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Parcoursup, une réforme des lycées (et du bac) en loucedé


Parcoursup, une réforme des lycées (et du bac) en loucedé
Le Premier ministre, Edouard Philippe, présente Parcoursup dans un lycée parisien, janvier 2018. SIPA. 00839718_000012

Il fallait remplacer APB. Il fallait éviter les tirages au sort (du moins ceux qui se voient) et résoudre la question des filières dites « en tension ». Il fallait aussi trouver une place à tous les lycéens pourvus du Bac sans n’en refuser aucun, baccalauréat oblige. Mais… Il reste impossible de répondre positivement aux premiers choix des élèves de Terminale. Il faudrait créer un trop grand nombre de places dans des domaines où les débouchés sont très faibles, comme la psycho, la socio ou les STAPS. Impossible également de laisser les élèves s’inscrire dans des filières où l’on sait par avance qu’ils n’y réussiront pas, faute d’avoir un niveau suffisant, comme, par exemple, les filières juridiques. Et, bien sûr, interdiction absolue de laisser entendre qu’on pourrait imaginer, même de loin, quelque chose qui ressemblerait à une sélection. Parcoursup résout tout cela.

L’orientation post-bac est toujours, et pour tout gouvernement, un exercice délicat, entre laxisme (les filières insupportablement surchargées) et sélection masquée ou ouverte. Le système APB laissait parfois des filières sélectives sans un nombre suffisant de candidats, envoyait dans des filières techniques des élèves ne possédant pas le niveau nécessaire et ne pouvait éviter des filières surchargées, avec amphis à 500 étudiants et TD à 70 ! Parcoursup résout tout cela.

Adieu APB !

On se souvient, c’était en 1987 et ce n’était déjà plus le bon temps, du serveur télématique 3614 Ravel (recensement automatisé des vœux des élèves), qui ne fonctionnait que pour la région parisienne et n’était qu’une sorte de pré-inscription comportant toutefois des mises en garde à propos des filières très demandées et ne comportant que très peu de débouchés, comme la psycho ou les métiers de la culture.

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Avant Ravel ? On faisait la queue, interminablement, devant les guichets d’inscription des universités. Avec Ravel, on avait droit à une pré-inscription. Mais il a fallu faire évoluer le système devant la marée des lycéens et trouver un moyen de faire coïncider l’offre (le nombre de places possibles) et la demande. Et comme le Minitel est remplacé par l’informatique, on fait appel aux formules des algorithmes et on rend le système national. Nous voilà donc, en 2008, avec APB (admission post-bac, généralisation d’un système qui avait été mis en place pour les écoles d’ingénieurs). Les algorithmes sont censés répartir au mieux les quelque 680 000 postulants dans les quelque 10 000 formations proposées à cette époque.

Bonjour la sélection !

L’échec de cette procédure ne doit pas masquer certains avantages, comme la découverte, par les candidats, de formations dont ils ne soupçonnaient même pas l’existence. Par exemple, les BTS agriculture. Ni masquer non plus que, grosso modo, le système, statistiquement parlant, a tout de même fonctionné. Les dysfonctionnements étaient inévitables, à ne s’en tenir qu’aux algorithmes, lesquels ne sont pas des formules magiques. Lorsqu’ils tombent sur deux ou plusieurs candidats classés ex-aequo, le programmeur ajoute une routine de « choix aléatoire », c’est-à-dire de tirage au sort. D’où l’impression d’une manipulation. Faux procès puisqu’un algorithme est, en lui-même, un outil de manipulations. On a réclamé le code source pour y aller voir… Mais qui est capable de lire couramment le C++ ? Et ceux qui lisent le C++ couramment comprennent le dilemme tragique du programmeur.

Le système ne pouvait plus fonctionner dès lors que l’algorithme ne pouvait plus ni résoudre ni masquer l’inadéquation entre les demandes et les offres. Les tirages au sort sont devenus visibles, les non-affectations, nombreuses, trop difficiles à résoudre. Mais quelle solution réaliste peut-on mettre en place sans sélection, d’autant qu’aujourd’hui il s’agit de 800 000 élèves à répartir en plus de 12 000 formations ?

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Alors voici Parcoursup ! Il faudra voir à l’usage – et les oiseaux de mauvais augure ne manquent pas – mais rien qu’à écouter les ministres concernés, Jean-Michel Blanquer et Frédérique Vidal, en parler sur Europe1, on peut voir qu’il ne s’agit pas seulement d’une amélioration d’APB.

En fait, il s’agit de bien plus que cela. Parcoursup, c’est, à l’occasion de la nécessaire refonte d’APB, une réforme en profondeur… des lycées ! Sur le plan technique, la modification de l’algorithme peut fonctionner mieux ou plus mal que celui d’APB. On verra, mais ce n’est pas là l’essentiel, encore que la pagaille, finalement assez peu probable, risque d’être spectaculaire.

Parcoursup, une réforme douce mais profonde

L’essentiel, c’est que Parcoursup n’est pas seulement, ni même principalement, une technique de répartition. Il n’est pas non plus, malgré les craintes exprimées, un dispositif de sélection. Parcoursup est surtout un mécanisme de transformation des lycées. Il l’est par les effets qu’il induit sur toute la structure et le fonctionnement des lycées.

Voici quelques aspects de ce dispositif qui vont produire cet effet.

1. L’élargissement géographique

Les élèves ne sont plus tenus de rester dans leur secteur géographique. Ils peuvent candidater partout. Mais les établissements de formation aussi sont libérés, au moins partiellement, de la contrainte géographique. Il y aura donc, très vite, une hiérarchisation des établissements. Les plus réputés seront les plus demandés et ces établissements pourront choisir les « meilleurs profils ». Très vite, les établissements d’accueil vont devoir se lancer dans une comm’ pour attirer les meilleurs profils.

2. La « fiche avenir »

Étrange dénomination pour ce qui n’est qu’une sorte de dossier d’élève comportant les moyennes obtenues lors des premier et deuxième trimestres de Terminale, ainsi que le positionnement du candidat dans la classe, positionnement rapporté à l’effectif de la classe. Car, comme disait De Gaulle à son fils, l’important, ce n’est pas la note, c’est d’être dans les premiers. Seront également portés les appréciations de tous les professeurs, une appréciation générale formulée par le professeur principal et l’avis du chef d’établissement sur la capacité de l’élève à réussir dans la formation demandée. Seront précisés la capacité du candidat à travailler seul et son investissement personnel. Il faut remarquer que ces avis ne sont pas portés collégialement comme dans un conseil de classe. L’auteur de l’avis dit ce qu’il veut et on peut imaginer que les proviseurs recevront des consignes rectorales.

Réciproquement, l’élève devra obtenir de ses professeurs des avis favorables, ce qui peut rétablir le dialogue élève-professeur et même, qui sait ?, ramener une forme de respect envers l’enseignant et d’intérêt pour la discipline ! On ne voit pas un professeur de SVT porter un avis favorable à un élève créationniste par conviction religieuse. Et difficile de s’inscrire en STAPS lorsqu’on ne veut pas se mettre en maillot de bain pour aller dans le « milieu aquatique standardisé ». On peut aussi prendre l’exemple des complotistes ou celui des Illuminati. Bref, cette fiche ne peut manquer de rappeler aux élèves le sérieux avec lequel ils doivent poursuivre leurs études au lycée, à commencer par faire confiance au corps enseignant. Cette « fiche Avenir » se remplira « numériquement » et sera saisie vers la fin mars. Elle est à ce point déterminante qu’elle rend de ce fait, pour les affectations, le baccalauréat inutile.

3. Le baccalauréat

Il devient, en effet, inutile ou presque. Il pourra bien être n’importe quoi… Il n’est pas pris en compte dans ce dispositif, les propositions d’admissions intervenant mi-mai. On peut d’ailleurs s’attendre à ce que la réforme à venir du baccalauréat s’inscrive en parfaite cohérence avec ce dispositif Parcoursup dans la réforme discrète des lycées. Ce baccalauréat restera néanmoins un titre, et même, ce qu’il est depuis sa création et encore aujourd’hui, le premier grade universitaire.

4. Voici les « attendus »

On peut les télécharger librement. On a renoncé au terme « prérequis », langage du pédagogisme appliqué à l’école maternelle (les prérequis pour l’apprentissage de la lecture et de l’écriture). Ces attendus, précisés pour chaque type de formation, reprennent d’ailleurs assez souvent, mais stratégiquement, le langage pédagogiste. On tente la continuité et on essaie d’éviter l’accusation de bachotage en parlant de compétence plus que de savoirs. On essaie de masquer l’académisme… Mais impossible de s’y tromper. Lorsqu’on lit qu’il faut « disposer de compétences mathématiques », on sait bien de quel programme de maths il s’agit, par exemple en AES. Mais le plus remarquable, dans cet océan d’attendus, généraux et nationaux, c’est qu’ils sont pratiquement tous les mêmes, quelles que soient les formations envisagées. Tous mettent en tête la nécessité de disposer de « compétences » en matière d’expression écrite et orale, en matière de raisonnement, en matière d’argumentation, etc. On dirait que toutes les formations réclament… le bac ! Le vrai. Celui d’autrefois. Et ne réclament rien d’autre. Strictement rien d’autre !

5. Le « oui si » 

Voilà bien une nouveauté pleine d’avenir. On accepte le candidat à la condition qu’il accepte lui-même d’acquérir le niveau requis pour les études envisagées. Le oui-si impose à l’élève une formation préalable. « L’objectif est que l’université prenne en compte le bagage avec lequel ces élèves arrivent dans l’enseignement supérieur », explique la ministre de l’Enseignement supérieur. Voilà qui ressemble à l’ébauche d’une sorte de prépa ! Et qui pourrait bien se généraliser !

6. La Commission d’accès

Si aucun vœu ne peut être satisfait, une « commission d’accès », réunie après le baccalauréat, proposera des formations au plus proche de celles formulées. Il n’y aura donc pas de laissés-pour-compte. Mais il y aura des déçus. Beaucoup de déçus. Et fortement déçus !

Cette simple énumération des dispositifs de Parcoursup suffit à montrer que tout est parfaitement pensé et calculé pour réformer en douceur et en loucedé un lycée irréformable autrement. Constatons que personne ne se dresse réellement contre Parcoursup. Sauf La France insoumise (LFI), seule à soulever ces questions dans son tract (rédigé en écriture inclusive, s’il-vous-plaît !) distribué à 600 000 exemplaires pour tenter de mettre les lycéens dans la rue. On voit que LFI ne compte pas sur la mobilisation des profs.

Peine perdue car qui ne voit que ce dispositif est nécessaire, qu’il renseigne le futur étudiant et sa famille sur ce qu’il va étudier à l’université, dévoile le nombre de places disponibles dans la filière demandée, indique le taux de réussite qu’on y constate, évalue l’importance des débouchés possibles ?

Quant aux enseignants des lycées, ils pourront faire fond sur les exigences des formations post-bacs pour donner du sens à leurs enseignements sans devoir invoquer les exigences du baccalauréat. Les plus opposés pourront bien objecter qu’il faut créer des places dans les universités ou bien que leur métier n’est pas de sélectionner les élèves, ils ne pourront guère échapper à ce dispositif faute d’alternative et sous la pression du calendrier, car tout cela est lancé.



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