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La révolution doit être à droite…

Le billet politique de Philippe Bilger


La révolution doit être à droite…
Bry sur Marne, 6 novembre 2025 © JEANNE ACCORSINI/SIPA

Notre chroniqueur veut que Bruno Retailleau (65 ans aujourd’hui) et la droite de gouvernement ruent dans les brancards et répudient toute tiédeur. Quitte à s’inspirer du président argentin Javier Milei pour enfin sortir les honnêtes citoyens du maquis administratif ?


La révolution, semeuse de mort et coupeuse de têtes, ne fait plus rêver, à l’exception de quelques idéologues nostalgiques ayant le goût du sang. On se souvient aussi qu’Emmanuel Macron avait écrit, dans les promesses inaugurales de tout pouvoir, un livre intitulé Révolution, dont, au fil des mandats, il ne subsiste guère que le titre : le fond et les engagements se sont vite évaporés.

Malgré les terribles ou décevantes désillusions qu’a connues l’idée révolutionnaire, il est permis de considérer que, sur les plans intellectuel et politique, il reste non seulement possible, mais aussi nécessaire, de s’en réclamer pour donner une véritable ambition et une réelle nouveauté à un programme.

Renverser la table

Je songe à celui qui devra, sans trop tarder, donner à la droite classique — républicaine, si l’on veut user de cet adjectif passe-partout — son assise, sa force et son originalité. Récemment, j’ai été frappé par la réflexion d’un responsable de LR soulignant que la seule manière, pour ce parti, de se distinguer serait de sortir de la banalité des projets et, au contraire, de provoquer et de « renverser la table ». Agir autrement reviendrait à se fondre dans une masse au sein de laquelle les identités du camp conservateur, largement entendu, ne seraient plus vraiment discernables.

En effet, si l’on demeure dans le registre de propositions certes antagonistes mais guère bouleversantes — beaucoup moins de rupture que de continuation plus ou moins corrigée ou infléchie — la droite, même enfin dirigée par un homme de conviction, de courage et de moralité, Bruno Retailleau (qui, heureusement, n’a rien renié), aura du mal à se dégager du marais.

Elle risquera, par exemple, d’encourir le reproche d’être trop faible, par rapport au RN, sur le régalien, l’immigration ou le social, et donc de pâtir de la comparaison. Avec la difficulté supplémentaire que l’extrémisme même du RN, en se lissant et en s’assouplissant, donnera de la droite une image encore plus affadie.

Il faut que cette dernière, dans le fond comme dans la forme, rue dans les brancards, répudie toute tiédeur et n’hésite plus à formuler des pistes provocatrices. Non qu’elles puissent, dans l’état actuel, être immédiatement empruntées, mais afin qu’elles servent au moins de visée et d’aiguillon, pour être un jour opératoires.

Si je suis évidemment plus sensible à certains domaines qu’à d’autres — outre le secteur judiciaire — je serais enclin à privilégier, pour les transformations révolutionnaires, la vie et le régime des entreprises, la sphère de la culture et ce que je pourrais appeler les absurdités parfois insurmontables de l’univers administratif kafkaïen, avec des quotidiennetés bouleversées par la méprise, l’erreur ou la fraude.

Afuera !

Suivre aveuglément le afuera du président argentin n’aurait pas de sens, mais il a ouvert un chemin que nous aurions dû parcourir depuis longtemps : celui de la suppression de quelques ministères et d’un certain nombre de fonctions plus honorifiques ou nuisibles qu’utiles. En effet, le ministère, dans sa structure de base, amplifie la bureaucratie, élève mille obstacles entre la conception et l’exécution et fige un personnel qui serait plus efficace dans des circuits plus industrieux.

Puisque je me suis assigné l’envie de surprendre, on comprendra que je ne serais pas hostile à l’effacement de deux fonctions : le juge des enfants et le juge de l’application des peines, car la première se veut étrangère au pénal et la seconde le dénature et le détruit.

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J’accepterais la métamorphose d’un Conseil supérieur de la magistrature, aujourd’hui judiciaire et autarcique, en un Conseil de pluralisme politique qui garantirait mieux, par ses contradictions et ses évaluations, la sélection des meilleurs et la mise à l’écart des pires.

Une responsabilité accrue de la magistrature aurait mon assentiment. Elle pourrait aller jusqu’à incriminer des pratiques et des décisions tellement aberrantes qu’elles ne seraient plus protégées ni concernées par les voies de recours.

Surtout, en matière pénale, je privilégierais l’objectivation des infractions, plutôt que leur atténuation liée à l’individualisation des peines. Un tel système éviterait ce sentiment permanent de « deux poids, deux mesures ».

Pour la procédure, il me semble qu’il conviendrait, afin de remettre du bon sens dans un monde où la sophistication, les lenteurs et les excès d’une présomption d’innocence souvent contredite par le réel immédiat font des ravages, de distinguer ce qui est certain et incontestable — quelle que soit la nature de l’affaire, elle serait jugée dans les plus brefs délais — de ce qui demeure obscur et complexe, et qui relèverait alors de la compétence des juges d’instruction. En tout cas, on ne laisserait plus traîner durant des mois ou des années des dossiers dont la solution crevait immédiatement les yeux et l’esprit par leurs évidences.

Plus on réclame la simplification, plus la complexité s’accroît

On comprendra pourquoi, en conséquence de ces transformations, je serais prêt à aller plus loin, à créer un désert en haut pour au contraire favoriser la richesse et l’inventivité judiciaires partout, sur l’ensemble du territoire national. Aussi, pour la place Vendôme et l’État de droit, j’oserais suggérer la disparition du ministère, afin de faire échapper la Justice à un centralisme stérilisant, au lieu de la laisser être vivifiée par une infinité de pratiques et d’adaptations. Il est clair que, si les magistrats sont absolument nécessaires, la bureaucratie et les orientations que la politique croit devoir imposer ne le sont pas…

Au risque d’offenser le milieu — tous les artistes, réels ou prétendus, qu’il subventionne, et les parasites qu’il nourrit — le ministère de la Culture pourrait être aisément remplacé par une politique d’aide et de confiance mise en œuvre dans les provinces et dans les mille lieux de création qui n’ont pas besoin de la rue de Valois ni de la condescendance parisienne pour s’épanouir.

Ce n’est pas parce que je ne suis pas un spécialiste de l’économie, de la finance ou de notre tissu entrepreneurial — modeste, moyen ou colossal — que je ne suis pas au fait, grâce aux mille témoignages recueillis, des difficultés et des dysfonctionnements que le fil du temps et les gouvernements ne cessent d’aggraver. Plus on réclame la simplification, plus la complexité s’accroît !

En particulier, qu’une entreprise veuille faire preuve de générosité, favoriser une cause humanitaire, aider une personne ou soutenir un projet méritant, elle devra passer par mille filtres, rendre des comptes avant, se justifier après. La plaie est que, désormais, tout est suspecté par principe, même l’envie de faire le bien ! L’inquisition, l’étouffement et la méfiance président à ce qui, il y a longtemps, était accueilli à cœur ouvert.

Un contrôle poussé à ce point entrave, il ne libère pas. Les entrepreneurs sont des héros. Et les tentations d’afuera trouveraient dans cet univers un terrain de prédilection !

Je souhaiterais attirer l’attention de la droite du futur sur un dernier élément qui rend fous les Français qui y sont confrontés. Je pense à tous ces hasards malheureux de l’existence dont on est un jour victime et qui, pour être réglés — à supposer qu’ils le soient — durent des années. J’ai tant d’exemples en tête.

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Ainsi, il suffit qu’un jour quelqu’un se voie dérober ses papiers d’identité, son permis de conduire, son chéquier, sa carte bleue, pour que son existence bascule. Durant un an, à la tête de la section bancaire à Paris, j’ai systématiquement, dès réception d’une plainte, pour éviter l’enfer administratif et quotidien aux victimes, signalé partout — aux administrations comme aux services publics — qu’une identité avait été usurpée et qu’il ne fallait pas prendre le plaignant pour le coupable.

Sans forfanterie, cette pratique a permis à un grand nombre de personnes de respirer, de s’apaiser.

Autre exemple lu dans la presse : parce qu’on s’est trompé de nom, une société est mise en liquidation judiciaire. Depuis deux ans, la lutte pour rectifier cette erreur ne mène à rien. On contraint des citoyens honnêtes, qui ont subi un préjudice extraordinaire, à passer par les voies ordinaires. Et ils désespèrent !

Je pourrais citer d’autres péripéties de ce type, qui sont tout sauf dérisoires, tant par l’incommodité qu’elles créent que par le désarroi qu’elles engendrent. Ce serait un honneur, pour une droite de compassion et d’action, d’inventer une fonction de facilitateur, de régulateur : une personnalité chargée de toutes ces misères parfois inextricables qui ruinent trop souvent la vie des gens modestes.

Elle n’aurait qu’une mission : sortir ces affaires du maquis administratif et judiciaire pour leur trouver, sur-le-champ, une solution. Ce ne serait pas une mince embellie dans le climat démocratique.

On n’a pas seulement besoin de gardiens sourcilleux pour surveiller et dénoncer, mais d’auxiliaires et de relais efficaces pour secourir.

J’ai posé sur la table quelques fragments pour une droite en révolution, pour la révolution de la droite. Elle est plus à même que quiconque de tenir ce beau pari : un extrémisme sans haine, une radicalité sans violence, un nouveau monde sans exclus, une politique sans trahison.




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Magistrat honoraire, président de l'Institut de la parole, chroniqueur à CNews et à Sud Radio.

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