Accueil Site Page 1686

Ach, la Guerre GroSS Malheur !

0

Une Gueule cassée qui boxe dans le Paris des années folles, trois frangines de retour du STO en pleine France des règlements de compte. Deux romans d’après-guerres. Gueule de fer de Pierre Hanot et La Peau dure de Raymond Guérin.


Les après-guerres, une fois passée ce que Malraux appelait « l’illusion lyrique », une fois oubliée l’euphorie des armistices, des libérations, des défilés, ne sont pas vraiment des périodes joyeuses. Une certaine grisaille reprend le dessus, on panse des plaies qui ne cicatrisent jamais tout à fait et la vie que l’on espérait plus belle montre un visage morne, comme celui des films du néoréalisme italien.

Criqui, gueule de fer

Prenons l’exemple d’Eugène Criqui, ce boxeur né en 1893 dont Pierre Hanot, dans sa biographie romancée Gueule de fer, nous raconte l’épopée violente et émouvante à la fois. Pour ce petit gars de Belleville, champion de France des poids plumes en 1910, fils unique de parents qui ne l’aimaient pas, l’après-guerre a en fait commencé dès 1915, pour son plus grand malheur. Il est alors un des meilleurs tireurs de son régiment stationné du côté des Éparges. Pendant des heures, il guette les soldats boches, en face, à quelques centaines de mètres, depuis un poste de tir. Et malheur à celui qui commet une imprudence en allumant une cigarette dans la nuit ou en levant la tête un peu trop haut. Seulement, ce 14 mars, c’est Eugène qui est pris pour cible. Une balle explosive l’atteint en pleine mâchoire : « Criqui veut parler mais ça sort pas, il se tâte, le bas de son visage est en compote, il saigne comme un bœuf, à flots le résiné l’étouffe, il se noie, quelque chose de dur a giclé de sa bouche, ses dents, nom de Dieu, il a perdu ses ratiches ! » Les brancardiers décident de le laisser pour mort et c’est sous la menace de ses copains qu’ils daignent le ramener à l’arrière.

Un phénomène de foire

Eugène s’en tire après des mois d’hospitalisation en compagnie de ceux qu’on ne va pas tarder à appeler les « gueules cassées », exemples emblématiques de cette « brutalisation » dont parlent les historiens de la Grande Guerre. Un as de la chirurgie maxillo-faciale, qui avait vu Criqui sur un ring avant-guerre, se fait un devoir de réparer les dégâts du mieux possible. On peut se demander, avec Pierre Hanot, s’il lui a fait un cadeau. Criqui a maintenant une mâchoire en acier, au sens propre. Il devient « Gueule de fer », un phénomène de foire. Il peut même reprendre la boxe dès 1917.

Sa carrière durera une dizaine d’années et il sillonnera le globe, de l’Australie aux États-Unis, devenant un éphémère champion du monde dans sa catégorie. Faire la une des journaux ne garantit pas le bonheur pour autant. Eugène n’est pas heureux. Il a vu l’horreur de trop près, il la porte dans sa chair, sur son visage. La rencontre avec celle qui deviendra sa femme, Luce, lui apporte un peu de réconfort, mais ses mauvais rêves demeurent et sa souffrance physique aussi : les pommades opiacées sur son visage le soulagent à peine. Alors que le monde s’oublie dans les années folles, Eugène ne connaît que les hôtels garnis, les troisièmes classes sur des bateaux aux traversées interminables, l’odeur mêlée de sueur et de camphre des salles d’entraînement. Ce n’est pas encore un temps où les sportifs, même les champions, font fortune et Eugène vieillira dans la solitude d’une fermette normande, mourant oublié de tous en 1977.

Argot classieux

Pierre Hanot a le style de son sujet : un argot classieux, brutal, poétique, celui qui court de Villon à l’Hôtel du Nord de Carné, la belle langue de tous les éclopés, les brigands, les vénus de barrière et les freaks ensuqués dans le rouquin des zincs périphériques. D’ailleurs, on imaginerait bien Arletty faire un enregistrement de Gueule de Fer, c’est dire si l’auteur a réussi son coup : « Plus de bastos, ce sera au corps à corps, au chourin, à la pelle castor, avec les poings, coups de casque, coup de vice, Lucifer comme arbitre en poule finale du championnat des chairs à canon. »

Eugène Criqui aurait pu être aussi un personnage de Raymond Guérin (1905-1955). Guérin demeure, malgré des rééditions régulières et une biographie de Jean-Paul Kauffmann, un écrivain sous-estimé, sans doute parce que, comme son ami Henri Calet, il a été coincé entre les sartriens, le Nouveau Roman et les Hussards qui chassaient en meute. Guérin, qui a connu la captivité en 40, a perdu en route toutes ses illusions sur les hommes. Un exemple de son pessimisme rageur, on le trouve dans La Peau dure, roman paru en 1948 et tout juste réédité par les éditions Finitude. La Peau dure, c’est l’histoire de trois sœurs qui vont prendre tour à tour la parole dans la France de la Libération.

Guérin avec les humiliés

Il y a Clara, Jacquotte et Louison. Jetées dehors par leur père qui venait de se remarier et a jugé bon de les signaler au STO, elles se sont retrouvées dans une filature, du côté de Magdebourg, tenaillées par la faim, usées par les cadences. La jeunesse et l’innocence meurent assez vite dans de telles conditions. À peine rentrées en France, elles suivent un destin tout tracé. Comme en plus ce sont des jeunes femmes pauvres, le monde est encore moins tendre. Guérin est toujours, dans ses livres, du côté des humiliés et des offensés, même s’il sait qu’ils ne sont pas meilleurs que les autres. Il parle en connaissance de cause, lui qui dans les années 1920 a été garçon d’hôtel, comme il le raconte dans L’Apprenti.

Clara se retrouve bonne à tout faire chez un couple qui n’est pas méchant. Quand les gendarmes débarquent et l’incarcèrent en l’accusant de s’être fait avorter, ses patrons l’aident. Il n’empêche, rien n’a beaucoup changé depuis le Journal d’une femme de chambre de Mirbeau. On pourrait penser que les choses vont mieux pour sa soeur Jacquotte. Elle a épousé Henri, un commis d’épicerie qui s’est installé à son compte, mais les affaires ne sont pas florissantes. Jacquotte devient couturière dans un atelier qui n’a rien à envier au STO et est obligée de vivre chez sa belle-mère. C’est la plus fragile des trois sœurs, la tuberculose la rattrape, elle reste dans un sanatorium du côté de Ville-d’Avray pendant plus d’un an. La seule qui a réussi, dans son genre, c’est Louison. Elle a été mise dans ses meubles par Bibi, un truand déguisé en homme d’affaires, un qui a fait son beurre avec le marché noir.

On est frappé par la crudité de Guérin dans La Peau Dure, une crudité qui n’est pas du voyeurisme, encore moins du misérabilisme. Simplement la volonté, en faisant parler celles qu’on n’entend jamais ou si peu, de rendre compte. C’est peut-être cette lucidité désobligeante et ce refus du confort intellectuel qu’on n’a jamais vraiment pardonné à Raymond Guérin.

Pierre Hanot, Gueule de fer, La Manufacture de livres, 2017.

Raymond Guérin, La Peau dure, Finitude, 2017.



Jean-Michel Blanquer doit tout à Najat Vallaud-Belkacem

0

Mais si mais si, pour l’oeuvre de Jean-Michel Blanquer, c’est à Najat Vallaud-Belkacem qu’il faut dire merci ! 


Jean-Michel Blanquer a donc explosé les compteurs de « L’Emission politique », avec 71% des personnes convaincues dans le sondage final. Plus encore, Alexis Corbière, qui n’avait pourtant pas démérité lors de son débat avec le ministre de l’Education nationale, a sans doute eu un moment de désolation lorsqu’il a appris que 69% des électeurs de Jean-Luc Mélenchon de la dernière présidentielle avaient été convaincus par son interlocuteur du soir.

Blanquer, c’est « le vice-président » selon Le Point, et « la nouvelle star » selon Valeurs actuelles.

Derrière chaque grand homme…

Il ne s’agit pas là de mettre en cause ses compétences, ni son bon sens et son habileté politique. Mais on oublie un peu trop facilement à qui Blanquer doit en priorité son immense popularité. La personne à qui le ministre pourrait dire : « je lui dois tout ». Emmanuel Macron, le président qui lui a fait confiance ? Alain Juppé, ce fourier du macronisme, qui l’avait abondamment consulté pour la construction de son programme éducatif ? Gilles de Robien et Luc Chatel, qui lui ont permis de faire ses armes au ministère ? Non. Ni les uns, ni les autres. Cette personnalité à qui Blanquer doit tout est une femme. Sa femme ? Je ne pense pas à elle, et du reste – le ministre préservant à juste titre sa vie privée – on ne sait rien d’elle.

Jean-Michel Blanquer doit tout à Najat Vallaud-Belkacem, qui l’a précédé rue de Grenelle. Grâce à elle, il est populaire. Grâce à elle, tout ce qu’il touche se transforme en or sondagier. Grâce à elle, cet homme est le messie.

Après moi, le soleil !

Si Najat Vallaud-Belkacem n’avait pas mis en œuvre sa réforme du collège, si elle n’avait pas piétiné les classes bilangues et les options Latin et Grec, si elle n’avait pas délégué la rédaction des programmes à l’idéologue Lussault, si elle n’avait installé le tirage au sort comme solution de sélection d’entrée à l’Université, qu’aurait bien pu faire Jean-Michel Blanquer ?

Il suffisait juste d’annoncer son intention de rétablir les classes bilangues, le Latin et le Grec pour paraître un homme de bon sens. Le ministre n’a même pas eu besoin de financer leur rétablissement en redonnant les dotations en heures-postes correspondantes. Ce qui, au passage, n’a pas permis qu’elles fassent leur retour dans bon nombre d’établissements. Oui, il suffisait juste de l’annoncer.

A lire aussi: Scandale des admissions post-bac: merci Najat Vallaud-Belkacem!

En ce qui concerne la sélection à l’université c’est encore plus piquant. Voilà une proposition qui avait mis la jeunesse dans la rue il y a trente-deux ans. Dont la perspective effrayait tous les dirigeants politiques de droite, Sarkozy en tête. Et que le gouvernement fait passer comme une lettre à la poste, avec quelques petites manifs embryonnaires de-ci de-là, sous les applaudissements, ou presque, de la plupart des lycéens. Pour réaliser ce miracle, dont Blanquer est crédité alors que c’est sa collègue Vidal qui est à la manœuvre, il fallait bien que Najat Vallaud-Belkacem soit passée par là, et instaure cette idée saugrenue de tirage au sort. Le tirage au sort, comme preuve par l’absurde de ce refus de la sélection par le mérite, préférant depuis des lustres organiser un naufrage dans le premier cycle des facs, pour mieux repérer les meilleurs nageurs.

La grimace de Mona Lisa

Ah, s’il n’y avait pas eu cette grimace ! Vous vous souvenez ? Cette grimace que Najat Vallaud-Belkacem avait faite lorsqu’elle avait appris le nom de son successeur.

Cette image qu’une caméra indiscrète avait filmée un jour de mai de l’an dernier. S’il n’y avait pas eu cette grimace, on pourrait croire que tout cela n’était que volontaire. Que Vallaud-Belkacem avait en fait tout planifié pour que son successeur puisse enfin, après tant d’années de destruction de notre système éducatif, remettre enfin l’église au milieu du village. Qu’elle avait dynamité sciemment le système de l’intérieur afin que Blanquer puisse reconstruire, enfin. On aurait pu croire à cette alliance entre les deux contraires, comme d’autres croyaient naïvement à celle du glaive et du bouclier à une époque que l’octroi d’un point Godwin ne me permet pas d’évoquer.

A lire aussi: J.-M. Blanquer: « Beaucoup de choses contre-productives ont été entreprises au nom de l’égalité »

S’il n’y avait pas eu cette grimace, on pourrait alors diminuer complètement les mérites de Jean-Michel Blanquer, et ériger une statue à la nouvelle directrice éditoriale de Fayard. Ne pas être statufiée à cause d’une grimace ! C’est ballot.

C'est le français qu'on assassine

Price: 161,37 €

7 used & new available from 64,80 €

Dérapage

Price: 19,06 €

25 used & new available from 0,51 €

Bon sang mais c’est quoi un « épisode neigeux » ?

0

Il n’a pas neigé sur la France. Début février, elle a connu, pour les médias, un… « épisode neigeux ».


Ce n’est pas un sujet brûlant mais je remarque que les expressions débiles de ce genre ont le don d’agacer tout le monde, à juste titre d’ailleurs, et contribuent donc à nourrir notre « désamour envers les médias » (une formule de journalistes qui montre à quel point ils aspirent, non seulement à être crus, mais à être aimés de nous !).

La presse ou la reine des « épisodes neigeux » 

A priori, on se dit que ce doit être une notion technique, un terme de météorologie plus précis que « neige ». Quand on l’entend et le lit partout, on a vite fait de penser que, sans doute, cette expression a sa raison d’être, même si celle-ci nous échappe.


neige2



neige3



neige5


On esquisse peut-être tout de même une moue sceptique quand on lit que l’épisode neigeux « s’évacue vers l’Est » (un épisode qui s’évacue ?) :


neige4


En ce cataclysmique mardi 6 février, on nous rassurait : « l’épisode neigeux devrait prendre fin demain en milieu de journée ». Le lendemain, en milieu de journée, la neige cessa de tomber. Mais les routes demeuraient impraticables, le paysage était couvert d’un épais manteau blanc, on ne distinguait pas le trottoir de la chaussée… et il me fallut attendre encore une bonne demi-journée avant de pouvoir aller récupérer ma voiture que j’avais été contrainte d’abandonner quelque part pour rentrer à pied. Autrement dit, il ne neigeait plus mais on aurait pu considérer que « l’épisode neigeux » n’était pas terminé.

Pourtant, selon les médias, il appartenait au passé. Ce qui signifiait, tout simplement, qu’« épisode neigeux » n’était qu’une autre manière de dire « neige ».

La « neige » est-elle climatosceptique ?

Ma première idée a été de lire cette tournure comme une nouvelle manifestation de la tendance à l’euphémisme et à la formulation contournée : de même qu’on ne dit pas d’une personne qu’elle est Noire mais qu’elle « appartient à la communauté Noire », de même, on ne dit plus qu’il neige mais que nous vivons un « épisode neigeux ». Dans la tête d’un journaliste, je suppose que c’est à la fois plus chic et plus acceptable. Plus tarabiscoté, donc moins trash.

J’ai une autre hypothèse interprétative, qui renverrait plus au domaine de l’inconscient journalistique. « L’épisode » est, étymologiquement, « ce qui vient en plus sur le chemin » (épi-eis-hodos). Le mot désigne, en dramaturgie, une action secondaire rattachée à l’action principale : l’adjectif « épisodique » insiste d’ailleurs sur ce caractère accessoire quoique répétitif. Or, il va de soi que les périodes de grand froid, accompagnées de chutes de neige paraissent, au moins en apparence, mettre à mal la thèse du réchauffement climatique. Comme j’ai déjà pu le montrer, les journalistes sont très attachés à la crédibilité du réchauffisme (au point de faire dire aux experts plus qu’ils n’en disent) et notamment, aiment à utiliser les phénomènes météorologiques comme des arguments au service de cette thèse climatologique. S’ils procèdent ainsi, c’est évidemment parce qu’ils sont conscients de la nécessité d’anticiper les pensées déviantes (comprendre: climatosceptiques, comme on dit) que pourraient faire naître des variations de température en contradiction avec les prévisions prophétiques qu’il s’agit d’asseoir dans l’opinion. Rappelons que pour les médias, le réchauffement planétaire inéluctable, continu et d’origine anthropique n’est pas…

>>> Lisez la suite de l’article sur le blog d’Ingrid Riocreux <<<

La Langue des médias : Destruction du langage et fabrication du consentement

Price: 20,00 €

30 used & new available from 2,48 €

 

Grand Paris: les bobos, une chance pour Hidalgo (ou presque)

0

Le nouveau trésor urbain ? Les bobos, hipsters et autres « classes créatives » d’après Jacques Godron, président du Club du Grand Paris qui, dans la revue des anciens de l’ENA, s’inspire des travaux d’un Américain pour rêver la ville de demain. De l’aveuglement en milieu mondialisé. 


Jacques Godron est président du Club du Grand Paris, une association de hauts fonctionnaires qui se donne pour objectif de promouvoir la métropole du Grand Paris en y consacrant même un Institut des Hautes Etudes des Métropoles, doté d’un conseil scientifique de 30 membres, rien de moins, dont l’originalité est de ne compter aucun scientifique pour laisser la place à un aréopage de préfets hors cadres, d’Inspecteurs de l’Education nationale et autres corps d’élites dont la contribution à la science n’est plus à établir.

La solidarité ? Dépassée !

Et le technocrate de vouloir investir dans les regroupements de grandes écoles, les quartiers d’affaires, les clusters, la culture, le transport aérien et le tourisme d’affaires. Et pas question d’affecter à cette métropole une compétence en matière de logement qui se chargerait d’une péréquation entre Ouest riche et Est pauvre. Non, cela ne servira pas à attirer « les milieux d’affaires internationaux, les CEO des quartiers généraux, les stars polyglottes de la culture, les pionniers de la R&D, les tycoons de la presse et de l’information, les hauts fonctionnaires internationaux et les fonds de pension » qui n’ont que faire des inégalités, mais auront au contraire besoin de la prolifération d’immigrés low-cost.

Classes créatives, classes lucratives

Godron a un inspirateur – dans la pure tradition française d’adopter avec dix ans de retard des modes qui ont déjà échoué aux Etats-Unis -: le professeur américain Richard Florida pour qui le véritable atout d’une ville pour attirer les entreprises n’est pas la panoplie d’exonérations fiscales que toutes proposent, mais la qualité de son capital humain. Jusqu’ici il n’a pas tort. Mais l’argument est d’attirer d’abord ce capital humain et ensuite les entreprises, en partant de la supposition que les entreprises viennent s’installer là où est le talent, ce qui n’est pas faux non plus.

A lire aussi: Entre islam et boboïsation, Bruxelles ne bruxelle plus pareil

D’où son idée: les villes doivent attirer les « classes créatives » pour attirer les entreprises et revitaliser le centre-ville des villes américaines. Celles-ci représentent 30% de la population et 70% du pouvoir d’achat et recouvrent les métiers de la haute technologie, du divertissement, du journalisme, de la finance, ou de l’artisanat d’art. Richard Florida a fait une fortune en Amérique du Nord. Sa société de conseil qui intervient auprès de nombreuses villes et propage ses théories dans le monde entier par des conférences facturées 35 000 dollars.

Métro-boulot-bobo

L’approche de Richard Florida ne fonctionne pas, sauf pour ses honoraires. Pourquoi ?

Une étude sur un ensemble de villes en Europe et en Amérique du Nord, montre que lesdites « classes créatives » sont en fait fort peu mobiles. Plus de la moitié des enquêtés vivent dans la ville où ils sont nés et ont fait leurs études. Pourquoi les talents choisissent-ils de s’installer dans une ville ? « La raison principale de leur arrivée est l’emploi (51,2%) et d’une façon générale les hard factors (69,9%). Les soft factors ne représentent que 10,3%, à peine plus que dans la population d’ensemble ». Les facteurs soft réellement efficaces qui ressortent de l’enquête sont liés au cadre naturel et à l’ambiance de la ville, qui sont peu susceptibles d’être affectés par des politiques publiques.

Richard Florida commet l’erreur classique de confondre corrélation et causalité. La culture d’une ville lui vient de son histoire et de sa tradition et non d’une décision politique et d’un bricolage qui créerait un « capital culturel ». Pour Florida, il suffirait d’importer des « classes créatives » selon sa recette des « trois T » : talents, technologie, tolérance.

Talents, technologie, tolérance

Le talent est somme toute très conservateur et ne se précipite pour habiter le quartier de Bellevue à Seattle que s’il y est attiré par les hauts salaires des firmes du numérique qui lui permettront de payer ses loyers mirobolants. Florida établit une relation causale entre le talent et le développement économique. Or, l’histoire économique nous apprend que le talent est un processus endogène qui procède du développement et qui ensuite, dans une relation circulaire et cumulative, attire de nouveaux talents.

La focalisation sur la technologie suppose que seules les firmes high-techs sont la base d’une dynamique territoriale, alors qu’il y a un dynamisme ignoré des villes qui héritent d’un passé technologique obsolète (en France, le cas des villes de Saint-Amand-Montrond, de Loos en Gohelle, de Vitry-le-François, entre autres, qui succède à la reconversion spectaculaire de Cholet) et qui se montrent capables d’innover et de se reconvertir à partir de leur capital social et de leur histoire.

A lire aussi: « A Nous Paris », le magazine de l’élite « globish » qui « s’enjaille »

Le troisième T de Richard Florida, la tolérance, s’inscrit dans la vénération contemporaine pour le relativisme. Florida a inventé un gay index qui corrèle taux d’homosexuels et créativité. Ils seraient un marqueur de créativité comme les canaris dans les mines de charbon marquaient la présence de grisou. S’y ajoute un indice bohémien pour corréler comportements de marginal chic et créativité. Pour Florida, une ville qui n’a pas de communauté gay ni de bars rock ouverts jusqu’à trois heures du matin, n’a pas d’avenir industriel. Là encore, il confond corrélation et causalité. Que l’industrialisation ait produit une évolution des mœurs – désirable ou non désirable – est une évidence, mais en faire une causalité relève du sophisme.

L’idée que la diversité est corrélée à la créativité semble séduisante. Mais il s’agit d’une fausse diversité et une fausse créativité puisqu’elle repose sur des standards sociaux qui sont, au-delà des apparences, très rigides: les mêmes appellent les mêmes, ce qui est d’ailleurs contenu dans l’idée de « classe créative » qui sort grosso modo des mêmes écoles et des mêmes types de cursus académique et qui vénère les mêmes standards culturels.

Ghettos de riches

L’échec de ces théories est patent aux Etats-Unis et s’est traduit par la création de ghettos de riches comme à Seattle et une explosion du prix des logements. Richard Florida reconnaît aujourd’hui qu’il s’est trompé, a publié un nouveau livre et continue à faire des conférences à 35 000 dollars pour expliquer que ses théories n’ont fait que renforcer les inégalités sociales, la ségrégation entre riches et moins riches au nom de la diversité, et contribuer au développement de la gentrification[tooltips content= »La gentrification est un phénomène urbain par lequel des personnes plus aisées s’approprient un espace initialement occupé par des habitants moins favorisés, transformant ainsi le profil économique et social du quartier au profit exclusif d’une couche sociale supérieure. Le terme est formé à partir du mot anglais gentry qui désigne la petite noblesse, et dans, un sens péjoratif, les nouveaux parvenus. »]1[/tooltips] des villes, mais qu’il n’en est pas responsable, processus qui touche les classes populaires remplacées par les nouvelles classes petites-bourgeoises qui profitent de la hausse du prix du foncier et de l’immobilier et la stimulent en réhabilitant – ou plus souvent faisant réhabiliter sur fonds publics – des quartiers populaires anciens. Il prône désormais « la créativité pour tous » et la construction de logements sociaux, voire le contrôle des loyers…toujours pour 35000 dollars.

La ville de Seattle a tout fait pour se conformer à la politique des trois T. Son plan d’urbanisme a autorisé la reconversion des anciennes usines en bureaux modernes avec pistes cyclables et jardins bios. Toutes les minorités ont leur programme de lutte contre la discrimination et la ville a gagné en 2012 le titre de « meilleure ville pour les hipsters », selon l’indice hipster qui mesure le nombre de tatoueurs, de vendeurs de vélos, de cafés indépendants ouverts la nuit, de brasseries artisanales, de friperies et de magasins de disques (vinyles).

Classement des villes selon l’indice hipster

Les anciens quartiers ouvriers se transforment en immeubles sophistiqués hors de prix offrant une coopérative d’élevage de poulets bios et des spas pour chats et chiens. La ville créative de Richard Florida croule sous les bons sentiments, les politiques d’apparence progressistes de « lutte contre les discriminations », mais « les incantations à la diversité ethnique et sexuelle se traduisent indirectement par un recul de la diversité sociale (…) dans les comtés de Grant ou d’Adams, les drapeaux arc-en-ciel sont inexistants, tout comme les clubs de yoga et les marchands de  vinyles(…) D’ici le progressisme à la mode de Seattle qui promeut la diversité, mais favorise un entre soi de créatifs… qui prônent un développement vert alors que l’économie locale dépend de l’exploitation intensive du bois et des sols, ressemble à une incongruité ».

Des armées de précaires

Que sont devenus les 70% qui ne sont pas « créatifs »? Des « inutiles » selon l’économiste Pierre-Noel Giraud. Des chômeurs perpétuels vivants de petits boulots et d’assistanat, des exclus du système qui ne songent même plus à y rentrer, des immigrés low-cost pour promener les chiens et livrer les pizzas. La pire des inégalités, celles de ceux qui n’ont plus d’avenir à construire, qui n’ont plus à lutter, qui n’ont plus d’horizon. « La misère d’être exploité par les capitalistes n’est rien comparée à la misère de ne pas être exploité du tout », écrivait en 1962 l’économiste Joan Robinson. La vieille classe ouvrière old school luttait pour un avenir meilleur, s’organisait pour améliorer sa condition, avait créé les sociétés de secours mutuel, les bourses du travail, les syndicats, des mouvements de jeunesse, de tourisme populaire, croyait en des lendemains qui chanteraient dans un présent que l’on organisait dans la solidarité. La ville des classes créatives y préfère ces armées de précaires, « inutiles » et inorganisés.

70% d’ « inutiles » à Paris

Voilà donc le projet de M. Godron. Faire du Grand Paris une métropole avec ses 70% d’inutiles qui remplaceront le vieux peuple ringard avec ses droits sociaux. Il ne va qu’étendre à la région la politique des mairies de gauche à Paris. Résultat, nous dit Christophe Guilluy : « Paris est le stade suprême du nouveau capitalisme. Un capitalisme cool qui offre tous les avantages de l’économie de marché sans les inconvénients de la « lutte des classes ». Mais tout cela sous l’aspect cool des « classes créatives » : comme l’écrit Guilluy, « les Rougon-Macquart sont désormais déguisés en hipsters ».

Paris sans le peuple: La gentrification de la capitale

Price: 13,50 €

13 used & new available from 7,27 €


Jérôme Fourquet: « Les cathos pratiquants sont assez rétifs à l’accueil des migrants »


Pris en étau entre la montée d’un islam revendicatif et la défense laïque, beaucoup de catholiques se perçoivent comme une minorité menacée. Pour séduire cette communauté droitisée, FN et LR se livrent une course à la calotte. Entretien avec le directeur du département Opinion publique à l’IFOP. 


Causeur. Votre livre évoque la « communauté catholique », comme il existe des communautés maghrébine et asiatique en France. Cela signifie-t-il que les catholiques ont conscience de ne plus former la majorité culturelle du pays ?

Jérôme Fourquet. Les catholiques se considèrent en effet comme une minorité parmi d’autres dans une société massivement déchristianisée, dont les mutations anthropologiques (loi Taubira, voire bientôt PMA et GPA ?) les heurtent profondément. Jusqu’au mariage pour tous, ils se sentaient protégés par une espèce de droit d’aînesse, mais la loi Taubira leur a fait prendre conscience des conséquences de leur statut minoritaire. En dépit de leur mobilisation massive, ils n’ont pas réussi à faire reculer la gauche au pouvoir. En cela, la Manif pour tous (2013) est l’antithèse de la mobilisation pour l’école libre (1984), qui avait obtenu gain de cause.

Pourtant, la déchristianisation de la société ne date pas d’hier : dès le début des années 1960, juste avant le concile Vatican II, seulement un tiers des Français déclarait aller à la messe tous les dimanches. En 2012, ce chiffre était descendu à 6 %, signe d’un basculement culturel et sociologique majeur.

Les cathos sont fortement divisés.

À mesure que la société se déchristianise, son noyau catholique semble de plus en plus s’engager. Ainsi, le PACS (1997) n’avait soulevé aucune mobilisation massive alors que le mariage pour tous (2012-2013) a cristallisé l’opposition de centaines de milliers de catholiques. Comment expliquez-vous ce réveil ?

Le PACS concernait un statut administratif distinct du mariage et était symboliquement bien moins fort. Bien que l’ouverture d’une union civile aux couples homosexuels ait alors heurté une partie des cathos, cela n’avait rien à voir avec la réaction à la loi Taubira. La Manif pour tous a développé une stratégie assez habile en se concentrant sur le volet adoption, qui scellait la remise en cause de la famille traditionnelle, plutôt que sur le mariage, qui se bornait à avaliser le PACS et qui « passait » beaucoup mieux dans l’opinion. Ainsi, sur l’ensemble de la population, bien au-delà des seuls catholiques, 60 % des Français se déclaraient favorables au mariage pour tous alors que sur l’adoption, le rapport de forces était de 50/50. Idem chez les catholiques, dont la majorité ne s’opposait pas au mariage pour tous, mais beaucoup plus à l’adoption. Le discours anthropologique de la Manif pour tous « un papa et une maman » a eu bien davantage de résonance que l’argumentation anti-PACS exclusivement catho de Christine Boutin en son temps.

A lire aussi: Des cathos, ils ne savent rien, mais ils diront tout

Ces fameux Français qui ont défilé contre le mariage et l’adoption pour tous en 2012-2013, qui sont-ils sociologiquement ?

Ils représentent une France majoritairement catholique, plutôt issue des classes moyennes, voire des classes moyennes supérieures. Géographiquement, on retrouve l’Ouest parisien et des régions de provinces qui sont les réservoirs du catholicisme en France. Comme en 1984, les réseaux de l’enseignement libre ont servi d’ossature à la mobilisation. La Manif pour tous a surtout drainé la France des familles et des personnes âgées, même si des jeunes – assez nombreux dans les cortèges, mais en fait ultraminoritaires dans leur génération – ont servi de figures de proue médiatiques au mouvement.

Ces « perdants culturels », comme les appelle Élisabeth Lévy (avec bienveillance), représentent-ils la majorité des catholiques ?

Les cathos sont fortement divisés. Dans le rapport à la religion et l’intensité de la pratique, il y a un fossé entre les pratiquants et les non-pratiquants. Près de 55 % de la population française se définit comme catholique, mais seulement 10 à 15 % se dit catholique pratiquante. Au sein même des pratiquants, la droite et l’extrême droite représentent deux tiers des voix.

C’est donc un groupe qui penche très nettement à droite, bien que les cathos de gauche n’aient pas totalement disparu du paysage. D’ailleurs, Macron a réuni 15 % des catholiques pratiquants au premier tour, contre près de 50 % pour Fillon et 15 % pour Marine Le Pen.

Les catholiques pratiquants sont mal à l’aise, voire en opposition, avec la ligne papale

Les catholiques se sont aussi violemment affrontés par essais interposés. L’an dernier, l’avocat chrétien-démocrate Erwan Le Morhedec dénonçait le repli identitaire d’une frange des catholiques tandis que le journaliste de Valeurs actuelles Laurent Dandrieu s’inquiétait des positions immigrationnistes du pape François. Laquelle de ces deux positions est la plus représentative de la rue catholique ?

Au-delà de leurs divisions, les catholiques pratiquants sont globalement assez rétifs à l’accueil des migrants et mal à l’aise, voire pour certains en opposition, avec la ligne papale. La minorité des cathos de gauche, moins audible qu’auparavant, n’a certes pas disparu, comme on le voit à Calais où des associations comme le Secours catholique viennent en aide aux migrants. Mais si l’on se focalise sur les cathos de droite, le match est clairement plié : le second tour de la primaire LR a montré que la ligne Fillon – « vaincre le totalitarisme islamique » et « soutien aux chrétiens d’Orient » – écrasait la ligne Juppé axée sur l’« identité heureuse ». Certes, le courant modéré issu de la démocratie chrétienne subsiste à droite, mais il est largement minoritaire. La frange pro-Bayrou est passée avec armes et bagages du côté de Macron.

Autrement dit, chez une majorité de catholiques, le souci de préserver son identité passe avant l’accueil de l’Autre.

En leur for intérieur, de nombreux catholiques sont tiraillés, mais le droit à la continuité historique l’emporte souvent sur le passage de l’Évangile « j’étais pauvre, j’étais un étranger, vous m’avez accueilli ». Car les questions migratoires renvoient à un autre fait social ressenti négativement : pendant que les églises se vident, les mosquées se remplissent. François Fillon avait bien senti la montée d’un sentiment de deux poids, deux mesures chez les catholiques et s’était prononcé « contre un nouveau tour de vis laïque » qui ferait payer à toute la classe les agissements d’un ou deux trublions. Beaucoup de catholiques ont ainsi l’impression que la République vient aujourd’hui leur chercher des poux dans la tête (interdictions des crèches dans les mairies, affaire de la statue de Ploërmel…). Ils voient dans ce regain de laïcité la remise en cause du statu quo qui prévalait depuis des décennies entre l’Église et la République aujourd’hui menacée par la montée de l’islam. Quand des textes évoquent pudiquement « le fait religieux en entreprise », cela fait rire tout le monde. Où y a-t-il des revendications catholiques en entreprise ?

C’est d’ailleurs mot pour mot le credo de Laurent Wauquiez, récemment élu président des Républicains. Sa tentative de réunir France périphérique et France conservatrice catholique est-elle viable ?

À ce jour, Laurent Wauquiez n’a pas percé dans l’opinion. Vu l’état de Marine Le Pen, il peut néanmoins espérer récupérer à terme une partie de son électorat, mais il devra trouver une cohérence globale. Patrick Buisson a récemment déclaré dans une formule dont il a le secret qu’il fallait réunir la France de Johnny et la France de la Manif pour tous. C’est un projet intellectuellement intéressant, mais difficile à appliquer. Seul Sarkozy y est parvenu en 2007, mais cela n’a pas duré. Reste que Wauquiez devra s’opposer au macronisme triomphant, et pas simplement aux limitations de vitesse sur les départementales ! Or, y compris dans le domaine régalien, Macron a décidé de laisser le moins d’espace possible à cette droite. Comme l’a déclaré Édouard Philippe au sujet du bloc macronien, « la poutre travaille encore ». Estrosi, Bertrand, Juppé, Bussereau ne paient plus leur cotisation LR. Voici la droite durablement amputée de son aile centriste, ce qui la fait tomber à 15 %. En face, même affaibli, le FN reste à 18-20 %. Des Républicains ou du FN, qui mangera l’autre ?

L’une des questions que les militants posent le plus à Marine Le Pen lors de ses déplacements en province, c’est : « Comment va votre nièce ? »

Bonne question ! Avez-vous un pronostic ?

En faisant un peu de politique-fiction, on peut imaginer une course de vitesse entre Laurent Wauquiez et Marion Maréchal-Le Pen qui reviendrait pour remplacer sa tante. D’après les journalistes qui suivent le FN, l’une des questions que les militants posent le plus à Marine Le Pen lors de ses déplacements en province, c’est : « Comment va votre nièce ? » Ils attendent Marion comme Jeanne d’Arc !

En attendant, chez les Républicains, Wauquiez imite la démarche qu’avait initiée Sarkozy en 2003 lorsqu’il adressait des signaux à l’électorat frontiste. Sa stratégie consistait à dire que Jean-Marie Le Pen, qualifié par accident pour le second tour en 2002, ne pourrait jamais gagner la présidentielle et qu’il fallait donc voter Sarkozy si l’on était pragmatique. Mais Wauquiez est aujourd’hui dans une position incomparablement plus fragile que ne l’était le Sarkozy de la rupture avec le vieux monde chiraquien.

Dans ce contexte, le scénario d’une alliance des droites FN-LR comme en Autriche ou en Italie vous semble-t-il plausible ?

Avec le départ de Philippot, la redroitisation de la ligne frontiste sur ses bases identitaires d’un côté, la radicalisation de la droite de l’autre, FN et LR n’ont jamais été aussi proches de pouvoir s’entendre. Les cathos de droite forment d’ailleurs une partie de l’équation dans la recomposition de la droite.

Les catholiques ne sont peut-être pas si droitisés que vous le dites. Ils ont tout de même plébiscité Macron à 60 % au second tour de la présidentielle…

Que 40 % des catholiques votent Marine Le Pen au second tour a été un choc ! Fait inédit, dès l’entre-deux-tours, à la différence de 2002, les évêques de France n’ont pas pris unanimement position contre le FN. La Croix et d’autres médias catholiques se sont indignés de l’explosion de cette digue. Certes, au premier tour, le vote des catholiques pratiquants semble sensiblement le même qu’il y a cinq ans, puisque Fillon reproduit au point près le score de Sarkozy et que Marine Le Pen ne progresse pas. Mais la bonne tenue électorale du candidat LR chez les catholiques s’est faite au prix d’un durcissement identitaire très fort de la ligne Fillon. Toute une partie de l’électorat catholique s’étant droitisée, Marine Le Pen a logiquement récupéré au second tour la moitié des pratiquants orphelins de Fillon. Elle a plus que doublé le score qu’avait atteint son père en 2002 dans ce segment de l’électorat.

Macron ne cherchera pas à se rallier les catholiques, mais peut faire en sorte que la mobilisation anti-PMA soit moins importante que prévu

Les lignes bougent, et pas seulement à droite ! Lorsque le président Macron fustige le « fanatisme laïque » devant des responsables religieux, caresse-t-il lui aussi l’électorat catho dans le sens du poil ?

Cela peut être perçu comme une allusion aux affaires de croix ou de crèches. Néanmoins, toute la difficulté de Macron – on le voit avec la polémique autour de l’immigration – est sa volonté de gagner sur tous les tableaux. C’est le fameux « en même temps » qui le fait se prononcer pour la PMA et dire que le gouvernement Hollande a humilié la Manif pour tous. Macron sait que si cette dernière a si bien mobilisé, c’est parce qu’elle avait des épouvantails : Taubira, Ayrault, Valls qui faisait gazer les manifestants, Hollande et toute la gauche traitant les manifestants de ringards et de réacs. Si Macron décide d’ouvrir la PMA aux couples de femmes, comme cela semble se dessiner, il aura à cœur de ne pas brusquer ni humilier les cathos, même si la confrontation sera inévitable.

Comment le président peut-il espérer rallier à la fois les catholiques et des partisans de la PMA ?

Macron ne cherchera pas à se les rallier, mais peut faire en sorte que la mobilisation soit moins importante que prévu. Une manif anti-PMA n’aura pas le même impact si elle réunit 80 000 ou 400 000 personnes. Avant la présidentielle, Macron avait donné des gages à l’électorat catholique, allant voir Villiers au Puy-du-Fou, rendant hommage à Jeanne d’Arc à Orléans. Mais ça reste du marketing !

Ce genre de grosses ficelles fonctionne-t-il encore ?

Non. Les Français sont de moins en moins dupes du marketing électoral, et les cathos encore moins. Si Fillon avait conquis leur confiance, c’est parce qu’il était de leur famille. Macron pense qu’on peut tout acheter, mais une partie de ces électeurs ne sont pas à vendre. La question du rapport à l’argent ramène d’ailleurs à des valeurs bien plus profondes que tel ou tel débat sociétal (mariage, PMA, immigration…). C’est ce que Sarkozy n’avait pas compris : la France n’est pas un pays protestant qui glorifie l’argent et la réussite !

Sarkozy avait eu beau transgresser l’esprit de la laïcité comme jamais aucun de ses prédécesseurs, avec ses propos sur l’instituteur qui « ne pourra jamais remplacer le curé ou le pasteur », son côté « bling-bling » avait annihilé ses efforts. Il n’avait pas les codes. Macron a commis la même erreur avec sa phrase : « Il faut que des jeunes Français aient envie de devenir milliardaires ». C’est de nature à lui aliéner une bonne partie des catholiques, de droite comme de gauche.

Directeur du département Opinion publique de l’Ifop, Jérôme Fourquet vient de publier À la droite de Dieu. Le réveil identitaire des catholiques (Le Cerf, 2018).

Les Rien-pensants

Price: 23,56 €

23 used & new available from 3,93 €

Tariq Ramadan en prison: une stratégie politique?

0

Avant de tenter une analyse stratégico-tactico-technique sur l’affaire Ramadan à ce stade, je voudrais procéder à un petit rappel pour ceux qui ont fait semblant de ne pas comprendre mon propos précédent. Que ce soit dans les commentaires sous l’article ou sur les réseaux, j’ai été copieusement insulté, accusé de complicité avec l’islamisme et, crime des crimes, de cracher sur les « victimes ». Avocat de profession j’ai été traité de « baveux », accusé de défendre Ramadan et par conséquent d’en être le complice.

La lapidation est dans le Coran, pas dans le Code pénal 

En la circonstance, je ne défends pas le prédicateur, il a ce qu’il lui faut, avocats, familles, amis, réseaux. Mais peut-être que baver pour un baveux, c’est mieux que cracher sur un homme à terre, hurler à la mort, souhaiter qu’il se fasse sodomiser en prison, être incapable de se tenir dignement, pour ensuite donner des leçons de civilisation aux Frères musulmans. Il est désolant que les braillards ne voient pas cette contradiction et le caractère déshonorant de ce qu’on a lu et entendu. Personnellement, je combats Tariq Ramadan POLITIQUEMENT, et pour ça, il n’y a nul besoin de crier « à mort » quand passe le fourgon, au contraire. Cette attitude il faut la laisser à ceux qui confondent le peuple et la populace. Et aux islamistes bien sûr. Parce que la lapidation est dans le Coran, et justement pas dans le Code pénal de la République française.

A lire aussi: Tariq Ramadan: la justice oui, le lynchage non

À partir des éléments dont on dispose, on va tenter, très prudemment, d’imaginer quelle est la situation et quelles sont les positions des deux côtés de la barre.

En cabane contre une cabale ?

Le parquet de Paris tout d’abord, saisi de deux plaintes il y a déjà un moment, a procédé à ce que l’on appelle une enquête préliminaire. Dans la mesure où celle-ci est diligentée par une « autorité de poursuite », dépendant du pouvoir exécutif, les enquêteurs ne sont pas tenus à l’objectivité ou à l’impartialité. Même si l’objectivité est préférable comme méthode pour présenter un dossier solide au juge du siège, en l’occurrence le juge d’instruction, qui, lui, est tenu à l’impartialité. D’après les informations très partielles dont on peut disposer, il semble que l’enquête préliminaire ait été particulièrement à charge. Surtout lors des interrogatoires et confrontations qui ont eu lieu pendant la garde à vue. Par exemple, les contradictions dans les dépositions des plaignantes n’ont pas été abordées. Il faut savoir que les avocats qui ont assisté Ramadan pendant sa garde à vue n’avaient pas accès au dossier, et se trouvaient par conséquent impuissants pour les relever. L’absence de transmission par le parquet aux services de police d’un justificatif pouvant crédibiliser un alibi dans une des affaires, est surprenant. Il semble que l’hypothèse de l’oubli volontaire ne soit pas complètement absurde.

À la fin de la garde à vue, le parquet doit présenter celui qui va devenir un prévenu au juge d’instruction. Le procureur a requis la mise en examen pour des qualifications criminelles et la mise en détention provisoire du prédicateur. Quelques indiscrétions transformées en rumeurs qui parcourent les couloirs du palais de justice donnent à penser que le dossier criminel est, pour l’instant, boiteux. Et qu’en l’état, une condamnation pour viol en cour d’assises ne serait pas garantie. C’est l’avocat d’une des plaignantes qui a un peu craché le morceau lors d’une interview donnée à BFM TV après le mandat de dépôt du prédicateur. Avec une certaine ingénuité il a indiqué que l’intérêt de la détention résidait dans le fait qu’elle allait permettre à d’autres paroles de se libérer. Donc si l’on comprend bien, la détention est destinée à empêcher des pressions sur de futures plaignantes. C’est original…

Tariq Ramadan ne peut pas avouer

La stratégie supposée de Tariq ramadan ensuite. Toujours d’après des informations partielles, le dossier serait pour l’instant insuffisant pour produire une vérité judiciaire conduisant inéluctablement à une condamnation criminelle pour viol. Mais il contiendrait cependant un maximum d’éléments établissant, qu’à l’instar de DSK, Ramadan serait un chaud lapin. Or à la différence de DSK qui l’assumait, Tariq ramadan ne peut pas le reconnaître. Prédicateur religieux prônant la vertu, grand donneur de leçons de morale, se révéler être un triste Tartuffe sonnerait le glas de son autorité et par conséquent de sa vie sociale. C’est donc la raison probable pour laquelle, il nie toujours farouchement, et contre semble-t-il une certaine évidence, avoir eu des relations sexuelles avec les deux actuelles plaignantes.

Que comprendre de la position des magistrats du siège en l’état ? La détention provisoire est organisée par le code de procédure pénale de la façon suivante. Le parquet requiert cette mise en détention lors de la présentation de celui qui est alors mis en examen. Le ou les juges d’instruction saisis, en l’occurrence ils sont trois, peuvent la juger inutile et ne pas saisir le juge des Libertés et de la Détention (JLD). En revanche s’ils la souhaitent, ils saisissent le JLD. Le prévenu peut alors demander ce que l’on appelle un « débat différé » pour préparer sa défense. Il est alors mis en détention pour une durée qui ne peut excéder quatre jours, au terme desquels a lieu le débat contradictoire. À la suite duquel le JLD rend sa décision.

C’est ce qui s’est passé le 6 février dernier, avec le prononcé de la mise en détention de Tariq Ramadan. La situation concernant les juges du siège est donc la suivante : les trois magistrats instructeurs ont souhaité le mandat de dépôt, et le JLD les a suivis. La lecture de l’article 144 du code de procédure pénale, démontre qu’il n’est pas compliqué de piocher dans les critères qui peuvent justifier une mise en détention. Cela étant, on n’y trouve pas la protection de futures et éventuelles plaignantes…  Je vais courageusement rester circonspect, et rappeler encore une fois que Ramadan a des avocats et que ceux-ci vont faire leur boulot.

A l’ombre du pouvoir ? 

Cependant, cette incertitude, et l’hypothèse d’une écoute des sirènes du pouvoir (ce qui peut arriver…) par les magistrats du siège, amène à s’interroger sur l’existence ou non d’une stratégie politique autour de son cas. Il est clair que ce qui lui arrive aujourd’hui présente des avantages et des inconvénients. Les avantages sont ceux de sa disqualification pour l’immédiat en tant que prédicateur présentable. Situation particulièrement difficile pour ceux qui lui servaient jusqu’à présent de passe-partout. N’est-ce pas Edwy Plenel, Alain Gresh et autres Houria Bouteldja ?

A lire aussi: Ramadan: le double langage de Plenel

L’enjeu ne serait donc pas pour l’instant de construire un dossier pour obtenir une condamnation de Ramadan devant une cour d’assises dans quelques années, mais de le garder au frais quelque temps, et de le laisser sortir quand instruction et médias auront permis la constitution d’une batterie de casseroles suffisamment bruyante. L’inconvénient, c’est de le faire passer pour un martyr auprès de ses troupes. Au sein desquelles il se trouvera toujours des gens pour crier au complot et au mensonge, aidés en cela par la surenchère et les éructations des lyncheurs de l’autre bord, incapables de mesurer que leurs excès, outre qu’ils sont déshonorants, heurtent les Français musulmans qui n’ont rien à voir avec Ramadan. Et d’une certaine façon aident ce dernier.

Si l’on doit conclure ce texte – dont je répète qu’il est une analyse fondée sur des éléments très partiels et une certaine expérience du fonctionnement de la machine pénale… et de la machine politique aussi -, Tariq Ramadan apparaît d’abord dans cette situation délicate en raison de ses comportements sexuels. Même si pour l’instant il n’est pas possible de dire s’ils le conduiront inéluctablement à une condamnation criminelle. Comme il n’est pas possible de dire que sa situation a pour origine un complot minutieusement décidé. Si main du pouvoir il y a, ce qui n’est pas établi, ce serait à mon sens l’expression d’un opportunisme lié aux circonstances.

Jeux olympiques: le Canada, médaille d’or de l’hypocrisie identitaire

0

Fier d’être un Etat « postnational », le Canada de Justin Trudeau développe paradoxalement une fierté identitaire agressive pendant les Jeux olympiques. Au détriment, notamment, de l’identité québecoise.


PyeongChang, février 2018. C’est la fête. Une marée gigantesque de drapeaux, d’oriflammes, de banderoles colorées envahissent maintenant et pour deux semaines la ville olympique sud-coréenne. Transportée partout à travers le monde par le biais des médias anciens et nouveaux, cette fête par excellence est censée nous rappeler à la fois les joies du vivre-ensemble et l’importance d’une vie répondant aux plus hauts impératifs hygiéniques.

Aujourd’hui au 5e rang du tableau des médailles, le Canada n’est pas en reste. Les athlètes et leurs supporteurs brandissent haut et fort l’unifolié rouge et blanc. « Go Canada Go”, scandent-ils in english s’il-vous-plaît. Toute l’industrie canadienne s’y est mise. Le gouvernement n’a pas même à s’en mêler : on nous abreuve, ici au Canada, de publicités chantant la fierté qui devrait nous habiter d’être canadians/canadiens, from an ocean à l’autre. Comme chaque fois, les Jeux olympiques sont, pour la fédération canadienne ainsi que pour tous les autres pays, l’occasion d’une vaste entreprise de nation building et de célébration identitaire.

L’identité à toutes les sauces

Le 8 décembre 2015 pourtant, peu après sa spectaculaire élection comme Premier ministre du Canada, Justin Trudeau déclarait, sérieux comme un pape, à un journaliste du New York Times en pâmoison : « le Canada n’a pas d’identité qui lui est propre (There is no core identity in Canada). Nous sommes le premier État postnational au monde. » Cette suave déclaration annonçait la « saveur du mois » dont la cantine libérale fédérale canadienne allait nous gaver afin de nous faire avaler son infect porridge dans la joie et l’allégresse jusqu’aux prochaines élections générales.

A lire aussi: Justin Trudeau veut dissoudre le Canada d’hier

L’eau a coulé sous les ponts depuis la mise en place de cette nouvelle stratégie marketing visant à créer le buzz autour du pays le plus fade et, par voie de conséquence, d’apparence la plus moralement irréprochable de la planète. Depuis, les célébrations entourant le 150e anniversaire de l’adoption de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique nous ont prouvé qu’il était tout à fait possible de cracher son fiel sur toute forme de patriotisme et de politique identitaire tout en faisant de ce rejet de l’idée même d’identité nationale la base… d’une identité nationale triomphante et dangereusement conquérante.

Ô Canada, terre de nos post-aïeux…

L’identité canadienne ayant embrassé avec passion toute la rhétorique propre à l’empire du Bien, elle balaie maintenant tout sur son passage. Au premier chef l’identité québécoise qu’elle décrit comme fermée sur elle-même. Cette dernière est pourtant la seule, avec les très abîmées identités autochtones, à être organique, à ne pas émerger des cerveaux d’idéologues exaltés et à avoir conséquemment une quelconque valeur dans le cœur des gens qui la partagent. À côté de celle-ci, l’identité postnationale du royaume de Trudeau fils est aussi substantielle qu’un sachet de saveur artificielle à côté d’un confit de canard, aussi profonde qu’une mode qui sera oubliée dans un an. Elle rafle pourtant la palme de tous les concours de popularité. Les Canadiens l’avalent comme un athlète olympique mange un Big Mac dans une pub à la télé, sans vraiment comprendre l’absurdité de leur position.

Cette mascarade olympique nous rappelle toutefois douloureusement que nous vivons une époque formidable en matière d’hypocrisie politique. Nous sommes Charlie, chantons les louanges de la liberté, mais méprisons ceux qui la revendiquent pour exprimer des idées qui heurtent les idées reçues du libéral-progressisme. Nous rêvons, du haut de notre altitude morale, d’une paix globale mais n’hésitons pas à mener des politiques agressives envers des pays dont les intérêts divergent des nôtres en camouflant nos intentions belliqueuses derrière un marketing politique qui repose sur une image moderne et vertueuse. On chante les louanges de la diversité culturelle et les joies du multiculturalisme comme accueil ultime de l’autre, mais on adopte des politiques menant à l’uniformisation et à la dilution de toute forme d’altérité.

A lire aussi: L’antifascisme anglosaxon colonise le Québec

Les exemples surabondent. L’Occident parle sans cesse des deux côtés de la bouche. Amant de la liberté à la vie à la mort, preux chevalier luttant contre toutes les tyrannies et les oppressions du monde, il se montre pourtant, derrière les beaux discours et les selfies, plus intransigeant et dominateur que jamais à l’échelle mondiale. Le Canada se trouve aujourd’hui au premier rang de cette grande olympiade de l’hypocrisie libérale-progressiste. Ses dirigeants et leurs sourires Pepsodent jubilent devant une nation québécoise profondément endormie, même si elle fut la seule autrefois à ne pas s’être laissée duper par leurs belles paroles, et devant et un Canada anglais approbateur, chaque jour davantage imbu de sa grandeur morale face aux peuplades rétrogrades couvrant encore la planète.

Le multiculturalisme comme religion politique

Price: 24,00 €

21 used & new available from 3,00 €

La face cachée du multiculturalisme

Price: 22,00 €

15 used & new available from 15,26 €

Réforme du bac: retour vers le futur !

0

La nouvelle formule du bac, présentée hier, le 14 février, par Jean-Michel Blanquer, n’est plus « terminale »: elle prépare à nouveau à l’enseignement supérieur.


Voilà une affaire réglée, et non des moindres : le bac nouveau est né. Il est arrivé plus vite qu’on aurait cru. Et devrait être mis en place dès 2021… si les élèves ne descendent pas dans la rue, si les syndicats qui sont, pour le moment, sans voix restent tranquilles et si le corporatisme ne se redresse pas. Pour les élèves, il semble qu’il y ait peu de risques depuis que Bruno Julliard, ce lycéen missionné pour faire sortir ses petits camarades de leur lycée, a été récompensé par une admission à jouer dans la cour des grands. Même la France insoumise n’a pas réussi à mobiliser. Les syndicats, eux, ne manqueront pas de demander quelques moyens supplémentaires. Rien de bien inquiétant. Les difficultés seront sans doute plus grandes du côté corporatiste, car on peut comprendre que les professeurs défendent leur discipline.

Le bac « remusclé » est un lycée « remusclé »

La presse et le grand public ne verront que les modifications de l’examen lui-même, ramené à du contrôle continu (plutôt des sortes de partiels), quatre épreuves écrites ou orales (réparties sur les deux années) et, nouveauté, un oral de vingt minutes. Il y a de quoi alimenter bien des discussions, qui tourneront vite en rond, car il n’y a là rien de bouleversant et tout peut se justifier facilement.

Passons sur le vocabulaire, aujourd’hui inévitable à qui veut être entendu, comme « le baccalauréat égalité », « le baccalauréat plus juste », « le baccalauréat réussite ». Gardons tout le même, pour l’expressivité de la formulation, le « baccalauréat remusclé ».

La vraie nouveauté, celle qu’on n’a peut-être pas encore bien aperçue, c’est que ce baccalauréat est la partie visible d’une transformation discrète, mais profonde des lycées. Méthode Blanquer. L’air de rien, par ce qu’on pourrait penser n’être que de petites touches, on réforme du tout au tout. Déjà la mise en place de Parcoursup, sans en avoir l’air, modifiait toute l’économie du lycée. Par exemple, ce qui n’est quasiment pas commenté et qui est, peut-être, le plus important dans cette réforme : la classe de Terminale n’est plus une classe dite « terminale » mais une classe de « maturation ». Vocabulaire québécois, en usage en Italie, qui devrait être bien accueilli en raison de son allure pédagogiste. On ne voit pas bien ce que cela veut dire, mais on voit bien que la classe Terminale ne termine plus rien. Elle commence autre chose. Elle commence les études post-baccalauréat.

Le bac tient à nouveau compte de la fac

Le sens de cette désignation devient un peu plus clair lorsqu’on se penche sur l’organisation de cette « classe de maturation », qui comportera, naturellement, de la culture commune dite « socle de culture commune » – tout pédagogiste aime les « socles » – des disciplines de spécialités, mais surtout des enseignements facultatifs. Facultatif, c’est dire, au choix des élèves, qui peuvent en prendre jusqu’à deux ou bien ne pas en prendre. Et là se trouve le lycée « remusclé » : mathématiques expertes, mathématiques complémentaires, droit et grands enjeux du monde contemporains. On voit bien que c’est l’enseignement supérieur qui vient ici se faire une place. L’irruption du droit (enfin!) en est un bon signe.

A lire aussi: La crise de l’Université est une crise des lycées

Tous les espoirs sont donc permis, même si on ne manquera pas de l’entendre dire : cette organisation va accentuer les inégalités. Certes. Mais les inégalités qui se manifestent au lycée ne peuvent pas être corrigées au lycée. C’est trop tard. Les inégalités se corrigent à l’école primaire. Passé le CM2, cette correction est très difficile. Passé la classe de Quatrième, elle est devenue quasi impossible. Et la technique de l’ancien ministère qui consistait à vider les enseignements de leur contenu ne faisait qu’aggraver les choses. Elle masquait les inégalités en réduisant l’enseignement à une sorte de plus petit commun dénominateur, en privant les élèves capables d’un enseignement qui leur aurait été pourtant profitable. L’ancien ministère ne s’y était d’ailleurs pas trompé en proposant de corriger ces inégalités après la classe de Troisième, lorsque ce n’est déjà plus possible.

Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement…

Comme on ne peut pas refuser les élèves à l’entrée de la classe de Seconde, des petits détails sont prévus. D’abord l’optionnalité. Sans commentaire. Ensuite « un test numérique de positionnement en début d’année pour permettre à chacun de savoir où il en est en français et en mathématiques ». Aïe ! Puis « un accompagnement personnalisé » et « une aide à l’orientation » de 54 heures.

Maintenant, regardons les « enseignements facultatifs ». En numéro un, voici les « mathématiques expertes » sorte de retour de la magnifique classe de Math’élem d’avant 1967. Pour les ingénieurs et les carrières scientifiques. En numéro deux, les « mathématiques complémentaires », soit le couple proba-statistiques dont ont besoin les gestionnaires d’entreprises d’aujourd’hui et de demain. En numéro trois, « droits et grands enjeux du monde contemporain », sorte de prépa Science Po dont ont besoin les décideurs d’entreprises.

Quant à l’épreuve d’oral, pourtant lourde et onéreuse à organiser, elle est une idée conséquente. Les élèves vont devoir faire l’effort d’abandonner le parler « djeune », « verlandisé » et truffé d’anglicismes lexicaux et syntaxiques. Ce sera une bonne chose, car il est vrai qu’un oral déficient s’accompagne toujours d’une incapacité à s’exprimer à l’écrit.

Il reste encore à trouver une rédaction des programmes susceptible de donner corps à ce rétablissement des lycées. Souhaitons que la nouvelle présidente du CSP, Souâd Ayada y parvienne.

Quelle loi nous protégera des « fake news » des politiques?

0

Si les politiciens savent si bien ce qu’est une « fake news », c’est peut-être parce qu’ils les utilisent eux-mêmes…


Dès le début de l’année, le président Emmanuel Macron a fait de son projet de loi contre les fausses informations l’une de ses priorités, épaulé dans ce sens par la ministre de la Culture, Françoise Nyssen. Cette dernière a récemment livré quelques détails inquiétants de l’esprit de cette réforme pour le JDD : les médias devront désormais « coopérer » avec l’Etat…

A l’Etat de décider si une info’ est juste ou non ? A l’Etat de juger si un scandale est une fausse information ou pas ? « Une procédure de référé judiciaire sera mise en place pour faire cesser rapidement la diffusion d’une fausse nouvelle, lorsque celle-ci est manifeste », a même précisé la ministre ! Dès lors, l’Etat pourra sanctionner les médias. Pourtant, le passé regorge de sprétendues fausses nouvelles, établies ensuite comme véridiques. Mais aucune loi ne pouvait alors permettre à l’Etat ou aux différents pouvoirs d’empêcher ces révélations.

Heureusement qu’il y a des (prétendues) « fake news »

Un exemple : avec ce type de loi, les quelques journalistes courageux du monde sportif n’auraient jamais pu alerter d’un quelconque soupçon de dopage chez Lance Armstrong, dès ses premières victoires sur le Tour de France en 1999. Les instances du cyclisme, comme la puissante Union cycliste internationale (UCI), défendaient l’Américain face aux informations « infondées » du Monde. « Vainqueur » de l’épreuve de 1999 à 2005, il ne sera officiellement convaincu de dopage qu’en 2012, discréditant l’UCI et l’autre presse, celle qui ne voulait pas voir le problème. Si cette loi avait existé en 1999, Le Monde aurait probablement pu être poursuivi en justice par l’UCI pour ses révélations.

A lire aussi: Emmanuel Macron et la « fake » liberté d’expression

Les affaires politiques, comme « l’affaire Cahuzac », seront probablement ciblées par le pouvoir. Un mauvais souvenir pour les socialistes, et certainement pour Emmanuel Macron qui était à cette période secrétaire général adjoint du cabinet du président de la République, François Hollande. Mediapart avait suscité des réserves et subi des critiques et pressions d’un réseau médiatique défendant le corps politique lors de la publication des premiers éléments de l’enquête en 2012. Ces mêmes politiques qui, lorsqu’ils sont dans l’opposition, se mettent à défendre la presse quand elle sort des affaires contre le pouvoir, et qui s’attaquent à cette même presse lorsqu’elle ose enquêter sur eux. La soi-disant fake news de Mediapart, grâce à de longues investigations, s’est avérée juste. Avec une loi comme celle qui est en projet, le pouvoir aurait vraisemblablement pu menacer le média et la poursuite de l’investigation.

Les médias, ou ceux qui sont considérés comme des « poils à gratter » du pouvoir, pourront craindre la nouvelle loi. Le politique aura besoin du soutien d’une certaine presse pour se faire épauler dans cette bataille. Pourquoi pas le Décodex du Monde qui se charge déjà de cette mission, celle de pister des médias qu’il juge non « fiables » ?

La « fake news » comme instrument d’oubli

En revanche, le politique se garde bien de balayer devant sa porte. Il ose ordonner une morale, un code de bonne pratique pour le journaliste. Mais où est-il pour sanctionner ses propres fake news ? Ce projet de loi-là n’est évidemment pas à l’ordre du jour. Et on comprend pourquoi. Leurs fake news sont très utiles pour guider le citoyen sur ce qu’il faut penser et, accessoirement, voter.

L’une des plus grotesques, récemment, est justement l’oeuvre d’un député de La République en marche (LREM). Sylvain Maillard a assuré, le 5 février sur RFI, que « pour l’immense majorité de SDF qui dorment dans la rue, c’est leur choix ».

Pointée du doigt par la presse de gauche ou de droite, cette fake news ne sera pas sanctionnée. Le gouvernement et la majorité tenteraient-il de faire oublier une promesse du soldat Macron ? Le président s’était engagé, le 27 juillet dernier, à ne plus voir aucune personne dans la rue avant la fin de l’année 2017.

Si la promesse est non tenue, c’est donc simplement de la faute des pauvres, qui ont – on s’en doute – un désir masochiste de vivre au plus près du froid l’hiver.

En janvier, sur France Inter, Julien Denormandie, secrétaire d’Etat auprès du ministre de la Cohésion des territoires, avait attesté de la réussite du gouvernement puisqu’il n’y avait, selon lui, en Île-de-France qu’une « cinquantaine d’hommes isolés [qui dormaient dehors] pour être précis ». Christophe Castaner, délégué général de LREM disait à peu près la même chose fin décembre sur BFM TV, estimant qu’il y avait des places disponibles pour loger les SDF, mais que ceux-ci refusaient en partie d’y être hébergés…

La « fake news », un barrage contre le belliqueux

Avant la mise en place de la loi, un média est d’ores et déjà ouvertement sanctionné pour ses positions : RT France. En janvier, certains de ses journalistes se sont vus refouler de la conférence de presse du président Emmanuel Macron. La ligne éditoriale de RT justifie-t-elle cette punition avant l’heure ? Leurs journalistes – au même titre que ceux de Libération, du Monde, de TF1, du Figaro ou de Télérama – possèdent pourtant une carte de presse, délivrée par une commission indépendante.

Ce n’est donc pas une surprise si la loi contre les fausses informations est souhaitée par Emmanuel Macron pour les élections européennes de 2019. L’idée que des médias ne puissent plus condamner l’Union européenne est bien commode dans une période où la sainte institution n’a jamais été aussi critiquée en France ou ailleurs.

Le djihadisme reste à construire

0

Depuis la défaite de l’État islamique en Irak et en Syrie, l’opinion publique s’inquiète du retour des Françaises et Français partis rejoindre Daech qui essaient maintenant de regagner leur mère patrie. Et l’interrogatoire d’un certain Thomas Barnouin, que ses geôliers kurdes ont diffusé sur Twitter, ne rassurera pas nos compatriotes.

Converti à l’islam en 1999, djihadiste à partir de son séjour en Arabie saoudite en 2005 et ancien de la célèbre filière d’Artigat à laquelle appartiennent les frères Merah, Barnouin est un gros poisson. Il explique s’être décidé à partir en Syrie avec femme et enfants en 2014 après que « des musulmans » sont venus chez lui pour lui annoncer qu’ils y avaient fondé un État islamique.

« Je me suis rendu compte après quatre ans avec Daech qu’il s’agissait de criminels »

Quelques années plus tard, le prisonnier des Kurdes ne cache pas son amertume : « Je me suis rendu compte après avoir combattu durant quatre ans avec Daech qu’il s’agissait de criminels. Pour moi, honnêtement, Daech est une création des services de renseignements. Ce n’est pas une organisation islamique sincère. C’est une alliance entre services de renseignements et d’anciens baasistes qui sert son propre agenda au Moyen-Orient. »

Autrement dit, si l’État islamique a trahi l’islam, ce n’est ni en défenestrant des homosexuels ni en brûlant vifs des prisonniers, mais parce qu’ils « se sont battus pour le pétrole ». Aux yeux de Barnouin, Daech était un vaste complot ourdi par les services de renseignement occidentaux dont les djihadistes sincères seraient les innocentes victimes. Au fond, Thomas Barnouin réécrit le bon vieux mythe du coup de poignard dans le dos. Sans doute prépare-t-il inconsciemment le coup d’après : Daech a échoué parce que ce n’était pas l’authentique Daech. Bref, pas d’amalgame !

Ach, la Guerre GroSS Malheur !

0
gueule fer peau dure
"Au revoir là-haut", un film d'Albert Dupontel.

Une Gueule cassée qui boxe dans le Paris des années folles, trois frangines de retour du STO en pleine France des règlements de compte. Deux romans d’après-guerres. Gueule de fer de Pierre Hanot et La Peau dure de Raymond Guérin.


Les après-guerres, une fois passée ce que Malraux appelait « l’illusion lyrique », une fois oubliée l’euphorie des armistices, des libérations, des défilés, ne sont pas vraiment des périodes joyeuses. Une certaine grisaille reprend le dessus, on panse des plaies qui ne cicatrisent jamais tout à fait et la vie que l’on espérait plus belle montre un visage morne, comme celui des films du néoréalisme italien.

Criqui, gueule de fer

Prenons l’exemple d’Eugène Criqui, ce boxeur né en 1893 dont Pierre Hanot, dans sa biographie romancée Gueule de fer, nous raconte l’épopée violente et émouvante à la fois. Pour ce petit gars de Belleville, champion de France des poids plumes en 1910, fils unique de parents qui ne l’aimaient pas, l’après-guerre a en fait commencé dès 1915, pour son plus grand malheur. Il est alors un des meilleurs tireurs de son régiment stationné du côté des Éparges. Pendant des heures, il guette les soldats boches, en face, à quelques centaines de mètres, depuis un poste de tir. Et malheur à celui qui commet une imprudence en allumant une cigarette dans la nuit ou en levant la tête un peu trop haut. Seulement, ce 14 mars, c’est Eugène qui est pris pour cible. Une balle explosive l’atteint en pleine mâchoire : « Criqui veut parler mais ça sort pas, il se tâte, le bas de son visage est en compote, il saigne comme un bœuf, à flots le résiné l’étouffe, il se noie, quelque chose de dur a giclé de sa bouche, ses dents, nom de Dieu, il a perdu ses ratiches ! » Les brancardiers décident de le laisser pour mort et c’est sous la menace de ses copains qu’ils daignent le ramener à l’arrière.

Un phénomène de foire

Eugène s’en tire après des mois d’hospitalisation en compagnie de ceux qu’on ne va pas tarder à appeler les « gueules cassées », exemples emblématiques de cette « brutalisation » dont parlent les historiens de la Grande Guerre. Un as de la chirurgie maxillo-faciale, qui avait vu Criqui sur un ring avant-guerre, se fait un devoir de réparer les dégâts du mieux possible. On peut se demander, avec Pierre Hanot, s’il lui a fait un cadeau. Criqui a maintenant une mâchoire en acier, au sens propre. Il devient « Gueule de fer », un phénomène de foire. Il peut même reprendre la boxe dès 1917.

Sa carrière durera une dizaine d’années et il sillonnera le globe, de l’Australie aux États-Unis, devenant un éphémère champion du monde dans sa catégorie. Faire la une des journaux ne garantit pas le bonheur pour autant. Eugène n’est pas heureux. Il a vu l’horreur de trop près, il la porte dans sa chair, sur son visage. La rencontre avec celle qui deviendra sa femme, Luce, lui apporte un peu de réconfort, mais ses mauvais rêves demeurent et sa souffrance physique aussi : les pommades opiacées sur son visage le soulagent à peine. Alors que le monde s’oublie dans les années folles, Eugène ne connaît que les hôtels garnis, les troisièmes classes sur des bateaux aux traversées interminables, l’odeur mêlée de sueur et de camphre des salles d’entraînement. Ce n’est pas encore un temps où les sportifs, même les champions, font fortune et Eugène vieillira dans la solitude d’une fermette normande, mourant oublié de tous en 1977.

Argot classieux

Pierre Hanot a le style de son sujet : un argot classieux, brutal, poétique, celui qui court de Villon à l’Hôtel du Nord de Carné, la belle langue de tous les éclopés, les brigands, les vénus de barrière et les freaks ensuqués dans le rouquin des zincs périphériques. D’ailleurs, on imaginerait bien Arletty faire un enregistrement de Gueule de Fer, c’est dire si l’auteur a réussi son coup : « Plus de bastos, ce sera au corps à corps, au chourin, à la pelle castor, avec les poings, coups de casque, coup de vice, Lucifer comme arbitre en poule finale du championnat des chairs à canon. »

Eugène Criqui aurait pu être aussi un personnage de Raymond Guérin (1905-1955). Guérin demeure, malgré des rééditions régulières et une biographie de Jean-Paul Kauffmann, un écrivain sous-estimé, sans doute parce que, comme son ami Henri Calet, il a été coincé entre les sartriens, le Nouveau Roman et les Hussards qui chassaient en meute. Guérin, qui a connu la captivité en 40, a perdu en route toutes ses illusions sur les hommes. Un exemple de son pessimisme rageur, on le trouve dans La Peau dure, roman paru en 1948 et tout juste réédité par les éditions Finitude. La Peau dure, c’est l’histoire de trois sœurs qui vont prendre tour à tour la parole dans la France de la Libération.

Guérin avec les humiliés

Il y a Clara, Jacquotte et Louison. Jetées dehors par leur père qui venait de se remarier et a jugé bon de les signaler au STO, elles se sont retrouvées dans une filature, du côté de Magdebourg, tenaillées par la faim, usées par les cadences. La jeunesse et l’innocence meurent assez vite dans de telles conditions. À peine rentrées en France, elles suivent un destin tout tracé. Comme en plus ce sont des jeunes femmes pauvres, le monde est encore moins tendre. Guérin est toujours, dans ses livres, du côté des humiliés et des offensés, même s’il sait qu’ils ne sont pas meilleurs que les autres. Il parle en connaissance de cause, lui qui dans les années 1920 a été garçon d’hôtel, comme il le raconte dans L’Apprenti.

Clara se retrouve bonne à tout faire chez un couple qui n’est pas méchant. Quand les gendarmes débarquent et l’incarcèrent en l’accusant de s’être fait avorter, ses patrons l’aident. Il n’empêche, rien n’a beaucoup changé depuis le Journal d’une femme de chambre de Mirbeau. On pourrait penser que les choses vont mieux pour sa soeur Jacquotte. Elle a épousé Henri, un commis d’épicerie qui s’est installé à son compte, mais les affaires ne sont pas florissantes. Jacquotte devient couturière dans un atelier qui n’a rien à envier au STO et est obligée de vivre chez sa belle-mère. C’est la plus fragile des trois sœurs, la tuberculose la rattrape, elle reste dans un sanatorium du côté de Ville-d’Avray pendant plus d’un an. La seule qui a réussi, dans son genre, c’est Louison. Elle a été mise dans ses meubles par Bibi, un truand déguisé en homme d’affaires, un qui a fait son beurre avec le marché noir.

On est frappé par la crudité de Guérin dans La Peau Dure, une crudité qui n’est pas du voyeurisme, encore moins du misérabilisme. Simplement la volonté, en faisant parler celles qu’on n’entend jamais ou si peu, de rendre compte. C’est peut-être cette lucidité désobligeante et ce refus du confort intellectuel qu’on n’a jamais vraiment pardonné à Raymond Guérin.

Pierre Hanot, Gueule de fer, La Manufacture de livres, 2017.

Raymond Guérin, La Peau dure, Finitude, 2017.



Jean-Michel Blanquer doit tout à Najat Vallaud-Belkacem

0
La grimace de Najat Vallaud-Belkacem en apprenant le nom de son successeur au ministère de l'Education nationale, Jean-Michel Blanquer (à droite). ®capture d'écran BFM TV / SIPA. 00844987_000001

Mais si mais si, pour l’oeuvre de Jean-Michel Blanquer, c’est à Najat Vallaud-Belkacem qu’il faut dire merci ! 


Jean-Michel Blanquer a donc explosé les compteurs de « L’Emission politique », avec 71% des personnes convaincues dans le sondage final. Plus encore, Alexis Corbière, qui n’avait pourtant pas démérité lors de son débat avec le ministre de l’Education nationale, a sans doute eu un moment de désolation lorsqu’il a appris que 69% des électeurs de Jean-Luc Mélenchon de la dernière présidentielle avaient été convaincus par son interlocuteur du soir.

Blanquer, c’est « le vice-président » selon Le Point, et « la nouvelle star » selon Valeurs actuelles.

Derrière chaque grand homme…

Il ne s’agit pas là de mettre en cause ses compétences, ni son bon sens et son habileté politique. Mais on oublie un peu trop facilement à qui Blanquer doit en priorité son immense popularité. La personne à qui le ministre pourrait dire : « je lui dois tout ». Emmanuel Macron, le président qui lui a fait confiance ? Alain Juppé, ce fourier du macronisme, qui l’avait abondamment consulté pour la construction de son programme éducatif ? Gilles de Robien et Luc Chatel, qui lui ont permis de faire ses armes au ministère ? Non. Ni les uns, ni les autres. Cette personnalité à qui Blanquer doit tout est une femme. Sa femme ? Je ne pense pas à elle, et du reste – le ministre préservant à juste titre sa vie privée – on ne sait rien d’elle.

Jean-Michel Blanquer doit tout à Najat Vallaud-Belkacem, qui l’a précédé rue de Grenelle. Grâce à elle, il est populaire. Grâce à elle, tout ce qu’il touche se transforme en or sondagier. Grâce à elle, cet homme est le messie.

Après moi, le soleil !

Si Najat Vallaud-Belkacem n’avait pas mis en œuvre sa réforme du collège, si elle n’avait pas piétiné les classes bilangues et les options Latin et Grec, si elle n’avait pas délégué la rédaction des programmes à l’idéologue Lussault, si elle n’avait installé le tirage au sort comme solution de sélection d’entrée à l’Université, qu’aurait bien pu faire Jean-Michel Blanquer ?

Il suffisait juste d’annoncer son intention de rétablir les classes bilangues, le Latin et le Grec pour paraître un homme de bon sens. Le ministre n’a même pas eu besoin de financer leur rétablissement en redonnant les dotations en heures-postes correspondantes. Ce qui, au passage, n’a pas permis qu’elles fassent leur retour dans bon nombre d’établissements. Oui, il suffisait juste de l’annoncer.

A lire aussi: Scandale des admissions post-bac: merci Najat Vallaud-Belkacem!

En ce qui concerne la sélection à l’université c’est encore plus piquant. Voilà une proposition qui avait mis la jeunesse dans la rue il y a trente-deux ans. Dont la perspective effrayait tous les dirigeants politiques de droite, Sarkozy en tête. Et que le gouvernement fait passer comme une lettre à la poste, avec quelques petites manifs embryonnaires de-ci de-là, sous les applaudissements, ou presque, de la plupart des lycéens. Pour réaliser ce miracle, dont Blanquer est crédité alors que c’est sa collègue Vidal qui est à la manœuvre, il fallait bien que Najat Vallaud-Belkacem soit passée par là, et instaure cette idée saugrenue de tirage au sort. Le tirage au sort, comme preuve par l’absurde de ce refus de la sélection par le mérite, préférant depuis des lustres organiser un naufrage dans le premier cycle des facs, pour mieux repérer les meilleurs nageurs.

La grimace de Mona Lisa

Ah, s’il n’y avait pas eu cette grimace ! Vous vous souvenez ? Cette grimace que Najat Vallaud-Belkacem avait faite lorsqu’elle avait appris le nom de son successeur.

Cette image qu’une caméra indiscrète avait filmée un jour de mai de l’an dernier. S’il n’y avait pas eu cette grimace, on pourrait croire que tout cela n’était que volontaire. Que Vallaud-Belkacem avait en fait tout planifié pour que son successeur puisse enfin, après tant d’années de destruction de notre système éducatif, remettre enfin l’église au milieu du village. Qu’elle avait dynamité sciemment le système de l’intérieur afin que Blanquer puisse reconstruire, enfin. On aurait pu croire à cette alliance entre les deux contraires, comme d’autres croyaient naïvement à celle du glaive et du bouclier à une époque que l’octroi d’un point Godwin ne me permet pas d’évoquer.

A lire aussi: J.-M. Blanquer: « Beaucoup de choses contre-productives ont été entreprises au nom de l’égalité »

S’il n’y avait pas eu cette grimace, on pourrait alors diminuer complètement les mérites de Jean-Michel Blanquer, et ériger une statue à la nouvelle directrice éditoriale de Fayard. Ne pas être statufiée à cause d’une grimace ! C’est ballot.

C'est le français qu'on assassine

Price: 161,37 €

7 used & new available from 64,80 €

Dérapage

Price: 19,06 €

25 used & new available from 0,51 €

Bon sang mais c’est quoi un « épisode neigeux » ?

0
Un skieur sur la butte Montmartre, Paris, février 2018. SIPA. 00843385_000032

Il n’a pas neigé sur la France. Début février, elle a connu, pour les médias, un… « épisode neigeux ».


Ce n’est pas un sujet brûlant mais je remarque que les expressions débiles de ce genre ont le don d’agacer tout le monde, à juste titre d’ailleurs, et contribuent donc à nourrir notre « désamour envers les médias » (une formule de journalistes qui montre à quel point ils aspirent, non seulement à être crus, mais à être aimés de nous !).

La presse ou la reine des « épisodes neigeux » 

A priori, on se dit que ce doit être une notion technique, un terme de météorologie plus précis que « neige ». Quand on l’entend et le lit partout, on a vite fait de penser que, sans doute, cette expression a sa raison d’être, même si celle-ci nous échappe.


neige2



neige3



neige5


On esquisse peut-être tout de même une moue sceptique quand on lit que l’épisode neigeux « s’évacue vers l’Est » (un épisode qui s’évacue ?) :


neige4


En ce cataclysmique mardi 6 février, on nous rassurait : « l’épisode neigeux devrait prendre fin demain en milieu de journée ». Le lendemain, en milieu de journée, la neige cessa de tomber. Mais les routes demeuraient impraticables, le paysage était couvert d’un épais manteau blanc, on ne distinguait pas le trottoir de la chaussée… et il me fallut attendre encore une bonne demi-journée avant de pouvoir aller récupérer ma voiture que j’avais été contrainte d’abandonner quelque part pour rentrer à pied. Autrement dit, il ne neigeait plus mais on aurait pu considérer que « l’épisode neigeux » n’était pas terminé.

Pourtant, selon les médias, il appartenait au passé. Ce qui signifiait, tout simplement, qu’« épisode neigeux » n’était qu’une autre manière de dire « neige ».

La « neige » est-elle climatosceptique ?

Ma première idée a été de lire cette tournure comme une nouvelle manifestation de la tendance à l’euphémisme et à la formulation contournée : de même qu’on ne dit pas d’une personne qu’elle est Noire mais qu’elle « appartient à la communauté Noire », de même, on ne dit plus qu’il neige mais que nous vivons un « épisode neigeux ». Dans la tête d’un journaliste, je suppose que c’est à la fois plus chic et plus acceptable. Plus tarabiscoté, donc moins trash.

J’ai une autre hypothèse interprétative, qui renverrait plus au domaine de l’inconscient journalistique. « L’épisode » est, étymologiquement, « ce qui vient en plus sur le chemin » (épi-eis-hodos). Le mot désigne, en dramaturgie, une action secondaire rattachée à l’action principale : l’adjectif « épisodique » insiste d’ailleurs sur ce caractère accessoire quoique répétitif. Or, il va de soi que les périodes de grand froid, accompagnées de chutes de neige paraissent, au moins en apparence, mettre à mal la thèse du réchauffement climatique. Comme j’ai déjà pu le montrer, les journalistes sont très attachés à la crédibilité du réchauffisme (au point de faire dire aux experts plus qu’ils n’en disent) et notamment, aiment à utiliser les phénomènes météorologiques comme des arguments au service de cette thèse climatologique. S’ils procèdent ainsi, c’est évidemment parce qu’ils sont conscients de la nécessité d’anticiper les pensées déviantes (comprendre: climatosceptiques, comme on dit) que pourraient faire naître des variations de température en contradiction avec les prévisions prophétiques qu’il s’agit d’asseoir dans l’opinion. Rappelons que pour les médias, le réchauffement planétaire inéluctable, continu et d’origine anthropique n’est pas…

>>> Lisez la suite de l’article sur le blog d’Ingrid Riocreux <<<

La Langue des médias : Destruction du langage et fabrication du consentement

Price: 20,00 €

30 used & new available from 2,48 €

 

Grand Paris: les bobos, une chance pour Hidalgo (ou presque)

0
Anne Hidalgo aime le vélo. Ici à Paris en octobre 2017. SIPA. AP22121397_000016

Le nouveau trésor urbain ? Les bobos, hipsters et autres « classes créatives » d’après Jacques Godron, président du Club du Grand Paris qui, dans la revue des anciens de l’ENA, s’inspire des travaux d’un Américain pour rêver la ville de demain. De l’aveuglement en milieu mondialisé. 


Jacques Godron est président du Club du Grand Paris, une association de hauts fonctionnaires qui se donne pour objectif de promouvoir la métropole du Grand Paris en y consacrant même un Institut des Hautes Etudes des Métropoles, doté d’un conseil scientifique de 30 membres, rien de moins, dont l’originalité est de ne compter aucun scientifique pour laisser la place à un aréopage de préfets hors cadres, d’Inspecteurs de l’Education nationale et autres corps d’élites dont la contribution à la science n’est plus à établir.

La solidarité ? Dépassée !

Et le technocrate de vouloir investir dans les regroupements de grandes écoles, les quartiers d’affaires, les clusters, la culture, le transport aérien et le tourisme d’affaires. Et pas question d’affecter à cette métropole une compétence en matière de logement qui se chargerait d’une péréquation entre Ouest riche et Est pauvre. Non, cela ne servira pas à attirer « les milieux d’affaires internationaux, les CEO des quartiers généraux, les stars polyglottes de la culture, les pionniers de la R&D, les tycoons de la presse et de l’information, les hauts fonctionnaires internationaux et les fonds de pension » qui n’ont que faire des inégalités, mais auront au contraire besoin de la prolifération d’immigrés low-cost.

Classes créatives, classes lucratives

Godron a un inspirateur – dans la pure tradition française d’adopter avec dix ans de retard des modes qui ont déjà échoué aux Etats-Unis -: le professeur américain Richard Florida pour qui le véritable atout d’une ville pour attirer les entreprises n’est pas la panoplie d’exonérations fiscales que toutes proposent, mais la qualité de son capital humain. Jusqu’ici il n’a pas tort. Mais l’argument est d’attirer d’abord ce capital humain et ensuite les entreprises, en partant de la supposition que les entreprises viennent s’installer là où est le talent, ce qui n’est pas faux non plus.

A lire aussi: Entre islam et boboïsation, Bruxelles ne bruxelle plus pareil

D’où son idée: les villes doivent attirer les « classes créatives » pour attirer les entreprises et revitaliser le centre-ville des villes américaines. Celles-ci représentent 30% de la population et 70% du pouvoir d’achat et recouvrent les métiers de la haute technologie, du divertissement, du journalisme, de la finance, ou de l’artisanat d’art. Richard Florida a fait une fortune en Amérique du Nord. Sa société de conseil qui intervient auprès de nombreuses villes et propage ses théories dans le monde entier par des conférences facturées 35 000 dollars.

Métro-boulot-bobo

L’approche de Richard Florida ne fonctionne pas, sauf pour ses honoraires. Pourquoi ?

Une étude sur un ensemble de villes en Europe et en Amérique du Nord, montre que lesdites « classes créatives » sont en fait fort peu mobiles. Plus de la moitié des enquêtés vivent dans la ville où ils sont nés et ont fait leurs études. Pourquoi les talents choisissent-ils de s’installer dans une ville ? « La raison principale de leur arrivée est l’emploi (51,2%) et d’une façon générale les hard factors (69,9%). Les soft factors ne représentent que 10,3%, à peine plus que dans la population d’ensemble ». Les facteurs soft réellement efficaces qui ressortent de l’enquête sont liés au cadre naturel et à l’ambiance de la ville, qui sont peu susceptibles d’être affectés par des politiques publiques.

Richard Florida commet l’erreur classique de confondre corrélation et causalité. La culture d’une ville lui vient de son histoire et de sa tradition et non d’une décision politique et d’un bricolage qui créerait un « capital culturel ». Pour Florida, il suffirait d’importer des « classes créatives » selon sa recette des « trois T » : talents, technologie, tolérance.

Talents, technologie, tolérance

Le talent est somme toute très conservateur et ne se précipite pour habiter le quartier de Bellevue à Seattle que s’il y est attiré par les hauts salaires des firmes du numérique qui lui permettront de payer ses loyers mirobolants. Florida établit une relation causale entre le talent et le développement économique. Or, l’histoire économique nous apprend que le talent est un processus endogène qui procède du développement et qui ensuite, dans une relation circulaire et cumulative, attire de nouveaux talents.

La focalisation sur la technologie suppose que seules les firmes high-techs sont la base d’une dynamique territoriale, alors qu’il y a un dynamisme ignoré des villes qui héritent d’un passé technologique obsolète (en France, le cas des villes de Saint-Amand-Montrond, de Loos en Gohelle, de Vitry-le-François, entre autres, qui succède à la reconversion spectaculaire de Cholet) et qui se montrent capables d’innover et de se reconvertir à partir de leur capital social et de leur histoire.

A lire aussi: « A Nous Paris », le magazine de l’élite « globish » qui « s’enjaille »

Le troisième T de Richard Florida, la tolérance, s’inscrit dans la vénération contemporaine pour le relativisme. Florida a inventé un gay index qui corrèle taux d’homosexuels et créativité. Ils seraient un marqueur de créativité comme les canaris dans les mines de charbon marquaient la présence de grisou. S’y ajoute un indice bohémien pour corréler comportements de marginal chic et créativité. Pour Florida, une ville qui n’a pas de communauté gay ni de bars rock ouverts jusqu’à trois heures du matin, n’a pas d’avenir industriel. Là encore, il confond corrélation et causalité. Que l’industrialisation ait produit une évolution des mœurs – désirable ou non désirable – est une évidence, mais en faire une causalité relève du sophisme.

L’idée que la diversité est corrélée à la créativité semble séduisante. Mais il s’agit d’une fausse diversité et une fausse créativité puisqu’elle repose sur des standards sociaux qui sont, au-delà des apparences, très rigides: les mêmes appellent les mêmes, ce qui est d’ailleurs contenu dans l’idée de « classe créative » qui sort grosso modo des mêmes écoles et des mêmes types de cursus académique et qui vénère les mêmes standards culturels.

Ghettos de riches

L’échec de ces théories est patent aux Etats-Unis et s’est traduit par la création de ghettos de riches comme à Seattle et une explosion du prix des logements. Richard Florida reconnaît aujourd’hui qu’il s’est trompé, a publié un nouveau livre et continue à faire des conférences à 35 000 dollars pour expliquer que ses théories n’ont fait que renforcer les inégalités sociales, la ségrégation entre riches et moins riches au nom de la diversité, et contribuer au développement de la gentrification[tooltips content= »La gentrification est un phénomène urbain par lequel des personnes plus aisées s’approprient un espace initialement occupé par des habitants moins favorisés, transformant ainsi le profil économique et social du quartier au profit exclusif d’une couche sociale supérieure. Le terme est formé à partir du mot anglais gentry qui désigne la petite noblesse, et dans, un sens péjoratif, les nouveaux parvenus. »]1[/tooltips] des villes, mais qu’il n’en est pas responsable, processus qui touche les classes populaires remplacées par les nouvelles classes petites-bourgeoises qui profitent de la hausse du prix du foncier et de l’immobilier et la stimulent en réhabilitant – ou plus souvent faisant réhabiliter sur fonds publics – des quartiers populaires anciens. Il prône désormais « la créativité pour tous » et la construction de logements sociaux, voire le contrôle des loyers…toujours pour 35000 dollars.

La ville de Seattle a tout fait pour se conformer à la politique des trois T. Son plan d’urbanisme a autorisé la reconversion des anciennes usines en bureaux modernes avec pistes cyclables et jardins bios. Toutes les minorités ont leur programme de lutte contre la discrimination et la ville a gagné en 2012 le titre de « meilleure ville pour les hipsters », selon l’indice hipster qui mesure le nombre de tatoueurs, de vendeurs de vélos, de cafés indépendants ouverts la nuit, de brasseries artisanales, de friperies et de magasins de disques (vinyles).

Classement des villes selon l’indice hipster

Les anciens quartiers ouvriers se transforment en immeubles sophistiqués hors de prix offrant une coopérative d’élevage de poulets bios et des spas pour chats et chiens. La ville créative de Richard Florida croule sous les bons sentiments, les politiques d’apparence progressistes de « lutte contre les discriminations », mais « les incantations à la diversité ethnique et sexuelle se traduisent indirectement par un recul de la diversité sociale (…) dans les comtés de Grant ou d’Adams, les drapeaux arc-en-ciel sont inexistants, tout comme les clubs de yoga et les marchands de  vinyles(…) D’ici le progressisme à la mode de Seattle qui promeut la diversité, mais favorise un entre soi de créatifs… qui prônent un développement vert alors que l’économie locale dépend de l’exploitation intensive du bois et des sols, ressemble à une incongruité ».

Des armées de précaires

Que sont devenus les 70% qui ne sont pas « créatifs »? Des « inutiles » selon l’économiste Pierre-Noel Giraud. Des chômeurs perpétuels vivants de petits boulots et d’assistanat, des exclus du système qui ne songent même plus à y rentrer, des immigrés low-cost pour promener les chiens et livrer les pizzas. La pire des inégalités, celles de ceux qui n’ont plus d’avenir à construire, qui n’ont plus à lutter, qui n’ont plus d’horizon. « La misère d’être exploité par les capitalistes n’est rien comparée à la misère de ne pas être exploité du tout », écrivait en 1962 l’économiste Joan Robinson. La vieille classe ouvrière old school luttait pour un avenir meilleur, s’organisait pour améliorer sa condition, avait créé les sociétés de secours mutuel, les bourses du travail, les syndicats, des mouvements de jeunesse, de tourisme populaire, croyait en des lendemains qui chanteraient dans un présent que l’on organisait dans la solidarité. La ville des classes créatives y préfère ces armées de précaires, « inutiles » et inorganisés.

70% d’ « inutiles » à Paris

Voilà donc le projet de M. Godron. Faire du Grand Paris une métropole avec ses 70% d’inutiles qui remplaceront le vieux peuple ringard avec ses droits sociaux. Il ne va qu’étendre à la région la politique des mairies de gauche à Paris. Résultat, nous dit Christophe Guilluy : « Paris est le stade suprême du nouveau capitalisme. Un capitalisme cool qui offre tous les avantages de l’économie de marché sans les inconvénients de la « lutte des classes ». Mais tout cela sous l’aspect cool des « classes créatives » : comme l’écrit Guilluy, « les Rougon-Macquart sont désormais déguisés en hipsters ».

Paris sans le peuple: La gentrification de la capitale

Price: 13,50 €

13 used & new available from 7,27 €


Jérôme Fourquet: « Les cathos pratiquants sont assez rétifs à l’accueil des migrants »

0
Jérôme Fourquet, directeur du département Opinion publique à l'IFOP. © Hannah Assouline

Pris en étau entre la montée d’un islam revendicatif et la défense laïque, beaucoup de catholiques se perçoivent comme une minorité menacée. Pour séduire cette communauté droitisée, FN et LR se livrent une course à la calotte. Entretien avec le directeur du département Opinion publique à l’IFOP. 


Causeur. Votre livre évoque la « communauté catholique », comme il existe des communautés maghrébine et asiatique en France. Cela signifie-t-il que les catholiques ont conscience de ne plus former la majorité culturelle du pays ?

Jérôme Fourquet. Les catholiques se considèrent en effet comme une minorité parmi d’autres dans une société massivement déchristianisée, dont les mutations anthropologiques (loi Taubira, voire bientôt PMA et GPA ?) les heurtent profondément. Jusqu’au mariage pour tous, ils se sentaient protégés par une espèce de droit d’aînesse, mais la loi Taubira leur a fait prendre conscience des conséquences de leur statut minoritaire. En dépit de leur mobilisation massive, ils n’ont pas réussi à faire reculer la gauche au pouvoir. En cela, la Manif pour tous (2013) est l’antithèse de la mobilisation pour l’école libre (1984), qui avait obtenu gain de cause.

Pourtant, la déchristianisation de la société ne date pas d’hier : dès le début des années 1960, juste avant le concile Vatican II, seulement un tiers des Français déclarait aller à la messe tous les dimanches. En 2012, ce chiffre était descendu à 6 %, signe d’un basculement culturel et sociologique majeur.

Les cathos sont fortement divisés.

À mesure que la société se déchristianise, son noyau catholique semble de plus en plus s’engager. Ainsi, le PACS (1997) n’avait soulevé aucune mobilisation massive alors que le mariage pour tous (2012-2013) a cristallisé l’opposition de centaines de milliers de catholiques. Comment expliquez-vous ce réveil ?

Le PACS concernait un statut administratif distinct du mariage et était symboliquement bien moins fort. Bien que l’ouverture d’une union civile aux couples homosexuels ait alors heurté une partie des cathos, cela n’avait rien à voir avec la réaction à la loi Taubira. La Manif pour tous a développé une stratégie assez habile en se concentrant sur le volet adoption, qui scellait la remise en cause de la famille traditionnelle, plutôt que sur le mariage, qui se bornait à avaliser le PACS et qui « passait » beaucoup mieux dans l’opinion. Ainsi, sur l’ensemble de la population, bien au-delà des seuls catholiques, 60 % des Français se déclaraient favorables au mariage pour tous alors que sur l’adoption, le rapport de forces était de 50/50. Idem chez les catholiques, dont la majorité ne s’opposait pas au mariage pour tous, mais beaucoup plus à l’adoption. Le discours anthropologique de la Manif pour tous « un papa et une maman » a eu bien davantage de résonance que l’argumentation anti-PACS exclusivement catho de Christine Boutin en son temps.

A lire aussi: Des cathos, ils ne savent rien, mais ils diront tout

Ces fameux Français qui ont défilé contre le mariage et l’adoption pour tous en 2012-2013, qui sont-ils sociologiquement ?

Ils représentent une France majoritairement catholique, plutôt issue des classes moyennes, voire des classes moyennes supérieures. Géographiquement, on retrouve l’Ouest parisien et des régions de provinces qui sont les réservoirs du catholicisme en France. Comme en 1984, les réseaux de l’enseignement libre ont servi d’ossature à la mobilisation. La Manif pour tous a surtout drainé la France des familles et des personnes âgées, même si des jeunes – assez nombreux dans les cortèges, mais en fait ultraminoritaires dans leur génération – ont servi de figures de proue médiatiques au mouvement.

Ces « perdants culturels », comme les appelle Élisabeth Lévy (avec bienveillance), représentent-ils la majorité des catholiques ?

Les cathos sont fortement divisés. Dans le rapport à la religion et l’intensité de la pratique, il y a un fossé entre les pratiquants et les non-pratiquants. Près de 55 % de la population française se définit comme catholique, mais seulement 10 à 15 % se dit catholique pratiquante. Au sein même des pratiquants, la droite et l’extrême droite représentent deux tiers des voix.

C’est donc un groupe qui penche très nettement à droite, bien que les cathos de gauche n’aient pas totalement disparu du paysage. D’ailleurs, Macron a réuni 15 % des catholiques pratiquants au premier tour, contre près de 50 % pour Fillon et 15 % pour Marine Le Pen.

Les catholiques pratiquants sont mal à l’aise, voire en opposition, avec la ligne papale

Les catholiques se sont aussi violemment affrontés par essais interposés. L’an dernier, l’avocat chrétien-démocrate Erwan Le Morhedec dénonçait le repli identitaire d’une frange des catholiques tandis que le journaliste de Valeurs actuelles Laurent Dandrieu s’inquiétait des positions immigrationnistes du pape François. Laquelle de ces deux positions est la plus représentative de la rue catholique ?

Au-delà de leurs divisions, les catholiques pratiquants sont globalement assez rétifs à l’accueil des migrants et mal à l’aise, voire pour certains en opposition, avec la ligne papale. La minorité des cathos de gauche, moins audible qu’auparavant, n’a certes pas disparu, comme on le voit à Calais où des associations comme le Secours catholique viennent en aide aux migrants. Mais si l’on se focalise sur les cathos de droite, le match est clairement plié : le second tour de la primaire LR a montré que la ligne Fillon – « vaincre le totalitarisme islamique » et « soutien aux chrétiens d’Orient » – écrasait la ligne Juppé axée sur l’« identité heureuse ». Certes, le courant modéré issu de la démocratie chrétienne subsiste à droite, mais il est largement minoritaire. La frange pro-Bayrou est passée avec armes et bagages du côté de Macron.

Autrement dit, chez une majorité de catholiques, le souci de préserver son identité passe avant l’accueil de l’Autre.

En leur for intérieur, de nombreux catholiques sont tiraillés, mais le droit à la continuité historique l’emporte souvent sur le passage de l’Évangile « j’étais pauvre, j’étais un étranger, vous m’avez accueilli ». Car les questions migratoires renvoient à un autre fait social ressenti négativement : pendant que les églises se vident, les mosquées se remplissent. François Fillon avait bien senti la montée d’un sentiment de deux poids, deux mesures chez les catholiques et s’était prononcé « contre un nouveau tour de vis laïque » qui ferait payer à toute la classe les agissements d’un ou deux trublions. Beaucoup de catholiques ont ainsi l’impression que la République vient aujourd’hui leur chercher des poux dans la tête (interdictions des crèches dans les mairies, affaire de la statue de Ploërmel…). Ils voient dans ce regain de laïcité la remise en cause du statu quo qui prévalait depuis des décennies entre l’Église et la République aujourd’hui menacée par la montée de l’islam. Quand des textes évoquent pudiquement « le fait religieux en entreprise », cela fait rire tout le monde. Où y a-t-il des revendications catholiques en entreprise ?

C’est d’ailleurs mot pour mot le credo de Laurent Wauquiez, récemment élu président des Républicains. Sa tentative de réunir France périphérique et France conservatrice catholique est-elle viable ?

À ce jour, Laurent Wauquiez n’a pas percé dans l’opinion. Vu l’état de Marine Le Pen, il peut néanmoins espérer récupérer à terme une partie de son électorat, mais il devra trouver une cohérence globale. Patrick Buisson a récemment déclaré dans une formule dont il a le secret qu’il fallait réunir la France de Johnny et la France de la Manif pour tous. C’est un projet intellectuellement intéressant, mais difficile à appliquer. Seul Sarkozy y est parvenu en 2007, mais cela n’a pas duré. Reste que Wauquiez devra s’opposer au macronisme triomphant, et pas simplement aux limitations de vitesse sur les départementales ! Or, y compris dans le domaine régalien, Macron a décidé de laisser le moins d’espace possible à cette droite. Comme l’a déclaré Édouard Philippe au sujet du bloc macronien, « la poutre travaille encore ». Estrosi, Bertrand, Juppé, Bussereau ne paient plus leur cotisation LR. Voici la droite durablement amputée de son aile centriste, ce qui la fait tomber à 15 %. En face, même affaibli, le FN reste à 18-20 %. Des Républicains ou du FN, qui mangera l’autre ?

L’une des questions que les militants posent le plus à Marine Le Pen lors de ses déplacements en province, c’est : « Comment va votre nièce ? »

Bonne question ! Avez-vous un pronostic ?

En faisant un peu de politique-fiction, on peut imaginer une course de vitesse entre Laurent Wauquiez et Marion Maréchal-Le Pen qui reviendrait pour remplacer sa tante. D’après les journalistes qui suivent le FN, l’une des questions que les militants posent le plus à Marine Le Pen lors de ses déplacements en province, c’est : « Comment va votre nièce ? » Ils attendent Marion comme Jeanne d’Arc !

En attendant, chez les Républicains, Wauquiez imite la démarche qu’avait initiée Sarkozy en 2003 lorsqu’il adressait des signaux à l’électorat frontiste. Sa stratégie consistait à dire que Jean-Marie Le Pen, qualifié par accident pour le second tour en 2002, ne pourrait jamais gagner la présidentielle et qu’il fallait donc voter Sarkozy si l’on était pragmatique. Mais Wauquiez est aujourd’hui dans une position incomparablement plus fragile que ne l’était le Sarkozy de la rupture avec le vieux monde chiraquien.

Dans ce contexte, le scénario d’une alliance des droites FN-LR comme en Autriche ou en Italie vous semble-t-il plausible ?

Avec le départ de Philippot, la redroitisation de la ligne frontiste sur ses bases identitaires d’un côté, la radicalisation de la droite de l’autre, FN et LR n’ont jamais été aussi proches de pouvoir s’entendre. Les cathos de droite forment d’ailleurs une partie de l’équation dans la recomposition de la droite.

Les catholiques ne sont peut-être pas si droitisés que vous le dites. Ils ont tout de même plébiscité Macron à 60 % au second tour de la présidentielle…

Que 40 % des catholiques votent Marine Le Pen au second tour a été un choc ! Fait inédit, dès l’entre-deux-tours, à la différence de 2002, les évêques de France n’ont pas pris unanimement position contre le FN. La Croix et d’autres médias catholiques se sont indignés de l’explosion de cette digue. Certes, au premier tour, le vote des catholiques pratiquants semble sensiblement le même qu’il y a cinq ans, puisque Fillon reproduit au point près le score de Sarkozy et que Marine Le Pen ne progresse pas. Mais la bonne tenue électorale du candidat LR chez les catholiques s’est faite au prix d’un durcissement identitaire très fort de la ligne Fillon. Toute une partie de l’électorat catholique s’étant droitisée, Marine Le Pen a logiquement récupéré au second tour la moitié des pratiquants orphelins de Fillon. Elle a plus que doublé le score qu’avait atteint son père en 2002 dans ce segment de l’électorat.

Macron ne cherchera pas à se rallier les catholiques, mais peut faire en sorte que la mobilisation anti-PMA soit moins importante que prévu

Les lignes bougent, et pas seulement à droite ! Lorsque le président Macron fustige le « fanatisme laïque » devant des responsables religieux, caresse-t-il lui aussi l’électorat catho dans le sens du poil ?

Cela peut être perçu comme une allusion aux affaires de croix ou de crèches. Néanmoins, toute la difficulté de Macron – on le voit avec la polémique autour de l’immigration – est sa volonté de gagner sur tous les tableaux. C’est le fameux « en même temps » qui le fait se prononcer pour la PMA et dire que le gouvernement Hollande a humilié la Manif pour tous. Macron sait que si cette dernière a si bien mobilisé, c’est parce qu’elle avait des épouvantails : Taubira, Ayrault, Valls qui faisait gazer les manifestants, Hollande et toute la gauche traitant les manifestants de ringards et de réacs. Si Macron décide d’ouvrir la PMA aux couples de femmes, comme cela semble se dessiner, il aura à cœur de ne pas brusquer ni humilier les cathos, même si la confrontation sera inévitable.

Comment le président peut-il espérer rallier à la fois les catholiques et des partisans de la PMA ?

Macron ne cherchera pas à se les rallier, mais peut faire en sorte que la mobilisation soit moins importante que prévu. Une manif anti-PMA n’aura pas le même impact si elle réunit 80 000 ou 400 000 personnes. Avant la présidentielle, Macron avait donné des gages à l’électorat catholique, allant voir Villiers au Puy-du-Fou, rendant hommage à Jeanne d’Arc à Orléans. Mais ça reste du marketing !

Ce genre de grosses ficelles fonctionne-t-il encore ?

Non. Les Français sont de moins en moins dupes du marketing électoral, et les cathos encore moins. Si Fillon avait conquis leur confiance, c’est parce qu’il était de leur famille. Macron pense qu’on peut tout acheter, mais une partie de ces électeurs ne sont pas à vendre. La question du rapport à l’argent ramène d’ailleurs à des valeurs bien plus profondes que tel ou tel débat sociétal (mariage, PMA, immigration…). C’est ce que Sarkozy n’avait pas compris : la France n’est pas un pays protestant qui glorifie l’argent et la réussite !

Sarkozy avait eu beau transgresser l’esprit de la laïcité comme jamais aucun de ses prédécesseurs, avec ses propos sur l’instituteur qui « ne pourra jamais remplacer le curé ou le pasteur », son côté « bling-bling » avait annihilé ses efforts. Il n’avait pas les codes. Macron a commis la même erreur avec sa phrase : « Il faut que des jeunes Français aient envie de devenir milliardaires ». C’est de nature à lui aliéner une bonne partie des catholiques, de droite comme de gauche.

Directeur du département Opinion publique de l’Ifop, Jérôme Fourquet vient de publier À la droite de Dieu. Le réveil identitaire des catholiques (Le Cerf, 2018).

Les Rien-pensants

Price: 23,56 €

23 used & new available from 3,93 €

Tariq Ramadan en prison: une stratégie politique?

0
Conférence de Tariq Ramadan à Bordeaux, mars 2016. SIPA. 00748663_000010

Avant de tenter une analyse stratégico-tactico-technique sur l’affaire Ramadan à ce stade, je voudrais procéder à un petit rappel pour ceux qui ont fait semblant de ne pas comprendre mon propos précédent. Que ce soit dans les commentaires sous l’article ou sur les réseaux, j’ai été copieusement insulté, accusé de complicité avec l’islamisme et, crime des crimes, de cracher sur les « victimes ». Avocat de profession j’ai été traité de « baveux », accusé de défendre Ramadan et par conséquent d’en être le complice.

La lapidation est dans le Coran, pas dans le Code pénal 

En la circonstance, je ne défends pas le prédicateur, il a ce qu’il lui faut, avocats, familles, amis, réseaux. Mais peut-être que baver pour un baveux, c’est mieux que cracher sur un homme à terre, hurler à la mort, souhaiter qu’il se fasse sodomiser en prison, être incapable de se tenir dignement, pour ensuite donner des leçons de civilisation aux Frères musulmans. Il est désolant que les braillards ne voient pas cette contradiction et le caractère déshonorant de ce qu’on a lu et entendu. Personnellement, je combats Tariq Ramadan POLITIQUEMENT, et pour ça, il n’y a nul besoin de crier « à mort » quand passe le fourgon, au contraire. Cette attitude il faut la laisser à ceux qui confondent le peuple et la populace. Et aux islamistes bien sûr. Parce que la lapidation est dans le Coran, et justement pas dans le Code pénal de la République française.

A lire aussi: Tariq Ramadan: la justice oui, le lynchage non

À partir des éléments dont on dispose, on va tenter, très prudemment, d’imaginer quelle est la situation et quelles sont les positions des deux côtés de la barre.

En cabane contre une cabale ?

Le parquet de Paris tout d’abord, saisi de deux plaintes il y a déjà un moment, a procédé à ce que l’on appelle une enquête préliminaire. Dans la mesure où celle-ci est diligentée par une « autorité de poursuite », dépendant du pouvoir exécutif, les enquêteurs ne sont pas tenus à l’objectivité ou à l’impartialité. Même si l’objectivité est préférable comme méthode pour présenter un dossier solide au juge du siège, en l’occurrence le juge d’instruction, qui, lui, est tenu à l’impartialité. D’après les informations très partielles dont on peut disposer, il semble que l’enquête préliminaire ait été particulièrement à charge. Surtout lors des interrogatoires et confrontations qui ont eu lieu pendant la garde à vue. Par exemple, les contradictions dans les dépositions des plaignantes n’ont pas été abordées. Il faut savoir que les avocats qui ont assisté Ramadan pendant sa garde à vue n’avaient pas accès au dossier, et se trouvaient par conséquent impuissants pour les relever. L’absence de transmission par le parquet aux services de police d’un justificatif pouvant crédibiliser un alibi dans une des affaires, est surprenant. Il semble que l’hypothèse de l’oubli volontaire ne soit pas complètement absurde.

À la fin de la garde à vue, le parquet doit présenter celui qui va devenir un prévenu au juge d’instruction. Le procureur a requis la mise en examen pour des qualifications criminelles et la mise en détention provisoire du prédicateur. Quelques indiscrétions transformées en rumeurs qui parcourent les couloirs du palais de justice donnent à penser que le dossier criminel est, pour l’instant, boiteux. Et qu’en l’état, une condamnation pour viol en cour d’assises ne serait pas garantie. C’est l’avocat d’une des plaignantes qui a un peu craché le morceau lors d’une interview donnée à BFM TV après le mandat de dépôt du prédicateur. Avec une certaine ingénuité il a indiqué que l’intérêt de la détention résidait dans le fait qu’elle allait permettre à d’autres paroles de se libérer. Donc si l’on comprend bien, la détention est destinée à empêcher des pressions sur de futures plaignantes. C’est original…

Tariq Ramadan ne peut pas avouer

La stratégie supposée de Tariq ramadan ensuite. Toujours d’après des informations partielles, le dossier serait pour l’instant insuffisant pour produire une vérité judiciaire conduisant inéluctablement à une condamnation criminelle pour viol. Mais il contiendrait cependant un maximum d’éléments établissant, qu’à l’instar de DSK, Ramadan serait un chaud lapin. Or à la différence de DSK qui l’assumait, Tariq ramadan ne peut pas le reconnaître. Prédicateur religieux prônant la vertu, grand donneur de leçons de morale, se révéler être un triste Tartuffe sonnerait le glas de son autorité et par conséquent de sa vie sociale. C’est donc la raison probable pour laquelle, il nie toujours farouchement, et contre semble-t-il une certaine évidence, avoir eu des relations sexuelles avec les deux actuelles plaignantes.

Que comprendre de la position des magistrats du siège en l’état ? La détention provisoire est organisée par le code de procédure pénale de la façon suivante. Le parquet requiert cette mise en détention lors de la présentation de celui qui est alors mis en examen. Le ou les juges d’instruction saisis, en l’occurrence ils sont trois, peuvent la juger inutile et ne pas saisir le juge des Libertés et de la Détention (JLD). En revanche s’ils la souhaitent, ils saisissent le JLD. Le prévenu peut alors demander ce que l’on appelle un « débat différé » pour préparer sa défense. Il est alors mis en détention pour une durée qui ne peut excéder quatre jours, au terme desquels a lieu le débat contradictoire. À la suite duquel le JLD rend sa décision.

C’est ce qui s’est passé le 6 février dernier, avec le prononcé de la mise en détention de Tariq Ramadan. La situation concernant les juges du siège est donc la suivante : les trois magistrats instructeurs ont souhaité le mandat de dépôt, et le JLD les a suivis. La lecture de l’article 144 du code de procédure pénale, démontre qu’il n’est pas compliqué de piocher dans les critères qui peuvent justifier une mise en détention. Cela étant, on n’y trouve pas la protection de futures et éventuelles plaignantes…  Je vais courageusement rester circonspect, et rappeler encore une fois que Ramadan a des avocats et que ceux-ci vont faire leur boulot.

A l’ombre du pouvoir ? 

Cependant, cette incertitude, et l’hypothèse d’une écoute des sirènes du pouvoir (ce qui peut arriver…) par les magistrats du siège, amène à s’interroger sur l’existence ou non d’une stratégie politique autour de son cas. Il est clair que ce qui lui arrive aujourd’hui présente des avantages et des inconvénients. Les avantages sont ceux de sa disqualification pour l’immédiat en tant que prédicateur présentable. Situation particulièrement difficile pour ceux qui lui servaient jusqu’à présent de passe-partout. N’est-ce pas Edwy Plenel, Alain Gresh et autres Houria Bouteldja ?

A lire aussi: Ramadan: le double langage de Plenel

L’enjeu ne serait donc pas pour l’instant de construire un dossier pour obtenir une condamnation de Ramadan devant une cour d’assises dans quelques années, mais de le garder au frais quelque temps, et de le laisser sortir quand instruction et médias auront permis la constitution d’une batterie de casseroles suffisamment bruyante. L’inconvénient, c’est de le faire passer pour un martyr auprès de ses troupes. Au sein desquelles il se trouvera toujours des gens pour crier au complot et au mensonge, aidés en cela par la surenchère et les éructations des lyncheurs de l’autre bord, incapables de mesurer que leurs excès, outre qu’ils sont déshonorants, heurtent les Français musulmans qui n’ont rien à voir avec Ramadan. Et d’une certaine façon aident ce dernier.

Si l’on doit conclure ce texte – dont je répète qu’il est une analyse fondée sur des éléments très partiels et une certaine expérience du fonctionnement de la machine pénale… et de la machine politique aussi -, Tariq Ramadan apparaît d’abord dans cette situation délicate en raison de ses comportements sexuels. Même si pour l’instant il n’est pas possible de dire s’ils le conduiront inéluctablement à une condamnation criminelle. Comme il n’est pas possible de dire que sa situation a pour origine un complot minutieusement décidé. Si main du pouvoir il y a, ce qui n’est pas établi, ce serait à mon sens l’expression d’un opportunisme lié aux circonstances.

Jeux olympiques: le Canada, médaille d’or de l’hypocrisie identitaire

0
Le Canada a remporté le double mixte de Curling aux Jeux olympiques de PyeongChang, février 2018. SIPA. AP22166272_000001

Fier d’être un Etat « postnational », le Canada de Justin Trudeau développe paradoxalement une fierté identitaire agressive pendant les Jeux olympiques. Au détriment, notamment, de l’identité québecoise.


PyeongChang, février 2018. C’est la fête. Une marée gigantesque de drapeaux, d’oriflammes, de banderoles colorées envahissent maintenant et pour deux semaines la ville olympique sud-coréenne. Transportée partout à travers le monde par le biais des médias anciens et nouveaux, cette fête par excellence est censée nous rappeler à la fois les joies du vivre-ensemble et l’importance d’une vie répondant aux plus hauts impératifs hygiéniques.

Aujourd’hui au 5e rang du tableau des médailles, le Canada n’est pas en reste. Les athlètes et leurs supporteurs brandissent haut et fort l’unifolié rouge et blanc. « Go Canada Go”, scandent-ils in english s’il-vous-plaît. Toute l’industrie canadienne s’y est mise. Le gouvernement n’a pas même à s’en mêler : on nous abreuve, ici au Canada, de publicités chantant la fierté qui devrait nous habiter d’être canadians/canadiens, from an ocean à l’autre. Comme chaque fois, les Jeux olympiques sont, pour la fédération canadienne ainsi que pour tous les autres pays, l’occasion d’une vaste entreprise de nation building et de célébration identitaire.

L’identité à toutes les sauces

Le 8 décembre 2015 pourtant, peu après sa spectaculaire élection comme Premier ministre du Canada, Justin Trudeau déclarait, sérieux comme un pape, à un journaliste du New York Times en pâmoison : « le Canada n’a pas d’identité qui lui est propre (There is no core identity in Canada). Nous sommes le premier État postnational au monde. » Cette suave déclaration annonçait la « saveur du mois » dont la cantine libérale fédérale canadienne allait nous gaver afin de nous faire avaler son infect porridge dans la joie et l’allégresse jusqu’aux prochaines élections générales.

A lire aussi: Justin Trudeau veut dissoudre le Canada d’hier

L’eau a coulé sous les ponts depuis la mise en place de cette nouvelle stratégie marketing visant à créer le buzz autour du pays le plus fade et, par voie de conséquence, d’apparence la plus moralement irréprochable de la planète. Depuis, les célébrations entourant le 150e anniversaire de l’adoption de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique nous ont prouvé qu’il était tout à fait possible de cracher son fiel sur toute forme de patriotisme et de politique identitaire tout en faisant de ce rejet de l’idée même d’identité nationale la base… d’une identité nationale triomphante et dangereusement conquérante.

Ô Canada, terre de nos post-aïeux…

L’identité canadienne ayant embrassé avec passion toute la rhétorique propre à l’empire du Bien, elle balaie maintenant tout sur son passage. Au premier chef l’identité québécoise qu’elle décrit comme fermée sur elle-même. Cette dernière est pourtant la seule, avec les très abîmées identités autochtones, à être organique, à ne pas émerger des cerveaux d’idéologues exaltés et à avoir conséquemment une quelconque valeur dans le cœur des gens qui la partagent. À côté de celle-ci, l’identité postnationale du royaume de Trudeau fils est aussi substantielle qu’un sachet de saveur artificielle à côté d’un confit de canard, aussi profonde qu’une mode qui sera oubliée dans un an. Elle rafle pourtant la palme de tous les concours de popularité. Les Canadiens l’avalent comme un athlète olympique mange un Big Mac dans une pub à la télé, sans vraiment comprendre l’absurdité de leur position.

Cette mascarade olympique nous rappelle toutefois douloureusement que nous vivons une époque formidable en matière d’hypocrisie politique. Nous sommes Charlie, chantons les louanges de la liberté, mais méprisons ceux qui la revendiquent pour exprimer des idées qui heurtent les idées reçues du libéral-progressisme. Nous rêvons, du haut de notre altitude morale, d’une paix globale mais n’hésitons pas à mener des politiques agressives envers des pays dont les intérêts divergent des nôtres en camouflant nos intentions belliqueuses derrière un marketing politique qui repose sur une image moderne et vertueuse. On chante les louanges de la diversité culturelle et les joies du multiculturalisme comme accueil ultime de l’autre, mais on adopte des politiques menant à l’uniformisation et à la dilution de toute forme d’altérité.

A lire aussi: L’antifascisme anglosaxon colonise le Québec

Les exemples surabondent. L’Occident parle sans cesse des deux côtés de la bouche. Amant de la liberté à la vie à la mort, preux chevalier luttant contre toutes les tyrannies et les oppressions du monde, il se montre pourtant, derrière les beaux discours et les selfies, plus intransigeant et dominateur que jamais à l’échelle mondiale. Le Canada se trouve aujourd’hui au premier rang de cette grande olympiade de l’hypocrisie libérale-progressiste. Ses dirigeants et leurs sourires Pepsodent jubilent devant une nation québécoise profondément endormie, même si elle fut la seule autrefois à ne pas s’être laissée duper par leurs belles paroles, et devant et un Canada anglais approbateur, chaque jour davantage imbu de sa grandeur morale face aux peuplades rétrogrades couvrant encore la planète.

Le multiculturalisme comme religion politique

Price: 24,00 €

21 used & new available from 3,00 €

La face cachée du multiculturalisme

Price: 22,00 €

15 used & new available from 15,26 €

Réforme du bac: retour vers le futur !

0
Jean-Michel Blanquer a présenté, le 14 février 2018, sa réforme du bac, prévue pour 2021. SIPA. 00841261_000001

La nouvelle formule du bac, présentée hier, le 14 février, par Jean-Michel Blanquer, n’est plus « terminale »: elle prépare à nouveau à l’enseignement supérieur.


Voilà une affaire réglée, et non des moindres : le bac nouveau est né. Il est arrivé plus vite qu’on aurait cru. Et devrait être mis en place dès 2021… si les élèves ne descendent pas dans la rue, si les syndicats qui sont, pour le moment, sans voix restent tranquilles et si le corporatisme ne se redresse pas. Pour les élèves, il semble qu’il y ait peu de risques depuis que Bruno Julliard, ce lycéen missionné pour faire sortir ses petits camarades de leur lycée, a été récompensé par une admission à jouer dans la cour des grands. Même la France insoumise n’a pas réussi à mobiliser. Les syndicats, eux, ne manqueront pas de demander quelques moyens supplémentaires. Rien de bien inquiétant. Les difficultés seront sans doute plus grandes du côté corporatiste, car on peut comprendre que les professeurs défendent leur discipline.

Le bac « remusclé » est un lycée « remusclé »

La presse et le grand public ne verront que les modifications de l’examen lui-même, ramené à du contrôle continu (plutôt des sortes de partiels), quatre épreuves écrites ou orales (réparties sur les deux années) et, nouveauté, un oral de vingt minutes. Il y a de quoi alimenter bien des discussions, qui tourneront vite en rond, car il n’y a là rien de bouleversant et tout peut se justifier facilement.

Passons sur le vocabulaire, aujourd’hui inévitable à qui veut être entendu, comme « le baccalauréat égalité », « le baccalauréat plus juste », « le baccalauréat réussite ». Gardons tout le même, pour l’expressivité de la formulation, le « baccalauréat remusclé ».

La vraie nouveauté, celle qu’on n’a peut-être pas encore bien aperçue, c’est que ce baccalauréat est la partie visible d’une transformation discrète, mais profonde des lycées. Méthode Blanquer. L’air de rien, par ce qu’on pourrait penser n’être que de petites touches, on réforme du tout au tout. Déjà la mise en place de Parcoursup, sans en avoir l’air, modifiait toute l’économie du lycée. Par exemple, ce qui n’est quasiment pas commenté et qui est, peut-être, le plus important dans cette réforme : la classe de Terminale n’est plus une classe dite « terminale » mais une classe de « maturation ». Vocabulaire québécois, en usage en Italie, qui devrait être bien accueilli en raison de son allure pédagogiste. On ne voit pas bien ce que cela veut dire, mais on voit bien que la classe Terminale ne termine plus rien. Elle commence autre chose. Elle commence les études post-baccalauréat.

Le bac tient à nouveau compte de la fac

Le sens de cette désignation devient un peu plus clair lorsqu’on se penche sur l’organisation de cette « classe de maturation », qui comportera, naturellement, de la culture commune dite « socle de culture commune » – tout pédagogiste aime les « socles » – des disciplines de spécialités, mais surtout des enseignements facultatifs. Facultatif, c’est dire, au choix des élèves, qui peuvent en prendre jusqu’à deux ou bien ne pas en prendre. Et là se trouve le lycée « remusclé » : mathématiques expertes, mathématiques complémentaires, droit et grands enjeux du monde contemporains. On voit bien que c’est l’enseignement supérieur qui vient ici se faire une place. L’irruption du droit (enfin!) en est un bon signe.

A lire aussi: La crise de l’Université est une crise des lycées

Tous les espoirs sont donc permis, même si on ne manquera pas de l’entendre dire : cette organisation va accentuer les inégalités. Certes. Mais les inégalités qui se manifestent au lycée ne peuvent pas être corrigées au lycée. C’est trop tard. Les inégalités se corrigent à l’école primaire. Passé le CM2, cette correction est très difficile. Passé la classe de Quatrième, elle est devenue quasi impossible. Et la technique de l’ancien ministère qui consistait à vider les enseignements de leur contenu ne faisait qu’aggraver les choses. Elle masquait les inégalités en réduisant l’enseignement à une sorte de plus petit commun dénominateur, en privant les élèves capables d’un enseignement qui leur aurait été pourtant profitable. L’ancien ministère ne s’y était d’ailleurs pas trompé en proposant de corriger ces inégalités après la classe de Troisième, lorsque ce n’est déjà plus possible.

Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement…

Comme on ne peut pas refuser les élèves à l’entrée de la classe de Seconde, des petits détails sont prévus. D’abord l’optionnalité. Sans commentaire. Ensuite « un test numérique de positionnement en début d’année pour permettre à chacun de savoir où il en est en français et en mathématiques ». Aïe ! Puis « un accompagnement personnalisé » et « une aide à l’orientation » de 54 heures.

Maintenant, regardons les « enseignements facultatifs ». En numéro un, voici les « mathématiques expertes » sorte de retour de la magnifique classe de Math’élem d’avant 1967. Pour les ingénieurs et les carrières scientifiques. En numéro deux, les « mathématiques complémentaires », soit le couple proba-statistiques dont ont besoin les gestionnaires d’entreprises d’aujourd’hui et de demain. En numéro trois, « droits et grands enjeux du monde contemporain », sorte de prépa Science Po dont ont besoin les décideurs d’entreprises.

Quant à l’épreuve d’oral, pourtant lourde et onéreuse à organiser, elle est une idée conséquente. Les élèves vont devoir faire l’effort d’abandonner le parler « djeune », « verlandisé » et truffé d’anglicismes lexicaux et syntaxiques. Ce sera une bonne chose, car il est vrai qu’un oral déficient s’accompagne toujours d’une incapacité à s’exprimer à l’écrit.

Il reste encore à trouver une rédaction des programmes susceptible de donner corps à ce rétablissement des lycées. Souhaitons que la nouvelle présidente du CSP, Souâd Ayada y parvienne.

Quelle loi nous protégera des « fake news » des politiques?

0
Sylvain Maillard, député LREM de Paris, capture d'écran RFI

Si les politiciens savent si bien ce qu’est une « fake news », c’est peut-être parce qu’ils les utilisent eux-mêmes…


Dès le début de l’année, le président Emmanuel Macron a fait de son projet de loi contre les fausses informations l’une de ses priorités, épaulé dans ce sens par la ministre de la Culture, Françoise Nyssen. Cette dernière a récemment livré quelques détails inquiétants de l’esprit de cette réforme pour le JDD : les médias devront désormais « coopérer » avec l’Etat…

A l’Etat de décider si une info’ est juste ou non ? A l’Etat de juger si un scandale est une fausse information ou pas ? « Une procédure de référé judiciaire sera mise en place pour faire cesser rapidement la diffusion d’une fausse nouvelle, lorsque celle-ci est manifeste », a même précisé la ministre ! Dès lors, l’Etat pourra sanctionner les médias. Pourtant, le passé regorge de sprétendues fausses nouvelles, établies ensuite comme véridiques. Mais aucune loi ne pouvait alors permettre à l’Etat ou aux différents pouvoirs d’empêcher ces révélations.

Heureusement qu’il y a des (prétendues) « fake news »

Un exemple : avec ce type de loi, les quelques journalistes courageux du monde sportif n’auraient jamais pu alerter d’un quelconque soupçon de dopage chez Lance Armstrong, dès ses premières victoires sur le Tour de France en 1999. Les instances du cyclisme, comme la puissante Union cycliste internationale (UCI), défendaient l’Américain face aux informations « infondées » du Monde. « Vainqueur » de l’épreuve de 1999 à 2005, il ne sera officiellement convaincu de dopage qu’en 2012, discréditant l’UCI et l’autre presse, celle qui ne voulait pas voir le problème. Si cette loi avait existé en 1999, Le Monde aurait probablement pu être poursuivi en justice par l’UCI pour ses révélations.

A lire aussi: Emmanuel Macron et la « fake » liberté d’expression

Les affaires politiques, comme « l’affaire Cahuzac », seront probablement ciblées par le pouvoir. Un mauvais souvenir pour les socialistes, et certainement pour Emmanuel Macron qui était à cette période secrétaire général adjoint du cabinet du président de la République, François Hollande. Mediapart avait suscité des réserves et subi des critiques et pressions d’un réseau médiatique défendant le corps politique lors de la publication des premiers éléments de l’enquête en 2012. Ces mêmes politiques qui, lorsqu’ils sont dans l’opposition, se mettent à défendre la presse quand elle sort des affaires contre le pouvoir, et qui s’attaquent à cette même presse lorsqu’elle ose enquêter sur eux. La soi-disant fake news de Mediapart, grâce à de longues investigations, s’est avérée juste. Avec une loi comme celle qui est en projet, le pouvoir aurait vraisemblablement pu menacer le média et la poursuite de l’investigation.

Les médias, ou ceux qui sont considérés comme des « poils à gratter » du pouvoir, pourront craindre la nouvelle loi. Le politique aura besoin du soutien d’une certaine presse pour se faire épauler dans cette bataille. Pourquoi pas le Décodex du Monde qui se charge déjà de cette mission, celle de pister des médias qu’il juge non « fiables » ?

La « fake news » comme instrument d’oubli

En revanche, le politique se garde bien de balayer devant sa porte. Il ose ordonner une morale, un code de bonne pratique pour le journaliste. Mais où est-il pour sanctionner ses propres fake news ? Ce projet de loi-là n’est évidemment pas à l’ordre du jour. Et on comprend pourquoi. Leurs fake news sont très utiles pour guider le citoyen sur ce qu’il faut penser et, accessoirement, voter.

L’une des plus grotesques, récemment, est justement l’oeuvre d’un député de La République en marche (LREM). Sylvain Maillard a assuré, le 5 février sur RFI, que « pour l’immense majorité de SDF qui dorment dans la rue, c’est leur choix ».

Pointée du doigt par la presse de gauche ou de droite, cette fake news ne sera pas sanctionnée. Le gouvernement et la majorité tenteraient-il de faire oublier une promesse du soldat Macron ? Le président s’était engagé, le 27 juillet dernier, à ne plus voir aucune personne dans la rue avant la fin de l’année 2017.

Si la promesse est non tenue, c’est donc simplement de la faute des pauvres, qui ont – on s’en doute – un désir masochiste de vivre au plus près du froid l’hiver.

En janvier, sur France Inter, Julien Denormandie, secrétaire d’Etat auprès du ministre de la Cohésion des territoires, avait attesté de la réussite du gouvernement puisqu’il n’y avait, selon lui, en Île-de-France qu’une « cinquantaine d’hommes isolés [qui dormaient dehors] pour être précis ». Christophe Castaner, délégué général de LREM disait à peu près la même chose fin décembre sur BFM TV, estimant qu’il y avait des places disponibles pour loger les SDF, mais que ceux-ci refusaient en partie d’y être hébergés…

La « fake news », un barrage contre le belliqueux

Avant la mise en place de la loi, un média est d’ores et déjà ouvertement sanctionné pour ses positions : RT France. En janvier, certains de ses journalistes se sont vus refouler de la conférence de presse du président Emmanuel Macron. La ligne éditoriale de RT justifie-t-elle cette punition avant l’heure ? Leurs journalistes – au même titre que ceux de Libération, du Monde, de TF1, du Figaro ou de Télérama – possèdent pourtant une carte de presse, délivrée par une commission indépendante.

Ce n’est donc pas une surprise si la loi contre les fausses informations est souhaitée par Emmanuel Macron pour les élections européennes de 2019. L’idée que des médias ne puissent plus condamner l’Union européenne est bien commode dans une période où la sainte institution n’a jamais été aussi critiquée en France ou ailleurs.

Le djihadisme reste à construire

0
Thomas Barnouin ®DR

Depuis la défaite de l’État islamique en Irak et en Syrie, l’opinion publique s’inquiète du retour des Françaises et Français partis rejoindre Daech qui essaient maintenant de regagner leur mère patrie. Et l’interrogatoire d’un certain Thomas Barnouin, que ses geôliers kurdes ont diffusé sur Twitter, ne rassurera pas nos compatriotes.

Converti à l’islam en 1999, djihadiste à partir de son séjour en Arabie saoudite en 2005 et ancien de la célèbre filière d’Artigat à laquelle appartiennent les frères Merah, Barnouin est un gros poisson. Il explique s’être décidé à partir en Syrie avec femme et enfants en 2014 après que « des musulmans » sont venus chez lui pour lui annoncer qu’ils y avaient fondé un État islamique.

« Je me suis rendu compte après quatre ans avec Daech qu’il s’agissait de criminels »

Quelques années plus tard, le prisonnier des Kurdes ne cache pas son amertume : « Je me suis rendu compte après avoir combattu durant quatre ans avec Daech qu’il s’agissait de criminels. Pour moi, honnêtement, Daech est une création des services de renseignements. Ce n’est pas une organisation islamique sincère. C’est une alliance entre services de renseignements et d’anciens baasistes qui sert son propre agenda au Moyen-Orient. »

Autrement dit, si l’État islamique a trahi l’islam, ce n’est ni en défenestrant des homosexuels ni en brûlant vifs des prisonniers, mais parce qu’ils « se sont battus pour le pétrole ». Aux yeux de Barnouin, Daech était un vaste complot ourdi par les services de renseignement occidentaux dont les djihadistes sincères seraient les innocentes victimes. Au fond, Thomas Barnouin réécrit le bon vieux mythe du coup de poignard dans le dos. Sans doute prépare-t-il inconsciemment le coup d’après : Daech a échoué parce que ce n’était pas l’authentique Daech. Bref, pas d’amalgame !