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Élections fédérales au Canada: la vague conservatrice reportée à date ultérieure!

Le Canada a voté, mais pour quoi au juste ? En s’invitant bruyamment dans la campagne, Donald Trump a offert aux Libéraux une victoire inattendue, fondée non sur leur bilan, mais sur un vieux réflexe de survie nationale. Une élection gagnée par défaut, un pouvoir sans cap clair: la vague conservatrice est reportée, pas annulée


L’élection fédérale anticipée de 2025 n’a pas couronné un projet, la peur. La campagne fut marquée par un vote utile contre Donald Trump, à l’image de la présidentielle française de 2022 où Emmanuel Macron a en quelque sorte capitalisé sur un vote rejet de Vladimir Poutine. Seulement, une telle élection ne tranche pas les réponses à apporter aux préoccupations populaires. À terme, cette incapacité à répondre aux grandes attentes populaires pourrait même ouvrir un espace béant pour une future vague conservatrice, peut-être plus sérieuse et plus structurée.

Les Libéraux en tête

Le 28 avril 2025 devait marquer la fin d’une ère, après le raz-de-bol de la gouvernance Trudeau. Pouvoir d’achat en berne, croissance anémique, crise du logement, immigration massive, montée de l’insécurité : tout concourait à une alternance historique. En 2024, le PIB du Canada a péniblement progressé de 1.5%, bien en dessous de la moyenne des pays développés. Pendant ce temps, l’inflation se maintenait à 3%, grignotant le pouvoir d’achat des ménages. Le prix moyen d’une maison atteignait 746 000 dollars canadiens (environ 475 000 €), condamnant des générations entières à renoncer à la propriété tout en devant affronter des loyers explosant. À cela s’ajoutait un afflux migratoire sans précédent: 1,45 million d’immigrants en deux ans ! Corollaire de ce point, l’insécurité a explosé : +20 % d’augmentation des crimes violents entre 2023 et 2024, des taux d’homicides et d’agressions au plus haut depuis 20 ans. Face à ce tableau, les Conservateurs de Pierre Poilievre étaient donnés à près de 20 points d’avance en début d’année rendant inévitable une alternance d’autant plus que le voisin américain avait vu le triomphe d’un projet conservateur en novembre 2024 – celui de Donald Trump.

Mais non. D’un vote anti-Trudeau, les Canadiens sont passés à un vote anti-Trump ! Depuis son élection, le président américain a multiplié les provocations contre Ottawa : menaces de droits de douane, déclarations provocatrices sur « l’énergie canadienne au service de l’Amérique », insinuations sur la souveraineté des provinces pétrolières et surtout déclarations fracassantes sur l’annexion. Le choc a été immédiat. Plutôt que de voir l’élection se polariser sur le bilan libéral, les Canadiens ont vu ressurgir la vieille peur d’une menace américaine, un « effet drapeau ». In fine, le candidat triomphant est celui qui défendrait le plus la souveraineté américaine face à l’impérialisme trumpiste.

A ce jeu, le candidat conservateur s’est retrouvé pris en étau entre le soutien d’une partie de sa base à Donald Trump et le recentrage de la campagne des Libéraux de Mark Carney contre M. Trump en incarnant la parfaite antithèse. Ainsi, les Libéraux, donnés battus quelques semaines auparavant, arrachent finalement 169 sièges sur 343. Insuffisant pour une majorité absolue, mais assez pour se maintenir au pouvoir…

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« L’effet drapeau » pourrait ne pas durer

Derrière la victoire apparente, le constat est sévère : jamais les Libéraux n’ont été aussi fragiles politiquement. Comme en 2019 et 2021, ils devront gouverner en minorité, sans véritable assise parlementaire. Avec 169 sièges, Mark Carney devra composer au cas par cas avec le NPD ou le Bloc québécois. Dans le meilleur des cas, M. Carney peut espérer un accord de non-censure avec le NPD, mais cela devrait prendre du temps comme en 2022. Le futur gouvernement Carney, fragile et minoritaire, devra naviguer dans une mer instable avec une embarcation trouée. Chaque mois qui passera sans réponse concrète aux attentes populaires verra croître l’impatience, puis la colère. La prochaine élection, qu’elle survienne dans quatre ans ou dans quelques mois, pourrait alors être le théâtre d’un véritable raz-de-marée conservateur.

Or, si les Libéraux ont capitalisé sur ce fameux « effet drapeau », à savoir un vote sur l’idée qu’ils protégeraient la souveraineté canadienne, cela pourrait ne pas durer. En effet, il ne faut pas oublier que la souveraineté du Canada a été profondément abîmée par les Libéraux. Quel pays peut-il se prétendre encore vraiment souverain, lorsqu’il ne parvient pas réguler une vague migratoire ou lorsque son économie est à ce point désarmée ? En 2022, Emmanuel Macron incarnait chez nous aussi le « vote drapeau ». Mais, dépourvu de majorité absolue après les législatives de 2022, il est depuis condamné à l’inaction, le conduisant à la défaite des Européennes qui a provoqué la crise politique de la dissolution.

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La vague conservatrice reportée ?

Si la déception est palpable chez les Conservateurs, ils n’ont pas tout perdu, loin de là. Avec 144 sièges, ils réalisent un score solide, gagnant du terrain dans les banlieues ontariennes, dans les provinces de l’Ouest, et même dans certaines régions de l’Atlantique. Leur dynamique de terrain a été impressionnante : salles combles, militants surmobilisés, implantation renforcée. La base électorale conservatrice est aujourd’hui plus large, plus stable, plus combattive qu’en 2021. La défaite tient à peu de chose. Sans la peur suscitée par Trump, les Conservateurs étaient sur la voie d’une victoire, au minimum d’un gouvernement minoritaire, ce qui aurait été une première depuis 10 ans.

Reste une ombre au tableau : Pierre Poilievre a perdu son propre siège de député. Une gifle politique difficilement surmontable. Depuis Kim Campbell en 1993, aucun leader fédéral majeur n’a survécu à une telle humiliation. Dans les faits, Poilievre n’est pas politiquement condamné, une démission pour lui trouver un siège et convoquer une élection partielle est possible. Mais les grandes manœuvres internes pourraient s’activer pour l’éjecter, alors que rien ne force les députés à démissionner pour ses beaux yeux. Si une fronde interne éclatait, tous les regards se tourneraient vers Doug Ford, fraîchement réélu Premier ministre de l’Ontario. Ford incarne un conservatisme pragmatique, capable de conjuguer discipline budgétaire et ouverture sociétale, autorité et gestion du quotidien. Moins idéologue que Poilievre, plus rassurant pour le centre-gauche modéré, Ford pourrait offrir aux Conservateurs une voie royale vers le pouvoir.

Donald Trump et JD Vance qui souhaitaient initier une « Seconde révolution conservatrice » dans le monde occidental, ont paradoxalement tué la première option de victoire de conservateurs dans leur plus proche voisin. Mais, le réel semble donner raison à la vague conservatrice. Une question subsiste : après en avoir été la figure de proue, l’Amérique trumpiste ne constituera-t-elle pas un boulet à l’ascension de la vague conservatrice ?

Les dessins joailliers, trésor caché du Petit Palais

La formidable et fragile collection de dessins de bijoux du Musée du Petit Palais est exposée pour la toute première fois. Et on y découvre les plus grands noms de la joaillerie.


Ce ne sont pas que des dessins de bijoux, d’ailleurs souvent présentés avec les joyaux pour lesquels ils ont servis de modèles. Mais bien des œuvres d’art à part entière, dessinées avec un raffinement, une élégance, une science, un réalisme époustouflants. Et qui sont parfois plus spectaculaires encore que leurs incarnations en pierres précieuses, perles, or et émaux.

Ils ont été pensés, couchés sur du papier translucide à l’échelle 1, c’est-à-dire grandeur nature, colorés à la gouache, mis en relief avec un savoir-faire éblouissant par des artistes engagés par les plus grands joailliers d’une période de création qui s’étend sur un siècle, du règne de Napoléon III à l’immédiat après-guerre, des années 1850 aux années 1950.

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Papillons fabuleux d’émaux et de diamants

Les plus beaux de ces joyaux ont été conçus dans l’esprit Art Nouveau ou Art Déco. Mais aussi dans ce style Néo Renaissance prisé dans la seconde moitié du XXe siècle. Ou dans un genre XVIIIe très en vogue sous le Second Empire.

Et un seul bijou peut constituer tout un monde à explorer…

On s’y noie avec cette « Naïade » d’or, d’écaille et d’émail ou ces « Cygnes et nénuphars » voguant sur un peigne d’ivoire (Eugène Grasset pour Vever Frères).

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On s’y égare dans un jardin enchanté, comme avec ce nécessaire du soir dessiné pour la maison Boucheron où papillons fabuleux et insectes fantasmés, en émaux et diamants, se perdent dans une végétation d’or pur. Ou avec ce collier réalisé par le joaillier Georges Fouquet à partir d’un dessin de Charles Desrosiers et représentant des fleurs de fuchsias, tout en diamants, perles et émaux, destinées à tomber en cascade sur la gorge d’une élégante.

Dessinateur non identifié pour Boucheron, Nécessaire papillons, vers 1945.
Crayon graphite, encre et gouache au recto, encre et gouache au verso sur
papier vélin translucide, 14,8 × 21,9 cm.
Boucheron Paris. Modèles déposés.
Petit Palais, Musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris.
Achat sur les arrérages du legs Dutuit, 2002.
(c) Paris Musées / Petit Palais, Musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris.
Georges Fouquet, d’après un modèle de Charles Desrosiers, Collier «Fuchsias», vers 1905.
Or, émaux à jour sur paillons, diamants, perles et opales. 23 × 13 cm.
Petit Palais, Musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris.
Achat à Georges Fouquet, 1937.
© ADAGP, Paris, 2025, Georges Fouquet – Paris Musées / Petit Palais, Musée des Beaux-Arts
de la Ville de Paris.

Ou encore avec le dessin de cette broche imaginée sous le Second Empire pour le joaillier Léon Rouvenat où fleurs et graminées s’abandonnent en une pluie de perles et de diamants.

Dessinateurs non identifiés pour Léon Rouvenat, Broche, années 1850-1870.
Crayon graphite, aquarelle et gouache sur papier vélin translucide, 16,3 × 10,8 cm.
Petit Palais, Musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris.
Don Marc Bascou, 2018.
(C) Paris Musées / Petit Palais, Musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris.

De l’Égypte à la Chine

Les sources d’inspiration foisonnent : la nature, donc la végétation, l’eau ou les figures animales, mais aussi l’architecture, la géométrie, l’histoire, l’Egypte antique, le Japon, la Chine, le siècle de Louis XV… tout a été sujet à création. Et les plus grands noms de la joaillerie s’engouffrent dans cette cohorte prestigieuse : Rouvenat, Boucheron, Cartier, Fannière, Deraisme, Lalique, Vever, Fouquet… Beaucoup étant apparus sous le Second Empire qui fut l’une des périodes les plus fastueuses de l’histoire de la France.

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Une collection exceptionnelle

La collection de dessins de bijoux que recèle le Petit Palais s’élève à plus de cinq mille cinq cents exemplaires. C’est un trésor qui ne s’est réellement constitué qu’à l’extrême fin du XXe siècle, dès 1998, mais dont certaines pièces dormaient depuis longtemps dans les réserves du musée en compagnie de fastueux bijoux déposés dès la création de ce dernier en 1902.

On les expose donc avec, en regard, leur accomplissement d’or et de pierreries, mais aussi en évoquant le parcours fascinant qui conduit le joyau de son esquisse à sa réalisation. De la chrysalide au papillon.


Dessins de bijoux : les secrets de la création

Exposition au Petit Palais, Paris. Du mardi au dimanche, de 10h à 18h et jusqu’à 20H les vendredis et samedis.  Jusqu’au 20 juillet 2025. 14 €

Hors la loi mais de bon aloi

Stars d’un jour… Quand les commerçants font justice eux-mêmes, grâce aux photos de télésurveillance, le Code pénal court derrière une loi déjà braquée par la réalité. Et finalement, les voleurs posent sans broncher pour la photo.


Ne jamais mettre la charrue avant les bœufs, sauf quand elle charrie un Code pénal qu’il faut parfois pousser au cul pour faire avancer les choses… À l’Assemblée, le député centriste Romain Daubié a récemment déposé une proposition de loi « visant à améliorer la sécurité des commerçants », en les autorisant à diffuser à l’entrée de leur magasin ou sur les réseaux sociaux, la photo des voleurs à l’étalage filmés par la vidéo-surveillance.

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Or cette loi qui n’a pas encore été discutée, ni votée, est déjà en vigueur, expérimentée et appliquée par des commerçants qui n’hésitent pas à afficher la bobine de leurs voleurs, pour les culpabiliser et les dissuader de récidiver. Selon Jerôme Jean, président de Ras le vol, association de commerçants fatigués de ces larcins qu’aucune assurance ne couvre (et dont trois commerçants sur quatre déclarent avoir déjà été victimes), ce procédé « hors la loi » est efficace à 80% ; les épinglés, ou leurs proches, revenant sur les lieux du délit pour effacer l’ardoise et ne plus être à l’affiche. Des voleurs qui, n’en déplaise aux Jean Valjean de pacotille de la France impunie, ne sont pas des misérables qui volent pour manger : les articles les plus ciblés sont les vêtements de marque, les parfums et les alcools.

Plus significatif encore est le fait que jamais, ou presque jamais, les voleurs affichés ne portent plainte pour atteinte à leur image… Faut dire que la majorité de ces délinquants préfère éviter d’avoir affaire avec la justice, ou la police, qui les connaît déjà et les recherche parfois pour d’autres méfaits et dérobades…

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Ainsi une loi, pas encore officiellement reconnue mais fille du bon sens populaire, peut s’avérer d’utilité publique… Il y a actuellement un élu « hors la loi » pour avoir refusé de marier un OQTF (immigré devant être expulsé), alors que dans le même temps le Parlement examine une loi autorisant les maires à ne pas marier un OQTF… Adoptée, cette loi devrait porter le nom de son père naturel, le maire de Béziers, Robert Ménard[1].


[1] A ce sujet relire, Causeur n°132 Robert Ménard: le fou rire et l’effroi

Trump II: l’Amérique, miroir fêlé de l’Occident?

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56% des Américains ont actuellement honte du locataire de la Maison-Blanche, selon l’IFOP[1]. Un électeur de Trump sur quatre (24%) en est même venu à regretter d’avoir voté pour le magnat de l’immobilier lors du scrutin présidentiel de novembre 2024.


Paradoxale Amérique : d’un côté, elle reconduit Donald Trump à la Maison-Blanche; de l’autre, elle en a honte. Trois mois après son retour tonitruant au pouvoir, le président américain est jugé sévèrement par une majorité de ses concitoyens. Selon une enquête IFOP pour NYC.eu, 56 % des Américains déclarent avoir « honte » de leur président. Une majorité significative, qui grimpe à 60 % chez les moins de 25 ans et atteint même 69% parmi les Noirs américains. L’ironie veut que même dans son propre camp, la gêne affleure : 23 % des Républicains reconnaissent aujourd’hui ne plus assumer leur vote.

Certains vont plus loin: un électeur trumpiste sur quatre regrette son choix de novembre dernier. Un chiffre édifiant, révélateur d’un climat de désillusion précoce. Car si Trump conserve l’appui inébranlable d’une base qui le suit les yeux fermés, le vernis s’effrite. Sa popularité chute : 44 % d’approbation, soit le score le plus bas pour un président américain à ce stade de son mandat depuis des décennies.

La guerre culturelle comme programme de gouvernement

Pourtant, Trump ne gouverne pas en rupture avec son électorat. Sur des sujets clivants comme l’identité de genre, l’immigration ou l’écologie, ses positions conservatrices bénéficient d’un soutien majoritaire. 62 % des Américains approuvent l’exclusion des transgenres des compétitions féminines. 57 % veulent inscrire dans la loi qu’il n’existe que deux sexes. Et 54 % soutiennent l’exploitation pétrolière, même si seulement 30 % approuvent le retrait des États-Unis de l’Accord de Paris.

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Cependant à Bandera, petite ville texane autoproclamée « capitale mondiale des cow-boys », l’ambiance est toute autre[2]. Ici, Trump est roi. Dans son « Trump Store », Wyatt Forster vend des casquettes MAGA, des tee-shirts moquant les « wokistes » et des figurines du président fabriquées en Chine — paradoxe que ses clients assument sans ciller. Le soutien y est inconditionnel, identitaire (presque tribal, à lire le sujet que consacre Le Parisien à la localité ce jour !), imperméable aux volte-face diplomatiques ou aux revirements économiques. On ne vote pas pour un programme, on adhère à une revanche. Celle d’une Amérique blanche, rurale, chrétienne, qui voit dans Trump non pas un président, mais un vengeur. Le ressentiment alimente la fidélité : peu importe si les promesses tardent, tant qu’il tient tête aux élites, aux migrants et aux juges. Le contraste avec la majorité honteuse évoquée par l’étude Ifop est saisissant : deux pays, deux réalités, une même bannière étoilée.

Mais c’est sur le terrain international que le président Trump prend de court ses compatriotes. À rebours d’une opinion favorable à l’Ukraine (66 % des Américains veulent continuer de soutenir Kiev, y compris 57 % des Républicains), il persiste à vouloir couper les vivres au régime de M. Zelensky. Même fracture sur les hausses de tarifs douaniers décrétées le 2 avril : 49 % des Américains s’y opposent, tandis que 45 % approuvent. Un clivage net, profondément idéologique.

18% des Français pour les protections douanières américaines

La France, elle, observe tout cela avec une stupeur teintée d’incompréhension. L’étude IFOP révèle à quel point les mesures trumpiennes — qu’elles touchent au climat, aux minorités ou à la géopolitique — sont massivement rejetées par les Français. À l’inverse d’une Amérique fracturée, la France reste relativement unie dans son rejet de cette vision du monde. À peine 18 % des Français approuvent la guerre commerciale déclenchée par Trump, et seuls 28 % soutiennent l’exclusion des transgenres du sport féminin. En vérité, cette seconde présidence Trump agit comme un révélateur brutal : celui d’une polarisation extrême de la société américaine, où chaque ligne de fracture — sociale, raciale, religieuse — devient ligne de front. La politique n’est plus affaire d’opinion, mais d’identité. Et si Donald Trump cristallise les haines comme les fidélités, c’est peut-être parce qu’il incarne à lui seul cette Amérique en guerre contre elle-même.

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[1] « Étude Ifop pour NYC.eu réalisée par questionnaire auto-administré en ligne auprès d’un échantillon national représentatif de 1 225 Américains âgés de 18 ans et plus (8-10 avril 2025), et d’un échantillon national représentatif de 1 000 Français âgés de 18 ans et plus (9-10 avril 2025)

[2] https://www.leparisien.fr/international/etats-unis/dans-la-capitale-mondiale-des-cow-boys-les-fans-de-trump-combles-par-ses-100-premiers-jours-au-pas-de-charge-29-04-2025-V5KW252K3RFTNKVGML7XUFYSKU.php

L’Union européenne et la recherche «scientifique»

10 millions d’euros pour un « Coran européen » ? Le projet scientifique interpelle et fait polémique.


Toute science vient de Dieu.
Origène


Au commencement fut la philosophie : une démarche qui vise à la compréhension du monde et de la vie par une réflexion rationnelle et critique. Même si les médiévaux européens utilisaient souvent encore le mot « scientia » comme synonyme de philosophie, on conviendra que, dans l’usage moderne, ce terme vise surtout les connaissances relatives à la nature (physique, chimie, biologie…), les sciences « dures », même si, parfois, on parle de « sciences humaines », « science historique », etc., afin de mettre en relief une méthode d’étude cohérente de ces domaines.

Or, la mission de la European Research Council/Conseil européen de la recherche (ERC) consiste à financer « des projets de recherche exploratoire, aux frontières de la connaissance, dans tous les domaines de la science et de la technologie ». Le seul critère de sélection est celui de l’« excellence scientifique ». À supposer qu’il y eût flou quant au champ d’application du mot « science » en l’espèce, sa juxtaposition avec la technologie signifie qu’il s’agit plutôt de science « dure ». Et en effet, on fait état sur son site de projets relatifs à la biodiversité en cette période de changement climatique, de recherche fondamentale en matière de mécanismes biologiques et de pathologies humaines, sans oublier l’agriculture, la biotechnologie et la médecine, etc. De toute manière, dans un monde de rareté, les priorités en matière d’allocation judicieuse des ressources sont évidentes.

Réécriture de l’histoire

C’est donc avec un certain étonnement que l’on apprend par le Journal du dimanche (JDD) que, en 2018, l’ERC a accordé, au titre de l’ « excellence scientifique » une petite enveloppe de presque 10 millions d’euros au projet « EuQu » (pour « Coran européen »)  d’une durée de six ans1. Sauf erreur, cette bourse « Synergy » ne fit pas l’objet d’une publicité triomphale et tapageuse lorsqu’elle fut décernée. Il s’agit d’expliquer comment le Coran a influencé la culture et la religion en Europe, entre 1150 et 1850. « Ce projet repose sur la conviction que le Coran a joué un rôle important dans la formation de la diversité et de l’identité religieuses européennes médiévales et modernes et continue de le faire » (…) EuQu cherche à remettre en question à la fois les perceptions traditionnelles du texte coranique et des idées bien établies sur les identités religieuses et culturelles européennes». Enfin, le « projet aborde les questions urgentes et actuelles en Europe et promet d’ouvrir de nouvelles perspectives sur nos sociétés multireligieuses2 ». (Non souligné dans l’original).

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Il est donc essentiellement soutenu que le monde arabe ne se serait pas borné à retransmettre la métaphysique et la logique aristotéliciennes à l’Occident, ce qui relativise la contribution d’un Averroès et ou d’un Al-Farabi, au profit d’un texte dogmatique où sont scrupuleusement et méthodiquement consignées les révélations communiquées au prophète par l’archange Gabriel.

Des expertises reconnues, pour des conclusions qui semblent connues d’avance

Pourquoi pas ? Tout cela est bel et bien, et nul n’oserait nier l’expertise des participants à ce magnifique thème, comme on peut le constater sur le site, hélas truffé d’anglicismes, de « Nantes université » (sic) : le projet a pour intitulé  « EuQu – The European Qur’an – ERC Synergy Grant » (sic); l’on recense les « Membres de l’Advisory Board » (sic); enfin il est précisé que le médiéviste John Tolan en est le « Principal Investigator » (sic); à croire que le Brexit n’a jamais eu lieu. Incidemment, à noter aussi la présence de la professeure Naima Afif, traductrice des textes de Hasan el Banna (le fondateur des Frères musulmans) dans un livre édité par les Éditions Tawhid fondée en 1990 par l’Union des jeunes musulmans (section jeunesse Frères musulmans).

Cela dit, vu la « conviction » affichée par les « innevaissetigatorzes » du projet, on ne peut exclure le sentiment que leurs conclusions étaient déjà, sinon préétablies, au moins latentes dans leur esprit dès le départ. Pourrait-on voir dans la campagne de communication du Conseil de l’Europe lancée en 2021 sous le très orwellien titre « La liberté dans le hijab » une sorte de bande-annonce?…

En outre, ce thème eût plutôt dû faire l’objet d’une thèse de doctorat qui n’aurait engagé que la réputation et les ressources du thésard, de son université et d’éventuels organismes commanditaires privés, et non pas les fonds de l’Union européenne. Qu’à cela ne tienne. Le généreux contribuable et lecteur européen lambda brûle d’impatience de dévorer ces beaux travaux en 2026. Tout un best-seller en perspective qu’il jugera sur pièce. L’éradication des hémorroïdes et du cancer colorectal peut attendre.


  1. https://www.lejdd.fr/Societe/10-millions-deuros-pour-un-coran-europeen-enquete-sur-un-projet-polemique-finance-par-lunion-europeenne-157015 ↩︎
  2. https://euqu.eu/the-european-quran ↩︎

C’était le Quartier Latin

L’effervescence artistique et intellectuelle du XIXe siècle a sa géographie : le Quartier Latin, sur la Rive gauche parisienne, et Montmartre, sur les hauteurs de la capitale. Des centaines de clubs animés par des personnalités hautes en couleur ont abrité une vie déjantée difficilement concevable de nos jours. Suivez le guide !


Dernier livre paru : Les Enragés de la liberté. Anthologie des pamphlétaires du XVIe au XXe siècles, (préface d’André Bercoff), Max Milo, 2023.


Les Hydropathes. Dans la déliquescence actuelle, ce nom bizarre, quasi hermétique, est incompréhensible pour le commun des mortels.

Qui étaient-ils ? Le Cornet, membre de la Société Artistique et Littéraire de l’époque décrit une jeunesse composée de « godelureaux, basochiens, carabins, futurs princes de la science et de la République » se croisant dans « un mélange de gravité philosophique, de curiosité scientifique et de fumisterie joyeuse ». Ces jeunes gens, et de moins jeunes, menaient au Quartier Latin une existence intense et ludique. Artistes, peintres, poètes, romanciers, journalistes et étudiants de toutes les facultés (âgés de vingt à trente ans) se retrouvaient pour célébrer les déesses de la pensée. La gravité philosophique inspirée par Taine et Renan, la curiosité scientifique animée par les théories de Darwin et la fumisterie joyeuse fécondée par des humoristes divers, tels Alphonse Allais et Sapeck, Coquelin Cadet, Edmond Haraucourt, le magicien Charles Cros, chez lequel s’accouplaient l’esprit littéraire et l’esprit scientifique (il fut l’inventeur du premier phonographe et un chercheur exceptionnel), mais également Paul Bourget, Raoul Ponchon, André Gill…

Tous se réunissaient le mercredi et le samedi, chaque semaine, puis les réunions devinrent quotidiennes, rassemblant plus de cinq-cents personnes, récitant des poèmes, chantant voluptueusement ou virulemment, déclamant des monologues.

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Mais qu’en est-il de cette appellation curieuse ? On ne la retrouve pas dans le dictionnaire. Quelle en est son étymologie, quelle en est la signification ? Cela veut-il dire : qui souffre de l’eau ou qui se soigne avec l’eau ? N’est-ce pas plutôt : qui n’aime pas boire de l’eau ? Le fondateur du Club des Hydropathes, Émile Goudeau, dont il nous faudra décliner l’histoire, avait un goût prononcé pour les boissons liquoreuses, et lorsqu’il mit en regard ce mot à celui de son nom décomposé, « Goût-d’eau », il ne pût que céder, à nouveau, à la tentation et se soumit à cette identité. Ainsi fut constituée cette société, le 11 novembre 1879, devant soixante-quinze participants qui l’élurent président par acclamation.

Mais avant de plonger dans l’histoire du Club, évoquons-en les épisodes et la mémoire.

« Le Quartier Latin, Pays de l’insouciance gauloise et bivouac d’avant-garde de toutes les idées nouvelles » (Jules Vallès).

Après le prodigieux succès des chansons de Béranger, une profusion de « goguettes » voit le jour et, en 1845, ce sont cinq cents sociétés chantantes qui habitent Paris et sa banlieue et font roucouler ou bramer des chansons libertines, frondeuses et des romances. Eugène Sue et Gérard de Nerval en ont fait la description et Lacenaire s’y promouvait. Celles de la Rive Gauche offrirent à la jeunesse littéraire la liberté de déclamer leurs œuvres en public et de penser et partager celles-ci en toute liberté. Le poète de La Chanson des Gueux, Jean Richepin, les décrivit ainsi : « J’ai précédé au Quartier Latin les groupements naturaliste et symboliste et les Hydropathes. Les Hydropathes dont Émile Goudeau fut l’initiateur, ce grand méconnu auteur de ces Fleurs de Bitume que je tiens pour un chef-d’œuvre. »

Ces cénacles très divers se réunissaient dans des estaminets, la brasserie Sherry Cobber accueillait Richepin, Bourget, Mallarmé, Ponchon, Villiers de l’Isle Adam et même François Coppée. Une autre brasserie de la rue Racine regroupait Rollinat, Charles Frémine, Georges Larsin mais aussi Joseph Gayda, Jean Moréas et Léon Tailhade. Le cénacle Baudelaire tenait ses réunions dans le café Tabourey. Au Voltaire, on retrouvait des membres de l’Institut et de la Sorbonne et le virulent Jules Vallès y siégeait. N’oublions pas le café Mariage, le café Théodore, le Procope, la Vachette avec Paul Valéry, Faguet et l’Abbaye avec Georges Duhamel et Jules Romains.

Léon Daudet, dans ses Trente ans de Paris, en fait une merveilleuse et exhaustive description, évoquant l’atmosphère de l’époque. Ces artistes et hommes de lettres côtoyaient des jeunes gens dans une effervescence particulière.

Mais il nous faut maintenant ressusciter Émile Goudeau qui lors de la disparition du Club des Hydropathes, remplacé par les Hirsutes, devint le pontife du Chat Noir. Ce cercle fondé en 1881 par le peintre Rodolphe Salis donna naissance, boulevard Rochechouart, à Montmartre, à un cabaret qui allait devenir prestigieux et réunir les anciens Hydropathes, Hirsutes et toute la jeunesse qui les escortait. Même Léon Bloy était de la fête.

Goudeau a cristallisé le nomadisme culturel en créant un Olympe de même identité. Né à Périgueux en 1850, fils d’un sculpteur distingué, il est élevé chez les religieux, devient professeur (à 16 ans), déambule de ville en ville et atterrit à Paris en 1869 où il se précipite dans le journalisme et la politique. Après la guerre de 1870, il devient journaliste à Bordeaux avant de revenir à Paris en 1873 pour entrer au ministère des Finances. Mais la vie de bureau lui fait horreur tant elle lui paraît fade. Il démissionne et fréquente épisodiquement, et discrètement, les réunions du Sherry Cobber. « Plein d’illusions et de suffisances, grandiloquent, improvisateur infatigable, il épanouissait aux lampions du boulevard St Michel une redondante verve gasconne. Sa voix éclatante de méridional avait la sonorité d’un violoncelle et, comme il récitait de bonne grâce, l’auditoire n’avait pour lui que sourires et faveurs. Il s’habillait avec un soin trop visible d’accrocher les regards et de fait, dans le milieu étudiant et des bohèmes, il ne passa pas inaperçu », écrit Laurent Tailhade. Il devint dès lors le plus imposant des animateurs de la vie du Quartier Latin et l’un des parangons de la culture mariée à la joie de vivre.

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Comme en témoigne Sarcey, aux Hydropathes et plus tard au Chat Noir, les poètes et les chansonniers clament leurs œuvres devant un imposant public polymorphe, éclectique et à l’esprit ouvert : dans le champ de la poésie, il y a place pour tout le monde et toutes les fantaisies, y compris les débordements et les dévergondages bachiques d’un soir de bal – comme l’a férocement écrit Louis Veuillot.

Ainsi fût donné le signal d’un retour aux lointaines traditions de la docte Montagne, en replaçant le divertissement intellectuel et tapageur en marge des études par une forme plus moderne et jusqu’alors inédite.

Maurice Donnay écrivait à ce sujet : « On constate combien il fût éclectique ce Chat Noir, tour à tour et à la fois blagueur, ironique, tendre, naturaliste, réaliste, idéaliste, lyrique, fumiste, religieux, mystique, chrétien, païen, anarchiste, chauvin, républicain, réactionnaire, tous les genres sauf, à mon sens, le genre ennuyeux. Il n’est pas aisé de définir « l’esprit du Chat Noir ». Il est plus simple de dire ce qu’il ne fût pas : ni prétentieux, ni servile, ni sectaire et c’est bien l’esprit que je souhaite à tous les hommes, à travers la vie et dans toutes les situations. » Une illustration de la Belle Époque en comparaison à notre sinistre époque.


À lire :

Raymond de Casteras, Avant le Chat Noir : les Hydropathes, 1878-1880, Éditions Albert Messein, 1945.

Simon Arbellot, J’ai vu mourir le boulevard, Éditions du Conquistador, 1950.

Maurice Donnay, Autour du Chat Noir, Grasset, 2017.

Autour du Chat Noir

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Roland Dorgelès, Montmartre mon pays, Marcelle Lesage, 1928.

Gérard de Lacaze-Duthiers, C’était en 1900. Souvenirs et impressions (1895-1905), La Ruche Ouvrière, 1957.

Touche pas à ma pute (nouvelle saison!)

Les verbalisations des clients de prostituées sont en baisse, se désole Aurore Bergé, notre ministre chargée de l’Égalité femmes-hommes. Punir ce qui n’est pas interdit, voilà qui est plutôt amusant. « Il ne faut rien laisser passer. Tolérance zéro ! » a-t-elle déclaré hier, à l’AFP. En France, si vous voulez acheter un câlin, vous repartez avec une amende salée – 1500 €, 3 750 en cas de récidive – et une leçon de morale gratuite. Liberticide !


Aurore Bergé veut la « tolérance zéro » pour les clients de prostituées. C’était hier l’anniversaire de la stratégie nationale de lutte contre le « système prostitutionnel » – cette expression pompeuse ne fera évidemment pas disparaitre le plus vieux métier du monde, mais ça claque. Pour la ministre de l’Égalité femmes-hommes, sanctionner les « proxénètes et les clients » reste une priorité. Payer une femme qui vend librement non pas son corps mais de la sexualité (son corps, elle le garde), c’est donc selon la ministre la même chose que l’exploiter, la contraindre, la violenter.

Une loi stupide

Mme Bergé veut réactiver une loi stupide de 2016 qui sanctionne les clients. Au terme de cette loi que j’avais grandement combattue, vous avez le droit de vendre un service (on a même abrogé le « délit de racolage »), mais il est interdit de l’acheter. En gros, c’est comme si on vous disait que vous pouvez ouvrir une boulangerie mais que quiconque y achète une baguette sera condamné.

À part des déclarations ronflantes sur cette avancée majeure, l’effet réel de cette loi a été à peu près nul. Il y a tout de même eu environ 1100 verbalisations pour achat d’actes sexuels sur majeur par an. Mais, en réalité, la prostitution se passe de moins en moins dans la rue. Donc l’immense majorité des clients et des prostituées échappent à la maréchaussée.

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Il faut bien lutter contre la prostitution, me dit-on. Pourquoi ? Il faut réprimer les réseaux, les esclavagistes qui exploitent des femmes vulnérables, oui. Mais au nom de quoi interdire à des adultes consentants d’échanger du sexe contre de l’argent ? La France est officiellement favorable à l’abolition – un objectif évidemment hors d’atteinte, mais qui reflète un puritanisme de dame-patronnesse scandaleusement liberticide. Aurore Bergé a toutefois raison sur un point : la prostitution n’est pas un exutoire contre les violences sexuelles[1]. Les violences sexuelles ont à voir avec les violences, plus qu’avec la sexualité.

Femmes puissantes

D’un point de vue sociologique, la prostitution a sauvé la famille traditionnelle. Mais, il faut aussi la défendre philosophiquement. La prostituée et écrivain suisse Griselidis Real dit que la concernant se prostituer est un acte révolutionnaire. Certaines femmes (et des hommes) préfèrent se prostituer qu’être caissière. Il y a même des étudiantes qui font des extras, pas pour manger comme la presse le raconte souvent pour faire pleurer dans les chaumières, mais pour se payer des sacs de marque parce que, pour elles, la sexualité n’est pas un sacrement mais une activité banale – éventuellement agréable. Et alors ? On leur dit qu’elles sont aliénées, on leur explique qu’elles sont traumatisées. La liberté c’est de choisir son aliénation. Esther, Nana… Littérature et cinéma sont pleins de putains splendides, puissantes et enivrantes.

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Sous prétexte de protéger les femmes, comme d’habitude on les traite comme des enfants et comme des victimes. Tarifée ou pas, la sexualité entre adultes n’est pas un crime. Alors que l’État lutte contre le crime et qu’il arrête de se mêler de nos fesses.


Cette chronique a été diffusée sur Sud Radio

Retrouvez Elisabeth Lévy dans la matinale de Jean-Jacques Bourdin


[1] « C’est un débat qui n’est pas si simple en France. On entend encore beaucoup de remarques disant heureusement que la prostitution existe, parce que c’est un exutoire, parce que sinon on aurait encore plus de violences sexuelles dans le pays » a estimé hier la ministre.

Normes, tondeuses et muguet: Bardella fait la cour aux petits patrons

Causeur s’est glissé hier midi dans les très chics salons du Cercle de l’Union Interallié à Paris, où Jordan Bardella, président du Rassemblement national et potentiel candidat précipité à l’élection présidentielle, venait défendre ses positions économiques devant plus d’une centaine de patrons de PME et TPE réunis par l’organisation Ethic de notre amie Sophie de Menthon.


La fondatrice de ce club patronal – Entreprises de Taille Humaine Indépendances et de Croissance – connue pour son franc-parler, avait demandé au jeune leader de répondre à une question précise : « Jusqu’où êtes-vous économiquement libéral ? » Question simple en apparence, mais éminemment piégeuse pour un dirigeant d’un mouvement encore perçu par beaucoup comme interventionniste et souverainiste.

Jordan Bardella à la tribune. A table, le chroniqueur économique Pascal Perri et Sophie de Menthon. Photo : Arnaud Vrillon.

Pourtant, M. Bardella, chemise bleue impeccable et sourire appliqué, avec beaucoup de chiffres en tête, quoi que peut-être un peu inquiet au début – la peur du faux pas sur les questions économiques ? -, avait bien préparé son numéro de funambule. Non, il n’est pas socialiste, jure-t-il d’entrée, ni d’extrême droite d’ailleurs. L’ambition affichée : convaincre un public patronal plutôt habitué à écouter la droite classique, sans effaroucher ceux pour qui le RN reste une inconnue économique. Et tenter de le rassurer concernant les propositions de son mouvement concernant retraites ou TVA.

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La démarche de Jordan Bardella s’inscrit dans une stratégie de crédibilisation entamée depuis plusieurs semaines : prises de parole sur les enjeux industriels, tribune dans Le Figaro[1] dans laquelle il expliquait que « l’Europe ne [pouvait] plus être la victime sacrificielle du commerce mondial », livre annoncé pour l’automne chez Fayard[2] dédié à une galerie de portraits de Français autour de la question du travail. Après les questions d’identité et de sécurité, c’est désormais sur le terrain économique que le patron du groupe Patriotes pour l’Europe veut démontrer sa solidité. Et ce lundi 28 avril, il laisse donc son rival de droite Bruno Retailleau se débrouiller avec la polémique qui a suivi le drame de la mosquée de La Grande-Combe, ou la publication de son petit fascicule Ne rien céder: Manifeste contre l’islamisme aux Editions de l’Observatoire prévue dans deux jours…

Loin de la caricature du tribun populiste, le possible candidat précipité à l’élection présidentielle adopte un ton sérieux, parfois technique, sans se départir d’une forme d’enthousiasme un peu surjouée mais visiblement travaillée. Lors du déjeuner-débat, où trônaient sur les tables cannelloni froids aux légumes en entrée, délicieux poisson délicatement posé sur un lit de poireaux en plat de résistance et pavlova aux fruits exotiques et à la vanille pour le dessert, l’orateur a choisi de se lever pour prononcer son discours, non sans devoir réajuster au pupitre un micro trop bas pour son mètre quatre-vingt-dix.

Contre les menaces de Trump ou le Green Deal européen : la sobriété normative !

Quelques instants auparavant, Mme de Menthon s’était rendue à la table où avaient été réunis les journalistes pour une petite mise au point. Celle qui se vante de faire défiler dans ses conférences et déjeuners-débats toute la classe politique (Le communiste M. Roussel n’est-il pas attendu prochainement ?) n’a pas du tout apprécié que l’Express la qualifie d’ « entremetteuse » du RN auprès du patronat français. Et si la libérale se défend de rouler pour qui que ce soit, elle n’hésite donc pas à sermonner les journalistes comme le feraient les populistes !

Le message délivré par M. Bardella pendant son discours introductif peut se résumer en un triptyque simple et martial : produire, produire, produire. Selon lui, la France doit renouer avec une ambition industrielle, retrouver son rang sur la scène internationale, et cesser de considérer l’entreprise comme une suspecte permanente. Dans une critique bien sentie contre Éric Lombard, il s’étonne : « Quand j’entends le ministre enjoindre les entreprises à accepter d’être moins rentables, les bras m’en tombent. » Pour M. Bardella, même la menace des tarifs douaniers américains pourrait finalement constituer une « chance » pour réveiller un continent trop passif. Il affirme que la brutalité commerciale de Donald Trump, aussi déplaisante soit-elle, a le mérite de dévoiler la naïveté européenne d’un Mario Draghi et doit pousser l’Union à enfin défendre ses intérêts. Il refuse la décroissance prônée par certains cercles écologistes et martèle que la croissance et l’entreprise sont la seule voie de sortie du marasme français. « La brutalité commerciale pratiquée par des alliés historiques de la France, par Donald Trump qui s’est attaqué indistinctement à tous les secteurs, à ses partenaires comme à ses concurrents, est venue, je le sais, s’ajouter à la très longue liste des défis que vous comme nous allons devoir affronter main dans la main ». Et de rappeler son travail au Parlement européen (« L’Europe s’est soumise à des dogmes concurrentiels rigides » / « C’est le seul espace économique au monde à vouloir respecter les règles que toutes les grandes puissances outrepassent ! ») et la nécessité pour l’Etat-stratège de reprendre les manettes. Mais, nos responsabilités nationales sont également étrillées : « La France est devenue ce pays où l’Etat est partout là où il ne devrait pas être et jamais présent là où il serait utile… » / « La France est devenue un enfer fiscal et normatif pour quiconque ambitionne d’entreprendre » / « Notre pays est frappé par ce que Jérôme Fourquet appelle fort justement la maladie bureaucratique ». Le public boit du petit lait.

Une salle conquise ? Bardella entend que les entrepreneurs lui fassent des remontées du terrain

Le leader du RN ne se contente pas d’un discours général : il entre dans le détail. Il promet ainsi que son mouvement rétablirait un prix français compétitif de l’électricité pour l’industrie, basé sur l’énergie nucléaire, et qu’il supprimerait des impôts jugés pénalisants pour les TPE/PME comme la Cotisation foncière des entreprises (CFE) et la Contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S). Plus original encore, Bardella propose une « stratégie tricolore » de simplification normative : un dossier vert pour les normes favorables à la croissance, un orange pour celles à corriger, un rouge pour celles à supprimer purement et simplement. Dans un pays où les entrepreneurs passent leur temps à remplir des formulaires, l’idée est séduisante, mais certains y voient déjà une usine à gaz supplémentaire. C’est sympathique, mais voilà qui fait encore de la paperasse, pourrait-on lui répondre ! À Causeur, un patron de PME normand confiait ainsi avant le début de l’intervention que son fils, qui reprend l’entreprise familiale, consacrait désormais 75 % de son temps aux ressources humaines et à l’administratif, bien loin de la production et de l’innovation.

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Pendant la séance de questions/réponses, Jordan Bardella décroche deux salves d’applaudissements spontanés. La première lorsqu’il promet de recentrer l’État sur ses seules missions régaliennes, moquant au passage les normes absurdes qui réglementent le bruit des « tondeuses à gazon ». La seconde lorsqu’il s’indigne des complications administratives absurdes qui empêcheront toujours boulangers et fleuristes de vendre leur pain ou leur muguet le 1er mai cette année. L’assemblée, jusque-là attentive mais polie, semble alors conquise, ou du moins séduite par cette volonté de simplification qu’il affiche.

Reste la question de la crédibilité sur la durée. Jordan Bardella, s’il veut convaincre l’électorat entrepreneurial, devra montrer qu’il ne se contente pas de slogans, aussi habiles soient-ils. Sophie de Menthon, en tout cas, a visiblement pris plaisir à jouer la maîtresse de cérémonie, taquinant à plusieurs reprises l’ancien président des jeunes RN (elle pensait avoir convié à table un « socialiste » !), sans jamais masquer son plaisir d’animer un débat de fond. En coulisses, elle n’a pas manqué de rappeler qu’elle invitait tous les candidats, de droite comme de gauche, à ses événements. Pas question pour elle d’être estampillée RN par des médias trop prompts à caricaturer. Ce jour-là, en tout cas, dans le luxe discret du Cercle Interallié, Jordan Bardella a peut-être marqué quelques points.

Mais libéral ou étatiste, alors ? Libéral tant que c’est dans l’intérêt de la France, s’en sort finalement dans une pirouette le leader du RN, très inquiet quant au devenir de l’agriculture et de notre industrie automobile. Il fêtera ses 30 ans en septembre.


[1] https://www.lefigaro.fr/vox/economie/jordan-bardella-l-europe-ne-peut-plus-etre-la-victime-sacrificielle-du-commerce-mondial-20250415

[2] https://www.leparisien.fr/politique/une-ode-a-la-france-du-travail-jordan-bardella-va-publier-un-nouveau-livre-en-librairie-a-lautomne-28-04-2025-WHBFWKENORD4TI3VBIVSUCGGBY.php

Bruno Tertrais: «À défaut de le prendre au mot, il faut prendre Donald Trump au sérieux»

Le géopolitologue Bruno Tertrais fait le point sur les cent premiers jours du nouveau mandat du président américain.


Depuis que Donald Trump est de retour à la Maison-Blanche, les États-Unis ont quitté l’Organisation mondiale de la santé, retiré leur signature de l’Accord de Paris sur le climat, démantelé leur programme humanitaire USAid, remis en cause leur aide militaire à l’Ukraine, entamé des pourparlers bilatéraux avec l’Iran sur le nucléaire, promis de transformer Gaza en nouvelle Riviera et déclaré une guerre tarifaire au monde entier, avant de la mettre en pause. Difficile face à une telle déferlante de voir clair dans le jeu du «roi du deal ». Le spécialiste des relations internationales Bruno Tertrais, qui présente l’avantage de n’être animé ni par la haine ni par la dévotion envers le nouveau président des États-Unis, fait le point sur les cent premiers jours de Trump 2 et montre en quoi l’Europe est en réalité mise au défi par l’administration américaine d’opérer ce qu’il appelle une « transition géostratégique».

Bruno Tertrais © Hannah Assouline

https://twitter.com/ZelenskyyUa/status/1916089502088524203

Causeur. Vous faites partie des observateurs qui, notamment dans nos colonnes, avaient prédit que nous serions déroutés par Donald Trump. N’avez-vous pas toutefois été surpris par l’ampleur de ses annonces ?

Bruno Tertrais. Il est déjà arrivé par le passé qu’un président républicain accomplisse des gestes spectaculaires de ce type sur la scène internationale. Ronald Reagan s’était retiré de l’UNESCO. George W. Bush était sorti du traité sur les ABM (Anti-Ballistic Missiles). Ce qui est différent avec Trump, c’est qu’il est capable de prendre des initiatives auxquelles personne ne s’attendait, comme lorsque, durant son premier mandat, il a tenté de réconcilier son pays avec la Corée du Nord. En soi, l’imprévisibilité n’est pas nécessairement une mauvaise méthode géopolitique. Elle peut s’avérer un excellent moyen de déstabiliser un ennemi. Pendant la campagne de 2024, Trump avait dit que Xi n’envahirait pas Taïwan car « il sait que [je] suis totalement fou ». Il reprend ainsi ce que Richard Nixon avait appelé la « théorie du fou » : faire croire que l’on est prêt à tout pour faire plier l’adversaire. Le problème c’est que son propre équilibre mental semble effectivement laisser à désirer ! Et surtout que Trump déstabilise non seulement ses adversaires mais aussi ses alliés, à commencer par nous, les Européens…

Comment expliquez-vous une telle transgression des règles ?

Par l’inexpérience de l’équipe désormais au pouvoir à la Maison-Blanche, mais aussi par la psychologie extraordinairement autocentrée de Donald Trump. Nous avons affaire à des amateurs qui ne semblent pas bien réfléchir aux conséquences de leurs paroles et de leurs actes. Je pense notamment à l’envoyé spécial des États-Unis pour l’Ukraine, le général Keith Kellogg, qui a déclaré, le 12 avril, que Kiev pourrait finir par ressembler au « Berlin d’après la Seconde Guerre mondiale ». Ou à Steve Witkoff, l’envoyé spécial pour à peu près toutes les crises – et dont la seule compétence politique est d’avoir la pleine confiance de Trump – qui, la veille à Saint-Pétersbourg, posait sa main sur son cœur au moment de saluer son hôte Vladimir Poutine. Et je ne parle pas de la boucle de discussion sur la messagerie Signal dans laquelle le rédacteur en chef du magazine The Atlantic s’est retrouvé invité par erreur de sorte qu’il a été témoin d’échanges secret-défense sur un bombardement américain au Yemen… Mais le comportement le plus stupéfiant demeure celui de Donald Trump, qui par pur narcissisme, multiplie les caprices et les prises de parole choc afin de se donner l’impression de maîtriser la situation.

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Reste qu’il est le président américain, donc par définition doté d’un immense pouvoir. Ne s’en sert-il qu’à mauvais escient ?

Il faut saluer la seule vraie réussite de son premier mandat que sont les accords d’Abraham, auxquels il a personnellement contribué.

On dit que le grand dessein de Trump est à présent de se découpler de la Chine…

C’est vrai, mais il s’agit là d’une constante américaine depuis au moins la présidence Obama. Et ce sera difficile, tant les deux économies restent liées.

Rien de neuf sur ce plan ?

Si, il y a quelque chose de doublement inédit dans la séquence que nous vivons. Du côté de la Chine, Pékin a décidé de rendre coup pour coup. Du côté de l’Europe, on assiste à un affaiblissement inédit de la relation transatlantique car elle concerne simultanément le domaine sécuritaire, le domaine commercial et celui des « valeurs ». Elle est telle que les dirigeants européens ont à présent de bonnes raisons de se demander s’ils ne devraient pas resserrer les liens avec Pékin. Je suis pour ma part hostile à cette éventualité, mais j’entends les arguments de ceux qui font valoir que la Chine, pays en pointe dans la production d’éoliennes, de panneaux solaires et de voitures électriques, a des solutions clé en main à bas prix pour nous aider à répondre au défi climatique. En somme, nous avons aujourd’hui deux options devant nous. Soit devenir dépendants de la Chine, pour favoriser la transition énergétique. Soit entrer dans une épreuve de force avec elle, pour achever notre transition géopolitique, et acquérir une autonomie face aux grandes puissances.

Pourquoi faudrait-il opérer une transition géostratégique ?

On peut craindre que l’Amérique soit en passe de calquer sa conduite sur celles de la Chine, la Russie, la Turquie et l’Iran, ces néo-empires qui rêvent de se partager le monde en zones d’influences.

On n’en est pas encore là pour l’Amérique, n’est-ce pas ?

Effectivement. Les points de rupture ne sont pas atteints. Les Etats-Unis font encore partie de l’Otan et n’ont pas envahi le Danemark, le Groenland ou le Panama.

Faut-il vraiment prendre ces menaces aux mots ?

Pas au mot. Mais au sérieux. Il n’est pas fantaisiste d’imaginer que les Etats-Unis arrivent à faire rentrer le Groenland dans leur giron.

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En intervenant militairement ?

Non, Trump n’aime pas la guerre, qui nuit aux affaires. Et il rêve du Prix Nobel de la paix, notamment parce qu’Obama l’a eu. Je pense plutôt à un rapprochement pacifique, exactement comme celui dont rêve la Chine pour Taïwan.

Votre dernier ouvrage porte sur Israël[1]. L’Etat hébreu peut-il compter sur un président américain aussi lunatique ?

Je suis intimement persuadé que Trump se moque des Juifs. Mais la question n’est pas là. Il a une connivence indéniable avec Benyamin Netanyahou, même si leurs relations personnelles sont difficiles, et ses signes de soutien répétés à la sécurité de l’Etat juif sont bienvenus pour Jérusalem, surtout après le 7-octobre. Seulement l’agenda de Netanyahou ne se limite pas à l’affaiblissement des ennemis existentiels d’Israël. Il a aussi l’intention d’annexer tout ou partie de la Cisjordanie, une région où des exactions sont commises dans les deux camps. Or Trump a nommé comme ambassadeur à Jérusalem Mike Huckabee, un ex-pasteur baptiste qui ne fait pas mystère de son hostilité à la solution à deux Etats. On peut craindre  qu’en encourageant les Israéliens dans une voie radicale, les Américains précipitent l’État juif dans l’isolement international.

Pour l’heure, Trump a entamé, au grand dam de Netanyahou, des pourparlers avec les Iraniens sur le nucléaire. Aboutiront-ils à un accord ?

J’en doute énormément, car les lignes rouges des deux parties sont trop éloignées. A mon sens, ces discussions ont plusieurs buts. Du côté américain, donner une nouvelle chance à Trump d’apparaître comme un faiseur de paix, voire de justifier en cas d’échec une action militaire israélienne. Du côté iranien, de gagner du temps et tenter d’éviter la guerre. Mais les dirigeants de Téhéran se disent peut-être que tout est possible avec Trump, y compris un accord qui leur serait favorable. Steve Witkoff a d’ailleurs donné initialement l’impression d’être prêt à tout lâcher, ce qui a causé la panique dans le camp républicain et chez les Israéliens…


[1] La Question israélienne, L’Observatoire

Aboubakar Cissé ne priera plus

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Le suspect du meurtre survenu vendredi dans une mosquée à Grande-Combe (30) s’est rendu à la police en Italie. À l’extrême gauche, on instrumentalise le drame pour accabler le ministre de l’Intérieur, et tenter de réhabiliter le terme polémique d’ « islamophobie » – un terme piégé, rappelle Elisabeth Lévy.


Le meurtre d’Aboubacar Cissé, 20 ans, dans une mosquée proche d’Alès est une dramatique première en France – un musulman tué dans une mosquée alors qu’il priait. Cela provoque chez tous une immense tristesse, et de l’effroi devant la sauvagerie – on parle de 50 coups de couteaux. On pense à ses proches, aux Grand-Combiens qui semblaient avoir adopté ce jeune Malien, à nos compatriotes musulmans et à tous les croyants qui ont peur maintenant quand ils vont prier.

Malgré la légitime prudence du procureur, il est difficile de ne pas voir dans un tel crime se produisant dans une mosquée une dimension raciste ou anti-musulmane.

Une dimension anti-musulmane qui semble évidente

La condamnation est unanime, du président de la République, du Premier ministre et de la classe politique. Cela n’empêche pas Dominique Sopo de SOS Racisme de dénoncer un soi-disant silence assourdissant.

À gauche, on déroule le narratif habituel. Ceux qui hurlent d’ordinaire à la récupération et à l’instrumentalisation quand on s’interroge sur le terreau d’une agression islamiste, antisémite ou antiblanche se jettent sur l’événement avec ce que les Allemands appellent la « Schadenfreude » – cette joie mauvaise. On vous l’avait dit, l’islamophobie tue.

En quelques heures, nous avons assisté à une déferlante de communiqués des élus insoumis. Jean-Luc Mélenchon, qui qualifiait les assassinats de Merah d’incidents: « Le meurtre d’un musulman en prière est le résultat des incessantes incitations à l’islamophobie ». C’est la faute à Retailleau, à CNews et à Le Pen. Surtout Retailleau, d’ailleurs. Le ministre de l’Intérieur avait piscine, persifle Sopo. Non : il est ministre des cultes et avait enterrement du Pape.

Il est vrai que l’ « islamophobie » se répand en France, me dit-on…

Comme Manuel Valls, je récuse ce terme, inventé par les Mollahs pour discréditer et criminaliser toute critique de l’islam. Pour le recteur de la mosquée de Bordeaux, ce sont les discours politiques sur l’islam et l’immigration qui nourrissent la haine. Non : ce qui nourrit la haine, c’est le déni.

On a le droit de détester l’islam, le marxisme, le judaïsme voire la théorie de la relativité. Ce qui est criminel et attentatoire à la République c’est d’agresser des musulmans, des juifs ou des disciples d’Einstein.

De plus, convenons qu’en matière de critique, l’islam ne montre pas toujours son meilleur visage. En France, ce n’est pas l’islamophobie qui tue le plus souvent des journalistes, des professeurs, des juifs ou des chrétiens – mais l’islamisme. L’emprise croissante des Frères musulmans est une autre réalité. Selon un sondage paru hier, 88 % des Français (et 75% des sympathisants LFI !) sont favorables à l’interdiction des Frères musulmans. Tous des fachos ?

Pour Mélenchon, l’islamophobie est un étendard politique – on le sait. C’est plus fâcheux chez François Bayrou (« ignominie islamophobe »), carrément surprenant chez Laurent Wauquiez. Derrière ce terme de faussaire, il y a le récit fallacieux d’une France gangrenée par le racisme antimusulman. En réalité, des tas de Français musulmans sont ultrapopulaires. Les Français sont très accueillants et tolérants. Mais, ils ne veulent pas changer leur façon de vivre. Puisque l’on considère nos concitoyens musulmans comme des concitoyens à part entière, ils doivent accepter comme les autres la critique.

A Grand-Combe, le racisme anti-musulman a fait son premier mort. C’est évidemment un de trop. Nous voulons tous que ce soit le dernier. Sauf ceux qui pensent que quelques martyrs serviraient leur cause et leur pouvoir. Suivez mon regard.


Cette chronique a d’abord été diffusée sur Sud Radio

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Élections fédérales au Canada: la vague conservatrice reportée à date ultérieure!

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Le nouveau Premier ministre canadien Mark Carney danse dans son pull "DWW" au son de son groupe canadien préféré Down With Webster alors qu'ils jouent en direct au siège de la campagne après la victoire du Parti libéral aux élections canadiennes à Ottawa le mardi 29 avril 2025 © Sean Kilpatrick/AP/SIPA

Le Canada a voté, mais pour quoi au juste ? En s’invitant bruyamment dans la campagne, Donald Trump a offert aux Libéraux une victoire inattendue, fondée non sur leur bilan, mais sur un vieux réflexe de survie nationale. Une élection gagnée par défaut, un pouvoir sans cap clair: la vague conservatrice est reportée, pas annulée


L’élection fédérale anticipée de 2025 n’a pas couronné un projet, la peur. La campagne fut marquée par un vote utile contre Donald Trump, à l’image de la présidentielle française de 2022 où Emmanuel Macron a en quelque sorte capitalisé sur un vote rejet de Vladimir Poutine. Seulement, une telle élection ne tranche pas les réponses à apporter aux préoccupations populaires. À terme, cette incapacité à répondre aux grandes attentes populaires pourrait même ouvrir un espace béant pour une future vague conservatrice, peut-être plus sérieuse et plus structurée.

Les Libéraux en tête

Le 28 avril 2025 devait marquer la fin d’une ère, après le raz-de-bol de la gouvernance Trudeau. Pouvoir d’achat en berne, croissance anémique, crise du logement, immigration massive, montée de l’insécurité : tout concourait à une alternance historique. En 2024, le PIB du Canada a péniblement progressé de 1.5%, bien en dessous de la moyenne des pays développés. Pendant ce temps, l’inflation se maintenait à 3%, grignotant le pouvoir d’achat des ménages. Le prix moyen d’une maison atteignait 746 000 dollars canadiens (environ 475 000 €), condamnant des générations entières à renoncer à la propriété tout en devant affronter des loyers explosant. À cela s’ajoutait un afflux migratoire sans précédent: 1,45 million d’immigrants en deux ans ! Corollaire de ce point, l’insécurité a explosé : +20 % d’augmentation des crimes violents entre 2023 et 2024, des taux d’homicides et d’agressions au plus haut depuis 20 ans. Face à ce tableau, les Conservateurs de Pierre Poilievre étaient donnés à près de 20 points d’avance en début d’année rendant inévitable une alternance d’autant plus que le voisin américain avait vu le triomphe d’un projet conservateur en novembre 2024 – celui de Donald Trump.

Mais non. D’un vote anti-Trudeau, les Canadiens sont passés à un vote anti-Trump ! Depuis son élection, le président américain a multiplié les provocations contre Ottawa : menaces de droits de douane, déclarations provocatrices sur « l’énergie canadienne au service de l’Amérique », insinuations sur la souveraineté des provinces pétrolières et surtout déclarations fracassantes sur l’annexion. Le choc a été immédiat. Plutôt que de voir l’élection se polariser sur le bilan libéral, les Canadiens ont vu ressurgir la vieille peur d’une menace américaine, un « effet drapeau ». In fine, le candidat triomphant est celui qui défendrait le plus la souveraineté américaine face à l’impérialisme trumpiste.

A ce jeu, le candidat conservateur s’est retrouvé pris en étau entre le soutien d’une partie de sa base à Donald Trump et le recentrage de la campagne des Libéraux de Mark Carney contre M. Trump en incarnant la parfaite antithèse. Ainsi, les Libéraux, donnés battus quelques semaines auparavant, arrachent finalement 169 sièges sur 343. Insuffisant pour une majorité absolue, mais assez pour se maintenir au pouvoir…

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« L’effet drapeau » pourrait ne pas durer

Derrière la victoire apparente, le constat est sévère : jamais les Libéraux n’ont été aussi fragiles politiquement. Comme en 2019 et 2021, ils devront gouverner en minorité, sans véritable assise parlementaire. Avec 169 sièges, Mark Carney devra composer au cas par cas avec le NPD ou le Bloc québécois. Dans le meilleur des cas, M. Carney peut espérer un accord de non-censure avec le NPD, mais cela devrait prendre du temps comme en 2022. Le futur gouvernement Carney, fragile et minoritaire, devra naviguer dans une mer instable avec une embarcation trouée. Chaque mois qui passera sans réponse concrète aux attentes populaires verra croître l’impatience, puis la colère. La prochaine élection, qu’elle survienne dans quatre ans ou dans quelques mois, pourrait alors être le théâtre d’un véritable raz-de-marée conservateur.

Or, si les Libéraux ont capitalisé sur ce fameux « effet drapeau », à savoir un vote sur l’idée qu’ils protégeraient la souveraineté canadienne, cela pourrait ne pas durer. En effet, il ne faut pas oublier que la souveraineté du Canada a été profondément abîmée par les Libéraux. Quel pays peut-il se prétendre encore vraiment souverain, lorsqu’il ne parvient pas réguler une vague migratoire ou lorsque son économie est à ce point désarmée ? En 2022, Emmanuel Macron incarnait chez nous aussi le « vote drapeau ». Mais, dépourvu de majorité absolue après les législatives de 2022, il est depuis condamné à l’inaction, le conduisant à la défaite des Européennes qui a provoqué la crise politique de la dissolution.

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La vague conservatrice reportée ?

Si la déception est palpable chez les Conservateurs, ils n’ont pas tout perdu, loin de là. Avec 144 sièges, ils réalisent un score solide, gagnant du terrain dans les banlieues ontariennes, dans les provinces de l’Ouest, et même dans certaines régions de l’Atlantique. Leur dynamique de terrain a été impressionnante : salles combles, militants surmobilisés, implantation renforcée. La base électorale conservatrice est aujourd’hui plus large, plus stable, plus combattive qu’en 2021. La défaite tient à peu de chose. Sans la peur suscitée par Trump, les Conservateurs étaient sur la voie d’une victoire, au minimum d’un gouvernement minoritaire, ce qui aurait été une première depuis 10 ans.

Reste une ombre au tableau : Pierre Poilievre a perdu son propre siège de député. Une gifle politique difficilement surmontable. Depuis Kim Campbell en 1993, aucun leader fédéral majeur n’a survécu à une telle humiliation. Dans les faits, Poilievre n’est pas politiquement condamné, une démission pour lui trouver un siège et convoquer une élection partielle est possible. Mais les grandes manœuvres internes pourraient s’activer pour l’éjecter, alors que rien ne force les députés à démissionner pour ses beaux yeux. Si une fronde interne éclatait, tous les regards se tourneraient vers Doug Ford, fraîchement réélu Premier ministre de l’Ontario. Ford incarne un conservatisme pragmatique, capable de conjuguer discipline budgétaire et ouverture sociétale, autorité et gestion du quotidien. Moins idéologue que Poilievre, plus rassurant pour le centre-gauche modéré, Ford pourrait offrir aux Conservateurs une voie royale vers le pouvoir.

Donald Trump et JD Vance qui souhaitaient initier une « Seconde révolution conservatrice » dans le monde occidental, ont paradoxalement tué la première option de victoire de conservateurs dans leur plus proche voisin. Mais, le réel semble donner raison à la vague conservatrice. Une question subsiste : après en avoir été la figure de proue, l’Amérique trumpiste ne constituera-t-elle pas un boulet à l’ascension de la vague conservatrice ?

Les dessins joailliers, trésor caché du Petit Palais

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© Gautier Deblonde

La formidable et fragile collection de dessins de bijoux du Musée du Petit Palais est exposée pour la toute première fois. Et on y découvre les plus grands noms de la joaillerie.


Ce ne sont pas que des dessins de bijoux, d’ailleurs souvent présentés avec les joyaux pour lesquels ils ont servis de modèles. Mais bien des œuvres d’art à part entière, dessinées avec un raffinement, une élégance, une science, un réalisme époustouflants. Et qui sont parfois plus spectaculaires encore que leurs incarnations en pierres précieuses, perles, or et émaux.

Ils ont été pensés, couchés sur du papier translucide à l’échelle 1, c’est-à-dire grandeur nature, colorés à la gouache, mis en relief avec un savoir-faire éblouissant par des artistes engagés par les plus grands joailliers d’une période de création qui s’étend sur un siècle, du règne de Napoléon III à l’immédiat après-guerre, des années 1850 aux années 1950.

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Papillons fabuleux d’émaux et de diamants

Les plus beaux de ces joyaux ont été conçus dans l’esprit Art Nouveau ou Art Déco. Mais aussi dans ce style Néo Renaissance prisé dans la seconde moitié du XXe siècle. Ou dans un genre XVIIIe très en vogue sous le Second Empire.

Et un seul bijou peut constituer tout un monde à explorer…

On s’y noie avec cette « Naïade » d’or, d’écaille et d’émail ou ces « Cygnes et nénuphars » voguant sur un peigne d’ivoire (Eugène Grasset pour Vever Frères).

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On s’y égare dans un jardin enchanté, comme avec ce nécessaire du soir dessiné pour la maison Boucheron où papillons fabuleux et insectes fantasmés, en émaux et diamants, se perdent dans une végétation d’or pur. Ou avec ce collier réalisé par le joaillier Georges Fouquet à partir d’un dessin de Charles Desrosiers et représentant des fleurs de fuchsias, tout en diamants, perles et émaux, destinées à tomber en cascade sur la gorge d’une élégante.

Dessinateur non identifié pour Boucheron, Nécessaire papillons, vers 1945.
Crayon graphite, encre et gouache au recto, encre et gouache au verso sur
papier vélin translucide, 14,8 × 21,9 cm.
Boucheron Paris. Modèles déposés.
Petit Palais, Musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris.
Achat sur les arrérages du legs Dutuit, 2002.
(c) Paris Musées / Petit Palais, Musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris.
Georges Fouquet, d’après un modèle de Charles Desrosiers, Collier «Fuchsias», vers 1905.
Or, émaux à jour sur paillons, diamants, perles et opales. 23 × 13 cm.
Petit Palais, Musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris.
Achat à Georges Fouquet, 1937.
© ADAGP, Paris, 2025, Georges Fouquet – Paris Musées / Petit Palais, Musée des Beaux-Arts
de la Ville de Paris.

Ou encore avec le dessin de cette broche imaginée sous le Second Empire pour le joaillier Léon Rouvenat où fleurs et graminées s’abandonnent en une pluie de perles et de diamants.

Dessinateurs non identifiés pour Léon Rouvenat, Broche, années 1850-1870.
Crayon graphite, aquarelle et gouache sur papier vélin translucide, 16,3 × 10,8 cm.
Petit Palais, Musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris.
Don Marc Bascou, 2018.
(C) Paris Musées / Petit Palais, Musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris.

De l’Égypte à la Chine

Les sources d’inspiration foisonnent : la nature, donc la végétation, l’eau ou les figures animales, mais aussi l’architecture, la géométrie, l’histoire, l’Egypte antique, le Japon, la Chine, le siècle de Louis XV… tout a été sujet à création. Et les plus grands noms de la joaillerie s’engouffrent dans cette cohorte prestigieuse : Rouvenat, Boucheron, Cartier, Fannière, Deraisme, Lalique, Vever, Fouquet… Beaucoup étant apparus sous le Second Empire qui fut l’une des périodes les plus fastueuses de l’histoire de la France.

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Une collection exceptionnelle

La collection de dessins de bijoux que recèle le Petit Palais s’élève à plus de cinq mille cinq cents exemplaires. C’est un trésor qui ne s’est réellement constitué qu’à l’extrême fin du XXe siècle, dès 1998, mais dont certaines pièces dormaient depuis longtemps dans les réserves du musée en compagnie de fastueux bijoux déposés dès la création de ce dernier en 1902.

On les expose donc avec, en regard, leur accomplissement d’or et de pierreries, mais aussi en évoquant le parcours fascinant qui conduit le joyau de son esquisse à sa réalisation. De la chrysalide au papillon.


Dessins de bijoux : les secrets de la création

Exposition au Petit Palais, Paris. Du mardi au dimanche, de 10h à 18h et jusqu’à 20H les vendredis et samedis.  Jusqu’au 20 juillet 2025. 14 €

Hors la loi mais de bon aloi

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Stars d’un jour… Quand les commerçants font justice eux-mêmes, grâce aux photos de télésurveillance, le Code pénal court derrière une loi déjà braquée par la réalité. Et finalement, les voleurs posent sans broncher pour la photo.


Ne jamais mettre la charrue avant les bœufs, sauf quand elle charrie un Code pénal qu’il faut parfois pousser au cul pour faire avancer les choses… À l’Assemblée, le député centriste Romain Daubié a récemment déposé une proposition de loi « visant à améliorer la sécurité des commerçants », en les autorisant à diffuser à l’entrée de leur magasin ou sur les réseaux sociaux, la photo des voleurs à l’étalage filmés par la vidéo-surveillance.

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Or cette loi qui n’a pas encore été discutée, ni votée, est déjà en vigueur, expérimentée et appliquée par des commerçants qui n’hésitent pas à afficher la bobine de leurs voleurs, pour les culpabiliser et les dissuader de récidiver. Selon Jerôme Jean, président de Ras le vol, association de commerçants fatigués de ces larcins qu’aucune assurance ne couvre (et dont trois commerçants sur quatre déclarent avoir déjà été victimes), ce procédé « hors la loi » est efficace à 80% ; les épinglés, ou leurs proches, revenant sur les lieux du délit pour effacer l’ardoise et ne plus être à l’affiche. Des voleurs qui, n’en déplaise aux Jean Valjean de pacotille de la France impunie, ne sont pas des misérables qui volent pour manger : les articles les plus ciblés sont les vêtements de marque, les parfums et les alcools.

Plus significatif encore est le fait que jamais, ou presque jamais, les voleurs affichés ne portent plainte pour atteinte à leur image… Faut dire que la majorité de ces délinquants préfère éviter d’avoir affaire avec la justice, ou la police, qui les connaît déjà et les recherche parfois pour d’autres méfaits et dérobades…

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Ainsi une loi, pas encore officiellement reconnue mais fille du bon sens populaire, peut s’avérer d’utilité publique… Il y a actuellement un élu « hors la loi » pour avoir refusé de marier un OQTF (immigré devant être expulsé), alors que dans le même temps le Parlement examine une loi autorisant les maires à ne pas marier un OQTF… Adoptée, cette loi devrait porter le nom de son père naturel, le maire de Béziers, Robert Ménard[1].


[1] A ce sujet relire, Causeur n°132 Robert Ménard: le fou rire et l’effroi

Trump II: l’Amérique, miroir fêlé de l’Occident?

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Une affiche du président américain Donald Trump portant l'inscription "America's Back. The first 100 days" est accrochée au mur d'un batiment à Capitol Hill, à Washington D.C. On peut y lire: "Démantelement de l'Etat bureaucratique", "Sécurisation de la frontière", "Protection des femmes et des filles", "Eliminer le gaspillage gouvernemental" © Thomas Müller/DPA/SIPA

56% des Américains ont actuellement honte du locataire de la Maison-Blanche, selon l’IFOP[1]. Un électeur de Trump sur quatre (24%) en est même venu à regretter d’avoir voté pour le magnat de l’immobilier lors du scrutin présidentiel de novembre 2024.


Paradoxale Amérique : d’un côté, elle reconduit Donald Trump à la Maison-Blanche; de l’autre, elle en a honte. Trois mois après son retour tonitruant au pouvoir, le président américain est jugé sévèrement par une majorité de ses concitoyens. Selon une enquête IFOP pour NYC.eu, 56 % des Américains déclarent avoir « honte » de leur président. Une majorité significative, qui grimpe à 60 % chez les moins de 25 ans et atteint même 69% parmi les Noirs américains. L’ironie veut que même dans son propre camp, la gêne affleure : 23 % des Républicains reconnaissent aujourd’hui ne plus assumer leur vote.

Certains vont plus loin: un électeur trumpiste sur quatre regrette son choix de novembre dernier. Un chiffre édifiant, révélateur d’un climat de désillusion précoce. Car si Trump conserve l’appui inébranlable d’une base qui le suit les yeux fermés, le vernis s’effrite. Sa popularité chute : 44 % d’approbation, soit le score le plus bas pour un président américain à ce stade de son mandat depuis des décennies.

La guerre culturelle comme programme de gouvernement

Pourtant, Trump ne gouverne pas en rupture avec son électorat. Sur des sujets clivants comme l’identité de genre, l’immigration ou l’écologie, ses positions conservatrices bénéficient d’un soutien majoritaire. 62 % des Américains approuvent l’exclusion des transgenres des compétitions féminines. 57 % veulent inscrire dans la loi qu’il n’existe que deux sexes. Et 54 % soutiennent l’exploitation pétrolière, même si seulement 30 % approuvent le retrait des États-Unis de l’Accord de Paris.

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Cependant à Bandera, petite ville texane autoproclamée « capitale mondiale des cow-boys », l’ambiance est toute autre[2]. Ici, Trump est roi. Dans son « Trump Store », Wyatt Forster vend des casquettes MAGA, des tee-shirts moquant les « wokistes » et des figurines du président fabriquées en Chine — paradoxe que ses clients assument sans ciller. Le soutien y est inconditionnel, identitaire (presque tribal, à lire le sujet que consacre Le Parisien à la localité ce jour !), imperméable aux volte-face diplomatiques ou aux revirements économiques. On ne vote pas pour un programme, on adhère à une revanche. Celle d’une Amérique blanche, rurale, chrétienne, qui voit dans Trump non pas un président, mais un vengeur. Le ressentiment alimente la fidélité : peu importe si les promesses tardent, tant qu’il tient tête aux élites, aux migrants et aux juges. Le contraste avec la majorité honteuse évoquée par l’étude Ifop est saisissant : deux pays, deux réalités, une même bannière étoilée.

Mais c’est sur le terrain international que le président Trump prend de court ses compatriotes. À rebours d’une opinion favorable à l’Ukraine (66 % des Américains veulent continuer de soutenir Kiev, y compris 57 % des Républicains), il persiste à vouloir couper les vivres au régime de M. Zelensky. Même fracture sur les hausses de tarifs douaniers décrétées le 2 avril : 49 % des Américains s’y opposent, tandis que 45 % approuvent. Un clivage net, profondément idéologique.

18% des Français pour les protections douanières américaines

La France, elle, observe tout cela avec une stupeur teintée d’incompréhension. L’étude IFOP révèle à quel point les mesures trumpiennes — qu’elles touchent au climat, aux minorités ou à la géopolitique — sont massivement rejetées par les Français. À l’inverse d’une Amérique fracturée, la France reste relativement unie dans son rejet de cette vision du monde. À peine 18 % des Français approuvent la guerre commerciale déclenchée par Trump, et seuls 28 % soutiennent l’exclusion des transgenres du sport féminin. En vérité, cette seconde présidence Trump agit comme un révélateur brutal : celui d’une polarisation extrême de la société américaine, où chaque ligne de fracture — sociale, raciale, religieuse — devient ligne de front. La politique n’est plus affaire d’opinion, mais d’identité. Et si Donald Trump cristallise les haines comme les fidélités, c’est peut-être parce qu’il incarne à lui seul cette Amérique en guerre contre elle-même.

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[1] « Étude Ifop pour NYC.eu réalisée par questionnaire auto-administré en ligne auprès d’un échantillon national représentatif de 1 225 Américains âgés de 18 ans et plus (8-10 avril 2025), et d’un échantillon national représentatif de 1 000 Français âgés de 18 ans et plus (9-10 avril 2025)

[2] https://www.leparisien.fr/international/etats-unis/dans-la-capitale-mondiale-des-cow-boys-les-fans-de-trump-combles-par-ses-100-premiers-jours-au-pas-de-charge-29-04-2025-V5KW252K3RFTNKVGML7XUFYSKU.php

L’Union européenne et la recherche «scientifique»

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10 millions d’euros pour un « Coran européen » ? Le projet scientifique interpelle et fait polémique.


Toute science vient de Dieu.
Origène


Au commencement fut la philosophie : une démarche qui vise à la compréhension du monde et de la vie par une réflexion rationnelle et critique. Même si les médiévaux européens utilisaient souvent encore le mot « scientia » comme synonyme de philosophie, on conviendra que, dans l’usage moderne, ce terme vise surtout les connaissances relatives à la nature (physique, chimie, biologie…), les sciences « dures », même si, parfois, on parle de « sciences humaines », « science historique », etc., afin de mettre en relief une méthode d’étude cohérente de ces domaines.

Or, la mission de la European Research Council/Conseil européen de la recherche (ERC) consiste à financer « des projets de recherche exploratoire, aux frontières de la connaissance, dans tous les domaines de la science et de la technologie ». Le seul critère de sélection est celui de l’« excellence scientifique ». À supposer qu’il y eût flou quant au champ d’application du mot « science » en l’espèce, sa juxtaposition avec la technologie signifie qu’il s’agit plutôt de science « dure ». Et en effet, on fait état sur son site de projets relatifs à la biodiversité en cette période de changement climatique, de recherche fondamentale en matière de mécanismes biologiques et de pathologies humaines, sans oublier l’agriculture, la biotechnologie et la médecine, etc. De toute manière, dans un monde de rareté, les priorités en matière d’allocation judicieuse des ressources sont évidentes.

Réécriture de l’histoire

C’est donc avec un certain étonnement que l’on apprend par le Journal du dimanche (JDD) que, en 2018, l’ERC a accordé, au titre de l’ « excellence scientifique » une petite enveloppe de presque 10 millions d’euros au projet « EuQu » (pour « Coran européen »)  d’une durée de six ans1. Sauf erreur, cette bourse « Synergy » ne fit pas l’objet d’une publicité triomphale et tapageuse lorsqu’elle fut décernée. Il s’agit d’expliquer comment le Coran a influencé la culture et la religion en Europe, entre 1150 et 1850. « Ce projet repose sur la conviction que le Coran a joué un rôle important dans la formation de la diversité et de l’identité religieuses européennes médiévales et modernes et continue de le faire » (…) EuQu cherche à remettre en question à la fois les perceptions traditionnelles du texte coranique et des idées bien établies sur les identités religieuses et culturelles européennes». Enfin, le « projet aborde les questions urgentes et actuelles en Europe et promet d’ouvrir de nouvelles perspectives sur nos sociétés multireligieuses2 ». (Non souligné dans l’original).

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Il est donc essentiellement soutenu que le monde arabe ne se serait pas borné à retransmettre la métaphysique et la logique aristotéliciennes à l’Occident, ce qui relativise la contribution d’un Averroès et ou d’un Al-Farabi, au profit d’un texte dogmatique où sont scrupuleusement et méthodiquement consignées les révélations communiquées au prophète par l’archange Gabriel.

Des expertises reconnues, pour des conclusions qui semblent connues d’avance

Pourquoi pas ? Tout cela est bel et bien, et nul n’oserait nier l’expertise des participants à ce magnifique thème, comme on peut le constater sur le site, hélas truffé d’anglicismes, de « Nantes université » (sic) : le projet a pour intitulé  « EuQu – The European Qur’an – ERC Synergy Grant » (sic); l’on recense les « Membres de l’Advisory Board » (sic); enfin il est précisé que le médiéviste John Tolan en est le « Principal Investigator » (sic); à croire que le Brexit n’a jamais eu lieu. Incidemment, à noter aussi la présence de la professeure Naima Afif, traductrice des textes de Hasan el Banna (le fondateur des Frères musulmans) dans un livre édité par les Éditions Tawhid fondée en 1990 par l’Union des jeunes musulmans (section jeunesse Frères musulmans).

Cela dit, vu la « conviction » affichée par les « innevaissetigatorzes » du projet, on ne peut exclure le sentiment que leurs conclusions étaient déjà, sinon préétablies, au moins latentes dans leur esprit dès le départ. Pourrait-on voir dans la campagne de communication du Conseil de l’Europe lancée en 2021 sous le très orwellien titre « La liberté dans le hijab » une sorte de bande-annonce?…

En outre, ce thème eût plutôt dû faire l’objet d’une thèse de doctorat qui n’aurait engagé que la réputation et les ressources du thésard, de son université et d’éventuels organismes commanditaires privés, et non pas les fonds de l’Union européenne. Qu’à cela ne tienne. Le généreux contribuable et lecteur européen lambda brûle d’impatience de dévorer ces beaux travaux en 2026. Tout un best-seller en perspective qu’il jugera sur pièce. L’éradication des hémorroïdes et du cancer colorectal peut attendre.


  1. https://www.lejdd.fr/Societe/10-millions-deuros-pour-un-coran-europeen-enquete-sur-un-projet-polemique-finance-par-lunion-europeenne-157015 ↩︎
  2. https://euqu.eu/the-european-quran ↩︎

C’était le Quartier Latin

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L’effervescence artistique et intellectuelle du XIXe siècle a sa géographie : le Quartier Latin, sur la Rive gauche parisienne, et Montmartre, sur les hauteurs de la capitale. Des centaines de clubs animés par des personnalités hautes en couleur ont abrité une vie déjantée difficilement concevable de nos jours. Suivez le guide !


Dernier livre paru : Les Enragés de la liberté. Anthologie des pamphlétaires du XVIe au XXe siècles, (préface d’André Bercoff), Max Milo, 2023.


Les Hydropathes. Dans la déliquescence actuelle, ce nom bizarre, quasi hermétique, est incompréhensible pour le commun des mortels.

Qui étaient-ils ? Le Cornet, membre de la Société Artistique et Littéraire de l’époque décrit une jeunesse composée de « godelureaux, basochiens, carabins, futurs princes de la science et de la République » se croisant dans « un mélange de gravité philosophique, de curiosité scientifique et de fumisterie joyeuse ». Ces jeunes gens, et de moins jeunes, menaient au Quartier Latin une existence intense et ludique. Artistes, peintres, poètes, romanciers, journalistes et étudiants de toutes les facultés (âgés de vingt à trente ans) se retrouvaient pour célébrer les déesses de la pensée. La gravité philosophique inspirée par Taine et Renan, la curiosité scientifique animée par les théories de Darwin et la fumisterie joyeuse fécondée par des humoristes divers, tels Alphonse Allais et Sapeck, Coquelin Cadet, Edmond Haraucourt, le magicien Charles Cros, chez lequel s’accouplaient l’esprit littéraire et l’esprit scientifique (il fut l’inventeur du premier phonographe et un chercheur exceptionnel), mais également Paul Bourget, Raoul Ponchon, André Gill…

Tous se réunissaient le mercredi et le samedi, chaque semaine, puis les réunions devinrent quotidiennes, rassemblant plus de cinq-cents personnes, récitant des poèmes, chantant voluptueusement ou virulemment, déclamant des monologues.

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Mais qu’en est-il de cette appellation curieuse ? On ne la retrouve pas dans le dictionnaire. Quelle en est son étymologie, quelle en est la signification ? Cela veut-il dire : qui souffre de l’eau ou qui se soigne avec l’eau ? N’est-ce pas plutôt : qui n’aime pas boire de l’eau ? Le fondateur du Club des Hydropathes, Émile Goudeau, dont il nous faudra décliner l’histoire, avait un goût prononcé pour les boissons liquoreuses, et lorsqu’il mit en regard ce mot à celui de son nom décomposé, « Goût-d’eau », il ne pût que céder, à nouveau, à la tentation et se soumit à cette identité. Ainsi fut constituée cette société, le 11 novembre 1879, devant soixante-quinze participants qui l’élurent président par acclamation.

Mais avant de plonger dans l’histoire du Club, évoquons-en les épisodes et la mémoire.

« Le Quartier Latin, Pays de l’insouciance gauloise et bivouac d’avant-garde de toutes les idées nouvelles » (Jules Vallès).

Après le prodigieux succès des chansons de Béranger, une profusion de « goguettes » voit le jour et, en 1845, ce sont cinq cents sociétés chantantes qui habitent Paris et sa banlieue et font roucouler ou bramer des chansons libertines, frondeuses et des romances. Eugène Sue et Gérard de Nerval en ont fait la description et Lacenaire s’y promouvait. Celles de la Rive Gauche offrirent à la jeunesse littéraire la liberté de déclamer leurs œuvres en public et de penser et partager celles-ci en toute liberté. Le poète de La Chanson des Gueux, Jean Richepin, les décrivit ainsi : « J’ai précédé au Quartier Latin les groupements naturaliste et symboliste et les Hydropathes. Les Hydropathes dont Émile Goudeau fut l’initiateur, ce grand méconnu auteur de ces Fleurs de Bitume que je tiens pour un chef-d’œuvre. »

Ces cénacles très divers se réunissaient dans des estaminets, la brasserie Sherry Cobber accueillait Richepin, Bourget, Mallarmé, Ponchon, Villiers de l’Isle Adam et même François Coppée. Une autre brasserie de la rue Racine regroupait Rollinat, Charles Frémine, Georges Larsin mais aussi Joseph Gayda, Jean Moréas et Léon Tailhade. Le cénacle Baudelaire tenait ses réunions dans le café Tabourey. Au Voltaire, on retrouvait des membres de l’Institut et de la Sorbonne et le virulent Jules Vallès y siégeait. N’oublions pas le café Mariage, le café Théodore, le Procope, la Vachette avec Paul Valéry, Faguet et l’Abbaye avec Georges Duhamel et Jules Romains.

Léon Daudet, dans ses Trente ans de Paris, en fait une merveilleuse et exhaustive description, évoquant l’atmosphère de l’époque. Ces artistes et hommes de lettres côtoyaient des jeunes gens dans une effervescence particulière.

Mais il nous faut maintenant ressusciter Émile Goudeau qui lors de la disparition du Club des Hydropathes, remplacé par les Hirsutes, devint le pontife du Chat Noir. Ce cercle fondé en 1881 par le peintre Rodolphe Salis donna naissance, boulevard Rochechouart, à Montmartre, à un cabaret qui allait devenir prestigieux et réunir les anciens Hydropathes, Hirsutes et toute la jeunesse qui les escortait. Même Léon Bloy était de la fête.

Goudeau a cristallisé le nomadisme culturel en créant un Olympe de même identité. Né à Périgueux en 1850, fils d’un sculpteur distingué, il est élevé chez les religieux, devient professeur (à 16 ans), déambule de ville en ville et atterrit à Paris en 1869 où il se précipite dans le journalisme et la politique. Après la guerre de 1870, il devient journaliste à Bordeaux avant de revenir à Paris en 1873 pour entrer au ministère des Finances. Mais la vie de bureau lui fait horreur tant elle lui paraît fade. Il démissionne et fréquente épisodiquement, et discrètement, les réunions du Sherry Cobber. « Plein d’illusions et de suffisances, grandiloquent, improvisateur infatigable, il épanouissait aux lampions du boulevard St Michel une redondante verve gasconne. Sa voix éclatante de méridional avait la sonorité d’un violoncelle et, comme il récitait de bonne grâce, l’auditoire n’avait pour lui que sourires et faveurs. Il s’habillait avec un soin trop visible d’accrocher les regards et de fait, dans le milieu étudiant et des bohèmes, il ne passa pas inaperçu », écrit Laurent Tailhade. Il devint dès lors le plus imposant des animateurs de la vie du Quartier Latin et l’un des parangons de la culture mariée à la joie de vivre.

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Comme en témoigne Sarcey, aux Hydropathes et plus tard au Chat Noir, les poètes et les chansonniers clament leurs œuvres devant un imposant public polymorphe, éclectique et à l’esprit ouvert : dans le champ de la poésie, il y a place pour tout le monde et toutes les fantaisies, y compris les débordements et les dévergondages bachiques d’un soir de bal – comme l’a férocement écrit Louis Veuillot.

Ainsi fût donné le signal d’un retour aux lointaines traditions de la docte Montagne, en replaçant le divertissement intellectuel et tapageur en marge des études par une forme plus moderne et jusqu’alors inédite.

Maurice Donnay écrivait à ce sujet : « On constate combien il fût éclectique ce Chat Noir, tour à tour et à la fois blagueur, ironique, tendre, naturaliste, réaliste, idéaliste, lyrique, fumiste, religieux, mystique, chrétien, païen, anarchiste, chauvin, républicain, réactionnaire, tous les genres sauf, à mon sens, le genre ennuyeux. Il n’est pas aisé de définir « l’esprit du Chat Noir ». Il est plus simple de dire ce qu’il ne fût pas : ni prétentieux, ni servile, ni sectaire et c’est bien l’esprit que je souhaite à tous les hommes, à travers la vie et dans toutes les situations. » Une illustration de la Belle Époque en comparaison à notre sinistre époque.


À lire :

Raymond de Casteras, Avant le Chat Noir : les Hydropathes, 1878-1880, Éditions Albert Messein, 1945.

Simon Arbellot, J’ai vu mourir le boulevard, Éditions du Conquistador, 1950.

Maurice Donnay, Autour du Chat Noir, Grasset, 2017.

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Roland Dorgelès, Montmartre mon pays, Marcelle Lesage, 1928.

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Gérard de Lacaze-Duthiers, C’était en 1900. Souvenirs et impressions (1895-1905), La Ruche Ouvrière, 1957.

Touche pas à ma pute (nouvelle saison!)

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Aurore Bergé en dédicace au Grand palais, Paris, avril 2025 © Thierry Le Fouille/SIPA

Les verbalisations des clients de prostituées sont en baisse, se désole Aurore Bergé, notre ministre chargée de l’Égalité femmes-hommes. Punir ce qui n’est pas interdit, voilà qui est plutôt amusant. « Il ne faut rien laisser passer. Tolérance zéro ! » a-t-elle déclaré hier, à l’AFP. En France, si vous voulez acheter un câlin, vous repartez avec une amende salée – 1500 €, 3 750 en cas de récidive – et une leçon de morale gratuite. Liberticide !


Aurore Bergé veut la « tolérance zéro » pour les clients de prostituées. C’était hier l’anniversaire de la stratégie nationale de lutte contre le « système prostitutionnel » – cette expression pompeuse ne fera évidemment pas disparaitre le plus vieux métier du monde, mais ça claque. Pour la ministre de l’Égalité femmes-hommes, sanctionner les « proxénètes et les clients » reste une priorité. Payer une femme qui vend librement non pas son corps mais de la sexualité (son corps, elle le garde), c’est donc selon la ministre la même chose que l’exploiter, la contraindre, la violenter.

Une loi stupide

Mme Bergé veut réactiver une loi stupide de 2016 qui sanctionne les clients. Au terme de cette loi que j’avais grandement combattue, vous avez le droit de vendre un service (on a même abrogé le « délit de racolage »), mais il est interdit de l’acheter. En gros, c’est comme si on vous disait que vous pouvez ouvrir une boulangerie mais que quiconque y achète une baguette sera condamné.

À part des déclarations ronflantes sur cette avancée majeure, l’effet réel de cette loi a été à peu près nul. Il y a tout de même eu environ 1100 verbalisations pour achat d’actes sexuels sur majeur par an. Mais, en réalité, la prostitution se passe de moins en moins dans la rue. Donc l’immense majorité des clients et des prostituées échappent à la maréchaussée.

A lire aussi, éditorial: Une femme d’honneur

Il faut bien lutter contre la prostitution, me dit-on. Pourquoi ? Il faut réprimer les réseaux, les esclavagistes qui exploitent des femmes vulnérables, oui. Mais au nom de quoi interdire à des adultes consentants d’échanger du sexe contre de l’argent ? La France est officiellement favorable à l’abolition – un objectif évidemment hors d’atteinte, mais qui reflète un puritanisme de dame-patronnesse scandaleusement liberticide. Aurore Bergé a toutefois raison sur un point : la prostitution n’est pas un exutoire contre les violences sexuelles[1]. Les violences sexuelles ont à voir avec les violences, plus qu’avec la sexualité.

Femmes puissantes

D’un point de vue sociologique, la prostitution a sauvé la famille traditionnelle. Mais, il faut aussi la défendre philosophiquement. La prostituée et écrivain suisse Griselidis Real dit que la concernant se prostituer est un acte révolutionnaire. Certaines femmes (et des hommes) préfèrent se prostituer qu’être caissière. Il y a même des étudiantes qui font des extras, pas pour manger comme la presse le raconte souvent pour faire pleurer dans les chaumières, mais pour se payer des sacs de marque parce que, pour elles, la sexualité n’est pas un sacrement mais une activité banale – éventuellement agréable. Et alors ? On leur dit qu’elles sont aliénées, on leur explique qu’elles sont traumatisées. La liberté c’est de choisir son aliénation. Esther, Nana… Littérature et cinéma sont pleins de putains splendides, puissantes et enivrantes.

A lire aussi : Affaire Depardieu: ce que cette époque fait à la masculinité

Sous prétexte de protéger les femmes, comme d’habitude on les traite comme des enfants et comme des victimes. Tarifée ou pas, la sexualité entre adultes n’est pas un crime. Alors que l’État lutte contre le crime et qu’il arrête de se mêler de nos fesses.


Cette chronique a été diffusée sur Sud Radio

Retrouvez Elisabeth Lévy dans la matinale de Jean-Jacques Bourdin


[1] « C’est un débat qui n’est pas si simple en France. On entend encore beaucoup de remarques disant heureusement que la prostitution existe, parce que c’est un exutoire, parce que sinon on aurait encore plus de violences sexuelles dans le pays » a estimé hier la ministre.

Normes, tondeuses et muguet: Bardella fait la cour aux petits patrons

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Jordan Bardella photographié au Parlement européen de Strasbourg le 4 avril 2025 © Antonin Utz/SIPA

Causeur s’est glissé hier midi dans les très chics salons du Cercle de l’Union Interallié à Paris, où Jordan Bardella, président du Rassemblement national et potentiel candidat précipité à l’élection présidentielle, venait défendre ses positions économiques devant plus d’une centaine de patrons de PME et TPE réunis par l’organisation Ethic de notre amie Sophie de Menthon.


La fondatrice de ce club patronal – Entreprises de Taille Humaine Indépendances et de Croissance – connue pour son franc-parler, avait demandé au jeune leader de répondre à une question précise : « Jusqu’où êtes-vous économiquement libéral ? » Question simple en apparence, mais éminemment piégeuse pour un dirigeant d’un mouvement encore perçu par beaucoup comme interventionniste et souverainiste.

Jordan Bardella à la tribune. A table, le chroniqueur économique Pascal Perri et Sophie de Menthon. Photo : Arnaud Vrillon.

Pourtant, M. Bardella, chemise bleue impeccable et sourire appliqué, avec beaucoup de chiffres en tête, quoi que peut-être un peu inquiet au début – la peur du faux pas sur les questions économiques ? -, avait bien préparé son numéro de funambule. Non, il n’est pas socialiste, jure-t-il d’entrée, ni d’extrême droite d’ailleurs. L’ambition affichée : convaincre un public patronal plutôt habitué à écouter la droite classique, sans effaroucher ceux pour qui le RN reste une inconnue économique. Et tenter de le rassurer concernant les propositions de son mouvement concernant retraites ou TVA.

A lire ensuite, Bruno Tertrais: «À défaut de le prendre au mot, il faut prendre Donald Trump au sérieux»

La démarche de Jordan Bardella s’inscrit dans une stratégie de crédibilisation entamée depuis plusieurs semaines : prises de parole sur les enjeux industriels, tribune dans Le Figaro[1] dans laquelle il expliquait que « l’Europe ne [pouvait] plus être la victime sacrificielle du commerce mondial », livre annoncé pour l’automne chez Fayard[2] dédié à une galerie de portraits de Français autour de la question du travail. Après les questions d’identité et de sécurité, c’est désormais sur le terrain économique que le patron du groupe Patriotes pour l’Europe veut démontrer sa solidité. Et ce lundi 28 avril, il laisse donc son rival de droite Bruno Retailleau se débrouiller avec la polémique qui a suivi le drame de la mosquée de La Grande-Combe, ou la publication de son petit fascicule Ne rien céder: Manifeste contre l’islamisme aux Editions de l’Observatoire prévue dans deux jours…

Loin de la caricature du tribun populiste, le possible candidat précipité à l’élection présidentielle adopte un ton sérieux, parfois technique, sans se départir d’une forme d’enthousiasme un peu surjouée mais visiblement travaillée. Lors du déjeuner-débat, où trônaient sur les tables cannelloni froids aux légumes en entrée, délicieux poisson délicatement posé sur un lit de poireaux en plat de résistance et pavlova aux fruits exotiques et à la vanille pour le dessert, l’orateur a choisi de se lever pour prononcer son discours, non sans devoir réajuster au pupitre un micro trop bas pour son mètre quatre-vingt-dix.

Contre les menaces de Trump ou le Green Deal européen : la sobriété normative !

Quelques instants auparavant, Mme de Menthon s’était rendue à la table où avaient été réunis les journalistes pour une petite mise au point. Celle qui se vante de faire défiler dans ses conférences et déjeuners-débats toute la classe politique (Le communiste M. Roussel n’est-il pas attendu prochainement ?) n’a pas du tout apprécié que l’Express la qualifie d’ « entremetteuse » du RN auprès du patronat français. Et si la libérale se défend de rouler pour qui que ce soit, elle n’hésite donc pas à sermonner les journalistes comme le feraient les populistes !

Le message délivré par M. Bardella pendant son discours introductif peut se résumer en un triptyque simple et martial : produire, produire, produire. Selon lui, la France doit renouer avec une ambition industrielle, retrouver son rang sur la scène internationale, et cesser de considérer l’entreprise comme une suspecte permanente. Dans une critique bien sentie contre Éric Lombard, il s’étonne : « Quand j’entends le ministre enjoindre les entreprises à accepter d’être moins rentables, les bras m’en tombent. » Pour M. Bardella, même la menace des tarifs douaniers américains pourrait finalement constituer une « chance » pour réveiller un continent trop passif. Il affirme que la brutalité commerciale de Donald Trump, aussi déplaisante soit-elle, a le mérite de dévoiler la naïveté européenne d’un Mario Draghi et doit pousser l’Union à enfin défendre ses intérêts. Il refuse la décroissance prônée par certains cercles écologistes et martèle que la croissance et l’entreprise sont la seule voie de sortie du marasme français. « La brutalité commerciale pratiquée par des alliés historiques de la France, par Donald Trump qui s’est attaqué indistinctement à tous les secteurs, à ses partenaires comme à ses concurrents, est venue, je le sais, s’ajouter à la très longue liste des défis que vous comme nous allons devoir affronter main dans la main ». Et de rappeler son travail au Parlement européen (« L’Europe s’est soumise à des dogmes concurrentiels rigides » / « C’est le seul espace économique au monde à vouloir respecter les règles que toutes les grandes puissances outrepassent ! ») et la nécessité pour l’Etat-stratège de reprendre les manettes. Mais, nos responsabilités nationales sont également étrillées : « La France est devenue ce pays où l’Etat est partout là où il ne devrait pas être et jamais présent là où il serait utile… » / « La France est devenue un enfer fiscal et normatif pour quiconque ambitionne d’entreprendre » / « Notre pays est frappé par ce que Jérôme Fourquet appelle fort justement la maladie bureaucratique ». Le public boit du petit lait.

Une salle conquise ? Bardella entend que les entrepreneurs lui fassent des remontées du terrain

Le leader du RN ne se contente pas d’un discours général : il entre dans le détail. Il promet ainsi que son mouvement rétablirait un prix français compétitif de l’électricité pour l’industrie, basé sur l’énergie nucléaire, et qu’il supprimerait des impôts jugés pénalisants pour les TPE/PME comme la Cotisation foncière des entreprises (CFE) et la Contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S). Plus original encore, Bardella propose une « stratégie tricolore » de simplification normative : un dossier vert pour les normes favorables à la croissance, un orange pour celles à corriger, un rouge pour celles à supprimer purement et simplement. Dans un pays où les entrepreneurs passent leur temps à remplir des formulaires, l’idée est séduisante, mais certains y voient déjà une usine à gaz supplémentaire. C’est sympathique, mais voilà qui fait encore de la paperasse, pourrait-on lui répondre ! À Causeur, un patron de PME normand confiait ainsi avant le début de l’intervention que son fils, qui reprend l’entreprise familiale, consacrait désormais 75 % de son temps aux ressources humaines et à l’administratif, bien loin de la production et de l’innovation.

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Pendant la séance de questions/réponses, Jordan Bardella décroche deux salves d’applaudissements spontanés. La première lorsqu’il promet de recentrer l’État sur ses seules missions régaliennes, moquant au passage les normes absurdes qui réglementent le bruit des « tondeuses à gazon ». La seconde lorsqu’il s’indigne des complications administratives absurdes qui empêcheront toujours boulangers et fleuristes de vendre leur pain ou leur muguet le 1er mai cette année. L’assemblée, jusque-là attentive mais polie, semble alors conquise, ou du moins séduite par cette volonté de simplification qu’il affiche.

Reste la question de la crédibilité sur la durée. Jordan Bardella, s’il veut convaincre l’électorat entrepreneurial, devra montrer qu’il ne se contente pas de slogans, aussi habiles soient-ils. Sophie de Menthon, en tout cas, a visiblement pris plaisir à jouer la maîtresse de cérémonie, taquinant à plusieurs reprises l’ancien président des jeunes RN (elle pensait avoir convié à table un « socialiste » !), sans jamais masquer son plaisir d’animer un débat de fond. En coulisses, elle n’a pas manqué de rappeler qu’elle invitait tous les candidats, de droite comme de gauche, à ses événements. Pas question pour elle d’être estampillée RN par des médias trop prompts à caricaturer. Ce jour-là, en tout cas, dans le luxe discret du Cercle Interallié, Jordan Bardella a peut-être marqué quelques points.

Mais libéral ou étatiste, alors ? Libéral tant que c’est dans l’intérêt de la France, s’en sort finalement dans une pirouette le leader du RN, très inquiet quant au devenir de l’agriculture et de notre industrie automobile. Il fêtera ses 30 ans en septembre.


[1] https://www.lefigaro.fr/vox/economie/jordan-bardella-l-europe-ne-peut-plus-etre-la-victime-sacrificielle-du-commerce-mondial-20250415

[2] https://www.leparisien.fr/politique/une-ode-a-la-france-du-travail-jordan-bardella-va-publier-un-nouveau-livre-en-librairie-a-lautomne-28-04-2025-WHBFWKENORD4TI3VBIVSUCGGBY.php

Bruno Tertrais: «À défaut de le prendre au mot, il faut prendre Donald Trump au sérieux»

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Brigitte Macron, Emmanuel Macron, Alexander Stubb et Donald Trump lors de la messe funéraire du pape François, Cité du Vatican, 26 avril 2025 © Maria Laura Antonelli/AGF/SIPA

Le géopolitologue Bruno Tertrais fait le point sur les cent premiers jours du nouveau mandat du président américain.


Depuis que Donald Trump est de retour à la Maison-Blanche, les États-Unis ont quitté l’Organisation mondiale de la santé, retiré leur signature de l’Accord de Paris sur le climat, démantelé leur programme humanitaire USAid, remis en cause leur aide militaire à l’Ukraine, entamé des pourparlers bilatéraux avec l’Iran sur le nucléaire, promis de transformer Gaza en nouvelle Riviera et déclaré une guerre tarifaire au monde entier, avant de la mettre en pause. Difficile face à une telle déferlante de voir clair dans le jeu du «roi du deal ». Le spécialiste des relations internationales Bruno Tertrais, qui présente l’avantage de n’être animé ni par la haine ni par la dévotion envers le nouveau président des États-Unis, fait le point sur les cent premiers jours de Trump 2 et montre en quoi l’Europe est en réalité mise au défi par l’administration américaine d’opérer ce qu’il appelle une « transition géostratégique».

Bruno Tertrais © Hannah Assouline

https://twitter.com/ZelenskyyUa/status/1916089502088524203

Causeur. Vous faites partie des observateurs qui, notamment dans nos colonnes, avaient prédit que nous serions déroutés par Donald Trump. N’avez-vous pas toutefois été surpris par l’ampleur de ses annonces ?

Bruno Tertrais. Il est déjà arrivé par le passé qu’un président républicain accomplisse des gestes spectaculaires de ce type sur la scène internationale. Ronald Reagan s’était retiré de l’UNESCO. George W. Bush était sorti du traité sur les ABM (Anti-Ballistic Missiles). Ce qui est différent avec Trump, c’est qu’il est capable de prendre des initiatives auxquelles personne ne s’attendait, comme lorsque, durant son premier mandat, il a tenté de réconcilier son pays avec la Corée du Nord. En soi, l’imprévisibilité n’est pas nécessairement une mauvaise méthode géopolitique. Elle peut s’avérer un excellent moyen de déstabiliser un ennemi. Pendant la campagne de 2024, Trump avait dit que Xi n’envahirait pas Taïwan car « il sait que [je] suis totalement fou ». Il reprend ainsi ce que Richard Nixon avait appelé la « théorie du fou » : faire croire que l’on est prêt à tout pour faire plier l’adversaire. Le problème c’est que son propre équilibre mental semble effectivement laisser à désirer ! Et surtout que Trump déstabilise non seulement ses adversaires mais aussi ses alliés, à commencer par nous, les Européens…

Comment expliquez-vous une telle transgression des règles ?

Par l’inexpérience de l’équipe désormais au pouvoir à la Maison-Blanche, mais aussi par la psychologie extraordinairement autocentrée de Donald Trump. Nous avons affaire à des amateurs qui ne semblent pas bien réfléchir aux conséquences de leurs paroles et de leurs actes. Je pense notamment à l’envoyé spécial des États-Unis pour l’Ukraine, le général Keith Kellogg, qui a déclaré, le 12 avril, que Kiev pourrait finir par ressembler au « Berlin d’après la Seconde Guerre mondiale ». Ou à Steve Witkoff, l’envoyé spécial pour à peu près toutes les crises – et dont la seule compétence politique est d’avoir la pleine confiance de Trump – qui, la veille à Saint-Pétersbourg, posait sa main sur son cœur au moment de saluer son hôte Vladimir Poutine. Et je ne parle pas de la boucle de discussion sur la messagerie Signal dans laquelle le rédacteur en chef du magazine The Atlantic s’est retrouvé invité par erreur de sorte qu’il a été témoin d’échanges secret-défense sur un bombardement américain au Yemen… Mais le comportement le plus stupéfiant demeure celui de Donald Trump, qui par pur narcissisme, multiplie les caprices et les prises de parole choc afin de se donner l’impression de maîtriser la situation.

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Reste qu’il est le président américain, donc par définition doté d’un immense pouvoir. Ne s’en sert-il qu’à mauvais escient ?

Il faut saluer la seule vraie réussite de son premier mandat que sont les accords d’Abraham, auxquels il a personnellement contribué.

On dit que le grand dessein de Trump est à présent de se découpler de la Chine…

C’est vrai, mais il s’agit là d’une constante américaine depuis au moins la présidence Obama. Et ce sera difficile, tant les deux économies restent liées.

Rien de neuf sur ce plan ?

Si, il y a quelque chose de doublement inédit dans la séquence que nous vivons. Du côté de la Chine, Pékin a décidé de rendre coup pour coup. Du côté de l’Europe, on assiste à un affaiblissement inédit de la relation transatlantique car elle concerne simultanément le domaine sécuritaire, le domaine commercial et celui des « valeurs ». Elle est telle que les dirigeants européens ont à présent de bonnes raisons de se demander s’ils ne devraient pas resserrer les liens avec Pékin. Je suis pour ma part hostile à cette éventualité, mais j’entends les arguments de ceux qui font valoir que la Chine, pays en pointe dans la production d’éoliennes, de panneaux solaires et de voitures électriques, a des solutions clé en main à bas prix pour nous aider à répondre au défi climatique. En somme, nous avons aujourd’hui deux options devant nous. Soit devenir dépendants de la Chine, pour favoriser la transition énergétique. Soit entrer dans une épreuve de force avec elle, pour achever notre transition géopolitique, et acquérir une autonomie face aux grandes puissances.

Pourquoi faudrait-il opérer une transition géostratégique ?

On peut craindre que l’Amérique soit en passe de calquer sa conduite sur celles de la Chine, la Russie, la Turquie et l’Iran, ces néo-empires qui rêvent de se partager le monde en zones d’influences.

On n’en est pas encore là pour l’Amérique, n’est-ce pas ?

Effectivement. Les points de rupture ne sont pas atteints. Les Etats-Unis font encore partie de l’Otan et n’ont pas envahi le Danemark, le Groenland ou le Panama.

Faut-il vraiment prendre ces menaces aux mots ?

Pas au mot. Mais au sérieux. Il n’est pas fantaisiste d’imaginer que les Etats-Unis arrivent à faire rentrer le Groenland dans leur giron.

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En intervenant militairement ?

Non, Trump n’aime pas la guerre, qui nuit aux affaires. Et il rêve du Prix Nobel de la paix, notamment parce qu’Obama l’a eu. Je pense plutôt à un rapprochement pacifique, exactement comme celui dont rêve la Chine pour Taïwan.

Votre dernier ouvrage porte sur Israël[1]. L’Etat hébreu peut-il compter sur un président américain aussi lunatique ?

Je suis intimement persuadé que Trump se moque des Juifs. Mais la question n’est pas là. Il a une connivence indéniable avec Benyamin Netanyahou, même si leurs relations personnelles sont difficiles, et ses signes de soutien répétés à la sécurité de l’Etat juif sont bienvenus pour Jérusalem, surtout après le 7-octobre. Seulement l’agenda de Netanyahou ne se limite pas à l’affaiblissement des ennemis existentiels d’Israël. Il a aussi l’intention d’annexer tout ou partie de la Cisjordanie, une région où des exactions sont commises dans les deux camps. Or Trump a nommé comme ambassadeur à Jérusalem Mike Huckabee, un ex-pasteur baptiste qui ne fait pas mystère de son hostilité à la solution à deux Etats. On peut craindre  qu’en encourageant les Israéliens dans une voie radicale, les Américains précipitent l’État juif dans l’isolement international.

Pour l’heure, Trump a entamé, au grand dam de Netanyahou, des pourparlers avec les Iraniens sur le nucléaire. Aboutiront-ils à un accord ?

J’en doute énormément, car les lignes rouges des deux parties sont trop éloignées. A mon sens, ces discussions ont plusieurs buts. Du côté américain, donner une nouvelle chance à Trump d’apparaître comme un faiseur de paix, voire de justifier en cas d’échec une action militaire israélienne. Du côté iranien, de gagner du temps et tenter d’éviter la guerre. Mais les dirigeants de Téhéran se disent peut-être que tout est possible avec Trump, y compris un accord qui leur serait favorable. Steve Witkoff a d’ailleurs donné initialement l’impression d’être prêt à tout lâcher, ce qui a causé la panique dans le camp républicain et chez les Israéliens…


[1] La Question israélienne, L’Observatoire

Aboubakar Cissé ne priera plus

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Le ministre de l'Intérieur Bruno Retailleau est revenu sur le drame au micro de BFMTV le 27 avril. Capture BFM.

Le suspect du meurtre survenu vendredi dans une mosquée à Grande-Combe (30) s’est rendu à la police en Italie. À l’extrême gauche, on instrumentalise le drame pour accabler le ministre de l’Intérieur, et tenter de réhabiliter le terme polémique d’ « islamophobie » – un terme piégé, rappelle Elisabeth Lévy.


Le meurtre d’Aboubacar Cissé, 20 ans, dans une mosquée proche d’Alès est une dramatique première en France – un musulman tué dans une mosquée alors qu’il priait. Cela provoque chez tous une immense tristesse, et de l’effroi devant la sauvagerie – on parle de 50 coups de couteaux. On pense à ses proches, aux Grand-Combiens qui semblaient avoir adopté ce jeune Malien, à nos compatriotes musulmans et à tous les croyants qui ont peur maintenant quand ils vont prier.

Malgré la légitime prudence du procureur, il est difficile de ne pas voir dans un tel crime se produisant dans une mosquée une dimension raciste ou anti-musulmane.

Une dimension anti-musulmane qui semble évidente

La condamnation est unanime, du président de la République, du Premier ministre et de la classe politique. Cela n’empêche pas Dominique Sopo de SOS Racisme de dénoncer un soi-disant silence assourdissant.

À gauche, on déroule le narratif habituel. Ceux qui hurlent d’ordinaire à la récupération et à l’instrumentalisation quand on s’interroge sur le terreau d’une agression islamiste, antisémite ou antiblanche se jettent sur l’événement avec ce que les Allemands appellent la « Schadenfreude » – cette joie mauvaise. On vous l’avait dit, l’islamophobie tue.

En quelques heures, nous avons assisté à une déferlante de communiqués des élus insoumis. Jean-Luc Mélenchon, qui qualifiait les assassinats de Merah d’incidents: « Le meurtre d’un musulman en prière est le résultat des incessantes incitations à l’islamophobie ». C’est la faute à Retailleau, à CNews et à Le Pen. Surtout Retailleau, d’ailleurs. Le ministre de l’Intérieur avait piscine, persifle Sopo. Non : il est ministre des cultes et avait enterrement du Pape.

Il est vrai que l’ « islamophobie » se répand en France, me dit-on…

Comme Manuel Valls, je récuse ce terme, inventé par les Mollahs pour discréditer et criminaliser toute critique de l’islam. Pour le recteur de la mosquée de Bordeaux, ce sont les discours politiques sur l’islam et l’immigration qui nourrissent la haine. Non : ce qui nourrit la haine, c’est le déni.

On a le droit de détester l’islam, le marxisme, le judaïsme voire la théorie de la relativité. Ce qui est criminel et attentatoire à la République c’est d’agresser des musulmans, des juifs ou des disciples d’Einstein.

De plus, convenons qu’en matière de critique, l’islam ne montre pas toujours son meilleur visage. En France, ce n’est pas l’islamophobie qui tue le plus souvent des journalistes, des professeurs, des juifs ou des chrétiens – mais l’islamisme. L’emprise croissante des Frères musulmans est une autre réalité. Selon un sondage paru hier, 88 % des Français (et 75% des sympathisants LFI !) sont favorables à l’interdiction des Frères musulmans. Tous des fachos ?

Pour Mélenchon, l’islamophobie est un étendard politique – on le sait. C’est plus fâcheux chez François Bayrou (« ignominie islamophobe »), carrément surprenant chez Laurent Wauquiez. Derrière ce terme de faussaire, il y a le récit fallacieux d’une France gangrenée par le racisme antimusulman. En réalité, des tas de Français musulmans sont ultrapopulaires. Les Français sont très accueillants et tolérants. Mais, ils ne veulent pas changer leur façon de vivre. Puisque l’on considère nos concitoyens musulmans comme des concitoyens à part entière, ils doivent accepter comme les autres la critique.

A Grand-Combe, le racisme anti-musulman a fait son premier mort. C’est évidemment un de trop. Nous voulons tous que ce soit le dernier. Sauf ceux qui pensent que quelques martyrs serviraient leur cause et leur pouvoir. Suivez mon regard.


Cette chronique a d’abord été diffusée sur Sud Radio

Retrouvez Elisabeth Lévy dans la matinale de Jean-Jacques Bourdin