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Un J. D. Vance bien de chez nous

À Salbris (41) chez Alexandre Avril


Un J. D. Vance bien de chez nous
Alexandre Avril. Wikimedia.

Alexandre Avril est maire de Salbris depuis 2020. À la tête de cette commune du Loir-et-Cher de 5000 âmes, ce trentenaire intello, ex-LR rallié à Éric Ciotti, embellit l’espace public, sécurise la vie de ses administrés et défend un esprit vieille France. Pour les progressistes de la capitale, c’est la signature d’un dangereux néoréactionnaire.


À mi-chemin entre Lamotte-Beuvron et Vierzon, Salbris, deux minutes d’arrêt. À peine sorti du TER, une vision enchanteresse accroche le regard. Comme échappé d’un songe péguyste, une immense nef païenne en bois flambant neuve a été construite devant la gare. Dessiné par le maire de la ville en personne, c’est le nouveau marché municipal, arborant blasons et poutres apparentes pour mieux ressusciter les halles couvertes que rasaient les maires – fameux « bâtisseurs » – des Trente Glorieuses.

Alexandre Avril intrigue

Jadis cité industrielle, Salbris, 5 000 habitants, a connu la gloire des usines Matra et des missiles. Elle est à présent l’un de ces appendices excentrés du Bassin parisien, où se réfugie une classe moyenne qui ne se sent plus tout à fait chez elle dans les banlieues proches de la capitale. Une commune que le sociologue Jérôme Fourquet et le romancier Nicolas Mathieu auraient dû inventer si elle n’avait pas existé. Elle passionne les Rouletabille de la presse politique parisienne. Monsieur le maire, Alexandre Avril, intrigue.

La une de Libé en mars dernier, des enquêtes accablantes dans L’Humanité et dans Mediapart : les médias de gauche dépeignent l’édile en dangereux symbole du vent mauvais néoréactionnaire qui souffle sur la France. Il faut dire que le jeune homme de 33 ans porte la veste en tweed comme personne et qu’il commente régulièrement l’actualité sur Europe 1 et CNews.

Alexandre Avril a conquis la mairie de Salbris en 2020, lors d’un scrutin où la plupart de ses pairs ont été reconduits au bénéfice du confinement et de l’abstention. Ancien cadre LR aujourd’hui vice-président du parti d’Éric Ciotti, il siège avec le RN au conseil régional et brille par ses méthodes bardelliennes de communication numérique, qui conjuguent stories Instagram à la chaîne et expressions de grand-mère du genre « Par Toutatis le ciel nous est tombé sur la tête ».

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Comment les Salbrissiens jugent-ils son activisme ? Réponses pêchées dans un café situé face à l’hôtel de ville, où la déco vous plonge en pleines fifties – cuisine familiale, nappes à carreaux, néons d’anthologie… Jean-Yves, tenancier mi-nostalgique mi-dévot de l’établissement baptisé « Saint Yves », ouvre le procès en canonisation du maire. « Alexandre a redressé les comptes de la mairie et fait sortir des projets des cartons », assure-t-il. Deux clients habitués abondent : « Il met des pots de fleurs et des caméras et des policiers municipaux, qui protègent nos maisons quand on part en vacances », notamment des « bandes de jeunes venus de Paris ».

Bien sûr tout le monde n’est pas d’accord. Autour du zinc, d’autres administrés décrivent un maire « trop autoritaire », qui fait « de la com non-stop avec des jardinières partout » et se focalise sur le centre-ville au détriment des « quartiers extérieurs ». Tous lui reconnaissent cependant son dynamisme. « Qu’on l’aime ou pas, résume un habitué, il fait des trucs. »

Redressement productif

Parmi les « trucs » réalisés par Alexandre Avril : l’implantation récente d’une usine alimentaire innovante. Le concept est original. Ici on prépare des produits de boucherie à partir de venaisons achetées aux équipages de la région. « L’essentiel des animaux chassés dans notre pays sont jetés et 90 % du gibier consommé est importé, c’est une aberration qu’il faut corriger », explique le maire, qui a joué les entremetteurs pour aider la start-up L’Atelier du Loup à lever 5 millions d’euros, notamment auprès de diverses grandes fortunes possédant des propriétés dans le coin.

Cependant, si Alexandre Avril inquiète tant dans les rédactions progressistes parisiennes, ce n’est pas à cause de ses ambitions de redressement productif dans le Loir-et-Cher. C’est l’intellectuel brillant qui fait peur. Issu d’un milieu simple, il a réussi le concours de la Rue d’Ulm, décroché un diplôme de droit à la Sorbonne, fait HEC et rédigé une thèse sur les correspondances entre Nietzsche et René Girard. Pire encore, il aimerait faire souffler sur son terroir l’esprit des hauteurs, façon colline de Sion en Lorraine.

À la guerre culturelle comme à la guerre, on le retrouve un soir d’été dans un manoir de brique rouge, un de ces châteaux bourgeois dont les ploutocrates du xixe couvraient solennellement leurs terrains de chasse et bords lacustres. Un internat catholique y est désormais installé, premier-né des académies Saint-Louis, ces « Eton à la française » financés en partie par le richissime Pierre-Édouard Stérin. Accueillant depuis la rentrée une soixantaine de collégiens, on y dispense une éducation pré-soixante-huitarde non mixte, avec du latin, de l’aviron sur le gigantesque plan d’eau et des cours de théâtre dans une grange transformée en splendide salle de spectacle. Un lieu de « formation pour une nouvelle élite réactionnaire » fulmine Libération.

Rien de terrifiant sur place pourtant. Le directeur, ancien cadre de l’enseignement privé sous contrat, plusieurs années de métier, passionné d’instruction et de pédagogie nous fait visiter l’amphithéâtre, discute de l’oralité dans les cursus scolaires et des options à la mode dans certains lycées parisiens. Comme la combine politique paraît loin !

Puy du Fou du pauvre

À Salbris, le clou du spectacle est un spectacle intitulé « Salera ». Une reconstitution de la guerre des Gaules lancée par le maire en 2023, avec chars, gladiateurs, druides tatoués, jeux pour enfants et marchés d’artisans dont on sort le sac rempli de savons celtiques et d’hydromel IPA local. Qu’importe que les mauvaises langues de Libération y voient, avec leur habituelle pointe de racisme social, « un Puy du Fou du pauvre », l’édition 2025 a fait le plein avec un mélange baroque d’autochtones solognots fumeurs de Gitane et de résidents secondaires en pantalons rose saumon.

Résumons. Des origines modestes, des études hors norme, une parfaite maîtrise des réseaux sociaux, quelques milliardaires dans son carnet d’adresses, une proximité assumée avec la religion catholique et un certain talent pour réenchanter sa province désindustrialisée : Alexandre Avril a quelque chose d’un J. D. Vance à la française, ressemblance physique en prime. Pour l’instant les jardinières, l’usine de gibier, l’internat élitiste, le festival historique populaire. Et demain ? Ad Augusta per angusta. Selon Le Nouvel Obs, Pierre-Édouard Stérin envisage de pousser sa candidature aux élections présidentielles de… 2032.

Novembre 2025 – #139

Article extrait du Magazine Causeur




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