Accueil Édition Abonné Non, Ségolène Royal, les citoyens ne sont pas des petits enfants!

Non, Ségolène Royal, les citoyens ne sont pas des petits enfants!

Pour 2027, Ségo se rêve en petite mère du peuple


Non, Ségolène Royal, les citoyens ne sont pas des petits enfants!
Ségolène Royal photographiée à Paris le 10 mars 2025 © LAURENT BENHAMOU/SIPA

Coucou! revoilà Maman…


Ségolène Royal publie Mais qui va garder les enfants ? et rappelle aux Français qu’elle est disponible pour 2027, avec un slogan inattendu: « Il est peut-être temps d’avoir une mère de la nation. » Dans son livre, en plus d’un réquisitoire contre le machisme en politique dont elle dit avoir fait les frais pendant des années, en particulier lors de la campagne présidentielle de 2007, Ségolène Royal érige la maternité en modèle de gouvernement : « Présider, c’est aimer, écouter, dialoguer. Comme une mère aime ses enfants », affirme-t-elle, convaincue que « les qualités que l’on prête à l’amour maternel : vigilance, patience, constance, exigence, sont précisément celles que les citoyens inquiets attendent de leurs dirigeants. » Comme c’est touchant…

La France présidente met en garde contre le poison de l’ego

Ségo a raison sur un point : sans les qualités ci-dessus énumérées, le pouvoir peut en effet se déconnecter du réel et devenir une gouvernance narcissique, livrée à des humeurs changeantes, celles d’un enfant-roi ivre de son ego. « Trop de politiques s’aiment eux-mêmes, avec ce poison de l’ego, au lieu d’aimer les autres, ce pour quoi ils ont été élus », tranche-t-elle. Une pique à peine voilée contre l’actuel président.

Notons en premier lieu que ce positionnement materno-politique a de quoi surprendre : au moment où l’esprit du temps célèbre le « no kids » et pratique volontiers le mother-bashing, Ségolène Royal endosse la figure de la « petite mère du peuple » et transforme ainsi un stigmate sexiste en bannière politique. Mais le plus piquant, c’est qu’en plaidant pour la réhabilitation de la maternité, Ségolène Royal se retrouve finalement en rupture avec la gauche qu’elle incarne. Cette vieille figure du socialisme, et très probable future candidate aux primaires de son parti, défend aujourd’hui ce que l’idéologie écoféministe s’emploie à délégitimer : la maternité.

En effet, l’idéologie verte mâtinée de néoféminisme et de millénarisme collapsologique culpabilise à tout va tout projet de reproduction au nom de la planète, transformant le berceau en menace écologique et la maternité en péché contre la grande prêtresse du climat : Gaïa. Comme l’a analysé la journaliste Gabrielle Cluzel dans son essai Yes Kids : enfanter, c’est polluer. Avoir des enfants, c’est égoïste. Fonder une famille, c’est patriarcal ! Ce discours antinataliste infuse dans la société et dans les jeunes générations biberonnées aux discours woke et écolos. Il constitue d’ailleurs l’une des raisons qui expliquent l’effondrement inédit du taux de fécondité, tombé à 1,59 enfant par femme, un record depuis la Première Guerre mondiale. Selon l’INSEE, 15% des jeunes ne veulent plus avoir d’enfants du tout, trois fois plus qu’en 2005.

On assiste donc à l’étrange invocation, par Ségolène Royal, du désir d’être la « mère de la nation », au moment où une partie de la société se détourne de la maternité. Mais au-delà de ce paradoxe truculent, l’ambition matriarcale de Ségolène Royal pose un problème philosophique qui réside dans la confusion des rôles.

Un peu de philosophie…

Car si s’inspirer des qualités morales liées à la maternité (vigilance, constance, exigence, soin) élève la politique, réduire la nation à une famille avec, à sa tête, une mère symbolique, l’infantilise. Et Ségolène Royal pousse la métaphore jusqu’au bout : « D’ailleurs, la République ne les appelle-t-elle pas “les enfants de la patrie” ? Et que dit-on de notre planète, sinon qu’elle est notre Terre-mère ? » Sans en avoir pleinement conscience, Ségolène Royal renoue sans doute avec une tradition que son patronyme résume à lui seul : celle d’un pouvoir héréditaire et domestique, hérité des penseurs de la monarchie absolue du XVIIᵉ siècle, pour qui la nation n’était qu’une grande famille. Grotius (1583-1645), puis surtout Robert Filmer (1588-1653), imaginaient le pouvoir politique sur le modèle du pater familias : le roi, comme le père, devait aimer, protéger et corriger ses enfants. Une théorie du pouvoir « naturel », organique, affectif — bref, autoritaire.

C’est précisément contre cette vision domestiquée et patriarcale de la politique que le philosophe anglais libéral John Locke (1632-1704) s’est insurgé : le pouvoir ne procède pas de la filiation, mais du consentement libre des citoyens. Une nation n’est pas une famille : c’est un contrat entre des adultes responsables, unis par des lois qu’ils se sont librement données et non par un lien de sang ou d’affection. L’amour peut donc inspirer l’action publique, mais il ne fonde pas la légitimité du pouvoir. Gouverner, ce n’est pas materner. Gouverner, ce n’est pas aimer le peuple comme un parent, mais le servir et lui répondre.

La retraite n’existe pas vraiment dans la politique française. Les anciens candidats à l’élection suprême ne quittent jamais tout à fait la scène publique ; ils y reviennent toujours, avec des livres et des promesses… Après tout, pourquoi pas. Le problème de Ségolène Royal c’est qu’elle n’apporte rien.

340 pages

Mais qui va garder les enfants ?

Price: 15,99 €

1 used & new available from 15,99 €

Yes Kids: La colère d'une mère face aux nouveaux diktats de la famille

Price: 21,50 €

16 used & new available from 16,69 €




Article précédent Une gueule d’écrivain
Article suivant « Histoires ordinaires et extraordinaires », le dernier film de Laurent Firode…

RÉAGISSEZ À CET ARTICLE

Pour laisser un commentaire sur un article, nous vous invitons à créer un compte Disqus ci-dessous (bouton S'identifier) ou à vous connecter avec votre compte existant.
Une tenue correcte est exigée. Soyez courtois et évitez le hors sujet.
Notre charte de modération