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Les « son et lumière », les sous sans les lumières

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Beaux, parfois chers et faciles à consommer, les « son et lumière » envahissent la scène artistique et attirent des foules considérables. Mais dans ce bouillon de culture, c’est la culture qui prend le bouillon. Une illusion d’art bien en phase avec la logique libérale. 


À l’heure où nombre « d’expositions » de l’Atelier des Lumières affichent complet une semaine à l’avance, il semble nécessaire de se pencher sur la question des « son et lumière» qui tendent peu à peu à dominer le paysage culturel français.

Ces installations visent à développer dans un espace dédié ou sur une façade préexistante un spectacle composé  d’une succession de projections lumineuses assorties de musiques ou de paroles. Si certains présentent des images d’œuvres, la présence effective de ces dernières n’est pas nécessaire. Certaines créent néanmoins  sur un monument réel un spectacle mêlant effets lumineux et passages quasi-cinématographiques. Ce dans le but d’inciter autant de monde que possible à regarder enfin les œuvres et les monuments qui, à toute heure, s’offrent au regard dans les villes et les musées mais qu’il faut enjoindre à admirer par des artifices oiseux.

Nivellement par le bas…

Ils sont symptomatiques d’une volonté de « démocratisation » et de modernisation de la culture que les gouvernements et acteurs institutionnels imposent depuis près de soixante ans, depuis l’ordonnance de juillet 1959 qui déjà voulait « rendre accessibles au plus grand nombre les œuvres capitales de l’humanité ».

Mais cet élan universaliste s’est peu à peu mué en quelque chose d’autre, en une dégradation de la culture, l’accès à tous supposé favoriser l’élévation de chacun s’est transformé en un abaissement du secteur entier. René Guénon le disait bien : « L’homme moderne, au lieu de chercher à s’élever à la vérité, prétend la faire descendre à son niveau. »

…tiroir-caisse par le haut

Ainsi les enthousiastes peuvent se gargariser de records de fréquentation, alors même que la société sombre dans l’inculture la plus crasse. « L’industrie culturelle » (expression évocatrice) est gangrenée par plusieurs problèmes, au rang desquels figurent en bonne place la marchandisation et le festivisme, lesquels sont indissociablement liés.

Dans une logique de rentabilité, le nombre de visiteurs est un facteur clef pour les organisateurs. La programmation souvent racoleuse attire le badaud, et des activités « ludiques » expurgent la visite de tout ennui causé par une quelconque forme d’apprentissage. C’est ainsi que la quête d’amusement des uns s’accommode parfaitement de la logique marchande des autres.

A lire aussi: Notre-Dame n’est pas un terrain de jeu pour l’art contemporain

Devant ce règne festiviste auquel se soumet complaisamment la société, il n’est d’autre solution pour la culture que de s’adapter pour ne pas être qualifiée de « réactionnaire ». A défaut d’instruire le peuple, la culture le conforte donc dans sa quête de facilité, fi de la réflexion et des difficultés, place au spectacle ! C’est là la genèse du son et lumière « culturel ». Il permet de penser s’ouvrir à l’histoire et à l’art tout en conservant un besoin de réflexion équivalent à celui d’une émission de télé-réalité.

Le musée-réalité

Certes, les gens voient du beau, ils assistent à un spectacle, mais le savoir cède peu à peu sa place à la distraction dans une fête à laquelle ne sont conviés que les artistes connus de tous et qui ne présente que le reflet informe de leur œuvre.

C’est l’esprit du temps, face à un peuple que tout est fait pour rendre prompt au divertissement, rien d’étonnant à ce que la culture s’y adapte, dans la mesure où elle est devenue bien de consommation.

Le spectacle consacré à Van Gogh à l’Atelier des Lumières réussit le malheureux pari d’attirer des foules de clients – et non de visiteurs – à assister à une séance de diapositives tout en leur donnant l’impression d’avoir été au musée. Le degré d’apprentissage est minime, la contrainte faible et l’amusement à son paroxysme, les spectateurs sortent ravis. Face à cette innovation, le musée, avec ses explications et son étalage d’érudition, quoique de moins en moins présent, semble aussi fade qu’arriéré.

La volonté de découvrir a ici laissé place à la contemplation, pas même celle de la beauté vraie mais celle de son pastiche, vulgaire et clinquant, lequel attire sans mal les masses. Il s’agit ici d’une culture coupée de ses racines, allant jusqu’à ne plus nécessiter la présence réelle d’œuvres pour que lui soit accordé son statut.

L’art libéral par excellence

Ce type de représentations tend à reléguer l’œuvre au rang de support, secondaire.C’est par exemple le cas de manifestations comme « Notre Dame de Cœur » ou encore « La nuit aux Invalides » se déroulant sur les édifices éponymes. Ces spectacles, voulant mettre en avant des monuments, ne proposent qu’une parodie de ces derniers en les travestissant pour les rendre ludiques et agréables au regard de celui qui ne cherche pas à sonder la grandeur de ce que son passé lui offre à contempler. L’une comme l’autre cherchent, à grand renfort de technique et d’effets visuels à présenter sur ces chefs d’œuvres des histoires qui ne sont pas les leurs et que l’on pourrait aisément qualifier de films immersifs, lesquels semblent plus seyants à la modernité revendiquée d’un Futuroscope qu’à la solennité d’une cathédrale séculaire ou d’un joyau de l’architecture du XVIIe siècle. Cependant, ceux là ont le mérite de l’honnêteté et ne revendiquent pas le statut d’expositions, se contentant de celui, plus adéquat de « spectacle ».

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Si cette déliquescence de la transmission est le fruit de volontés idéologiques inhérentes à notre temps, sa réalisation n’en reste pas moins liée à des intérêts bassement utilitaristes de certains acteurs « culturels ». Ce type de manifestations correspond à un modèle économique on ne peut plus profitable. Là où le musée engage des frais colossaux pour acquérir de nouvelles œuvres, en restaurer d’autres ou encore déplacer celles qui lui sont prêtées, le son et lumière ne nécessite que le matériel de projection et de sonorisation, lequel pourra être réutilisé pour présenter d’autres œuvres. Si cela permet de baisser considérablement les coûts matériels, elle permet aussi de supprimer d’importants frais humains dans des domaines tels que la surveillance ou la régie. Les expositions virtuelles répondent parfaitement aux attentes du modèle capitaliste le plus débridé, alliant coûts limités et recettes élevées. L’Atelier des Lumières pratique par exemple des tarifs dignes de grandes expositions.

Rendre hommage à Notre Dame et à Dick Rivers

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On ne rend pas hommage à un bâtiment !

On peut rendre hommage à Dick Rivers et Jean-Pierre Marielle, qui viennent de nous quitter, paix à leur âme.


hommage dick


On peut rendre hommage aux pompiers qui ont sauvé la cathédrale de Paris.


hommage pompiers


Mais on ne peut pas rendre hommage à Notre-Dame. Cela n’a tout simplement pas de sens. Pourtant :


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(« le drawing », « un runner »… beuah!)

« Rendre hommage » signifie témoigner à quelqu’un du respect et de l’admiration ; quand cette personne est décédée, lui rendre hommage, c’est saluer sa mémoire.

Je vous salue Notre Dame

L’utilisation impropre de cette expression a manifesté une terrible lacune culturelle généralisée. Commentant les réactions à l’incendie de la cathédrale, un journaliste de France Info hésite : « l’archevêque de New-York s’adresse… oui, c’est cela, il s’adresse à Notre-Dame ». La surprise est compréhensible : le journaliste s’étonne, et il a raison, qu’on puisse s’adresser à « Notre-Dame », à un bâtiment. Mais l’archevêque s’adressait à « Notre Dame » ! Sans le tiret ! Il adressait une prière à Notre Dame pour lui demander de protéger une église qui lui est consacrée.

Manifestement, un nombre important de personnes sont persuadées que Notre Dame est le surnom affectif donné à un bâtiment, comme c’est le cas pour « Big Ben » à Londres… ou encore pour ce canon allemand qu’on appelait la Grosse Bertha !

A lire aussi: Notre-Dame ne sera plus jamais Notre-Dame

Mais de même que l’horloge londonienne a été ainsi nommée « en hommage à » l’ingénieur qui l’a bâtie, de même Notre Dame a-t-elle été ainsi désignée « en hommage à » une personne, la Vierge Marie. Notre-Dame n’est pas le nom du bâtiment; il n’en est que la désignation métonymique.

On peut rendre hommage à Notre Dame : c’est ce que fait tout chrétien quotidiennement et, en particulier, à la fin de chaque messe dominicale, juste avant le chant d’envoi. C’est ce qu’ont fait les gens qui ont construit Notre-Dame (avec un tiret).

Quand le Qatar « rend hommage » à Notre-Dame

Mais la personnification abusive du lieu donne à tous ces hommages officiels et parfaitement athées des allures de grand retour du catholicisme en France ! Amusant, l’un des plus tonitruants « hommages » (le T-shirt ! le geste !) est rendu par le PSG, ce club financé par…

>>> Lisez la suite de l’article sur le blog d’Ingrid Riocreux <<<

Camille Paglia, l’antiféministe sadique

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Je reçois beaucoup de livres. J’en lis peu. Le plus souvent, le style est aux abonnés absents. Quant à la morale, elle sape mon moral. J’aime les livres qui sont comme des coups de fouet ou des cris de désespoir, des livres écrits à proximité d’un cimetière. Ils sont de plus en plus rares d’autant qu’ils sont destinés à un public féminin qui se complaît dans le récit des infamies qu’elles ont dû subir. Ou qui révèlent leur bovarysme indéracinable : Denis Grozdanovitch, Jérôme Leroy et Camille Paglia. 


Je me propose d’évoquer brièvement trois de leurs livres qui ne me sont pas tombés des mains et dont je pressens que je les oublierai difficilement.

Denis Grozdanovitch : Dandys et Excentriques  (Grasset )

Denis Grozdanovitch est un écrivain à l’allure de gentleman farmer avec lequel il m’arrive de jouer aux échecs où il excelle. N’étant pas mauvais perdant, je me suis promis de dire tout le bien que je pense de son dernier livre d’une grâce et d’une subtilité qui contrastent avec son physique rugueux et son goût pour les blagues. Je connais peu de narrateurs dans la ligne de Proust susceptibles de jouer avec les théories les plus saugrenues et de mettre en scène des personnages excentriques, réels ou imaginaires,  qui les incarnent. Grozdanovitch en est un. Et parmi les plus singuliers. Il a le dandysme intérieur, le seul véritable. Et l’élégance de ne jamais nous ennuyer en  cherchant à nous asséner une quelconque vérité. Cela dit, on perçoit chez lui une nostalgie du monde d’avant : ce conservateur d’une immense culture a choisi, à l’instar d’Henry Miller, de se retirer du monde, non par défaitisme, mais parce que son amour même de la vie, lui a conféré une sagesses qui s’exprime par le renoncement.  Nous avons perdu un redoutable joueur d’échecs puisqu’il ne ne vit plus à Paris mais dans une lointaine campagne. Nous le déplorons. Mais nous avons ses livres pour nous consoler : nous n’oublierons pas facilement cet immense écrivain.

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Jérôme Leroy : Nager vers la Norvège (La Table Ronde)

Certes, Jérôme Leroy est un ami. Certes, il écrit des polars engagés. Certes, il se définit comme un communiste balnéaire.  Pourquoi pas, après tout ? Mais dès qu’on creuse un peu, on découvre un poète de la veine de Richard Brautigan ou de William Cliff, deux des plus grands à mon avis. Jérôme Leroy rend d’ailleurs hommage à Richard Brautigan :

« C’est en me retrouvant
Chez Richard Brautigan
Que je m’endors le mieux
Il me laisse toujours
Une chambre d’ami
Au dernier étage de ses poèmes…. »

Comme Richard Brautigan, Jérôme Leroy aspire à disparaître. Il jette un dernier regard sur les villes de province et les filles qui ressemblaient à Catherine Spaak. Il espère que l’éternité ressemblera à une chanson italienne des sixties. Nous l’espérons tous. Mais le grand art de Jérôme Leroy, je le trouve dans ce poème : « Mort du tirage papier » que voici :

« On ne peut
plus
déchirer
les photographies
en petits
morceaux
alors
c’est encore
plus facile
pour elles
de vous
déchirer
le cœur
et
de vous
faire confondre
une illusion d’optique et un chagrin d’amour. »

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Camille Paglia : Introduction à Personas Sexuelles (Presses de l’Université de Laval.)

J’ai toujours été surpris par le peu de cas que font, en France, les féministes ou les anti-féministes de Camille Paglia, comme si cette universitaire et redoutable polémiste les mettait mal à l’aise. Célèbre dans le monde entier, elle demeure ignorée des intellectuels parisiens. Il est vrai qu’elle ne les ménage pas. Je la cite :« Qu’y a-t-il de plus affecté , de plus agressif et de plus opiniâtrement dénué d’humour qu’un intellectuel parisien derrière son texte ampoulé. Le Parisien est un provincial qui prétend parler au nom de l’universel. »
Elle ajoute, faisant référence à la French Theory, que c’est la plus pernicieuse des importations françaises.

Par ailleurs, cette libertaire qui a eu pour mentor Harold Bloom, n’a pas la moindre indulgence pour un certain féminisme construit autour de la victimisation de la femme et d’une commisération universelle. Elle assiste atterrée à la lobotomisation des cerveaux et à la castration des sexes. Elle plaide pour Sade et pour Freud contre Rousseau. L’une des plus grandes erreurs du féminisme contemporain a été le rejet en bloc de Freud, selon elle. Et ce n’est pas nous qui la contredirons. Bref, pour qui ne supporte plus le bla-bla féministe, Camille Paglia est une aubaine.

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En mai, lis ce qu’il te plaît!

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L’honneur de la France réside dans un mois de mai riche en jours fériés. Notre pays peut s’enorgueillir d’avoir un calendrier propice aux week-ends longs et aux lectures printanières. Lisez et allez au musée !


Quand tout se dérègle, le climat et la gouvernance, la possibilité non pas d’une île mais de vacances anticipées permet à notre nation de ne pas sombrer dans la neurasthénie. Sans ces jours fériés, soupapes de sécurité vitales et admirables inventions républicaines, la France ressemblerait à ces contrées sauvages où la « valeur travail » est gravée dans les constitutions et où la semaine de 70 heures ranime la libido en berne d’un patronat inquiet par tant de laxisme. Fort heureusement, malgré la scoumoune de ces derniers mois, depuis décembre rien ne va plus, impaires et impasses, nous sommes assez lucides pour croire aux vertus du farniente et du barbecue. Préservons les grillades et le rosé bien frappé à l’heure du déjeuner est encore le meilleur moyen de garantir la paix sociale. Vous pouvez toucher à l’essence, à la CSG et à la TVA, mais ne vous avisez surtout pas de taxer le charbon de bois. Il y a des libertés inaliénables et des principes intangibles, notre dignité est à ce prix-là. Vous enlevez la féerie des chipolatas et des merguez à nos concitoyens ; la révolution frappera à notre porte assurément. C’est aussi le moment de s’offrir des livres qui ne parleront ni des élections européennes, ni des ronds-points et d’éteindre les chaînes d’info dont la rengaine donne la nausée. Ah si la vie pouvait se résumer à une bouteille fraîche de Pouilly, un transat et quelques bouquins, notre moral remonterait en flèche. Voici donc une sélection pour conjurer le mauvais sort :

Pour les tout-petits : Capucine la coquineMireille l’abeille, Léon le bourdon ou l’émouvant Victor le castor, les drôles de petites bêtes inventées par l’illustrateur Antoon Krings sont à lire (délicieusement régressifs) et à voir au Musée des Arts Décoratifs dans une exposition jusqu’au 8 septembre. Collection Gallimard Jeunesse Giboulées.

Pour les Miss Marple sous Tranxène : Cassandra Darke de la dessinatrice star du Guardian depuis 1977, sa Majesté Posy Simmonds, célèbre pour Gemma Bovery et Tamara Drewe. Déjà un best-seller en Angleterre. Quand une mémé plus amère qu’un Pim’s décide de jouer les justicières. Denoël Graphic.

Pour une mystique gréco-sicilienne :Temples grecs, Maisons des dieux d’André Suarès (1868-1948), pensées profondes et enflammées des sites hellènes siciliens (Agrigente, Ségeste, Sélinonte et Paestum), un livre publié la première fois en 1937 qui chante la magie de la colonne et de la lumière de vie. L’Éveilleur Voyage.

Pour les accros à la Sérénissime : L’Altana ou la vie vénitienne d’Henri de Régnier (1864-1936), une édition établie par Patrick Besnier. Allégorie de la Cité des Doges suite à plusieurs voyages entrepris par le poète entre 1899 et 1924, soutenue par une langue coruscante et dépaysante. Omnia Poche Bartillat.

Pour les noctambules du cinéma de minuit : L’assassinat d’Orson Welles de Jean-Pierre de Lucovich. Polar clair-obscur se déroulant en plein Festival de Cannes (1949) par un maître du suspense old-school. Nostalgique et très documenté. Les Happy-few sont à la fête. Édition du Rocher.

Pour les aficionados de Francisco : Visions de Goya – L’éclat dans le désastre de Stéphane Lambert, réflexions sur l’œuvre noire de l’espagnol visionnaire avec un sens rarement atteint du style et de la profondeur. Quand un écrivain sait écrire sur la peinture. Arléa.

Pour les prisonniers de la boîte de jazz : My Heart Belongs to Oscar de Romain Villet. Improvisations diablement originales, un sens du swing inné et de la narration libre. Une déclaration érudite d’amour à Oscar Peterson qui sonne juste. Le Dilettante.


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Lautner, le pacha des Trente Glorieuses


Six ans après sa mort, Georges Lautner éblouit encore les spectateurs. Méprisé des snobs, le cinéaste aux répliques cultes signées Michel Audiard aura fait tourner Louis de Funès, Bernard Blier, Alain Delon et Jean-Paul Belmondo. Des Tontons flingueurs au Professionnel, ses grands films populaires exhalent la fantaisie de la France des Trente Glorieuses. 


Si Georges Lautner avait été sensible à la critique officielle, il n’aurait pas réalisé plus de deux ou trois films. Cependant, il ne s’est pas découragé. Il faut s’en réjouir : son entêtement nous a légué une parenté inattendue, les membres hautement fréquentables d’une famille effarante, bref, des oncles, plus précisément des tontons exubérants à souhait. Les gens respectables ont immédiatement détesté ces énergumènes, qui ont pourtant attiré la foule nombreuse et fervente, et qui assurent le succès des chaînes de télévision cinquante-sept ans après (Les Tontons flingueurs, 1963). Le cinéma de Lautner, dans ses meilleurs moments, a renouvelé cette qualité (inter)nationale qu’on nomme la fantaisie.

Nous n’avons pas fini d’évaluer les mérites de la fantaisie française, ni d’examiner le terreau historique, social, sociologique qui la nourrit. Le cinéma est en tout cas son truchement idéal. Il s’adresse au plus grand nombre, c’est-à-dire au public. Il est, dans la plupart des cas, accessible à tous et librement. Il est un moment de l’imaginaire, le reflet, plus ou moins persistant, précis, approximatif, injuste d’une société, d’un peuple. Le cinéaste Georges Lautner a exercé entre 1958 (La Môme aux boutons) et 1992 (L’Inconnu dans la maison) : son œuvre couvre donc une part importante de la période de progrès économique exceptionnelle, que Jean Fourastié appela Les Trente Glorieuses (1946-1975). Entre Le Monocle noir (1961) et Mort d’un pourri (1977), on suit à la trace les effets de l’expansion française, sur les billevesées souvent vertigineuses qu’elle produit, et sur l’imagination créatrice des acteurs, des scénaristes, des dialoguistes qu’il a rassemblés sous sa bannière.

Les temps changent, ils nous invitent à examiner plus attentivement les êtres et les choses dans le domaine artistique, et singulièrement dans la production cinématographique. Nous avons proféré des jugements qui se voulaient avertis et définitifs. Nous avons ainsi établi des hiérarchies, qui comblaient momentanément notre amour-propre et renforçaient nos convictions. Il y avait deux sortes de films : les uns étaient populaires, fabriqués à la hâte dans le seul but de plaire au public, de conforter nos compatriotes dans leurs plus médiocres certitudes ; les autres avaient accès à la dignité « art et essai », à la catégorie des œuvres de l’esprit. Les premiers glorifiaient les sentiments inférieurs bien propres à alimenter l’indignité nationale.

Sous le sens

Le Monocle noir signale le commencement de la grande dérive lautnerienne, qui veut non seulement contrarier le sens, mais encore le pousser dans ses retranchements : « À l’origine, il y avait un roman du colonel Rémy, qui ne m’avait pas du tout emballé. Néanmoins, j’y ai discerné une histoire, que l’on pouvait sortir de son contexte afin de la tourner en loufoquerie policière. Sur mes recommandations, Pierre Laroche et Jacques Robert m’ont fourni un scénario, qui comblait mes attentes. Ma carrière a décollé grâce à ce film. Pourtant, le ton en avait déplu à la commission de censure. Il est sorti à la dérobée, au mois d’août, et c’est grâce à son succès que j’ai pu poursuivre dans mon “mauvais esprit”. Prenez un héros sombre, voué aux situations dramatiques : l’héroïsme et le sublime ont une frontière commune. C’est la frontière que j’ai voulu franchir allègrement. Le ridicule comme système peut être insupportable s’il est malveillant et systématique : on rigole tous et de tout, et l’on rit d’abord de soi. On peut grincer, à la condition de présenter toujours des individus, des femmes et des hommes, et non pas des pantins. En 1960, le souvenir de la Seconde Guerre n’était pas si éloigné. Or, à ce moment précis, j’avais envie, et je n’étais pas le seul dans ce cas, d’autre chose. Je souhaitais présenter une réalité non pas uniquement déformée, mais complètement distordue, et pire encore : capricieuse. Pour cela, j’ai constitué une famille, aussi bien chez les acteurs que chez les techniciens et chez les dialoguistes. Le succès soude les équipes, et les affinités ne sont pas le fruit du hasard. Dès que je fus bien entouré, j’ai pu y aller franco. »[tooltips content= »Les propos de Georges Lautner ont été recueillis par l’auteur en 1994. »]1[/tooltips]

Bernard Blier, l’inquiétant faux-cul

Avant d’être sanctifié grâce au triomphe absolu des Tontons flingueurs, à ses répliques devenues d’un usage commun pour toutes les générations, Georges Lautner n’était pas seulement rejeté par la cinéphilie : on ne lui accordait aucune originalité, on le méprisait ouvertement. Sa réhabilitation est récente, elle ne prend pas en considération l’ensemble de ses films, ni sa maîtrise professionnelle, évidente dans les cadrages, ni son montage habile. Cette habileté ne doit rien au hasard : « Je me mets au service des acteurs, pour lesquels j’ai une grande estime, quelque chose comme de l’amour. Je leur donne des indications, je les oriente, mais ils incarnent. J’aime ce miracle, qui consiste à les voir et à les entendre. »

De fait, chez Lautner, les comédiens paraissent devenir des personnalités : ils se meuvent, ils sont uniques, ils disposent d’une vraie marge d’autonomie. Tout d’un coup, ils font jaillir une mimique, une posture du corps, un regard. Ainsi Paul Meurisse, supérieurement détaché des contingences au point de se réjouir sobrement en constatant qu’avec un seul coup de feu il tue deux ou trois ennemis : tout est possible et inversement, chez Lautner… Bernard Blier, comédien impeccable, rompu à tous les exercices de la scène et de l’écran, a révélé une autre facette de son jeu. Sa manière est « dérangeante », comme le dit Gérard Oury : il persifle, crache ses propos avec une véhémence effarée ; ramassé sur lui-même, il exécute un véritable rite comique. Il campe un bonhomme rond, vif, inquiétant au fond, mielleux, faux-cul, toujours déçu par l’échec de ses plans de rapine et de revanche. Blier est un Jekyll-Hyde jovial et sardonique. Les Français reconnaissent leur voisin, leur patron, leur beau-frère. Ils le redoutent, ils s’en gaussent quand il perd, ils le flattent quand il triomphe. Toujours, ils attendent, ils espèrent sa chute : « Michel Audiard écrivait ses dialogues en fonction de l’acteur auquel il les destinait. Il anticipait non seulement le débit connu de celui-ci mais, en plus, il lui en prêtait un nouveau. C’était un peu plus, parfois, que du sur-mesure. Quant à moi, mon amour des comédiens et mon goût des mots, du vocabulaire m’invitaient à les servir ensemble : le champ-contrechamp, le plan fixe, le gros plan étaient mes alliés. Prenez Lino Ventura : le décalage est important entre lui et son rôle dans les Tontons flingueurs. Il nous a fait confiance, mais il n’aimait pas tellement être comique, même s’il était drôle, pittoresque dans la vie. Son personnage est sérieux à l’origine. Et Lino le jouait sérieusement. C’est par le ton que tout cela est transformé, la manière de filmer la scène de la cuisine, par exemple. Nous n’avons pas craint l’énormité, Audiard et moi. Et tous les comédiens nous ont emboîté le pas, au-delà de nos espérances ! Oui, je pense que si j’ai eu quelque mérite dans ce domaine, c’est de “deviner” d’autres interprétations possibles. Louis de Funès, je le connaissais depuis vingt ans, je l’appréciais beaucoup ; je l’avais employé dans Des pissenlits par la racine (1963), puis je lui ai donné le rôle principal dans un Un grand seigneur (1965), un film dit “à sketches” : Gilles Grangier en tournait deux, je me suis chargé du troisième, en m’inspirant de Rédemption [Résurrection ? ndc] de Tolstoï. Audiard était à l’écriture. Louis y a développé son sens de l’improvisation. Je l’ai poussé à aller au-delà. Avec ce genre de comédien, on n’a pas envie de dire : “Coupez !” »

Delon et Belmondo

À la fin des années 1970, la société française pressent plus qu’elle ne se représente la fin des Trente Glorieuses. Après la prospérité, le temps se couvre un peu, sans véritablement obscurcir le paysage, cependant. La fantaisie a besoin de trouver un deuxième souffle, elle s’accorde une pause, ce sera Mort d’un pourri (1977) : « Le film doit énormément à Delon, producteur : j’avais réalisé avec lui et ma chère Mireille Darc Les Seins de glace (1974). Alain, on ne savait jamais par avance quel serait son visage, son état d’esprit, mais ni le comédien, ou plutôt l’acteur, ni l’ami ne m’ont jamais déçu. Dans Mort d’un pourri, j’ai visé le monde politique. Il nous servait alors de beaux scandales en tous genres, qui sentaient la corruption, l’appât du gain. »

Avec Belmondo et l’optimisme des années 1980, Lautner trouve l’interprète idéal, sympathique et athlétique d’une série héroïco-potache, que les contempteurs des « films du dimanche », dont Télérama est la bible, qualifient volontiers de « franchouillarde » : « La critique prétendument sérieuse ne m’a pas épargné, disait-il. Quand elle se penchait sur l’un de mes films, c’était pour le descendre. Cet engouement pour Les Tontons flingueurs est récent, il me réjouit, mais il ne m’ébranle pas. Ce que j’ai pu recevoir comme bouquets d’épines ! En étais-je affecté ? Ce qui me touchait, c’était l’échec, et non pas les articles de presse. »

Il donne à Belmondo quelques-uns de ses grands rôles, où alternent l’acrobate en flagrant délire, le virtuose des courants d’air amoureux, et le généreux distributeur de « marrons contours de l’œil » et autres « bourre-pifs volcans d’Auvergne ». C’est encore avec Belmondo qu’il tournera L’Inconnu dans la maison (1992) : on constate une fois de plus combien Belmondo assume parfaitement un rôle dramatique[tooltips content= »En 1942, Raimu tenait le rôle de Belmondo, dans Les Inconnus dans la maison, dirigé par Henri Decoin. »]2[/tooltips]. Cependant, cet Inconnu, descendu en flamme par la critique, sera l’ultime travail de Georges Lautner au cinéma.

La fantaisie contre les acariâtres

La fantaisie un peu folle inaugurée par Georges Lautner ne s’est pas arrêtée avec lui, qui distinguait presque une filiation dans l’art de Bertrand Blier : « Bertrand, un jour, me fournit un scénario. Je lui conseille de reprendre tout son récit à l’envers. Il m’a entendu, et j’ai réalisé Laisse aller, c’est une valse (1970), écrit par lui. C’est l’un de mes cinéastes préférés. Il est allé encore plus loin que moi dans la déstructuration. J’ai vu Un, deux, trois, soleil ! (1993). J’ai été bluffé. Il a poussé l’affaire au maximum : rupture de temps, de lieux, jonglerie avec les règles… En littérature, Faulkner avait montré le chemin. »

Jusqu’à une époque récente, la faculté de renouveler la fantaisie signalait avec une certaine justesse la réserve d’énergie de notre nation singulière. Cette réserve est-elle épuisée ? Nous avons banni les formes qu’elle suscitait et qui témoignaient de nos heureuses ou malheureuses métamorphoses. Elle nous autorisait à moquer nos travers comme à valoriser nos avantages. Elle nous rendait meilleurs, plus dignes. Elle nous permettait à la fois de croire en nous et de moquer nos certitudes nationales. La fantaisie, alors, n’excluait pas le doute. Nous parlons de cette nature de doute qui, depuis Descartes, fonde la perspective d’une pensée, produit des repères grâce auxquels cette pensée a quelque chance de progresser, c’est-à-dire d’ébranler sérieusement une orgueilleuse et aveugle conviction. Ce pays veut-il toujours subir l’épreuve de cette réflexion paradoxale ? À quelques exceptions près, et non des moindres (Albert Dupontel, Gilles Lellouche), la fantaisie populaire paraît avoir déserté les écrans, cédant la place au persiflage ricanant des prétendus « heureux du monde », nouveau marquisat d’acariâtres, parfaitement incarné par la petite meute des humoristes moralisateurs d’État.

Et soudain, Macron a parlé « d’un islam qui veut faire sécession »

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Mais quelle mouche a bien pu piquer le président ? L’homme qui a écarté toute question sur l’identité ou l’immigration de son « grand débat national » a, lors de sa conférence de presse d’hier soir, évoqué la question du séparatisme musulman. Emmanuel Macron serait-il devenu « islamophobe » ?


Emmanuel Macron a la « conviction de ne jamais avoir de répit ». L’hiver a été agité. Et il n’est pas évident de contenter tout le monde. D’autant que « contents », les Français ne le sont que rarement. Radios et télés du pays se proposaient pourtant de leur retransmettre une parole qu’on n’attendait plus. Le président allait-il sortir la France de la spirale du pessimisme ?

Lui en tout cas a semble-t-il gardé la foi. Hier soir, il a donné de sa personne. Comme s’il ne s’agissait plus tant de convaincre le pays de la pertinence de sa politique que d’afficher aux yeux de tous son volontarisme inentamé. Formellement, il a été plutôt bon. En fermant les yeux, certains journalistes pouvaient presque entendre un Sarkozy charmeur à son meilleur, à qui des références littéraires seraient venues.

Finalement, on peut parler d’islam

Les mesures annoncées sont déjà décortiquées par nos éditorialistes. Que ce soit la décentralisation et ses joyeux méandres, les énièmes réformes fiscales promises, l’aménagement du référendum d’initiative partagée ou le prélèvement direct des pensions alimentaires de papas indélicats, souhaitons-leur bien du plaisir ! Les sondeurs, enfin, ne tarderont pas à évaluer l’impact de telle ou telle annonce sur le prochain scrutin européen.

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Alors que le Rassemblement national vire en tête dans certains sondages, les conseillers de Macron ont estimé indispensable de glisser un petit mot à ceux qui ont la « boule au ventre » à propos de l’identité nationale… Au centre des préoccupations, l’islam séparatiste qui gangrène une partie toujours plus importante du pays.

Et voilà l’effet « waouh » que nous n’avions pas vu venir ! Alors qu’Emmanuel Macron déroulait depuis près d’une heure ses conclusions, la question identitaire a surgi. Bien à la fin, mais c’est quand même mieux que rien. Le président avait écarté du débat les questions d’immigration et d’identité nationale et les a mises hier soir sur la table.

« Quand on parle de laïcité, on ne parle pas vraiment de laïcité »

C’est qu’avant d’évoquer les fadaises d’un « patriotisme inclusif », il fallait bien donner quelques gages au camp « laïcard ». Ce dernier est inquiet du flottement entourant d’éventuels aménagements de la loi de 1905. « La loi de 1905 est notre pilier » et elle doit être « réaffirmée » et « pleinement appliquée », a dit le président. Ça va quand même mieux quand c’est finalement dit. Mais, « aujourd’hui, nous ne devons pas nous masquer [les yeux], quand on parle de laïcité, on ne parle pas vraiment de laïcité », a sermonné en même temps le président. Tiens donc ?

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Mais de quoi parle-t-on exactement ? « On parle du communautarisme qui s’est installé dans certains quartiers de la République, on parle d’une sécession qui s’est parfois sournoisement installée parce que la République avait déserté ou n’avait pas tenu ses promesses », a clarifié Macron.

« J’ai demandé au gouvernement d’être intraitable »…

Petit miracle, le président décide de mettre les pieds dans le plat : « On parle de gens qui au nom d’une religion poursuivent un projet politique, celui d’un islam qui veut faire sécession. »  Là encore, au moins c’est dit. « J’ai demandé au gouvernement d’être intraitable […] parce que c’est une menace sur notre capacité à tenir la nation ensemble », a-t-il même envoyé. Diantre, il y a donc bien urgence ! « Je souhaite que nous allions plus loin, en renforçant le contrôle sur les financements venant de l’étranger, en étant beaucoup plus dur à l’égard de cette sécession ». Là, le président change de page et passe à un autre sujet.

Rassurez-vous, Macron n’a pas tourné « islamophobe ». Le président joue au chat et à la souris avec la question depuis qu’il a pris les rênes du pays. De mauvais esprits y verront une hypocrisie supplémentaire, alors que des élus de son camp jouent la carte du communautarisme antirépublicain, à l’image d’un Aurélien Taché.

…et en même temps pas trop

Est-ce à dire qu’Emmanuel Macron nous a jeté hier soir de la poudre (de perlimpinpin) aux yeux ? Alors que si peu a été fait contre les menaces depuis deux ans, et que Gérard Collomb a déserté l’Intérieur dans un discours de passation hallucinant – mais peu relevé – le président cherche peut-être uniquement à ratisser le plus large possible dans l’électorat français. Dernière preuve en date du génie contorsionniste de la Macronie ? L’alliance rouge-brun, sur la liste LREM pour l’Europe, entre Bernard Guetta (7e place), ancien trotskiste, et Nathalie Loiseau (la tête de liste), quasiment « gudarde » dans sa jeunesse !

« L’art d’être Français », c’est d’être Macron

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Lors de sa conférence de presse post-grand débat national à l’Elysée, Emmanuel Macron a fait du Emmanuel Macron et invité, à demi-mot, tous les Français à faire de même.


« Un jour, j’aimerais porter l’uniforme. Avec les étoiles. Pensez-y. »

Ainsi parlait Michel Serrault alias Gilbert Brossard dans la scène finale de La gueule de l’autre, ce film-culte des années 70, adoré par tous les passionnés de politique. C’est la phrase à laquelle nous avons immédiatement pensé lorsque nous avons constaté qu’Emmanuel Macron avait souhaité renouer avec la tradition des conférences de presses « assises », comme au bon temps du Général, même si, il faut être honnête, Georges Pompidou avait poursuivi l’exercice et que François Mitterrand l’avait aussi expérimenté une fois.

Macron, l’art d’être politique

Au terme des deux heures trente de conférence de presse, nous ne pouvions que constater que ledit uniforme pourrait bien être trop grand pour l’actuel hôte de l’Elysée. Ce souci louable de rappeler qu’il avait été élu sur le contrat avec les Français de renouer avec un exercice gaullo-mitterrandien de la présidence s’est fracassé sur le réel. Et la dernière question posée qui évoquait l’affaire Benalla, n’a rien arrangé à l’affaire. Emmanuel Macron n’a parlé que des erreurs de son ex-collaborateur. Ce qui était en cause, ce qui lui est reproché, c’est ce « qu’ils viennent me chercher » de la Maison de l’Amérique latine devant son clan. Depuis, nous l’avons maintes fois répété ici, il n’est plus que le président-manager de l’entreprise-France, le symbole de tout ce qu’une très grande majorité des Français rejette, avec son cortège d’adaptations à la mondialisation. Benalla demeurera pour toujours sa « Léonarda », le tournant du quinquennat, le moment où il a perdu la main et la maîtrise des horloges.

Il faut néanmoins retenir qu’Emmanuel Macron en semble bien conscient puisqu’il tente d’envoyer des signes. A ce titre, cette nouvelle formule, qu’il a répétée plusieurs fois sur « l’art d’être Français », mêlant harmonieusement l’enracinement et la quête de l’universel, avait quelque chose de séduisant.

Mais comment ne pas y voir seulement une tactique à court-terme pour les élections européennes, alors que sa catastrophique tête de liste Nathalie Loiseau semble marquer le pas et que le candidat de la droite classique François-Xavier Bellamy poursuit sa dynamique. Eviter un effet de vases communicants vers la liste LR n’est-il pas le principal souci qui agite les têtes pensantes de la Macronie ? Ne nous montrons-nous pas trop soupçonneux et ne nous laissons-nous pas gagner par le procès d’intention ?

Le retour du prestidigitateur

Pour y répondre, examinons le propos du président de la République, hier soir, en commençant par ce qui va dans le sens de notre soupçon.

La réforme de l’ENA caresse certes le sentiment anti-élites qui mouvait les gilets jaunes originels, mais elle s’avère en fait une proposition démagogique et cache surtout une attaque en règle contre le concours républicain de la fonction publique. Hier soir, Emmanuel Macron a mis en cause l’emploi à vie des haut-fonctionnaires ayant réussi un concours. Il réfléchit à d’autres modes de recrutement. « Spoil system » à l’américaine et discrimination positive, musée des horreurs pour n’importe quel républicain enraciné et universel, le président-manager semble bien avoir fait son choix et il n’est pas réjouissant.

Autre mesure démagogique, la réduction du nombre de parlementaires permet au président de la République de faire croire aux gilets jaunes qu’ils ont remporté une victoire, alors que la France périphérique et rurale en sera la première victime. Combinée à l’instillation d’une dose de proportionnelle, le poids des métropoles et des états-majors parisiens en sera accru. La France profonde, celle que le président disait vouloir rassurer après son « Grand débat », payera les pots cassés.

Et puis il y a les justifications présidentielles, à propos des malheureuses formules qu’il a employées, sur l’arrogance qui lui est reprochée. Là aussi, non seulement, il renvoie la responsabilité sur les journalistes et les réseaux sociaux qui ont déformé et décontextualisé sa prose, mais lorsqu’il exprime un mea culpa, c’est pour s’emmêler longuement dans des cordes d’alpinisme et nous faire comprendre in fine et bien malgré lui que nous ne sommes pas assez finauds pour ne pas être accessibles à sa pédagogie.

Promesses ténues

Dans la colonne de ce qui nous conduit à atténuer notre soupçon, on notera tout d’abord sa charge inattendue contre l’islamisme politique et les tentations sécessionnistes à l’œuvre dans de nombreux quartiers. Alors qu’Aurélien Taché avait semé le trouble sur ces sujets dans la majorité et que Marlène Schiappa s’y était fermement opposée, on attendait l’arbitrage présidentiel. Emmanuel Macron semble avoir pris le parti de la seconde, même si, là encore, les élections européennes n’y sont sans doute pas étrangères. Il faudra observer sur le long-terme pour juger si la volonté « intraitable » qu’il a exprimée sera bien suivie d’effets. Même chose pour son timide éloge de la frontière.

La question posée par la correspondante d’un quotidien allemand a été très intéressante. Emmanuel Macron semble avoir pris acte que le couple franco-allemand ne traverse pas une période idyllique en assumant ouvertement sa propre responsabilité à cet égard. Il a sans doute peu apprécié les réponses venues d’Outre-Rhin à ses propositions européennes. Reste à en tirer toutes les conséquences. Là aussi, il faudra observer en d’autres rendez-vous s’il est décidé à jouer, comme les Allemands, la carte des intérêts nationaux stricto sensu, se débarrassant de cette chimère appelée « souveraineté européenne ».

Il est finalement assez douteux que cet exercice ait permis à Emmanuel Macron de changer la perception qu’une grande majorité des Français à son égard. Les études d’opinion publiées dès hier soir par Le Figaro confirmaient ce doute, puisque les sondés répondaient à la fois qu’ils n’avaient pas été convaincus par sa prestation tout en approuvant une majorité des mesures qu’il proposait. C’est bien lui, son style de présidence et ses deux premières années qui motivent ce jugement de l’opinion. Le scrutin du 26 mai donnera des informations encore plus fiables sur le rapport des Français au chef de l’Etat. Il n’est pas certain qu’à l’instar de Gilbert Brossard, il puisse enfiler le fameux uniforme.

« Islam de France »: Macron, la laïcité sapée comme jamais?


Le projet présidentiel de construire un « islam de France » inquiète de nombreux militants laïques. Dans leurs essais respectifs, Philippe Raynaud et Laurent Bouvet décryptent le libéralisme multiculturaliste d’une partie de la gauche rejointe par Emmanuel Macron. Une dérive étrangère à notre tradition républicaine. 


La question laïque, qu’on aimerait tant oublier, considérant la loi de 1905 comme intangible, est revenue sur le devant de la scène avec le projet de sa révision, envisagée par le président Macron. En rapport direct avec le grand dossier de son quinquennat, celui de construire un « islam de France » appuyé sur les « musulmans modérés », la réforme devait s’articuler autour de trois pôles : modifier le régime des cultes en étendant le statut des associations 1905 à tous les lieux de culte, dont un certain nombre fonctionne à présent sous couvert de la loi de 1901 sur les associations culturelles ; requalifier la nature des associations 1905 pour renforcer notamment le contrôle des membres de ses conseils d’administration ; enfin, contrôler plus scrupuleusement les financements de ces associations, en particulier quand ils viennent de l’étranger. En principe, rien d’inquiétant. Au contraire. Cependant l’annonce du souhait présidentiel a fait réagir les forces laïques qui, à l’initiative du Comité laïcité République, ont lancé une pétition dans le but de stopper sur-le-champ le projet. Peut-être ont-ils été entendus car le chef d’Etat a annoncé, devant les intellectuels reçus à l’Elysée le 18 mars dans le cadre du « grand débat », qu’il ne toucherait pas à la loi de 1905. Deux livres parus récemment, La Laïcité : histoire d’une singularité française, de Philippe Raynaud (Gallimard, 2019), et La Nouvelle Question laïque, de Laurent Bouvet (Flammarion, 2019), aident, chacun dans une optique spécifique, à mieux comprendre pourquoi toute tentaive d’adapter cette loi emblématique suscite tant de réactions.

« Pour la laïcité, la vraie question n’est pas celle de ‘l’islamisme’ mais celle de l’islam tout court »

Limpide et parfaitement maîtrisé, l’ouvrage de Raynaud, politologue et philosophe politique, surprend par son courage, tant nous nous sommes habitués à ne pas entendre les spécialistes des « questions sensibles » dire tout haut ce qu’ils pensent souvent tout bas : « Pour la laïcité, la vraie question n’est pas celle de “l’islamisme” réputé radical, mais celle de l’islam tout court, c’est-à-dire cette “religion” que la République essaie de traiter comme les autres “cultes” avec lesquelles elle a appris à vivre. » Laissons nos amis « ouverts d’esprit » dénoncer l’« islamophobie » de l’auteur. En revanche, ceux qui ne craignent pas de contaminer leur cerveau avec des idées sulfureuses devraient s’attarder sur les chapitres qui synthétisent avec style l’histoire de l’avènement de la laïcité en France.

Jeté un peu vite dans le fourre-tout des religions abrahamiques, l’islam diffère du christianisme ne serait-ce que parce que, jusqu’à preuve du contraire, il ne permet pas ce que Marcel Gauchet a appelé « la sortie de la religion ». En Occident, la religion a cessé d’organiser les sociétés humaines et laissé chaque individu libre de trouver un sens à son existence, à l’intérieur d’une chapelle ou pas. Là où l’islam demeure en position dominante, on a affaire à un processus inverse. À en croire le sociologue Mohamed Cherkaoui, cité par Laurent Bouvet, c’est « la nouvelle islamisation des pays musulmans », qui se joue à quatre heures de vol de Paris, avec son fondamentalisme, ses moines-soldats et sa guerre sainte. Les résultats de l’étude réalisée par l’Institut Montaigne en 2016 laissent penser qu’il sera difficile à Emmanuel Macron de trouver cet appui tant désiré des « musulmans modérés » : 28 % des « musulmans de France » appartiennent à des groupes qui « ont adopté un système de valeurs opposé aux valeurs de la République », 25 % acceptent la loi de la République, mais « revendiquent l’inscription de leur religion dans l’espace public », principalement au travers du mode vestimentaire, du hallal, de l’aménagement de salles de prière dans les lieux de travail ou du refus de la mixité. Passée presque inaperçue en 1983, la création de l’Union des organisations islamiques de France avait montré, pour peu qu’on ne se bandât pas les yeux, que faciliter la pratique du culte musulman servait de tremplin à d’autres revendications placées dans la logique du « droit à la différence » – lequel pourrait, selon Philippe Raynaud, durcir « la contrainte collective ». Si le président de la République relativise les appréhensions des milieux laïques, c’est peut-être parce qu’il a oublié cette phrase de son maître à penser, Paul Ricœur : « Notre laïcité ne peut être perçue par les musulmans que comme une idée folle issue d’une religion fausse. »

L’école du voile

Mais qu’est-ce que « notre laïcité » ? Le fait que Laurent Bouvet intitule son ouvrage La Nouvelle Question laïque devrait interpeller. De même que les mille adjectifs dont on affuble la laïcité depuis un certain temps, comme s’il était déjà trop tard pour maintenir le consensus autour du sens que lui donne la loi de 1905. Bien plus que la liberté religieuse, la laïcité « à la française » désigne une spécificité philosophico-juridique qui non seulement permet au citoyen « de choisir et d’exercer librement le culte de son choix, comme d’en changer ou d’y renoncer », mais est aussi, « et indissociablement, le principe qui le protège de l’influence des cultes, de tous les cultes », rappelle opportunément Bouvet. En d’autres termes, la laïcité renvoie aussi, voire d’abord, à la liberté de conscience, à la capacité de résister aux pressions et aux séductions de quelque culte que ce soit.

Inutile d’insister sur l’importance primordiale que l’application et le respect de cette liberté revêtent dans l’enceinte de l’école publique. Raynaud cite à ce propos une belle formule de Hannah Arendt, « le bruit et la fureur de la société civile », dont il faut préserver l’espace autonome où les enfants se forment à la pensée rationnelle et à la citoyenneté, qu’on aimerait bien croire toujours « républicaine ». Ce n’est pas par hasard que la « loi sur le voile » soit considérée comme un tournant dans l’histoire de la laïcité. Votée en 2004, elle avait connu un prologue retentissant en 1989 avec l’affaire des collégiennes voilées de Creil. Lionel Jospin, alors ministre de l’Éducation, avait choisi de jouer la carte de l’ « apaisement » face aux manifestations identitaires, sous prétexte que la scolarité devait prévaloir sur l’adhésion à ce qu’on considère comme nos valeurs. La capitulation connue de la gauche française s’inscrit, certes, dans un mouvement plus global, à la fois historique et idéologique.

La « laïcité inclusive » et les trahisons de la gauche

Laurent Bouvet en retrace la trajectoire des années 1980 à nos jours, de l’abandon des combats sociaux jusqu’au ralliement total aux causes identitaires des diverses minorités. Dans les « cercles éclairés », on parle, d’après le philosophe Charles Taylor, de la « politique de la reconnaissance », soucieuse de garantir à tous les damnés de la terre une visibilité dans l’espace public. Le changement s’était opéré en même temps sur le plan sémantique et il est significatif : « On est en effet passé, dans le langage public, d’une désignation mêlant origine et appartenance de classe, le travailleur immigré ou le travailleur arabe, à une désignation totalement détachée du statut social et témoignant d’une identité attribuée en même temps que revendiquée, arabe et très vite beur, à un vocable général clairement identitaire, venu de la religion mais qui la dépasse pour englober toute une population sans que l’on connaisse son degré de religiosité ou de pratique : musulman. »

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Ultra médiatisée, l’ « affaire Baby Loup », du nom d’une crèche associative dont la directrice avait licencié une employée voilée, a constitué une victoire symbolique du camp laïque, qui a fait valoir à l’opinion l’existence de lieux et de situations en France où les citoyens restent d’abord des citoyens, sans être empêchés d’embrasser leur identité religieuse, en l’occurrence celle d’une femme musulmane, mais après les horaires de travail. Reste que ce sursaut de la laïcité, militante comme au bon vieux temps, a finalement laissé l’impression qu’il s’agissait, somme toute, d’une opinion particulière parmi d’autres. Pis, comme l’explique Raynaud : « Les défenseurs autoproclamés de la laïcité “inclusive” ont fait de cette affaire le symbole des prétendues dérives autoritaires et islamophobes de leurs adversaires. » Ce que craignent précisément les militants laïques républicains, à l’instar de Laurent Bouvet, c’est l’expansion de cette « laïcité inclusive » sous le mandat d’Emmanuel Macron. Probablement à raison, si on considère ce propos lâché par le président le 18 mars : « Quand on a un débat sur le burkini, ça n’a rien à voir avec la laïcité, ce n’est pas cultuel. »

Macron et la « radicalisation de la laïcité »

S’agissant de l’esprit de la loi de 1905 et de sa préservation, le bilan des présidents français depuis Chirac laisse à désirer. Selon Bouvet, Nicolas Sarkozy porte la responsabilité d’avoir lancé le processus de politisation de la laïcité avec son concept de « laïcité positive », que certains ont vite compris comme « l’autre nom d’une France assise sur son héritage chrétien (“blanc”, occidental) ». Le sociologue Éric Fassin s’était alors amusé à pondre le terme de « laïcité négative », qu’il définissait comme « une islamophobie sans voile ». Le ton des débats sur la question laïque était donné. Partisan d’une « laïcité qui libère et qui protège », François Hollande s’était démarqué en tant que candidat en proposant d’inscrire les deux premiers articles de la loi 1905 dans la Constitution, pour finir par nommer au poste de président de l’Observatoire de la laïcité Jean-Louis Bianco, un homme obsessionnellement inquiet de la monté de l’islamophobie en France et convaincu qu’il n’y avait aucun problème de laïcité. Quant à Emmanuel Macron, en plus de reconduire Jean-Louis Bianco, il a fustigé devant un parterre de représentants religieux reçus à l’Élysée en décembre 2017, « la radicalisation de la laïcité ».

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L’élection d’Emmanuel Macron consacre une lecture libérale de la laïcité, fortement influencée par le modèle anglo-saxon multiculturaliste, très éloignée du libéralisme des républicains français du début du XXe siècle. Laurent Bouvet la résume ainsi : « L’individu libéral y est conçu comme pouvant “choisir” librement les traits de l’identité personnelle qu’il souhaite mettre en avant dans la société, au gré de telle ou telle autre situation, tout particulièrement lorsque tel ou tel trait de cette identité est “minoritaire”, “dominé” ou “discriminé”. Ce “choix” se transformant le plus souvent dans la société libérale en revendication de droits. » À la lumière de la doxa tolérantiste, le présumé « archaïsme » de la laïcité « à la française » irrite fortement les pupilles de la caste progressiste. Le sociologue Marc Jacquemain forge ainsi le concept de « laïcité réactionnaire ». Proche du président Macron, l’historien Jean Baubérot, qualifié par Bouvet d’« entrepreneur politico-intellectuel », oppose, quant à lui, cette laïcité « falsifiée », confisquée en quelque sorte par les forces obscures de l’intégrisme républicain, à la « laïcité historique », la seule « vraie » à ses yeux, et qui correspond – sans surprise – à la conception libérale. On a pu mesurer la dangerosité réelle des « influenceurs » de l’acabit de Baubérot à l’occasion de la parution de l’ouvrage qu’il a cosigné avec Rokhaya Diallo, Comment parler de laïcité aux enfants (sic !), qui souligne que la laïcité « entraîne concrètement un sentiment d’injustice, et de stigmatisation. » À l’avenir, la « laïcité » n’aurait donc pas pour but de favoriser l’émancipation des citoyens de toute assignation religieuse, mais se limiterait à agencer la cohabitation des différentes communautés.

 

Il est évidemment légitime de s’interroger sur l’adéquation de la loi de 1905 avec la situation actuelle, marquée par l’émergence de l’islam comme la deuxième religion de France. Dans l’idéal, cette question ne devrait effrayer personne. La crispation qu’elle suscite prouve à quel point il n’est pas sûr que la laïcité, qui s’incarne au quotidien dans une multitude de décisions – individuelles, collectives, juridiques, politiques –, fournisse encore un cadre à l’ « intégration ». Surtout, à défaut d’un débat souhaitable sinon nécessaire, nous nous exposons à l’incertitude de savoir comment cette laïcité, dont la définition est disputée entre ses différents « défenseurs » et interprètes, parviendra à domestiquer l’islam : en le neutralisant ou en lui permettant de se déployer en catimini, comme on le voit avec la « Nuit du ramadan » célébrée à la Mairie de Paris ? Que le Printemps républicain, association cofondée par Laurent Bouvet et qui vise à « promouvoir le commun et la laïcité dans le paysage politique français », ait fait de Latifa Ibn Ziaten la citoyenne de l’année 2018, sans se formaliser du foulard qu’elle portait, donne une ébauche de réponse.

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« Le Vent de la liberté », un film pour l’histoire

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Dans Le Vent de la liberté, le réalisateur allemand Michael Bully Herbig retrace l’histoire vraie de la tentative  de deux couples d’Est-Allemands de s’évader de la RDA… en montgolfière. 


Avec le nouveau film du réalisateur allemand Michael Bully Herbig, Le Vent de la liberté (Ballon), sorti en France en ce mois d’avril, les Allemands ont pu se remémorer les quatre décennies d’existence de la République démocratique allemande (1949-1990), à l’approche des célébrations du trentième anniversaire de la chute du mur de Berlin, le 9 novembre prochain. Les chanceux qui ont grandi à l’Ouest pourront mesurer ce qu’ont enduré les quelque 16 millions d’Allemands coincés de l’autre côté du « rideau de fer » et la détermination de certains de leurs compatriotes pour s’extraire, au péril de leur vie et de celle de leurs enfants, d’une société plombée par la paranoïa et la cruauté des autorités, et condamnée à péricliter en raison de sa médiocrité et de sa mesquinerie.

Ballon d’air frais

Ce constat n’a pourtant pas été du goût de Libération qui, dans une critique particulièrement condescendante, descend en flèche cette production honorable et particulièrement intéressante sur le plan mémoriel. Car à la différence des films Good Bye Lenin ! (2003) ou La vie des Autres (2006), le scénario présente l’avantage d’être tiré d’une histoire vraie et de figurer ainsi dans la catégorie des thrillers historiques. Il retrace à un rythme haletant les tentatives d’évasion à l’Ouest en 1979 de deux familles est-allemandes, qui confectionnèrent des montgolfières avec des moyens rudimentaires, sous la surveillance permanente de la sinistre Stasi et de compatriotes plus malveillants les uns que les autres. Le Musée du Mur (Mauer Museum) érigé non loin de Check-Point Charlie, l’ancien poste-frontière de la Friedrichstrasse, à Berlin, présente encore aux visiteurs les trésors d’ingéniosité déployés par les candidats à l’évasion : montgolfières, petits avions, kayaks, doubles coffres et portes de voiture, dont la fabrication nécessita parfois des sacrifices incommensurables.

« J’ai l’impression qu’aujourd’hui la mémoire est beaucoup moins sûre d’elle-même… »

Entre le milieu des années 1970 et 1989, sur près de 38 000 tentatives d’évasion, 462 ressortissants Est-Allemands – dont de nombreux enfants – furent abattus par les garde-frontières allemands (Grenztruppen der DDR), qui avaient ordre d’abattre les fuyards. Les survivants, considérés comme des traîtres à la patrie connurent souvent les pires humiliations et sévices en prison. La visite de la prison de la Stasi à Berlin (devenue depuis 1994 le Mémorial Hohenschönhausen) demeure le témoignage tangible de cette accumulation de souffrances. Le film de Michael Herbig a également le mérite de rappeler à notre souvenir le personnage d’Erich Mielke, chef de la Stasi de 1957 à 1989, avant tout connu pour son rôle central dans l’organisation du système de répression est-allemand. Cette personnalité cauchemardesque – mais fort bien informée – ne fut pourtant incarcérée que pendant six ans (pour deux meurtres commis dans les années 1930 !) avant de finir paisiblement ses jours dans une maison de retraite, non loin de la prison de la Stasi.

« J’ai l’impression qu’aujourd’hui la mémoire est beaucoup moins sûre d’elle-même et qu’elle doit lutter sans cesse contre l’amnésie et contre l’oubli », déclarait Patrick Modiano, lors de son discours de réception de son prix Nobel de Littérature en 2014. Rien que pour cette raison, il est urgent d’aller voir Le Vent de la liberté.

Si France Inter est numéro 1, c’est parce qu’elle est « progressiste »

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Ça y est, c’est fait: France Inter est devenue la radio généraliste la plus écoutée du pays. Et d’après ses vedettes, invitées à s’auto-congratuler par Yann Barthès, la raison est simple: la station publique est de gauche et fière de l’être. 


J’étais récemment invité à Sud Radio pour débattre d’un de ces sujets que je ne maîtrise pas parfaitement mais dont je prétends quand même pouvoir causer. Auréolé du prestige de cette invitation matinale, je demande grisé, à la faveur d’une coupure de publicité, si l’on saurait me dire combien d’auditeurs étaient susceptibles d’entendre mes brillants propos.

Cécile de Ménibus, co-animatrice, me dit qu’on ne sait pas exactement. Et apparemment, Sud Radio n’a qu’une confiance relative dans les chiffres de Médiamétrie. Mince ! J’étais tombé dans une radio de complotistes. Un article du Monde allait me le confirmer quelques jours plus tard

La famille, y a que ça de vrai

Le complotisme et l’audimat, Yann Barthès passe son temps à dénoncer le premier et à décrypter le second dans son émission. La semaine dernière, il a donc consacré vingt minutes à faire la promo de France Inter. Les chiffres de Médiamétrie venaient de tomber (et à France Inter on les croit) : la très chic station publique – où il n’est pas totalement exclu que Yann Barthès atterrisse un jour – est passée devant RTL, c’est la radio généraliste la plus écoutée du pays. Le Monde révèle que le matin de l’annonce des résultats, « le champagne était de sortie » à tous les étages de la Maison de la radio. Un moment de grâce auquel Barthès aurait visiblement aimé se joindre.

Le présentateur de Quotidien avait donc invité la « dream team » de France Inter. Laurence Bloch, la directrice de l’antenne était là ! Léa Salamé et Nicolas Demorand, les stars de l’info étaient là ! Il y avait aussi Sonia Devillers, la spécialiste médias, l’humoriste François Morel, les chroniqueurs Augustin Trapenard et Rebecca Manzoni ! Quel entre soi délicieux. Pour Yann Barthès, c’était mieux que les Rolling Stones. Moi, j’étais quand même un peu déçu de ne pas voir Claude Askolovitch. Passons… Comment ces gens font-ils pour être si brillants ? C’était un peu le sujet de la soirée.

Ma « différence » à moi

Difficile de l’expliquer. Ils ne veulent surtout pas pâtir du syndrome BFM TV, laquelle se fait lyncher par les gilets jaunes depuis qu’elle a commencé à crier partout qu’elle était numéro 1. Restons modestes, c’est plus prudent… La figure du chef charismatique est vite invoquée. L’équipe présente lui voue un quasi culte. Léa Salamé qualifiera affectueusement Laurence Bloch de « punk », ce qui est apparemment un compliment.

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François Morel expliquera de son côté que les humoristes de France Inter n’ont pas du tout le même standing que ceux des stations privées. Sur France Inter, il n’y a ainsi « pas de rires professionnels ». Les collègues sont même autorisés à s’ennuyer quand une de ses chroniques déplaît. C’est bien là, « la différence ». Depuis qu’il a quitté la fromagerie des Deschiens pour nous faire le portrait d’une France qu’il s’imagine en voie de fascisation, je dois avouer qu’il m’ennuie moi en fait la plupart du temps. Mais certains matins, ses collègues ont vu en lui du Jean Moulin…

« Cette première place, est-ce la victoire des bobos-gauchos bien-pensants ?« 

Mais quelle mouche pique soudain Yann Barthès ? Il demande à la cantonade si cette première place est « la victoire des bobos-gauchos bien-pensants ». Où va-t-il donc chercher ça ?

France Inter ne peut souffrir une telle accusation. Déjà, « 80% des auditeurs sont en région » révèle Laurence Bloch. Bravo aux « territoires », même si le vote pour Marine Le Pen y reste un peu plus élevé que dans Paris. Léa Salamé contredit sa patronne et met toute l’assemblée mal à l’aise : « On peut être en région et être bobo bien-pensant. » Avec l’eau courante ? Fichtre, j’ai même entendu dire que des provinciaux reçoivent désormais Télérama !

Autre scoop : Léa Salamé et Nicolas Demorand s’appellent entre eux « Chouchou et Chouchou ». Et non « Chouchou et Loulou » comme il a longtemps été raconté à tort. En outre, ils peuvent s’avoir huit fois par jour au téléphone. Et si évoquer le sujet la met dans un embarras terrible, il est rappelé que Léa Salamé a choisi comme une grande de quitter l’antenne quand son compagnon Raphael Glucksmann a pris la tête de la liste PS pour les élections européennes. Pour justifier son départ auprès de la vieille dame, elle aurait dit : « J’aime trop ce métier pour qu’on puisse le disqualifier ou jeter du doute et du discrédit ». C’est que les auditeurs auraient pu se douter qu’elle était de gauche…

« Si c’est ça être bobo bien-pensant, on assume »

Sonia Devillers, élève appliquée aux copies un peu convenues, tente de détourner l’attention quant à cette accusation de gauchisme culturel. Selon elle, il ne faut rien voir d’autre dans le succès de France Inter que « le résultat de toute une équipe qui travaille à s’arracher la peau ». « Vous n’avez pas idée à quel point cela bosse dans cette baraque », insiste-t-elle. Qui pouvait seulement en douter ? Yann Barthès, professionnel, lui rétorque que cela ne répond pas à sa question. Laurence Bloch clôt le débat : « On revendique et on assume d’être progressistes. Par exemple, le fait que les femmes puissent disposer de leur corps librement. Si c’est ça être bobo bien-pensant, on assume. » Bien parlé ! L’argument tape dans le mille, le chauffeur de salle envoie les applaudissements, et Yann Barthès change de sujet.

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Sonia Devillers continue le fayotage auprès de Laurence Bloch : « Le micro, ça vous manque ? Laurence a été une grande femme de radio avant nous. » Je l’ignorais. Je pensais que Sonia de Villers était la première, elle qui a contribué à abattre le patriarcat. D’ailleurs, pas de risque de « masculinité toxique » à France Inter, la station est dirigée par trois femmes : Sibyle Veil, Laurence Bloch et Catherine Nayl. Ce management efféminé n’est-il pas, tout bonnement, l’explication de ce succès d’audience ?

La menace fantôme

Après un running gag sur le malheureux Patrick Cohen parti s’échouer sur Europe 1, une prétendue privatisation de France inter comble actuellement toutes les blagues des humoristes maison (dont la moitié fait aussi des apparitions chez Barthès). A tous les étages de la Maison de la radio, on s’est mis martel en tête : on a peur d’une privatisation. Donner le fruit de toute cette intelligence collective au privé, quel effroi !

Mais pas d’inquiétude, tant qu’ils continueront à jouer les rebelles de salon et la carte du « progressisme » bon teint, il n’y a pas de raison que le système économique et politique en place ne s’émeuve réellement de prétendues nuisances. Guillaume Meurice peut continuer ses blagues anticapitalistes au quotidien, le conservatisme effrayant de France inter et le gauchisme culturel qui transpire de sa grille des programmes étant l’un des meilleurs atouts du « progressisme » macronien…

Les « son et lumière », les sous sans les lumières

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Gustav Klimt à l'Atelier des Lumières, avril 2018, Paris. ©ROMUALD MEIGNEUX/SIPA / 00854409_000008

Beaux, parfois chers et faciles à consommer, les « son et lumière » envahissent la scène artistique et attirent des foules considérables. Mais dans ce bouillon de culture, c’est la culture qui prend le bouillon. Une illusion d’art bien en phase avec la logique libérale. 


À l’heure où nombre « d’expositions » de l’Atelier des Lumières affichent complet une semaine à l’avance, il semble nécessaire de se pencher sur la question des « son et lumière» qui tendent peu à peu à dominer le paysage culturel français.

Ces installations visent à développer dans un espace dédié ou sur une façade préexistante un spectacle composé  d’une succession de projections lumineuses assorties de musiques ou de paroles. Si certains présentent des images d’œuvres, la présence effective de ces dernières n’est pas nécessaire. Certaines créent néanmoins  sur un monument réel un spectacle mêlant effets lumineux et passages quasi-cinématographiques. Ce dans le but d’inciter autant de monde que possible à regarder enfin les œuvres et les monuments qui, à toute heure, s’offrent au regard dans les villes et les musées mais qu’il faut enjoindre à admirer par des artifices oiseux.

Nivellement par le bas…

Ils sont symptomatiques d’une volonté de « démocratisation » et de modernisation de la culture que les gouvernements et acteurs institutionnels imposent depuis près de soixante ans, depuis l’ordonnance de juillet 1959 qui déjà voulait « rendre accessibles au plus grand nombre les œuvres capitales de l’humanité ».

Mais cet élan universaliste s’est peu à peu mué en quelque chose d’autre, en une dégradation de la culture, l’accès à tous supposé favoriser l’élévation de chacun s’est transformé en un abaissement du secteur entier. René Guénon le disait bien : « L’homme moderne, au lieu de chercher à s’élever à la vérité, prétend la faire descendre à son niveau. »

…tiroir-caisse par le haut

Ainsi les enthousiastes peuvent se gargariser de records de fréquentation, alors même que la société sombre dans l’inculture la plus crasse. « L’industrie culturelle » (expression évocatrice) est gangrenée par plusieurs problèmes, au rang desquels figurent en bonne place la marchandisation et le festivisme, lesquels sont indissociablement liés.

Dans une logique de rentabilité, le nombre de visiteurs est un facteur clef pour les organisateurs. La programmation souvent racoleuse attire le badaud, et des activités « ludiques » expurgent la visite de tout ennui causé par une quelconque forme d’apprentissage. C’est ainsi que la quête d’amusement des uns s’accommode parfaitement de la logique marchande des autres.

A lire aussi: Notre-Dame n’est pas un terrain de jeu pour l’art contemporain

Devant ce règne festiviste auquel se soumet complaisamment la société, il n’est d’autre solution pour la culture que de s’adapter pour ne pas être qualifiée de « réactionnaire ». A défaut d’instruire le peuple, la culture le conforte donc dans sa quête de facilité, fi de la réflexion et des difficultés, place au spectacle ! C’est là la genèse du son et lumière « culturel ». Il permet de penser s’ouvrir à l’histoire et à l’art tout en conservant un besoin de réflexion équivalent à celui d’une émission de télé-réalité.

Le musée-réalité

Certes, les gens voient du beau, ils assistent à un spectacle, mais le savoir cède peu à peu sa place à la distraction dans une fête à laquelle ne sont conviés que les artistes connus de tous et qui ne présente que le reflet informe de leur œuvre.

C’est l’esprit du temps, face à un peuple que tout est fait pour rendre prompt au divertissement, rien d’étonnant à ce que la culture s’y adapte, dans la mesure où elle est devenue bien de consommation.

Le spectacle consacré à Van Gogh à l’Atelier des Lumières réussit le malheureux pari d’attirer des foules de clients – et non de visiteurs – à assister à une séance de diapositives tout en leur donnant l’impression d’avoir été au musée. Le degré d’apprentissage est minime, la contrainte faible et l’amusement à son paroxysme, les spectateurs sortent ravis. Face à cette innovation, le musée, avec ses explications et son étalage d’érudition, quoique de moins en moins présent, semble aussi fade qu’arriéré.

La volonté de découvrir a ici laissé place à la contemplation, pas même celle de la beauté vraie mais celle de son pastiche, vulgaire et clinquant, lequel attire sans mal les masses. Il s’agit ici d’une culture coupée de ses racines, allant jusqu’à ne plus nécessiter la présence réelle d’œuvres pour que lui soit accordé son statut.

L’art libéral par excellence

Ce type de représentations tend à reléguer l’œuvre au rang de support, secondaire.C’est par exemple le cas de manifestations comme « Notre Dame de Cœur » ou encore « La nuit aux Invalides » se déroulant sur les édifices éponymes. Ces spectacles, voulant mettre en avant des monuments, ne proposent qu’une parodie de ces derniers en les travestissant pour les rendre ludiques et agréables au regard de celui qui ne cherche pas à sonder la grandeur de ce que son passé lui offre à contempler. L’une comme l’autre cherchent, à grand renfort de technique et d’effets visuels à présenter sur ces chefs d’œuvres des histoires qui ne sont pas les leurs et que l’on pourrait aisément qualifier de films immersifs, lesquels semblent plus seyants à la modernité revendiquée d’un Futuroscope qu’à la solennité d’une cathédrale séculaire ou d’un joyau de l’architecture du XVIIe siècle. Cependant, ceux là ont le mérite de l’honnêteté et ne revendiquent pas le statut d’expositions, se contentant de celui, plus adéquat de « spectacle ».

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Si cette déliquescence de la transmission est le fruit de volontés idéologiques inhérentes à notre temps, sa réalisation n’en reste pas moins liée à des intérêts bassement utilitaristes de certains acteurs « culturels ». Ce type de manifestations correspond à un modèle économique on ne peut plus profitable. Là où le musée engage des frais colossaux pour acquérir de nouvelles œuvres, en restaurer d’autres ou encore déplacer celles qui lui sont prêtées, le son et lumière ne nécessite que le matériel de projection et de sonorisation, lequel pourra être réutilisé pour présenter d’autres œuvres. Si cela permet de baisser considérablement les coûts matériels, elle permet aussi de supprimer d’importants frais humains dans des domaines tels que la surveillance ou la régie. Les expositions virtuelles répondent parfaitement aux attentes du modèle capitaliste le plus débridé, alliant coûts limités et recettes élevées. L’Atelier des Lumières pratique par exemple des tarifs dignes de grandes expositions.

Rendre hommage à Notre Dame et à Dick Rivers

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Neymar porte le maillot du Paris Saint-Germain floqué "Notre-Dame" lors du match PSG-Monaco au Parc des Princes, 21 avril 2019. ©FRANCK FIFE / AFP

On ne rend pas hommage à un bâtiment !

On peut rendre hommage à Dick Rivers et Jean-Pierre Marielle, qui viennent de nous quitter, paix à leur âme.


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On peut rendre hommage aux pompiers qui ont sauvé la cathédrale de Paris.


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Mais on ne peut pas rendre hommage à Notre-Dame. Cela n’a tout simplement pas de sens. Pourtant :


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(« le drawing », « un runner »… beuah!)

« Rendre hommage » signifie témoigner à quelqu’un du respect et de l’admiration ; quand cette personne est décédée, lui rendre hommage, c’est saluer sa mémoire.

Je vous salue Notre Dame

L’utilisation impropre de cette expression a manifesté une terrible lacune culturelle généralisée. Commentant les réactions à l’incendie de la cathédrale, un journaliste de France Info hésite : « l’archevêque de New-York s’adresse… oui, c’est cela, il s’adresse à Notre-Dame ». La surprise est compréhensible : le journaliste s’étonne, et il a raison, qu’on puisse s’adresser à « Notre-Dame », à un bâtiment. Mais l’archevêque s’adressait à « Notre Dame » ! Sans le tiret ! Il adressait une prière à Notre Dame pour lui demander de protéger une église qui lui est consacrée.

Manifestement, un nombre important de personnes sont persuadées que Notre Dame est le surnom affectif donné à un bâtiment, comme c’est le cas pour « Big Ben » à Londres… ou encore pour ce canon allemand qu’on appelait la Grosse Bertha !

A lire aussi: Notre-Dame ne sera plus jamais Notre-Dame

Mais de même que l’horloge londonienne a été ainsi nommée « en hommage à » l’ingénieur qui l’a bâtie, de même Notre Dame a-t-elle été ainsi désignée « en hommage à » une personne, la Vierge Marie. Notre-Dame n’est pas le nom du bâtiment; il n’en est que la désignation métonymique.

On peut rendre hommage à Notre Dame : c’est ce que fait tout chrétien quotidiennement et, en particulier, à la fin de chaque messe dominicale, juste avant le chant d’envoi. C’est ce qu’ont fait les gens qui ont construit Notre-Dame (avec un tiret).

Quand le Qatar « rend hommage » à Notre-Dame

Mais la personnification abusive du lieu donne à tous ces hommages officiels et parfaitement athées des allures de grand retour du catholicisme en France ! Amusant, l’un des plus tonitruants « hommages » (le T-shirt ! le geste !) est rendu par le PSG, ce club financé par…

>>> Lisez la suite de l’article sur le blog d’Ingrid Riocreux <<<

Camille Paglia, l’antiféministe sadique

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camille paglia leroy grozdanovitch
Camille Paglia. AFP. Document reference 054_MEN01880 Byline / Source / Credit MARCELLO MENCARINI / Leemage

Je reçois beaucoup de livres. J’en lis peu. Le plus souvent, le style est aux abonnés absents. Quant à la morale, elle sape mon moral. J’aime les livres qui sont comme des coups de fouet ou des cris de désespoir, des livres écrits à proximité d’un cimetière. Ils sont de plus en plus rares d’autant qu’ils sont destinés à un public féminin qui se complaît dans le récit des infamies qu’elles ont dû subir. Ou qui révèlent leur bovarysme indéracinable : Denis Grozdanovitch, Jérôme Leroy et Camille Paglia. 


Je me propose d’évoquer brièvement trois de leurs livres qui ne me sont pas tombés des mains et dont je pressens que je les oublierai difficilement.

Denis Grozdanovitch : Dandys et Excentriques  (Grasset )

Denis Grozdanovitch est un écrivain à l’allure de gentleman farmer avec lequel il m’arrive de jouer aux échecs où il excelle. N’étant pas mauvais perdant, je me suis promis de dire tout le bien que je pense de son dernier livre d’une grâce et d’une subtilité qui contrastent avec son physique rugueux et son goût pour les blagues. Je connais peu de narrateurs dans la ligne de Proust susceptibles de jouer avec les théories les plus saugrenues et de mettre en scène des personnages excentriques, réels ou imaginaires,  qui les incarnent. Grozdanovitch en est un. Et parmi les plus singuliers. Il a le dandysme intérieur, le seul véritable. Et l’élégance de ne jamais nous ennuyer en  cherchant à nous asséner une quelconque vérité. Cela dit, on perçoit chez lui une nostalgie du monde d’avant : ce conservateur d’une immense culture a choisi, à l’instar d’Henry Miller, de se retirer du monde, non par défaitisme, mais parce que son amour même de la vie, lui a conféré une sagesses qui s’exprime par le renoncement.  Nous avons perdu un redoutable joueur d’échecs puisqu’il ne ne vit plus à Paris mais dans une lointaine campagne. Nous le déplorons. Mais nous avons ses livres pour nous consoler : nous n’oublierons pas facilement cet immense écrivain.

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Jérôme Leroy : Nager vers la Norvège (La Table Ronde)

Certes, Jérôme Leroy est un ami. Certes, il écrit des polars engagés. Certes, il se définit comme un communiste balnéaire.  Pourquoi pas, après tout ? Mais dès qu’on creuse un peu, on découvre un poète de la veine de Richard Brautigan ou de William Cliff, deux des plus grands à mon avis. Jérôme Leroy rend d’ailleurs hommage à Richard Brautigan :

« C’est en me retrouvant
Chez Richard Brautigan
Que je m’endors le mieux
Il me laisse toujours
Une chambre d’ami
Au dernier étage de ses poèmes…. »

Comme Richard Brautigan, Jérôme Leroy aspire à disparaître. Il jette un dernier regard sur les villes de province et les filles qui ressemblaient à Catherine Spaak. Il espère que l’éternité ressemblera à une chanson italienne des sixties. Nous l’espérons tous. Mais le grand art de Jérôme Leroy, je le trouve dans ce poème : « Mort du tirage papier » que voici :

« On ne peut
plus
déchirer
les photographies
en petits
morceaux
alors
c’est encore
plus facile
pour elles
de vous
déchirer
le cœur
et
de vous
faire confondre
une illusion d’optique et un chagrin d’amour. »

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Camille Paglia : Introduction à Personas Sexuelles (Presses de l’Université de Laval.)

J’ai toujours été surpris par le peu de cas que font, en France, les féministes ou les anti-féministes de Camille Paglia, comme si cette universitaire et redoutable polémiste les mettait mal à l’aise. Célèbre dans le monde entier, elle demeure ignorée des intellectuels parisiens. Il est vrai qu’elle ne les ménage pas. Je la cite :« Qu’y a-t-il de plus affecté , de plus agressif et de plus opiniâtrement dénué d’humour qu’un intellectuel parisien derrière son texte ampoulé. Le Parisien est un provincial qui prétend parler au nom de l’universel. »
Elle ajoute, faisant référence à la French Theory, que c’est la plus pernicieuse des importations françaises.

Par ailleurs, cette libertaire qui a eu pour mentor Harold Bloom, n’a pas la moindre indulgence pour un certain féminisme construit autour de la victimisation de la femme et d’une commisération universelle. Elle assiste atterrée à la lobotomisation des cerveaux et à la castration des sexes. Elle plaide pour Sade et pour Freud contre Rousseau. L’une des plus grandes erreurs du féminisme contemporain a été le rejet en bloc de Freud, selon elle. Et ce n’est pas nous qui la contredirons. Bref, pour qui ne supporte plus le bla-bla féministe, Camille Paglia est une aubaine.

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En mai, lis ce qu’il te plaît!

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Posy Simmonds. Auteurs : VIANNEY LE CAER/SIPA. Numéro de reportage : 00790382_000002

L’honneur de la France réside dans un mois de mai riche en jours fériés. Notre pays peut s’enorgueillir d’avoir un calendrier propice aux week-ends longs et aux lectures printanières. Lisez et allez au musée !


Quand tout se dérègle, le climat et la gouvernance, la possibilité non pas d’une île mais de vacances anticipées permet à notre nation de ne pas sombrer dans la neurasthénie. Sans ces jours fériés, soupapes de sécurité vitales et admirables inventions républicaines, la France ressemblerait à ces contrées sauvages où la « valeur travail » est gravée dans les constitutions et où la semaine de 70 heures ranime la libido en berne d’un patronat inquiet par tant de laxisme. Fort heureusement, malgré la scoumoune de ces derniers mois, depuis décembre rien ne va plus, impaires et impasses, nous sommes assez lucides pour croire aux vertus du farniente et du barbecue. Préservons les grillades et le rosé bien frappé à l’heure du déjeuner est encore le meilleur moyen de garantir la paix sociale. Vous pouvez toucher à l’essence, à la CSG et à la TVA, mais ne vous avisez surtout pas de taxer le charbon de bois. Il y a des libertés inaliénables et des principes intangibles, notre dignité est à ce prix-là. Vous enlevez la féerie des chipolatas et des merguez à nos concitoyens ; la révolution frappera à notre porte assurément. C’est aussi le moment de s’offrir des livres qui ne parleront ni des élections européennes, ni des ronds-points et d’éteindre les chaînes d’info dont la rengaine donne la nausée. Ah si la vie pouvait se résumer à une bouteille fraîche de Pouilly, un transat et quelques bouquins, notre moral remonterait en flèche. Voici donc une sélection pour conjurer le mauvais sort :

Pour les tout-petits : Capucine la coquineMireille l’abeille, Léon le bourdon ou l’émouvant Victor le castor, les drôles de petites bêtes inventées par l’illustrateur Antoon Krings sont à lire (délicieusement régressifs) et à voir au Musée des Arts Décoratifs dans une exposition jusqu’au 8 septembre. Collection Gallimard Jeunesse Giboulées.

Pour les Miss Marple sous Tranxène : Cassandra Darke de la dessinatrice star du Guardian depuis 1977, sa Majesté Posy Simmonds, célèbre pour Gemma Bovery et Tamara Drewe. Déjà un best-seller en Angleterre. Quand une mémé plus amère qu’un Pim’s décide de jouer les justicières. Denoël Graphic.

Pour une mystique gréco-sicilienne :Temples grecs, Maisons des dieux d’André Suarès (1868-1948), pensées profondes et enflammées des sites hellènes siciliens (Agrigente, Ségeste, Sélinonte et Paestum), un livre publié la première fois en 1937 qui chante la magie de la colonne et de la lumière de vie. L’Éveilleur Voyage.

Pour les accros à la Sérénissime : L’Altana ou la vie vénitienne d’Henri de Régnier (1864-1936), une édition établie par Patrick Besnier. Allégorie de la Cité des Doges suite à plusieurs voyages entrepris par le poète entre 1899 et 1924, soutenue par une langue coruscante et dépaysante. Omnia Poche Bartillat.

Pour les noctambules du cinéma de minuit : L’assassinat d’Orson Welles de Jean-Pierre de Lucovich. Polar clair-obscur se déroulant en plein Festival de Cannes (1949) par un maître du suspense old-school. Nostalgique et très documenté. Les Happy-few sont à la fête. Édition du Rocher.

Pour les aficionados de Francisco : Visions de Goya – L’éclat dans le désastre de Stéphane Lambert, réflexions sur l’œuvre noire de l’espagnol visionnaire avec un sens rarement atteint du style et de la profondeur. Quand un écrivain sait écrire sur la peinture. Arléa.

Pour les prisonniers de la boîte de jazz : My Heart Belongs to Oscar de Romain Villet. Improvisations diablement originales, un sens du swing inné et de la narration libre. Une déclaration érudite d’amour à Oscar Peterson qui sonne juste. Le Dilettante.


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Lautner, le pacha des Trente Glorieuses

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Georges Lautner avec Jean Gabin et Mireille Darc lors du tournage du film "Le Pacha". Paris, novembre 1967. ©DALMAS/SIPA / 00670135_000005

Six ans après sa mort, Georges Lautner éblouit encore les spectateurs. Méprisé des snobs, le cinéaste aux répliques cultes signées Michel Audiard aura fait tourner Louis de Funès, Bernard Blier, Alain Delon et Jean-Paul Belmondo. Des Tontons flingueurs au Professionnel, ses grands films populaires exhalent la fantaisie de la France des Trente Glorieuses. 


Si Georges Lautner avait été sensible à la critique officielle, il n’aurait pas réalisé plus de deux ou trois films. Cependant, il ne s’est pas découragé. Il faut s’en réjouir : son entêtement nous a légué une parenté inattendue, les membres hautement fréquentables d’une famille effarante, bref, des oncles, plus précisément des tontons exubérants à souhait. Les gens respectables ont immédiatement détesté ces énergumènes, qui ont pourtant attiré la foule nombreuse et fervente, et qui assurent le succès des chaînes de télévision cinquante-sept ans après (Les Tontons flingueurs, 1963). Le cinéma de Lautner, dans ses meilleurs moments, a renouvelé cette qualité (inter)nationale qu’on nomme la fantaisie.

Nous n’avons pas fini d’évaluer les mérites de la fantaisie française, ni d’examiner le terreau historique, social, sociologique qui la nourrit. Le cinéma est en tout cas son truchement idéal. Il s’adresse au plus grand nombre, c’est-à-dire au public. Il est, dans la plupart des cas, accessible à tous et librement. Il est un moment de l’imaginaire, le reflet, plus ou moins persistant, précis, approximatif, injuste d’une société, d’un peuple. Le cinéaste Georges Lautner a exercé entre 1958 (La Môme aux boutons) et 1992 (L’Inconnu dans la maison) : son œuvre couvre donc une part importante de la période de progrès économique exceptionnelle, que Jean Fourastié appela Les Trente Glorieuses (1946-1975). Entre Le Monocle noir (1961) et Mort d’un pourri (1977), on suit à la trace les effets de l’expansion française, sur les billevesées souvent vertigineuses qu’elle produit, et sur l’imagination créatrice des acteurs, des scénaristes, des dialoguistes qu’il a rassemblés sous sa bannière.

Les temps changent, ils nous invitent à examiner plus attentivement les êtres et les choses dans le domaine artistique, et singulièrement dans la production cinématographique. Nous avons proféré des jugements qui se voulaient avertis et définitifs. Nous avons ainsi établi des hiérarchies, qui comblaient momentanément notre amour-propre et renforçaient nos convictions. Il y avait deux sortes de films : les uns étaient populaires, fabriqués à la hâte dans le seul but de plaire au public, de conforter nos compatriotes dans leurs plus médiocres certitudes ; les autres avaient accès à la dignité « art et essai », à la catégorie des œuvres de l’esprit. Les premiers glorifiaient les sentiments inférieurs bien propres à alimenter l’indignité nationale.

Sous le sens

Le Monocle noir signale le commencement de la grande dérive lautnerienne, qui veut non seulement contrarier le sens, mais encore le pousser dans ses retranchements : « À l’origine, il y avait un roman du colonel Rémy, qui ne m’avait pas du tout emballé. Néanmoins, j’y ai discerné une histoire, que l’on pouvait sortir de son contexte afin de la tourner en loufoquerie policière. Sur mes recommandations, Pierre Laroche et Jacques Robert m’ont fourni un scénario, qui comblait mes attentes. Ma carrière a décollé grâce à ce film. Pourtant, le ton en avait déplu à la commission de censure. Il est sorti à la dérobée, au mois d’août, et c’est grâce à son succès que j’ai pu poursuivre dans mon “mauvais esprit”. Prenez un héros sombre, voué aux situations dramatiques : l’héroïsme et le sublime ont une frontière commune. C’est la frontière que j’ai voulu franchir allègrement. Le ridicule comme système peut être insupportable s’il est malveillant et systématique : on rigole tous et de tout, et l’on rit d’abord de soi. On peut grincer, à la condition de présenter toujours des individus, des femmes et des hommes, et non pas des pantins. En 1960, le souvenir de la Seconde Guerre n’était pas si éloigné. Or, à ce moment précis, j’avais envie, et je n’étais pas le seul dans ce cas, d’autre chose. Je souhaitais présenter une réalité non pas uniquement déformée, mais complètement distordue, et pire encore : capricieuse. Pour cela, j’ai constitué une famille, aussi bien chez les acteurs que chez les techniciens et chez les dialoguistes. Le succès soude les équipes, et les affinités ne sont pas le fruit du hasard. Dès que je fus bien entouré, j’ai pu y aller franco. »[tooltips content= »Les propos de Georges Lautner ont été recueillis par l’auteur en 1994. »]1[/tooltips]

Bernard Blier, l’inquiétant faux-cul

Avant d’être sanctifié grâce au triomphe absolu des Tontons flingueurs, à ses répliques devenues d’un usage commun pour toutes les générations, Georges Lautner n’était pas seulement rejeté par la cinéphilie : on ne lui accordait aucune originalité, on le méprisait ouvertement. Sa réhabilitation est récente, elle ne prend pas en considération l’ensemble de ses films, ni sa maîtrise professionnelle, évidente dans les cadrages, ni son montage habile. Cette habileté ne doit rien au hasard : « Je me mets au service des acteurs, pour lesquels j’ai une grande estime, quelque chose comme de l’amour. Je leur donne des indications, je les oriente, mais ils incarnent. J’aime ce miracle, qui consiste à les voir et à les entendre. »

De fait, chez Lautner, les comédiens paraissent devenir des personnalités : ils se meuvent, ils sont uniques, ils disposent d’une vraie marge d’autonomie. Tout d’un coup, ils font jaillir une mimique, une posture du corps, un regard. Ainsi Paul Meurisse, supérieurement détaché des contingences au point de se réjouir sobrement en constatant qu’avec un seul coup de feu il tue deux ou trois ennemis : tout est possible et inversement, chez Lautner… Bernard Blier, comédien impeccable, rompu à tous les exercices de la scène et de l’écran, a révélé une autre facette de son jeu. Sa manière est « dérangeante », comme le dit Gérard Oury : il persifle, crache ses propos avec une véhémence effarée ; ramassé sur lui-même, il exécute un véritable rite comique. Il campe un bonhomme rond, vif, inquiétant au fond, mielleux, faux-cul, toujours déçu par l’échec de ses plans de rapine et de revanche. Blier est un Jekyll-Hyde jovial et sardonique. Les Français reconnaissent leur voisin, leur patron, leur beau-frère. Ils le redoutent, ils s’en gaussent quand il perd, ils le flattent quand il triomphe. Toujours, ils attendent, ils espèrent sa chute : « Michel Audiard écrivait ses dialogues en fonction de l’acteur auquel il les destinait. Il anticipait non seulement le débit connu de celui-ci mais, en plus, il lui en prêtait un nouveau. C’était un peu plus, parfois, que du sur-mesure. Quant à moi, mon amour des comédiens et mon goût des mots, du vocabulaire m’invitaient à les servir ensemble : le champ-contrechamp, le plan fixe, le gros plan étaient mes alliés. Prenez Lino Ventura : le décalage est important entre lui et son rôle dans les Tontons flingueurs. Il nous a fait confiance, mais il n’aimait pas tellement être comique, même s’il était drôle, pittoresque dans la vie. Son personnage est sérieux à l’origine. Et Lino le jouait sérieusement. C’est par le ton que tout cela est transformé, la manière de filmer la scène de la cuisine, par exemple. Nous n’avons pas craint l’énormité, Audiard et moi. Et tous les comédiens nous ont emboîté le pas, au-delà de nos espérances ! Oui, je pense que si j’ai eu quelque mérite dans ce domaine, c’est de “deviner” d’autres interprétations possibles. Louis de Funès, je le connaissais depuis vingt ans, je l’appréciais beaucoup ; je l’avais employé dans Des pissenlits par la racine (1963), puis je lui ai donné le rôle principal dans un Un grand seigneur (1965), un film dit “à sketches” : Gilles Grangier en tournait deux, je me suis chargé du troisième, en m’inspirant de Rédemption [Résurrection ? ndc] de Tolstoï. Audiard était à l’écriture. Louis y a développé son sens de l’improvisation. Je l’ai poussé à aller au-delà. Avec ce genre de comédien, on n’a pas envie de dire : “Coupez !” »

Delon et Belmondo

À la fin des années 1970, la société française pressent plus qu’elle ne se représente la fin des Trente Glorieuses. Après la prospérité, le temps se couvre un peu, sans véritablement obscurcir le paysage, cependant. La fantaisie a besoin de trouver un deuxième souffle, elle s’accorde une pause, ce sera Mort d’un pourri (1977) : « Le film doit énormément à Delon, producteur : j’avais réalisé avec lui et ma chère Mireille Darc Les Seins de glace (1974). Alain, on ne savait jamais par avance quel serait son visage, son état d’esprit, mais ni le comédien, ou plutôt l’acteur, ni l’ami ne m’ont jamais déçu. Dans Mort d’un pourri, j’ai visé le monde politique. Il nous servait alors de beaux scandales en tous genres, qui sentaient la corruption, l’appât du gain. »

Avec Belmondo et l’optimisme des années 1980, Lautner trouve l’interprète idéal, sympathique et athlétique d’une série héroïco-potache, que les contempteurs des « films du dimanche », dont Télérama est la bible, qualifient volontiers de « franchouillarde » : « La critique prétendument sérieuse ne m’a pas épargné, disait-il. Quand elle se penchait sur l’un de mes films, c’était pour le descendre. Cet engouement pour Les Tontons flingueurs est récent, il me réjouit, mais il ne m’ébranle pas. Ce que j’ai pu recevoir comme bouquets d’épines ! En étais-je affecté ? Ce qui me touchait, c’était l’échec, et non pas les articles de presse. »

Il donne à Belmondo quelques-uns de ses grands rôles, où alternent l’acrobate en flagrant délire, le virtuose des courants d’air amoureux, et le généreux distributeur de « marrons contours de l’œil » et autres « bourre-pifs volcans d’Auvergne ». C’est encore avec Belmondo qu’il tournera L’Inconnu dans la maison (1992) : on constate une fois de plus combien Belmondo assume parfaitement un rôle dramatique[tooltips content= »En 1942, Raimu tenait le rôle de Belmondo, dans Les Inconnus dans la maison, dirigé par Henri Decoin. »]2[/tooltips]. Cependant, cet Inconnu, descendu en flamme par la critique, sera l’ultime travail de Georges Lautner au cinéma.

La fantaisie contre les acariâtres

La fantaisie un peu folle inaugurée par Georges Lautner ne s’est pas arrêtée avec lui, qui distinguait presque une filiation dans l’art de Bertrand Blier : « Bertrand, un jour, me fournit un scénario. Je lui conseille de reprendre tout son récit à l’envers. Il m’a entendu, et j’ai réalisé Laisse aller, c’est une valse (1970), écrit par lui. C’est l’un de mes cinéastes préférés. Il est allé encore plus loin que moi dans la déstructuration. J’ai vu Un, deux, trois, soleil ! (1993). J’ai été bluffé. Il a poussé l’affaire au maximum : rupture de temps, de lieux, jonglerie avec les règles… En littérature, Faulkner avait montré le chemin. »

Jusqu’à une époque récente, la faculté de renouveler la fantaisie signalait avec une certaine justesse la réserve d’énergie de notre nation singulière. Cette réserve est-elle épuisée ? Nous avons banni les formes qu’elle suscitait et qui témoignaient de nos heureuses ou malheureuses métamorphoses. Elle nous autorisait à moquer nos travers comme à valoriser nos avantages. Elle nous rendait meilleurs, plus dignes. Elle nous permettait à la fois de croire en nous et de moquer nos certitudes nationales. La fantaisie, alors, n’excluait pas le doute. Nous parlons de cette nature de doute qui, depuis Descartes, fonde la perspective d’une pensée, produit des repères grâce auxquels cette pensée a quelque chance de progresser, c’est-à-dire d’ébranler sérieusement une orgueilleuse et aveugle conviction. Ce pays veut-il toujours subir l’épreuve de cette réflexion paradoxale ? À quelques exceptions près, et non des moindres (Albert Dupontel, Gilles Lellouche), la fantaisie populaire paraît avoir déserté les écrans, cédant la place au persiflage ricanant des prétendus « heureux du monde », nouveau marquisat d’acariâtres, parfaitement incarné par la petite meute des humoristes moralisateurs d’État.

Et soudain, Macron a parlé « d’un islam qui veut faire sécession »

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Emmanuel Macron lors de sa conférence de presse du 25 avril 2019 à l'Elysée. ©Jacques Witt/SIPA / 00905048_000077

Mais quelle mouche a bien pu piquer le président ? L’homme qui a écarté toute question sur l’identité ou l’immigration de son « grand débat national » a, lors de sa conférence de presse d’hier soir, évoqué la question du séparatisme musulman. Emmanuel Macron serait-il devenu « islamophobe » ?


Emmanuel Macron a la « conviction de ne jamais avoir de répit ». L’hiver a été agité. Et il n’est pas évident de contenter tout le monde. D’autant que « contents », les Français ne le sont que rarement. Radios et télés du pays se proposaient pourtant de leur retransmettre une parole qu’on n’attendait plus. Le président allait-il sortir la France de la spirale du pessimisme ?

Lui en tout cas a semble-t-il gardé la foi. Hier soir, il a donné de sa personne. Comme s’il ne s’agissait plus tant de convaincre le pays de la pertinence de sa politique que d’afficher aux yeux de tous son volontarisme inentamé. Formellement, il a été plutôt bon. En fermant les yeux, certains journalistes pouvaient presque entendre un Sarkozy charmeur à son meilleur, à qui des références littéraires seraient venues.

Finalement, on peut parler d’islam

Les mesures annoncées sont déjà décortiquées par nos éditorialistes. Que ce soit la décentralisation et ses joyeux méandres, les énièmes réformes fiscales promises, l’aménagement du référendum d’initiative partagée ou le prélèvement direct des pensions alimentaires de papas indélicats, souhaitons-leur bien du plaisir ! Les sondeurs, enfin, ne tarderont pas à évaluer l’impact de telle ou telle annonce sur le prochain scrutin européen.

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Alors que le Rassemblement national vire en tête dans certains sondages, les conseillers de Macron ont estimé indispensable de glisser un petit mot à ceux qui ont la « boule au ventre » à propos de l’identité nationale… Au centre des préoccupations, l’islam séparatiste qui gangrène une partie toujours plus importante du pays.

Et voilà l’effet « waouh » que nous n’avions pas vu venir ! Alors qu’Emmanuel Macron déroulait depuis près d’une heure ses conclusions, la question identitaire a surgi. Bien à la fin, mais c’est quand même mieux que rien. Le président avait écarté du débat les questions d’immigration et d’identité nationale et les a mises hier soir sur la table.

« Quand on parle de laïcité, on ne parle pas vraiment de laïcité »

C’est qu’avant d’évoquer les fadaises d’un « patriotisme inclusif », il fallait bien donner quelques gages au camp « laïcard ». Ce dernier est inquiet du flottement entourant d’éventuels aménagements de la loi de 1905. « La loi de 1905 est notre pilier » et elle doit être « réaffirmée » et « pleinement appliquée », a dit le président. Ça va quand même mieux quand c’est finalement dit. Mais, « aujourd’hui, nous ne devons pas nous masquer [les yeux], quand on parle de laïcité, on ne parle pas vraiment de laïcité », a sermonné en même temps le président. Tiens donc ?

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Mais de quoi parle-t-on exactement ? « On parle du communautarisme qui s’est installé dans certains quartiers de la République, on parle d’une sécession qui s’est parfois sournoisement installée parce que la République avait déserté ou n’avait pas tenu ses promesses », a clarifié Macron.

« J’ai demandé au gouvernement d’être intraitable »…

Petit miracle, le président décide de mettre les pieds dans le plat : « On parle de gens qui au nom d’une religion poursuivent un projet politique, celui d’un islam qui veut faire sécession. »  Là encore, au moins c’est dit. « J’ai demandé au gouvernement d’être intraitable […] parce que c’est une menace sur notre capacité à tenir la nation ensemble », a-t-il même envoyé. Diantre, il y a donc bien urgence ! « Je souhaite que nous allions plus loin, en renforçant le contrôle sur les financements venant de l’étranger, en étant beaucoup plus dur à l’égard de cette sécession ». Là, le président change de page et passe à un autre sujet.

Rassurez-vous, Macron n’a pas tourné « islamophobe ». Le président joue au chat et à la souris avec la question depuis qu’il a pris les rênes du pays. De mauvais esprits y verront une hypocrisie supplémentaire, alors que des élus de son camp jouent la carte du communautarisme antirépublicain, à l’image d’un Aurélien Taché.

…et en même temps pas trop

Est-ce à dire qu’Emmanuel Macron nous a jeté hier soir de la poudre (de perlimpinpin) aux yeux ? Alors que si peu a été fait contre les menaces depuis deux ans, et que Gérard Collomb a déserté l’Intérieur dans un discours de passation hallucinant – mais peu relevé – le président cherche peut-être uniquement à ratisser le plus large possible dans l’électorat français. Dernière preuve en date du génie contorsionniste de la Macronie ? L’alliance rouge-brun, sur la liste LREM pour l’Europe, entre Bernard Guetta (7e place), ancien trotskiste, et Nathalie Loiseau (la tête de liste), quasiment « gudarde » dans sa jeunesse !

« L’art d’être Français », c’est d’être Macron

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Emmanuel Macron lors de la conférence de presse du 25 avril 2019 à l'Elysée. ©Jacques Witt/SIPA / 00905048_000010

Lors de sa conférence de presse post-grand débat national à l’Elysée, Emmanuel Macron a fait du Emmanuel Macron et invité, à demi-mot, tous les Français à faire de même.


« Un jour, j’aimerais porter l’uniforme. Avec les étoiles. Pensez-y. »

Ainsi parlait Michel Serrault alias Gilbert Brossard dans la scène finale de La gueule de l’autre, ce film-culte des années 70, adoré par tous les passionnés de politique. C’est la phrase à laquelle nous avons immédiatement pensé lorsque nous avons constaté qu’Emmanuel Macron avait souhaité renouer avec la tradition des conférences de presses « assises », comme au bon temps du Général, même si, il faut être honnête, Georges Pompidou avait poursuivi l’exercice et que François Mitterrand l’avait aussi expérimenté une fois.

Macron, l’art d’être politique

Au terme des deux heures trente de conférence de presse, nous ne pouvions que constater que ledit uniforme pourrait bien être trop grand pour l’actuel hôte de l’Elysée. Ce souci louable de rappeler qu’il avait été élu sur le contrat avec les Français de renouer avec un exercice gaullo-mitterrandien de la présidence s’est fracassé sur le réel. Et la dernière question posée qui évoquait l’affaire Benalla, n’a rien arrangé à l’affaire. Emmanuel Macron n’a parlé que des erreurs de son ex-collaborateur. Ce qui était en cause, ce qui lui est reproché, c’est ce « qu’ils viennent me chercher » de la Maison de l’Amérique latine devant son clan. Depuis, nous l’avons maintes fois répété ici, il n’est plus que le président-manager de l’entreprise-France, le symbole de tout ce qu’une très grande majorité des Français rejette, avec son cortège d’adaptations à la mondialisation. Benalla demeurera pour toujours sa « Léonarda », le tournant du quinquennat, le moment où il a perdu la main et la maîtrise des horloges.

Il faut néanmoins retenir qu’Emmanuel Macron en semble bien conscient puisqu’il tente d’envoyer des signes. A ce titre, cette nouvelle formule, qu’il a répétée plusieurs fois sur « l’art d’être Français », mêlant harmonieusement l’enracinement et la quête de l’universel, avait quelque chose de séduisant.

Mais comment ne pas y voir seulement une tactique à court-terme pour les élections européennes, alors que sa catastrophique tête de liste Nathalie Loiseau semble marquer le pas et que le candidat de la droite classique François-Xavier Bellamy poursuit sa dynamique. Eviter un effet de vases communicants vers la liste LR n’est-il pas le principal souci qui agite les têtes pensantes de la Macronie ? Ne nous montrons-nous pas trop soupçonneux et ne nous laissons-nous pas gagner par le procès d’intention ?

Le retour du prestidigitateur

Pour y répondre, examinons le propos du président de la République, hier soir, en commençant par ce qui va dans le sens de notre soupçon.

La réforme de l’ENA caresse certes le sentiment anti-élites qui mouvait les gilets jaunes originels, mais elle s’avère en fait une proposition démagogique et cache surtout une attaque en règle contre le concours républicain de la fonction publique. Hier soir, Emmanuel Macron a mis en cause l’emploi à vie des haut-fonctionnaires ayant réussi un concours. Il réfléchit à d’autres modes de recrutement. « Spoil system » à l’américaine et discrimination positive, musée des horreurs pour n’importe quel républicain enraciné et universel, le président-manager semble bien avoir fait son choix et il n’est pas réjouissant.

Autre mesure démagogique, la réduction du nombre de parlementaires permet au président de la République de faire croire aux gilets jaunes qu’ils ont remporté une victoire, alors que la France périphérique et rurale en sera la première victime. Combinée à l’instillation d’une dose de proportionnelle, le poids des métropoles et des états-majors parisiens en sera accru. La France profonde, celle que le président disait vouloir rassurer après son « Grand débat », payera les pots cassés.

Et puis il y a les justifications présidentielles, à propos des malheureuses formules qu’il a employées, sur l’arrogance qui lui est reprochée. Là aussi, non seulement, il renvoie la responsabilité sur les journalistes et les réseaux sociaux qui ont déformé et décontextualisé sa prose, mais lorsqu’il exprime un mea culpa, c’est pour s’emmêler longuement dans des cordes d’alpinisme et nous faire comprendre in fine et bien malgré lui que nous ne sommes pas assez finauds pour ne pas être accessibles à sa pédagogie.

Promesses ténues

Dans la colonne de ce qui nous conduit à atténuer notre soupçon, on notera tout d’abord sa charge inattendue contre l’islamisme politique et les tentations sécessionnistes à l’œuvre dans de nombreux quartiers. Alors qu’Aurélien Taché avait semé le trouble sur ces sujets dans la majorité et que Marlène Schiappa s’y était fermement opposée, on attendait l’arbitrage présidentiel. Emmanuel Macron semble avoir pris le parti de la seconde, même si, là encore, les élections européennes n’y sont sans doute pas étrangères. Il faudra observer sur le long-terme pour juger si la volonté « intraitable » qu’il a exprimée sera bien suivie d’effets. Même chose pour son timide éloge de la frontière.

La question posée par la correspondante d’un quotidien allemand a été très intéressante. Emmanuel Macron semble avoir pris acte que le couple franco-allemand ne traverse pas une période idyllique en assumant ouvertement sa propre responsabilité à cet égard. Il a sans doute peu apprécié les réponses venues d’Outre-Rhin à ses propositions européennes. Reste à en tirer toutes les conséquences. Là aussi, il faudra observer en d’autres rendez-vous s’il est décidé à jouer, comme les Allemands, la carte des intérêts nationaux stricto sensu, se débarrassant de cette chimère appelée « souveraineté européenne ».

Il est finalement assez douteux que cet exercice ait permis à Emmanuel Macron de changer la perception qu’une grande majorité des Français à son égard. Les études d’opinion publiées dès hier soir par Le Figaro confirmaient ce doute, puisque les sondés répondaient à la fois qu’ils n’avaient pas été convaincus par sa prestation tout en approuvant une majorité des mesures qu’il proposait. C’est bien lui, son style de présidence et ses deux premières années qui motivent ce jugement de l’opinion. Le scrutin du 26 mai donnera des informations encore plus fiables sur le rapport des Français au chef de l’Etat. Il n’est pas certain qu’à l’instar de Gilbert Brossard, il puisse enfiler le fameux uniforme.

« Islam de France »: Macron, la laïcité sapée comme jamais?

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Emmanuel Macron à l'Elysée, avril 2019. ©Yoan Valat/AP/SIPA / AP22325540_000031

Le projet présidentiel de construire un « islam de France » inquiète de nombreux militants laïques. Dans leurs essais respectifs, Philippe Raynaud et Laurent Bouvet décryptent le libéralisme multiculturaliste d’une partie de la gauche rejointe par Emmanuel Macron. Une dérive étrangère à notre tradition républicaine. 


La question laïque, qu’on aimerait tant oublier, considérant la loi de 1905 comme intangible, est revenue sur le devant de la scène avec le projet de sa révision, envisagée par le président Macron. En rapport direct avec le grand dossier de son quinquennat, celui de construire un « islam de France » appuyé sur les « musulmans modérés », la réforme devait s’articuler autour de trois pôles : modifier le régime des cultes en étendant le statut des associations 1905 à tous les lieux de culte, dont un certain nombre fonctionne à présent sous couvert de la loi de 1901 sur les associations culturelles ; requalifier la nature des associations 1905 pour renforcer notamment le contrôle des membres de ses conseils d’administration ; enfin, contrôler plus scrupuleusement les financements de ces associations, en particulier quand ils viennent de l’étranger. En principe, rien d’inquiétant. Au contraire. Cependant l’annonce du souhait présidentiel a fait réagir les forces laïques qui, à l’initiative du Comité laïcité République, ont lancé une pétition dans le but de stopper sur-le-champ le projet. Peut-être ont-ils été entendus car le chef d’Etat a annoncé, devant les intellectuels reçus à l’Elysée le 18 mars dans le cadre du « grand débat », qu’il ne toucherait pas à la loi de 1905. Deux livres parus récemment, La Laïcité : histoire d’une singularité française, de Philippe Raynaud (Gallimard, 2019), et La Nouvelle Question laïque, de Laurent Bouvet (Flammarion, 2019), aident, chacun dans une optique spécifique, à mieux comprendre pourquoi toute tentaive d’adapter cette loi emblématique suscite tant de réactions.

« Pour la laïcité, la vraie question n’est pas celle de ‘l’islamisme’ mais celle de l’islam tout court »

Limpide et parfaitement maîtrisé, l’ouvrage de Raynaud, politologue et philosophe politique, surprend par son courage, tant nous nous sommes habitués à ne pas entendre les spécialistes des « questions sensibles » dire tout haut ce qu’ils pensent souvent tout bas : « Pour la laïcité, la vraie question n’est pas celle de “l’islamisme” réputé radical, mais celle de l’islam tout court, c’est-à-dire cette “religion” que la République essaie de traiter comme les autres “cultes” avec lesquelles elle a appris à vivre. » Laissons nos amis « ouverts d’esprit » dénoncer l’« islamophobie » de l’auteur. En revanche, ceux qui ne craignent pas de contaminer leur cerveau avec des idées sulfureuses devraient s’attarder sur les chapitres qui synthétisent avec style l’histoire de l’avènement de la laïcité en France.

Jeté un peu vite dans le fourre-tout des religions abrahamiques, l’islam diffère du christianisme ne serait-ce que parce que, jusqu’à preuve du contraire, il ne permet pas ce que Marcel Gauchet a appelé « la sortie de la religion ». En Occident, la religion a cessé d’organiser les sociétés humaines et laissé chaque individu libre de trouver un sens à son existence, à l’intérieur d’une chapelle ou pas. Là où l’islam demeure en position dominante, on a affaire à un processus inverse. À en croire le sociologue Mohamed Cherkaoui, cité par Laurent Bouvet, c’est « la nouvelle islamisation des pays musulmans », qui se joue à quatre heures de vol de Paris, avec son fondamentalisme, ses moines-soldats et sa guerre sainte. Les résultats de l’étude réalisée par l’Institut Montaigne en 2016 laissent penser qu’il sera difficile à Emmanuel Macron de trouver cet appui tant désiré des « musulmans modérés » : 28 % des « musulmans de France » appartiennent à des groupes qui « ont adopté un système de valeurs opposé aux valeurs de la République », 25 % acceptent la loi de la République, mais « revendiquent l’inscription de leur religion dans l’espace public », principalement au travers du mode vestimentaire, du hallal, de l’aménagement de salles de prière dans les lieux de travail ou du refus de la mixité. Passée presque inaperçue en 1983, la création de l’Union des organisations islamiques de France avait montré, pour peu qu’on ne se bandât pas les yeux, que faciliter la pratique du culte musulman servait de tremplin à d’autres revendications placées dans la logique du « droit à la différence » – lequel pourrait, selon Philippe Raynaud, durcir « la contrainte collective ». Si le président de la République relativise les appréhensions des milieux laïques, c’est peut-être parce qu’il a oublié cette phrase de son maître à penser, Paul Ricœur : « Notre laïcité ne peut être perçue par les musulmans que comme une idée folle issue d’une religion fausse. »

L’école du voile

Mais qu’est-ce que « notre laïcité » ? Le fait que Laurent Bouvet intitule son ouvrage La Nouvelle Question laïque devrait interpeller. De même que les mille adjectifs dont on affuble la laïcité depuis un certain temps, comme s’il était déjà trop tard pour maintenir le consensus autour du sens que lui donne la loi de 1905. Bien plus que la liberté religieuse, la laïcité « à la française » désigne une spécificité philosophico-juridique qui non seulement permet au citoyen « de choisir et d’exercer librement le culte de son choix, comme d’en changer ou d’y renoncer », mais est aussi, « et indissociablement, le principe qui le protège de l’influence des cultes, de tous les cultes », rappelle opportunément Bouvet. En d’autres termes, la laïcité renvoie aussi, voire d’abord, à la liberté de conscience, à la capacité de résister aux pressions et aux séductions de quelque culte que ce soit.

Inutile d’insister sur l’importance primordiale que l’application et le respect de cette liberté revêtent dans l’enceinte de l’école publique. Raynaud cite à ce propos une belle formule de Hannah Arendt, « le bruit et la fureur de la société civile », dont il faut préserver l’espace autonome où les enfants se forment à la pensée rationnelle et à la citoyenneté, qu’on aimerait bien croire toujours « républicaine ». Ce n’est pas par hasard que la « loi sur le voile » soit considérée comme un tournant dans l’histoire de la laïcité. Votée en 2004, elle avait connu un prologue retentissant en 1989 avec l’affaire des collégiennes voilées de Creil. Lionel Jospin, alors ministre de l’Éducation, avait choisi de jouer la carte de l’ « apaisement » face aux manifestations identitaires, sous prétexte que la scolarité devait prévaloir sur l’adhésion à ce qu’on considère comme nos valeurs. La capitulation connue de la gauche française s’inscrit, certes, dans un mouvement plus global, à la fois historique et idéologique.

La « laïcité inclusive » et les trahisons de la gauche

Laurent Bouvet en retrace la trajectoire des années 1980 à nos jours, de l’abandon des combats sociaux jusqu’au ralliement total aux causes identitaires des diverses minorités. Dans les « cercles éclairés », on parle, d’après le philosophe Charles Taylor, de la « politique de la reconnaissance », soucieuse de garantir à tous les damnés de la terre une visibilité dans l’espace public. Le changement s’était opéré en même temps sur le plan sémantique et il est significatif : « On est en effet passé, dans le langage public, d’une désignation mêlant origine et appartenance de classe, le travailleur immigré ou le travailleur arabe, à une désignation totalement détachée du statut social et témoignant d’une identité attribuée en même temps que revendiquée, arabe et très vite beur, à un vocable général clairement identitaire, venu de la religion mais qui la dépasse pour englober toute une population sans que l’on connaisse son degré de religiosité ou de pratique : musulman. »

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Ultra médiatisée, l’ « affaire Baby Loup », du nom d’une crèche associative dont la directrice avait licencié une employée voilée, a constitué une victoire symbolique du camp laïque, qui a fait valoir à l’opinion l’existence de lieux et de situations en France où les citoyens restent d’abord des citoyens, sans être empêchés d’embrasser leur identité religieuse, en l’occurrence celle d’une femme musulmane, mais après les horaires de travail. Reste que ce sursaut de la laïcité, militante comme au bon vieux temps, a finalement laissé l’impression qu’il s’agissait, somme toute, d’une opinion particulière parmi d’autres. Pis, comme l’explique Raynaud : « Les défenseurs autoproclamés de la laïcité “inclusive” ont fait de cette affaire le symbole des prétendues dérives autoritaires et islamophobes de leurs adversaires. » Ce que craignent précisément les militants laïques républicains, à l’instar de Laurent Bouvet, c’est l’expansion de cette « laïcité inclusive » sous le mandat d’Emmanuel Macron. Probablement à raison, si on considère ce propos lâché par le président le 18 mars : « Quand on a un débat sur le burkini, ça n’a rien à voir avec la laïcité, ce n’est pas cultuel. »

Macron et la « radicalisation de la laïcité »

S’agissant de l’esprit de la loi de 1905 et de sa préservation, le bilan des présidents français depuis Chirac laisse à désirer. Selon Bouvet, Nicolas Sarkozy porte la responsabilité d’avoir lancé le processus de politisation de la laïcité avec son concept de « laïcité positive », que certains ont vite compris comme « l’autre nom d’une France assise sur son héritage chrétien (“blanc”, occidental) ». Le sociologue Éric Fassin s’était alors amusé à pondre le terme de « laïcité négative », qu’il définissait comme « une islamophobie sans voile ». Le ton des débats sur la question laïque était donné. Partisan d’une « laïcité qui libère et qui protège », François Hollande s’était démarqué en tant que candidat en proposant d’inscrire les deux premiers articles de la loi 1905 dans la Constitution, pour finir par nommer au poste de président de l’Observatoire de la laïcité Jean-Louis Bianco, un homme obsessionnellement inquiet de la monté de l’islamophobie en France et convaincu qu’il n’y avait aucun problème de laïcité. Quant à Emmanuel Macron, en plus de reconduire Jean-Louis Bianco, il a fustigé devant un parterre de représentants religieux reçus à l’Élysée en décembre 2017, « la radicalisation de la laïcité ».

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L’élection d’Emmanuel Macron consacre une lecture libérale de la laïcité, fortement influencée par le modèle anglo-saxon multiculturaliste, très éloignée du libéralisme des républicains français du début du XXe siècle. Laurent Bouvet la résume ainsi : « L’individu libéral y est conçu comme pouvant “choisir” librement les traits de l’identité personnelle qu’il souhaite mettre en avant dans la société, au gré de telle ou telle autre situation, tout particulièrement lorsque tel ou tel trait de cette identité est “minoritaire”, “dominé” ou “discriminé”. Ce “choix” se transformant le plus souvent dans la société libérale en revendication de droits. » À la lumière de la doxa tolérantiste, le présumé « archaïsme » de la laïcité « à la française » irrite fortement les pupilles de la caste progressiste. Le sociologue Marc Jacquemain forge ainsi le concept de « laïcité réactionnaire ». Proche du président Macron, l’historien Jean Baubérot, qualifié par Bouvet d’« entrepreneur politico-intellectuel », oppose, quant à lui, cette laïcité « falsifiée », confisquée en quelque sorte par les forces obscures de l’intégrisme républicain, à la « laïcité historique », la seule « vraie » à ses yeux, et qui correspond – sans surprise – à la conception libérale. On a pu mesurer la dangerosité réelle des « influenceurs » de l’acabit de Baubérot à l’occasion de la parution de l’ouvrage qu’il a cosigné avec Rokhaya Diallo, Comment parler de laïcité aux enfants (sic !), qui souligne que la laïcité « entraîne concrètement un sentiment d’injustice, et de stigmatisation. » À l’avenir, la « laïcité » n’aurait donc pas pour but de favoriser l’émancipation des citoyens de toute assignation religieuse, mais se limiterait à agencer la cohabitation des différentes communautés.

 

Il est évidemment légitime de s’interroger sur l’adéquation de la loi de 1905 avec la situation actuelle, marquée par l’émergence de l’islam comme la deuxième religion de France. Dans l’idéal, cette question ne devrait effrayer personne. La crispation qu’elle suscite prouve à quel point il n’est pas sûr que la laïcité, qui s’incarne au quotidien dans une multitude de décisions – individuelles, collectives, juridiques, politiques –, fournisse encore un cadre à l’ « intégration ». Surtout, à défaut d’un débat souhaitable sinon nécessaire, nous nous exposons à l’incertitude de savoir comment cette laïcité, dont la définition est disputée entre ses différents « défenseurs » et interprètes, parviendra à domestiquer l’islam : en le neutralisant ou en lui permettant de se déployer en catimini, comme on le voit avec la « Nuit du ramadan » célébrée à la Mairie de Paris ? Que le Printemps républicain, association cofondée par Laurent Bouvet et qui vise à « promouvoir le commun et la laïcité dans le paysage politique français », ait fait de Latifa Ibn Ziaten la citoyenne de l’année 2018, sans se formaliser du foulard qu’elle portait, donne une ébauche de réponse.

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« Le Vent de la liberté », un film pour l’histoire

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"Le Vent de la liberté" de Michael Herbig (2019). ©ARP

Dans Le Vent de la liberté, le réalisateur allemand Michael Bully Herbig retrace l’histoire vraie de la tentative  de deux couples d’Est-Allemands de s’évader de la RDA… en montgolfière. 


Avec le nouveau film du réalisateur allemand Michael Bully Herbig, Le Vent de la liberté (Ballon), sorti en France en ce mois d’avril, les Allemands ont pu se remémorer les quatre décennies d’existence de la République démocratique allemande (1949-1990), à l’approche des célébrations du trentième anniversaire de la chute du mur de Berlin, le 9 novembre prochain. Les chanceux qui ont grandi à l’Ouest pourront mesurer ce qu’ont enduré les quelque 16 millions d’Allemands coincés de l’autre côté du « rideau de fer » et la détermination de certains de leurs compatriotes pour s’extraire, au péril de leur vie et de celle de leurs enfants, d’une société plombée par la paranoïa et la cruauté des autorités, et condamnée à péricliter en raison de sa médiocrité et de sa mesquinerie.

Ballon d’air frais

Ce constat n’a pourtant pas été du goût de Libération qui, dans une critique particulièrement condescendante, descend en flèche cette production honorable et particulièrement intéressante sur le plan mémoriel. Car à la différence des films Good Bye Lenin ! (2003) ou La vie des Autres (2006), le scénario présente l’avantage d’être tiré d’une histoire vraie et de figurer ainsi dans la catégorie des thrillers historiques. Il retrace à un rythme haletant les tentatives d’évasion à l’Ouest en 1979 de deux familles est-allemandes, qui confectionnèrent des montgolfières avec des moyens rudimentaires, sous la surveillance permanente de la sinistre Stasi et de compatriotes plus malveillants les uns que les autres. Le Musée du Mur (Mauer Museum) érigé non loin de Check-Point Charlie, l’ancien poste-frontière de la Friedrichstrasse, à Berlin, présente encore aux visiteurs les trésors d’ingéniosité déployés par les candidats à l’évasion : montgolfières, petits avions, kayaks, doubles coffres et portes de voiture, dont la fabrication nécessita parfois des sacrifices incommensurables.

« J’ai l’impression qu’aujourd’hui la mémoire est beaucoup moins sûre d’elle-même… »

Entre le milieu des années 1970 et 1989, sur près de 38 000 tentatives d’évasion, 462 ressortissants Est-Allemands – dont de nombreux enfants – furent abattus par les garde-frontières allemands (Grenztruppen der DDR), qui avaient ordre d’abattre les fuyards. Les survivants, considérés comme des traîtres à la patrie connurent souvent les pires humiliations et sévices en prison. La visite de la prison de la Stasi à Berlin (devenue depuis 1994 le Mémorial Hohenschönhausen) demeure le témoignage tangible de cette accumulation de souffrances. Le film de Michael Herbig a également le mérite de rappeler à notre souvenir le personnage d’Erich Mielke, chef de la Stasi de 1957 à 1989, avant tout connu pour son rôle central dans l’organisation du système de répression est-allemand. Cette personnalité cauchemardesque – mais fort bien informée – ne fut pourtant incarcérée que pendant six ans (pour deux meurtres commis dans les années 1930 !) avant de finir paisiblement ses jours dans une maison de retraite, non loin de la prison de la Stasi.

« J’ai l’impression qu’aujourd’hui la mémoire est beaucoup moins sûre d’elle-même et qu’elle doit lutter sans cesse contre l’amnésie et contre l’oubli », déclarait Patrick Modiano, lors de son discours de réception de son prix Nobel de Littérature en 2014. Rien que pour cette raison, il est urgent d’aller voir Le Vent de la liberté.

Si France Inter est numéro 1, c’est parce qu’elle est « progressiste »

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Capture d'écran TMC

Ça y est, c’est fait: France Inter est devenue la radio généraliste la plus écoutée du pays. Et d’après ses vedettes, invitées à s’auto-congratuler par Yann Barthès, la raison est simple: la station publique est de gauche et fière de l’être. 


J’étais récemment invité à Sud Radio pour débattre d’un de ces sujets que je ne maîtrise pas parfaitement mais dont je prétends quand même pouvoir causer. Auréolé du prestige de cette invitation matinale, je demande grisé, à la faveur d’une coupure de publicité, si l’on saurait me dire combien d’auditeurs étaient susceptibles d’entendre mes brillants propos.

Cécile de Ménibus, co-animatrice, me dit qu’on ne sait pas exactement. Et apparemment, Sud Radio n’a qu’une confiance relative dans les chiffres de Médiamétrie. Mince ! J’étais tombé dans une radio de complotistes. Un article du Monde allait me le confirmer quelques jours plus tard

La famille, y a que ça de vrai

Le complotisme et l’audimat, Yann Barthès passe son temps à dénoncer le premier et à décrypter le second dans son émission. La semaine dernière, il a donc consacré vingt minutes à faire la promo de France Inter. Les chiffres de Médiamétrie venaient de tomber (et à France Inter on les croit) : la très chic station publique – où il n’est pas totalement exclu que Yann Barthès atterrisse un jour – est passée devant RTL, c’est la radio généraliste la plus écoutée du pays. Le Monde révèle que le matin de l’annonce des résultats, « le champagne était de sortie » à tous les étages de la Maison de la radio. Un moment de grâce auquel Barthès aurait visiblement aimé se joindre.

Le présentateur de Quotidien avait donc invité la « dream team » de France Inter. Laurence Bloch, la directrice de l’antenne était là ! Léa Salamé et Nicolas Demorand, les stars de l’info étaient là ! Il y avait aussi Sonia Devillers, la spécialiste médias, l’humoriste François Morel, les chroniqueurs Augustin Trapenard et Rebecca Manzoni ! Quel entre soi délicieux. Pour Yann Barthès, c’était mieux que les Rolling Stones. Moi, j’étais quand même un peu déçu de ne pas voir Claude Askolovitch. Passons… Comment ces gens font-ils pour être si brillants ? C’était un peu le sujet de la soirée.

Ma « différence » à moi

Difficile de l’expliquer. Ils ne veulent surtout pas pâtir du syndrome BFM TV, laquelle se fait lyncher par les gilets jaunes depuis qu’elle a commencé à crier partout qu’elle était numéro 1. Restons modestes, c’est plus prudent… La figure du chef charismatique est vite invoquée. L’équipe présente lui voue un quasi culte. Léa Salamé qualifiera affectueusement Laurence Bloch de « punk », ce qui est apparemment un compliment.

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François Morel expliquera de son côté que les humoristes de France Inter n’ont pas du tout le même standing que ceux des stations privées. Sur France Inter, il n’y a ainsi « pas de rires professionnels ». Les collègues sont même autorisés à s’ennuyer quand une de ses chroniques déplaît. C’est bien là, « la différence ». Depuis qu’il a quitté la fromagerie des Deschiens pour nous faire le portrait d’une France qu’il s’imagine en voie de fascisation, je dois avouer qu’il m’ennuie moi en fait la plupart du temps. Mais certains matins, ses collègues ont vu en lui du Jean Moulin…

« Cette première place, est-ce la victoire des bobos-gauchos bien-pensants ?« 

Mais quelle mouche pique soudain Yann Barthès ? Il demande à la cantonade si cette première place est « la victoire des bobos-gauchos bien-pensants ». Où va-t-il donc chercher ça ?

France Inter ne peut souffrir une telle accusation. Déjà, « 80% des auditeurs sont en région » révèle Laurence Bloch. Bravo aux « territoires », même si le vote pour Marine Le Pen y reste un peu plus élevé que dans Paris. Léa Salamé contredit sa patronne et met toute l’assemblée mal à l’aise : « On peut être en région et être bobo bien-pensant. » Avec l’eau courante ? Fichtre, j’ai même entendu dire que des provinciaux reçoivent désormais Télérama !

Autre scoop : Léa Salamé et Nicolas Demorand s’appellent entre eux « Chouchou et Chouchou ». Et non « Chouchou et Loulou » comme il a longtemps été raconté à tort. En outre, ils peuvent s’avoir huit fois par jour au téléphone. Et si évoquer le sujet la met dans un embarras terrible, il est rappelé que Léa Salamé a choisi comme une grande de quitter l’antenne quand son compagnon Raphael Glucksmann a pris la tête de la liste PS pour les élections européennes. Pour justifier son départ auprès de la vieille dame, elle aurait dit : « J’aime trop ce métier pour qu’on puisse le disqualifier ou jeter du doute et du discrédit ». C’est que les auditeurs auraient pu se douter qu’elle était de gauche…

« Si c’est ça être bobo bien-pensant, on assume »

Sonia Devillers, élève appliquée aux copies un peu convenues, tente de détourner l’attention quant à cette accusation de gauchisme culturel. Selon elle, il ne faut rien voir d’autre dans le succès de France Inter que « le résultat de toute une équipe qui travaille à s’arracher la peau ». « Vous n’avez pas idée à quel point cela bosse dans cette baraque », insiste-t-elle. Qui pouvait seulement en douter ? Yann Barthès, professionnel, lui rétorque que cela ne répond pas à sa question. Laurence Bloch clôt le débat : « On revendique et on assume d’être progressistes. Par exemple, le fait que les femmes puissent disposer de leur corps librement. Si c’est ça être bobo bien-pensant, on assume. » Bien parlé ! L’argument tape dans le mille, le chauffeur de salle envoie les applaudissements, et Yann Barthès change de sujet.

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Sonia Devillers continue le fayotage auprès de Laurence Bloch : « Le micro, ça vous manque ? Laurence a été une grande femme de radio avant nous. » Je l’ignorais. Je pensais que Sonia de Villers était la première, elle qui a contribué à abattre le patriarcat. D’ailleurs, pas de risque de « masculinité toxique » à France Inter, la station est dirigée par trois femmes : Sibyle Veil, Laurence Bloch et Catherine Nayl. Ce management efféminé n’est-il pas, tout bonnement, l’explication de ce succès d’audience ?

La menace fantôme

Après un running gag sur le malheureux Patrick Cohen parti s’échouer sur Europe 1, une prétendue privatisation de France inter comble actuellement toutes les blagues des humoristes maison (dont la moitié fait aussi des apparitions chez Barthès). A tous les étages de la Maison de la radio, on s’est mis martel en tête : on a peur d’une privatisation. Donner le fruit de toute cette intelligence collective au privé, quel effroi !

Mais pas d’inquiétude, tant qu’ils continueront à jouer les rebelles de salon et la carte du « progressisme » bon teint, il n’y a pas de raison que le système économique et politique en place ne s’émeuve réellement de prétendues nuisances. Guillaume Meurice peut continuer ses blagues anticapitalistes au quotidien, le conservatisme effrayant de France inter et le gauchisme culturel qui transpire de sa grille des programmes étant l’un des meilleurs atouts du « progressisme » macronien…