Accueil Site Page 149

Justin P. : 100 % Complexe !

L’attaque au couteau d’un lycéen sur ses camarades de classe a provoqué l’effroi à Nantes. Cet adorateur d’Adolf Hitler préoccupé par la condition environnementale, à peine âgé de 16 ans, a été interné en psychiatrie. Philippe Bilger revient sur le drame


Regardant le 24 avril l’émission « 100 % Politique » animée sur CNews par Gauthier Le Bret, j’ai été surpris par la discordance des points de vue sur l’attaque au couteau -57 coups sur la victime tuée – dans l’établissement scolaire Notre-Dame de Toutes-Aides à Nantes. Alors qu’à l’évidence les crimes commis par ce mineur de seize ans imposaient une grille d’explication complexe, aussi bien psychiatrique que sociale, sécuritaire, politique… Souhaiter un tel pluralisme n’est pas fuir ses responsabilités mais au contraire prendre la mesure d’un événement qui risquera de demeurer incompris si on récuse la plénitude nécessaire. Qui peut contester la validité des considérations de pur pragmatisme sécuritaire concernant, à cause du port de couteau de plus en plus observé, l’installation de portiques, les fouilles, la reconnaissance faciale et les mesures à prendre pour que les établissements privés et publics soient à l’abri de massacres dans la voie du mimétisme américain ?


On ne peut pas non plus désapprouver le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau qui a insisté sur le fait qu’il ne s’agissait pas d’un fait divers mais d’un fait de société et que sa nature politique, au-delà des émotions singulières, était évidente. Il voit dans ces actes criminels la traduction extrême d’un monde gangrené par le refus de l’autorité, le laxisme et la déconstruction. Il a aussi rappelé, pour lutter contre les facilités paresseuses du « il n’y a qu’à », qu’il était impossible de placer un policier ou un gendarme derrière tous ceux qui étaient porteurs d’un risque potentiel.

À lire aussi : Aboubakar Cissé ne priera plus

Il me semble, au sujet de Justin P, qu’une interrogation fondamentale ne peut être éludée. Comment se fait-il que ce garçon qualifié diversement de « bizarre, réservé, suicidaire, solitaire, adorateur d’Hitler, voulant étriper tout le monde, remarqué par ceux qui le côtoyaient… » n’ait pas, au-delà de la curiosité inquiète qu’il suscitait, incité ses parents, ses éducateurs, ses professeurs à se prémunir pour que cette personnalité infiniment problématique passe d’un virtuel plus que troublant à un réel horriblement concret ?

J’entends bien que soupçonner ainsi un mineur de 16 ans, pour ce qu’il est et semble montrer, relève d’une sorte d’anticipation choquante, quasiment totalitaire. Mais comment échapper à cette alternative traumatisante: ne rien tenter et laisser le pire peut-être se commettre un jour ou intervenir pour briser une menace seulement supputée ?

La garde à vue de Justin P a été levée et il a été interné en psychiatrie.

Le texte très long, à la fois délirant mais révélateur d’une inspiration confuse mêlant nazisme et gauchisme – « écocide globalisé » – qu’il a envoyé par mail le 24 avril à midi, participe d’une adolescence mêlant une extrême difficulté d’être à des visions apocalyptiques ; ne percevant comme seule solution que l’éradication d’une part d’humanité détestée par son propre chaos.

Quels que soient les ressorts profonds de ces crimes, ils ne rendront pas moins absurdes les dires de la maire écologiste de Nantes laissant entendre, pour s’en prendre à Bruno Retailleau, que l’émotion est seule acceptable et que la politique n’a rien à voir en l’espèce. Alors qu’au contraire tout est lucide et pertinent qui alliera les affres du singulier et les dérives du pluriel. La prévention intelligente et la répression sans faiblesse. 100 % Complexe !

À lire aussi : «Les juges des enfants sont laxistes»

Sur ce dernier point, cessons de traiter les mineurs délinquants ou criminels comme si nous voulions qu’ils n’aient jamais changé par rapport à l’image bénie d’une enfance préservée de tout, coupable de rien. Notre législation à cet égard est mauvaise et impuissante devant les transgressions. Justin P pourra être déclaré irresponsable. S’il ne l’est pas ou si sa responsabilité est atténuée seulement au moment où il a poignardé ses victimes, il faudra moins pleurer sur lui que sur elles, contrairement à l’habitude politique et médiatique.

Le palais, ou les pompes du pouvoir

Depuis l’Antiquité, le pouvoir s’incarne en un lieu : le palais, qui s’impose par son architecture, ses décors et son protocole. Thierry Sarmant retrace cette histoire, des châteaux mérovingiens à l’Élysée d’Emmanuel Macron en passant par le Versailles de Louis XIV et… l’Hôtel du Parc du maréchal Pétain.


La République s’enorgueillit de ses palais bâtis par et pour nos rois et nos empereurs. L’Élysée ? Un (vaste) hôtel particulier. En visite sous la Restauration, le grand-duc Nicolas, frère du tsar, vantait « l’avantage d’avoir un charmant petit jardin » (sic). Quand Emmanuel Macron veut éblouir, c’est à Versailles qu’il reçoit, sous les ors du Roi-Soleil, « cadre d’apparat pour les grandes visites officielles ».

Conservateur aux Archives nationales et ancien directeur des collections du Mobilier national, Thierry Sarmant remet en perspective cette relation à la représentation du pouvoir, telle qu’elle s’incarne, en France, depuis la fin de l’Antiquité. De fait, les édifices palatiaux, leurs architectures, leurs décors, leurs objets sont généralement étudiés dans la limite d’une période historique donnée, non dans leur continuité. S’y croisent des logiques complexes : contraintes socioéconomiques, ambitions (voire prétentions) de leurs « locataires », contexte international, combinaisons dynastiques, enjeux diplomatiques… Au-delà de l’analyse de leurs dispositifs architecturaux et décoratifs, Sarmant éclaire d’un œil neuf ce qu’il appelle l’« écosystème des palais » : travaux, manufactures, ravitaillement, artisanat, industrie, domesticité, soldatesque – toute une administration, une économie, une intendance sont solidaires de leur fonctionnement.

À lire aussi : Odyssée vers Trinidad

Le palais mérovingien, pourtant institution majeure du royaume des Francs, n’est « ni un monument d’architecture ni un haut lieu des arts décoratifs ». Charlemagne assoit son palais d’Aix-la-Chapelle sur un double modèle, romain et byzantin. Souverains nomades comme leurs prédécesseurs, les rois capétiens itinèrent de villégiatures de chasse en abbayes… « L’architecture du pouvoir passe de la villa héritée de l’Antiquité romaine au château féodal », « les tours deviennent un élément signifiant du château ou du palais », dans un dispositif d’enceintes partout similaire. À Paris, le palais de la Cité figure le prototype achevé.

Puis surgit le premier Louvre, dans le contexte de la guerre de Cent Ans, des rébellions intestines et des conflits seigneuriaux dans un Paris qui « n’est plus une ville sûre, moins en raison d’un possible coup de main anglais qu’à cause de la turbulence de ses habitants ». D’où « les trois grands chantiers menés sous les premiers Valois : au Louvre, à l’hôtel Saint-Pol [disparu] et à Vincennes ». Le règne de Charles V amorce la « civilisation de cour, amie du luxe, du confort et de la mode », et le Val de Loire devient, d’un château l’autre, le lieu d’un incessant « cortège de chariots où sont transportés meubles et tentures », dans le « faste occasionnel » que président tour à tour Charles VII, Louis XI, Charles VIII, tandis que croissent les effectifs d’une « maison du roi » où « le mobilier proprement dit, dans le sens actuel du mot, demeure peu présent » encore.

Une gravure du palais royal

Sarmant ne voue nulle tendresse à François Ier, « piètre politique, chef de guerre catastrophique, d’une intelligence plus que moyenne », ouvrant « la longue liste des dirigeants “sous influence” de l’ère moderne ». Au crédit du sire qui « ne tient pas en place », promoteur d’une « politique architecturale à la fois ambitieuse et désordonnée », l’historien porte, tout de même, outre les châteaux parisiens disparus de Madrid et de La Muette, les « monuments fabuleux » que sont Chambord, Fontainebleau – et le Louvre ! Mécène boulimique, François Ier « entend éblouir l’Europe par le luxe de ses courtisans, l’extravagance de ses fêtes et l’ampleur de ses bâtiments », alliant tradition nationale et inspiration italienne : « trop de chantiers pour en mener un seul à son terme » !

Dans une synthèse érudite, Thierry Sarmant file la chronologie des demeures édilitaires, du Louvre d’Henri IV au palais des Tuileries, du « mystère Versailles », cette fabuleuse « création continue », au pitoyable… Hôtel du Parc vichyssois, en passant par Marly, Meudon, Saint-Germain, Compiègne, Rambouillet, Saint-Cloud… ou encore par ce fantomatique « Palais du Roi de Rome », colossale architecture de papier dessinée par Percier et Fontaine pour le fils de Napoléon et qui ne sera jamais bâti sur la colline de Chaillot.

Le Palais-Cardinal (Palais-Royal) a quasi disparu, la Révolution a sabordé le Garde-Meuble (Hôtel de la Marine), la Restauration, en décalquant « assez étroitement le décorum de l’Empire déchu » s’est accommodée des Tuileries, joyau que la Commune de Paris réduira en cendres, après que Napoléon III et Eugénie ont ouvert « le temps des palais-musées ».

À lire aussi : Les joyaux de l’Opéra

Les derniers chapitres font la part belle aux improbables mues de ce « palais ambigu » qu’est l’Élysée. Luxueusement remodelée par Murat en son temps, somptueusement agrandie lors de l’Exposition de 1867 pour y loger le tsar, la demeure, à l’heure où s’effondre le Second Empire, redevient « palais présidentiel en quelque sorte par défaut ». Il faut attendre 1873 pour que Mac Mahon en fasse définitivement la résidence présidentielle. En 1900, soucieux d’asseoir le prestige républicain, Felix Faure commande la « grille du Coq ». De Gaulle, en 1959, lorgne plutôt vers les Invalides ou Trianon, mais se résout à camper dans cet « Élysée mal-aimé ».

La salle des fêtes de l’Élysée rénovée

Le 55, rue du Faubourg-Saint-Honoré abritera la revanche des « modernes sous Pompidou », la revanche du « grand style » sous un Valéry d’Estaing se rêvant en monarque, la revanche du pisse-vinaigre sous Mitterrand, la revanche du « fashion » sous « les Macron » (sic), couple lancé : « adieu vases, adieu bougeoirs, adieu bibelots » ! La salle des fêtes, désormais « vaste kiosque ouvert sur le jardin », ressemble à « une immense boutique Dior ». De fait, « la révolution décorative macronienne reflète des évolutions culturelles qui vont bien au-delà des palais ». Quid de la Lanterne ? Ah, ça ira.

Thierry Sarmant, Histoire des palais : le pouvoir et sa mise en scène en France du Ve au XXIe siècle, Tallandier, 2025, 560 pages.

Histoire des palais: Le pouvoir et sa mise en scène en France du Ve au XXIe siècle

Price: 25,90 €

5 used & new available from 25,90 €

Retour sur l’île du père

Après Le chemin des estives, best-seller dont un auteur ne sort jamais complètement indemne, Charles Wright remonte le fil de ses origines, du Suffolk à l’Hampshire, dans Le jardin anglais son nouveau récit aux éditions Albin Michel. Monsieur Nostalgie nous dit pourquoi Wright est un écrivain à la fois de l’intime et de l’universel


J’aime l’écrivain et le tennisman, ce qui n’est pas incompatible. Il y a chez Wright, bon joueur de tennis amateur, le même toucher de balle soyeux que dans ses écrits à lente fragmentation.

Trois semaines à travers l’Angleterre

Un retour au beau jeu d’antan, respectueux de l’adversaire et du lecteur, loin des coups de force et des surbrillances. Wright ne truque pas sa phrase. Il ne se hausse pas du col. Il ne frappe pas ses mots avec la volonté de nous assommer ou de nous dire qu’il est le meilleur ; qu’avec lui, notre vie sera bouleversée à jamais. Il est économe en déclarations intempestives et en certitudes endimanchées. Sa modestie n’est pas une stratégie marketing. Il n’est pas guide ou alchimiste, encore moins calculateur. Wright déroule son nouveau récit, Le jardin anglais, avec une sincérité véritable, une drôlerie qui ne tache pas ; semant par-ci, par-là quelques graines d’érudition qui ne sont pas culpabilisantes. Dans ce récit intrafamilial morcelé tel une tapisserie de chroniques, on ne se sent pas enfermé, cadenassé par une idéologie, par une quête missionnaire ou une victimisation à la mode, sa foi nous porte. Il arrive à capter une vérité lumineuse, humble dans son scintillement. Nous montons à bord de sa Golf pour un périple de trois semaines à travers l’Angleterre à trois car il a eu la bonne idée d’inviter tante Harriet, elle fera tampon ou courroie de transmission avec ce père taiseux.

A lire aussi: «Les Vigiles», de Tahar Djaout. Un roman prémonitoire?

Après le succès, ce que j’appelle dans mon langage familier le braquage des librairies, Wright avait de quoi vaciller, perdre à jamais l’envie d’écrire ou alors se lancer dans la répétition névrotique d’une improbable recette. Le chemin des estives a été lu et relu en grand format et en poche par des dizaines de milliers de lecteurs en France. Il a été primé et encensé par la presse. Cette gloire éphémère dont il s’amuse aurait pu être un fardeau, il a su s’en détacher malgré les questions insistantes de son entourage. Alors, tu écris sur quoi en ce moment, Charles ? Il s’est laissé porter par la propre histoire de ses origines, donc le retour à la figure de ce père peu loquace né sur une île étrange. L’Angleterre reste un mystère pour nous, continentaux perclus de républicanisme et dépourvus de folie. Entre les fenêtres à guillotine et l’harmonie des cottages, notre œil se perd. C’était pourtant un sujet casse-gueule car parler du père, c’est soit l’embaumer, soit lui régler son compte ; dans les deux cas, la frontière est mince entre l’hagiographie et la mise à mort. Disons-le, Wright a échappé aux pièges du bavardage « père-fils » que nombre d’auteurs nous infligent ; très habilement, avec une fluidité d’écriture, à tâtons surtout, à la Simenon, sans brusquerie, en pratiquant souvent la sortie de route, il a dessiné un portrait pudique, sans graisse, à hauteur d’homme, donc forcément d’une grande émotion.

Denis Tillinac, oncle corrézien

Wright a inventé une méthode, son récit naît sous nos yeux ; naturellement, les briques du passé se mettent à danser, d’abord dans le désordre et puis à la Sherlock, la construction anarchique se solidifie. Mais toujours avec une liberté de mouvement, il s’autorise toutes les facéties rieuses sur les services à thé, les soirées aux pubs, les conversations avec ses cousins et même une déclaration à son oncle corrézien, Denis Tillinac. L’appropriation de cette langue qui lui est étrangère en partie donne lieu à d’excellents paragraphes sur la prosodie anglaise et la complexité pour un esprit français de s’y couler. Wright ne déballe pas ses racines sur la table comme un marchand de chouchous, il ne déplie pas sa généalogie comme on affiche un laisser-passer sanitaire. Il est avant tout, viscéralement, écrivain donc il divague à travers le temps et la musique, nous amène dans les cimetières et le répertoire des Beatles, passe d’Hamlet à Love Actually. Il ne juge pas. Il observe, les silences et les dénis, tous les nœuds de sa britannicité avec un mélange de surprise et de bonheur. « J’ai l’impression de renouer avec une part oubliée de mon être et en même temps je me sens comme un étranger dans ma propre peau. J’éprouve une sorte de déchirement intérieur » écrit-il. Cette double identité est un don de dieu.

Le jardin anglais de Charles Wright – Albin Michel 240 pages

Le Jardin anglais

Price: 19,90 €

12 used & new available from 12,00 €

Le chemin des estives

Price: 8,90 €

30 used & new available from 3,54 €

La nausée

0

Chaque semaine, Philippe Lacoche nous donne des nouvelles de Picardie…


Longtemps, pâle Proust picard, je ne me suis pas levé de bonne heure ; longtemps, également, je n’ai pas regardé la télévision. Depuis que ma chérie, ma Sauvageonne, est entrée dans ma vie, je peste toujours autant quand il s’agit de me lever de bonne heure. (Je hais l’aube, ses couleurs blafardes, laiteuses comme un flan aux œufs, ses bruits de voiture qui me fatiguent : tous ces gens qui se rendent, courageux, à leur travail ; pendant des dizaines d’années, j’ai fait comme eux, moi le retraité, aujourd’hui, je ne peux plus. Bref : le matin me donne la nausée, une nausée sartrienne). En revanche, mes nouveaux jours sauvageonniens m’ont presque ôté l’envie de passer mes soirées au bistrot au grand dam des patrons de cafés et des brasseurs de bières Pils qui ont vu, ces derniers mois, leurs recettes diminuer. Mon foie est en droit de ne point le regretter.

Donc, il m’arrive de nouveau de regarder, le soir, la télévision. Deux documentaires m’ont récemment passionné. Le premier, diffusé sur Netflix, co-réalisé par Anne-Sophie Jahn, consacré à Bertrand Cantat, chanteur du groupe Noir Désir, assassin de Marie Trintignant ; le second, à Klaus Barbie, assassin notoire, responsable d’exécutions, de tortures et de la déportation vers les camps de la mort d’environ 14 000 personnes, principalement des juifs et des résistants. Il n’est pas question ici de comparer le premier au second. Le nazisme et ses crimes sont incomparables, inégalés sur l’échelle de l’horreur. Mais, je dois avouer que, lors des deux émissions, j’ai éprouvé un profond dégoût. Pourtant, comme beaucoup de fans de rock, j’ai beaucoup aimé les chansons de Noir Désir et son charismatique leader ; les mélodies et ces textes empreints de tant d’humanisme et de poésie. Depuis, je ne peux plus en écouter une. Le documentaire de Neflix m’a conforté dans cette attitude. L’émission évoquait le mystérieux et incompréhensible silence à propos des violences passées du chanteur envers les femmes. Pourquoi ? On peut se poser la question. Et puis, il y avait dans l’émission, des témoignages accablants, en particulier l’analyse de la courageuse chanteuse Lio qui participait au documentaire ; comme le rappelle Le Point, elle avait été la seule à immédiatement s’insurger, sur le plateau de Thierry Ardisson en 2006, à l’encontre du portrait presque complaisant qui était fait de Bertrand Cantat. « On ne lui a pas volé son amour, il l’a tué. […] », avait-elle déclaré. « Ce que je sais, c’est que Marie est morte avec un visage qui était détruit comme après un accident de moto à 120 à l’heure. […] Dire que Marie était responsable de sa mort avec lui, que c’est la passion et l’amour qui l’ont tuée… Non ! L’amour n’apporte pas la mort. » La haine, elle, toujours apporte la mort. Une fois de plus, on l’a compris en regardant le documentaire consacré à l’ignoble criminel de guerre allemand. Là encore, des témoignages accablants contre celui que l’on surnommait « le Boucher de Lyon ». On ne sera jamais assez admiratif du travail acharné de Beate et de Serge Klarsfeld qui contribuèrent à faire arrêter, puis juger la célèbre crevure. Crevure ou pourriture ? Les deux qualificatifs conviennent. On gardera longtemps en mémoire le sourire ironique, doucereux, presque patelin de Barbie devant ses juges et devant les témoins à l’existence à jamais brisée. Un sourire plein de détachement malsain sous lequel bouillait le venin de la haine. Je l’avoue, j’avais une fois de plus la nausée. Une nausée bien réelle celle-là et pas littéraire comme celle que m’inspire mes aubes d’écrivaillon, relatée au tout début de cette chronique minuscule, perdue dans l’immensité de l’horreur.

Bande-annonce De rockstar à tueur : Le cas Cantat : https://youtu.be/WlvxZC4SIGg?si=PFPIvgJrhIVQ6rad

Documentaire Le procès de Klaus Barbie : https://www.france.tv/france-2/le-proces-de-klaus-barbie/

« Marie Renard », un modèle de biographie

0

Quand Michèle Dassas revisite la Belle Epoque


Michèle Dassas. Wikimedia commons

On aurait pu penser qu’avec André Maurois, Pierre de Boisdeffre ou Pierre Assouline, la biographie avait atteint chez nous des sommets indépassables. C’eût été compter sans Michèle Dassas. Celle-ci s’affirme, livre après livre, comme l’un des meilleurs écrivains contemporains. Elle a complètement renouvelé le genre biographique, lui conférant cette coloration particulière qui est sa marque propre.

À lire d’une traite !

Sans jamais renoncer à l’exactitude d’une documentation aussi précise qu’exhaustive, elle a adorné celle-ci des fioritures d’une imagination qui donne son cachet et son charme au roman biographique.
L’unité de son œuvre tient au fait qu’elle s’est penchée sur le destin hors du commun de femmes qui ont, chacune dans son domaine, marqué leur époque. Parmi ces pionnières, la première avocate française Jeanne Chauvin, Augustine Tuillerie qui écrivit Le Tour de la France par deux enfants, ou encore Jeanne Baudot, l’unique élève d’Auguste Renoir.

A lire aussi: « Elles » ou la cuisse

Marie Renard, la femme modèle ne faillit pas à la règle. L’auteur nous propose, par son entremise, une plongée dans le monde artistique et intellectuel d’une époque fertile, de 1875 à 1914. Celle-ci est vue de l’intérieur non par les artistes eux-mêmes mais par une femme qui fut leur modèle. On y croise Degas, Monet et d’autres moins connus tels Mary Cassatt qui découvrit Marie Renard, et des écrivains qui tenaient alors le haut du pavé : Émile Zola, Marcel Proust ou encore Reynaldo Hahn.

Une époque ressuscitée

Une fresque vivante, colorée, à l’image des habitués des salons de Madeleine Lemaire, peintre elle-même, fort connue à son époque. Marie Renard se révèle une héroïne des plus attachantes. Née dans un milieu modeste, elle finit misérablement une existence passionnante et passionnée qui faisait d’elle « le phénix des modèles ».
Cet ouvrage se lit d’une traite. Il permet de suivre les méandres de ce que l’on nomme « La Belle Epoque », une appellation pleinement justifiée.

Marie Renard, la femme modèle, de Michèle Dassas, Préface de Stéphane-Jacques Addade, Ramsay, 332 pages

Mélenchon, stalinien pour classes terminales!

Le caractère clairement abusif et totalitaire du dirigeant de la France Insoumise a été une nouvelle fois mis en lumière dans un documentaire choc de « Complément d’enquête » sur France 2 jeudi soir.


Il faut savoir gré à France Télévisions d’avoir diffusé le reportage sur Jean-Luc Mélenchon et sa méthode de gouvernance de La France Insoumise à quelques encablures des épreuves du bac. Ainsi les candidats à l’examen peuvent-ils disposer d’un matériau de choix pour charpenter leur dissertation au cas où, ce qui ne serait pas très surprenant au vu du climat actuel, ils auraient à plancher sur le thème de la violence.

T’as pas la carte ?

Il serait bien sûr opportun qu’au cours de leur analyse ils abordent l’aspect spécifique de la violence en politique, et c’est alors que le documentaire en question leur serait d’une grande utilité, tout simplement parce qu’il explore et expose très exactement l’ADN du mode de fonctionnement de tout groupe politique révolutionnaire et/ou totalitaire.

A lire aussi: Tous accros au X!

La structure même de LFI en dit fort long sur le sujet. Mélenchon ne manque pas de réaffirmer dans ce reportage qu’il s’agit d’un mouvement et non d’un parti politique. Un parti politique qui, pour justifier ce statut serait contraint de se soumettre aux pratiques démocratiques usuelles : congrès, élections des responsables, débats, votes de la ligne politique, etc. toutes obligations auxquelles un mouvement n’est pas tenu. Non seulement la LFI de Mélenchon n’obéit pas à ses règles, mais mieux encore, elle ne compte aucun adhérent. On n’adhère pas véritablement à LFI, en prenant une carte contre cotisation, ce qui donnerait droit à une voix lors d’éventuelles consultations. Non, on se rend sur la plateforme-programme et il suffit de s’en déclarer proche pour rejoindre de fait le mouvement. Sans aucun autre droit démocratique, donc, que celui de la fermer ou de s’en aller.

Fonctionnement brutal

Au cours du reportage, d’anciens camarades ou compagnons de route ont révélé les procédés par lesquels le Lider Maximo gère son leadership : intimidation, harcèlement moral, violence psychologique, suspicion permanente, procès en hérésie, accusations de trahisons, avec, couronnant le tout, la menace constante du déclenchement de l’arme atomique : l’exclusion, la purge. Ainsi, on apprend que Alexis Corbière, Raquel Garrido, Clémentine Autain et François Ruffin, membres éminents et écoutés du mouvement – trop manifestement au goût du chef – ont été arbitrairement privés d’investiture pour les dernières élections législatives, certains ne découvrant leur éviction que le vendredi soir à 23 heures, veille de la date limite de dépôt des candidatures. Cela n’est à la vérité qu’un exemple de brutalité dans un fonctionnement au quotidien dont la brutalité est le fondement, le mode obligatoire et non, comme on pourrait le penser, une anomalie, une déviance, la manifestation quasi irrationnelle d’une lubie de chef caractériel.

A lire aussi: Sophia Chikirou, le « martyr » du Hamas et la chute de la maison Mélenchon

Il ne s’agit absolument pas de cela.

Ce que Mélenchon applique dans la gouvernance de ce mouvement répond très précisément au dogme qui prévaut pour la conduite de toute structure révolutionnaire, totalitaire.

Cela correspond à la virgule près – et c’est alors que les candidats au bac pourront briller – à ce qu’en décrivent les analystes les plus pertinents de ces phénomènes.

Vous reprendrez bien une deuxième part de violence ?

Le groupe révolutionnaire, expose Jean-Paul Sartre dans Critique de la raison dialectique, ne se fonde et ne se perpétue que par la violence. Une violence à double cible. Violence externe dirigée contre les autres partis, les opposants, mais aussi – et selon une exigence elle aussi vitale – une violence interne, dont chaque militant ou groupe de militants peuvent être à tout moment, et arbitrairement les victimes. L’une et l’autre forme de violence étant bien évidemment présentées comme une réponse à la prétendue violence dont le mouvement serait lui-même la cible, soit de l’extérieur soit de l’intérieur. C’est par ce moyen, par l’instauration d’un climat de paranoïa permanente, que tout groupement révolutionnaire se survit à lui-même, se régénère, entretient son unité de façade, « une unité qui s’incarne dans la personne d’un chef charismatique qui la symbolise, qui la met en scène dans des manifestations de force et des explosions de violence verbale », écrit René Sitterlin dans son opuscule La Violence. Et là, l’élève de terminale de se faire un malin plaisir de citer en renfort Hannah Arendt qui écrit dans Les origines du totalitarisme : « Le totalitarisme se nourrit de sa propre violence ». Sans quoi, il se condamne à l’asphyxie, au dépérissement.  Au non-être, s’autorisera le candidat pour faire joli.

Ainsi, ce n’est pas tant un fonctionnement aberrant, une anomalie, un phénomène atypique que nous a montré le sujet de Complément d’Enquête que l’ordinaire d’une tradition perverse hélas bien connue.

En ce sens, M. Mélenchon n’est rien de plus que la marionnette d’un système qu’il est loin d’avoir inventé et dont il est tout aussi éloigné d’en être le plus grand virtuose. Ne lui en déplaise…


Le philosophe et dirigeant de la publication Franc-Tireur Raphaël Enthoven s’est amusé sur Twitter des difficultés de Mathilde Panot, interrogée par le social-traître de Complément d’enquête Tristan Waleckx

La violence

Price: 23,99 €

2 used & new available from

LES TÊTES MOLLES - HONTE ET RUINE DE LA FRANCE

Price: 14,77 €

5 used & new available from 10,78 €

Un Algérois mal dans sa peau

Rarement exposée à l’écran, la haute bourgeoisie algérienne se dévoile dans L’Effacement, où se mêlent pouvoir, silence et violence. Reda Belamri, héritier discret d’un empire pétrolier, est confronté aux injonctions paternelles, à l’humiliation militaire et à une quête d’émancipation.


Une autre Algérie ? Rarement montré au cinéma, le milieu de la haute bourgeoisie d’affaires dans ses tribulations algéroises, ses manigances et ses compromissions. Monsieur Belamri, vieux patron madré de la Sonapeg, énorme entreprise liée aux intérêts pétroliers et gaziers du pays, domine d’une implacable autorité son fils Reda, un jeune homme bien fait bien mis, pas bavard et quelque peu… effacé. Papa Belamri a réussi à le placer dans la boîte, comme « responsable de l’information stratégique », et lui met un bon parti dans la poche : « ne perds pas ton temps, il est temps de fonder une famille ». (On passe naturellement, dans une même réplique, de l’idiome français à l’arabe – trait essentiel de la culture post-coloniale dans les hautes sphères de la société algéroise, ce dont témoignent les dialogues du film avec une parfaite exactitude).

Faycal, le frère aîné de Reda, jouisseur chevelu moins soumis que son cadet, entre en rébellion sans retour possible lorsque le pater familias, ayant surpris, à cause d’un voyage d’affaires interrompu, une fiesta délurée donnée à son insu dans l’enceinte de sa villa, vire manu militari tout ce petit monde, en pleine nuit : coupant les ponts, Faycal file illico s’exiler à Paris pour y exercer ses talents de DJ. Reda le taciturne se retrouve seul face à lui-même.

À lire aussi : «Adolescence», ou l’art de passer à côté des problèmes

En ces années 2020, dans une Algérie troublée par le terrorisme islamique autant que par une jeunesse tumultueuse, les mâles de 20 ans n’échappent pas à la conscription sans de sérieux appuis, et pour garder son poste dans l’entreprise, Reda doit faire son service militaire. Le voilà donc contraint malgré lui d’endosser le treillis, expérience éprouvante pour ses fesses, car le rejeton, pas franchement gymnaste dans l’âme et traité de « bourgeois », devient vite le bouc émissaire idéal du fantassin de base. Ça ne tarde pas : il devra rembourser en nature ses privilèges de classe, via l’introduction forcée d’un manche à balai par trois zigues déchaînés. On serait mal dans sa peau à moins. Mais Faycal encaisse en silence, et quand le colonel lui suggère de cafter : « – il ne s’est rien passé, tout va bien ».

Là-dessus trépasse soudain Belamri père – larmes, chagrin… L’expérience virile a cependant durci Reda, à telle enseigne que lorsque sa sage petite fiancée, attablée avec lui dans un restau chic d’Alger, se montre exclusivement occupée par les préparatifs mondains de la noce (« – et rase-toi, s’il te plaît ! »), il balance une énorme torgnole à la demoiselle. Geste qui compromet définitivement le projet matrimonial.

Il faudra attendre les presque deux tiers du film pour piger la raison profonde du titre : L’effacement. Je vous en laisse la surprise. Toujours est-il que, serti dans une fine et discrète ponctuation musicale, le scénario fait un écart transitoire, tout à fait inattendu vers l’irrationnel, incise qui, par son étrangeté métaphorique, vous accroche au destin de l’instable Reda : il finit par se lier avec la patronne du seul restau du bled où l’on sert de l’alcool, y officie bientôt comme serveur, et plus si affinité – le bonheur serait-il à sa portée ? Le soutien paternel lui faisant désormais défaut, Reda se heurte bientôt aux nouveaux patrons de la Sonapeg, qui font sciemment barrage à sa carrière. Il le prend très mal. La violence absolue du dénouement donnera la mesure de l’affront.


L’Effacement. Avec Sammi Lechea, Zar Amir, Hamid Amirouche… Film de Karim Moussaoui, France-Algérie, couleur, 2024. Durée : 1h33 En salles le 7 mai 2025

Coup de feu

Dans la forêt landaise, une famille se transmet, de génération en génération, les secrets du feu.


Avec ce titre, Un pays en flammes, on s’attendait à un énième brûlot gauchisant. Mais pas du tout !

Il s’agit d’un (bon) jeu de mots sur l’étonnant sujet de ce documentaire : une famille d’artificiers en Gironde. Père et fille s’entendent comme larrons en foire pour créer des spectacles pyrotechniques, ces feux d’artifice qui continuent d’émerveiller petits et grands. Côté réalisation, un choix radical et pertinent a été fait : tout filmer du point de vue de ces artisans, en mettant de côté le spectacle et ses spectateurs. Résultat, quelques belles tranches d’une vie au service de techniques aussi dangereuses que réjouissantes, avec la recherche permanente de nouveautés surprenantes. « Et nous avons des nuits plus belles que vos jours », écrivait Racine depuis Uzès à ses amis parisiens.

C’est toujours le cas, tant ces illuminations continuent d’éclairer superbement les ténèbres.

https://youtu.be/NX7xsuRA1DI?si=edUHXxT2-LWmGO4v

Une horreur !

0

Une horreur ! Non, pas le livre bien sûr ; seulement l’histoire. Oui, c’est du lourd ! L’ombre du mal, excellent premier roman d’Arnaud Leriche, nous conduit dans les pas du capitaine de police Alister Léandre qui mène une enquête drue et délicate afin de retrouver le ou les meurtriers-violeurs d’enfants. Les faits se passent dans la bonne ville d’Amiens, cité de Jules Verne, François Ruffin, d’Emmanuel Macron et de l’auteur de ces lignes. Tout commence par la disparition inquiétante de Léo, 10 ans dont le corps sans vie est retrouvé au parc Saint-Pierre. Ce terrible drame réveille en Alister de vieilles douleurs : son frère cadet avait été retrouvé pendu, traumatisé à la suite d’une agression similaire. Ce n’est pas tout : le fils d’un ami du policier disparaît à son tour. Et c’est le pire qui survient une nouvelle fois. Les forces de l’ordre et Léandre en particulier craignent qu’un tueur en série ne sévisse dans la capitale de Picardie.

Des flics plus vrais que nature !

Suspens magnifiquement entretenu et rebondissements singuliers font de cet ouvrage un thriller haletant et bien mené. Le tout est étayé par des personnages plus vrais que nature et des policiers qui correspondent à ceux de nos commissariats (c’est-à-dire pas forcément des flics idéalisés et/ou engagés politiquement avec des valeurs vaguement wokes comme dans certaines agaçantes séries télévisuelles !) ; ils ont leurs qualités mais aussi leurs faiblesses et n’en demeurent pas moins attachants.

À lire aussi, Philippe Lacoche : La mouche de Lacoche

La ville d’Amiens y est très bien décrite et dépeinte ; l’auteur en profite pour dénoncer quelques faits criants et assez révoltants comme le manque de moyens de l’hôpital psychiatrique Philippe-Pinel, problème récurrent dénoncé en particulier par le député François Ruffin.

En dehors de quelques coquilles qui eussent pu être évitées et quelques longueurs (défaut malheureusement fréquent des premiers romans), cet opus est une sacrée réussite car, de plus, il est écrit avec belle vivacité et une efficace simplicité. Bravo, Arnaud Leriche !

L’ombre du mal, Arnaud Leriche ; Aubane éditions ; 374 pages.

L'ombre du mal

Price: 32,25 €

1 used & new available from

Contre MeToo, tout contre

Dans un essai intelligent et tonique, Philippe Bilger dénonce les dérives de MeToo : ses excès et l’instrumentalisation de la justice. Mais il prête à ce mouvement une pureté originelle


Le vent tourne. Il y a deux ou trois ans, seules quelques femmes refusaient de communier dans l’adoration de la glorieuse révolution MeToo. Les femmes allaient enfin passer de l’ombre à la lumière. Toute divergence avec ce récit mensonger postulant que les femmes étaient des victimes structurelles, et les hommes des coupables systémiques, revenait à prendre le parti des violeurs et agresseurs. Ce qui valait aux impudentes traîtresses à la sororité les noms d’oiseaux usuels, de « réac » à « extrême droite » en passant par « masculiniste » – j’ai pour ma part eu droit à ce qualificatif, et après tout si le féminisme est désormais ce conglomérat de pleurnicheuses vindicatives et hémiplégiques (comme le montre le traitement réservé aux victimes du 7-Octobre), va pour masculiniste.

Une lassitude face à la justice expéditive

Alors que le tribunal révolutionnaire bannit à tour de bras, de Julien Bayou à Nicolas Bedos, beaucoup de gens se lassent du spectacle répétitif de cette justice expéditive. Il faut cependant saluer le courage de Philippe Bilger qui a été l’un des premiers hommes à dénoncer ce qu’il appelle les dérives de MeToo. Il rassemble aujourd’hui ses critiques dans un essai intelligent et tonique, subtilement intitulé MeTooMuch ?, où il met en scène un avocat qui, au fil des affaires et des bannissements est assailli par le doute autant que par la culpabilité – et si ses propres élans venaient à être criminalisés ?

À lire aussi, Philippe Bilger : Le PSG n’est plus insupportable !

Bilger pense et écrit non seulement en homme de droit et de raison, mais aussi en homme qui aime les femmes et qui sait que les jeux du désir et de la séduction entre adultes ne peuvent être soumis à une quelconque prétention normative – à l’exception évidemment du consentement. Encore faut-il que celui-ci ne puisse être retiré rétroactivement parce que la femme a été déçue ou a simplement changé d’avis.

Défendre le droit, sans renier le désir

L’ancien avocat général décortique avec précision le dévoiement de la justice quand par exemple, elle ordonne « une enquête qui ne servira à rien puisque la prescription est acquise. […] Tout cela pour satisfaire l’opinion, pour lui donner un os à ronger, pour montrer comme on ne badine pas avec le sexe. » Il déconstruit avec la même rigueur la dangereuse notion d’emprise, fustige les militantes qui refusent à l’homme accusé le droit de se défendre, déplore que l’on prétende désormais « répondre à l’humiliation et à la contrainte par la répudiation de toute preuve et le mépris de toute argumentation ». Autant dire qu’il déconstruit l’édifice pierre par pierre.

Et pourtant, il n’en démord pas. Contre toute évidence, il prête à ce mouvement une pureté originelle qu’il s’agirait de retrouver. Refusant de voir que, derrière la demande de justice, il y a généralement une volonté de vengeance et accessoirement, l’espoir de récupérer les places libérées, il veut croire que MeToo va s’assagir et renoncer aux débordements de sa naissance révolutionnaire. « Il n’est personne de bonne foi, pourvu d’un minimum de qualité humaine, qui ait pu dénier, dans ses prémices, la nature progressiste de cette révolte », écrit-il. Eh bien si, cher Philippe, il y a au moins ma pomme. La bonne nouvelle, c’est que notre amicale dispute n’est pas près de s’arrêter.

Philippe Bilger, MeTooMuch ?, Héliopoles, 2025, 84 pages

MeTooMuch ?

Price: 9,90 €

11 used & new available from 3,91 €

Justin P. : 100 % Complexe !

0
Des élèves déposent des fleurs à l'entrée de l'établissement Notre-Dame de Toutes-Aides suite au meurtre d'une lycéenne jeudi dernier, Nantes, 25 avril 2025 © Sebastien Salom-Gomis/SIPA

L’attaque au couteau d’un lycéen sur ses camarades de classe a provoqué l’effroi à Nantes. Cet adorateur d’Adolf Hitler préoccupé par la condition environnementale, à peine âgé de 16 ans, a été interné en psychiatrie. Philippe Bilger revient sur le drame


Regardant le 24 avril l’émission « 100 % Politique » animée sur CNews par Gauthier Le Bret, j’ai été surpris par la discordance des points de vue sur l’attaque au couteau -57 coups sur la victime tuée – dans l’établissement scolaire Notre-Dame de Toutes-Aides à Nantes. Alors qu’à l’évidence les crimes commis par ce mineur de seize ans imposaient une grille d’explication complexe, aussi bien psychiatrique que sociale, sécuritaire, politique… Souhaiter un tel pluralisme n’est pas fuir ses responsabilités mais au contraire prendre la mesure d’un événement qui risquera de demeurer incompris si on récuse la plénitude nécessaire. Qui peut contester la validité des considérations de pur pragmatisme sécuritaire concernant, à cause du port de couteau de plus en plus observé, l’installation de portiques, les fouilles, la reconnaissance faciale et les mesures à prendre pour que les établissements privés et publics soient à l’abri de massacres dans la voie du mimétisme américain ?


On ne peut pas non plus désapprouver le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau qui a insisté sur le fait qu’il ne s’agissait pas d’un fait divers mais d’un fait de société et que sa nature politique, au-delà des émotions singulières, était évidente. Il voit dans ces actes criminels la traduction extrême d’un monde gangrené par le refus de l’autorité, le laxisme et la déconstruction. Il a aussi rappelé, pour lutter contre les facilités paresseuses du « il n’y a qu’à », qu’il était impossible de placer un policier ou un gendarme derrière tous ceux qui étaient porteurs d’un risque potentiel.

À lire aussi : Aboubakar Cissé ne priera plus

Il me semble, au sujet de Justin P, qu’une interrogation fondamentale ne peut être éludée. Comment se fait-il que ce garçon qualifié diversement de « bizarre, réservé, suicidaire, solitaire, adorateur d’Hitler, voulant étriper tout le monde, remarqué par ceux qui le côtoyaient… » n’ait pas, au-delà de la curiosité inquiète qu’il suscitait, incité ses parents, ses éducateurs, ses professeurs à se prémunir pour que cette personnalité infiniment problématique passe d’un virtuel plus que troublant à un réel horriblement concret ?

J’entends bien que soupçonner ainsi un mineur de 16 ans, pour ce qu’il est et semble montrer, relève d’une sorte d’anticipation choquante, quasiment totalitaire. Mais comment échapper à cette alternative traumatisante: ne rien tenter et laisser le pire peut-être se commettre un jour ou intervenir pour briser une menace seulement supputée ?

La garde à vue de Justin P a été levée et il a été interné en psychiatrie.

Le texte très long, à la fois délirant mais révélateur d’une inspiration confuse mêlant nazisme et gauchisme – « écocide globalisé » – qu’il a envoyé par mail le 24 avril à midi, participe d’une adolescence mêlant une extrême difficulté d’être à des visions apocalyptiques ; ne percevant comme seule solution que l’éradication d’une part d’humanité détestée par son propre chaos.

Quels que soient les ressorts profonds de ces crimes, ils ne rendront pas moins absurdes les dires de la maire écologiste de Nantes laissant entendre, pour s’en prendre à Bruno Retailleau, que l’émotion est seule acceptable et que la politique n’a rien à voir en l’espèce. Alors qu’au contraire tout est lucide et pertinent qui alliera les affres du singulier et les dérives du pluriel. La prévention intelligente et la répression sans faiblesse. 100 % Complexe !

À lire aussi : «Les juges des enfants sont laxistes»

Sur ce dernier point, cessons de traiter les mineurs délinquants ou criminels comme si nous voulions qu’ils n’aient jamais changé par rapport à l’image bénie d’une enfance préservée de tout, coupable de rien. Notre législation à cet égard est mauvaise et impuissante devant les transgressions. Justin P pourra être déclaré irresponsable. S’il ne l’est pas ou si sa responsabilité est atténuée seulement au moment où il a poignardé ses victimes, il faudra moins pleurer sur lui que sur elles, contrairement à l’habitude politique et médiatique.

Le palais, ou les pompes du pouvoir

0
Le château de Chambord, édifié au XVIe siècle, chef-d'œuvre de la Renaissance française © Wikimedia Commons

Depuis l’Antiquité, le pouvoir s’incarne en un lieu : le palais, qui s’impose par son architecture, ses décors et son protocole. Thierry Sarmant retrace cette histoire, des châteaux mérovingiens à l’Élysée d’Emmanuel Macron en passant par le Versailles de Louis XIV et… l’Hôtel du Parc du maréchal Pétain.


La République s’enorgueillit de ses palais bâtis par et pour nos rois et nos empereurs. L’Élysée ? Un (vaste) hôtel particulier. En visite sous la Restauration, le grand-duc Nicolas, frère du tsar, vantait « l’avantage d’avoir un charmant petit jardin » (sic). Quand Emmanuel Macron veut éblouir, c’est à Versailles qu’il reçoit, sous les ors du Roi-Soleil, « cadre d’apparat pour les grandes visites officielles ».

Conservateur aux Archives nationales et ancien directeur des collections du Mobilier national, Thierry Sarmant remet en perspective cette relation à la représentation du pouvoir, telle qu’elle s’incarne, en France, depuis la fin de l’Antiquité. De fait, les édifices palatiaux, leurs architectures, leurs décors, leurs objets sont généralement étudiés dans la limite d’une période historique donnée, non dans leur continuité. S’y croisent des logiques complexes : contraintes socioéconomiques, ambitions (voire prétentions) de leurs « locataires », contexte international, combinaisons dynastiques, enjeux diplomatiques… Au-delà de l’analyse de leurs dispositifs architecturaux et décoratifs, Sarmant éclaire d’un œil neuf ce qu’il appelle l’« écosystème des palais » : travaux, manufactures, ravitaillement, artisanat, industrie, domesticité, soldatesque – toute une administration, une économie, une intendance sont solidaires de leur fonctionnement.

À lire aussi : Odyssée vers Trinidad

Le palais mérovingien, pourtant institution majeure du royaume des Francs, n’est « ni un monument d’architecture ni un haut lieu des arts décoratifs ». Charlemagne assoit son palais d’Aix-la-Chapelle sur un double modèle, romain et byzantin. Souverains nomades comme leurs prédécesseurs, les rois capétiens itinèrent de villégiatures de chasse en abbayes… « L’architecture du pouvoir passe de la villa héritée de l’Antiquité romaine au château féodal », « les tours deviennent un élément signifiant du château ou du palais », dans un dispositif d’enceintes partout similaire. À Paris, le palais de la Cité figure le prototype achevé.

Puis surgit le premier Louvre, dans le contexte de la guerre de Cent Ans, des rébellions intestines et des conflits seigneuriaux dans un Paris qui « n’est plus une ville sûre, moins en raison d’un possible coup de main anglais qu’à cause de la turbulence de ses habitants ». D’où « les trois grands chantiers menés sous les premiers Valois : au Louvre, à l’hôtel Saint-Pol [disparu] et à Vincennes ». Le règne de Charles V amorce la « civilisation de cour, amie du luxe, du confort et de la mode », et le Val de Loire devient, d’un château l’autre, le lieu d’un incessant « cortège de chariots où sont transportés meubles et tentures », dans le « faste occasionnel » que président tour à tour Charles VII, Louis XI, Charles VIII, tandis que croissent les effectifs d’une « maison du roi » où « le mobilier proprement dit, dans le sens actuel du mot, demeure peu présent » encore.

Une gravure du palais royal

Sarmant ne voue nulle tendresse à François Ier, « piètre politique, chef de guerre catastrophique, d’une intelligence plus que moyenne », ouvrant « la longue liste des dirigeants “sous influence” de l’ère moderne ». Au crédit du sire qui « ne tient pas en place », promoteur d’une « politique architecturale à la fois ambitieuse et désordonnée », l’historien porte, tout de même, outre les châteaux parisiens disparus de Madrid et de La Muette, les « monuments fabuleux » que sont Chambord, Fontainebleau – et le Louvre ! Mécène boulimique, François Ier « entend éblouir l’Europe par le luxe de ses courtisans, l’extravagance de ses fêtes et l’ampleur de ses bâtiments », alliant tradition nationale et inspiration italienne : « trop de chantiers pour en mener un seul à son terme » !

Dans une synthèse érudite, Thierry Sarmant file la chronologie des demeures édilitaires, du Louvre d’Henri IV au palais des Tuileries, du « mystère Versailles », cette fabuleuse « création continue », au pitoyable… Hôtel du Parc vichyssois, en passant par Marly, Meudon, Saint-Germain, Compiègne, Rambouillet, Saint-Cloud… ou encore par ce fantomatique « Palais du Roi de Rome », colossale architecture de papier dessinée par Percier et Fontaine pour le fils de Napoléon et qui ne sera jamais bâti sur la colline de Chaillot.

Le Palais-Cardinal (Palais-Royal) a quasi disparu, la Révolution a sabordé le Garde-Meuble (Hôtel de la Marine), la Restauration, en décalquant « assez étroitement le décorum de l’Empire déchu » s’est accommodée des Tuileries, joyau que la Commune de Paris réduira en cendres, après que Napoléon III et Eugénie ont ouvert « le temps des palais-musées ».

À lire aussi : Les joyaux de l’Opéra

Les derniers chapitres font la part belle aux improbables mues de ce « palais ambigu » qu’est l’Élysée. Luxueusement remodelée par Murat en son temps, somptueusement agrandie lors de l’Exposition de 1867 pour y loger le tsar, la demeure, à l’heure où s’effondre le Second Empire, redevient « palais présidentiel en quelque sorte par défaut ». Il faut attendre 1873 pour que Mac Mahon en fasse définitivement la résidence présidentielle. En 1900, soucieux d’asseoir le prestige républicain, Felix Faure commande la « grille du Coq ». De Gaulle, en 1959, lorgne plutôt vers les Invalides ou Trianon, mais se résout à camper dans cet « Élysée mal-aimé ».

La salle des fêtes de l’Élysée rénovée

Le 55, rue du Faubourg-Saint-Honoré abritera la revanche des « modernes sous Pompidou », la revanche du « grand style » sous un Valéry d’Estaing se rêvant en monarque, la revanche du pisse-vinaigre sous Mitterrand, la revanche du « fashion » sous « les Macron » (sic), couple lancé : « adieu vases, adieu bougeoirs, adieu bibelots » ! La salle des fêtes, désormais « vaste kiosque ouvert sur le jardin », ressemble à « une immense boutique Dior ». De fait, « la révolution décorative macronienne reflète des évolutions culturelles qui vont bien au-delà des palais ». Quid de la Lanterne ? Ah, ça ira.

Thierry Sarmant, Histoire des palais : le pouvoir et sa mise en scène en France du Ve au XXIe siècle, Tallandier, 2025, 560 pages.

Histoire des palais: Le pouvoir et sa mise en scène en France du Ve au XXIe siècle

Price: 25,90 €

5 used & new available from 25,90 €

Retour sur l’île du père

0
L'écrivain Charles Wright © Denis Félix

Après Le chemin des estives, best-seller dont un auteur ne sort jamais complètement indemne, Charles Wright remonte le fil de ses origines, du Suffolk à l’Hampshire, dans Le jardin anglais son nouveau récit aux éditions Albin Michel. Monsieur Nostalgie nous dit pourquoi Wright est un écrivain à la fois de l’intime et de l’universel


J’aime l’écrivain et le tennisman, ce qui n’est pas incompatible. Il y a chez Wright, bon joueur de tennis amateur, le même toucher de balle soyeux que dans ses écrits à lente fragmentation.

Trois semaines à travers l’Angleterre

Un retour au beau jeu d’antan, respectueux de l’adversaire et du lecteur, loin des coups de force et des surbrillances. Wright ne truque pas sa phrase. Il ne se hausse pas du col. Il ne frappe pas ses mots avec la volonté de nous assommer ou de nous dire qu’il est le meilleur ; qu’avec lui, notre vie sera bouleversée à jamais. Il est économe en déclarations intempestives et en certitudes endimanchées. Sa modestie n’est pas une stratégie marketing. Il n’est pas guide ou alchimiste, encore moins calculateur. Wright déroule son nouveau récit, Le jardin anglais, avec une sincérité véritable, une drôlerie qui ne tache pas ; semant par-ci, par-là quelques graines d’érudition qui ne sont pas culpabilisantes. Dans ce récit intrafamilial morcelé tel une tapisserie de chroniques, on ne se sent pas enfermé, cadenassé par une idéologie, par une quête missionnaire ou une victimisation à la mode, sa foi nous porte. Il arrive à capter une vérité lumineuse, humble dans son scintillement. Nous montons à bord de sa Golf pour un périple de trois semaines à travers l’Angleterre à trois car il a eu la bonne idée d’inviter tante Harriet, elle fera tampon ou courroie de transmission avec ce père taiseux.

A lire aussi: «Les Vigiles», de Tahar Djaout. Un roman prémonitoire?

Après le succès, ce que j’appelle dans mon langage familier le braquage des librairies, Wright avait de quoi vaciller, perdre à jamais l’envie d’écrire ou alors se lancer dans la répétition névrotique d’une improbable recette. Le chemin des estives a été lu et relu en grand format et en poche par des dizaines de milliers de lecteurs en France. Il a été primé et encensé par la presse. Cette gloire éphémère dont il s’amuse aurait pu être un fardeau, il a su s’en détacher malgré les questions insistantes de son entourage. Alors, tu écris sur quoi en ce moment, Charles ? Il s’est laissé porter par la propre histoire de ses origines, donc le retour à la figure de ce père peu loquace né sur une île étrange. L’Angleterre reste un mystère pour nous, continentaux perclus de républicanisme et dépourvus de folie. Entre les fenêtres à guillotine et l’harmonie des cottages, notre œil se perd. C’était pourtant un sujet casse-gueule car parler du père, c’est soit l’embaumer, soit lui régler son compte ; dans les deux cas, la frontière est mince entre l’hagiographie et la mise à mort. Disons-le, Wright a échappé aux pièges du bavardage « père-fils » que nombre d’auteurs nous infligent ; très habilement, avec une fluidité d’écriture, à tâtons surtout, à la Simenon, sans brusquerie, en pratiquant souvent la sortie de route, il a dessiné un portrait pudique, sans graisse, à hauteur d’homme, donc forcément d’une grande émotion.

Denis Tillinac, oncle corrézien

Wright a inventé une méthode, son récit naît sous nos yeux ; naturellement, les briques du passé se mettent à danser, d’abord dans le désordre et puis à la Sherlock, la construction anarchique se solidifie. Mais toujours avec une liberté de mouvement, il s’autorise toutes les facéties rieuses sur les services à thé, les soirées aux pubs, les conversations avec ses cousins et même une déclaration à son oncle corrézien, Denis Tillinac. L’appropriation de cette langue qui lui est étrangère en partie donne lieu à d’excellents paragraphes sur la prosodie anglaise et la complexité pour un esprit français de s’y couler. Wright ne déballe pas ses racines sur la table comme un marchand de chouchous, il ne déplie pas sa généalogie comme on affiche un laisser-passer sanitaire. Il est avant tout, viscéralement, écrivain donc il divague à travers le temps et la musique, nous amène dans les cimetières et le répertoire des Beatles, passe d’Hamlet à Love Actually. Il ne juge pas. Il observe, les silences et les dénis, tous les nœuds de sa britannicité avec un mélange de surprise et de bonheur. « J’ai l’impression de renouer avec une part oubliée de mon être et en même temps je me sens comme un étranger dans ma propre peau. J’éprouve une sorte de déchirement intérieur » écrit-il. Cette double identité est un don de dieu.

Le jardin anglais de Charles Wright – Albin Michel 240 pages

Le Jardin anglais

Price: 19,90 €

12 used & new available from 12,00 €

Le chemin des estives

Price: 8,90 €

30 used & new available from 3,54 €

La nausée

0
Bertrand Cantat © D.R.

Chaque semaine, Philippe Lacoche nous donne des nouvelles de Picardie…


Longtemps, pâle Proust picard, je ne me suis pas levé de bonne heure ; longtemps, également, je n’ai pas regardé la télévision. Depuis que ma chérie, ma Sauvageonne, est entrée dans ma vie, je peste toujours autant quand il s’agit de me lever de bonne heure. (Je hais l’aube, ses couleurs blafardes, laiteuses comme un flan aux œufs, ses bruits de voiture qui me fatiguent : tous ces gens qui se rendent, courageux, à leur travail ; pendant des dizaines d’années, j’ai fait comme eux, moi le retraité, aujourd’hui, je ne peux plus. Bref : le matin me donne la nausée, une nausée sartrienne). En revanche, mes nouveaux jours sauvageonniens m’ont presque ôté l’envie de passer mes soirées au bistrot au grand dam des patrons de cafés et des brasseurs de bières Pils qui ont vu, ces derniers mois, leurs recettes diminuer. Mon foie est en droit de ne point le regretter.

Donc, il m’arrive de nouveau de regarder, le soir, la télévision. Deux documentaires m’ont récemment passionné. Le premier, diffusé sur Netflix, co-réalisé par Anne-Sophie Jahn, consacré à Bertrand Cantat, chanteur du groupe Noir Désir, assassin de Marie Trintignant ; le second, à Klaus Barbie, assassin notoire, responsable d’exécutions, de tortures et de la déportation vers les camps de la mort d’environ 14 000 personnes, principalement des juifs et des résistants. Il n’est pas question ici de comparer le premier au second. Le nazisme et ses crimes sont incomparables, inégalés sur l’échelle de l’horreur. Mais, je dois avouer que, lors des deux émissions, j’ai éprouvé un profond dégoût. Pourtant, comme beaucoup de fans de rock, j’ai beaucoup aimé les chansons de Noir Désir et son charismatique leader ; les mélodies et ces textes empreints de tant d’humanisme et de poésie. Depuis, je ne peux plus en écouter une. Le documentaire de Neflix m’a conforté dans cette attitude. L’émission évoquait le mystérieux et incompréhensible silence à propos des violences passées du chanteur envers les femmes. Pourquoi ? On peut se poser la question. Et puis, il y avait dans l’émission, des témoignages accablants, en particulier l’analyse de la courageuse chanteuse Lio qui participait au documentaire ; comme le rappelle Le Point, elle avait été la seule à immédiatement s’insurger, sur le plateau de Thierry Ardisson en 2006, à l’encontre du portrait presque complaisant qui était fait de Bertrand Cantat. « On ne lui a pas volé son amour, il l’a tué. […] », avait-elle déclaré. « Ce que je sais, c’est que Marie est morte avec un visage qui était détruit comme après un accident de moto à 120 à l’heure. […] Dire que Marie était responsable de sa mort avec lui, que c’est la passion et l’amour qui l’ont tuée… Non ! L’amour n’apporte pas la mort. » La haine, elle, toujours apporte la mort. Une fois de plus, on l’a compris en regardant le documentaire consacré à l’ignoble criminel de guerre allemand. Là encore, des témoignages accablants contre celui que l’on surnommait « le Boucher de Lyon ». On ne sera jamais assez admiratif du travail acharné de Beate et de Serge Klarsfeld qui contribuèrent à faire arrêter, puis juger la célèbre crevure. Crevure ou pourriture ? Les deux qualificatifs conviennent. On gardera longtemps en mémoire le sourire ironique, doucereux, presque patelin de Barbie devant ses juges et devant les témoins à l’existence à jamais brisée. Un sourire plein de détachement malsain sous lequel bouillait le venin de la haine. Je l’avoue, j’avais une fois de plus la nausée. Une nausée bien réelle celle-là et pas littéraire comme celle que m’inspire mes aubes d’écrivaillon, relatée au tout début de cette chronique minuscule, perdue dans l’immensité de l’horreur.

Bande-annonce De rockstar à tueur : Le cas Cantat : https://youtu.be/WlvxZC4SIGg?si=PFPIvgJrhIVQ6rad

Documentaire Le procès de Klaus Barbie : https://www.france.tv/france-2/le-proces-de-klaus-barbie/

« Marie Renard », un modèle de biographie

0
Marie Renard peinte par Jacques-Émile Blanche (détail). DR.

Quand Michèle Dassas revisite la Belle Epoque


Michèle Dassas. Wikimedia commons

On aurait pu penser qu’avec André Maurois, Pierre de Boisdeffre ou Pierre Assouline, la biographie avait atteint chez nous des sommets indépassables. C’eût été compter sans Michèle Dassas. Celle-ci s’affirme, livre après livre, comme l’un des meilleurs écrivains contemporains. Elle a complètement renouvelé le genre biographique, lui conférant cette coloration particulière qui est sa marque propre.

À lire d’une traite !

Sans jamais renoncer à l’exactitude d’une documentation aussi précise qu’exhaustive, elle a adorné celle-ci des fioritures d’une imagination qui donne son cachet et son charme au roman biographique.
L’unité de son œuvre tient au fait qu’elle s’est penchée sur le destin hors du commun de femmes qui ont, chacune dans son domaine, marqué leur époque. Parmi ces pionnières, la première avocate française Jeanne Chauvin, Augustine Tuillerie qui écrivit Le Tour de la France par deux enfants, ou encore Jeanne Baudot, l’unique élève d’Auguste Renoir.

A lire aussi: « Elles » ou la cuisse

Marie Renard, la femme modèle ne faillit pas à la règle. L’auteur nous propose, par son entremise, une plongée dans le monde artistique et intellectuel d’une époque fertile, de 1875 à 1914. Celle-ci est vue de l’intérieur non par les artistes eux-mêmes mais par une femme qui fut leur modèle. On y croise Degas, Monet et d’autres moins connus tels Mary Cassatt qui découvrit Marie Renard, et des écrivains qui tenaient alors le haut du pavé : Émile Zola, Marcel Proust ou encore Reynaldo Hahn.

Une époque ressuscitée

Une fresque vivante, colorée, à l’image des habitués des salons de Madeleine Lemaire, peintre elle-même, fort connue à son époque. Marie Renard se révèle une héroïne des plus attachantes. Née dans un milieu modeste, elle finit misérablement une existence passionnante et passionnée qui faisait d’elle « le phénix des modèles ».
Cet ouvrage se lit d’une traite. Il permet de suivre les méandres de ce que l’on nomme « La Belle Epoque », une appellation pleinement justifiée.

Marie Renard, la femme modèle, de Michèle Dassas, Préface de Stéphane-Jacques Addade, Ramsay, 332 pages

Marie Renard, la femme modèle

Price: 35,35 €

1 used & new available from

Mélenchon, stalinien pour classes terminales!

0
Le leader d'extrème gauche Jean-Luc Mélenchon photographié à Mexico le 25 février 2025 © Luis Barron/ Eyepix Group/Sipa USA/SIPA

Le caractère clairement abusif et totalitaire du dirigeant de la France Insoumise a été une nouvelle fois mis en lumière dans un documentaire choc de « Complément d’enquête » sur France 2 jeudi soir.


Il faut savoir gré à France Télévisions d’avoir diffusé le reportage sur Jean-Luc Mélenchon et sa méthode de gouvernance de La France Insoumise à quelques encablures des épreuves du bac. Ainsi les candidats à l’examen peuvent-ils disposer d’un matériau de choix pour charpenter leur dissertation au cas où, ce qui ne serait pas très surprenant au vu du climat actuel, ils auraient à plancher sur le thème de la violence.

T’as pas la carte ?

Il serait bien sûr opportun qu’au cours de leur analyse ils abordent l’aspect spécifique de la violence en politique, et c’est alors que le documentaire en question leur serait d’une grande utilité, tout simplement parce qu’il explore et expose très exactement l’ADN du mode de fonctionnement de tout groupe politique révolutionnaire et/ou totalitaire.

A lire aussi: Tous accros au X!

La structure même de LFI en dit fort long sur le sujet. Mélenchon ne manque pas de réaffirmer dans ce reportage qu’il s’agit d’un mouvement et non d’un parti politique. Un parti politique qui, pour justifier ce statut serait contraint de se soumettre aux pratiques démocratiques usuelles : congrès, élections des responsables, débats, votes de la ligne politique, etc. toutes obligations auxquelles un mouvement n’est pas tenu. Non seulement la LFI de Mélenchon n’obéit pas à ses règles, mais mieux encore, elle ne compte aucun adhérent. On n’adhère pas véritablement à LFI, en prenant une carte contre cotisation, ce qui donnerait droit à une voix lors d’éventuelles consultations. Non, on se rend sur la plateforme-programme et il suffit de s’en déclarer proche pour rejoindre de fait le mouvement. Sans aucun autre droit démocratique, donc, que celui de la fermer ou de s’en aller.

Fonctionnement brutal

Au cours du reportage, d’anciens camarades ou compagnons de route ont révélé les procédés par lesquels le Lider Maximo gère son leadership : intimidation, harcèlement moral, violence psychologique, suspicion permanente, procès en hérésie, accusations de trahisons, avec, couronnant le tout, la menace constante du déclenchement de l’arme atomique : l’exclusion, la purge. Ainsi, on apprend que Alexis Corbière, Raquel Garrido, Clémentine Autain et François Ruffin, membres éminents et écoutés du mouvement – trop manifestement au goût du chef – ont été arbitrairement privés d’investiture pour les dernières élections législatives, certains ne découvrant leur éviction que le vendredi soir à 23 heures, veille de la date limite de dépôt des candidatures. Cela n’est à la vérité qu’un exemple de brutalité dans un fonctionnement au quotidien dont la brutalité est le fondement, le mode obligatoire et non, comme on pourrait le penser, une anomalie, une déviance, la manifestation quasi irrationnelle d’une lubie de chef caractériel.

A lire aussi: Sophia Chikirou, le « martyr » du Hamas et la chute de la maison Mélenchon

Il ne s’agit absolument pas de cela.

Ce que Mélenchon applique dans la gouvernance de ce mouvement répond très précisément au dogme qui prévaut pour la conduite de toute structure révolutionnaire, totalitaire.

Cela correspond à la virgule près – et c’est alors que les candidats au bac pourront briller – à ce qu’en décrivent les analystes les plus pertinents de ces phénomènes.

Vous reprendrez bien une deuxième part de violence ?

Le groupe révolutionnaire, expose Jean-Paul Sartre dans Critique de la raison dialectique, ne se fonde et ne se perpétue que par la violence. Une violence à double cible. Violence externe dirigée contre les autres partis, les opposants, mais aussi – et selon une exigence elle aussi vitale – une violence interne, dont chaque militant ou groupe de militants peuvent être à tout moment, et arbitrairement les victimes. L’une et l’autre forme de violence étant bien évidemment présentées comme une réponse à la prétendue violence dont le mouvement serait lui-même la cible, soit de l’extérieur soit de l’intérieur. C’est par ce moyen, par l’instauration d’un climat de paranoïa permanente, que tout groupement révolutionnaire se survit à lui-même, se régénère, entretient son unité de façade, « une unité qui s’incarne dans la personne d’un chef charismatique qui la symbolise, qui la met en scène dans des manifestations de force et des explosions de violence verbale », écrit René Sitterlin dans son opuscule La Violence. Et là, l’élève de terminale de se faire un malin plaisir de citer en renfort Hannah Arendt qui écrit dans Les origines du totalitarisme : « Le totalitarisme se nourrit de sa propre violence ». Sans quoi, il se condamne à l’asphyxie, au dépérissement.  Au non-être, s’autorisera le candidat pour faire joli.

Ainsi, ce n’est pas tant un fonctionnement aberrant, une anomalie, un phénomène atypique que nous a montré le sujet de Complément d’Enquête que l’ordinaire d’une tradition perverse hélas bien connue.

En ce sens, M. Mélenchon n’est rien de plus que la marionnette d’un système qu’il est loin d’avoir inventé et dont il est tout aussi éloigné d’en être le plus grand virtuose. Ne lui en déplaise…


Le philosophe et dirigeant de la publication Franc-Tireur Raphaël Enthoven s’est amusé sur Twitter des difficultés de Mathilde Panot, interrogée par le social-traître de Complément d’enquête Tristan Waleckx

La violence

Price: 23,99 €

2 used & new available from

LES TÊTES MOLLES - HONTE ET RUINE DE LA FRANCE

Price: 14,77 €

5 used & new available from 10,78 €

Un Algérois mal dans sa peau

0
L'effacement © Les Films Pelleas

Rarement exposée à l’écran, la haute bourgeoisie algérienne se dévoile dans L’Effacement, où se mêlent pouvoir, silence et violence. Reda Belamri, héritier discret d’un empire pétrolier, est confronté aux injonctions paternelles, à l’humiliation militaire et à une quête d’émancipation.


Une autre Algérie ? Rarement montré au cinéma, le milieu de la haute bourgeoisie d’affaires dans ses tribulations algéroises, ses manigances et ses compromissions. Monsieur Belamri, vieux patron madré de la Sonapeg, énorme entreprise liée aux intérêts pétroliers et gaziers du pays, domine d’une implacable autorité son fils Reda, un jeune homme bien fait bien mis, pas bavard et quelque peu… effacé. Papa Belamri a réussi à le placer dans la boîte, comme « responsable de l’information stratégique », et lui met un bon parti dans la poche : « ne perds pas ton temps, il est temps de fonder une famille ». (On passe naturellement, dans une même réplique, de l’idiome français à l’arabe – trait essentiel de la culture post-coloniale dans les hautes sphères de la société algéroise, ce dont témoignent les dialogues du film avec une parfaite exactitude).

Faycal, le frère aîné de Reda, jouisseur chevelu moins soumis que son cadet, entre en rébellion sans retour possible lorsque le pater familias, ayant surpris, à cause d’un voyage d’affaires interrompu, une fiesta délurée donnée à son insu dans l’enceinte de sa villa, vire manu militari tout ce petit monde, en pleine nuit : coupant les ponts, Faycal file illico s’exiler à Paris pour y exercer ses talents de DJ. Reda le taciturne se retrouve seul face à lui-même.

À lire aussi : «Adolescence», ou l’art de passer à côté des problèmes

En ces années 2020, dans une Algérie troublée par le terrorisme islamique autant que par une jeunesse tumultueuse, les mâles de 20 ans n’échappent pas à la conscription sans de sérieux appuis, et pour garder son poste dans l’entreprise, Reda doit faire son service militaire. Le voilà donc contraint malgré lui d’endosser le treillis, expérience éprouvante pour ses fesses, car le rejeton, pas franchement gymnaste dans l’âme et traité de « bourgeois », devient vite le bouc émissaire idéal du fantassin de base. Ça ne tarde pas : il devra rembourser en nature ses privilèges de classe, via l’introduction forcée d’un manche à balai par trois zigues déchaînés. On serait mal dans sa peau à moins. Mais Faycal encaisse en silence, et quand le colonel lui suggère de cafter : « – il ne s’est rien passé, tout va bien ».

Là-dessus trépasse soudain Belamri père – larmes, chagrin… L’expérience virile a cependant durci Reda, à telle enseigne que lorsque sa sage petite fiancée, attablée avec lui dans un restau chic d’Alger, se montre exclusivement occupée par les préparatifs mondains de la noce (« – et rase-toi, s’il te plaît ! »), il balance une énorme torgnole à la demoiselle. Geste qui compromet définitivement le projet matrimonial.

Il faudra attendre les presque deux tiers du film pour piger la raison profonde du titre : L’effacement. Je vous en laisse la surprise. Toujours est-il que, serti dans une fine et discrète ponctuation musicale, le scénario fait un écart transitoire, tout à fait inattendu vers l’irrationnel, incise qui, par son étrangeté métaphorique, vous accroche au destin de l’instable Reda : il finit par se lier avec la patronne du seul restau du bled où l’on sert de l’alcool, y officie bientôt comme serveur, et plus si affinité – le bonheur serait-il à sa portée ? Le soutien paternel lui faisant désormais défaut, Reda se heurte bientôt aux nouveaux patrons de la Sonapeg, qui font sciemment barrage à sa carrière. Il le prend très mal. La violence absolue du dénouement donnera la mesure de l’affront.


L’Effacement. Avec Sammi Lechea, Zar Amir, Hamid Amirouche… Film de Karim Moussaoui, France-Algérie, couleur, 2024. Durée : 1h33 En salles le 7 mai 2025

Coup de feu

0
© Kintop

Dans la forêt landaise, une famille se transmet, de génération en génération, les secrets du feu.


Avec ce titre, Un pays en flammes, on s’attendait à un énième brûlot gauchisant. Mais pas du tout !

Il s’agit d’un (bon) jeu de mots sur l’étonnant sujet de ce documentaire : une famille d’artificiers en Gironde. Père et fille s’entendent comme larrons en foire pour créer des spectacles pyrotechniques, ces feux d’artifice qui continuent d’émerveiller petits et grands. Côté réalisation, un choix radical et pertinent a été fait : tout filmer du point de vue de ces artisans, en mettant de côté le spectacle et ses spectateurs. Résultat, quelques belles tranches d’une vie au service de techniques aussi dangereuses que réjouissantes, avec la recherche permanente de nouveautés surprenantes. « Et nous avons des nuits plus belles que vos jours », écrivait Racine depuis Uzès à ses amis parisiens.

C’est toujours le cas, tant ces illuminations continuent d’éclairer superbement les ténèbres.

https://youtu.be/NX7xsuRA1DI?si=edUHXxT2-LWmGO4v

Une horreur !

0
Arnaud Leriche et son livre présentant son livre « L'ombre du mal - Psychose à Amiens » © Philippe Lacoche

Une horreur ! Non, pas le livre bien sûr ; seulement l’histoire. Oui, c’est du lourd ! L’ombre du mal, excellent premier roman d’Arnaud Leriche, nous conduit dans les pas du capitaine de police Alister Léandre qui mène une enquête drue et délicate afin de retrouver le ou les meurtriers-violeurs d’enfants. Les faits se passent dans la bonne ville d’Amiens, cité de Jules Verne, François Ruffin, d’Emmanuel Macron et de l’auteur de ces lignes. Tout commence par la disparition inquiétante de Léo, 10 ans dont le corps sans vie est retrouvé au parc Saint-Pierre. Ce terrible drame réveille en Alister de vieilles douleurs : son frère cadet avait été retrouvé pendu, traumatisé à la suite d’une agression similaire. Ce n’est pas tout : le fils d’un ami du policier disparaît à son tour. Et c’est le pire qui survient une nouvelle fois. Les forces de l’ordre et Léandre en particulier craignent qu’un tueur en série ne sévisse dans la capitale de Picardie.

Des flics plus vrais que nature !

Suspens magnifiquement entretenu et rebondissements singuliers font de cet ouvrage un thriller haletant et bien mené. Le tout est étayé par des personnages plus vrais que nature et des policiers qui correspondent à ceux de nos commissariats (c’est-à-dire pas forcément des flics idéalisés et/ou engagés politiquement avec des valeurs vaguement wokes comme dans certaines agaçantes séries télévisuelles !) ; ils ont leurs qualités mais aussi leurs faiblesses et n’en demeurent pas moins attachants.

À lire aussi, Philippe Lacoche : La mouche de Lacoche

La ville d’Amiens y est très bien décrite et dépeinte ; l’auteur en profite pour dénoncer quelques faits criants et assez révoltants comme le manque de moyens de l’hôpital psychiatrique Philippe-Pinel, problème récurrent dénoncé en particulier par le député François Ruffin.

En dehors de quelques coquilles qui eussent pu être évitées et quelques longueurs (défaut malheureusement fréquent des premiers romans), cet opus est une sacrée réussite car, de plus, il est écrit avec belle vivacité et une efficace simplicité. Bravo, Arnaud Leriche !

L’ombre du mal, Arnaud Leriche ; Aubane éditions ; 374 pages.

L'ombre du mal

Price: 32,25 €

1 used & new available from

Contre MeToo, tout contre

0
Philippe Bilger © Olivier Coret/SIPA

Dans un essai intelligent et tonique, Philippe Bilger dénonce les dérives de MeToo : ses excès et l’instrumentalisation de la justice. Mais il prête à ce mouvement une pureté originelle


Le vent tourne. Il y a deux ou trois ans, seules quelques femmes refusaient de communier dans l’adoration de la glorieuse révolution MeToo. Les femmes allaient enfin passer de l’ombre à la lumière. Toute divergence avec ce récit mensonger postulant que les femmes étaient des victimes structurelles, et les hommes des coupables systémiques, revenait à prendre le parti des violeurs et agresseurs. Ce qui valait aux impudentes traîtresses à la sororité les noms d’oiseaux usuels, de « réac » à « extrême droite » en passant par « masculiniste » – j’ai pour ma part eu droit à ce qualificatif, et après tout si le féminisme est désormais ce conglomérat de pleurnicheuses vindicatives et hémiplégiques (comme le montre le traitement réservé aux victimes du 7-Octobre), va pour masculiniste.

Une lassitude face à la justice expéditive

Alors que le tribunal révolutionnaire bannit à tour de bras, de Julien Bayou à Nicolas Bedos, beaucoup de gens se lassent du spectacle répétitif de cette justice expéditive. Il faut cependant saluer le courage de Philippe Bilger qui a été l’un des premiers hommes à dénoncer ce qu’il appelle les dérives de MeToo. Il rassemble aujourd’hui ses critiques dans un essai intelligent et tonique, subtilement intitulé MeTooMuch ?, où il met en scène un avocat qui, au fil des affaires et des bannissements est assailli par le doute autant que par la culpabilité – et si ses propres élans venaient à être criminalisés ?

À lire aussi, Philippe Bilger : Le PSG n’est plus insupportable !

Bilger pense et écrit non seulement en homme de droit et de raison, mais aussi en homme qui aime les femmes et qui sait que les jeux du désir et de la séduction entre adultes ne peuvent être soumis à une quelconque prétention normative – à l’exception évidemment du consentement. Encore faut-il que celui-ci ne puisse être retiré rétroactivement parce que la femme a été déçue ou a simplement changé d’avis.

Défendre le droit, sans renier le désir

L’ancien avocat général décortique avec précision le dévoiement de la justice quand par exemple, elle ordonne « une enquête qui ne servira à rien puisque la prescription est acquise. […] Tout cela pour satisfaire l’opinion, pour lui donner un os à ronger, pour montrer comme on ne badine pas avec le sexe. » Il déconstruit avec la même rigueur la dangereuse notion d’emprise, fustige les militantes qui refusent à l’homme accusé le droit de se défendre, déplore que l’on prétende désormais « répondre à l’humiliation et à la contrainte par la répudiation de toute preuve et le mépris de toute argumentation ». Autant dire qu’il déconstruit l’édifice pierre par pierre.

Et pourtant, il n’en démord pas. Contre toute évidence, il prête à ce mouvement une pureté originelle qu’il s’agirait de retrouver. Refusant de voir que, derrière la demande de justice, il y a généralement une volonté de vengeance et accessoirement, l’espoir de récupérer les places libérées, il veut croire que MeToo va s’assagir et renoncer aux débordements de sa naissance révolutionnaire. « Il n’est personne de bonne foi, pourvu d’un minimum de qualité humaine, qui ait pu dénier, dans ses prémices, la nature progressiste de cette révolte », écrit-il. Eh bien si, cher Philippe, il y a au moins ma pomme. La bonne nouvelle, c’est que notre amicale dispute n’est pas près de s’arrêter.

Philippe Bilger, MeTooMuch ?, Héliopoles, 2025, 84 pages

MeTooMuch ?

Price: 9,90 €

11 used & new available from 3,91 €