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Salauds de mômes!

Tendance « No kids » : Attention danger ! Le gouvernement français s’inquiète de l’avènement d’une société dans laquelle les enfants ne seraient plus les bienvenus. La contre-attaque face à cette soi-disant exclusion est engagée par la Haut-Commissaire à l’Enfance, Sarah El Haïry, qui a réuni les représentants des secteurs du tourisme, des transports et de l’urbanisme afin de lutter contre la tendance croissante à exclure les enfants des restaurants, des voyages ou encore des célébrations telles que les mariages. Un faux problème, selon Elisabeth Lévy.


Le gouvernement a réuni une table ronde des professionnels pour enrayer la tendance du « No kids ». En effet, quel scandale. On ne respecte rien, même pas le divin enfant. Quelques hôtels (3%) et restaurants sont ainsi désormais réservés aux adultes. Quelle brutalité ! Quelle honte ! Quel scandale.

La Haut-Commissaire à l’Enfance, Sarah El Haïry déclare : « Considérer de manière brutale qu’un enfant est avant tout une nuisance, ce n’est pas acceptable ».

Vive les vacances, vive l’insouciance

Je dirais même plus, renchérit la sénatrice Laurence Rossignol sur le mode Dupond-Dupont, « on ne peut pas accepter que certains décident de ne plus supporter telle ou telle partie de la population. Les enfants ne sont pas une nuisance ». Et comme chaque fois qu’un faux problème se pose, les grenouilles demandent une loi. Mme Rossignol veut faire reconnaître la minorité comme un facteur de discrimination. Comme ça, ils pourront faire des procès à leurs parents quand ils les enverront se coucher. Mais aucun parent ne fait plus ça. C’est peut-être le problème. Avant, dans les bonnes maisons, les enfants dînaient avant leurs parents. Vite, une cellule d’aide psychologique pour les victimes de ces pratiques barbares.

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L’enfance sacralisée

J’ironise, mais une société qui ne veut pas voir ses enfants c’est mauvais signe me dit-on…

Oui, si c’était le cas, ce serait très grave. Mais que dans quelques lieux, on puisse passer quelques heures ou quelques jours sans enfants, même quand on en a, où est le scandale ? Parfois, on veut écrire, lire sans entendre des cris ou des pleurs. Ou avoir des discussions d’adultes. Vous envoyez vos mômes en colonie de vacances parce que c’est bon pour eux d’être entre jeunes et sans leurs parents. Eh bien parfois, c’est bon de ne pas avoir vos mômes ni ceux des autres.

Il y a cependant deux vrais problèmes :

  • Notre société fait de l’enfant une divinité, donc on ne lui apprend plus la contrainte, donc on le laisse souvent se conduire n’importe comment. Voilà la raison essentielle de la tendance no kid.
  • Nous voulons effacer la différence entre les générations exactement comme on le fait entre les sexes. Les adultes sont des enfants comme les autres. Nous vivons une adolescence éternelle jusqu’au passage brutal à la fin de vie.

Vous me direz que la natalité est en berne. Présentez-moi un couple qui a renoncé à un enfant parce que l’hôtel où il veut passer ses vacances ne les accepte pas et je change d’avis.


Cette chronique a été diffusée sur Sud Radio

Retrouvez Elisabeth Lévy dans la matinale

À Madrid, les Mollahs ont tenté de me tuer

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Alejo Vidal-Quadras était à Paris dans le cadre d’une assemblée mondiale de parlementaires. Il a expliqué à Harold Hyman qu’il fallait être ferme face au régime des Mollahs. D’autant qu’Israël les a affaiblis. Il est temps d’agir, pense-t-il.


Longtemps chef des conservateurs en Catalogne, vice-président du Parlement européen de 1999 à 2014, ce professeur de physique nucléaire est opposé au nationalisme catalan, et au régime des Ayatollahs en Iran. En 2023, il échappa à une tentative d’assassinat dans une rue de Madrid. Un tueur à gages lui tira une balle au visage. L’enquête a été confiée à la police espagnole antiterroriste. Plusieurs individus, dont le meurtrier présumé, ont été arrêtés en Espagne, aux Pays-Bas et dans d’autres pays. La sophistication de la tentative porte les marques d’une opération commanditée par un État.

Causeur. Pourquoi cet intérêt pour l’Iran de votre part ?

Alejo Vidal-Quadras. En 1999, au Parlement européen, j’ai été abordé par des amis de l’Iran libre. J’ai rencontré le CNRI, Conseil national de la Résistance d’Iran, également connu du nom de sa principale composante, les Moudjahidines du Peuple d’Iran. Je connaissais déjà le cas de la dictature criminelle en Iran, bien sûr, mais grâce à eux, j’en ai connu les moindres détails. Il s’agit d’une dictature religieuse terroriste, toxique, qui empoisonne toute la région, et qui contamine le contexte mondial global. Elle commet des atrocités contre son peuple, et d’innombrables violations des droits de l’homme. Je me suis engagé contre ce régime, et j’ai fini par faire de cette cause une de mes principales activités.

Pourquoi les mollahs vous haïssent-ils ?

Le régime à une histoire de crime. En Iran, c’est une machine à tuer. Sous la présidence actuelle de Massoud Pezeshkian, un millier de personnes ont été assassinées. Et l’on tue des dissidents en exil. Mais, depuis 2018 ont commencé les attaques contre des personnalités politiques occidentales, celles qui soutiennent le CNRI. Je suis devenu l’une des plus visibles. En octobre 2022 le régime a publié une liste de ses ennemis et moi, j’étais numéro 1. En 2018 déjà, il y a eu un complot pour déposer une bombe à Villepinte lors d’un congrès anti-régime pour tuer Mme Myriam Rajavi, présidente du conseil. Il y eu ensuite d’autres cibles, comme John Bolton, Mike Pompeo, d’autres encore, puis moi, en 2023 à Madrid. Aux États-Unis les complots furent démantelés par les services secrets. En Espagne, le tueur à gages m’a tiré dessus, mais grâce à un geste de la tête, la balle m’a seulement transpercé les deux joues, miraculeusement, puis le pistolet s’est enrayé. J’en ai quand même eu pour sept mois de convalescence. En me ciblant, le régime cherchait à intimider les hommes politiques d’Europe.

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Quelle serait la bonne attitude à adopter envers eux, selon vous ?

La politique de dialogue et de négociation a échoué. Les accords avec les ayatollahs pour un statu quo sur des dossiers commerciaux, industriels ou nucléaires, visant à la coexistence, ne fonctionnent pas. Car le régime considère cela comme de la faiblesse, et il redouble d’agressivité. L’apaisement ne les calme pas, au contraire cela provoque l’effet inverse ! Maintenant, le moment est venu de changer et d’être enfin vraiment fermes. Cela peut paraitre paradoxal. J’ai critiqué toute ouverture d’ambassades dans les grandes capitales diplomatiques, et c’est pourquoi j’ai été ciblé.

En Occident, deux choix s’offrent à nous : soit dialoguer, soit se fermer. En effet, il y a la politique de principes, et la realpolitik. J’accepte que la politique ne puisse pas uniquement consister en de grands principes. Cependant, dans le cas iranien, les deux options convergent totalement : sur le plan pratique, la République islamique d’Iran ne va pas se transformer en démocratie sans bombe.

Quelle différence entre l’Iran et la Chine?

La Chine veut remplacer l’hégémonie des États-Unis. Mais elle ne recherche pas le chaos, elle n’entend pas détruire le monde occidental. Or le programme de République islamique d’Iran est de le détruire. Il faut prendre sa propre idéologie au sérieux. Sur Israël, notamment. Et puis contrairement à la Chine, la République islamique d’Iran crée une crise permanente.

Comment obtenir la fin d’un tel régime ? L’ostracisme, la guerre, une révolte populaire ?

Ce régime n’est pas soutenable, pas viable. Pinochet, Videla, Mussolini, Hitler, Staline – tous finissent mal, c’est une loi de l’histoire. Depuis 46 ans de régime iranien, nous avons la terreur à l’intérieur et à l’extérieur. Le Hamas, les Houthis, le Hezbollah : tous sont ses employés et c’est une manière de survie pour lui ! Les Ayatollahs veulent des armes nucléaires pour terroriser d’autres pays, à l’instar de la Corée du Nord. Aujourd’hui, le peuple iranien vit dans une pauvreté et sous une répression terribles. L’attaque du 7-Octobre 2023 autour de Gaza a été planifiée en Iran, et financée par lui. Le Hamas a suivi les ordres de Téhéran. Mais le régime a une faiblesse : la faillite économique et des protestations internes énormes. Aujourd’hui, les camionneurs sont en grève depuis des jours. Les prix de l’essence sont trop élevés, les routes sont en mauvais état, et les revenus du pétrole prioritairement dirigés vers les fameux proxies ou les cadres du régime. Et puis, la Syrie est tombée, le Hezbollah et les Houthis ont été décimés, Israël a frappé les élites de Hezbollah et du Hamas.

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Comment voyez-vous l’administration Trump à cet égard ?

Elle est plus sévère que celle de M. Biden. Maintenant, on a une opportunité de renverser le régime. Allons vers la démocratie, vers le peuple et avec le CNRI. Il serait naïf de ne pas profiter de l’occasion.

Terminons sur le nationalisme catalan: vous vous y êtes de tout temps opposé. Pourquoi ? Quel est le danger antidémocratique, franchement ?

Je suis catalan, mais le nationalisme séparatiste de la fin du 19e siècle est un projet qui veut un État par nation, ce qui est une doctrine antidémocratique. Le nationalisme n’est pas le patriotisme. Les sociétés actuelles sont plurielles, et le nationalisme uniformise par coercition. Prenons la langue : les nationalistes ne veulent que le catalan, et élimineraient l’espagnol de la société alors que plus de la moitié des Catalans parlent espagnols chez eux ! La conséquence du nationalisme serait l’affaiblissement décrété des droits des citoyens. Et c’est ruineux économiquement. Avec l’indépendance, c’est la sortie de l’Union européenne assurée.

Seriez-vous le dernier spécimen du conservateur humaniste et non populiste ?

J’espère ne pas être le dernier. Je suis un libéral-conservateur. Je serais au groupe des conservateurs réformistes, pas chez les patriotes dont l’idée d’Europe est trop sceptique. Ils n’ont pas compris le projet, même si l’UE se mêle de trop de domaines. Certes, l’UE a son déplorable agenda 2030, et son lot de wokisme… Mais l’union des citoyens et des États dans un grand marché, avec la prospérité à la clé, cela demeure une idée extraordinaire. 

Édouard Philippe, Gabriel Attal: l’effet Retailleau

Édouard Philippe se pose désormais en critique virulent de ce macronisme qu’il a pourtant longtemps incarné avec zèle. Il tente aujourd’hui de faire oublier sa responsabilité dans l’inaction qu’il dénonce. Gabriel Attal, quant à lui, s’illustre avec la mesure symbolique de l’interdiction du voile avant quinze ans, qui relève davantage de la posture politique et du coup d’éclat que d’autre chose.


Ils ont fait leur chemin de Damas. Tout soudain, la révélation leur est venue, la lumière a jailli. De moutons bêlants du macronisme les voilà métamorphosés en contempteurs du régime, en pourfendeurs de ce qu’ils ont accompagné et servi avec zèle, servilité toutes ces années, sans oublier ce surplus d’arrogance, de suffisance qui aura été la marque des dignitaires de l’engeance en place depuis 2017.

Premiers sinistres

Ils font l’un et l’autre le procès de l’inaction de l’État, de l’impuissance publique dont ils ont été, cependant, parmi les tout principaux agents, ayant occupé tous deux les fonctions de Premier ministre. Premiers sinistres, comme disait Coluche.

Leur réquisitoire ne manque pas de sel. Selon eux, rien de ce qu’il fallait faire pour éviter à la France de se retrouver dans l’état déplorable qu’on lui connaît, et aux Français un tel désarroi, n’a été entrepris, ni même énoncé. « Le pouvoir ne s’est pas emparé des problèmes que nous avions sous les yeux, immigration incontrôlée, insécurité galopante, endettement phénoménal… », dit en substance Gabriel Attal. Nous sommes victimes, sur ces sujets et d’autres encore, de nos mensonges, surenchérit Edouard Philippe dans son pamphlet précisément intitulé Le prix de nos mensonges (Alors que « mes » mensonges en titre aurait eu le mérite d’induire une édifiante humilité. Mais l’humilité, chez les disciples du très raide et très pontifiant Alain Juppé, ne figure pas au nombre des vertus de forte pratique.)

Un peu de décence !

Bref, de voir MM. Philippe et Attal instruire avec férocité le procès des gouvernements Philippe et Attal serait fort divertissant si ce n’était si pathétique. Et diablement culotté, car, tout comme pour l’humilité, on ne peut guère dire que la plus élémentaire décence les étouffe.

Le cas de M. Philippe est particulièrement intéressant. Il se dit en colère. L’est-il à propos de sa bonne ville du Havre qui brille aujourd’hui au firmament des méga-poubelles du narco-trafic ? Non, pas vraiment. D’ailleurs, que fait-il pour endiguer la submersion mortifère, que propose-t-il ? Peu de chose, à vrai dire. Rien. Non, il regarde ailleurs, plus loin, plus haut. Élysée 2027. Arrivé sur le porte-bagage d’ Antoine Rufenacht à la mairie du Havre, sur celui d’Emmanuel Macron, au gouvernement de la France, il n’a plus désormais qu’un rêve en tête, un but suprême : prendre enfin lui-même le guidon. C’est sa ligne bleue des Vosges.

A lire ensuite, Philippe Bilger: L’inaction du pouvoir est-elle obligatoire?

Mais voilà que se dresse sur son chemin un obstacle. Un obstacle que sa suffisance, son arrogance ne lui ont pas permis de voir venir : Bruno Retailleau. Le Vendéen et sénateur Retailleau avec son parler vrai, son diagnostic sans complaisance, ses préconisations courageuses, décapantes. Et de surcroît son franc succès à l’élection pour la présidence LR. Un plébiscite, disent ceux qui s’y connaissent. Alors il fallait bouger, se remuer, feindre être homme d’action, de conviction, de détermination, et donc enfourcher le cheval commode de l’indignation, fourbir en quelques semaines le brûlot, le pamphlet qui marquera les médias à défaut des esprits. Brandir sa colère. La colère molle d’une tête molle, dans la grande tradition des gouvernants de ces quatre ou cinq dernières décennies qui ont conduit le pays là où il est. Selon le magazine Le Point, l’auteur, aurait donné avec cette ire de papier « un spectaculaire coup d’accélérateur à sa campagne présidentielle ». Et « pris de vitesse ses concurrents, nombreux sur la ligne de départ ».

À voir. Le chemin est encore long et la colère toujours éphémère. C’est sa nature même. Elle passe. Ses effets aussi. Il restera donc à l’ambitieux à beaucoup pédaler et pédaler encore. Pour un homme de porte-bagage ce n’est sans doute pas l’exercice le plus évident.


Attal : l’idée lumineuse
 
De son côté, Gabriel Attal ne pouvait rester sans rien faire. Il lui fallait bien montrer que, lui aussi, prenait à bras le corps les problèmes de la France. Parmi ceux-là : l’entrisme islamique. Interdiction du port du voile dans l’espace public avant quinze ans, voilà sa grande idée. On voit d’emblée combien il serait facile de faire respecter cet interdit, de contrôler l’âge des porteuses, d’établir un barème de sanctions – récidive, non-récidive, etc… – et surtout de les faire appliquer. Avant quinze ans ? M. Attal considérerait-il qu’après cet âge le port du voile dans l’espace commun ne pose plus aucun problème ? Il conviendrait alors qu’il s’exprime sur ce point. Et si telle est son opinion, qu’il nous explique au passage en quoi ce qui ne poserait aucun problème après cette butée en poserait avant. Qu’importe ces questions de simple bon sens pour le susnommé ! l’essentiel n’est-il pas de gesticuler ?
 
Cela aura au moins eu le mérite de donner à Mme Panot, M. Ruffin et M. Caron – tous trois plus ou moins LFI – l’occasion de s’illustrer une fois encore dans le grotesque. Leur grande trouvaille : mettre sur le même plan le port du voile des fillettes et le baptême chrétien des enfants « à un âge où ils ne sont pas capables de consentir », dixit Mme Panot.
 
Comparaison inepte, bien évidemment. Le baptême chrétien, lui, ne s’impose pas qu’aux filles, mais également aux petits garçons. Il ne différencie pas, il ne stigmatise pas un sexe en particulier. De plus, il ne s’accompagne d’aucun signe ostensible, visible dans la sphère publique. Enfin, le baptisé fait exactement ce qu’il veut ensuite – c’est sa liberté de conscience – du sacrement reçu. Cela sans que quiconque, sauf à pénétrer son cœur et son esprit, n’ait à en connaître. La liberté la plus grande, la liberté individuelle y est donc attachée. Tout le contraire du voile, manifestation d’inféodation, de soumission à une règle de conduite arbitrairement imposée par le masculinisme du dogme religieux de référence. Aussi attend-on dans la fièvre la réaction des féministes pures et dures…

LES TÊTES MOLLES - HONTE ET RUINE DE LA FRANCE

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Manon sauvée par le chant

Lyrique: flanquée de Joséphine Baker, une Manon bizarrement téléportée dans les Années folles… À l’Opéra-Bastille, heureusement, le cast vocal, Benjamin Bernheim en tête, sauve la mise.   


Paradoxe de notre époque : si prompte à dénoncer la domination masculine et à victimiser la prostituée, elle ne se fait pas faute de célébrer, en l’héroïne immortalisée par l’abbé Prévost (1697-1763) dans Histoire du chevalier des Grieux et de Manon Lescaut – mais qui lit encore ce roman ? –  une catin qui, son amant ruiné par les largesses qu’il lui a consenti, n’hésite pas à le larguer pour son rival, quitte à voir le micheton Des Grieux sacrifier fortune, famille, réputation, pour celle dont il sait pourtant qu’elle le trompera indéfiniment – les exigences du métier.  

Triomphe immédiat

Achevé en 1884 pour l’Opéra-Comique, le Manon de Jules Massenet n’en revêt pas moins, tant par sa facture que par sa très longue durée, les dimensions du « Grand opéra français » dans la meilleure tradition flamboyante, tour à tour allègre et lacrymogène, comme la bourgeoisie parisienne prisait alors ce divertissement. Ainsi le compositeur fait-il appel à Henri Meilhac et Philippe Gilles, les deux librettistes star de l’époque : triomphe immédiat, qui ne s’est jamais démenti depuis.

Après la mise en scène de Coline Serreau en 2011-2012, l’Opéra-Bastille avait confié en 2020 une nouvelle production à un émule de Patrice Chéreau puis de Peter Sellars, Vincent Huguet, – décidément poursuivi par la malchance : les grèves contre la réforme du régime des retraites avaient eu raison alors de toutes les représentations quasiment, puis en 2022 le Covid en empêchera encore quelques-unes, patatra. Pour cette troisième reprise, Pierre Dumoussaud prend la relève du jeune chef américain James Gaffigan au pupitre, tandis que, suite au désistement de Nadine Sierra, c’est la soprano égyptienne Amina Edris qui assure le rôle-titre, portée par un beau vibrato quoique sa diction ne rende pas toujours le texte parfaitement intelligible (heureusement, c’est toujours surtitré à l’opéra)  ; elle l’avait déjà chanté il y a cinq ans. Benjamin Bernheim campe une nouvelle fois Des Grieux, du moins dans les premières représentations (jusqu’au 9 juin), relayé par notre Roberto Alagna national (pour celles du 11 au 20 juin) qu’on retrouvera d’ailleurs à l’Opéra-Bastille en novembre prochain dans Tosca, pour incarner Mario… Certes Alagna n’a plus rien à prouver dans cet emploi du Chevalier, qu’il connaît par cœur pour l’avoir endossé maintes fois. Mais Bernheim reste sans conteste LE jeune ténor le plus fabuleux du moment, scéniquement irréprochable, doté d’un timbre d’une fraîcheur sans pareille, souligné par une diction impeccable, pour le coup – il n’est que de rappeler sa prestation miraculeuse dans Werther (Massenet, encore, dans l’apothéose de sa création lyrique !) en avril dernier, au Théâtre des Champs-Élysées. Le public ne s’y trompe pas, qui l’a ovationné comme jamais, au soir de la première, le 26 mai dernier. Le reste de la distribution ne dépare pas ce palmarès : qu’il s’agisse du baryton polonais Andrzej Filonczyk (Lescaut) ou de la basse Nicolas Cavallier (Comte des Grieux), comme des autres rôles féminins tenus par Ilanah Lobel-Torres (Poussette), Marine Chagnon (Javotte) et Maria Warenberg (Rosette), membres toutes trois de la troupe lyrique maison.

Hors sujet

Il faut bien en venir toutefois (cf. l’article que votre serviteur lui consacrait il y a trois ans) à ce qui contrarie cette performance lyrique : le choix, gratuit, superflu, anachronique, d’en transposer l’action dans les Années folles. Ainsi le premier acte prend-il place dans un espace qui renvoie à la plastique du Palais de Tokyo, ou à celle du Palais d’Iéna (anciennement musée des Travaux public et qui, comme chacun sait, construit par Auguste Perret dans les années Trente sur la colline de Chaillot, abrite aujourd’hui le Conseil économique et social).  Au deuxième acte, l’appartement de Des Grieux et de Manon, rue Vivienne, plus démeublé que meublé, se donne ici, bizarrement, des airs de réserve de musée…  Premier tableau du troisième acte, le Cours-la-reine (selon les indications du livret) se voit téléporté dans le décor d’une salle de bal placée sous le signe de la Café Society – pourquoi pas ? Le second tableau de l’acte, sensément sis dans le parloir du séminaire de Saint-Sulpice, migre quant à lui dans l’enceinte de l’église actuelle, évoquée à travers la reproduction symétrique à l’échelle 1 des deux toiles monumentales de Delacroix qu’on peut toujours y admirer dès le portail franchi : La lutte avec l’ange, et Héliodore chassé du Temple. Si cela suscite chez tel ou tel spectateur une vocation d’amateur d’art, ce sera toujours ça de gagné. De là à annexer une Manon coiffée à la garçonne, à la célébration de la regrettée Joséphine Baker (que clone ici la comédienne Danielle Gabou) pour greffer sur le canevas de l’opéra une espèce d’intrigue au second degré particulièrement fumeuse au plan intellectuel, voilà qui relève, purement et simplement, du hors sujet.

Manifestement Huguet n’en a cure, qui, en guise d’amorce au deuxième acte, incruste devant le rideau de scène, assortie d’un numéro de cabaret chorégraphié en live, la projection d’un extrait du film réalisé par Marc Allégret en 1934, Zouzou, où l’idole récemment panthéonisée chante « C’est lui » en se dandinant…


Manon, opéra-comique de Jules Massenet. Avec Amina Edris, Benjamin Bernheim/Roberto Alagna, Andrej Filonczyk, Nicolas Cavallier, Nicholas Jones, Régis Mengus, Lianah Lobel-Torres, Marine Chagnon, Maria Warenberg, Philippe Rouillon, Laurent Laberdesque, Olivier Ayault.

Direction : Pierre Dumoussaud. Mise en scène : Vincent Huguet. Orchestre et chœurs de l’Opéra national de Paris.

Durée : 3h50

Les 6, 9, 11, 14, 17, 20 juin à 19h ; le 1er juin à 14h.

La « fête des familles », le dernier chic

Une commune belge supprime la fête des Mères et des Pères dans ses écoles


Uccle est une commune huppée de Bruxelles. On y croise des femmes portant des vêtements de marque davantage que des hijabs ; les voitures sont frappées d’un logo à trois lettres et les habitations sont des villas ; l’extrême gauche y a même déjà organisé une « promenade guidée chez les super riches ». On aurait pu penser que le wokisme ne franchirait pas les frontières de ses quartiers habituellement préservés des autres réalités qui ont fait la triste réputation de Bruxelles. 

Boris Dilliès, le bourgmestre (=maire) libéral, issu d’un parti qui avait pourtant promis de mener la guerre à la cancel culture, vient de décider d’y supprimer la fête des Mères et des Pères et de la remplacer par une très vague « fête des familles » ayant lieu à une date située entre les deux habituelles célébrations. Cela permettra, selon l’échevine Carine Gol-Lescot, veuve du pourtant très à droite Jean Gol, de célébrer « les beaux-parents, les grands-parents, ou encore l’éducateur ». Et pourquoi pas, tant qu’à être inclusif, l’animal de compagnie, les voisins, les amis, les amours et forcément les emmerdes ? C’est-à-dire tout le monde et donc plus personne.

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On est en 2025, il faut vivre avec son temps, entend-on déjà se gargariser les défenseurs de la mesure. Évidemment, la famille traditionnelle – nucléaire, diraient les sociologues – a vécu et le modèle qui a prévalu jusqu’à il y a deux décennies environ, composé d’un père, d’une mère et d’une fratrie, n’est plus. Il y a désormais des couples homosexuels, composés de deux mères ou de deux pères, certains parents qui ont abandonné leurs enfants et des enfants élevés par d’autres personnes que leurs géniteurs. Et puis, « père » et « mère » sont des gros mots : dites « parent 1 » et « parent 2 » si vous ne souhaitez pas passer pour d’affreux réac. 

Faut-il, pour autant, jeter en pâture le socle familial qui est à la base de notre modèle civilisationnel, au simple motif des bouleversements récents ? Est-il obligatoire de systématiquement céder à la déconstruction opérée par quelques Docteur Folamour ? Doit-on vraiment priver les enfants du traditionnel bricolage et de la poésie qui l’accompagne ? Et surtout n’y a-t-il pas plus urgent à régler pour l’équilibre et l’avenir des enfants ? Notons qu’au même moment, à Evere, autre commune bruxelloise, une fête scolaire a proposé, le week-end dernier, un spectacle en soutien à la Palestine, au cours duquel des enfants embrigadés dansaient en keffieh sur la musique « My blood is Palestinian ».  En Belgique, on s’évite les rappels aussi niais qu’erronés sur l’invention de la fête des Mères par Pétain. Malheureusement, on n’esquive pas le wokisme ; et voilà que la célébration des mères, existant depuis l’Antiquité grecque, et celle des pères, est prise sous les feux grégeois du progressisme incendiaire. 

Quand l’affiche guidait le peuple

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Jusqu’au 6 juillet, le Musée d’Orsay, en collaboration avec la Bibliothèque nationale de France, met à l’honneur les maîtres de l’affiche de la seconde moitié du XIXᵉ siècle – une époque où la rue éduquait le regard des Parisiens


Au-delà du message politique et social, de l’enrobage culturel, de la fonction didactique de cette exposition intitulée « L’art est dans la rue », de son argumentaire historique irréprochable, de toute la bonne volonté instructive de nos chères institutions, c’est leur mission, nous informer en replaçant les affiches dans leur contexte, une vérité banale, triviale apparaît et nous décille. Elle éclate dans les couloirs d’Orsay sous les joyaux de l’impressionnisme, au rez-de-chaussée.

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Avant le fatras des idées qui réconfortent les professeurs, le besoin de tout régenter intellectuellement, un constat s’impose à la vue de tous ces tableaux urbains où se marient le génie de l’imprimerie moderne d’alors et le trait du créateur : Paris s’est enlaidie en un siècle et demi. La publicité d’aujourd’hui a revêtu les habits d’un camelot hâbleur et vulgaire. De grandes photos montrant des sacs à main et des mannequins alanguies recouvrent nos bâtiments nationaux dans une geste criarde et déjà périmée. Cette publicité qui salit le regard est le fichu d’une globalisation saturée d’images. Les colonnes Morris sont mortes de honte. Le graphisme a été remplacé par le faux éclat du mirage commercial. Une propagande grossière, poussive, flattant on ne sait trop quel hypothétique acte d’achat. La ménagère a été abandonnée par les artistes. Les marchands à court d’idées, se vautrant dans la facilité esthétique et la démagogie langagière, n’ont même plus le respect du badaud. Du furtif. Du promeneur. Le peuple de Paris baisse la tête, il ne s’attarde plus sur les murs de sa capitale. Il file. Il s’extrait de son environnement extérieur pour retrouver la chaleur de son foyer. Il fuit les lumières de sa propre ville. Il a perdu toute capacité à s’émerveiller.

Aux lueurs du capitalisme industriel et des progrès techniques, les communicants avaient au moins la volonté de faire semblant, de nous alpaguer sur le trottoir, de nous émouvoir, de nous charmer, de nous intriguer, de nous faire lire, voter, pédaler, conduire ou s’habiller élégamment. Ils suscitaient par le placardage intensif l’intérêt de leurs futurs clients. La courtoisie de la Belle époque n’a plus cours. Il faut absolument voir cette collection de 230 œuvres majeures qui furent en leur temps balayées par le vent et la rumeur des faubourgs, à l’air libre ; car elles sont belles. Belles dans leurs couleurs, dans leurs recherches stylistiques, dans leur féérie, dans leur élan républicain ou leur secousse anarchiste. Dans leur onde nostalgique qui n’en finit plus de se propager dans nos esprits. Le Musée d’Orsay a réuni les cadors du métier, ils s’appelaient Bonnard, Chéret, Grasset, Mucha, Toulouse-Lautrec, Steinlen, etc. Qu’ils promeuvent La Belle Jardinière, Le Moulin Rouge, le dernier Émile Zola, la Chaîne Simpson, les automobiles Brasier, des jouets pour les étrennes, le Palais de l’Industrie, la Goulue, une belle redingote ou qu’ils alertent sur les profiteurs de guerre, ils furent les nouveaux architectes de la rue, plus qu’un décor, ils façonnèrent la caisse de résonance de toutes les mutations du moment.

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À vrai dire, au commencement de cette exposition, on est sur nos gardes, comment des affiches par nature éphémères et fragiles peuvent-elles égaler des peintures ? Elles les surpassent souvent par leur inventivité, leur audace, leur composition et leur profondeur. Elles sont notre identité urbaine. Nous ne savions même pas que nous conservions inconsciemment ces images dans notre tête. Ces affiches nous sont familières, elles sont le canevas de notre propre frise chronologique, Aristide Bruant avec son écharpe rouge nous salue, plus loin l’écolier au petit-beurre nantais ou la fillette du chocolat Menier nous rappellent les douceurs de l’enfance, le Quinquina Dubonnet était la boisson vedette des bistrots, toutes ces affiches semblent nous appartenir. Elles sont notre mémoire collective. Elles nous amusent parfois, nous fascinent par leur majesté populaire et nous font amèrement regretter cette ville nouvelle aux façades ternes.


Informations pratiques sur le site du musée: Exposition L’art est dans la rue | Musée d’Orsay
16 € l’entrée

Tendre est la province

Price: 19,00 €

17 used & new available from 4,19 €

L'art est dans la rue - Catalogue d'exposition

Price: 45,00 €

7 used & new available from 45,00 €

Stella Rocha, une femme entre deux sexes

Stella Rocha, icône transsexuelle, a commencé sa transition dans son Brésil natal. Malgré un parcours difficile, elle n’a jamais adhéré à un militantisme hargneux. Pour Causeur, elle se livre sans tabou et avec humour sur son passé et sa nouvelle vie de comédienne.


Pas facile de résumer une vie aussi romanesque que celle de Stella Rocha ! Tentons de la croquer brièvement. Un petit garçon nommé Marco naît au Brésil en 1973, à Belém, sur les rives de l’Amazone. Le père est policier, la mère – catholique pratiquante et femme au foyer – s’occupe des dix frères et sœurs. Dès l’enfance, le petit Marco ne se sent pas un garçon comme les autres. Plutôt que de jouer au football avec les garçons, il préfère s’occuper des tâches ménagères avec sa mère. Malgré une éducation « hétéronormée » et très stricte, vers 12 ans, rien à faire, Marco veut devenir une fille. Depuis plusieurs années déjà il pique les fringues de maman pour faire « la folle » tout seul, enfermé dans la salle de bain tandis que toute la maisonnée dort. Malgré sa discrétion, la famille découvre son secret. Les parents s’opposent par tous les moyens au chemin que prend leur fils. Durant deux ans, en dehors de l’école, Marco n’a plus le droit de sortir, ni de voir qui que ce soit. Il est coupé du monde. « Qu’est-ce que j’ai fait au bon Dieu pour avoir un fils comme ça, un pédé ! » se lamente son père. « Donnez-moi les ciseaux, je vais lui couper les cheveux ! » hurle sa mère. Mais son entêtement fait céder les parents qui comprennent qu’ils ne pourront rien faire. Quelques années plus tard, ils acceptent la transition. « Si nous, tes parents, nous ne t’acceptons pas comme tu es, qui t’acceptera ? » lui dit son père. À 18 ans, celle qui s’appelle désormais Stella décide de partir respirer plus loin et atterrit en France. Comme beaucoup de filles avant elle, son premier métier à Paris, elle l’exerce au bois de Boulogne. Mais ce n’est qu’une étape. C’est ensuite dans les clubs gay et trans parisiens qu’elle fait le show, devenant reine de la nuit… icône de la soirée Escualita aux Folies Pigalle ou au Banana Café. Elle se tourne également vers le cinéma où elle enchaîne les petits rôles. Puis vient le théâtre. Laurent Baffie l’engage dans sa pièce Un point c’est tout ! que Stella joue pendant un an au théâtre du Palais-Royal avec Nicole Calfan. Puis Baffie poursuit sa collaboration avec elle à la télé et à la radio. Allez ! Assez parlé. La parole est à Stella. Nous ne pourrons aborder que quelques points de sa vie… avec le bois de Boulogne comme point de départ !


Causeur. Comment avez-vous atterri au bois de Boulogne ?

Stella Rocha. Arrivée à Paris, j’ai vite épuisé mes économies. Un copain m’a alors parlé du bois de Boulogne. J’ai donc débarqué là-bas sans rien en connaître, toute jeune, toute belle. Imaginez la jalousie des vieux travelos et des vieilles trans déformées par la chirurgie ! Le premier soir, je m’installe allée de la Reine-Marguerite. Aussitôt, cinq trans se ruent sur moi en hurlant : « Dégage !!! barre-toi d’ici ! Les Sud-Américaines c’est plus haut ! » Je vais plus haut, et là-bas, d’autres filles me hurlent en me menaçant : « Dégage, ici c’est pas pour toi ! Dégage plus bas ! » J’ai abandonné. J’y retourne le lendemain et me fais encore chasser violemment de chaque lieu que j’essaie. Le troisième jour, je déambule dans le bois pour trouver un endroit libre, mais en vain. Je vois un banc et m’y assois désespérée, me demandant ce que je vais faire de ma vie. Et là, je vois une vieille trans toute botoxée, perruque rousse, qui débarque de je ne sais où pour me chasser encore en me frappant avec son sac. Même le banc appartenait à une fille ! Elle, c’était un pilier du bois de Boulogne, une des fondatrices. Un personnage ! Elle m’a expliqué que si je voulais faire ma place au bois, il fallait que je me batte physiquement. Mais ça n’était pas mon truc, je ne m’étais jamais battue. Je suis retournée à l’endroit d’où la bande de trans m’avait chassée. Pour les provoquer, je me suis foutue entièrement à poil – j’étais gaulée ! – et j’arrêtais les voitures. Ça a foutu un bordel monstre sur la route. Les cinq trans se sont ruées sur moi pour me frapper. Une énorme bagarre a commencé, et j’ai réussi à casser la gueule des cinq ! La cheffe de la rue a alors débarqué. Esmeralda ! C’était un grand Algérien travesti. Un colosse, un déménageur de près de deux mètres ! Un Arabe bodybuildé avec une perruque Crazy Horse, body en vinyle, avec des talons sur lesquels il peinait à marcher ! C’était spectaculaire (rires) ! Il m’attrape violemment et me hurle : « C’est toi qui es en train de foutre le bordel dans ma rue ?! » Je lui ai expliqué ma situation et il m’a finalement accordé cette place. J’ai pu enfin travailler. En trois mois, j’ai gagné soixante mille francs. J’y suis restée sept ans, avec quelques petites interruptions.

Cette expérience de prostitution a été traumatisante ?

Non. Elle a été parfois compliquée évidemment. Il y a eu des incidents violents. Mais je prenais ça comme un boulot comme un autre. Et puis, tout en gagnant ma vie, j’ai fait beaucoup de bien à ces hommes, parfois seuls, parfois déprimés. Que feraient-ils sans les prostituées ? Certains me payaient uniquement pour parler. Je ne pense pas avoir été une victime. C’était mon choix, mon indépendance. D’autant que durant cette période, contrairement à beaucoup de filles, je ne prenais ni drogue ni alcool. Je bossais, c’est tout.

Aujourd’hui, estimez-vous être une femme ?

Honnêtement ? Non. Je ne peux pas dire cela. Tout simplement parce que biologiquement, je ne suis pas une femme. Je suis heureuse et satisfaite de ce que je suis aujourd’hui, de la transition accomplie. J’ai atteint au maximum l’image féminine que j’avais de moi. Mais ce serait n’importe quoi de dire que je suis une femme à cent pour cent. Ce serait faux. Je sais qu’au fond de moi, je ne pourrai jamais être complètement une femme. Il faut composer avec ce qu’a fait la nature. C’est comme ça. Je n’ai d’ailleurs pas eu recours à la vaginoplastie. J’ai gardé mon sexe masculin, comme beaucoup de trans d’ailleurs. J’ai même complètement arrêté les hormones. Et en même temps, vous conviendrez qu’il serait difficile de dire que je suis tout à fait un homme (rires) !

Montée des marches du Festival de Cannes en 2015 pour le film Love de Gaspar Noé, dans lequel elle tient le rôle de Mami.© REX Shu/SIPA

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Lorsqu’on est transsexuelle, comment se passent les rapports de séduction avec les hommes ?

Séduire les hommes (hétérosexuels ! car ce ne sont pas les homosexuels qui sont attirés par nous), c’est facile. Il n’y a rien à faire. J’ai toujours été draguée par les hommes dans les bars, dans les restaurants, dans les soirées. Même s’ils voient que je ne suis pas une « vraie » femme. Ça attire, ça intrigue les mecs. Les gens ne se rendent pas compte que beaucoup d’hommes hétérosexuels ont ce fantasme du trans. Et ce que je peux vous dire, c’est qu’une fois au lit, c’est notre sexe d’homme qui les intéresse ! Même si ces hommes sont hétérosexuels, ils viennent chercher une femme avec qui ils ont une relation en partie homosexuelle. C’est compliqué, je vous avais prévenu ! Mais la vie est compliquée. C’est pour cela que je ne suis pas militante. La vie est trop complexe et nuancée. Même moi qui ai bien expérimenté tous ces sujets de genre et de sexualité, je ne sais pas trop quoi en penser. Après, pour trouver des partenaires sexuels, des coups d’un soir, il n’y a qu’à sortir dans la rue. Mais le revers de la médaille, c’est que pour ces hommes, nous ne sommes qu’une expérience sexuelle, un fantasme à accomplir secrètement avant de reprendre une vie normale. Car peu d’hommes hétérosexuels envisagent une relation sérieuse avec une trans. C’est difficile à assumer. Et ce n’est peut-être tout simplement pas ce qu’ils recherchent avec nous. Je dis cela, mais il m’est arrivé d’être heureuse en amour. Les jeunes hommes d’aujourd’hui sont encore plus curieux que ceux des années 1990. Maintenant, les jeunes hétéros envahissent les applications de rencontres pour trouver des transsexuels avec qui s’amuser. Et c’est pareil dans les soirées trans.

Vous retrouvez-vous dans la mouvance LGBTQI+ ?

J’avoue qu’aujourd’hui avec les binaires, les non binaires, etc., moi-même je n’y comprends plus grand-chose. Je ne les accuse de rien. Mais j’avoue avoir du mal à suivre. Ça part dans tous les sens. Je suis d’un autre temps moi (rires) ! Je voulais ressembler à une femme « stéréotypée », comme on dit maintenant. Avec les cheveux longs, le maquillage… enfin tout ce qui était pour moi la féminité. Mais je ne peux parler que pour moi. Ce qui me semble être le risque de notre époque aussi, c’est l’effet de mode. Ça, c’est un problème. Quand je vois certains jeunes qui se disent trans, je ne suis pas vraiment certaine qu’ils le soient réellement. C’est pour cela que je comprends que certains soient méfiants sur la question trans, et que les possibles dérives puissent faire peur aux gens. Je suis partagée entre la formidable liberté qui existe aujourd’hui, et l’effet de mode qui me met mal à l’aise.

Stella Rocha – à l’époque Marco Ramos adolescent, au Brésil © D.R

Je vous connais bien, et ne vous ai jamais entendue en vouloir à quelqu’un qui était maladroit avec vous sur la question du genre. Ça ne vous agace jamais ?

Non. Il faut comprendre les gens. Je ne suis pas totalement « banale » ! Je suis assez différente de la « normalité ». Je n’ai ni à en être fière, ni à en avoir honte. C’est comme ça. Et c’est normal que les gens, parfois, aient du mal à comprendre. La réaction première de mes parents, c’est-à-dire le rejet violent, était normale. Surtout pour des gens d’une petite ville au fin fond de l’Amazonie ! Il n’y a pas à leur en vouloir. D’autant qu’ils ont fini par accepter. On ne peut pas penser qu’à nous. Il faut comprendre les autres. Ma mère m’avait dit : « Pour ton père, tu resteras un fils. » Cette réaction me paraissait normale. Moi, Stella, je restais évidemment le fils de mon père.

Procès Bastien Vivès: de mauvais desseins?

Dans l’affaire opposant l’illustrateur Bastien Vivès à des associations de défense de l’enfance, le tribunal correctionnel de Nanterre s’est finalement déclaré « territorialement incompétent » mardi.


En février 2025, l’illustrateur français Bastien Vivès s’exprimait sur ses réseaux sociaux : « Pour des dessins, on m’a interrogé sur la catégorie de site porno que je regardais, sur mes pratiques masturbatoires et on a voulu me soumettre à une expertise psychologique. En France. En 2024. Au pays de la création artistique, pas en Russie ». À ce moment-là, l’artiste vient d’apprendre qu’il sera jugé les 27 et 28 mai 2025 au tribunal correctionnel de Nanterre pour « fixation et diffusion de l’image d’un mineur à caractère pornographique ». Deux de ses maisons d’édition sont également poursuivies pour les mêmes faits.

Associatifs: il leur manque une case?

La tourmente judiciaire de Bastien Vivès semble n’avoir pas de fin. Depuis 2011, plusieurs de ses albums font l’objet de vives polémiques et sont pointés du doigt comme faisant l’apologie de la pédocriminalité, du viol ou encore de l’inceste. En 2018 et 2020, le parquet de Nanterre avait déjà examiné les faits et avait classé ces signalements sans suites, mais l’acharnement de ses détracteurs à traîner Bastien Vivès devant la justice semble avoir finalement porté ses fruits.

Qui sont-ils, ces détracteurs ? En 2024, l’illustrateur déclarait dans une interview être « poursuivi par une association d’extrême droite ». L’allégation est d’autant plus ridicule qu’il n’a jamais voulu s’étendre davantage sur le sujet et que les associations qui le poursuivent en justice (Innocence en danger, Fondation pour l’enfance, et Face à l’inceste) ne semblent pas avoir de liens clairs et avérés avec une quelconque mouvance politique. La cancel culture, à l’œuvre contre M. Vivès ces dernières années avec notamment la déprogrammation en 2023 de l’exposition qui lui était consacrée au festival international de la BD d’Angoulême, est d’ailleurs plutôt connue pour être l’apanage de la gauche. Cette affaire nous interroge cependant sur le pouvoir croissant des structures associatives, particulièrement celles capables de mobiliser médias et opinion publique.

9e Art et 3e jambe

Il s’avère que l’un des ouvrages incriminés s’est retrouvé récemment entre mes mains. Je l’ai ouvert, fébrile, me préparant à être confrontée à des images que j’imaginais abjectes. Petit-Paul, le personnage de cet album, que ces associations s’acharnent à défendre, n’est pas un enfant. Il n’est pas réel et sa représentation n’est pas réaliste. Petit-Paul est un personnage chimérique à la silhouette stylisée et au sexe surdimensionné, représenté à la manière d’un cinquième membre aussi long que ses jambes. C’est un être pur et simple, monstrueusement doté par la nature, qui attise le désir et la convoitise des adultes. On ne retrouve pas dans le style de Bastien Vivès le sens du détail ou l’art des gros plans réalistes propre aux codes de la bande dessinée pornographique. L’histoire, elle-même, n’a pas de réelle vocation érotique, et se veut plutôt militante pour dénoncer une société régie par le pouvoir.

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Que l’on apprécie ou non l’œuvre de Bastien Vivès, que l’on trouve ça choquant, dérangeant ou même de mauvais goût n’a aucune espèce d’importance. C’est le propre de l’art de ne pas faire l’unanimité. Bastien Vivès lui-même écrit sur ses réseaux sociaux :  « Je ne suis pas là pour panser les plaies de la société, œuvrer pour la morale, mais juste pour donner à réfléchir, faire un pas de côté avec un trait d’humour, interroger l’obscurité aussi. Parfois c’est réussi, parfois raté ou de mauvais goût mais je ne savais pas que cela pouvait mener en prison. Dessiner peut donc être un délit. » Non, cette affaire n’est pas liée à la politique mais est révélatrice de réels changements dans notre société où la morale siège de plus en plus souvent au sein de nos tribunaux.

Fiction et réalité

Dans des cas de détention ou de diffusion de photos à caractère pédopornographique, ces enfants sur papier glacé existent bel et bien et sont ou ont été victimes de pédocriminels. En ce qui concerne Bastien Vivès, il s’agit de dessins et la différence, pourtant majeure, entre des faits fictifs et des faits réels, ne peut pas être balayée d’un revers de la main. Lors des audiences, l’accusation a été jusqu’à s’interroger sur le consentement du personnage Petit-Paul. Richard Malka, l’avocat du dessinateur, s’était alors insurgé « C’est comme demander aux Romains s’ils sont d’accord pour recevoir les baffes d’Astérix et Obélix, ça n’a aucun sens ». Si l’on persiste à s’engager sur cette voie, quelle pourrait être la suite ? Va-t-on décrocher des murs des musées les multiples tableaux représentant des nymphes aux allures prépubères ?

Le 27 mai 2025, le tribunal correctionnel de Nanterre s’est finalement déclaré « territorialement incompétent » à rendre un verdict, sous prétexte que les faits ne se seraient pas déroulés dans les Hauts-de-Seine. L’affaire est donc renvoyée au parquet. J’aimerais vivre dans une société où les crimes et délits seraient rarissimes au point que la justice, désœuvrée, en serait réduite à s’intéresser au sort des personnages de nos romans et bandes dessinées. Malheureusement, ce n’est pas le cas. Toute cette ridicule mascarade pourrait vraiment prêter à sourire s’il n’y avait pas, au même moment, en France, des victimes, enfants bien réels, qui réclament protection et justice. Ils attendront.

Abus de contre-pouvoir

Attaché à une conception libérale des institutions, le philosophe Pierre-Henri Tavoillot critique la sévérité de la peine prononcée contre Marine Le Pen et met en garde : face à l’effacement de la politique, la France risque de basculer d’une démocratie à une « nomocratie », le pouvoir des normes


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Causeur. Nous avons appris en cours de droit constitutionnel que la démocratie reposait sur un subtil équilibre des pouvoirs. Cette harmonie a-t-elle été rompue avec la condamnation de Marine Le Pen à une peine d’inéligibilité immédiatement exécutoire ?

Pierre-Henri Tavoillot. Une démocratie libérale fonctionne correctement quand elle arrive à maintenir l’équilibre entre trois logiques : celle du peuple, celle du pouvoir et celle du droit. Ce qui requiert de concilier d’une part la prise en compte de la volonté populaire (sans toutefois succomber au populisme, raison pour laquelle nous avons un système représentatif), d’autre part l’obéissance aux pouvoirs publics (mais sans aller jusqu’aux excès de l’autoritarisme, d’où notre indispensable séparation des pouvoirs), et enfin le respect des lois, mais en prenant soin de ne pas laisser celles-ci prendre le pas sur la décision politique. À ce sujet, je vous ferai remarquer que, récemment, le Conseil constitutionnel a justement eu des égards bienvenus pour le peuple, en indiquant que, dans les affaires judiciaires où des peines provisoires d’inéligibilité peuvent être prononcées, les juges doivent veiller à la « liberté du vote » et proportionner leurs décisions en conséquence.

Cela n’a pas empêché le tribunal judiciaire de Paris de prétendre interdire à Marine Le Pen de se présenter en 2027…

En toute rigueur, il n’a pas violé le droit. Mais les magistrats auraient dû avoir la main qui tremble et se dire : « Nous avons très envie de prendre cette décision sévère, mais nous n’allons pas le faire car cela constituerait un abus de contre-pouvoir. »

Cette hardiesse du jugement est-elle inquiétante pour notre justice en général ?

Je crois que la France a atteint aujourd’hui une situation de déséquilibre, avec d’un côté un État qui souffre d’une forme d’impuissance et de l’autre, un droit hypertrophié, de plus en plus bavard, complexe, et débordant de partout. Il est normal que nos lois limitent la liberté du vote. Ne serait-ce qu’en la conditionnant à des critères objectifs comme l’âge et la nationalité. Mais il est plus délicat de prétendre instaurer un cadre, beaucoup plus flou, reposant sur l’honorabilité. Si, par exemple, vous n’avez plus de points sur votre permis de conduire, est-ce suffisant pour vous interdire de briguer les suffrages ? À partir de quelle infraction, de quel crime, méritez-vous un bannissement électoral ? Aux États-Unis, même Donald Trump, qui a contesté massivement les règles démocratiques, a pu être réélu. En France, le système est plus fermé. Depuis dix ans, le nombre de peines d’inéligibilité, dont certaines sont certes très fondées, a augmenté de manière considérable. On est passé de 171 condamnations en 2016 à 9 125 en 2022. Cela commence à devenir démesuré. D’autant qu’on ne se prive pas de dénoncer les disqualifications de candidats quand elles ont lieu en Iran ou en Russie. Le risque existe désormais, que l’on bascule d’une démocratie à une « nomocratie », le pouvoir des normes.

Les lois de moralisation de la vie politique, notamment celles dites « Sapin 2 » et « Bayrou », qui certes n’ont pas été formellement invoquées dans la décision contre Marine Le Pen, mais dont l’esprit plane dans cette affaire, sont-elles « nomocratiques » ?

Assurément. En effet, elles exigent des élus qu’ils adoptent, en matière financière, un comportement impossible à tenir. Quand on fait de la politique, il ne suffit pas de vivre pour la politique, il faut aussi vivre de la politique. Si vous appartenez à une formation bien établie, rien de plus facile.Mais si vous participez à un mouvement en ascension, vous n’avez pas les moyens, et donc vous trouvez des astuces. Ce n’est pas un hasard si LFI, le Modem et le RN, trois partis émergents, ont été pris dans des affaires de financement d’assistants parlementaires.

L’électeur ne devrait-il pas choisir le degré d’immoralité qu’il accepte chez son élu ?

Je suis assez d’accord. Après tout, on peut considérer que les citoyens ont les données du problème en main, et que la décision doit leur revenir. Surtout qu’aujourd’hui la situation patrimoniale des candidats est rendue publique au début puis à la fin des mandats, ce qui donne une information précieuse.

Une information précieuse ? C’est surtout un moyen particulièrement démagogique de nourrir le voyeurisme et les passions tristes !

Une frontière nette doit être maintenue entre la nécessaire publicité et les excès de la « transparence », car si la première est démocratique, la seconde est totalitaire. Pour autant, il ne me semble pas illégitime de vérifier s’il y a enrichissement durant un mandat et d’empêcher, par là même, les élus qui s’adonnent à un clientélisme éhonté de continuer de salir leur mandat.

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Vous voulez éliminer le clientélisme de la vie politique ? Bon courage !

On peut le maintenir dans des limites raisonnables sans espérer l’abolir. Au demeurant – cruelle leçon –, on note dans l’histoire des démocraties que l’abstention s’accroît quand la lutte contre le clientélisme devient efficace.

Nicolas Sarkozy au tribunal de Paris, le 6 janvier 2025, lors de son procès concernant des soupçons de financement illégal de sa campagne présidentielle de 2007 © AP Photo/Thibault Camus/SIPA

Déshonore-t-on un mandat national quand on le cumule avec un mandat local ?

En 2014, lorsque le Parlement a voté l’interdiction du cumul des mandats, il y a eu sur ce sujet une sorte d’unanimité stupéfiante. Aujourd’hui, beaucoup se mordent les doigts d’avoir approuvé ce texte qui a abouti à ce que bon nombre de députés, dénués de toute expérience de mandat local, se trouvent d’autant plus déconnectés des réalités. Si on veut éviter les phénomènes de baronnies, il vaut mieux jouer sur la durée des mandats.

Vous avez parlé de « salissure ». Ironie de l’histoire, le RN – qui il est vrai n’occupait aucun poste de pouvoir –, s’est longtemps proclamé « tête haute et mains propres ». Est-on allé trop loin dans l’exigence de propreté ?

Il y a derrière cette aspiration un fantasme de pureté dangereux, même s’il est vieux comme la démocratie. Le mot « candidat » vient du latin « candidus », qui signifie « blanc ». Dans l’Antiquité, les consuls romains qui se présentaient devant les urnes devaient porter une toge blanche pour montrer qu’ils étaient plus blancs que blancs. Seulement, des candidats qui n’ont aucun conflit d’intérêts, ça produit des élus qui n’ont aucun intérêt. Cela donne des maires qui ne font rien, car ils ont peur de se faire engueuler. Pendant l’épidémie de Covid, on en a vu toutefois certains sortir des clous, prendre des risques dans l’intérêt général. Il paraît même que des préfets ont outrepassé leur rôle. En mordant la ligne du droit, ils ont été bons.

On ne demande pas seulement aux élus d’être propres, mais d’être exemplaires…

Cela n’a pas plus de sens. Les élus sont censés nous représenter, pas nous inspirer. Qui aurait envie de leur ressembler ? Qui souhaiterait mener leur vie si cruelle, si fatigante, et surtout si exposée ? Et d’ailleurs, sommes-nous nous-mêmes si exemplaires des vertus que nous exigeons des élus ?

Il faut croire que le pouvoir conserve des attraits. Mais le régime représentatif doit-il sélectionner les meilleurs ou des gens comme vous, moi ou Monsieur Delogu ?

L’élection est par définition aristocratique : tant qu’à choisir, autant choisir le meilleur ! Et une fois élu, l’élu devient l’élite. Mais selon des critères qui restent très relatifs et propres à chacun. Ce qui a permis à l’élection de devenir une pratique démocratique, dans le contexte des régimes représentatifs, c’est non seulement le droit de vote pour tous, mais aussi le droit pour tous d’être candidat.

En tout cas, les pouvoirs relevant de l’élection perdent du terrain face aux juges et autres autorités administratives indépendantes. Comment y remédier ?

La fonction du droit doit être repensée et articulée avec l’idée de souveraineté populaire. Depuis Jean Bodin au xvie siècle, le souverain se définit comme celui qui est absous des lois. Mais cela ne veut pas dire pour autant que le souverain est au-dessus de toutes les lois. Même dans la monarchie absolue, le roi a tous les droits, sauf celui de cesser d’être le roi. En démocratie, c’est la même chose : le peuple a l’obligation de rester un peuple. Il faut refaire honneur à ce principe.

Concrètement, qu’est-ce que cela veut dire ? Comment un peuple reste-t-il un peuple ?

En n’abolissant pas la démocratie et en n’opprimant pas ses minorités.

Autrement dit, en respectant l’État de droit ?

Il faut faire attention avec cette notion. Dans une acception large de l’État de droit, telle que le grand juriste Hans Kelsen l’a théorisée il y a un siècle, tout État est un État de droit.

Mais dans une démocratie libérale, cela va un peu plus loin : l’État de droit s’oppose à l’arbitraire puisque les gouvernants sont soumis à la loi.

Oui, il repose sur quatre principes. Le premier, c’est que le pouvoir organise sa propre limitation, c’est-à-dire qu’il se donne des entraves, des contre-pouvoirs. C’est en cela que l’État de droit s’oppose à la tyrannie, au gouvernement sans loi et au despotisme, qui est l’administration d’un État conçu comme une propriété privée. Ensuite, il y a la hiérarchie des normes, en vertu de laquelle les règlements respectent les lois, qui respectent la Constitution. Troisièmement, la source de toute loi est la souveraineté populaire, qui s’exerce directement par le référendum ou indirectement par le truchement des représentants. Et le quatrième point, c’est que le législateur accepte d’être soumis à un contrôle juridictionnel a posteriori. De sorte qu’il y a une distinction entre ceux qui font la loi, ceux qui l’appliquent et ceux qui en contrôlent l’application.

Ça, c’est la théorie. Dans la réalité, l’État de droit ressemble souvent à ce que certains appellent le Système – pas un complot ourdi dans un coin mais des intérêts coalisés qui tirent tous dans le même sens idéologique et aboutissent à écarter une partie du peuple du pouvoir. Pour son bien évidemment. Autrement dit, peut-on dire trivialement que l’État de droit, aujourd’hui, c’est le camp du bien qui donne des leçons de maintien progressiste aux ploucs ?

Cela dépend des cas. Regardez, aux États-Unis, la Cour suprême a pris une position conservatrice sur l’interruption volontaire de grossesse. Il n’est pas certain que cette décision de l’État de droit ait déplu aux ploucs, comme vous dites.

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En France, vous ne pouvez pas nier sa dérive idéologique.

Je fais la différence entre l’État de droit idéologique qu’il faut combattre, et l’État de droit fonctionnel qu’il faut préserver. Je vous rappelle la louable décision du Conseil constitutionnel sur la « liberté du vote ». Reste qu’il arrive aux « sages » de la Rue Montpensier d’inventer des principes qui correspondent à leur philosophie personnelle. C’est typiquement ce qui s’est passé en 2018 avec l’arrêt Herrou, qui a reconnu, pour la première fois, une valeur constitutionnelle au mot « fraternité » inscrit dans la devise républicaine. En érigeant une notion aussi flottante en norme juridique, on donne des arguments à tous les contempteurs de l’État de droit. Et à ceux qui veulent que la France quitte la Cour européenne des droits de l’homme.

Reconnaissez que c’est tentant…

C’est un processus très compliqué parce qu’on y est entré par les deux bords, à la fois comme État et puis par l’Union européenne.

Oui, mais doit-on laisser cette instance, qui se moque de l’équilibre entre peuple et droit que vous avez défini, avoir le dernier mot ?

Face aux prétentions abusives de la CEDH, le Conseil constitutionnel a tout à fait la possibilité d’invoquer l’identité constitutionnelle de la France.

Pourquoi ne le fait-il pas ?

Parce que nos élites sont travaillées par un syndrome d’illégitimité. En conséquence, les gouvernants sont souvent tentés de se défausser sur les autorités juridictionnelles, lesquelles sont tentées de se défausser à leur tour sur des organes supranationaux.

Tout cela ressemble à une autoroute dont on ne peut pas sortir. Comment peut-on remettre un peu plus de demos et de kratos pour contrebalancer le nomos ? Le Conseil d’État ne cesse de dénoncer depuis vingt ans le fait qu’il y ait trop de lois, trop de jurisprudences. L’injonction doit venir des politiques, il faut dégraisser tout cela ! Reconfigurer le Code pénal, par exemple. L’épurer. Aujourd’hui, le droit est le principal facteur d’insécurité, d’inégalité entre ceux qui peuvent se payer de bons avocats et ceux qui ne peuvent pas. Même les meilleurs fiscalistes sont incapables de vous garantir que votre déclaration d’impôt est irréprochable, et Bercy ne donne pas d’avis préalable. C’est complètement déraisonnable ! Il y a une sorte de suicide de la logique juridique. Cela ne peut pas tenir très longtemps. D’autant qu’il y a, en toile de fond, une confrontation internationale entre les différents pays, avec une prime à ceux qui ont le système juridique le plus lisible et le plus prévisible. Or dans cette guerre des droits, la France passe pour un pays moyenâgeux

Voulons-nous encore vivre ensemble ?

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Mort à débit

Euthanasie. La société française estime désormais le suicide assisté comme un dû. L’Assemblée nationale a adopté hier la proposition de loi instaurant un droit à l’aide à mourir, avec 305 voix pour et 199 contre, malgré des débats intenses et des divisions politiques marquées. Le texte, présenté comme encadrant strictement ce nouveau droit pour les patients majeurs atteints de maladies incurables en phase avancée, doit désormais être examiné par le Sénat à l’automne 2025 avant une éventuelle adoption définitive. Sous couvert d’humanisme, une dérive inquiétante, selon notre chroniqueur.


Les vieux ? À dégager ! Pas assez performants. Trop coûteux pour la société. Mais c’est pourtant au nom de l’humanisme que les députés ont voté hier (305 voix pour, 199 contre) le « droit à l’aide à mourir », euphémisme pour ne pas désigner l’euthanasie et le suicide assisté. Même le délit d’entrave à ce processus de mise à mort médicale sera sanctionné (jusqu’à deux ans de prison, 30000 euros d’amende).

Bascule historique

Olivier Falorni (MoDem) s’est immédiatement félicité sur X d’avoir emporté cette première manche : « L’Assemblée nationale a adopté ! Un moment historique pour une très grande avancée républicaine car elle porte en son cœur la liberté, l’égalité et la fraternité. Il est des jours dont on sait qu’on ne les oubliera jamais. » En 1882, Friedrich Nietzsche écrivait : « Encore un siècle de journalisme et les mots pueront ». Nous y sommes. Les mots, vidés de leur sens, ne sont plus que des slogans, y compris pour les professionnels de la politique. Car la liberté, l’égalité et la fraternité avancés par M. Falorni sont en contradiction avec ce texte, défendu par une élite qui a perdu de vue la fragilité des gens modestes et qui s’enorgueillit de pouvoir se libérer de l’interdit suranné du Décalogue : « Tu ne tueras point ». Comme le remarque Alain Minc dans le Figaro Magazine, pour le déplorer : « La franc-maçonnerie est un acteur assumé de ce combat, à la manœuvre de façon explicite ».

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Durant la crise sanitaire du Covid, les pensionnaires des Ehpad avaient déjà été sacrifiés dans leur isolement forcé, abrégé parfois par injection de Rivotril. C’est cette même brutalité régressive qui pourrait s’installer si ce texte « progressiste », qui sera débattu au Sénat en septembre sans doute, devait être inchangé. Seul le vote unanime sur le volet des soins palliatifs est satisfaisant en l’état.

Autosatisfaction morale

Le fait que les mutuelles soient parmi les plus ardentes pour défendre l’euthanasie et le suicide assisté devrait mettre la puce à l’oreille de ceux qui se contentent des autosatisfactions morales de la macronie et du reste de la gauche. Celles-ci ne s’expriment plus qu’à travers des sujets sociétaux (PMA pour toutes, IVG constitutionnalisée …), faute d’émettre en urgence des idées neuves sur la révolution conservatrice qui déboule. Une étude récente de la Fondapol montrait que les plus de 85 ans coûtaient en moyenne 8000 euros par an, contre 1700 euros pour les moins de 59 ans. Un spécialiste de ces questions me disait récemment que les six derniers mois d’une vie pouvaient coûter autant, en prise en charge médicale, qu’une vie entière. Le manque de lits dans les hôpitaux est une autre donnée structurelle qui n’apparait évidemment pas dans les motivations de la loi mais qui est présente dans les esprits de bien des gestionnaires hospitaliers. Parallèlement, vingt et un départements sont dépourvus de soins palliatifs. 500 personnes meurent chaque jour sans avoir pu en bénéficier. Bref, cette loi « de liberté » contient, dans son esprit fonctionnel, toutes les dérives pouvant aboutir à l’élimination des improductifs car trop âgés, trop handicapés, trop fragiles mentalement. Une horreur.

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Salauds de mômes!

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Ariane, Dorothee, Corbier, Jacky, Patrick Simpson-Jones en Guadeloupe, dans l'emission "Club Dorothee Vacances" sur TF1, juillet 1990 © SARADJIAN/TF1/SIPA

Tendance « No kids » : Attention danger ! Le gouvernement français s’inquiète de l’avènement d’une société dans laquelle les enfants ne seraient plus les bienvenus. La contre-attaque face à cette soi-disant exclusion est engagée par la Haut-Commissaire à l’Enfance, Sarah El Haïry, qui a réuni les représentants des secteurs du tourisme, des transports et de l’urbanisme afin de lutter contre la tendance croissante à exclure les enfants des restaurants, des voyages ou encore des célébrations telles que les mariages. Un faux problème, selon Elisabeth Lévy.


Le gouvernement a réuni une table ronde des professionnels pour enrayer la tendance du « No kids ». En effet, quel scandale. On ne respecte rien, même pas le divin enfant. Quelques hôtels (3%) et restaurants sont ainsi désormais réservés aux adultes. Quelle brutalité ! Quelle honte ! Quel scandale.

La Haut-Commissaire à l’Enfance, Sarah El Haïry déclare : « Considérer de manière brutale qu’un enfant est avant tout une nuisance, ce n’est pas acceptable ».

Vive les vacances, vive l’insouciance

Je dirais même plus, renchérit la sénatrice Laurence Rossignol sur le mode Dupond-Dupont, « on ne peut pas accepter que certains décident de ne plus supporter telle ou telle partie de la population. Les enfants ne sont pas une nuisance ». Et comme chaque fois qu’un faux problème se pose, les grenouilles demandent une loi. Mme Rossignol veut faire reconnaître la minorité comme un facteur de discrimination. Comme ça, ils pourront faire des procès à leurs parents quand ils les enverront se coucher. Mais aucun parent ne fait plus ça. C’est peut-être le problème. Avant, dans les bonnes maisons, les enfants dînaient avant leurs parents. Vite, une cellule d’aide psychologique pour les victimes de ces pratiques barbares.

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L’enfance sacralisée

J’ironise, mais une société qui ne veut pas voir ses enfants c’est mauvais signe me dit-on…

Oui, si c’était le cas, ce serait très grave. Mais que dans quelques lieux, on puisse passer quelques heures ou quelques jours sans enfants, même quand on en a, où est le scandale ? Parfois, on veut écrire, lire sans entendre des cris ou des pleurs. Ou avoir des discussions d’adultes. Vous envoyez vos mômes en colonie de vacances parce que c’est bon pour eux d’être entre jeunes et sans leurs parents. Eh bien parfois, c’est bon de ne pas avoir vos mômes ni ceux des autres.

Il y a cependant deux vrais problèmes :

  • Notre société fait de l’enfant une divinité, donc on ne lui apprend plus la contrainte, donc on le laisse souvent se conduire n’importe comment. Voilà la raison essentielle de la tendance no kid.
  • Nous voulons effacer la différence entre les générations exactement comme on le fait entre les sexes. Les adultes sont des enfants comme les autres. Nous vivons une adolescence éternelle jusqu’au passage brutal à la fin de vie.

Vous me direz que la natalité est en berne. Présentez-moi un couple qui a renoncé à un enfant parce que l’hôtel où il veut passer ses vacances ne les accepte pas et je change d’avis.


Cette chronique a été diffusée sur Sud Radio

Retrouvez Elisabeth Lévy dans la matinale

À Madrid, les Mollahs ont tenté de me tuer

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Alejo Vidal-Quadras © Geoff Pugh/Shutterstock/SIPA

Alejo Vidal-Quadras était à Paris dans le cadre d’une assemblée mondiale de parlementaires. Il a expliqué à Harold Hyman qu’il fallait être ferme face au régime des Mollahs. D’autant qu’Israël les a affaiblis. Il est temps d’agir, pense-t-il.


Longtemps chef des conservateurs en Catalogne, vice-président du Parlement européen de 1999 à 2014, ce professeur de physique nucléaire est opposé au nationalisme catalan, et au régime des Ayatollahs en Iran. En 2023, il échappa à une tentative d’assassinat dans une rue de Madrid. Un tueur à gages lui tira une balle au visage. L’enquête a été confiée à la police espagnole antiterroriste. Plusieurs individus, dont le meurtrier présumé, ont été arrêtés en Espagne, aux Pays-Bas et dans d’autres pays. La sophistication de la tentative porte les marques d’une opération commanditée par un État.

Causeur. Pourquoi cet intérêt pour l’Iran de votre part ?

Alejo Vidal-Quadras. En 1999, au Parlement européen, j’ai été abordé par des amis de l’Iran libre. J’ai rencontré le CNRI, Conseil national de la Résistance d’Iran, également connu du nom de sa principale composante, les Moudjahidines du Peuple d’Iran. Je connaissais déjà le cas de la dictature criminelle en Iran, bien sûr, mais grâce à eux, j’en ai connu les moindres détails. Il s’agit d’une dictature religieuse terroriste, toxique, qui empoisonne toute la région, et qui contamine le contexte mondial global. Elle commet des atrocités contre son peuple, et d’innombrables violations des droits de l’homme. Je me suis engagé contre ce régime, et j’ai fini par faire de cette cause une de mes principales activités.

Pourquoi les mollahs vous haïssent-ils ?

Le régime à une histoire de crime. En Iran, c’est une machine à tuer. Sous la présidence actuelle de Massoud Pezeshkian, un millier de personnes ont été assassinées. Et l’on tue des dissidents en exil. Mais, depuis 2018 ont commencé les attaques contre des personnalités politiques occidentales, celles qui soutiennent le CNRI. Je suis devenu l’une des plus visibles. En octobre 2022 le régime a publié une liste de ses ennemis et moi, j’étais numéro 1. En 2018 déjà, il y a eu un complot pour déposer une bombe à Villepinte lors d’un congrès anti-régime pour tuer Mme Myriam Rajavi, présidente du conseil. Il y eu ensuite d’autres cibles, comme John Bolton, Mike Pompeo, d’autres encore, puis moi, en 2023 à Madrid. Aux États-Unis les complots furent démantelés par les services secrets. En Espagne, le tueur à gages m’a tiré dessus, mais grâce à un geste de la tête, la balle m’a seulement transpercé les deux joues, miraculeusement, puis le pistolet s’est enrayé. J’en ai quand même eu pour sept mois de convalescence. En me ciblant, le régime cherchait à intimider les hommes politiques d’Europe.

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Quelle serait la bonne attitude à adopter envers eux, selon vous ?

La politique de dialogue et de négociation a échoué. Les accords avec les ayatollahs pour un statu quo sur des dossiers commerciaux, industriels ou nucléaires, visant à la coexistence, ne fonctionnent pas. Car le régime considère cela comme de la faiblesse, et il redouble d’agressivité. L’apaisement ne les calme pas, au contraire cela provoque l’effet inverse ! Maintenant, le moment est venu de changer et d’être enfin vraiment fermes. Cela peut paraitre paradoxal. J’ai critiqué toute ouverture d’ambassades dans les grandes capitales diplomatiques, et c’est pourquoi j’ai été ciblé.

En Occident, deux choix s’offrent à nous : soit dialoguer, soit se fermer. En effet, il y a la politique de principes, et la realpolitik. J’accepte que la politique ne puisse pas uniquement consister en de grands principes. Cependant, dans le cas iranien, les deux options convergent totalement : sur le plan pratique, la République islamique d’Iran ne va pas se transformer en démocratie sans bombe.

Quelle différence entre l’Iran et la Chine?

La Chine veut remplacer l’hégémonie des États-Unis. Mais elle ne recherche pas le chaos, elle n’entend pas détruire le monde occidental. Or le programme de République islamique d’Iran est de le détruire. Il faut prendre sa propre idéologie au sérieux. Sur Israël, notamment. Et puis contrairement à la Chine, la République islamique d’Iran crée une crise permanente.

Comment obtenir la fin d’un tel régime ? L’ostracisme, la guerre, une révolte populaire ?

Ce régime n’est pas soutenable, pas viable. Pinochet, Videla, Mussolini, Hitler, Staline – tous finissent mal, c’est une loi de l’histoire. Depuis 46 ans de régime iranien, nous avons la terreur à l’intérieur et à l’extérieur. Le Hamas, les Houthis, le Hezbollah : tous sont ses employés et c’est une manière de survie pour lui ! Les Ayatollahs veulent des armes nucléaires pour terroriser d’autres pays, à l’instar de la Corée du Nord. Aujourd’hui, le peuple iranien vit dans une pauvreté et sous une répression terribles. L’attaque du 7-Octobre 2023 autour de Gaza a été planifiée en Iran, et financée par lui. Le Hamas a suivi les ordres de Téhéran. Mais le régime a une faiblesse : la faillite économique et des protestations internes énormes. Aujourd’hui, les camionneurs sont en grève depuis des jours. Les prix de l’essence sont trop élevés, les routes sont en mauvais état, et les revenus du pétrole prioritairement dirigés vers les fameux proxies ou les cadres du régime. Et puis, la Syrie est tombée, le Hezbollah et les Houthis ont été décimés, Israël a frappé les élites de Hezbollah et du Hamas.

A lire aussi: En Espagne, la loi sur le consentement sexuel provoque un scandale judiciaire et une polémique gouvernementale

Comment voyez-vous l’administration Trump à cet égard ?

Elle est plus sévère que celle de M. Biden. Maintenant, on a une opportunité de renverser le régime. Allons vers la démocratie, vers le peuple et avec le CNRI. Il serait naïf de ne pas profiter de l’occasion.

Terminons sur le nationalisme catalan: vous vous y êtes de tout temps opposé. Pourquoi ? Quel est le danger antidémocratique, franchement ?

Je suis catalan, mais le nationalisme séparatiste de la fin du 19e siècle est un projet qui veut un État par nation, ce qui est une doctrine antidémocratique. Le nationalisme n’est pas le patriotisme. Les sociétés actuelles sont plurielles, et le nationalisme uniformise par coercition. Prenons la langue : les nationalistes ne veulent que le catalan, et élimineraient l’espagnol de la société alors que plus de la moitié des Catalans parlent espagnols chez eux ! La conséquence du nationalisme serait l’affaiblissement décrété des droits des citoyens. Et c’est ruineux économiquement. Avec l’indépendance, c’est la sortie de l’Union européenne assurée.

Seriez-vous le dernier spécimen du conservateur humaniste et non populiste ?

J’espère ne pas être le dernier. Je suis un libéral-conservateur. Je serais au groupe des conservateurs réformistes, pas chez les patriotes dont l’idée d’Europe est trop sceptique. Ils n’ont pas compris le projet, même si l’UE se mêle de trop de domaines. Certes, l’UE a son déplorable agenda 2030, et son lot de wokisme… Mais l’union des citoyens et des États dans un grand marché, avec la prospérité à la clé, cela demeure une idée extraordinaire. 

Édouard Philippe, Gabriel Attal: l’effet Retailleau

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Le 27 mai 2025 à Bry sur Marne (94), le ministre de l'Intérieur Bruno Retailleau rend hommage au gendarme Arnaud Beltrame égorgé par un islamiste en 2018 © NICOLAS MESSYASZ/SIPA

Édouard Philippe se pose désormais en critique virulent de ce macronisme qu’il a pourtant longtemps incarné avec zèle. Il tente aujourd’hui de faire oublier sa responsabilité dans l’inaction qu’il dénonce. Gabriel Attal, quant à lui, s’illustre avec la mesure symbolique de l’interdiction du voile avant quinze ans, qui relève davantage de la posture politique et du coup d’éclat que d’autre chose.


Ils ont fait leur chemin de Damas. Tout soudain, la révélation leur est venue, la lumière a jailli. De moutons bêlants du macronisme les voilà métamorphosés en contempteurs du régime, en pourfendeurs de ce qu’ils ont accompagné et servi avec zèle, servilité toutes ces années, sans oublier ce surplus d’arrogance, de suffisance qui aura été la marque des dignitaires de l’engeance en place depuis 2017.

Premiers sinistres

Ils font l’un et l’autre le procès de l’inaction de l’État, de l’impuissance publique dont ils ont été, cependant, parmi les tout principaux agents, ayant occupé tous deux les fonctions de Premier ministre. Premiers sinistres, comme disait Coluche.

Leur réquisitoire ne manque pas de sel. Selon eux, rien de ce qu’il fallait faire pour éviter à la France de se retrouver dans l’état déplorable qu’on lui connaît, et aux Français un tel désarroi, n’a été entrepris, ni même énoncé. « Le pouvoir ne s’est pas emparé des problèmes que nous avions sous les yeux, immigration incontrôlée, insécurité galopante, endettement phénoménal… », dit en substance Gabriel Attal. Nous sommes victimes, sur ces sujets et d’autres encore, de nos mensonges, surenchérit Edouard Philippe dans son pamphlet précisément intitulé Le prix de nos mensonges (Alors que « mes » mensonges en titre aurait eu le mérite d’induire une édifiante humilité. Mais l’humilité, chez les disciples du très raide et très pontifiant Alain Juppé, ne figure pas au nombre des vertus de forte pratique.)

Un peu de décence !

Bref, de voir MM. Philippe et Attal instruire avec férocité le procès des gouvernements Philippe et Attal serait fort divertissant si ce n’était si pathétique. Et diablement culotté, car, tout comme pour l’humilité, on ne peut guère dire que la plus élémentaire décence les étouffe.

Le cas de M. Philippe est particulièrement intéressant. Il se dit en colère. L’est-il à propos de sa bonne ville du Havre qui brille aujourd’hui au firmament des méga-poubelles du narco-trafic ? Non, pas vraiment. D’ailleurs, que fait-il pour endiguer la submersion mortifère, que propose-t-il ? Peu de chose, à vrai dire. Rien. Non, il regarde ailleurs, plus loin, plus haut. Élysée 2027. Arrivé sur le porte-bagage d’ Antoine Rufenacht à la mairie du Havre, sur celui d’Emmanuel Macron, au gouvernement de la France, il n’a plus désormais qu’un rêve en tête, un but suprême : prendre enfin lui-même le guidon. C’est sa ligne bleue des Vosges.

A lire ensuite, Philippe Bilger: L’inaction du pouvoir est-elle obligatoire?

Mais voilà que se dresse sur son chemin un obstacle. Un obstacle que sa suffisance, son arrogance ne lui ont pas permis de voir venir : Bruno Retailleau. Le Vendéen et sénateur Retailleau avec son parler vrai, son diagnostic sans complaisance, ses préconisations courageuses, décapantes. Et de surcroît son franc succès à l’élection pour la présidence LR. Un plébiscite, disent ceux qui s’y connaissent. Alors il fallait bouger, se remuer, feindre être homme d’action, de conviction, de détermination, et donc enfourcher le cheval commode de l’indignation, fourbir en quelques semaines le brûlot, le pamphlet qui marquera les médias à défaut des esprits. Brandir sa colère. La colère molle d’une tête molle, dans la grande tradition des gouvernants de ces quatre ou cinq dernières décennies qui ont conduit le pays là où il est. Selon le magazine Le Point, l’auteur, aurait donné avec cette ire de papier « un spectaculaire coup d’accélérateur à sa campagne présidentielle ». Et « pris de vitesse ses concurrents, nombreux sur la ligne de départ ».

À voir. Le chemin est encore long et la colère toujours éphémère. C’est sa nature même. Elle passe. Ses effets aussi. Il restera donc à l’ambitieux à beaucoup pédaler et pédaler encore. Pour un homme de porte-bagage ce n’est sans doute pas l’exercice le plus évident.


Attal : l’idée lumineuse
 
De son côté, Gabriel Attal ne pouvait rester sans rien faire. Il lui fallait bien montrer que, lui aussi, prenait à bras le corps les problèmes de la France. Parmi ceux-là : l’entrisme islamique. Interdiction du port du voile dans l’espace public avant quinze ans, voilà sa grande idée. On voit d’emblée combien il serait facile de faire respecter cet interdit, de contrôler l’âge des porteuses, d’établir un barème de sanctions – récidive, non-récidive, etc… – et surtout de les faire appliquer. Avant quinze ans ? M. Attal considérerait-il qu’après cet âge le port du voile dans l’espace commun ne pose plus aucun problème ? Il conviendrait alors qu’il s’exprime sur ce point. Et si telle est son opinion, qu’il nous explique au passage en quoi ce qui ne poserait aucun problème après cette butée en poserait avant. Qu’importe ces questions de simple bon sens pour le susnommé ! l’essentiel n’est-il pas de gesticuler ?
 
Cela aura au moins eu le mérite de donner à Mme Panot, M. Ruffin et M. Caron – tous trois plus ou moins LFI – l’occasion de s’illustrer une fois encore dans le grotesque. Leur grande trouvaille : mettre sur le même plan le port du voile des fillettes et le baptême chrétien des enfants « à un âge où ils ne sont pas capables de consentir », dixit Mme Panot.
 
Comparaison inepte, bien évidemment. Le baptême chrétien, lui, ne s’impose pas qu’aux filles, mais également aux petits garçons. Il ne différencie pas, il ne stigmatise pas un sexe en particulier. De plus, il ne s’accompagne d’aucun signe ostensible, visible dans la sphère publique. Enfin, le baptisé fait exactement ce qu’il veut ensuite – c’est sa liberté de conscience – du sacrement reçu. Cela sans que quiconque, sauf à pénétrer son cœur et son esprit, n’ait à en connaître. La liberté la plus grande, la liberté individuelle y est donc attachée. Tout le contraire du voile, manifestation d’inféodation, de soumission à une règle de conduite arbitrairement imposée par le masculinisme du dogme religieux de référence. Aussi attend-on dans la fièvre la réaction des féministes pures et dures…

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Manon sauvée par le chant

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"Manon", opéra de Jules Massenet, Paris, 2025 © Sébastien Mathé / Opéra national de Paris

Lyrique: flanquée de Joséphine Baker, une Manon bizarrement téléportée dans les Années folles… À l’Opéra-Bastille, heureusement, le cast vocal, Benjamin Bernheim en tête, sauve la mise.   


Paradoxe de notre époque : si prompte à dénoncer la domination masculine et à victimiser la prostituée, elle ne se fait pas faute de célébrer, en l’héroïne immortalisée par l’abbé Prévost (1697-1763) dans Histoire du chevalier des Grieux et de Manon Lescaut – mais qui lit encore ce roman ? –  une catin qui, son amant ruiné par les largesses qu’il lui a consenti, n’hésite pas à le larguer pour son rival, quitte à voir le micheton Des Grieux sacrifier fortune, famille, réputation, pour celle dont il sait pourtant qu’elle le trompera indéfiniment – les exigences du métier.  

Triomphe immédiat

Achevé en 1884 pour l’Opéra-Comique, le Manon de Jules Massenet n’en revêt pas moins, tant par sa facture que par sa très longue durée, les dimensions du « Grand opéra français » dans la meilleure tradition flamboyante, tour à tour allègre et lacrymogène, comme la bourgeoisie parisienne prisait alors ce divertissement. Ainsi le compositeur fait-il appel à Henri Meilhac et Philippe Gilles, les deux librettistes star de l’époque : triomphe immédiat, qui ne s’est jamais démenti depuis.

Après la mise en scène de Coline Serreau en 2011-2012, l’Opéra-Bastille avait confié en 2020 une nouvelle production à un émule de Patrice Chéreau puis de Peter Sellars, Vincent Huguet, – décidément poursuivi par la malchance : les grèves contre la réforme du régime des retraites avaient eu raison alors de toutes les représentations quasiment, puis en 2022 le Covid en empêchera encore quelques-unes, patatra. Pour cette troisième reprise, Pierre Dumoussaud prend la relève du jeune chef américain James Gaffigan au pupitre, tandis que, suite au désistement de Nadine Sierra, c’est la soprano égyptienne Amina Edris qui assure le rôle-titre, portée par un beau vibrato quoique sa diction ne rende pas toujours le texte parfaitement intelligible (heureusement, c’est toujours surtitré à l’opéra)  ; elle l’avait déjà chanté il y a cinq ans. Benjamin Bernheim campe une nouvelle fois Des Grieux, du moins dans les premières représentations (jusqu’au 9 juin), relayé par notre Roberto Alagna national (pour celles du 11 au 20 juin) qu’on retrouvera d’ailleurs à l’Opéra-Bastille en novembre prochain dans Tosca, pour incarner Mario… Certes Alagna n’a plus rien à prouver dans cet emploi du Chevalier, qu’il connaît par cœur pour l’avoir endossé maintes fois. Mais Bernheim reste sans conteste LE jeune ténor le plus fabuleux du moment, scéniquement irréprochable, doté d’un timbre d’une fraîcheur sans pareille, souligné par une diction impeccable, pour le coup – il n’est que de rappeler sa prestation miraculeuse dans Werther (Massenet, encore, dans l’apothéose de sa création lyrique !) en avril dernier, au Théâtre des Champs-Élysées. Le public ne s’y trompe pas, qui l’a ovationné comme jamais, au soir de la première, le 26 mai dernier. Le reste de la distribution ne dépare pas ce palmarès : qu’il s’agisse du baryton polonais Andrzej Filonczyk (Lescaut) ou de la basse Nicolas Cavallier (Comte des Grieux), comme des autres rôles féminins tenus par Ilanah Lobel-Torres (Poussette), Marine Chagnon (Javotte) et Maria Warenberg (Rosette), membres toutes trois de la troupe lyrique maison.

Hors sujet

Il faut bien en venir toutefois (cf. l’article que votre serviteur lui consacrait il y a trois ans) à ce qui contrarie cette performance lyrique : le choix, gratuit, superflu, anachronique, d’en transposer l’action dans les Années folles. Ainsi le premier acte prend-il place dans un espace qui renvoie à la plastique du Palais de Tokyo, ou à celle du Palais d’Iéna (anciennement musée des Travaux public et qui, comme chacun sait, construit par Auguste Perret dans les années Trente sur la colline de Chaillot, abrite aujourd’hui le Conseil économique et social).  Au deuxième acte, l’appartement de Des Grieux et de Manon, rue Vivienne, plus démeublé que meublé, se donne ici, bizarrement, des airs de réserve de musée…  Premier tableau du troisième acte, le Cours-la-reine (selon les indications du livret) se voit téléporté dans le décor d’une salle de bal placée sous le signe de la Café Society – pourquoi pas ? Le second tableau de l’acte, sensément sis dans le parloir du séminaire de Saint-Sulpice, migre quant à lui dans l’enceinte de l’église actuelle, évoquée à travers la reproduction symétrique à l’échelle 1 des deux toiles monumentales de Delacroix qu’on peut toujours y admirer dès le portail franchi : La lutte avec l’ange, et Héliodore chassé du Temple. Si cela suscite chez tel ou tel spectateur une vocation d’amateur d’art, ce sera toujours ça de gagné. De là à annexer une Manon coiffée à la garçonne, à la célébration de la regrettée Joséphine Baker (que clone ici la comédienne Danielle Gabou) pour greffer sur le canevas de l’opéra une espèce d’intrigue au second degré particulièrement fumeuse au plan intellectuel, voilà qui relève, purement et simplement, du hors sujet.

Manifestement Huguet n’en a cure, qui, en guise d’amorce au deuxième acte, incruste devant le rideau de scène, assortie d’un numéro de cabaret chorégraphié en live, la projection d’un extrait du film réalisé par Marc Allégret en 1934, Zouzou, où l’idole récemment panthéonisée chante « C’est lui » en se dandinant…


Manon, opéra-comique de Jules Massenet. Avec Amina Edris, Benjamin Bernheim/Roberto Alagna, Andrej Filonczyk, Nicolas Cavallier, Nicholas Jones, Régis Mengus, Lianah Lobel-Torres, Marine Chagnon, Maria Warenberg, Philippe Rouillon, Laurent Laberdesque, Olivier Ayault.

Direction : Pierre Dumoussaud. Mise en scène : Vincent Huguet. Orchestre et chœurs de l’Opéra national de Paris.

Durée : 3h50

Les 6, 9, 11, 14, 17, 20 juin à 19h ; le 1er juin à 14h.

La « fête des familles », le dernier chic

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La commune privilégiée de Uccle, à Bruxelles, supprime la trop datée fête des Mères... © SIERAKOWSKI/ISOPIX/SIPA

Une commune belge supprime la fête des Mères et des Pères dans ses écoles


Uccle est une commune huppée de Bruxelles. On y croise des femmes portant des vêtements de marque davantage que des hijabs ; les voitures sont frappées d’un logo à trois lettres et les habitations sont des villas ; l’extrême gauche y a même déjà organisé une « promenade guidée chez les super riches ». On aurait pu penser que le wokisme ne franchirait pas les frontières de ses quartiers habituellement préservés des autres réalités qui ont fait la triste réputation de Bruxelles. 

Boris Dilliès, le bourgmestre (=maire) libéral, issu d’un parti qui avait pourtant promis de mener la guerre à la cancel culture, vient de décider d’y supprimer la fête des Mères et des Pères et de la remplacer par une très vague « fête des familles » ayant lieu à une date située entre les deux habituelles célébrations. Cela permettra, selon l’échevine Carine Gol-Lescot, veuve du pourtant très à droite Jean Gol, de célébrer « les beaux-parents, les grands-parents, ou encore l’éducateur ». Et pourquoi pas, tant qu’à être inclusif, l’animal de compagnie, les voisins, les amis, les amours et forcément les emmerdes ? C’est-à-dire tout le monde et donc plus personne.

A lire aussi: On en a marre des Suédois!

On est en 2025, il faut vivre avec son temps, entend-on déjà se gargariser les défenseurs de la mesure. Évidemment, la famille traditionnelle – nucléaire, diraient les sociologues – a vécu et le modèle qui a prévalu jusqu’à il y a deux décennies environ, composé d’un père, d’une mère et d’une fratrie, n’est plus. Il y a désormais des couples homosexuels, composés de deux mères ou de deux pères, certains parents qui ont abandonné leurs enfants et des enfants élevés par d’autres personnes que leurs géniteurs. Et puis, « père » et « mère » sont des gros mots : dites « parent 1 » et « parent 2 » si vous ne souhaitez pas passer pour d’affreux réac. 

Faut-il, pour autant, jeter en pâture le socle familial qui est à la base de notre modèle civilisationnel, au simple motif des bouleversements récents ? Est-il obligatoire de systématiquement céder à la déconstruction opérée par quelques Docteur Folamour ? Doit-on vraiment priver les enfants du traditionnel bricolage et de la poésie qui l’accompagne ? Et surtout n’y a-t-il pas plus urgent à régler pour l’équilibre et l’avenir des enfants ? Notons qu’au même moment, à Evere, autre commune bruxelloise, une fête scolaire a proposé, le week-end dernier, un spectacle en soutien à la Palestine, au cours duquel des enfants embrigadés dansaient en keffieh sur la musique « My blood is Palestinian ».  En Belgique, on s’évite les rappels aussi niais qu’erronés sur l’invention de la fête des Mères par Pétain. Malheureusement, on n’esquive pas le wokisme ; et voilà que la célébration des mères, existant depuis l’Antiquité grecque, et celle des pères, est prise sous les feux grégeois du progressisme incendiaire. 

Quand l’affiche guidait le peuple

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Louis-Robert Carrier-Belleuse (1848-1913) L’Étameur, 1882 Huile sur toile, 64,8 × 97,8 cm Collection particulière © Photo Studio Redivivus Musée d'Orsay

Jusqu’au 6 juillet, le Musée d’Orsay, en collaboration avec la Bibliothèque nationale de France, met à l’honneur les maîtres de l’affiche de la seconde moitié du XIXᵉ siècle – une époque où la rue éduquait le regard des Parisiens


Au-delà du message politique et social, de l’enrobage culturel, de la fonction didactique de cette exposition intitulée « L’art est dans la rue », de son argumentaire historique irréprochable, de toute la bonne volonté instructive de nos chères institutions, c’est leur mission, nous informer en replaçant les affiches dans leur contexte, une vérité banale, triviale apparaît et nous décille. Elle éclate dans les couloirs d’Orsay sous les joyaux de l’impressionnisme, au rez-de-chaussée.

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Avant le fatras des idées qui réconfortent les professeurs, le besoin de tout régenter intellectuellement, un constat s’impose à la vue de tous ces tableaux urbains où se marient le génie de l’imprimerie moderne d’alors et le trait du créateur : Paris s’est enlaidie en un siècle et demi. La publicité d’aujourd’hui a revêtu les habits d’un camelot hâbleur et vulgaire. De grandes photos montrant des sacs à main et des mannequins alanguies recouvrent nos bâtiments nationaux dans une geste criarde et déjà périmée. Cette publicité qui salit le regard est le fichu d’une globalisation saturée d’images. Les colonnes Morris sont mortes de honte. Le graphisme a été remplacé par le faux éclat du mirage commercial. Une propagande grossière, poussive, flattant on ne sait trop quel hypothétique acte d’achat. La ménagère a été abandonnée par les artistes. Les marchands à court d’idées, se vautrant dans la facilité esthétique et la démagogie langagière, n’ont même plus le respect du badaud. Du furtif. Du promeneur. Le peuple de Paris baisse la tête, il ne s’attarde plus sur les murs de sa capitale. Il file. Il s’extrait de son environnement extérieur pour retrouver la chaleur de son foyer. Il fuit les lumières de sa propre ville. Il a perdu toute capacité à s’émerveiller.

Aux lueurs du capitalisme industriel et des progrès techniques, les communicants avaient au moins la volonté de faire semblant, de nous alpaguer sur le trottoir, de nous émouvoir, de nous charmer, de nous intriguer, de nous faire lire, voter, pédaler, conduire ou s’habiller élégamment. Ils suscitaient par le placardage intensif l’intérêt de leurs futurs clients. La courtoisie de la Belle époque n’a plus cours. Il faut absolument voir cette collection de 230 œuvres majeures qui furent en leur temps balayées par le vent et la rumeur des faubourgs, à l’air libre ; car elles sont belles. Belles dans leurs couleurs, dans leurs recherches stylistiques, dans leur féérie, dans leur élan républicain ou leur secousse anarchiste. Dans leur onde nostalgique qui n’en finit plus de se propager dans nos esprits. Le Musée d’Orsay a réuni les cadors du métier, ils s’appelaient Bonnard, Chéret, Grasset, Mucha, Toulouse-Lautrec, Steinlen, etc. Qu’ils promeuvent La Belle Jardinière, Le Moulin Rouge, le dernier Émile Zola, la Chaîne Simpson, les automobiles Brasier, des jouets pour les étrennes, le Palais de l’Industrie, la Goulue, une belle redingote ou qu’ils alertent sur les profiteurs de guerre, ils furent les nouveaux architectes de la rue, plus qu’un décor, ils façonnèrent la caisse de résonance de toutes les mutations du moment.

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À vrai dire, au commencement de cette exposition, on est sur nos gardes, comment des affiches par nature éphémères et fragiles peuvent-elles égaler des peintures ? Elles les surpassent souvent par leur inventivité, leur audace, leur composition et leur profondeur. Elles sont notre identité urbaine. Nous ne savions même pas que nous conservions inconsciemment ces images dans notre tête. Ces affiches nous sont familières, elles sont le canevas de notre propre frise chronologique, Aristide Bruant avec son écharpe rouge nous salue, plus loin l’écolier au petit-beurre nantais ou la fillette du chocolat Menier nous rappellent les douceurs de l’enfance, le Quinquina Dubonnet était la boisson vedette des bistrots, toutes ces affiches semblent nous appartenir. Elles sont notre mémoire collective. Elles nous amusent parfois, nous fascinent par leur majesté populaire et nous font amèrement regretter cette ville nouvelle aux façades ternes.


Informations pratiques sur le site du musée: Exposition L’art est dans la rue | Musée d’Orsay
16 € l’entrée

Tendre est la province

Price: 19,00 €

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L'art est dans la rue - Catalogue d'exposition

Price: 45,00 €

7 used & new available from 45,00 €

Stella Rocha, une femme entre deux sexes

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Stella Rocha © Hannah Assouline

Stella Rocha, icône transsexuelle, a commencé sa transition dans son Brésil natal. Malgré un parcours difficile, elle n’a jamais adhéré à un militantisme hargneux. Pour Causeur, elle se livre sans tabou et avec humour sur son passé et sa nouvelle vie de comédienne.


Pas facile de résumer une vie aussi romanesque que celle de Stella Rocha ! Tentons de la croquer brièvement. Un petit garçon nommé Marco naît au Brésil en 1973, à Belém, sur les rives de l’Amazone. Le père est policier, la mère – catholique pratiquante et femme au foyer – s’occupe des dix frères et sœurs. Dès l’enfance, le petit Marco ne se sent pas un garçon comme les autres. Plutôt que de jouer au football avec les garçons, il préfère s’occuper des tâches ménagères avec sa mère. Malgré une éducation « hétéronormée » et très stricte, vers 12 ans, rien à faire, Marco veut devenir une fille. Depuis plusieurs années déjà il pique les fringues de maman pour faire « la folle » tout seul, enfermé dans la salle de bain tandis que toute la maisonnée dort. Malgré sa discrétion, la famille découvre son secret. Les parents s’opposent par tous les moyens au chemin que prend leur fils. Durant deux ans, en dehors de l’école, Marco n’a plus le droit de sortir, ni de voir qui que ce soit. Il est coupé du monde. « Qu’est-ce que j’ai fait au bon Dieu pour avoir un fils comme ça, un pédé ! » se lamente son père. « Donnez-moi les ciseaux, je vais lui couper les cheveux ! » hurle sa mère. Mais son entêtement fait céder les parents qui comprennent qu’ils ne pourront rien faire. Quelques années plus tard, ils acceptent la transition. « Si nous, tes parents, nous ne t’acceptons pas comme tu es, qui t’acceptera ? » lui dit son père. À 18 ans, celle qui s’appelle désormais Stella décide de partir respirer plus loin et atterrit en France. Comme beaucoup de filles avant elle, son premier métier à Paris, elle l’exerce au bois de Boulogne. Mais ce n’est qu’une étape. C’est ensuite dans les clubs gay et trans parisiens qu’elle fait le show, devenant reine de la nuit… icône de la soirée Escualita aux Folies Pigalle ou au Banana Café. Elle se tourne également vers le cinéma où elle enchaîne les petits rôles. Puis vient le théâtre. Laurent Baffie l’engage dans sa pièce Un point c’est tout ! que Stella joue pendant un an au théâtre du Palais-Royal avec Nicole Calfan. Puis Baffie poursuit sa collaboration avec elle à la télé et à la radio. Allez ! Assez parlé. La parole est à Stella. Nous ne pourrons aborder que quelques points de sa vie… avec le bois de Boulogne comme point de départ !


Causeur. Comment avez-vous atterri au bois de Boulogne ?

Stella Rocha. Arrivée à Paris, j’ai vite épuisé mes économies. Un copain m’a alors parlé du bois de Boulogne. J’ai donc débarqué là-bas sans rien en connaître, toute jeune, toute belle. Imaginez la jalousie des vieux travelos et des vieilles trans déformées par la chirurgie ! Le premier soir, je m’installe allée de la Reine-Marguerite. Aussitôt, cinq trans se ruent sur moi en hurlant : « Dégage !!! barre-toi d’ici ! Les Sud-Américaines c’est plus haut ! » Je vais plus haut, et là-bas, d’autres filles me hurlent en me menaçant : « Dégage, ici c’est pas pour toi ! Dégage plus bas ! » J’ai abandonné. J’y retourne le lendemain et me fais encore chasser violemment de chaque lieu que j’essaie. Le troisième jour, je déambule dans le bois pour trouver un endroit libre, mais en vain. Je vois un banc et m’y assois désespérée, me demandant ce que je vais faire de ma vie. Et là, je vois une vieille trans toute botoxée, perruque rousse, qui débarque de je ne sais où pour me chasser encore en me frappant avec son sac. Même le banc appartenait à une fille ! Elle, c’était un pilier du bois de Boulogne, une des fondatrices. Un personnage ! Elle m’a expliqué que si je voulais faire ma place au bois, il fallait que je me batte physiquement. Mais ça n’était pas mon truc, je ne m’étais jamais battue. Je suis retournée à l’endroit d’où la bande de trans m’avait chassée. Pour les provoquer, je me suis foutue entièrement à poil – j’étais gaulée ! – et j’arrêtais les voitures. Ça a foutu un bordel monstre sur la route. Les cinq trans se sont ruées sur moi pour me frapper. Une énorme bagarre a commencé, et j’ai réussi à casser la gueule des cinq ! La cheffe de la rue a alors débarqué. Esmeralda ! C’était un grand Algérien travesti. Un colosse, un déménageur de près de deux mètres ! Un Arabe bodybuildé avec une perruque Crazy Horse, body en vinyle, avec des talons sur lesquels il peinait à marcher ! C’était spectaculaire (rires) ! Il m’attrape violemment et me hurle : « C’est toi qui es en train de foutre le bordel dans ma rue ?! » Je lui ai expliqué ma situation et il m’a finalement accordé cette place. J’ai pu enfin travailler. En trois mois, j’ai gagné soixante mille francs. J’y suis restée sept ans, avec quelques petites interruptions.

Cette expérience de prostitution a été traumatisante ?

Non. Elle a été parfois compliquée évidemment. Il y a eu des incidents violents. Mais je prenais ça comme un boulot comme un autre. Et puis, tout en gagnant ma vie, j’ai fait beaucoup de bien à ces hommes, parfois seuls, parfois déprimés. Que feraient-ils sans les prostituées ? Certains me payaient uniquement pour parler. Je ne pense pas avoir été une victime. C’était mon choix, mon indépendance. D’autant que durant cette période, contrairement à beaucoup de filles, je ne prenais ni drogue ni alcool. Je bossais, c’est tout.

Aujourd’hui, estimez-vous être une femme ?

Honnêtement ? Non. Je ne peux pas dire cela. Tout simplement parce que biologiquement, je ne suis pas une femme. Je suis heureuse et satisfaite de ce que je suis aujourd’hui, de la transition accomplie. J’ai atteint au maximum l’image féminine que j’avais de moi. Mais ce serait n’importe quoi de dire que je suis une femme à cent pour cent. Ce serait faux. Je sais qu’au fond de moi, je ne pourrai jamais être complètement une femme. Il faut composer avec ce qu’a fait la nature. C’est comme ça. Je n’ai d’ailleurs pas eu recours à la vaginoplastie. J’ai gardé mon sexe masculin, comme beaucoup de trans d’ailleurs. J’ai même complètement arrêté les hormones. Et en même temps, vous conviendrez qu’il serait difficile de dire que je suis tout à fait un homme (rires) !

Montée des marches du Festival de Cannes en 2015 pour le film Love de Gaspar Noé, dans lequel elle tient le rôle de Mami.© REX Shu/SIPA

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Lorsqu’on est transsexuelle, comment se passent les rapports de séduction avec les hommes ?

Séduire les hommes (hétérosexuels ! car ce ne sont pas les homosexuels qui sont attirés par nous), c’est facile. Il n’y a rien à faire. J’ai toujours été draguée par les hommes dans les bars, dans les restaurants, dans les soirées. Même s’ils voient que je ne suis pas une « vraie » femme. Ça attire, ça intrigue les mecs. Les gens ne se rendent pas compte que beaucoup d’hommes hétérosexuels ont ce fantasme du trans. Et ce que je peux vous dire, c’est qu’une fois au lit, c’est notre sexe d’homme qui les intéresse ! Même si ces hommes sont hétérosexuels, ils viennent chercher une femme avec qui ils ont une relation en partie homosexuelle. C’est compliqué, je vous avais prévenu ! Mais la vie est compliquée. C’est pour cela que je ne suis pas militante. La vie est trop complexe et nuancée. Même moi qui ai bien expérimenté tous ces sujets de genre et de sexualité, je ne sais pas trop quoi en penser. Après, pour trouver des partenaires sexuels, des coups d’un soir, il n’y a qu’à sortir dans la rue. Mais le revers de la médaille, c’est que pour ces hommes, nous ne sommes qu’une expérience sexuelle, un fantasme à accomplir secrètement avant de reprendre une vie normale. Car peu d’hommes hétérosexuels envisagent une relation sérieuse avec une trans. C’est difficile à assumer. Et ce n’est peut-être tout simplement pas ce qu’ils recherchent avec nous. Je dis cela, mais il m’est arrivé d’être heureuse en amour. Les jeunes hommes d’aujourd’hui sont encore plus curieux que ceux des années 1990. Maintenant, les jeunes hétéros envahissent les applications de rencontres pour trouver des transsexuels avec qui s’amuser. Et c’est pareil dans les soirées trans.

Vous retrouvez-vous dans la mouvance LGBTQI+ ?

J’avoue qu’aujourd’hui avec les binaires, les non binaires, etc., moi-même je n’y comprends plus grand-chose. Je ne les accuse de rien. Mais j’avoue avoir du mal à suivre. Ça part dans tous les sens. Je suis d’un autre temps moi (rires) ! Je voulais ressembler à une femme « stéréotypée », comme on dit maintenant. Avec les cheveux longs, le maquillage… enfin tout ce qui était pour moi la féminité. Mais je ne peux parler que pour moi. Ce qui me semble être le risque de notre époque aussi, c’est l’effet de mode. Ça, c’est un problème. Quand je vois certains jeunes qui se disent trans, je ne suis pas vraiment certaine qu’ils le soient réellement. C’est pour cela que je comprends que certains soient méfiants sur la question trans, et que les possibles dérives puissent faire peur aux gens. Je suis partagée entre la formidable liberté qui existe aujourd’hui, et l’effet de mode qui me met mal à l’aise.

Stella Rocha – à l’époque Marco Ramos adolescent, au Brésil © D.R

Je vous connais bien, et ne vous ai jamais entendue en vouloir à quelqu’un qui était maladroit avec vous sur la question du genre. Ça ne vous agace jamais ?

Non. Il faut comprendre les gens. Je ne suis pas totalement « banale » ! Je suis assez différente de la « normalité ». Je n’ai ni à en être fière, ni à en avoir honte. C’est comme ça. Et c’est normal que les gens, parfois, aient du mal à comprendre. La réaction première de mes parents, c’est-à-dire le rejet violent, était normale. Surtout pour des gens d’une petite ville au fin fond de l’Amazonie ! Il n’y a pas à leur en vouloir. D’autant qu’ils ont fini par accepter. On ne peut pas penser qu’à nous. Il faut comprendre les autres. Ma mère m’avait dit : « Pour ton père, tu resteras un fils. » Cette réaction me paraissait normale. Moi, Stella, je restais évidemment le fils de mon père.

Procès Bastien Vivès: de mauvais desseins?

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Le dessinateur de BD Bastien Vivès. DR.

Dans l’affaire opposant l’illustrateur Bastien Vivès à des associations de défense de l’enfance, le tribunal correctionnel de Nanterre s’est finalement déclaré « territorialement incompétent » mardi.


En février 2025, l’illustrateur français Bastien Vivès s’exprimait sur ses réseaux sociaux : « Pour des dessins, on m’a interrogé sur la catégorie de site porno que je regardais, sur mes pratiques masturbatoires et on a voulu me soumettre à une expertise psychologique. En France. En 2024. Au pays de la création artistique, pas en Russie ». À ce moment-là, l’artiste vient d’apprendre qu’il sera jugé les 27 et 28 mai 2025 au tribunal correctionnel de Nanterre pour « fixation et diffusion de l’image d’un mineur à caractère pornographique ». Deux de ses maisons d’édition sont également poursuivies pour les mêmes faits.

Associatifs: il leur manque une case?

La tourmente judiciaire de Bastien Vivès semble n’avoir pas de fin. Depuis 2011, plusieurs de ses albums font l’objet de vives polémiques et sont pointés du doigt comme faisant l’apologie de la pédocriminalité, du viol ou encore de l’inceste. En 2018 et 2020, le parquet de Nanterre avait déjà examiné les faits et avait classé ces signalements sans suites, mais l’acharnement de ses détracteurs à traîner Bastien Vivès devant la justice semble avoir finalement porté ses fruits.

Qui sont-ils, ces détracteurs ? En 2024, l’illustrateur déclarait dans une interview être « poursuivi par une association d’extrême droite ». L’allégation est d’autant plus ridicule qu’il n’a jamais voulu s’étendre davantage sur le sujet et que les associations qui le poursuivent en justice (Innocence en danger, Fondation pour l’enfance, et Face à l’inceste) ne semblent pas avoir de liens clairs et avérés avec une quelconque mouvance politique. La cancel culture, à l’œuvre contre M. Vivès ces dernières années avec notamment la déprogrammation en 2023 de l’exposition qui lui était consacrée au festival international de la BD d’Angoulême, est d’ailleurs plutôt connue pour être l’apanage de la gauche. Cette affaire nous interroge cependant sur le pouvoir croissant des structures associatives, particulièrement celles capables de mobiliser médias et opinion publique.

9e Art et 3e jambe

Il s’avère que l’un des ouvrages incriminés s’est retrouvé récemment entre mes mains. Je l’ai ouvert, fébrile, me préparant à être confrontée à des images que j’imaginais abjectes. Petit-Paul, le personnage de cet album, que ces associations s’acharnent à défendre, n’est pas un enfant. Il n’est pas réel et sa représentation n’est pas réaliste. Petit-Paul est un personnage chimérique à la silhouette stylisée et au sexe surdimensionné, représenté à la manière d’un cinquième membre aussi long que ses jambes. C’est un être pur et simple, monstrueusement doté par la nature, qui attise le désir et la convoitise des adultes. On ne retrouve pas dans le style de Bastien Vivès le sens du détail ou l’art des gros plans réalistes propre aux codes de la bande dessinée pornographique. L’histoire, elle-même, n’a pas de réelle vocation érotique, et se veut plutôt militante pour dénoncer une société régie par le pouvoir.

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Que l’on apprécie ou non l’œuvre de Bastien Vivès, que l’on trouve ça choquant, dérangeant ou même de mauvais goût n’a aucune espèce d’importance. C’est le propre de l’art de ne pas faire l’unanimité. Bastien Vivès lui-même écrit sur ses réseaux sociaux :  « Je ne suis pas là pour panser les plaies de la société, œuvrer pour la morale, mais juste pour donner à réfléchir, faire un pas de côté avec un trait d’humour, interroger l’obscurité aussi. Parfois c’est réussi, parfois raté ou de mauvais goût mais je ne savais pas que cela pouvait mener en prison. Dessiner peut donc être un délit. » Non, cette affaire n’est pas liée à la politique mais est révélatrice de réels changements dans notre société où la morale siège de plus en plus souvent au sein de nos tribunaux.

Fiction et réalité

Dans des cas de détention ou de diffusion de photos à caractère pédopornographique, ces enfants sur papier glacé existent bel et bien et sont ou ont été victimes de pédocriminels. En ce qui concerne Bastien Vivès, il s’agit de dessins et la différence, pourtant majeure, entre des faits fictifs et des faits réels, ne peut pas être balayée d’un revers de la main. Lors des audiences, l’accusation a été jusqu’à s’interroger sur le consentement du personnage Petit-Paul. Richard Malka, l’avocat du dessinateur, s’était alors insurgé « C’est comme demander aux Romains s’ils sont d’accord pour recevoir les baffes d’Astérix et Obélix, ça n’a aucun sens ». Si l’on persiste à s’engager sur cette voie, quelle pourrait être la suite ? Va-t-on décrocher des murs des musées les multiples tableaux représentant des nymphes aux allures prépubères ?

Le 27 mai 2025, le tribunal correctionnel de Nanterre s’est finalement déclaré « territorialement incompétent » à rendre un verdict, sous prétexte que les faits ne se seraient pas déroulés dans les Hauts-de-Seine. L’affaire est donc renvoyée au parquet. J’aimerais vivre dans une société où les crimes et délits seraient rarissimes au point que la justice, désœuvrée, en serait réduite à s’intéresser au sort des personnages de nos romans et bandes dessinées. Malheureusement, ce n’est pas le cas. Toute cette ridicule mascarade pourrait vraiment prêter à sourire s’il n’y avait pas, au même moment, en France, des victimes, enfants bien réels, qui réclament protection et justice. Ils attendront.

Abus de contre-pouvoir

Pierre-Henri Tavoillot © Hannah Assouline

Attaché à une conception libérale des institutions, le philosophe Pierre-Henri Tavoillot critique la sévérité de la peine prononcée contre Marine Le Pen et met en garde : face à l’effacement de la politique, la France risque de basculer d’une démocratie à une « nomocratie », le pouvoir des normes


Dans notre numéro du mois, disponible en kiosques, ne manquez pas notre dossier spécial de 25 pages : Le Pen, Sarkozy, Zemmour : l’extrême droit ne passera pas ! •

Causeur. Nous avons appris en cours de droit constitutionnel que la démocratie reposait sur un subtil équilibre des pouvoirs. Cette harmonie a-t-elle été rompue avec la condamnation de Marine Le Pen à une peine d’inéligibilité immédiatement exécutoire ?

Pierre-Henri Tavoillot. Une démocratie libérale fonctionne correctement quand elle arrive à maintenir l’équilibre entre trois logiques : celle du peuple, celle du pouvoir et celle du droit. Ce qui requiert de concilier d’une part la prise en compte de la volonté populaire (sans toutefois succomber au populisme, raison pour laquelle nous avons un système représentatif), d’autre part l’obéissance aux pouvoirs publics (mais sans aller jusqu’aux excès de l’autoritarisme, d’où notre indispensable séparation des pouvoirs), et enfin le respect des lois, mais en prenant soin de ne pas laisser celles-ci prendre le pas sur la décision politique. À ce sujet, je vous ferai remarquer que, récemment, le Conseil constitutionnel a justement eu des égards bienvenus pour le peuple, en indiquant que, dans les affaires judiciaires où des peines provisoires d’inéligibilité peuvent être prononcées, les juges doivent veiller à la « liberté du vote » et proportionner leurs décisions en conséquence.

Cela n’a pas empêché le tribunal judiciaire de Paris de prétendre interdire à Marine Le Pen de se présenter en 2027…

En toute rigueur, il n’a pas violé le droit. Mais les magistrats auraient dû avoir la main qui tremble et se dire : « Nous avons très envie de prendre cette décision sévère, mais nous n’allons pas le faire car cela constituerait un abus de contre-pouvoir. »

Cette hardiesse du jugement est-elle inquiétante pour notre justice en général ?

Je crois que la France a atteint aujourd’hui une situation de déséquilibre, avec d’un côté un État qui souffre d’une forme d’impuissance et de l’autre, un droit hypertrophié, de plus en plus bavard, complexe, et débordant de partout. Il est normal que nos lois limitent la liberté du vote. Ne serait-ce qu’en la conditionnant à des critères objectifs comme l’âge et la nationalité. Mais il est plus délicat de prétendre instaurer un cadre, beaucoup plus flou, reposant sur l’honorabilité. Si, par exemple, vous n’avez plus de points sur votre permis de conduire, est-ce suffisant pour vous interdire de briguer les suffrages ? À partir de quelle infraction, de quel crime, méritez-vous un bannissement électoral ? Aux États-Unis, même Donald Trump, qui a contesté massivement les règles démocratiques, a pu être réélu. En France, le système est plus fermé. Depuis dix ans, le nombre de peines d’inéligibilité, dont certaines sont certes très fondées, a augmenté de manière considérable. On est passé de 171 condamnations en 2016 à 9 125 en 2022. Cela commence à devenir démesuré. D’autant qu’on ne se prive pas de dénoncer les disqualifications de candidats quand elles ont lieu en Iran ou en Russie. Le risque existe désormais, que l’on bascule d’une démocratie à une « nomocratie », le pouvoir des normes.

Les lois de moralisation de la vie politique, notamment celles dites « Sapin 2 » et « Bayrou », qui certes n’ont pas été formellement invoquées dans la décision contre Marine Le Pen, mais dont l’esprit plane dans cette affaire, sont-elles « nomocratiques » ?

Assurément. En effet, elles exigent des élus qu’ils adoptent, en matière financière, un comportement impossible à tenir. Quand on fait de la politique, il ne suffit pas de vivre pour la politique, il faut aussi vivre de la politique. Si vous appartenez à une formation bien établie, rien de plus facile.Mais si vous participez à un mouvement en ascension, vous n’avez pas les moyens, et donc vous trouvez des astuces. Ce n’est pas un hasard si LFI, le Modem et le RN, trois partis émergents, ont été pris dans des affaires de financement d’assistants parlementaires.

L’électeur ne devrait-il pas choisir le degré d’immoralité qu’il accepte chez son élu ?

Je suis assez d’accord. Après tout, on peut considérer que les citoyens ont les données du problème en main, et que la décision doit leur revenir. Surtout qu’aujourd’hui la situation patrimoniale des candidats est rendue publique au début puis à la fin des mandats, ce qui donne une information précieuse.

Une information précieuse ? C’est surtout un moyen particulièrement démagogique de nourrir le voyeurisme et les passions tristes !

Une frontière nette doit être maintenue entre la nécessaire publicité et les excès de la « transparence », car si la première est démocratique, la seconde est totalitaire. Pour autant, il ne me semble pas illégitime de vérifier s’il y a enrichissement durant un mandat et d’empêcher, par là même, les élus qui s’adonnent à un clientélisme éhonté de continuer de salir leur mandat.

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Vous voulez éliminer le clientélisme de la vie politique ? Bon courage !

On peut le maintenir dans des limites raisonnables sans espérer l’abolir. Au demeurant – cruelle leçon –, on note dans l’histoire des démocraties que l’abstention s’accroît quand la lutte contre le clientélisme devient efficace.

Nicolas Sarkozy au tribunal de Paris, le 6 janvier 2025, lors de son procès concernant des soupçons de financement illégal de sa campagne présidentielle de 2007 © AP Photo/Thibault Camus/SIPA

Déshonore-t-on un mandat national quand on le cumule avec un mandat local ?

En 2014, lorsque le Parlement a voté l’interdiction du cumul des mandats, il y a eu sur ce sujet une sorte d’unanimité stupéfiante. Aujourd’hui, beaucoup se mordent les doigts d’avoir approuvé ce texte qui a abouti à ce que bon nombre de députés, dénués de toute expérience de mandat local, se trouvent d’autant plus déconnectés des réalités. Si on veut éviter les phénomènes de baronnies, il vaut mieux jouer sur la durée des mandats.

Vous avez parlé de « salissure ». Ironie de l’histoire, le RN – qui il est vrai n’occupait aucun poste de pouvoir –, s’est longtemps proclamé « tête haute et mains propres ». Est-on allé trop loin dans l’exigence de propreté ?

Il y a derrière cette aspiration un fantasme de pureté dangereux, même s’il est vieux comme la démocratie. Le mot « candidat » vient du latin « candidus », qui signifie « blanc ». Dans l’Antiquité, les consuls romains qui se présentaient devant les urnes devaient porter une toge blanche pour montrer qu’ils étaient plus blancs que blancs. Seulement, des candidats qui n’ont aucun conflit d’intérêts, ça produit des élus qui n’ont aucun intérêt. Cela donne des maires qui ne font rien, car ils ont peur de se faire engueuler. Pendant l’épidémie de Covid, on en a vu toutefois certains sortir des clous, prendre des risques dans l’intérêt général. Il paraît même que des préfets ont outrepassé leur rôle. En mordant la ligne du droit, ils ont été bons.

On ne demande pas seulement aux élus d’être propres, mais d’être exemplaires…

Cela n’a pas plus de sens. Les élus sont censés nous représenter, pas nous inspirer. Qui aurait envie de leur ressembler ? Qui souhaiterait mener leur vie si cruelle, si fatigante, et surtout si exposée ? Et d’ailleurs, sommes-nous nous-mêmes si exemplaires des vertus que nous exigeons des élus ?

Il faut croire que le pouvoir conserve des attraits. Mais le régime représentatif doit-il sélectionner les meilleurs ou des gens comme vous, moi ou Monsieur Delogu ?

L’élection est par définition aristocratique : tant qu’à choisir, autant choisir le meilleur ! Et une fois élu, l’élu devient l’élite. Mais selon des critères qui restent très relatifs et propres à chacun. Ce qui a permis à l’élection de devenir une pratique démocratique, dans le contexte des régimes représentatifs, c’est non seulement le droit de vote pour tous, mais aussi le droit pour tous d’être candidat.

En tout cas, les pouvoirs relevant de l’élection perdent du terrain face aux juges et autres autorités administratives indépendantes. Comment y remédier ?

La fonction du droit doit être repensée et articulée avec l’idée de souveraineté populaire. Depuis Jean Bodin au xvie siècle, le souverain se définit comme celui qui est absous des lois. Mais cela ne veut pas dire pour autant que le souverain est au-dessus de toutes les lois. Même dans la monarchie absolue, le roi a tous les droits, sauf celui de cesser d’être le roi. En démocratie, c’est la même chose : le peuple a l’obligation de rester un peuple. Il faut refaire honneur à ce principe.

Concrètement, qu’est-ce que cela veut dire ? Comment un peuple reste-t-il un peuple ?

En n’abolissant pas la démocratie et en n’opprimant pas ses minorités.

Autrement dit, en respectant l’État de droit ?

Il faut faire attention avec cette notion. Dans une acception large de l’État de droit, telle que le grand juriste Hans Kelsen l’a théorisée il y a un siècle, tout État est un État de droit.

Mais dans une démocratie libérale, cela va un peu plus loin : l’État de droit s’oppose à l’arbitraire puisque les gouvernants sont soumis à la loi.

Oui, il repose sur quatre principes. Le premier, c’est que le pouvoir organise sa propre limitation, c’est-à-dire qu’il se donne des entraves, des contre-pouvoirs. C’est en cela que l’État de droit s’oppose à la tyrannie, au gouvernement sans loi et au despotisme, qui est l’administration d’un État conçu comme une propriété privée. Ensuite, il y a la hiérarchie des normes, en vertu de laquelle les règlements respectent les lois, qui respectent la Constitution. Troisièmement, la source de toute loi est la souveraineté populaire, qui s’exerce directement par le référendum ou indirectement par le truchement des représentants. Et le quatrième point, c’est que le législateur accepte d’être soumis à un contrôle juridictionnel a posteriori. De sorte qu’il y a une distinction entre ceux qui font la loi, ceux qui l’appliquent et ceux qui en contrôlent l’application.

Ça, c’est la théorie. Dans la réalité, l’État de droit ressemble souvent à ce que certains appellent le Système – pas un complot ourdi dans un coin mais des intérêts coalisés qui tirent tous dans le même sens idéologique et aboutissent à écarter une partie du peuple du pouvoir. Pour son bien évidemment. Autrement dit, peut-on dire trivialement que l’État de droit, aujourd’hui, c’est le camp du bien qui donne des leçons de maintien progressiste aux ploucs ?

Cela dépend des cas. Regardez, aux États-Unis, la Cour suprême a pris une position conservatrice sur l’interruption volontaire de grossesse. Il n’est pas certain que cette décision de l’État de droit ait déplu aux ploucs, comme vous dites.

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En France, vous ne pouvez pas nier sa dérive idéologique.

Je fais la différence entre l’État de droit idéologique qu’il faut combattre, et l’État de droit fonctionnel qu’il faut préserver. Je vous rappelle la louable décision du Conseil constitutionnel sur la « liberté du vote ». Reste qu’il arrive aux « sages » de la Rue Montpensier d’inventer des principes qui correspondent à leur philosophie personnelle. C’est typiquement ce qui s’est passé en 2018 avec l’arrêt Herrou, qui a reconnu, pour la première fois, une valeur constitutionnelle au mot « fraternité » inscrit dans la devise républicaine. En érigeant une notion aussi flottante en norme juridique, on donne des arguments à tous les contempteurs de l’État de droit. Et à ceux qui veulent que la France quitte la Cour européenne des droits de l’homme.

Reconnaissez que c’est tentant…

C’est un processus très compliqué parce qu’on y est entré par les deux bords, à la fois comme État et puis par l’Union européenne.

Oui, mais doit-on laisser cette instance, qui se moque de l’équilibre entre peuple et droit que vous avez défini, avoir le dernier mot ?

Face aux prétentions abusives de la CEDH, le Conseil constitutionnel a tout à fait la possibilité d’invoquer l’identité constitutionnelle de la France.

Pourquoi ne le fait-il pas ?

Parce que nos élites sont travaillées par un syndrome d’illégitimité. En conséquence, les gouvernants sont souvent tentés de se défausser sur les autorités juridictionnelles, lesquelles sont tentées de se défausser à leur tour sur des organes supranationaux.

Tout cela ressemble à une autoroute dont on ne peut pas sortir. Comment peut-on remettre un peu plus de demos et de kratos pour contrebalancer le nomos ? Le Conseil d’État ne cesse de dénoncer depuis vingt ans le fait qu’il y ait trop de lois, trop de jurisprudences. L’injonction doit venir des politiques, il faut dégraisser tout cela ! Reconfigurer le Code pénal, par exemple. L’épurer. Aujourd’hui, le droit est le principal facteur d’insécurité, d’inégalité entre ceux qui peuvent se payer de bons avocats et ceux qui ne peuvent pas. Même les meilleurs fiscalistes sont incapables de vous garantir que votre déclaration d’impôt est irréprochable, et Bercy ne donne pas d’avis préalable. C’est complètement déraisonnable ! Il y a une sorte de suicide de la logique juridique. Cela ne peut pas tenir très longtemps. D’autant qu’il y a, en toile de fond, une confrontation internationale entre les différents pays, avec une prime à ceux qui ont le système juridique le plus lisible et le plus prévisible. Or dans cette guerre des droits, la France passe pour un pays moyenâgeux

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Mort à débit

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La ministre de la Santé Catherine Vautrin s'exprime après l'adoption par l'Assemblée du projet de loi autorisant les adultes atteints de maladies incurables à prendre des médicaments létaux, le mardi 27 mai 2025 à Paris © Michel Euler/AP/SIPA

Euthanasie. La société française estime désormais le suicide assisté comme un dû. L’Assemblée nationale a adopté hier la proposition de loi instaurant un droit à l’aide à mourir, avec 305 voix pour et 199 contre, malgré des débats intenses et des divisions politiques marquées. Le texte, présenté comme encadrant strictement ce nouveau droit pour les patients majeurs atteints de maladies incurables en phase avancée, doit désormais être examiné par le Sénat à l’automne 2025 avant une éventuelle adoption définitive. Sous couvert d’humanisme, une dérive inquiétante, selon notre chroniqueur.


Les vieux ? À dégager ! Pas assez performants. Trop coûteux pour la société. Mais c’est pourtant au nom de l’humanisme que les députés ont voté hier (305 voix pour, 199 contre) le « droit à l’aide à mourir », euphémisme pour ne pas désigner l’euthanasie et le suicide assisté. Même le délit d’entrave à ce processus de mise à mort médicale sera sanctionné (jusqu’à deux ans de prison, 30000 euros d’amende).

Bascule historique

Olivier Falorni (MoDem) s’est immédiatement félicité sur X d’avoir emporté cette première manche : « L’Assemblée nationale a adopté ! Un moment historique pour une très grande avancée républicaine car elle porte en son cœur la liberté, l’égalité et la fraternité. Il est des jours dont on sait qu’on ne les oubliera jamais. » En 1882, Friedrich Nietzsche écrivait : « Encore un siècle de journalisme et les mots pueront ». Nous y sommes. Les mots, vidés de leur sens, ne sont plus que des slogans, y compris pour les professionnels de la politique. Car la liberté, l’égalité et la fraternité avancés par M. Falorni sont en contradiction avec ce texte, défendu par une élite qui a perdu de vue la fragilité des gens modestes et qui s’enorgueillit de pouvoir se libérer de l’interdit suranné du Décalogue : « Tu ne tueras point ». Comme le remarque Alain Minc dans le Figaro Magazine, pour le déplorer : « La franc-maçonnerie est un acteur assumé de ce combat, à la manœuvre de façon explicite ».

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Durant la crise sanitaire du Covid, les pensionnaires des Ehpad avaient déjà été sacrifiés dans leur isolement forcé, abrégé parfois par injection de Rivotril. C’est cette même brutalité régressive qui pourrait s’installer si ce texte « progressiste », qui sera débattu au Sénat en septembre sans doute, devait être inchangé. Seul le vote unanime sur le volet des soins palliatifs est satisfaisant en l’état.

Autosatisfaction morale

Le fait que les mutuelles soient parmi les plus ardentes pour défendre l’euthanasie et le suicide assisté devrait mettre la puce à l’oreille de ceux qui se contentent des autosatisfactions morales de la macronie et du reste de la gauche. Celles-ci ne s’expriment plus qu’à travers des sujets sociétaux (PMA pour toutes, IVG constitutionnalisée …), faute d’émettre en urgence des idées neuves sur la révolution conservatrice qui déboule. Une étude récente de la Fondapol montrait que les plus de 85 ans coûtaient en moyenne 8000 euros par an, contre 1700 euros pour les moins de 59 ans. Un spécialiste de ces questions me disait récemment que les six derniers mois d’une vie pouvaient coûter autant, en prise en charge médicale, qu’une vie entière. Le manque de lits dans les hôpitaux est une autre donnée structurelle qui n’apparait évidemment pas dans les motivations de la loi mais qui est présente dans les esprits de bien des gestionnaires hospitaliers. Parallèlement, vingt et un départements sont dépourvus de soins palliatifs. 500 personnes meurent chaque jour sans avoir pu en bénéficier. Bref, cette loi « de liberté » contient, dans son esprit fonctionnel, toutes les dérives pouvant aboutir à l’élimination des improductifs car trop âgés, trop handicapés, trop fragiles mentalement. Une horreur.

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