective de voir l’édifice diplomatique s’effondrer, ont poussé Washington à dépêcher en Israël en mission qualifiée par la presse israélienne de « Bibi Sitter » le vice-président J. D. Vance, accompagné des deux négociateurs en chef, Steven Witkoffet Jared Kushner. Le trio a contraint Netanyahou au cessez-le-feu, mais les Américains savent que le plan Trump, très avantageux pour Israël, déplaît souverainement au Hamas. Ils savent aussi que, pour Erdogan par exemple, le fait que le Hamas grignote sa voie vers le statu quo ante 7-Octobre n’est qu’une adaptation naturelle du plan Trump à la réalité du terrain. Israël se trouve donc acculé par ces grignotages à des choix binaires : rompre ou avaler la potion amère. Ainsi, même si pour le moment, la coordination entre les États-Unis et Israël se déroule comme prévu (avec la participation active des Britanniques présents en Israël, dévoile The Times), le grignotage constant du Hamas met ces mécanismes à l’épreuve.

En Israël, les principales craintes concernent un désaccord sur les lignes exactes où se déploiera Tsahal, les règles d’engagement ainsi que sur sa liberté d’imposer des sanctions au Hamas en contrôlant – et au besoin en réduisant – le flux de l’aide. Israël s’attend donc à des pressions constantes pour « laisser passer, laisser couler » face à « de petites violations » ou « des infractions mineures ». On l’a vu le 28 octobre, après un tir de roquette sur un engin de Tsahal qui a tué un soldat. Face à cette violation flagrante, les Américains ont certes soutenu une réplique israélienne conséquente, mais ils se sont hâtés de refermer la parenthèse et de proclamer que le cessez-le-feu était toujours en vigueur. À l’évidence, si les intérêts de Washington et Jérusalem convergent largement, surtout sur le long terme, ils ne sont pas toujours identiques. Notamment autour du rôle que pourrait tenir Ankara dans « le jour d’après » à Gaza.

Pour Israël, qui voit en Erdogan un adversaire stratégique en Syrie et dans le bassin oriental de la Méditerranée ainsi qu’un soutien du Hamas et des Frères musulmans, il n’est pas question que des militaires turcs stationnent sur sa frontière. Pour Trump en revanche, Erdogan est un garçon formidable avec lequel les États-Unis entendent faire des affaires. Certes, lors d’une conférence de presse sur la base américaine de Kiryat Gat (sud d’Israël), J. D. Vance a promis que l’administration n’imposerait pas à Israël la composition de la force qui sera déployée à Gaza pour superviser l’application du cessez-le-feu. Mais en réalité, il entend bien laisser la Turquie y jouer « un rôle constructif ».

Au moment où nous bouclons, le Hamas détient toujours les corps de 12 otages. En exerçant sa terreur sur la population, il espère devenir le partenaire incontournable de la reconstruction de Gaza. Seulement, cette ambition se heurte à un obstacle de taille. Les gigantesques et très coûteux projets de reconstruction (et donc sa future pompe à fric) ne débuteront que si les puissances sollicitées pour les financer (l’Arabie saoudite, les Émirats et le Qatar) sont assurées de l’autorisation d’Israël, dont l’armée est capable de tout anéantir en quelques heures.

Une évolution à la libanaise ?

C’est donc le début d’une partie qui promet d’être longue et très serrée. La supposée force de sécurité à Gaza sera-t-elle déployée ? Selon Donald Trump, tout est prêt et les participants trépignent d’impatience. Il a ainsi écrit sur son réseau Truth Social : « Nombre de nos désormais GRANDS ALLIÉS au Moyen-Orient [Qatar, Arabie saoudite, EAU et Turquie, NDLR], et dans les régions voisines [Azerbaïdjan et Pakistan, NDLR], m’ont […] fait savoir qu’ils accueilleraient favorablement l’opportunité, à ma demande, d’entrer à GAZA avec une force importante pour “remettre le Hamas dans le droit chemin”, si celui-ci continue à se comporter mal, en violation de son accord avec nous. […] Il reste encore l’espoir que le Hamas fasse ce qu’il faut. S’il ne le fait pas, la fin du Hamas sera RAPIDE, FURIEUSE et BRUTALE ! »

Pour le moment, cette déclaration n’a pas plus de poids que la promesse de transformer Gaza en Riviera. Car même si cette force voyait le jour et le terrain de Gaza, elle pourrait bien ressembler à la Finul, déployée au Liban en 1978 et devenue, après quelques attentats contre ses Casques bleus, la caution du Hezbollah au Sud-Liban.

Donald Trump et le président indonésien Prabowo Subianto au sommet international sur Gaza, Charm el-Cheikh, 13 octobre 2025. (C) Suzanne Plunkett/Pool Photo via AP/SIPA

Une évolution « à la libanaise » n’est donc pas du tout exclue. Dans le rôle du Hezbollah, le Hamas assurerait la « résistance » contre « l’ennemi sioniste ». Dans ce scénario, le mouvement palestinien contrôlerait le territoire sans participer directement à son gouvernement, tout en captant une part de la manne économique destinée à la reconstruction.

Face à ces manigances, Israël dispose de deux cartes maîtresses pour empêcher la libanisation de Gaza et sauver l’esprit des 20 points : son armée occupe plus de la moitié de la bande de Gaza, désormais divisée en deux par la « ligne jaune », et surtout, l’État juif pourrait à tout moment, face à un réarmement du Hamas (et non pas une simple violation du cesser-le-feu) jugé insoutenable, réagir par la force et, le cas échéant, détruire tout début de reconstruction émergeant du sol.

Et ce n’est nul autre que Jared Kushner qui a explicité cette menace. Le 23 octobre, en réponse à un journaliste d’Haaretz, le gendre de Donald Trump a annoncé que les États-Unis envisageaient de commencer la reconstruction des zones sous contrôle israélien, précisant qu’« aucune reconstruction n’aurait lieu dans les zones encore sous le contrôle du Hamas ». Si cette promesse est tenue, le Hamas, sans les armes stratégiques et les ressources nécessaires pour jouer au grand jeu, serait condamné à n’être plus que le premier gang de Gaza. Sans capacité de distribuer des logements et du travail, sans pouvoir reconstruire des infrastructures et avec des soldats israéliens sur le sol de Gaza, le mouvement islamiste perdra sa légitimité populaire. Surtout si, à quelques centaines de mètres, dans le périmètre occupé par Israël, les travaux avancent.

Autrement dit, sauf coup de théâtre, le Hamas conserve le pouvoir de nuire, pas celui de faire danser toute la région au rythme de ses lubies meurtrières. De ce point de vue, la situation stratégique d’Israël s’est nettement améliorée par rapport au 6 octobre 2023. L’affaiblissement réel et significatif du Hezbollah, du Hamas, de l’Iran et la Syrie, ouvre des perspectives prometteuses dans la région et au-delà. Et le plan Trump a au moins un mérite : Israël a pu prendre ses gains et quitter la table pour convertir les jetons gagnés par la force en monnaie diplomatique. Cependant, la fenêtre d’opportunité ne restera pas ouverte indéfiniment. Et pendant ce temps, la crise politique déclenchée par la réforme judiciaire continue de diviser le pays et de fragiliser ses institutions. Alors que les élections n’auront probablement lieu que dans un an, on peut aussi compter sur les Palestiniens de Cisjordanie et sur les colons pour jeter de l’huile sur les braises.

Reste à espérer que l’Etat hébreu jouera finement de cette position de force et saura tirer parti des tensions, bien réelles et promises à s’intensifier, au sein de la société gazaouie, qui commence seulement à réaliser la catastrophe qu’elle vient de vivre. À Gaza, le « jour d’après » risque fort d’être un jour sans fin.

Chili: le retour par procuration de Pinochet

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L'ultraconservateur Jose Antonio Kast à Santiago,11 novembre 2025 © Cristobal Basaure Araya //SIPA

Le conservateur José Antonio Kast affrontera Jeannette Jara au deuxième tour. Il est favori.


Les élections générales (présidentielle, législatives et sénatoriales) qui se sont tenues dimanche 16 novembre au Chili ont confirmé un net basculement à droite, voire à l’extrême droite, de l’Amérique du Sud. Sauf très improbable revirement de l’électorat, le candidat de celle-ci, José Antonio Kast, avocat de 59 ans, est en « pole position » pour l’emporter au second tour de la présidentielle prévu le 14 décembre, auquel seront à nouveau appelés les 15 millions d’électeurs. Le vote est obligatoire.

Une gauche unie au premier tour

Certes, sa rivale Jeannette Jara, 51 ans, également avocate, communiste, désignée candidate de toute la gauche à l’issue d’une primaire allant des démocrates-chrétiens au PC — à l’exception des écologistes et des régionalistes — et ex-ministre du Travail du gouvernement actuel (elle a démissionné pour pouvoir se présenter), est arrivée en tête du premier tour avec 26,85 %. Un résultat en réalité décevant : les sondages lui donnaient jusqu’à 33 %. Elle a fait le plein des voix de gauche et ne dispose dès lors pratiquement pas de réserves de voix pour espérer être élue. Avec ses 23,92 %, M. Kast arrive second et la talonne. En outre, il a fait quatre points de mieux que ce que lui attribuaient les mêmes prédictions.

Pour que la candidate de gauche gagne, il faudrait qu’elle capte la totalité des 19,7 % recueillis par le candidat populiste plutôt classé à droite, Franco Parisi, dit « l’économiste du peuple », un ingénieur commercial de 51 ans, ainsi que les suffrages de trois autres candidats qui totalisent moins de 4 %.

Arrivé troisième, M. Parisi est la petite surprise de ce scrutin. Les prévisions lui attribuaient cinq points de moins que le score obtenu, mais surtout le classaient en quatrième position derrière un postulant libertarien, Johannes Kaiser, 49 ans, personnage fantasque aux multiples professions successives, se voulant la réplique du président argentin Javier Milei de ce côté-ci des Andes.

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À la différence de Kaiser, qui avait fait savoir d’avance que s’il n’accédait pas au second tour il appellerait ses partisans à reporter leurs suffrages « sur tout autre candidat qui ne soit pas la communiste Jara », M. Parisi, lui, s’est borné à dire qu’il revenait aux deux rivaux en lice « de gagner les faveurs de ses électeurs ». Lors de la présidentielle de 2021, où il avait déjà terminé à la troisième place, il avait appelé à voter, au second tour opposant l’actuel président Gabriel Boric — d’une gauche radicale s’apparentant à une France insoumise plus policée — à ce même Kast, pour ce dernier. Dès lors, même s’il laisse cette fois la liberté de vote à ses électeurs, il est probable que la majorité d’entre eux ne se reporte pas sur la candidate de gauche…

La candidate de la droite traditionnelle, Evelyn Matthei, ancienne ministre du Travail, économiste de 72 ans, dont le père, général, fut membre de la junte militaire pendant la dictature d’Augusto Pinochet, est arrivée quatrième avec seulement 12,47 %. Autrement dit, M. Kast a siphonné un bon quota de voix de cette droite traditionnelle, laquelle avait pris ses distances avec la dictature de Pinochet sans toutefois rompre avec les fondements économiques et institutionnels de celle-ci — comme, par paradoxe chilien, une grande partie de la gauche.

Si, à la mi-décembre, les urnes n’infirment pas la logique du premier tour, l’élection de M. Kast sera plus qu’une victoire de l’extrême droite : elle constituera en quelque sorte le retour par procuration du général Pinochet.

Un héritier

Lorsqu’il avait postulé pour la première fois à la magistrature suprême, en 2017, en indépendant, il n’avait obtenu que 7,9 %. M. Kast se réclamait alors ouvertement de ce dernier. À sa seconde tentative, en 2021, après avoir créé deux ans auparavant le Parti républicain, inspiré du modèle américain, et obtenu 44 % au second tour, il revendiquait toujours cette filiation. Même s’il s’est montré plus discret à ce propos cette fois-ci, il n’en demeure pas moins que, pour l’opinion publique chilienne, il reste l’héritier putatif de Pinochet.

Son frère Miguel fut ministre sous la dictature puis directeur de la Banque centrale. Cadet d’une famille de neuf enfants, José Antonio Kast avait 7 ans lors du coup d’État militaire de 1973 qui porta Pinochet au pouvoir, et 20 ans quand celui-ci le céda à la suite d’un référendum perdu. Le fait que son père ait été soldat de la Wehrmacht durant la Seconde Guerre mondiale, membre du parti nazi (mais qui ne l’était pas à cette époque en Allemagne ?), exilé en 1950 comme beaucoup d’autres dans ce pays andin abritant depuis la fin du XIXᵉ siècle une forte communauté germanique et serbo-croate, n’a pas interféré dans la campagne1.

C’est au contraire M. Kast qui a donné le tempo de la campagne électorale en promettant une main dure contre l’insécurité et l’immigration, à telle enseigne que la candidate de gauche a été contrainte de s’y rallier peu ou prou, ajoutant qu’elle était en revanche « pour la sécurité des fins de mois et de l’assiette pleine ».

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Kast s’est engagé à construire, à l’instar de Donald Trump, un mur le long des frontières bolivienne et péruvienne pour endiguer le flot migratoire, à expulser tout délinquant étranger, à assouplir les règles d’usage des armes à feu par la police, à libéraliser leur port pour les civils, et envisage la construction d’une méga-prison sur le modèle salvadorien du président Nayib Bukele, qui fait école en Amérique latine. Très catholique, il s’est prononcé contre l’avortement, y compris en cas de viol ou de danger pour la femme. Il veut réintroduire l’enseignement facultatif de la religion dans les écoles publiques.

Mais surtout, sur le plan économique, il entend renouer avec les préceptes de l’ultralibéralisme prôné par l’école de Chicago de Milton Friedman, que Pinochet appliqua scrupuleusement. En somme, son ambition est de mettre un terme au cycle de 35 ans d’hégémonie politique du centre-gauche qui a suivi la fin du régime militaire en 1990, à l’exception de deux intermèdes de droite traditionnelle (2010-2014 et 2018-2022) sous les présidences de Sebastián Piñera.

Faute de majorité parlementaire, ce dernier ne put rompre, comme il s’y était engagé, avec la politique d’un régime où alternaient à la tête d’un État très centralisé un démocrate-chrétien puis, la fois suivante, un socialiste, sans que rien ne bouge réellement… C’est cet immobilisme qui a suscité une forme de dégagisme lors du scrutin de dimanche : les trois partis de droite incarnés par Kast, Kaiser et Matthei forment déjà un bloc parlementaire disposant d’une majorité absolue. Il ne leur manque plus que la présidence, qui ne devrait pas leur échapper.

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  1. Point que Libération s’est empressé de mettre en exergue dans son titre lundi, dans l’intention bien entendue maligne de dire : « tel père, tel fils. » ↩︎

Patriarcat acoustique

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La députée d'extrème gauche Sandrine Rousseau © Stephane Lemouton/SIPA

Le député ciottiste Gérault Verny regrettera longtemps d’avoir osé demander à Sandrine Rousseau de parler moins fort dans l’hémicycle. «Sexisme» caractérisé !


En 2025, au nom d’un féminisme de combat façon opéra-bouffe, un député n’a même plus le droit de demander poliment à une collègue de baisser un peu le volume. Résultat : un drame.

Acte I La tempête

Sandrine Rousseau, fidèle à son style habituel, se lance dans un discours dont l’intensité acoustique effarante ferait reculer une fanfare militaire prussienne composée au bas mot de dix trompettes, quatre cors et cinq trombones et couvrirait facilement le bruit au décollage d’une fusée Ariane 5.

Les députés encaissent stoïquement. Souffrance générale, y compris au-delà des bancs de la droite.

Acte II Le crime

Un député UDR, resté parfaitement calme, se risque au micro à un timide :

« Madame, pourriez-vous éviter de hurler ?… »

Il n’a même pas dit « gueuler »…

Mais c’est un sacrilège suprême. Violence sexiste ! Le malheureux n’a probablement jamais été initié aux arcanes subtils du féminisme contemporain. Tremblement de terre en vue.

Acte III La Prêtresse

La présidente de l’Assemblée Madame Braun-Pivet se redresse, se crispe, sa tête gonfle, se teinte d’un rouge solennel, et, tremblante de colère, elle lance aussitôt l’anathème suprême : « Sexisme ! … C’est insupportable ! … C’est une honte ! » Le tout avec la ferveur d’une gardienne du Temple surprise à l’heure de la sieste.

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Tout le monde sent que la Grande Prêtresse va sévir d’importance, d’autant que la brebis galeuse hérétique est estampillée UDR, c’est-à-dire crypto-RN. Autant dire qu’elle lui octroie le niveau de moralité d’un tueur en série de petites filles buveur de sang.

On peut tout faire dans son hémicycle, mais il y a des limites.

Acte IV — La sentence

Le député néophyte, blanc comme un enfant de chœur fraîchement peigné pour la messe, innocent et candide comme une mariée en porcelaine rose sortie de sa vitrine, reçoit un sévère rappel à l’ordre avec inscription au procès-verbal. Mme Braun-Pivet le foudroie du regard, le menton encore agité de trémulations.

Au moment où elle prononce « rappel à l’ordre, inscription ! », le député perd cinq centimètres de hauteur. Mais son regard de bébé phoque abandonné sur la banquise ne trompe personne à gauche… ce sale bonhomme a voulu rabaisser une pauvre femme, déjà objet d’une oppression patriarcale séculaire. Ordure ! Facho ! La sanction maximale pour cette faute impardonnable est justifiée.

Le député de droite a-t-il vraiment cru, dans un moment d’égarement, que l’Assemblée nationale était encore un lieu où l’on pouvait demander calmement à une femme de ne pas hurler dans l’oreille interne de ses camarades d’infortune ?

Épilogue

On peut tout faire dans l’hémicycle : crier, invectiver, s’enflammer, déployer un drapeau palestinien, injurier, être fiché S, faire le geste du sourire kabyle, pousser des cris d’animaux, rouler un joint, dormir avachi, se gratter les parties ostensiblement… Etc. Mais demander courtoisement à une femme de baisser d’un ton ? Ça, non. Agression caractérisée, coup d’État patriarcal, transgression ultime avant féminicide programmé.

Et Mme Braun-Pivet de se rengorger sous la salve d’applaudissements de toute cette gauche… dont l’amour lui manque parfois.


https://www.youtube.com/watch?v=ZxE2roVQe9U

13-Novembre / 7-Octobre: une cause, deux effets

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Place de la République, Paris, 13 novembre 2025 © Gabrielle CEZARD/SIPA

Dans la fascination de nombreux jeunes Occidentaux pour Gaza, il y a quelque chose qui dépasse la politique, et même la raison.

Une sorte de fièvre, le mirage d’une génération en quête de sens qui croit le trouver dans les ruines d’une ville détruite par l’attaque insensée du Hamas. Ils voient dans la souffrance palestinienne un miroir, celui de toutes les injustices qu’ils portent confusément en eux. Privés d’horizon, ils cherchent dans la douleur de l’Autre une transcendance instantanée. C’est l’explication romantique.

Ils ne connaissent pourtant presque rien du Proche-Orient, de ses guerres, des refus arabes, du fanatisme qui y progresse comme un incendie. Ils n’ont pas besoin de savoir, une image suffit. Un enfant couvert de cendres et de poussière, un immeuble effondré, et l’histoire entière semble tenir dans ces clichés. Nous vivons un temps où l’on a troqué la connaissance pour l’émotion. De nos jours, l’indignation se consomme comme un divertissement, portée par de faux chiffres, de fausses photos, et quelques vraies manipulations.

Surjouée par les politiciens professionnels de l’agitprop, cette émotion a la mémoire courte. Les mêmes jeunes qui manifestent aujourd’hui pour Gaza ont presque oublié ce qui s’est passé chez eux, un soir de novembre 2015. Des bistros et une salle de concert parisiens transformées en abattoir parce qu’on y buvait en terrasse, ou qu’on y écoutait du rock metal. Personne n’avait alors cherché d’excuses aux tueurs, ni blâmé la coalition occidentale pour avoir rasé Mossoul.

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Huit ans plus tard, le 7 octobre 2023, des djihadistes du même acabit ont massacré, torturé, enlevé – avec la même haine du monde démocratique et ouvert. Mais cette fois, une partie de notre jeunesse n’a pas vu les victimes israéliennes, elle n’a vu qu’un récit binaire, des opprimés qui se rebiffent. Là où elle savait reconnaître un massacre, elle a trouvé des justifications.

Ce brouillage moral est le symptôme d’un temps qui préfère le symbole au réel. Le temps d’un racialisme renouvelé et d’un postféminisme paradoxal qui, à l’université, ont trouvé une synthèse dans une idéologie intersectionnelle, islamophile et antisioniste, cache-sexe de l’antisémitisme. Les Frères musulmans – généreusement financés par le Qatar – et les réseaux proches de Téhéran ont compris ce qu’ils pouvaient tirer d’une génération déboussolée. Ils lui offrent une cause prête-à-porter, une indignation low cost, un destin sans risque. Hier, le Che offrait l’aventure par procuration ; aujourd’hui, la Palestine offre l’illusion de la révolte sur Instagram, sans quitter son confort. Une révolte au service du patriarcat le plus archaïque, de l’asservissement des femmes, de la répression des homosexuels et de l’élimination des opposants.

On ne peut reprocher à personne d’aimer la justice. Mais la justice commence par un constat simple : la première victime de l’islamisme au pouvoir à Gaza n’est pas Israël mais la population de Gaza elle-même, prise en otage par une idéologie mortifère qui la dévore, la surveille, l’endoctrine, et transforme chaque mort en argument. Boucliers humains voués, contraints et forcés, au martyr.

Dans ce théâtre de la compassion sélective, l’Etat hébreu paie le prix d’être un pays trop moderne, trop techno, trop occidental, trop complexe. La Palestine, elle, est devenue un mythe commode. On oublie qu’il n’y a pas de justice dans les mythes. La justice commence là où s’arrête le mensonge.

Égalitarisme: Dostoïevski précurseur…

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DR.

Une pensée du génial écrivain russe, citée dans le dernier livre de Franz-Olivier Giesbert, m’a saisi par son absolue modernité, au point même d’annoncer ce qui allait bientôt survenir de pire dans notre société.

« La tolérance atteindra un tel niveau que les personnes intelligentes seront interdites de toute réflexion pour ne pas offenser les imbéciles ».

On n’en est pas encore là, mais cela viendra, car il devient difficile de résister à l’absurdité quand l’impuissance sert d’alibi aux dérives les plus inacceptables. Il n’y a vraiment pas de quoi rire avec la tolérance dénoncée par Dostoïevski, elle n’a rien à voir avec la saillie de Paul Claudel: « La tolérance, il y a des maisons pour ça ! »

Une plaie

La tolérance que dénonce le prophétisme de Dostoïevski renvoie à ce que nous observons aujourd’hui, dans le grave comme dans le ridicule: un refus obsessionnel de la moindre discrimination, dont l’ambition perverse est de tout niveler, d’égaliser, d’abaisser ce qui dépasse, de blâmer ce qui éblouit, et d’ériger la grisaille en unique philosophie acceptable.

Je suis convaincu qu’il ne faudra plus longtemps pour que l’évolution générale de notre démagogie nous conduise, pour ménager les imbéciles, à cesser de mettre en valeur « les personnes intelligentes ». À certains égards, toutes proportions gardées, c’est déjà la plaie de notre système scolaire, qui préfère abaisser le niveau global plutôt que de laisser apparaître une discrimination jugée intolérable entre bons et mauvais élèves. Il s’agit moins de favoriser l’excellence – tout en accompagnant les bonnes volontés limitées – que de veiller surtout à ne jamais désespérer la médiocrité.

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Ce délire de la non-discrimination touche désormais tout ce qui est vivant : les animaux – jusqu’aux rats qu’il faudrait soudain réhabiliter – les plantes, la nature majestueuse, passive et intouchable, tout ce qui existe sous le soleil. Et, bien sûr, l’être humain est particulièrement visé : il ne pourrait se prévaloir pleinement de cet attribut qu’à la condition d’avoir poussé l’humilité si loin que toute supériorité, même la plus légitime, en serait éradiquée.

Prenons aujourd’hui le triomphe de certains humoristes, portés paradoxalement par la qualité de ceux qui les écoutent ou les critiquent : parce qu’ils sont mauvais, qu’ils ne font pas rire, qu’ils pratiquent une politique de comptoir, que, par exemple, ils comparent la police ou la gendarmerie à Daech (Pierre-Emmanuel Barré sur Radio Nova1), et qu’ils doivent rire eux-mêmes de leurs plaisanteries faute d’avoir su les faire partager, on les porte aux nues. Leur réserver un autre sort serait, paraît-il, leur infliger une intolérable discrimination !

Les médiocres promus

Aujourd’hui, nous vivons presque exactement ce que Dostoïevski annonçait avec une foudroyante lucidité. On se moque plus volontiers de l’intelligence attribuée à quelqu’un – quel que soit le jugement que l’on porte sur lui par ailleurs – qu’on ne la salue. Comme s’il était devenu indécent de célébrer cette disposition désormais jugée suspecte, de peur de créer un hiatus choquant au sein du monde humain.

Ce fléau de la non-discrimination est tel que, dans l’univers politique, il explique en grande partie l’indifférence croissante envers la moralité publique. Dans un monde digne de ce nom, les vertus et les vices seraient clairement distingués, tout comme les condamnations et les innocences, les soupçons et les honnêtetés, l’éthique et les transgressions. Aujourd’hui, c’est l’inverse : pour éviter d’exercer une scandaleuse discrimination au détriment des ombres, on en vient à postuler que les lumières sont inconcevables. D’où la multiplication, à tous les niveaux, de candidatures, de fonctions et d’ambitions qui, loin d’être freinées par leurs imperfections pourtant évidentes, en tirent au contraire une forme de légitimation.

Dostoïevski est un génie. L’écrivain universel comme le prophète sombre…

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  1. https://www.europe1.fr/emissions/L-invite-de/la-police-et-la-gendarmerie-cest-daesh-avec-la-securite-de-lemploi-laurent-nunez-porte-plainte-contre-lhumoriste-pierre-emmanuel-barre-871495 ↩︎

Pas d’eau pour le G20?

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Derniers préparatifs avant le G20 à Johannesburg, 14 novembre 2025 © Jerome Delay/AP/SIPA

Trop occupé à militer pour la Palestine, l’ANC, qui dirige la plus grande ville d’Afrique du Sud Johannesburg, a terriblement négligé le réseau de distribution de l’eau.


Les 22 et 23 novembre prochains, Johannesburg accueillera le G20. Annoncé comme « historique » par les autorités sud-africaines, le sommet sera guidé par le slogan « égalité, solidarité, durabilité ». En dépit de ces belles intentions, des petits fours et des jolies hôtesses corsetées qui les accueilleront, les grands de ce monde pourraient bien se trouver face à un problème de taille : les robinets à sec.

Depuis plusieurs mois, des quartiers entiers de la World class african city, selon le slogan fanfaronné par les autorités, sont régulièrement à court d’eau. Dans des quartiers tels que Soweto, Bertrams, Randburg ou Alexandra, les coupures durent parfois plusieurs semaines, obligeant les habitants à acheter de l’eau en bouteille pour se doucher ou pour tirer la chasse. Jusqu’à présent, Dada Morero, maire de la ville affilié à l’ANC (Congrès national africain), se contentait d’incriminer les mauvais garçons sabotant les réservoirs ou le changement climatique. Mais le 19 septembre, à la suite de manifestations d’habitants du quartier de Coronationville n’ayant plus d’eau depuis des semaines, le maire est passé aux aveux : 4 milliards de rands (200 millions d’euros) alloués par le budget à l’eau ont été détournés pour d’autres dépenses.

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Outre la méfiance grandissante à l’égard des autorités, les conséquences de cette mauvaise gestion sont lourdes sur le plan économique : des entreprises, des écoles, des bibliothèques ou des bureaux doivent régulièrement fermer leurs portes. Jusqu’à présent cantonné aux quartiers pauvres, le syndrome des “robinets à sec” frappe désormais les quartiers “blancs” tels que Sandton. De nombreux observateurs pointent la gestion catastrophique des structures aquatiques de la ville depuis 25 ans.

Candidate aux élections municipales de 2026, Helen Zille, affiliée au parti de droite Alliance Démocratique, a promis de remettre les robinets en état de marche. De son côté, Dada Morero semble avoir une autre priorité : sauver la Palestine.

Pourquoi la France peut être sauvée par les ingénieurs

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Amélie de Montchalin et Sébastien Lecornu, Paris, 17 novembre 2025 © Stephane Lemouton/SIPA

La France est dirigée par des juristes, des littéraires, des commerciaux et des financiers. Les ingénieurs sont en revanche écartés des grandes décisions. Une situation regrettable.


Dans son best-seller publié en 2023, Les ingénieurs du chaos, Giuliano da Empoli a mis en lumière le rôle délétère de nouveaux conseillers politiques dans les sphères du pouvoir, qui sapent les fondements des démocraties occidentales. Pourtant, aucun d’entre eux n’est de fait ingénieur. Mais, le concept de Giuliano da Empoli est opérant car il s’agit d’ingénierie institutionnelle. S’ils avaient été de réels ingénieurs, au sens scientifique et industriel du terme, ils auraient produit du développement économique et social positif et non du chaos institutionnel.

La France est aujourd’hui avant tout dirigée et/ou animée par des juristes, des littéraires, des commerciaux et des financiers. Ceux-ci sont tout à fait respectables, avec des qualités personnelles éminentes, là n’est pas la question. Pêle-mêle, citons Emmanuel Macron, Yaël Braun-Pivet, Richard Ferrand, François Bayrou, Édouard Philippe, Laurent Wauquiez, Bruno Retailleau, Marine Le Pen, Bruno Le Maire, Olivier Faure ou Boris Vallaud.

18 députés seulement !

Les derniers grands dirigeants français à avoir été ingénieurs sont Alain Poher, Valéry Giscard d’Estaing et Elisabeth Borne. C’est un peu court. Citons aussi, pour être exhaustif, Julien Denormandie qui aurait pu être Premier ministre (mais qui ne l’a pas été : c’est en fait un contre-exemple éclairant sur la place réduite des ingénieurs en France dans l’exercice du pouvoir). Au sein du présent gouvernement, on recense quatre ingénieurs : Roland Lescure, Jean-Pierre Farandou, Philippe Baptiste et Maud Brégeon, soit une proportion de 12% des ministres du gouvernement Lecornu II.

Si l’on examine le Parlement français actuel, sur 577 députés, il y a 18 ingénieurs, soit 3% de l’Assemblée nationale. La proportion est encore plus faible au Sénat : 8 ingénieurs, soit seulement 2% de la haute assemblée composée de 348 membres.

Si l’on se réfère à la population active (30,6 millions d’individus), les 1,2 million d’ingénieurs en représentent 4%. La comparaison la plus pertinente doit cependant se faire avec la population des cadres et assimilés : 5,2 millions de personnes au sens du BIT (Bureau International du Travail). Les ingénieurs correspondent donc à 23% des cadres et assimilés. Pour mémoire, 40 000 ingénieurs sortent chaque année des écoles françaises, ce qui n’est pas mal en Europe mais sans surprise bien en dessous de l’Inde et de la Chine.

La Chine formerait ainsi 1,5 million d’ingénieurs par an mais en réalité on décompte 3,5 millions au moins de professionnels dans le secteur élargi de l’ « ingénierie ». L’Inde aurait de son côté entre 700 000 et 1,5 million d’ingénieurs formés par an. En tout état de cause, beaucoup plus que la France et l’Europe. Il se dit incidemment que le comité central du Parti communiste chinois comporte une bonne proportion d’ingénieurs… Enfin, point positif, il faut noter que Centrale Pékin a été créée en 2005 et forme une centaine d’ingénieurs d’excellence par an – les meilleurs, paraît-il. Donc le modèle d’ingénieur français essaime.

Le blues de l’ingénieur français

Pour revenir à notre France, ceci signifie que les ingénieurs sont 8 fois moins bien représentés que les autres à l’Assemblée nationale et 11 fois moins bien représentés au Sénat (étant observé par ailleurs qu’il n’y a quasiment plus d’ouvriers au Parlement). Ils ne sont que 2 fois moins bien représentés au sein du gouvernement, mais 3,5 fois moins bien représentés que dans les grandes sociétés françaises. Ce n’est dès lors pas étonnant que 84 % des ingénieurs en France ne croient pas en la reconquête industrielle du pays (IFOP-Arts et Métiers, septembre 2025). Depuis l’année dernière, les fermetures d’usines en France l’emportent en effet sur les ouvertures. Le choix du sommet Choose France 2025, cette fois-ci exclusivement réservé aux annonces d’investissements réalisés par des entreprises françaises, probablement parce que les bonnes volontés étrangères pour s’implanter en France actuellement ne sont pas légion, ne manque pas de nous interpeller. 

Le chaos institutionnel auquel les Français assistent, sidérés, à l’Assemblée nationale ces temps-ci, s’explique aussi par la faible proportion de députés imprégnés de scientificité. Les incohérences intrapartisanes et transpartisanes, qui sont le lot quotidien de la vie parlementaire d’aujourd’hui, seraient infiniment moins nombreuses sur les sujets quantitatifs que sont les lois de finances et de Sécurité sociale avec une représentation parlementaire équilibrée en termes d’ingénieurs par rapport à la population. On peut donc dire que ce problème de faible représentation des ingénieurs est donc désormais celui de tous les Français, malheureusement.

La désindustrialisation française trouve principalement son origine dans la faible représentation des ingénieurs dans la classe dirigeante politique française

La France a vu, en quatre décennies, la part de son industrie dans l’économie passer de plus de 20% à moins de 10%. Il n’y a pas de consensus sur les données statistiques mais les grandes masses sont exactes.

Les raisons de ce déclin sont multiples mais, au premier chef, il y a l’absence de vision stratégique de long terme et stable de l’État concernant l’industrie et l’énergie, à la différence des grands programmes américains et chinois. Évidemment, le poids des charges sociales et des impôts de production plombant la compétitivité nationale, la complexité croissante des procédures et normes administratives ou la désaffection pour les métiers industriels au profit des services, largement issue des biais de notre système éducatif, n’ont pas aidé.

Il convient aussi d’égrener quelques mesures anti-industrie emblématiques de la période : la retraite à 60 ans en 1981, la C3S (la bien mal nommée Contribution sociale de solidarité) en 1992, le déplafonnement de l’ISF en 1995, les 35 heures en 2000, l’absence de soutien gouvernemental à des fleurons industriels français (Péchiney, Alcatel, Alstom, Lafarge,…) ou le gel du programme nucléaire français, avec l’acmé de la fermeture de Fessenheim. Il est vrai qu’Emmanuel Macron, pourtant inspecteur général des finances, a été recalé deux fois à Normale Sup Lettres, pour insuffisance flagrante à son option « Mathématiques ». Pas étonnant que l’on se retrouve avec plus de 1000 milliards d’euros de dette supplémentaire en sept ans, pour rien… 

La classe dirigeante politique française n’a pas su et, en fait, n’a jamais vraiment voulu contribuer à la mise en place de grands programmes stratégiques industriels et énergétiques efficients, à la différence des États-Unis (DARPA, IRA) et de la Chine (plans quinquennaux). Il ne s’agissait pas de reproduire le programme nucléaire gaulliste et pompidolien ou le TGV giscardien des années 60/70 mais de s’adapter à la nouvelle donne géostratégique mondiale, multipolaire et hautement technologique de cette première moitié du XXIème siècle, avec l’émergence du Sud global et du mouvement localiste. Le programme Airbus fait exception. Pragmatisme d’ingénieur. 

La succession de programmes du type Plan Machines-outils, Plan Textile, Pôles de compétitivité, PIA (Programme d’investissements d’avenir) 1, 2, 3 et 4 ou France 2030, tous plus ambitieux les uns que les autres, n’arrive pas à cacher la modestie des moyens financiers réellement mobilisés par la sphère publique française. Une dizaine de milliards d’euros pour les meilleures années alors que les besoins sont dix fois plus importants, que les besoins de couverture de la dette publique (plus de 300 milliards d’euros par an) phagocytent l’épargne des Français et que nous subissons les retards coupables de l’Union européenne dans la mise en place d’un véritable marché de capitaux unifié, comme aux États-Unis.

Une bonne synthèse de ces évolutions se trouve dans l’ouvrage La désindustrialisation de la France 1995-2015 de Nicolas Dufourcq, directeur général de la BPI (Banque Publique d‘Investissement), publié en 2024.

Tout le monde se souvient de l’orientation « Fabless » énoncée en 2001 par le président d’Alcatel de l’époque, Serge Tchuruk : l’industrie, c’est dépassé, il ne faut conserver en Occident que les fonctions de recherche, de conception et de commercialisation. Une décennie plus tard, le fleuron des infrastructures télécom français avait disparu façon puzzle, comme diraient les Tontons flingueurs. Même les ingénieurs peuvent donc se tromper, surtout s’ils sont autocratiques et « mainstream » pour leur époque ! Mais aujourd’hui, 17 dirigeants des sociétés du CAC 40 sont ingénieurs, soit plus de 40 % de cette élite économique. Leurs sociétés sont florissantes. Elles bénéficient d’une exposition internationale remarquable et d’une gestion managériale d’ingénieurs hors pair. Quel contraste avec la sphère publique française.

Pour remettre la sphère publique française d’aplomb, il faut donc une démarche d’ingénieur

La reconfiguration de la sphère publique française relève d’une démarche d’ingénieur : « les faits, rien que les faits », diagnostic lucide de la situation, identification des leviers de changement avec une vision de long terme, organisation méthodique des modifications de structure, mise en œuvre déterminée des économies, réallocations des moyens et des investissements d’avenir, capacité à quantifier les situations, pragmatisme en toutes circonstances. 

L’exemple de Vallourec est éloquent. Fondé en 1899, ancienne star du CAC 40 en quasi-faillite en 2022, ce spécialiste mondial des tubes filetés en aciers spéciaux pour forages profonds a été magistralement repositionné en quatre ans par un ingénieur français (Mines de Nancy), riche d’une expérience diversifiée, tant sur le plan sectoriel qu’international. 

Choix de la haute valeur ajoutée, abandon des productions bas et moyen de gamme, poursuite d’une innovation de pointe avec consolidation de sa RD en France (l’excellent crédit d’impôt recherche joue sa partition en France, malgré diverses critiques), localisation de ses usines à proximité de ses clients (États-Unis, Amérique latine, Asie, Moyen-Orient), chiffre d’affaires recentré (baisse d’un tiers), ajustement de ses effectifs (diminués de moitié). La société est ainsi passée d’une dangereuse position de surendettement à une rentabilité canon de +23 % aujourd’hui. Les salariés et les actionnaires se portent bien !

Sans qu’il puisse y avoir bien sûr de transposition des solutions adoptées par Vallourec à la sphère publique française, l’esprit et les méthodes propres aux ingénieurs s’y appliqueraient au plus grand bénéfice des Français.

La France est surendettée, tout le monde le sait. Le déficit budgétaire s’élève à -156 milliards d’euros en 2024, soit près de la moitié des 326 milliards d’euros de recettes fiscales de l’État, cela ne s’invente pas (les recettes fiscales d’un État sont à peu près l’équivalent du chiffre d’affaires pour une entreprise). Le déficit budgétaire global de la sphère publique s’élève quant à lui à -169 milliards d’euros et représente ainsi -10,3 % des 1 502 milliards d’euros de recettes des administrations publiques. Le calcul du déficit budgétaire en pourcentage de PIB (-5,8 % en 2024 au sens de Maastricht) n’est pas, à cet égard, pertinent car il masque l’ampleur du déséquilibre français.

Ainsi, la sphère publique française « perd » chaque année autour de -10 % de ses revenus. François Fillon parlait déjà en 2007 d’un État en faillite, c’était il y a deux décennies. Il avait bien raison et cela a depuis empiré. Aucune entreprise ne peut survivre en perdant chaque année 10% de son chiffre d’affaires. Un État non plus, sauf à perdre sa souveraineté. Attention à la Troïka (BCE, FMI et Commission européenne) ! 

Que donnerait l’application de la méthode Vallourec à la sphère publique française ?

Passons d’abord à l’équilibre des comptes des administrations publiques : ce sont ainsi -170 milliards d’euros de dépenses publiques en moins. Si l’on souhaite aussi réduire les prélèvements obligatoires de deux raisonnables petits points de PIB, soit de 60 milliards d’euros, ce qui devrait être acceptable pour un pays champion du monde de l’impôt, l’effort sur les dépenses publiques, donc y compris les dépenses sociales, doit ainsi porter sur -230 milliards d’euros. Ceci correspond à un effort global de 15,3 % sur les dépenses publiques. Beaucoup moins important que l’ajustement opéré en quatre ans par Vallourec.

En termes d’effectifs, la sphère publique française emploie actuellement 5,8 millions d’agents, titulaires et non titulaires. Si l’on applique une réduction de 15% de ses effectifs, raisonnable dans un univers où l’intelligence artificielle se développe, ce sont 870 000 postes publics qui sont concernés à terme. En prenant un coût moyen complet de 60 000 € par agent, ceci représente une économie de 52 milliards d’euros par an en régime de croisière. Insuffisant donc pour retrouver une position saine pour la sphère publique. La réduction des effectifs publics, que l’on peut considérer comme acceptable socialement et politiquement sur une décennie compte tenu des départs en retraite, ne permet donc pas de régler le « problème structurel d’exploitation » français.

Il reste donc à trouver 180 milliards d’euros complémentaires d’économies sur les dépenses publiques. Ce qui signifie qu’il faudra, soit tailler à la hache dans les services publics et dans les dépenses sociales, soit procéder à des désindexations ciblées sur les dépenses progressivement dans le temps. La croissance nominale, c’est-à-dire incluant la croissance en volume et l’inflation, arme subtile à deux tranchants de la direction du Budget, que les parlementaires commencent juste à comprendre, y contribuera puissamment. Le pragmatisme de l’ingénieur privilégiera les désindexations ciblées, les simplifications procédurales, la suppression d’échelons administratifs et institutionnels ainsi que la priorité à la proximité, avec un vaste mouvement de déconcentration/décentralisation.

Une telle reconfiguration de la sphère publique – pour ne pas parler de restructuration industrielle mais cela en est bien une – ne pourra pas se faire en quatre ans comme pour Vallourec. Une décennie devrait être en l’occurrence l’horizon de temps acceptable, pour tenir compte des équilibres propres à la sphère publique.

Une légitimité démocratique incontestable est enfin appelée à permettre une telle reconfiguration structurelle, forme de pendant de la gouvernance actionnariale pour une entreprise. Seule l’élection présidentielle est à même de porter une telle dynamique gagnante, surmontant les oppositions de tous bords qui ne manqueront pas de se manifester, y compris dans la rue.

Le ou la future président/présidente aura ainsi tout à gagner à intégrer une démarche d’ingénieur dans son pilotage de la France à partir de 2027, avec une détermination sans faille et dans la durée. À défaut de disposer d’un Parlement irrigué par plus de compétences scientifiques et techniques…

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Le retour d’un christianisme musclé?

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Photo modifiée.

Dans une France qui s’archipélise, l’apparition d’une horde de pèlerins néo-chrétienne sur les réseaux sociaux est réjouissante. Mais elle a aussi de mauvais côtés.


Qu’on le regrette ou qu’on s’en réjouisse, le constat est là : la religion semble sortie de la sphère privée et du domaine de l’intime. La mode est à la foi qu’on revendique et qu’on affiche, de manière ostensible voire ostentatoire, en particulier chez les jeunes générations. Le catholicisme ne fait pas exception : c’est ce que j’ai découvert récemment, au fil de mon parcours de catéchumène débuté il y a 16 mois. Déjà en hausse de + 30% en 2024 et de + 45% en 2025, le nombre d’adultes demandant le baptême catholique ne cesse d’augmenter en France. En Belgique, le chiffre a même triplé en dix ans. Parmi ces aspirants catholiques, la part des 18-25 ans affiche une croissance particulièrement spectaculaire, dépassant aujourd’hui celle des 26-40 ans qui représentait jusqu’ici le cœur de cible historique du catéchuménat.

Besoin d’appartenance

Durant ces deux années de préparation au baptême, les catéchumènes d’une même paroisse sont invités à se regrouper lors de journées de rites et de partage. Du haut de mes 37 ans, je me suis vite sentie doyenne de ce groupe constitué en majorité d’étudiants et de jeunes actifs, particulièrement exaltés. Considérant l’excessivité en toute chose comme l’apanage de la jeunesse, je ne me suis d’abord offusquée ni de leur désir commun d’une pratique religieuse plus stricte, ni de leur volonté d’afficher et d’assumer leur religion, qui parfois frôle le prosélytisme. La discrétion ne semble clairement plus être un critère déterminant lorsqu’il s’agit de choisir une croix ou une médaille de baptême. Dans la note de présentation des chiffres du catéchuménat 2025[1], le père Jean-Baptiste Siboulet, du diocèse de Nantes, constate ainsi le nombre croissant de jeunes gens désireux de « faire le Carême ». Il insiste également sur leur « besoin d’appartenance à un groupe ».

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Leurs histoires personnelles se ressemblent : le premier contact avec la foi catholique n’a souvent pas lieu au sein de la cellule familiale ou amicale mais sur les réseaux sociaux par le biais d’influenceurs, qu’ils ne cessent de m’exhorter à suivre. Je découvre ainsi sur Instagram et TikTok un nombre impressionnant d’influenceurs catholiques, majoritairement de moins de 30 ans, essentiellement masculins, parfois prêtres consacrés, mais le plus souvent simples croyants. Ces jeunes hommes, suivis pas des communautés de plusieurs dizaines de milliers de personnes, exposent leur foi, leur quotidien de jeunes chrétiens, commentent l’actualité  mais, de manière plus surprenante, prodiguent des conseils de musculation et de morale. Beaucoup se fantasment missionnaires et entendent vulgariser et propager la parole de Jésus-Christ, en alternant paroles d’Amour universel et vocabulaire guerrier sur fond de culturisme.

Un phénomène qui n’est plus marginal

Comment l’Église catholique réagit-elle à ce phénomène qu’elle ne peut ignorer ? Les 28 et 29 juillet dernier se tenait la première édition du jubilé des « missionnaires digitaux » organisé par le pape Léon XIV, durant lequel celui-ci a appelé les créateurs de contenu à « nourrir d’espérance chrétienne les réseaux sociaux ». Les influenceurs catholiques les plus suivis en Europe sont d’ailleurs des prêtres italiens. Parmi ceux-ci, Giuseppe Fusari, prêtre influenceur aux 66 000 abonnés, surnommé « le prêtre culturiste », n’hésite pas à mettre en avant ses biceps volumineux et tatoués dans ses vidéos. Le curé Don Cosimo Schena, belle gueule et physique de mannequin, est suivi quant à lui par 480 000 personnes. Nous sommes loin de la caricature du curé replet et dégarni façon Don Camillo ou du chrétien souffreteux des romans de Bernanos. Clairement, l’esprit ne semble pas dominer ou, plutôt, la domination de l’esprit semble indissociable de celle du corps.

Sans le savoir, ces néo-chrétiens renouent avec un mouvement religieux né en Angleterre au milieu du xixe siècle appelé « Muscular Christianity », ou « Christianisme musclé », défini par Charles Kingsley, chanoine anglican, comme l’association de la force physique et de la certitude religieuse[2]. La participation à un sport permet d’acquérir et d’assimiler la morale chrétienne, tout en définissant la virilité. Il est intéressant de constater que l’émergence du christianisme musclé a lieu pendant des périodes d’instabilité politique dans le monde anglo-saxon. Ainsi, Thomas Arnold, directeur d’un collège universitaire, théorise à l’époque ce mouvement en expliquant chercher à forger chez les jeunes gens le caractère « dur, moral et chrétien dont ont besoin les futurs dirigeants de la Grande-Bretagne ». Il est question de foi, de devoir patriotique, de discipline, de virilité mais également de beauté morale et physique via des pratiques athlétiques.

Répondre à l’expansionnisme islamique

Sur les réseaux sociaux en 2025, si la question de la morale religieuse est toujours d’actualité, d’autres grandes thématiques peinent à trouver écho dans le cœur des néo-catholiques, en particulier celle du Pardon que ceux-ci associent aisément à de la faiblesse. Il n’est pas plus question de pardonner que de tendre l’autre joue, mais bien de défendre une culture chrétienne française sur fond de patriotisme exacerbé. L’influenceur catho.costaud, simple laïc aux 20 000 followers, nous parle de l’époque des Croisades et enchaîne les prêches : « Nous sommes la lumière, par la Sainte Vierge, par le chapelet, par la prière […] La France ne renaîtra par dans les urnes mais dans les églises ».  La défense du patrimoine culturel français, matériel ou immatériel, est un thème récurrent de ces publications. Dans une France qu’ils considèrent en danger, ces jeunes gens ressentent un réel besoin de répondre à l’expansionnisme islamique par un communautarisme chrétien. Dans cette quête identitaire face à un danger ressenti comme existentiel, certains vont jusqu’à se proclamer royalistes et questionnent la séparation de l’Église et de l’État ou la loi de 1905 sur la laïcité.

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Quel mal pourrait-il y avoir à ce que des jeunes gens en quête de discipline et de sens remplissent à nouveau nos églises, les défendent, exhibent chapelets, bérets et bretelles, fassent de la musculation ou encore se passionnent pour l’histoire de France ?  Il m’a fallu plusieurs échanges avec ces jeunes catéchumènes et néo-catholiques pour comprendre ce qui me chiffonnait dans toute cette exaltation patriotique et religieuse. Ce mouvement, essentiellement porté par des jeunes hommes, se teinte aisément de sexisme, voire de masculinisme. L’avortement y est décrié, la « reconquête » de la France devant également se faire par la natalité. Si la moralité des jeunes hommes transparait dans leur musculature et leur force physique, c’est sur le terrain de la vertu que les femmes sont attendues, même si leur apparence se doit également d’être soignée. La figure traditionnelle de la femme, douce, maternelle, élégante et patriote, est ainsi glorifiée. L’historien George L. Mosse, dans son ouvrage sur la construction de la virilité[3] exposait ainsi que « l’homme, pour prendre conscience de sa virilité, a besoin de la femme, à condition que celle-ci reste vraiment féminine ». Exclues de ce néo-christianisme musclé, les femmes n’en sont pas moins présentes sur les réseaux. Tandis que de nombreux internautes les qualifient en commentaire de « bonnes à marier », le compte Instagram lesfranceries, sur fond de chanson de Charles Aznavour, détaille ainsi la journée dominicale telle qu’elle devrait se dérouler partout en France : messe, balade, chasse, sieste et poulet rôti. Et devinez qui doit préparer ce dernier dans la douce chaleur du foyer ? En ce qui me concerne, je ne m’attendais clairement pas, en retrouvant le chemin de l’église, à ce qu’on me désigne celui du foyer et de la cuisine.


[1] Dossier de presse de l’enquête « Catéchuménat 2025 » : https://eglise.catholique.fr/wp-content/uploads/sites/2/2025/04/Catechumenes_2025_chiffres_Dossier-de-presse-2.pdf

[2] Donald E. Hall, « Muscular Christianity » : Reading and Writing the Male Social Body, Cambridge University Press 1994.

[3] George L. Mosse « L’image de l’homme – L’invention de la virilité moderne » – Editions Abbeville 1997

Taïwan: la Première ministre japonaise met le feu aux poudres

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La Première ministre japonaise Sanae Takaichi écoute le président américain Trump sur l’USS George Washington, un porte-avions amarré dans une base navale américaine, à Yokosuka, mardi 28 octobre 2025 © Mark Schiefelbein/AP/SIPA

En évoquant une possible intervention militaire au côté de Taïwan, la Première ministre Sanae Takaichi a déclenché la colère de Pékin et ravivé les blessures du passé, révélant un Japon désormais décidé à assumer une ligne diplomatique plus offensive.


Un mois à peine après son accession au pouvoir, en octobre 2025, la Première ministre japonaise Sanae Takaichi a déclenché une tempête diplomatique en évoquant la possibilité d’une intervention militaire du Japon en cas d’attaque chinoise contre Taïwan. Pékin a réagi avec une virulence rare.

Une escalade verbale qui fait ressurgir les fantômes du passé, réveille les tensions territoriales et confirme que Tokyo n’entend plus pratiquer l’ambiguïté stratégique.

Sanae Takaichi, la Première ministre qui bouscule les lignes

Première femme à accéder à la tête du gouvernement japonais, Sanae Takaich, 64 ans, n’est pas une novice dans l’arène politique. Figure conservatrice du Parti libéral-démocrate (PLD), protégée du Premier ministre Shinzo Abe (2006-2007 et 2012-2020), lequel a été assassiné en 2022, elle s’est construit une réputation de femme de poigne, nationaliste assumée et inflexible sur les questions de souveraineté.

Elle milite depuis des années pour la révision de l’article 9 de la Constitution pacifiste afin de reconnaître explicitement les Forces d’autodéfense comme une « armée nationale », soutient l’augmentation du budget militaire, le développement de capacités offensives et l’adoption d’une législation anti-espionnage. Selon la dirigeante japonaise, en cas de guerre, « il est primordial de neutraliser en premier lieu les bases ennemies » (2021).

Volontiers nationaliste, elle a multiplié les visites controversées au sanctuaire de Yasukuni où reposent les héros de la Seconde Guerre mondiale.  De quoi crisper la Chine qui n’apprécie pas non plus que Sanae Takaichi tienne un discours révisionniste, allant jusqu’à affirmer que les crimes de guerre japonais ont été « exagérés » par les historiens. Questionnée en 2002, lors d’une émission télévisée, sur l’incident de Mukden qui avait conduit à l’invasion de la Mandchourie en 1931, alors députée, Sanae Takaichi avait expliqué qu’il s’agissait avant tout d’une « guerre légitime afin de protéger le Japon de toute agression extérieure », remettant même en cause les milliers de morts recensés dans le bombardement (« viol ») de Nankin en 1937. Exit donc les ravages de l’unité 731 dans l’Etat fantoche du Mandchoukouo, des exécutions sommaires et viols commis contre les civils chinois, elle estime que les termes « femmes de réconfort » et « travail forcé » restent aujourd’hui « extrêmement dévalorisant » pour le peuple japonais qui se doit de se réapproprier son histoire nationale.

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Sanae Takaichi n’a jamais caché non plus sa méfiance envers Pékin : dénonciation du vol de propriété intellectuelle, plaidoyer pour réduire la dépendance économique à la Chine, soutien au déploiement de missiles américains sur l’archipel. La tonitruante leader du PLD entend remettre son pays au centre de l’échiquier politique asiatique. En avril 2025, elle s’était rendue à Taïwan pour rencontrer le président Lai Ching-te, reprenant à son compte la phrase de Shinzo Abe : « Une situation d’urgence à Taïwan est une situation d’urgence au Japon ». Une visite qui avait fortement irrité la Chine qui ne reconnaît pas l’indépendance de cette île (1949), considérée comme une simple province chinoise séparatiste.

Taïwan, la ligne rouge qui menace d’embraser l’Asie

Le 7 novembre 2025, devant la Diète, Sanae Takaichi a déclaré : « La situation concernant Taïwan est devenue si grave que nous devons envisager le pire. ». Et d’ajouter que si l’usage de la force par la Chine « impliquait une menace pour la survie du Japon », Tokyo pourrait intervenir militairement en déployant des navires de guerre.

Ajoutée au contexte historique tendu entre la Chine et le Japon, la phrase de la Première ministre a mis le feu aux poudres. Pour la Chine, le signal est clair : Tokyo n’entretient plus aucune ambiguïté stratégique et se prépare à une intervention armée au côté des États-Unis.

À chacun son point de vue sur ce qui est encore considéré comme le rempart à l’influence du dragon rouge. Pour Pékin, Taïwan n’est pas un dossier diplomatique, mais un élément fondamental de son identité nationale : la « réunification » est non négociable, y compris par la force. L’île fut longtemps occupée par le Japon jusqu’en 1945, ce qui ajoute une charge émotionnelle supplémentaire aux relations sino-japonaises. Pour Tokyo, l’enjeu est vital. Taïwan se situe à 100 km seulement de l’archipel japonais. Sa chute provoquerait un encerclement stratégique du Japon, une rupture des routes maritimes essentielles à son économie, une domination chinoise accrue sur le Pacifique que l’Empire du Soleil Levant ne saurait accepter.

La réaction furieuse de la Chine : menace, pressions et représailles

Les autorités chinoises ont réagi avec une brutalité inhabituelle. Le consul de Chine à Osaka, Xue Jian, a publié un message menaçant de « lui couper son p*tain de cou » — un niveau de violence rhétorique rare dans la diplomatie.

Envolées désormais les poignées de main entre Sanae Takaichi et le président chinois Xi Jinping en octobre dernier comme leurs déclarations pacifiques. Le ministère chinois des Affaires étrangères a prévenu : « Quiconque ose s’ingérer dans la cause de la réunification se verra infliger une riposte ferme. ». Quant aux médias officiels chinois, ils ont affirmé que la Première ministre « devrait en payer le prix ». Dans un acte de pression supplémentaire, Pékin a déconseillé à ses ressortissants de voyager au Japon, évoquant des « risques importants pour la sécurité ». Plusieurs compagnies aériennes chinoises ont immédiatement proposé des remboursements gratuits pour les vols vers l’archipel. 

La crise sino-japonaise marque un tournant. Pour la première fois, Tokyo semble prêt à lier explicitement sa sécurité à celle de Taïwan. En réponse, Pékin choisit l’intimidation, la menace et l’instrumentalisation de l’opinion publique. Aucun des deux camps ne souhaite la guerre — mais chacun se prépare à l’éventualité du pire. La Première ministre japonaise, en assumant une ligne dure, a levé le voile sur une réalité qui s’impose désormais à l’Asie : la paix dans le détroit dépendra désormais de la fermeté — ou de la retenue — du Japon et de la Chine.

Dans un climat où les mots tranchent comme des lames, l’escalade diplomatique n’est peut-être qu’un prélude à un affrontement stratégique beaucoup plus profond.

Alain Souchon, vestige de la gauche prolophobe

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© SADAKA EDMOND/SIPA

Le chanteur préféré des vieilles institutrices abonnées à Télérama menace de s’exiler en Suisse si la droite populiste accède aux responsabilités. L’interprète de Foule sentimentale, qui raillait la bourgeoisie d’extrême droite raciste en 1977 dans son titre Poulailler’s Song a un train de retard. Il ne voit pas qu’en 2025, c’est le peuple ordinaire qui vote pour Jordan Bardella.


Les mirobolants progressistes, qui ont mis la France dans ce sale état, se ridiculisent dans leurs forfanteries. Alain Souchon est de ceux-là, quand il déclare, vendredi sur RTL, en promotion pour ses chansons : « Je ne crois pas que les Français soient aussi cons pour élire quelqu’un du Front national pour diriger ». En ajoutant : « Si ça arrivait, on irait en Suisse ». Certes, rien n’est plus convenu que ce commentaire élitiste.

Le mépris pour les Français ordinaires ne passe plus

Le même chanteur prolophobe pétitionna également, en juillet, contre l’implantation dans son quartier (le chic VIe arrondissement de Paris) d’un Carrefour City accusé de faire tache ; Jacques Toubon, ancien RPR recyclé dans la défense des humiliés, avait également apposé sa signature à ce petit carnet mondain[1]. Ce qui est nouveau, cependant, est l’exaspération que le jugement de classe de Souchon a immédiatement produit auprès d’une partie de l’opinion s’exprimant sur le numérique et les médias alternatifs. En fait, le mépris porté aux Français ordinaires par des humanistes d’apparat devient de plus en plus insupportable, à mesure que le système moralisateur produit toujours plus de pauvres, de violences, d’insécurités, de racismes, d’antisémitisme. Quand Souchon menace de rejoindre la Suisse, il fait certes un excellent choix. Mais ce faisant il plébiscite – au-delà du refuge pour les riches – une démocratie exemplaire dans sa politique de votations (référendums) menée en étroite collaboration avec le peuple raisonnable, que lui-même discrédite.

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Pénible spectacle

Ces élites, exhibant leur progressisme en déroute, ont cessé depuis longtemps de penser la réalité au profit d’un monde abstrait et coupé des gens. Leur univers fictif ne répond qu’à des codes sociaux marquant l’appartenance à des castes cloitrées dans leurs croyances. La décence est un mot que ces experts et donneurs de leçons ignorent, quand ils lancent des procès en incompétence contre les populistes, s’épargnant de s’arrêter sur leurs propres bilans désastreux. Jordan Bardella est une des cibles des salonnards. Ils en oublient de demander des comptes à Emmanuel Macron pour ses déroutes budgétaires et civilisationnelles. Il sera pourtant difficile de faire pire. La péroraison des faillis et des ratés, appuyés par un show-biz pétochard, devient un spectacle pénible. Mais l’air du temps se raidit. La morgue des récitants en clichés devient un carburant qui alimente la rébellion des proscrits, des injuriés. Ils ont face à eux la lâcheté molle de la pensée officielle qui a contaminé ses clones.

C’est très timidement que l’intelligentsia a ainsi défendu Boualem Sansal, emprisonné durant un an en Algérie et libéré mercredi grâce à l’intervention de l’Allemagne. Parce que la droite résistante à la dictature algérienne et à l’islamisme avait proposé le nom de l’écrivain, en septembre, pour le prestigieux Prix Sakharov, ses éditeurs, Antoine Gallimard et Jean-Marie Laclavetine, s’étaient opposés à cette initiative, vue comme venant de l’« extrême droite ». Cette posture snobinarde est celle de Souchon. Celle des imbéciles heureux.


[1] https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2025/07/19/a-paris-les-tres-chics-opposants-a-une-superette-pres-du-jardin-du-luxembourg_6622120_4500055.html