Accueil Édition Abonné Kemi Seba, faux prophète du panafricanisme et vrai relai des autocrates

Kemi Seba, faux prophète du panafricanisme et vrai relai des autocrates

L'opportuniste qui dessert la cause africaine légitime


Kemi Seba, faux prophète du panafricanisme et vrai relai des autocrates
Kemi Seba participe à une session sur la construction d'un avenir commun : opportunités éducatives et scientifiques de la Russie pour l'Afrique dans le cadre du deuxième sommet économique et humanitaire Russie-Afrique 2023, Saint-Pétersbourg, 28 juillet 2023 © SOPA Images/SIPA

Il se rêve en leader de l’Afrique libre, mais il est surtout le porte-voix des puissances autoritaires. Entre Moscou, Bakou, Téhéran et son projet chimérique de conquête du pouvoir au Bénin, Kémi Séba joue une partition de plus en plus grotesque.


Président du Bénin ? L’absurde mise en scène

La dernière lubie de Kémi Séba aurait pu prêter à sourire si elle ne révélait pas un profond mépris des réalités politiques béninoises. Début janvier 2025, l’activiste franco-béninois a annoncé sa candidature à la présidentielle de 2026, dans une mise en scène millimétrée, bras levés face à une foule acquise à sa cause, diffusée sur ses réseaux sociaux. « Nous ne laisserons plus notre destin entre les mains des valets de l’Occident », tonnait-il, oubliant au passage qu’il a lui-même, pendant des années, servi de porte-voix aux intérêts russes et azerbaïdjanais en Afrique.

Son problème ? Outre l’absence totale de programme concret – un détail fâcheux lorsqu’on prétend briguer la magistrature suprême – il ne remplit même pas les conditions élémentaires pour se présenter. Au Bénin, les candidats doivent être parrainés par des députés et des maires. Et ces élus ne peuvent parrainer une candidature autre que celui adoubé par leur parti. Or, à ce jour, aucun élu béninois ou parti politique éligible ne semble disposé à lui accorder son soutien. « Il n’a aucune assise locale, aucune vision politique autre que ses diatribes anti-occidentales », résume un analyste politique basé à Cotonou. Sa candidature ressemble plus à une performance médiatique qu’à une ambition présidentielle. Une manière d’alimenter sa posture de martyr en prévision de son inévitable disqualification par les autorités électorales.

Mais cette escroquerie politique cache une réalité bien plus inquiétante. Car derrière son discours enflammé sur la « souveraineté africaine », Seba demeure avant tout un instrument d’influence entre les mains de puissances étrangères.

L’ombre de Moscou et la prédation russe en Afrique

Derrière la façade du panafricanisme radical, c’est bien le Kremlin qui tire les ficelles. En 2023, une enquête de Jeune Afrique, Arte et Die Welt a révélé comment, entre 2018 et 2019, Kemi Seba a été financé par Evgueni Prigojine, le sulfureux patron de Wagner. Son rôle ? Mobiliser les foules africaines contre la présence française en Afrique tout en évitant soigneusement d’évoquer les exactions de la milice russe sur le continent.

Depuis la mort de Prigojine en 2023, Seba a continué à fréquenter les sphères du pouvoir russe. En mars 2024, il était encore invité à Moscou pour intervenir lors d’une conférence sur les « nouvelles alliances stratégiques » entre l’Afrique et la Russie. Là encore, il n’a eu aucun mot pour dénoncer la prédation économique des Russes en Afrique : exploitation minière illégale, accaparement des ressources naturelles en Centrafrique et au Soudan, pillage systématique des richesses africaines sous couvert de contrats militaires.

À lire aussi : Faut-il déchoir Kémi Séba de sa nationalité ou le laisser parler?

Pourtant, les méthodes de Moscou ne sont guère plus reluisantes que celles qu’il dénonce du côté occidental. Wagner et ses héritiers sont aujourd’hui impliqués dans des assassinats ciblés, des massacres de civils et des détournements massifs de fonds issus des ressources minières africaines. Mais Seba n’a pas un mot sur ces pratiques. Comme le souligne un diplomate africain en poste en Europe : « Il est plus préoccupé par le franc CFA que par les diamants du sang que Moscou extrait du continent. »

Bakou, autre financeur de l’ombre

Kemi Seba ne fréquente pas que Moscou, il a aussi trouvé une oreille attentive à Bakou. L’Azerbaïdjan, qui tente depuis plusieurs années de tisser des liens discrets mais solides avec l’Afrique, a fait du militant un relais de son influence sur le continent.

Seba s’est rendu en Azerbaïdjan, où il a rencontré plusieurs représentants du régime d’Ilham Aliyev. Il a participé à une conférence internationale à Bakou le 3 octobre 2024, intitulée « La politique néocoloniale de la France en Afrique », organisée par le Baku Initiative Group. Officiellement, ces échanges portaient sur la nécessité de « renforcer les relations Sud-Sud » et de promouvoir une « coopération mutuelle entre les peuples opprimés ». En réalité, il s’agissait surtout d’une opération de communication pour blanchir l’image de Bakou, régulièrement accusé de réprimer l’opposition et de bafouer les droits humains.

À lire aussi : Indépendantisme martiniquais: l’influence délétère de Kémi Séba

Le régime azerbaïdjanais, en quête d’alliés sur la scène internationale, a compris l’intérêt stratégique d’un porte-voix comme Seba, capable de vendre son discours anti-occidental aux jeunesses africaines. Une stratégie qui s’inscrit dans une vaste campagne de l’Azerbaïdjan sur le continent, où Bakou multiplie les promesses d’investissements et les accords de coopération, notamment dans le secteur énergétique.

Un haut fonctionnaire africain, qui a préféré garder l’anonymat, résume l’ironie de la situation : « Kemi Seba se présente comme un chantre de la souveraineté africaine, mais il sert d’outil de propagande à des régimes autoritaires étrangers. »

Un populisme dangereux

En se positionnant comme l’ennemi juré de l’Occident, Kemi Seba a réussi à fédérer une partie de la jeunesse africaine en quête de nouveaux repères. Mais derrière les discours martiaux, c’est un opportuniste qui navigue d’une influence à une autre, toujours prêt à embrasser les causes qui servent ses intérêts.

Son populisme agressif et son absence totale de projet politique cohérent font de lui un instrument idéal pour les autocraties en quête d’influence en Afrique. Que ce soit à Moscou, à Bakou, Téhéran, Caracas ou ailleurs, il reste un relais médiatique, plus soucieux de son propre pouvoir que de celui des peuples africains.

Si sa candidature présidentielle au Bénin prête à sourire, son influence, elle, ne doit pas être sous-estimée. Car derrière le verbe haut se cache un projet bien plus insidieux : celui de faire de l’Afrique le terrain de jeu des grandes puissances qui ont compris que, sous couvert de souverainisme, Kemi Seba pouvait être un allié de choix.

Après la paix: Défis français

Price: 12,00 €

5 used & new available from 12,00 €

La fin du franc CFA

Price: 24,00 €

11 used & new available from 24,00 €




Article précédent Un chef d’œuvre de Debussy porté par une nouvelle production fabuleuse
Article suivant Camus n’aurait pas aimé les César…
Loup Viallet est journaliste et géopolitologue, directeur du journal Contre-Poison Auteur de La fin du franc CFA et d'Après la paix

RÉAGISSEZ À CET ARTICLE

Pour laisser un commentaire sur un article, nous vous invitons à créer un compte Disqus ci-dessous (bouton S'identifier) ou à vous connecter avec votre compte existant.
Une tenue correcte est exigée. Soyez courtois et évitez le hors sujet.
Notre charte de modération