Dans l’affaire opposant l’illustrateur Bastien Vivès à des associations de défense de l’enfance, le tribunal correctionnel de Nanterre s’est finalement déclaré « territorialement incompétent » mardi.
En février 2025, l’illustrateur français Bastien Vivès s’exprimait sur ses réseaux sociaux : « Pour des dessins, on m’a interrogé sur la catégorie de site porno que je regardais, sur mes pratiques masturbatoires et on a voulu me soumettre à une expertise psychologique. En France. En 2024. Au pays de la création artistique, pas en Russie ». À ce moment-là, l’artiste vient d’apprendre qu’il sera jugé les 27 et 28 mai 2025 au tribunal correctionnel de Nanterre pour « fixation et diffusion de l’image d’un mineur à caractère pornographique ». Deux de ses maisons d’édition sont également poursuivies pour les mêmes faits.
Associatifs: il leur manque une case?
La tourmente judiciaire de Bastien Vivès semble n’avoir pas de fin. Depuis 2011, plusieurs de ses albums font l’objet de vives polémiques et sont pointés du doigt comme faisant l’apologie de la pédocriminalité, du viol ou encore de l’inceste. En 2018 et 2020, le parquet de Nanterre avait déjà examiné les faits et avait classé ces signalements sans suites, mais l’acharnement de ses détracteurs à traîner Bastien Vivès devant la justice semble avoir finalement porté ses fruits.
Qui sont-ils, ces détracteurs ? En 2024, l’illustrateur déclarait dans une interview être « poursuivi par une association d’extrême droite ». L’allégation est d’autant plus ridicule qu’il n’a jamais voulu s’étendre davantage sur le sujet et que les associations qui le poursuivent en justice (Innocence en danger, Fondation pour l’enfance, et Face à l’inceste) ne semblent pas avoir de liens clairs et avérés avec une quelconque mouvance politique. La cancel culture, à l’œuvre contre M. Vivès ces dernières années avec notamment la déprogrammation en 2023 de l’exposition qui lui était consacrée au festival international de la BD d’Angoulême, est d’ailleurs plutôt connue pour être l’apanage de la gauche. Cette affaire nous interroge cependant sur le pouvoir croissant des structures associatives, particulièrement celles capables de mobiliser médias et opinion publique.
9e Art et 3e jambe
Il s’avère que l’un des ouvrages incriminés s’est retrouvé récemment entre mes mains. Je l’ai ouvert, fébrile, me préparant à être confrontée à des images que j’imaginais abjectes. Petit-Paul, le personnage de cet album, que ces associations s’acharnent à défendre, n’est pas un enfant. Il n’est pas réel et sa représentation n’est pas réaliste. Petit-Paul est un personnage chimérique à la silhouette stylisée et au sexe surdimensionné, représenté à la manière d’un cinquième membre aussi long que ses jambes. C’est un être pur et simple, monstrueusement doté par la nature, qui attise le désir et la convoitise des adultes. On ne retrouve pas dans le style de Bastien Vivès le sens du détail ou l’art des gros plans réalistes propre aux codes de la bande dessinée pornographique. L’histoire, elle-même, n’a pas de réelle vocation érotique, et se veut plutôt militante pour dénoncer une société régie par le pouvoir.
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Que l’on apprécie ou non l’œuvre de Bastien Vivès, que l’on trouve ça choquant, dérangeant ou même de mauvais goût n’a aucune espèce d’importance. C’est le propre de l’art de ne pas faire l’unanimité. Bastien Vivès lui-même écrit sur ses réseaux sociaux : « Je ne suis pas là pour panser les plaies de la société, œuvrer pour la morale, mais juste pour donner à réfléchir, faire un pas de côté avec un trait d’humour, interroger l’obscurité aussi. Parfois c’est réussi, parfois raté ou de mauvais goût mais je ne savais pas que cela pouvait mener en prison. Dessiner peut donc être un délit. » Non, cette affaire n’est pas liée à la politique mais est révélatrice de réels changements dans notre société où la morale siège de plus en plus souvent au sein de nos tribunaux.
Fiction et réalité
Dans des cas de détention ou de diffusion de photos à caractère pédopornographique, ces enfants sur papier glacé existent bel et bien et sont ou ont été victimes de pédocriminels. En ce qui concerne Bastien Vivès, il s’agit de dessins et la différence, pourtant majeure, entre des faits fictifs et des faits réels, ne peut pas être balayée d’un revers de la main. Lors des audiences, l’accusation a été jusqu’à s’interroger sur le consentement du personnage Petit-Paul. Richard Malka, l’avocat du dessinateur, s’était alors insurgé « C’est comme demander aux Romains s’ils sont d’accord pour recevoir les baffes d’Astérix et Obélix, ça n’a aucun sens ». Si l’on persiste à s’engager sur cette voie, quelle pourrait être la suite ? Va-t-on décrocher des murs des musées les multiples tableaux représentant des nymphes aux allures prépubères ?
Le 27 mai 2025, le tribunal correctionnel de Nanterre s’est finalement déclaré « territorialement incompétent » à rendre un verdict, sous prétexte que les faits ne se seraient pas déroulés dans les Hauts-de-Seine. L’affaire est donc renvoyée au parquet. J’aimerais vivre dans une société où les crimes et délits seraient rarissimes au point que la justice, désœuvrée, en serait réduite à s’intéresser au sort des personnages de nos romans et bandes dessinées. Malheureusement, ce n’est pas le cas. Toute cette ridicule mascarade pourrait vraiment prêter à sourire s’il n’y avait pas, au même moment, en France, des victimes, enfants bien réels, qui réclament protection et justice. Ils attendront.
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