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Emmanuel Macron et la « fake » liberté d’expression


Emmanuel Macron et la « fake » liberté d’expression
Emmanuel Macron présente ses vœux à la presse, janvier 2017. SIPA. 00838183_000015

Le projet de loi d’Emmanuel Macron contre les « fake news » est liberticide.


Lors de la présentation de ses vœux à la presse, Emmanuel Macron en ciblant de façon transparente la chaîne d’information continue RT France a montré la conception assez effarante qu’il a de la liberté d’expression. Son intervention est très menaçante, puisqu’au-delà du fait qu’elle fait sienne les délires russophobes qui ont actuellement cours aux États-Unis, elle constitue un sévère rappel à l’ordre des journalistes eux-mêmes. Invités non seulement à respecter la stratégie éditoriale des médias nationaux, tous inféodés aux grands groupes, mais à éviter aussi d’exercer leurs compétences dans les organes de presse situés en dehors de ce périmètre étroit.

Un CSA « repensé »

Au détour de certaines phrases, les menaces deviennent plus précises vis-à-vis de ceux qui ne resteraient pas dans la ligne. Et le président d’ajouter qu’il envisage la création de procédures visant à carrément interdire les organes qui ne seraient pas dans la ligne. Emmanuel Macron prévient que les contrevenants pourraient se voir retirer leur autorisation d’émettre par un CSA « repensé ». On peut pourtant le savoir déjà inféodé à la Doxa, avec du service public devenu, en violation de la loi qui fait du pluralisme une obligation, un outil de propagande monolithique digne de la Pravda soviétique. Sans parler de sa complaisance vis-à-vis du déferlement de propagande dont a bénéficié Emmanuel Macron avant, pendant et après l’élection présidentielle. Il faudrait donc « repenser » le CSA ? On peut légitimement être très inquiet.

Pour justifier ce retour des ciseaux d’Anastasie, le président de la République, prétend vouloir lutter contre les « fake news », concept commode qui permet de disqualifier la contradiction. On sait bien que cette prétention à la « vérité objective » n’est que le masque d’une volonté de stériliser le débat et d’éviter surtout qu’il soit contradictoire. Comme on l’a vu avec les ridicules tentatives de flicage de décodeurs autoproclamés.

Projet de loi de censure et complaisance des médias

Certains commentateurs disent que le président souhaiterait protéger les médias – appartenant à ses amis – en difficulté malgré les aides massives de l’État. Et qu’il aurait été maladroit, avec cette intervention en cédant aux penchants bonapartistes que d’aucuns lui prêtent. C’est plutôt le terme « aplomb », voire « culot » qui vient spontanément à l’esprit, c’est marmite qui dit cul noir à chaudron. Il a bénéficié d’une complaisance – poussée parfois jusqu’au ridicule – massive des grands médias, notamment pendant la campagne officielle de l’élection présidentielle. On ne reviendra pas sur le recensement des espaces consacrés à chanter ses louanges. Mais on rappellera quand même que la blitzkrieg judiciaire menée pour disqualifier son principal adversaire a quand même été conduite par des magistrats militants en liaison étroite avec une presse qui l’a relayée avec gourmandise. Il est clair aussi que dans un État de droit respectant ses propres règles, en application des règles impératives du code électoral, une bonne partie du coût de cette propagande aurait dû être réintégrée à son compte de campagne. Aboutissant à pulvériser le plafond des dépenses avec toutes les conséquences de droit. Nicolas Sarkozy en sait quelque chose.

Alors techniquement, que nous a annoncé Emmanuel Macron du projet de loi de censure dont il entend saisir le Parlement dès 2018 ? Visant RT France, qualifié d’outil de propagande d’un gouvernement étranger, il assure que « cette propagande [est]articulée avec des milliers de comptes sur les réseaux sociaux qui, en un instant, répandent partout dans le monde, dans toutes les langues, des bobards inventés pour salir un responsable politique, une personnalité, une figure publique, un journaliste ». Outre que cette soudaine conversion fera probablement plaisir à Nicolas Sarkozy, encore lui, qui y a eu droit plus souvent qu’à son tour, force est de constater que cette accusation, qui relaie les délires américains, ne repose factuellement sur rien de concret.

Liberticide expression

On relèvera cette russophobie de circonstance, et cette hostilité infondée vis-à-vis d’un pays avec lequel nous devrions entretenir de bonnes relations. Mais surtout, le caractère absurde de cette focalisation sur ce média et ce pays saute aux yeux. De nombreux pays étrangers disposent dans notre pays de chaînes de télévisions qui desservent notre territoire. On voit donc bien que les cibles principales, ce sont les réseaux sociaux et la liberté d’expression qui s’y déploie. Tous les Etats, illibéraux ou pas, la déteste et souhaite la restreindre et la contrôler. Le président de la République française n’y échappe pas.

Ce qui n’empêche pas de faire preuve de ruse, puisque le nouveau dispositif de censure serait (dans un premier temps ?) réservé aux campagnes électorales. C’est astucieux puisque la communication pendant ces périodes fait déjà l’objet de règles particulières distinctes de celles du droit commun. En matière de diffamations et injures, les procédures font l’objet d’un traitement beaucoup plus rapide en période électorale. La communication électorale est enfermée dans des périodes précises, comme par exemple la clôture du vendredi soir qui interdit toute propagande le samedi et le jour du scrutin. Pour la bonne raison que le temps manquerait alors pour répondre. Ce qui montre bien que le principe à défendre est celui du contradictoire. Les fausses nouvelles, les mensonges, les diffamations, peuvent également être prises en compte si elles ont porté atteinte « à la sincérité du scrutin » et aboutir à une éventuelle annulation de celui-ci avec le retour devant les électeurs.

Accusez, c’est gagné !

Il y a également la réglementation relative au financement des campagnes électorales. La loi de 1990 a fixé pour des raisons d’égalité devant le suffrage universel des plafonds de dépenses. Le compte de campagne va contenir les dépenses exposées par le candidat, mais également celles que la Commission nationale des Comptes de Campagne et des financements politiques (CNCCFP) va y réintégrer en considérant qu’elles ont été dépensées pour des actions en faveur de ce candidat. C’est l’application de cette règle très rigoureuse qui a abouti à l’invalidation du compte de Nicolas Sarkozy en 2012. De la même façon, les actions de communication électorale financées par les entreprises privées sont interdites. Mais l’examen très rapide de ces quelques règles démontre que le principe fondamental qui gouverne toujours la liberté d’expression et ses éventuelles limites (qui doivent être limitatives) est que le contrôle doit être judiciaire et a posteriori.

Comment ne pas être atterré lorsque l’on entend Emmanuel Macron nous dire qu’« en cas de propagation d’une fausse nouvelle, il sera possible de saisir le juge à travers une nouvelle action en référé, permettant, le cas échéant, de supprimer le contenu mis en cause, de déréférencer le site, de fermer le compte utilisateur concerné, voire de bloquer l’accès au site Internet ».

En droit français, le juge des référés « est le juge de l’évidence » et ne peut donc prendre que des mesures provisoires, à charge pour les plaignants de poursuivre ensuite devant le juge du fond. Eh bien, avec ce que nous promet Emmanuel Macron, ce juge de l’évidence, saisi en urgence, pourra condamner à mort un média sur la simple accusation de « propagation d’une fausse nouvelle » ! Cela ne pourra donc être autre chose que du contrôle a priori. Et de quoi donc ? De la véracité de ce qui aura été exprimé ? Mais comment ?

Pourra-t-on interdire les « fake news » d’Etat?

Prétendre que Jacques Chirac était mort comme l’avait imprudemment fait Christine Boutin dans un tweet, était à l’évidence une « fake news ». Dont elle s’est excusée. Mais, sans remonter aux faux charniers de Timisoara, avoir prétendu que Kadhafi commettait un génocide contre son peuple, pour justifier une intervention militaire illégale, était-ce une fake new ? Était-ce la propagation de fausses nouvelles que de se répandre sur tous les plateaux, comme le firent Glucksmann, Goupil et autres Bruckner pour, relayant les mensonges de George W. Bush, affirmer l’existence d’armes de destruction massive en Irak dans le but de justifier une guerre d’agression avec le résultat que l’on connaît ?

Comment définir ce que sont la « fausse nouvelle » et la « propagation », de façon suffisamment claire, pour justifier une telle atteinte dans l’urgence, à la liberté d’expression. Et puis, quelle est cette désinvolture à vouloir trancher d’un trait de plume la complexité de la question des liens qu’entretiennent « les faits » et « la vérité » ? À propos de la vérité historique, les plus grands historiens eux-mêmes disent qu’il faut distinguer factualité et vérité, cette dernière étant changeante. Ne parlons même pas de la « vérité judiciaire », toujours relative et si complexe à élaborer.

Non, ce qui est en jeu, au travers de cette opération de diabolisation d’un média étranger et de l’utilisation d’un concept fourre-tout, au caractère volontairement flou, c’est une tentative d’imposer une vérité politique. Et de lui donner un statut irréfragable en en sanctionnant lourdement la contestation.

Il est indispensable que cette manœuvre soit combattue pour ce qu’elle est : une atteinte inacceptable à la liberté d’expression.



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