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Un livre à soi

Pour ses cent ans, « La Pléiade » offre un beau coffret à Mrs Dalloway, le roman le plus connu de Virginia Woolf. L’occasion de lire ou de relire ce chef-d’œuvre qui n’a pas pris une ride


Pour son centenaire, la prestigieuse collection La Pléiade offre à Mrs Dalloway un somptueux écrin qui réunit d’autres écrits, notamment Orlando et Une chambre à soi, œuvres majeures de l’auteure anglaise. Publié en 1925, Mrs Dalloway connaît d’emblée un succès retentissant, lequel ne s’est pas démenti depuis. Virginia Woolf entame sa rédaction dans un climat de confiance. Elle vient de publier La Chambre de Jacob à The Hogarth Press, maison d’édition qu’elle dirige avec son mari. Le livre est un best-seller. Elle se sent enfin un écrivain à part entière.

Mrs Dalloway prend d’abord la forme d’une nouvelle – Mrs Dalloway in Bond Street, transcrite dans le présent volume – qui paraît dans la revue The Dial en 1922. Trois mois plus tard, Virginia Woolf décide d’en faire un roman et note dans son Journal : « Pour ce livre j’ai presque trop d’idées – je voudrais exprimer la vie et la mort, la raison et la folie. Je voudrais critiquer le système social ; le montrer à l’œuvre dans toute sa rigueur. » Le livre s’ouvre sur cette phrase désormais célèbre : « Mrs Dalloway dit qu’elle se chargerait d’acheter les fleurs. »

Nous sommes à la mi-juin. Une femme déambule dans Londres à la recherche d’un bouquet pour la réception qu’elle donne le soir même. Cette femme est Clarissa Dalloway, « elle avait quelque chose d’un oiseau, un geai, bleu-vert, avec une légèreté, une vivacité, bien qu’elle ait plus de cinquante ans et qu’elle ait beaucoup blanchi depuis sa maladie ». Et tandis qu’elle marche dans les rues au rythme des cloches de Big Ben, les pensées se pressent dans sa tête auxquelles l’écrivain donne un accès direct. Ce que l’on appellera le « flux de conscience » est né. Une audace formelle et narrative que la romancière, désormais débarrassée du souci de plaire aux éditeurs, s’autorise avec jubilation.

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« Je suis certainement moins contrainte que jamais », note-t-elle au bout d’un an de rédaction. Passé l’enthousiasme des débuts, Virginia Woolf confesse que ce livre est sans doute l’un des plus « torturants », des plus « réfractaires » qu’elle ait eu à écrire, pour concéder au bout de quelques mois qu’aucun « n’a encore eu une structure aussi remarquable ». Le chef-d’œuvre est là. Elle y met toutes ses obsessions. Ses fascinations. Ses hantises. Son amour pour Londres « joyau des joyaux, jaspe de la gaieté ».

Son attirance pour les femmes : « Elle ne pouvait résister parfois au charme d’une femme. (…) Elle ressentait alors ce que ressentent les hommes. Un instant seulement, mais c’était assez. » Sa peur de la folie également. Woolf, qui n’a eu de cesse de composer avec la maniaco-dépression, en est miraculeusement épargnée durant la rédaction de son roman. Aussi n’a-t-elle qu’une crainte : que le personnage de Septimus, qui en est atteint, fasse ressurgir en elle les symptômes de la maladie. « Par certains côtés ce livre est un exploit », écrit-elle le 17 octobre 1924, alors qu’elle vient de le terminer. Un exploit dont cent ans après on continue d’admirer le génie et la modernité.


Virginia Woolf, Mrs Dalloway et autres écrits, « La Pléiade », Gallimard, 2025, 800 pages.

Alexandra Lemasson, Virginia Woolf, « Folio biographies », Gallimard, 2005, 272 pages.

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Louis Bonaparte: le jeune frère mal-aimé de Napoléon

Frère méconnu de Napoléon Ier, père du futur Napoléon III, Louis Bonaparte est longtemps resté une figure pâle de l’épopée impériale. François de Coustin redonne chair à ce « roi rebelle et mélancolique », tiraillé entre sa loyauté familiale, ses aspirations contrariées et une santé déclinante.


Le père de Napoléon III est un oublié de l’histoire. À Luigi, ce petit frère d’abord tant chéri puis si mal-aimé de l’ Empereur, né en 1778 de Carlo Maria et de Letizia Buonaparte,  François de Coustin consacre une biographie magistrale. Louis Bonaparte voit le jour derrière Giuseppe (Joseph, 1868), l’aîné des enfants, puis Napoleone (1769, mort en bas âge), Luciano (Lucien, 1775), et Maria-Anna (Elisa, 1777). Après lui naîtront Paolina (Pauline, 1780), Maria-Anunziata (Caroline, 1782) et enfin Girolamo (Jérôme,1784), le petit dernier.

Un homme mal dans sa peau

Celui qui, de son union mal assortie avec la reine Hortense, donnera le jour au souverain du Second Empire, a traversé l’épopée du Premier Empire et les années consécutives à sa chute en personnage d’arrière-plan, balloté par des événements sur lesquels il n’est jamais parvenu à imposer sa marque. Au-delà du récit passionnant de cette existence en somme assez pathétique, le livre restitue – et c’est ce par quoi il dépasse de très haut la simple visée anecdotique – le contexte géopolitique dans lequel l’incroyable saga familiale, sous la férule de Napoléon, se cristallise.

François de Coustin le souligne, les enfants Buonaparte sont nés de parents très jeunes : en 1764, date de leur mariage, Charles a dix-huit ans, Letizia quatorze ! L’ascendant porté par le génie de Napoléon sur ses frères et sœurs se manifeste très tôt. Car Charles meurt en 1785. Et Marbeuf, l’ancien amant de Letizia, qui est aussi le parrain de Louis, décède à son tour en 1786. Parti faire ses études sur le continent, Napoléon, dès 1791, « dans un pays en pleins troubles révolutionnaires » prend en charge l’éducation de son cadet alors âgé de douze ans-et-demi, l’emmenant avec lui, supervisant ses fréquentations, intriguant pour pousser ses études, et bientôt sa carrière d’officier. Propulsé à la tête de l’armée d’Italie, le général Bonaparte en fait son aide de camp. Mais « les infirmités physiques de Louis commencent à se manifester » de bonne heure. « Personne ne pense aux conséquences d’une chute de cheval oubliée de tous ». C’est pourtant là, semble-t-il, l’origine de sa santé défaillante ; elle ne cessera de se délabrer au fil des années. Louis usera et abusera des cures pour tenter, en vain, d’éradiquer la paralysie qui envahit son corps. En proie à des affections rhumatismales et autres douleurs articulaires toujours plus incommodantes, Louis se verra privé progressivement de l’usage de sa main jusqu’à ne plus pouvoir écrire, puis seront atteints ses membres inférieurs. « Ce malade qui se voyait en danger de mort en permanence » sera pourtant, avec son cadet Jérôme, le dernier survivant des Bonaparte de sa génération (Elisa meurt en 1820, Pauline en 1825, Madame mère en 1836, Caroline en 1839, Lucien en 1840, Joseph en 1844). Dès 1839, Louis, grabataire, « se servait difficilement de ses bras et ne marchait […] que soutenu sous chaque bras par un domestique ». On lui suppute aujourd’hui une sclérose en plaques. Sous le nom de comte de Saint-Leu, âgé de 67 ans, Louis Bonaparte rend son dernier soupir le 25 mai 1846. En 1837, la reine Hortense l’avait précédé dans l’au-delà.

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Conté par François de Coustin dans un luxe de détails fascinant, ce récit palpitant scande les étapes de la vie du « roi rebelle et mélancolique », pour reprendre le sous-titre de cette ambitieuse biographie de plus de 600 pages, la première, à ma connaissance, exclusivement consacrée au seul Louis Bonaparte. Mais aussi bien la prose érudite, limpide et acérée de l’émérite historien recolore pour nous, au fil des pages, le paysage géopolitique, sociologique, mondain du temps, avec une extraordinaire puissance d’évocation.

Un pion dans les ambitions de Napoléon

Rembobinons :  l’emprise de Napoléon sur sa fratrie grandit à la mesure de sa gloire naissante – Arcole, Rivoli, campagne d’Egypte… Longue réticence de Louis à épouser Hortense de Beauharnais ; fréquentation des salons (Germaine de Staël) par un garçon qui à l’instar de ses frères, « taquine la plume » et qui, vite « mal à l’aise d’y être traité comme le frère du Premier consul et non pour lui-même, fuit la société »…  Décrit par un ami comme « fort brun, fort velu » avec « beaucoup d’embonpoint », Louis, à 22 ans, en paraît 27 !  Ce « cœur incertain » – pour reprendre le titre d’un des chapitres du livre – est surtout celui qui, sa vie durant, ne sera jamais qu’un pion dans les ambitions sans limites de Napoléon, capable de lui écrire, tout de même : « vous ne sauriez être indépendant, je ne le souffrirai pas ».

Dans leurs tardifs Mémoires « écrits bien après leur acrimonieuse séparation », Louis, comme Hortense, décrivent leur vie conjugale comme un enfer de tous les instants. Ils parviendront pourtant à faire trois enfants. Mari irascible, ombrageux, maladroit, jaloux, Louis souffre qu’Hortense soit systématiquement soutenue contre lui par Napoléon, à l’autorité duquel il se soumet à son corps défendant, plus impérieuse à mesure que s’accroît sa puissance : « je hais la grandeur, le faste, les distinctions, les décorations, etc. […] Je tiens tout de mon frère  […] La nation doit fournir à ses chefs, mais non à ceux qui n’ont de commun avec eux qu’un nom donné par le hasard », confesse Louis à Mésangère, son ami de cœur.

Nommé général de brigade à son corps défendant en 1801 par son frère consul, il démissionne – avant de se raviser. Devenu empereur, obsédé par la continuité dynastique, seule capable à ses yeux de de sédimenter son pouvoir, Napoléon a retiré la succession du trône à ses frères, et Joseph ne pouvant avoir d’enfant, il la remet entre les mains du premier fils de Louis et d’Hortense, le petit Napoléon-Charles, la stérilité de Joséphine aidant à faire de ce dernier le  « centre de toutes les attentions ». Piétinant les droits légitimes de ses frères, Napoléon, pragmatique, a réglé la question par le sénatus – consulte instaurant l’Empire héréditaire, un article prévoyant que « Napoléon peut adopter les enfants ou petits-enfants de ses frères » si lui-même n’a pas d’enfants. Face à la rébellion des sœurs, Napoléon répond, narquois : « à voir vos prétentions, mesdames, on croirait que nous tenons notre couronne du feu roi notre père ».

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En attendant, Louis, nommé conseiller d’État, se voit promu… connétable, dignité purement honorifique, contraignante mais lucrative – qui l’accable. Napoléon impose en outre que les prénoms de tous les enfants de la famille soient précédés de « Napoléon » : d’où « Napoléon-Louis », dont la naissance, au demeurant, est éclipsée par le sacre de l’Empereur. Sans ce qu’il appelle son « système », Louis ne « compte pour rien ». Bientôt nommé « gouverneur de Paris », « le militaire qu’il est censé être mène surtout campagne contre son corps », note plaisamment François de Coustin. À 27 ans, le voilà « écrasé sous des honneurs et des responsabilités dont il se passerait volontiers ». Quand, en juin 1806, son frère le propulse roi de Hollande sous le nom de « Lodewijk Napoléon », Louis n’y voit « qu’un exutoire aux difficultés de son ménage ». Roi vassal, rudoyé sans trêve par son frère dominant (Louis ne l’appelle jamais autrement, dans ses lettres, que «  sire », ou « Votre Majesté » !)  ce souverain malgré lui va, contre toute attente, s’éprendre de son royaume, et  chercher à « s’imposer aux yeux de son peuple, mais aussi aux yeux de l’Empereur, comme un roi de plein exercice ». Au point de vouloir se faire couronner… jusqu’à ce qu’il n’en soit plus question !

Des relations familiales compliquées

François de Coustin n’a pas son pareil pour rendre passionnant le récit de ces rapports acrimonieux entre les deux frères, sur la base de leur correspondance. Celle-ci révèle un Napoléon colérique, acide, d’une brutalité inouïe.  Quand meurt Napoléon-Charles, l’aîné des fils de Louis, Napoléon se contente d’écrire à Fouché : « j’avais espéré une destinée plus brillante pour ce pauvre enfant ». En 1808, la naissance de Charles-Louis-Napoléon [sic !], troisième fils d’Hortense, enflamme «  la machine à ragots » […], « la médisance [quant à la paternité de Louis étant] surtout le fait du clan Bonaparte, ravi de pouvoir nuire au clan Beauharnais, et Caroline est à la manœuvre ». Séparés, Louis et Hortense se disputeront âprement la garde de l’enfant, dans le même temps où le roi de Hollande « rêve d’asseoir sa légitimité » : « Louis se voit en souverain et Napoléon en suzerain ».  En 1811, l’Empereur annexe la Hollande, « petit territoire dans un empire napoléonien en perpétuelle expansion ». Napoléon réclame à son frère la conscription, qu’il n’obtiendra jamais ; Louis impose l’uniforme blanc à l’infanterie hollandaise ; « s’ancre chez ses sujets l’image du goed Lodewijk, ‘’le bon Louis’’ »… Lorsque le Blocus continental  en vient à assécher les finances du royaume, « Louis finasse », contre les instructions de son frère, pour protéger le commerce : « empêchez donc la peau de transpirer ! », écrit-il en réponse aux « aboiements » [sic] d’un Napoléon mû par sa volonté implacable. Lassitude, détresse, abattement de Louis. Napoléon : « le climat de Hollande ne vous convient pas […] Je pense à vous pour le royaume d’Espagne […] Répondez-moi catégoriquement. Si je vous nomme roi d’Espagne, l’agréez-vous ? Puis-je compter sur vous ? ». Refus de l’intéressé.  De guerre lasse, « Napoléon n’insiste pas et prépare Joseph à son nouveau poste ».

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D’épidermique, le conflit entre les deux hommes s’envenime, pour devenir frontal en 1809 : « l’économie d’un roi n’est pas celle d’un prieur de couvent », lui écrit l’Empereur, dans une de ses lettres courroucées, insultantes, voire menaçantes : « c’est avec de la raison et de la politique que l’on gouverne les Etats, non avec une lymphe âcre et viciée », lui mande encore son frère.  « Estomaqué », pour reprendre l’expression du biographe, Louis vit « la fin des illusions » dans l’angoisse, perpétuellement dupe du jeu de Napoléon, et ne comprenant pas ce qui lui arrive. Avec, en toile de fond, sa lutte infatigable pour récupérer, non plus même sa femme qu’il jalouse maladivement, et qui ne cesse de le fuir, mais au moins l’aîné de ses fils ! « Sciemment et cyniquement, écrit Coustin, Napoléon met en place des conditions d’une rupture avec Louis », dont on suit ici pas à pas le calvaire, jusqu’à l’abdication pathétique : quatre ans et un mois de règne à peine ! « S’ajoute à l’attitude de Napoléon l’écrasante dignité impériale, celle qui a mis fin au tutoiement entre les frères et sur le respect de laquelle il est aussi vétilleux que sur celui de la livrée du cocher de son ambassadeur », observe l’auteur.

Une fin de vie isolée et mélancolique

Louis, dès lors, va vivre sa « solitude en commençant par orchestrer sa propre disparition ». Tour de force dans un pays aussi contrôlé que celui de Napoléon, qui redoute (et empêche) qu’il ne s’embarque pour l’Amérique. « Dites-moi, je vous prie, s’il me permettra de vivre tranquille et obscur », supplie Louis dans une lettre à Madame Mère. Sombrant en dépression, se prenant à rêver d’un chimérique retour dans sa Corse natale, « c’est par son propre choix qu’il s’émancipe de ce passé pour devenir désormais le comte de Saint-Leu ». Exilé à Töplitz dans l’actuelle République tchèque, puis à Gratz, en Autriche, la Hollande autoritairement transformée en dix départements français lui reste une plaie ouverte, un mirage fantasmé. Il refuse l’offre d’un apanage royal doté de deux millions annuels –  Hortense n’aura pas de tels scrupules, et s’en empara. Se voulant désormais un simple particulier, Louis tentera pourtant une dernière fois de récupérer son trône de Hollande dans l’agonie du Premier empire, ultime velléité d’action. Trop tard : la maison d’Orange reprend possession du pays. Le 1er janvier 1814, Louis rentre à Paris et s’installe à l’hôtel de Brienne… chez maman ! À Joseph, Napoléon écrira de lui : « je lui ai toujours connu le jugement faux. C’est un enfant qui fait le docteur ». Netflix pourrait faire une série à suspense des minutes du procès à épisodes intenté par Louis, en 1815, pour récupérer la garde de ses enfants ! Le verdict rendra Napoléon-Louis, l’aîné, à Louis ; et Louis-Napoléon, le cadet, à Hortense.

Graphomane, exilé à Rome puis à Florence après la chute de l’Empire, le comte de Saint–Leu, bientôt « M. Louis » (à la Restauration, Louis XVIII érigera en duché les terres de Saint-Leu) reviendra continument sur les épisodes de sa vie dans de multiples tentatives avortées d’écrire ses Mémoires. Coutumier des amours juvéniles, Louis tentera de demander sa main à la princesse Vittoria Odeschalchi – dix-sept ans !  « Je désire comme à seize ans », écrit-il dans un poème publié en 1831 sous le titre Les Regrets. Ce romantique mal conformé, « transi de beautés à peine nubiles », croira trouver chaussure à son pied (si l’on ose dire) en la personne d’une autre promise également âgée de dix-sept ans, une certaine Julia-Livia Stiozzi Ridolfi – tentative d’escroquerie au mariage, mais « Arnolphe s’est méfié à temps d’Agnès », pour reprendre la fine formule de François de Coustin. La dame lui survivra jusqu’en 1862. Louis épanchera ses amertumes en alignant des vers : «  Sous votre empire tyrannique/ Ô femmes j’ai passé trente ans/ Dans une attente chimérique/ Ou dans les regrets déchirants »…

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Quid de la progéniture ? Joseph, l’aîné, exilé aux États-Unis, est de loin le plus riche de la fratrie.  L’aînée de ses filles, Zénaïde, convole avec Charles-Julien, fils de Lucien. Charlotte, sa fille cadette, rentrée en Europe, « haute comme une naine et excessivement laide », se voit promise au fils aîné de Louis, le seul dynaste ; ils ne procréeront pas.  La rougeole foudroie Napoléon-Louis en 1831. Quant à l’Aiglon, il meurt à Vienne un an plus tard. La destinée fulgurante de Louis-Napoléon est en route… Que son géniteur paralytique ait pu vivre six ans de plus, et il assistait à la naissance du Second Empire ! Comme quoi !

On pense à Guillaume Apollinaire, dans La Chanson du Mal-Aimé : « Destins, destins impénétrables/Rois secoués par la folie… »  


A lire : Louis Bonaparte, roi rebelle et mélancolique, par François de Coustin. 624p, Perrin, 2025. En librairies à partir du 22 mai.

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Al-ikhwān: les Frères, nos ennemis

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Depuis près d’un siècle, les Frères musulmans traversent interdictions et exils sans jamais disparaître. En France, leur influence se manifeste à travers un réseau discret mais structuré, entre engagement religieux, stratégie associative et discours adapté à la République. Comment ce mouvement parvient-il à conjuguer invisibilité politique et enracinement idéologique ?


Depuis près d’un siècle, les Frères musulmans font preuve d’une longévité politique remarquable, en dépit des interdictions, de la répression, de l’exil et des dissensions internes. Loin de se réduire à un simple parti, ce mouvement fondé par Hassan al Banna en 1928 en Egypte, forme un écosystème idéologique, pédagogique et organisationnel capable de s’adapter à des contextes nationaux très divers tout en conservant une matrice doctrinale commune.

Comment ce courant parvient-il à exercer une influence diffuse mais structurée, y compris dans un pays laïque comme la France, marqué par une forte méfiance à l’égard des expressions religieuses dans l’espace public ? Comment expliquer qu’un mouvement aussi contesté soit parvenu à s’implanter, à se renouveler et à maintenir sa cohésion sans structure déclarée ? Autrement dit, quel est le « secret » des Frères musulmans en général, mais surtout dans leur déclinaison française ?

Une matrice idéologique stable et fédératrice

La « recette » des Frères musulmans est une combinaison de cinq éléments clefs : une idéologie structurante, un système de formation rigoureux, une discipline hiérarchique, une autonomie stratégique des branches locales et un récit victimaire fédérateur. Ces principes, qui ont fait leurs preuves dans l’histoire, ont permis à la confrérie de survivre aux coups d’État, aux purges et aux exils.

Le premier pilier de cette cohésion est l’idéologie fondatrice, simple mais mobilisatrice : al-islâm huwa al-ḥall (« l’islam est la solution »). Adopté dès les années 1940, ce slogan résume la vision du monde des Frères musulmans. L’islam n’y est pas seulement une foi, mais un système global régissant la vie personnelle, sociale et politique. Cette centralité de la religion dans l’ordre du monde offre au mouvement une boussole permanente, capable de transcender les divergences contextuelles. Ainsi, lors des élections législatives de 2005 en Égypte, les candidats affiliés au mouvement ont fait campagne en se réclamant presque exclusivement de ce mot d’ordre, sans avoir à développer un programme politique détaillé.

À cette cohérence doctrinale s’ajoute une mécanique de formation interne. Chaque membre passe par un processus d’intégration fondé sur la cellule de base appelée « usra » (famille nucléaire en arabe), où il suit des cycles réguliers d’enseignement religieux, moral et politique. Cette structure de base rend difficile les tentatives d’infiltration mais également explique la difficulté dont témoignent d’anciens Frères à rompre avec un système aussi structurant, où les longs et profonds liens personnels, affectifs et spirituels sont très puissants. Le désengagement est d’autant plus douloureux qu’il est souvent vécu comme une trahison par les autres membres, ce qui explique en partie le faible taux de départs spontanés, et le silence de ceux qui s’éloignent.  

Ce parcours progressif, fait de lectures obligatoires (notamment Hassan al-Banna et Sayyid Qutb), de mémorisation du Coran et de débats idéologiques, façonne un cadre militant discipliné et endoctriné.

Troisième ressort fondamental : le fonctionnement hiérarchique. Les Frères fonctionnent selon un principe de verticalité renforcée par une discipline quasi militaire à la direction. Cette obéissance a permis au mouvement de maintenir sa structure même dans les conditions extrêmes de l’incarcération ou de l’exil. On peut citer le cas de Khayrat al-Chater, numéro deux de l’organisation en Égypte, qui a continué à orienter des pans entiers du mouvement alors qu’il était emprisonné sous Moubarak.

Mais cette hiérarchie centrale ne signifie pas rigidité doctrinaire. Une partie du « secret » des Frères réside dans leur capacité à concilier unité idéologique et autonomie locale. Chaque extension nationale adapte les principes de la confrérie à son environnement politique. Ainsi, la branche tunisienne du mouvement, Ennahdha a renoncé après 2011 à l’objectif d’un État islamique, préférant se positionner comme un parti conservateur musulman compatible avec la démocratie pluraliste. À l’inverse, le Hamas, issu de la branche palestinienne, s’inscrit dans une logique de lutte armée et de résistance. Ces deux expressions contradictoires sont rattachées à la même matrice idéologique. Le mouvement accepte ces écarts comme une forme de pragmatisme et non pas en tant qu’hérésies.

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Un récit victimaire comme ciment identitaire

Enfin, les Frères musulmans puisent une grande part de leur cohésion dans un récit victimaire commun, forgé par des décennies de répression. Dès l’origine Al-Banna a présenté son combat comme une revanche à prendre sur l’oppresseur.  

Il a fondé le mouvement à Ismaïlia, ville nouvelle fondée pour la gestion du canal de Suez où la domination européenne a été la matrice même de la vie sociale. Il en a conçu une humiliation devenue complexe de supériorité / infériorité avec son corolaire, la victimisation. Ce fut également le cas de Sayyid Qutb. Intellectuel laïc influencé par les idées occidentales, Qutb connaît une profonde mutation durant son séjour aux États-Unis (1948-1950), où il développe une haine de la modernité, perçue comme moralement décadente. De retour en Égypte, il rejoint les Frères et devient leur penseur le plus radical. Emprisonné et plus tard accusé de complot, il est exécuté en 1966 par le régime de Nasser, devenant un martyr pour les courants les plus radicaux du mouvement, en rupture avec l’approche gradualiste de ses prédécesseurs.

L’histoire du mouvement est rythmée par les arrestations, les exils et les massacres, ce qui n’a fait qu’encourager le culte du sacrifice et de la victime. Ainsi, le massacre de la place Rabaa al-Adawiya au Caire en 2013 constitue l’un des traumatismes les plus récents. Cet épisode, au cours duquel plus de 800 partisans de Mohamed Morsi ont été tués par les forces de l’ordre, est devenu une référence centrale dans la mémoire collective du mouvement dans une manière qui n’est pas sans rappeler le culte chiite du sang des martyrs.

Ainsi, la force des Frères musulmans ne réside pas tant dans leur puissance institutionnelle que dans leur capacité à créer une contre-société idéologique et affective. Ce système qui tient autant de l’ordre initiatique que de l’organisation politique constitue le véritable socle de leur résilience. C’est ce modèle qui explique pourquoi, malgré les coups durs, les Frères musulmans continuent de jouer un rôle dans la vie politique et religieuse du monde arabe et plus largement musulman, notamment en Occident.

Tariq Ramadan, Lille, 2016 © Michel Spingler/AP/SIPA Numéro de reportage : AP21855092_000006

En Europe, la présence et l’action des Frères musulmans s’inscrivent dans une dynamique distincte de celle observée en Égypte ou dans d’autres pays du Moyen-Orient. Cette « version à l’exportation » évolue largement grâce à trois figures clés : Saïd Ramadan, gendre d’Hassan al-Banna, sa fille Wafa al-Banna, et son petit-fils Tariq Ramadan. Jeune avocat et orateur charismatique, Saïd Ramadan devient l’un des plus proches collaborateurs du fondateur de la confrérie. Après l’assassinat d’al-Banna en 1949 et la répression de 1954, il quitte l’Égypte et entame une longue carrière de diplomate informel de l’islamisme frériste. En 1961, il fonde à Genève le Centre islamique, qui devient un hub intellectuel et logistique de la mouvance islamiste en Europe. Le centre accueille étudiants, réfugiés politiques et penseurs, tout en diffusant la littérature frériste en plusieurs langues. Lié à la Ligue islamique mondiale financée par l’Arabie saoudite, il promeut toutefois une vision distincte du salafisme : un islam politique structuré, discipliné et militant, pensé pour s’implanter durablement dans les sociétés occidentales.

À partir des années 1970, les Frères musulmans s’installent en France, en Allemagne, au Royaume-Uni, via des associations étudiantes, des mosquées et des centres culturels. Ces relais développent un islam adapté aux contextes légaux européens. C’est dans ce cadre que le discours frériste s’est reformulé en empruntant les lexiques de la citoyenneté, de la minorité et de la modernité, jusqu’à donner naissance à ce que Tariq Ramadan appelle « l’islam européen ».

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Le cas français : un réseau sans nom

En France, le frérisme ne prend pas la forme d’une organisation officiellement enregistrée sous le nom de « Frères musulmans ». Il se manifeste plutôt à travers un réseau complexe d’associations, de fédérations, d’instituts religieux, éducatifs et professionnels, ainsi que de figures influentes, tous inspirés par l’idéologie fondatrice d’Hassan al-Banna. Cette nébuleuse semi-formelle repose sur plusieurs structures associatives reconnues qui, tout en affirmant leur indépendance juridique, partagent une même matrice idéologique. Parmi celles-ci figure l’Union des organisations islamiques de France (UOIF), devenue en 2017 « Musulmans de France » (MF). Fondée en 1983, elle est perçue par les autorités comme la principale vitrine institutionnelle des Frères musulmans dans l’Hexagone. Elle regroupe plusieurs centaines d’associations, gère des mosquées majeures et organise chaque année le Rassemblement des musulmans de France au Bourget, événement emblématique attirant des milliers de participants et des personnalités internationales affiliées à la confrérie.

La présidence de cette organisation est assurée par des figures élues, issues des principales mosquées et associations affiliées. Des personnalités telles que Fouad Alaoui, Lhaj Thami Breze, Ahmed Jaballah ou Amar Lasfar en ont assuré la direction. Ce dernier, longtemps président de MF, incarne une trajectoire emblématique du frérisme français. Né en 1960 dans le Rif marocain, arrivé en France dans les années 1980, Lasfar s’engage très tôt dans la prédication et l’encadrement de la jeunesse musulmane. Il fonde la mosquée de Lille-Sud, devenue un centre névralgique de l’islam organisé, puis crée en 2001 l’Institut Avicenne, destiné à former imams, aumôniers, éducateurs et intellectuels musulmans. Figure discrète mais centrale, Lasfar agit en coulisses, à rebours de la visibilité médiatique d’un Tariq Ramadan.

Son parcours est étroitement lié à l’UOIF, dont il prend la présidence en 2013. Bien qu’il nie tout lien organique avec la confrérie, affirmant que « les Frères musulmans n’existent pas en France » (Libération, 6 avril 2015), plusieurs témoignages contredisent cette déclaration. Farid Abdelkrim, ancien responsable des Jeunes musulmans de France (JMF), branche jeunesse de l’UOIF, raconte ainsi son enrôlement au sein de la confrérie, son allégeance prêtée dans l’appartement d’un imam frériste, et les ambitions politiques portées par le mouvement dans les années 1990 : « Notre objectif n’était pas d’islamiser la France ou de convertir les Français, mais de construire un lobby. Une société dans la société, avec nos entreprises, nos écoles… » (Libération, 13 février 2015).

Sous la direction de Lasfar, l’UOIF a engagé une stratégie de normalisation : changement de nom, discours plus modéré, valorisation de la citoyenneté et du dialogue. Mais cette évolution de façade masque une continuité doctrinale. Il s’agit toujours de promouvoir une lecture de l’islam axée sur la réforme morale de la société, la préservation de la famille musulmane et l’installation durable de structures religieuses autonomes. Lasfar incarne ainsi une posture duale : modération affichée dans l’espace public, rigueur idéologique dans les cercles internes.

Cette stratégie de légitimation s’est exprimée par la médiatisation d’affaires d’exclusion scolaire, le soutien juridique aux familles concernées, et la promotion d’un discours articulant piété et émancipation féminine, « mon voile mon choix ».

Parallèlement, dans le domaine du halal, les Frères musulmans ont exercé une influence notable sur la régulation religieuse du marché, notamment via des organismes de certification comme AVS (« A Votre Service », se présentant comme indépendant, mais considéré comme inspiré par les Frères musulmans), proches de leur vision rigoriste. Refusant toute ingérence de l’État dans la définition du licite, ils ont cherché à construire un écosystème économique autonome et normatif, combinant pratiques rituelles et discipline morale. Dans les deux cas, il s’agit de produire des normes religieuses visibles dans l’espace public, tout en adaptant leur défense aux principes de la République.

Le frérisme français se distingue ainsi par une stratégie d’enracinement : discrète, mais structurée, intégrée dans la société dans les formes, mais doctrinalement affirmée dans le fond. Il ne vise pas directement la rupture frontale, mais la construction patiente d’un espace autonome à l’intérieur même de la société française. À travers ses réseaux associatifs, éducatifs, cultuels ou économiques, il tend à construire des murs invisibles, contours d’une contre-société à la fois protégée et séparée. Ses idéologues la conçoivent comme un îlot de pureté religieuse au sein d’un océan profane, dégénéré voire hostile, un groupe « halal » cerné de « haram » dont l’ambition n’est pas tant d’affronter la République que de coexister avec elle, séparé et moralement supérieur et selon ses propres règles. Au moins pour le moment.

Podcast : L’antisémitisme décomplexé de la gauche; bras de fer entre Donald Trump et Harvard

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Avec Céline Pina, Eliott Mamane et Jeremy Stubbs.


L’adjointe au maire du XXe arrondissement de Paris, Lila Djellali, écologiste, s’est fendue d’une fausse citation du Général de Gaulle à propos des Juifs. Cet antisémitisme décomplexé qui caractérise aujourd’hui une trop grande partie de la gauche ne représente pas la simple critique de l’Etat d’Israël, mais la trahison du « plus jamais ça » qui a suivi la découverte de toute l’horreur des camps de mort après 1945. De plus, les écologistes semblent vouloir parler de tout sauf d’écologie, sans doute parce que, comme l’ont démontré certaines interventions de Sandrine Rousseau contredites par des scientifiques, ils sont incompétents en matière d’écologie.

Donald Trump a engagé un bras de fer avec l’université de Harvard qui persiste à vouloir garder dans ses programmes des éléments relevant de l’idéologie « DEI » – « diversité, équité, inclusion » – que le président américain voudrait à juste titre voir éliminés. Dans quelle mesure l’Etat a-t-il le droit de s’immiscer dans les affaires des universités ? Le caractère nuisible et délétère de ces éléments justifie-t-il l’intervention du gouvernement ?

Salauds de mômes!

Tendance « No kids » : Attention danger ! Le gouvernement français s’inquiète de l’avènement d’une société dans laquelle les enfants ne seraient plus les bienvenus. La contre-attaque face à cette soi-disant exclusion est engagée par la Haut-Commissaire à l’Enfance, Sarah El Haïry, qui a réuni les représentants des secteurs du tourisme, des transports et de l’urbanisme afin de lutter contre la tendance croissante à exclure les enfants des restaurants, des voyages ou encore des célébrations telles que les mariages. Un faux problème, selon Elisabeth Lévy.


Le gouvernement a réuni une table ronde des professionnels pour enrayer la tendance du « No kids ». En effet, quel scandale. On ne respecte rien, même pas le divin enfant. Quelques hôtels (3%) et restaurants sont ainsi désormais réservés aux adultes. Quelle brutalité ! Quelle honte ! Quel scandale.

La Haut-Commissaire à l’Enfance, Sarah El Haïry déclare : « Considérer de manière brutale qu’un enfant est avant tout une nuisance, ce n’est pas acceptable ».

Vive les vacances, vive l’insouciance

Je dirais même plus, renchérit la sénatrice Laurence Rossignol sur le mode Dupond-Dupont, « on ne peut pas accepter que certains décident de ne plus supporter telle ou telle partie de la population. Les enfants ne sont pas une nuisance ». Et comme chaque fois qu’un faux problème se pose, les grenouilles demandent une loi. Mme Rossignol veut faire reconnaître la minorité comme un facteur de discrimination. Comme ça, ils pourront faire des procès à leurs parents quand ils les enverront se coucher. Mais aucun parent ne fait plus ça. C’est peut-être le problème. Avant, dans les bonnes maisons, les enfants dînaient avant leurs parents. Vite, une cellule d’aide psychologique pour les victimes de ces pratiques barbares.

A lire aussi, Ivan Rioufol: Euthanasie: le pied dans la porte?

L’enfance sacralisée

J’ironise, mais une société qui ne veut pas voir ses enfants c’est mauvais signe me dit-on…

Oui, si c’était le cas, ce serait très grave. Mais que dans quelques lieux, on puisse passer quelques heures ou quelques jours sans enfants, même quand on en a, où est le scandale ? Parfois, on veut écrire, lire sans entendre des cris ou des pleurs. Ou avoir des discussions d’adultes. Vous envoyez vos mômes en colonie de vacances parce que c’est bon pour eux d’être entre jeunes et sans leurs parents. Eh bien parfois, c’est bon de ne pas avoir vos mômes ni ceux des autres.

Il y a cependant deux vrais problèmes :

  • Notre société fait de l’enfant une divinité, donc on ne lui apprend plus la contrainte, donc on le laisse souvent se conduire n’importe comment. Voilà la raison essentielle de la tendance no kid.
  • Nous voulons effacer la différence entre les générations exactement comme on le fait entre les sexes. Les adultes sont des enfants comme les autres. Nous vivons une adolescence éternelle jusqu’au passage brutal à la fin de vie.

Vous me direz que la natalité est en berne. Présentez-moi un couple qui a renoncé à un enfant parce que l’hôtel où il veut passer ses vacances ne les accepte pas et je change d’avis.


Cette chronique a été diffusée sur Sud Radio

Retrouvez Elisabeth Lévy dans la matinale

À Madrid, les Mollahs ont tenté de me tuer

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Alejo Vidal-Quadras était à Paris dans le cadre d’une assemblée mondiale de parlementaires. Il a expliqué à Harold Hyman qu’il fallait être ferme face au régime des Mollahs. D’autant qu’Israël les a affaiblis. Il est temps d’agir, pense-t-il.


Longtemps chef des conservateurs en Catalogne, vice-président du Parlement européen de 1999 à 2014, ce professeur de physique nucléaire est opposé au nationalisme catalan, et au régime des Ayatollahs en Iran. En 2023, il échappa à une tentative d’assassinat dans une rue de Madrid. Un tueur à gages lui tira une balle au visage. L’enquête a été confiée à la police espagnole antiterroriste. Plusieurs individus, dont le meurtrier présumé, ont été arrêtés en Espagne, aux Pays-Bas et dans d’autres pays. La sophistication de la tentative porte les marques d’une opération commanditée par un État.

Causeur. Pourquoi cet intérêt pour l’Iran de votre part ?

Alejo Vidal-Quadras. En 1999, au Parlement européen, j’ai été abordé par des amis de l’Iran libre. J’ai rencontré le CNRI, Conseil national de la Résistance d’Iran, également connu du nom de sa principale composante, les Moudjahidines du Peuple d’Iran. Je connaissais déjà le cas de la dictature criminelle en Iran, bien sûr, mais grâce à eux, j’en ai connu les moindres détails. Il s’agit d’une dictature religieuse terroriste, toxique, qui empoisonne toute la région, et qui contamine le contexte mondial global. Elle commet des atrocités contre son peuple, et d’innombrables violations des droits de l’homme. Je me suis engagé contre ce régime, et j’ai fini par faire de cette cause une de mes principales activités.

Pourquoi les mollahs vous haïssent-ils ?

Le régime à une histoire de crime. En Iran, c’est une machine à tuer. Sous la présidence actuelle de Massoud Pezeshkian, un millier de personnes ont été assassinées. Et l’on tue des dissidents en exil. Mais, depuis 2018 ont commencé les attaques contre des personnalités politiques occidentales, celles qui soutiennent le CNRI. Je suis devenu l’une des plus visibles. En octobre 2022 le régime a publié une liste de ses ennemis et moi, j’étais numéro 1. En 2018 déjà, il y a eu un complot pour déposer une bombe à Villepinte lors d’un congrès anti-régime pour tuer Mme Myriam Rajavi, présidente du conseil. Il y eu ensuite d’autres cibles, comme John Bolton, Mike Pompeo, d’autres encore, puis moi, en 2023 à Madrid. Aux États-Unis les complots furent démantelés par les services secrets. En Espagne, le tueur à gages m’a tiré dessus, mais grâce à un geste de la tête, la balle m’a seulement transpercé les deux joues, miraculeusement, puis le pistolet s’est enrayé. J’en ai quand même eu pour sept mois de convalescence. En me ciblant, le régime cherchait à intimider les hommes politiques d’Europe.

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Quelle serait la bonne attitude à adopter envers eux, selon vous ?

La politique de dialogue et de négociation a échoué. Les accords avec les ayatollahs pour un statu quo sur des dossiers commerciaux, industriels ou nucléaires, visant à la coexistence, ne fonctionnent pas. Car le régime considère cela comme de la faiblesse, et il redouble d’agressivité. L’apaisement ne les calme pas, au contraire cela provoque l’effet inverse ! Maintenant, le moment est venu de changer et d’être enfin vraiment fermes. Cela peut paraitre paradoxal. J’ai critiqué toute ouverture d’ambassades dans les grandes capitales diplomatiques, et c’est pourquoi j’ai été ciblé.

En Occident, deux choix s’offrent à nous : soit dialoguer, soit se fermer. En effet, il y a la politique de principes, et la realpolitik. J’accepte que la politique ne puisse pas uniquement consister en de grands principes. Cependant, dans le cas iranien, les deux options convergent totalement : sur le plan pratique, la République islamique d’Iran ne va pas se transformer en démocratie sans bombe.

Quelle différence entre l’Iran et la Chine?

La Chine veut remplacer l’hégémonie des États-Unis. Mais elle ne recherche pas le chaos, elle n’entend pas détruire le monde occidental. Or le programme de République islamique d’Iran est de le détruire. Il faut prendre sa propre idéologie au sérieux. Sur Israël, notamment. Et puis contrairement à la Chine, la République islamique d’Iran crée une crise permanente.

Comment obtenir la fin d’un tel régime ? L’ostracisme, la guerre, une révolte populaire ?

Ce régime n’est pas soutenable, pas viable. Pinochet, Videla, Mussolini, Hitler, Staline – tous finissent mal, c’est une loi de l’histoire. Depuis 46 ans de régime iranien, nous avons la terreur à l’intérieur et à l’extérieur. Le Hamas, les Houthis, le Hezbollah : tous sont ses employés et c’est une manière de survie pour lui ! Les Ayatollahs veulent des armes nucléaires pour terroriser d’autres pays, à l’instar de la Corée du Nord. Aujourd’hui, le peuple iranien vit dans une pauvreté et sous une répression terribles. L’attaque du 7-Octobre 2023 autour de Gaza a été planifiée en Iran, et financée par lui. Le Hamas a suivi les ordres de Téhéran. Mais le régime a une faiblesse : la faillite économique et des protestations internes énormes. Aujourd’hui, les camionneurs sont en grève depuis des jours. Les prix de l’essence sont trop élevés, les routes sont en mauvais état, et les revenus du pétrole prioritairement dirigés vers les fameux proxies ou les cadres du régime. Et puis, la Syrie est tombée, le Hezbollah et les Houthis ont été décimés, Israël a frappé les élites de Hezbollah et du Hamas.

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Comment voyez-vous l’administration Trump à cet égard ?

Elle est plus sévère que celle de M. Biden. Maintenant, on a une opportunité de renverser le régime. Allons vers la démocratie, vers le peuple et avec le CNRI. Il serait naïf de ne pas profiter de l’occasion.

Terminons sur le nationalisme catalan: vous vous y êtes de tout temps opposé. Pourquoi ? Quel est le danger antidémocratique, franchement ?

Je suis catalan, mais le nationalisme séparatiste de la fin du 19e siècle est un projet qui veut un État par nation, ce qui est une doctrine antidémocratique. Le nationalisme n’est pas le patriotisme. Les sociétés actuelles sont plurielles, et le nationalisme uniformise par coercition. Prenons la langue : les nationalistes ne veulent que le catalan, et élimineraient l’espagnol de la société alors que plus de la moitié des Catalans parlent espagnols chez eux ! La conséquence du nationalisme serait l’affaiblissement décrété des droits des citoyens. Et c’est ruineux économiquement. Avec l’indépendance, c’est la sortie de l’Union européenne assurée.

Seriez-vous le dernier spécimen du conservateur humaniste et non populiste ?

J’espère ne pas être le dernier. Je suis un libéral-conservateur. Je serais au groupe des conservateurs réformistes, pas chez les patriotes dont l’idée d’Europe est trop sceptique. Ils n’ont pas compris le projet, même si l’UE se mêle de trop de domaines. Certes, l’UE a son déplorable agenda 2030, et son lot de wokisme… Mais l’union des citoyens et des États dans un grand marché, avec la prospérité à la clé, cela demeure une idée extraordinaire. 

Édouard Philippe, Gabriel Attal: l’effet Retailleau

Édouard Philippe se pose désormais en critique virulent de ce macronisme qu’il a pourtant longtemps incarné avec zèle. Il tente aujourd’hui de faire oublier sa responsabilité dans l’inaction qu’il dénonce. Gabriel Attal, quant à lui, s’illustre avec la mesure symbolique de l’interdiction du voile avant quinze ans, qui relève davantage de la posture politique et du coup d’éclat que d’autre chose.


Ils ont fait leur chemin de Damas. Tout soudain, la révélation leur est venue, la lumière a jailli. De moutons bêlants du macronisme les voilà métamorphosés en contempteurs du régime, en pourfendeurs de ce qu’ils ont accompagné et servi avec zèle, servilité toutes ces années, sans oublier ce surplus d’arrogance, de suffisance qui aura été la marque des dignitaires de l’engeance en place depuis 2017.

Premiers sinistres

Ils font l’un et l’autre le procès de l’inaction de l’État, de l’impuissance publique dont ils ont été, cependant, parmi les tout principaux agents, ayant occupé tous deux les fonctions de Premier ministre. Premiers sinistres, comme disait Coluche.

Leur réquisitoire ne manque pas de sel. Selon eux, rien de ce qu’il fallait faire pour éviter à la France de se retrouver dans l’état déplorable qu’on lui connaît, et aux Français un tel désarroi, n’a été entrepris, ni même énoncé. « Le pouvoir ne s’est pas emparé des problèmes que nous avions sous les yeux, immigration incontrôlée, insécurité galopante, endettement phénoménal… », dit en substance Gabriel Attal. Nous sommes victimes, sur ces sujets et d’autres encore, de nos mensonges, surenchérit Edouard Philippe dans son pamphlet précisément intitulé Le prix de nos mensonges (Alors que « mes » mensonges en titre aurait eu le mérite d’induire une édifiante humilité. Mais l’humilité, chez les disciples du très raide et très pontifiant Alain Juppé, ne figure pas au nombre des vertus de forte pratique.)

Un peu de décence !

Bref, de voir MM. Philippe et Attal instruire avec férocité le procès des gouvernements Philippe et Attal serait fort divertissant si ce n’était si pathétique. Et diablement culotté, car, tout comme pour l’humilité, on ne peut guère dire que la plus élémentaire décence les étouffe.

Le cas de M. Philippe est particulièrement intéressant. Il se dit en colère. L’est-il à propos de sa bonne ville du Havre qui brille aujourd’hui au firmament des méga-poubelles du narco-trafic ? Non, pas vraiment. D’ailleurs, que fait-il pour endiguer la submersion mortifère, que propose-t-il ? Peu de chose, à vrai dire. Rien. Non, il regarde ailleurs, plus loin, plus haut. Élysée 2027. Arrivé sur le porte-bagage d’ Antoine Rufenacht à la mairie du Havre, sur celui d’Emmanuel Macron, au gouvernement de la France, il n’a plus désormais qu’un rêve en tête, un but suprême : prendre enfin lui-même le guidon. C’est sa ligne bleue des Vosges.

A lire ensuite, Philippe Bilger: L’inaction du pouvoir est-elle obligatoire?

Mais voilà que se dresse sur son chemin un obstacle. Un obstacle que sa suffisance, son arrogance ne lui ont pas permis de voir venir : Bruno Retailleau. Le Vendéen et sénateur Retailleau avec son parler vrai, son diagnostic sans complaisance, ses préconisations courageuses, décapantes. Et de surcroît son franc succès à l’élection pour la présidence LR. Un plébiscite, disent ceux qui s’y connaissent. Alors il fallait bouger, se remuer, feindre être homme d’action, de conviction, de détermination, et donc enfourcher le cheval commode de l’indignation, fourbir en quelques semaines le brûlot, le pamphlet qui marquera les médias à défaut des esprits. Brandir sa colère. La colère molle d’une tête molle, dans la grande tradition des gouvernants de ces quatre ou cinq dernières décennies qui ont conduit le pays là où il est. Selon le magazine Le Point, l’auteur, aurait donné avec cette ire de papier « un spectaculaire coup d’accélérateur à sa campagne présidentielle ». Et « pris de vitesse ses concurrents, nombreux sur la ligne de départ ».

À voir. Le chemin est encore long et la colère toujours éphémère. C’est sa nature même. Elle passe. Ses effets aussi. Il restera donc à l’ambitieux à beaucoup pédaler et pédaler encore. Pour un homme de porte-bagage ce n’est sans doute pas l’exercice le plus évident.


Attal : l’idée lumineuse
 
De son côté, Gabriel Attal ne pouvait rester sans rien faire. Il lui fallait bien montrer que, lui aussi, prenait à bras le corps les problèmes de la France. Parmi ceux-là : l’entrisme islamique. Interdiction du port du voile dans l’espace public avant quinze ans, voilà sa grande idée. On voit d’emblée combien il serait facile de faire respecter cet interdit, de contrôler l’âge des porteuses, d’établir un barème de sanctions – récidive, non-récidive, etc… – et surtout de les faire appliquer. Avant quinze ans ? M. Attal considérerait-il qu’après cet âge le port du voile dans l’espace commun ne pose plus aucun problème ? Il conviendrait alors qu’il s’exprime sur ce point. Et si telle est son opinion, qu’il nous explique au passage en quoi ce qui ne poserait aucun problème après cette butée en poserait avant. Qu’importe ces questions de simple bon sens pour le susnommé ! l’essentiel n’est-il pas de gesticuler ?
 
Cela aura au moins eu le mérite de donner à Mme Panot, M. Ruffin et M. Caron – tous trois plus ou moins LFI – l’occasion de s’illustrer une fois encore dans le grotesque. Leur grande trouvaille : mettre sur le même plan le port du voile des fillettes et le baptême chrétien des enfants « à un âge où ils ne sont pas capables de consentir », dixit Mme Panot.
 
Comparaison inepte, bien évidemment. Le baptême chrétien, lui, ne s’impose pas qu’aux filles, mais également aux petits garçons. Il ne différencie pas, il ne stigmatise pas un sexe en particulier. De plus, il ne s’accompagne d’aucun signe ostensible, visible dans la sphère publique. Enfin, le baptisé fait exactement ce qu’il veut ensuite – c’est sa liberté de conscience – du sacrement reçu. Cela sans que quiconque, sauf à pénétrer son cœur et son esprit, n’ait à en connaître. La liberté la plus grande, la liberté individuelle y est donc attachée. Tout le contraire du voile, manifestation d’inféodation, de soumission à une règle de conduite arbitrairement imposée par le masculinisme du dogme religieux de référence. Aussi attend-on dans la fièvre la réaction des féministes pures et dures…

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Manon sauvée par le chant

Lyrique: flanquée de Joséphine Baker, une Manon bizarrement téléportée dans les Années folles… À l’Opéra-Bastille, heureusement, le cast vocal, Benjamin Bernheim en tête, sauve la mise.   


Paradoxe de notre époque : si prompte à dénoncer la domination masculine et à victimiser la prostituée, elle ne se fait pas faute de célébrer, en l’héroïne immortalisée par l’abbé Prévost (1697-1763) dans Histoire du chevalier des Grieux et de Manon Lescaut – mais qui lit encore ce roman ? –  une catin qui, son amant ruiné par les largesses qu’il lui a consenti, n’hésite pas à le larguer pour son rival, quitte à voir le micheton Des Grieux sacrifier fortune, famille, réputation, pour celle dont il sait pourtant qu’elle le trompera indéfiniment – les exigences du métier.  

Triomphe immédiat

Achevé en 1884 pour l’Opéra-Comique, le Manon de Jules Massenet n’en revêt pas moins, tant par sa facture que par sa très longue durée, les dimensions du « Grand opéra français » dans la meilleure tradition flamboyante, tour à tour allègre et lacrymogène, comme la bourgeoisie parisienne prisait alors ce divertissement. Ainsi le compositeur fait-il appel à Henri Meilhac et Philippe Gilles, les deux librettistes star de l’époque : triomphe immédiat, qui ne s’est jamais démenti depuis.

Après la mise en scène de Coline Serreau en 2011-2012, l’Opéra-Bastille avait confié en 2020 une nouvelle production à un émule de Patrice Chéreau puis de Peter Sellars, Vincent Huguet, – décidément poursuivi par la malchance : les grèves contre la réforme du régime des retraites avaient eu raison alors de toutes les représentations quasiment, puis en 2022 le Covid en empêchera encore quelques-unes, patatra. Pour cette troisième reprise, Pierre Dumoussaud prend la relève du jeune chef américain James Gaffigan au pupitre, tandis que, suite au désistement de Nadine Sierra, c’est la soprano égyptienne Amina Edris qui assure le rôle-titre, portée par un beau vibrato quoique sa diction ne rende pas toujours le texte parfaitement intelligible (heureusement, c’est toujours surtitré à l’opéra)  ; elle l’avait déjà chanté il y a cinq ans. Benjamin Bernheim campe une nouvelle fois Des Grieux, du moins dans les premières représentations (jusqu’au 9 juin), relayé par notre Roberto Alagna national (pour celles du 11 au 20 juin) qu’on retrouvera d’ailleurs à l’Opéra-Bastille en novembre prochain dans Tosca, pour incarner Mario… Certes Alagna n’a plus rien à prouver dans cet emploi du Chevalier, qu’il connaît par cœur pour l’avoir endossé maintes fois. Mais Bernheim reste sans conteste LE jeune ténor le plus fabuleux du moment, scéniquement irréprochable, doté d’un timbre d’une fraîcheur sans pareille, souligné par une diction impeccable, pour le coup – il n’est que de rappeler sa prestation miraculeuse dans Werther (Massenet, encore, dans l’apothéose de sa création lyrique !) en avril dernier, au Théâtre des Champs-Élysées. Le public ne s’y trompe pas, qui l’a ovationné comme jamais, au soir de la première, le 26 mai dernier. Le reste de la distribution ne dépare pas ce palmarès : qu’il s’agisse du baryton polonais Andrzej Filonczyk (Lescaut) ou de la basse Nicolas Cavallier (Comte des Grieux), comme des autres rôles féminins tenus par Ilanah Lobel-Torres (Poussette), Marine Chagnon (Javotte) et Maria Warenberg (Rosette), membres toutes trois de la troupe lyrique maison.

Hors sujet

Il faut bien en venir toutefois (cf. l’article que votre serviteur lui consacrait il y a trois ans) à ce qui contrarie cette performance lyrique : le choix, gratuit, superflu, anachronique, d’en transposer l’action dans les Années folles. Ainsi le premier acte prend-il place dans un espace qui renvoie à la plastique du Palais de Tokyo, ou à celle du Palais d’Iéna (anciennement musée des Travaux public et qui, comme chacun sait, construit par Auguste Perret dans les années Trente sur la colline de Chaillot, abrite aujourd’hui le Conseil économique et social).  Au deuxième acte, l’appartement de Des Grieux et de Manon, rue Vivienne, plus démeublé que meublé, se donne ici, bizarrement, des airs de réserve de musée…  Premier tableau du troisième acte, le Cours-la-reine (selon les indications du livret) se voit téléporté dans le décor d’une salle de bal placée sous le signe de la Café Society – pourquoi pas ? Le second tableau de l’acte, sensément sis dans le parloir du séminaire de Saint-Sulpice, migre quant à lui dans l’enceinte de l’église actuelle, évoquée à travers la reproduction symétrique à l’échelle 1 des deux toiles monumentales de Delacroix qu’on peut toujours y admirer dès le portail franchi : La lutte avec l’ange, et Héliodore chassé du Temple. Si cela suscite chez tel ou tel spectateur une vocation d’amateur d’art, ce sera toujours ça de gagné. De là à annexer une Manon coiffée à la garçonne, à la célébration de la regrettée Joséphine Baker (que clone ici la comédienne Danielle Gabou) pour greffer sur le canevas de l’opéra une espèce d’intrigue au second degré particulièrement fumeuse au plan intellectuel, voilà qui relève, purement et simplement, du hors sujet.

Manifestement Huguet n’en a cure, qui, en guise d’amorce au deuxième acte, incruste devant le rideau de scène, assortie d’un numéro de cabaret chorégraphié en live, la projection d’un extrait du film réalisé par Marc Allégret en 1934, Zouzou, où l’idole récemment panthéonisée chante « C’est lui » en se dandinant…


Manon, opéra-comique de Jules Massenet. Avec Amina Edris, Benjamin Bernheim/Roberto Alagna, Andrej Filonczyk, Nicolas Cavallier, Nicholas Jones, Régis Mengus, Lianah Lobel-Torres, Marine Chagnon, Maria Warenberg, Philippe Rouillon, Laurent Laberdesque, Olivier Ayault.

Direction : Pierre Dumoussaud. Mise en scène : Vincent Huguet. Orchestre et chœurs de l’Opéra national de Paris.

Durée : 3h50

Les 6, 9, 11, 14, 17, 20 juin à 19h ; le 1er juin à 14h.

La « fête des familles », le dernier chic

Une commune belge supprime la fête des Mères et des Pères dans ses écoles


Uccle est une commune huppée de Bruxelles. On y croise des femmes portant des vêtements de marque davantage que des hijabs ; les voitures sont frappées d’un logo à trois lettres et les habitations sont des villas ; l’extrême gauche y a même déjà organisé une « promenade guidée chez les super riches ». On aurait pu penser que le wokisme ne franchirait pas les frontières de ses quartiers habituellement préservés des autres réalités qui ont fait la triste réputation de Bruxelles. 

Boris Dilliès, le bourgmestre (=maire) libéral, issu d’un parti qui avait pourtant promis de mener la guerre à la cancel culture, vient de décider d’y supprimer la fête des Mères et des Pères et de la remplacer par une très vague « fête des familles » ayant lieu à une date située entre les deux habituelles célébrations. Cela permettra, selon l’échevine Carine Gol-Lescot, veuve du pourtant très à droite Jean Gol, de célébrer « les beaux-parents, les grands-parents, ou encore l’éducateur ». Et pourquoi pas, tant qu’à être inclusif, l’animal de compagnie, les voisins, les amis, les amours et forcément les emmerdes ? C’est-à-dire tout le monde et donc plus personne.

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On est en 2025, il faut vivre avec son temps, entend-on déjà se gargariser les défenseurs de la mesure. Évidemment, la famille traditionnelle – nucléaire, diraient les sociologues – a vécu et le modèle qui a prévalu jusqu’à il y a deux décennies environ, composé d’un père, d’une mère et d’une fratrie, n’est plus. Il y a désormais des couples homosexuels, composés de deux mères ou de deux pères, certains parents qui ont abandonné leurs enfants et des enfants élevés par d’autres personnes que leurs géniteurs. Et puis, « père » et « mère » sont des gros mots : dites « parent 1 » et « parent 2 » si vous ne souhaitez pas passer pour d’affreux réac. 

Faut-il, pour autant, jeter en pâture le socle familial qui est à la base de notre modèle civilisationnel, au simple motif des bouleversements récents ? Est-il obligatoire de systématiquement céder à la déconstruction opérée par quelques Docteur Folamour ? Doit-on vraiment priver les enfants du traditionnel bricolage et de la poésie qui l’accompagne ? Et surtout n’y a-t-il pas plus urgent à régler pour l’équilibre et l’avenir des enfants ? Notons qu’au même moment, à Evere, autre commune bruxelloise, une fête scolaire a proposé, le week-end dernier, un spectacle en soutien à la Palestine, au cours duquel des enfants embrigadés dansaient en keffieh sur la musique « My blood is Palestinian ».  En Belgique, on s’évite les rappels aussi niais qu’erronés sur l’invention de la fête des Mères par Pétain. Malheureusement, on n’esquive pas le wokisme ; et voilà que la célébration des mères, existant depuis l’Antiquité grecque, et celle des pères, est prise sous les feux grégeois du progressisme incendiaire. 

Quand l’affiche guidait le peuple

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Jusqu’au 6 juillet, le Musée d’Orsay, en collaboration avec la Bibliothèque nationale de France, met à l’honneur les maîtres de l’affiche de la seconde moitié du XIXᵉ siècle – une époque où la rue éduquait le regard des Parisiens


Au-delà du message politique et social, de l’enrobage culturel, de la fonction didactique de cette exposition intitulée « L’art est dans la rue », de son argumentaire historique irréprochable, de toute la bonne volonté instructive de nos chères institutions, c’est leur mission, nous informer en replaçant les affiches dans leur contexte, une vérité banale, triviale apparaît et nous décille. Elle éclate dans les couloirs d’Orsay sous les joyaux de l’impressionnisme, au rez-de-chaussée.

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Avant le fatras des idées qui réconfortent les professeurs, le besoin de tout régenter intellectuellement, un constat s’impose à la vue de tous ces tableaux urbains où se marient le génie de l’imprimerie moderne d’alors et le trait du créateur : Paris s’est enlaidie en un siècle et demi. La publicité d’aujourd’hui a revêtu les habits d’un camelot hâbleur et vulgaire. De grandes photos montrant des sacs à main et des mannequins alanguies recouvrent nos bâtiments nationaux dans une geste criarde et déjà périmée. Cette publicité qui salit le regard est le fichu d’une globalisation saturée d’images. Les colonnes Morris sont mortes de honte. Le graphisme a été remplacé par le faux éclat du mirage commercial. Une propagande grossière, poussive, flattant on ne sait trop quel hypothétique acte d’achat. La ménagère a été abandonnée par les artistes. Les marchands à court d’idées, se vautrant dans la facilité esthétique et la démagogie langagière, n’ont même plus le respect du badaud. Du furtif. Du promeneur. Le peuple de Paris baisse la tête, il ne s’attarde plus sur les murs de sa capitale. Il file. Il s’extrait de son environnement extérieur pour retrouver la chaleur de son foyer. Il fuit les lumières de sa propre ville. Il a perdu toute capacité à s’émerveiller.

Aux lueurs du capitalisme industriel et des progrès techniques, les communicants avaient au moins la volonté de faire semblant, de nous alpaguer sur le trottoir, de nous émouvoir, de nous charmer, de nous intriguer, de nous faire lire, voter, pédaler, conduire ou s’habiller élégamment. Ils suscitaient par le placardage intensif l’intérêt de leurs futurs clients. La courtoisie de la Belle époque n’a plus cours. Il faut absolument voir cette collection de 230 œuvres majeures qui furent en leur temps balayées par le vent et la rumeur des faubourgs, à l’air libre ; car elles sont belles. Belles dans leurs couleurs, dans leurs recherches stylistiques, dans leur féérie, dans leur élan républicain ou leur secousse anarchiste. Dans leur onde nostalgique qui n’en finit plus de se propager dans nos esprits. Le Musée d’Orsay a réuni les cadors du métier, ils s’appelaient Bonnard, Chéret, Grasset, Mucha, Toulouse-Lautrec, Steinlen, etc. Qu’ils promeuvent La Belle Jardinière, Le Moulin Rouge, le dernier Émile Zola, la Chaîne Simpson, les automobiles Brasier, des jouets pour les étrennes, le Palais de l’Industrie, la Goulue, une belle redingote ou qu’ils alertent sur les profiteurs de guerre, ils furent les nouveaux architectes de la rue, plus qu’un décor, ils façonnèrent la caisse de résonance de toutes les mutations du moment.

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À vrai dire, au commencement de cette exposition, on est sur nos gardes, comment des affiches par nature éphémères et fragiles peuvent-elles égaler des peintures ? Elles les surpassent souvent par leur inventivité, leur audace, leur composition et leur profondeur. Elles sont notre identité urbaine. Nous ne savions même pas que nous conservions inconsciemment ces images dans notre tête. Ces affiches nous sont familières, elles sont le canevas de notre propre frise chronologique, Aristide Bruant avec son écharpe rouge nous salue, plus loin l’écolier au petit-beurre nantais ou la fillette du chocolat Menier nous rappellent les douceurs de l’enfance, le Quinquina Dubonnet était la boisson vedette des bistrots, toutes ces affiches semblent nous appartenir. Elles sont notre mémoire collective. Elles nous amusent parfois, nous fascinent par leur majesté populaire et nous font amèrement regretter cette ville nouvelle aux façades ternes.


Informations pratiques sur le site du musée: Exposition L’art est dans la rue | Musée d’Orsay
16 € l’entrée

Tendre est la province

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Un livre à soi

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Virginia Woolf © Havard Theater Collection/Wikimedia Comm

Pour ses cent ans, « La Pléiade » offre un beau coffret à Mrs Dalloway, le roman le plus connu de Virginia Woolf. L’occasion de lire ou de relire ce chef-d’œuvre qui n’a pas pris une ride


Pour son centenaire, la prestigieuse collection La Pléiade offre à Mrs Dalloway un somptueux écrin qui réunit d’autres écrits, notamment Orlando et Une chambre à soi, œuvres majeures de l’auteure anglaise. Publié en 1925, Mrs Dalloway connaît d’emblée un succès retentissant, lequel ne s’est pas démenti depuis. Virginia Woolf entame sa rédaction dans un climat de confiance. Elle vient de publier La Chambre de Jacob à The Hogarth Press, maison d’édition qu’elle dirige avec son mari. Le livre est un best-seller. Elle se sent enfin un écrivain à part entière.

Mrs Dalloway prend d’abord la forme d’une nouvelle – Mrs Dalloway in Bond Street, transcrite dans le présent volume – qui paraît dans la revue The Dial en 1922. Trois mois plus tard, Virginia Woolf décide d’en faire un roman et note dans son Journal : « Pour ce livre j’ai presque trop d’idées – je voudrais exprimer la vie et la mort, la raison et la folie. Je voudrais critiquer le système social ; le montrer à l’œuvre dans toute sa rigueur. » Le livre s’ouvre sur cette phrase désormais célèbre : « Mrs Dalloway dit qu’elle se chargerait d’acheter les fleurs. »

Nous sommes à la mi-juin. Une femme déambule dans Londres à la recherche d’un bouquet pour la réception qu’elle donne le soir même. Cette femme est Clarissa Dalloway, « elle avait quelque chose d’un oiseau, un geai, bleu-vert, avec une légèreté, une vivacité, bien qu’elle ait plus de cinquante ans et qu’elle ait beaucoup blanchi depuis sa maladie ». Et tandis qu’elle marche dans les rues au rythme des cloches de Big Ben, les pensées se pressent dans sa tête auxquelles l’écrivain donne un accès direct. Ce que l’on appellera le « flux de conscience » est né. Une audace formelle et narrative que la romancière, désormais débarrassée du souci de plaire aux éditeurs, s’autorise avec jubilation.

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« Je suis certainement moins contrainte que jamais », note-t-elle au bout d’un an de rédaction. Passé l’enthousiasme des débuts, Virginia Woolf confesse que ce livre est sans doute l’un des plus « torturants », des plus « réfractaires » qu’elle ait eu à écrire, pour concéder au bout de quelques mois qu’aucun « n’a encore eu une structure aussi remarquable ». Le chef-d’œuvre est là. Elle y met toutes ses obsessions. Ses fascinations. Ses hantises. Son amour pour Londres « joyau des joyaux, jaspe de la gaieté ».

Son attirance pour les femmes : « Elle ne pouvait résister parfois au charme d’une femme. (…) Elle ressentait alors ce que ressentent les hommes. Un instant seulement, mais c’était assez. » Sa peur de la folie également. Woolf, qui n’a eu de cesse de composer avec la maniaco-dépression, en est miraculeusement épargnée durant la rédaction de son roman. Aussi n’a-t-elle qu’une crainte : que le personnage de Septimus, qui en est atteint, fasse ressurgir en elle les symptômes de la maladie. « Par certains côtés ce livre est un exploit », écrit-elle le 17 octobre 1924, alors qu’elle vient de le terminer. Un exploit dont cent ans après on continue d’admirer le génie et la modernité.


Virginia Woolf, Mrs Dalloway et autres écrits, « La Pléiade », Gallimard, 2025, 800 pages.

Alexandra Lemasson, Virginia Woolf, « Folio biographies », Gallimard, 2005, 272 pages.

Mrs. Dalloway et autres écrits: Tirage spécial

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Louis Bonaparte: le jeune frère mal-aimé de Napoléon

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Louis Bonaparte © Perrin

Frère méconnu de Napoléon Ier, père du futur Napoléon III, Louis Bonaparte est longtemps resté une figure pâle de l’épopée impériale. François de Coustin redonne chair à ce « roi rebelle et mélancolique », tiraillé entre sa loyauté familiale, ses aspirations contrariées et une santé déclinante.


Le père de Napoléon III est un oublié de l’histoire. À Luigi, ce petit frère d’abord tant chéri puis si mal-aimé de l’ Empereur, né en 1778 de Carlo Maria et de Letizia Buonaparte,  François de Coustin consacre une biographie magistrale. Louis Bonaparte voit le jour derrière Giuseppe (Joseph, 1868), l’aîné des enfants, puis Napoleone (1769, mort en bas âge), Luciano (Lucien, 1775), et Maria-Anna (Elisa, 1777). Après lui naîtront Paolina (Pauline, 1780), Maria-Anunziata (Caroline, 1782) et enfin Girolamo (Jérôme,1784), le petit dernier.

Un homme mal dans sa peau

Celui qui, de son union mal assortie avec la reine Hortense, donnera le jour au souverain du Second Empire, a traversé l’épopée du Premier Empire et les années consécutives à sa chute en personnage d’arrière-plan, balloté par des événements sur lesquels il n’est jamais parvenu à imposer sa marque. Au-delà du récit passionnant de cette existence en somme assez pathétique, le livre restitue – et c’est ce par quoi il dépasse de très haut la simple visée anecdotique – le contexte géopolitique dans lequel l’incroyable saga familiale, sous la férule de Napoléon, se cristallise.

François de Coustin le souligne, les enfants Buonaparte sont nés de parents très jeunes : en 1764, date de leur mariage, Charles a dix-huit ans, Letizia quatorze ! L’ascendant porté par le génie de Napoléon sur ses frères et sœurs se manifeste très tôt. Car Charles meurt en 1785. Et Marbeuf, l’ancien amant de Letizia, qui est aussi le parrain de Louis, décède à son tour en 1786. Parti faire ses études sur le continent, Napoléon, dès 1791, « dans un pays en pleins troubles révolutionnaires » prend en charge l’éducation de son cadet alors âgé de douze ans-et-demi, l’emmenant avec lui, supervisant ses fréquentations, intriguant pour pousser ses études, et bientôt sa carrière d’officier. Propulsé à la tête de l’armée d’Italie, le général Bonaparte en fait son aide de camp. Mais « les infirmités physiques de Louis commencent à se manifester » de bonne heure. « Personne ne pense aux conséquences d’une chute de cheval oubliée de tous ». C’est pourtant là, semble-t-il, l’origine de sa santé défaillante ; elle ne cessera de se délabrer au fil des années. Louis usera et abusera des cures pour tenter, en vain, d’éradiquer la paralysie qui envahit son corps. En proie à des affections rhumatismales et autres douleurs articulaires toujours plus incommodantes, Louis se verra privé progressivement de l’usage de sa main jusqu’à ne plus pouvoir écrire, puis seront atteints ses membres inférieurs. « Ce malade qui se voyait en danger de mort en permanence » sera pourtant, avec son cadet Jérôme, le dernier survivant des Bonaparte de sa génération (Elisa meurt en 1820, Pauline en 1825, Madame mère en 1836, Caroline en 1839, Lucien en 1840, Joseph en 1844). Dès 1839, Louis, grabataire, « se servait difficilement de ses bras et ne marchait […] que soutenu sous chaque bras par un domestique ». On lui suppute aujourd’hui une sclérose en plaques. Sous le nom de comte de Saint-Leu, âgé de 67 ans, Louis Bonaparte rend son dernier soupir le 25 mai 1846. En 1837, la reine Hortense l’avait précédé dans l’au-delà.

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Conté par François de Coustin dans un luxe de détails fascinant, ce récit palpitant scande les étapes de la vie du « roi rebelle et mélancolique », pour reprendre le sous-titre de cette ambitieuse biographie de plus de 600 pages, la première, à ma connaissance, exclusivement consacrée au seul Louis Bonaparte. Mais aussi bien la prose érudite, limpide et acérée de l’émérite historien recolore pour nous, au fil des pages, le paysage géopolitique, sociologique, mondain du temps, avec une extraordinaire puissance d’évocation.

Un pion dans les ambitions de Napoléon

Rembobinons :  l’emprise de Napoléon sur sa fratrie grandit à la mesure de sa gloire naissante – Arcole, Rivoli, campagne d’Egypte… Longue réticence de Louis à épouser Hortense de Beauharnais ; fréquentation des salons (Germaine de Staël) par un garçon qui à l’instar de ses frères, « taquine la plume » et qui, vite « mal à l’aise d’y être traité comme le frère du Premier consul et non pour lui-même, fuit la société »…  Décrit par un ami comme « fort brun, fort velu » avec « beaucoup d’embonpoint », Louis, à 22 ans, en paraît 27 !  Ce « cœur incertain » – pour reprendre le titre d’un des chapitres du livre – est surtout celui qui, sa vie durant, ne sera jamais qu’un pion dans les ambitions sans limites de Napoléon, capable de lui écrire, tout de même : « vous ne sauriez être indépendant, je ne le souffrirai pas ».

Dans leurs tardifs Mémoires « écrits bien après leur acrimonieuse séparation », Louis, comme Hortense, décrivent leur vie conjugale comme un enfer de tous les instants. Ils parviendront pourtant à faire trois enfants. Mari irascible, ombrageux, maladroit, jaloux, Louis souffre qu’Hortense soit systématiquement soutenue contre lui par Napoléon, à l’autorité duquel il se soumet à son corps défendant, plus impérieuse à mesure que s’accroît sa puissance : « je hais la grandeur, le faste, les distinctions, les décorations, etc. […] Je tiens tout de mon frère  […] La nation doit fournir à ses chefs, mais non à ceux qui n’ont de commun avec eux qu’un nom donné par le hasard », confesse Louis à Mésangère, son ami de cœur.

Nommé général de brigade à son corps défendant en 1801 par son frère consul, il démissionne – avant de se raviser. Devenu empereur, obsédé par la continuité dynastique, seule capable à ses yeux de de sédimenter son pouvoir, Napoléon a retiré la succession du trône à ses frères, et Joseph ne pouvant avoir d’enfant, il la remet entre les mains du premier fils de Louis et d’Hortense, le petit Napoléon-Charles, la stérilité de Joséphine aidant à faire de ce dernier le  « centre de toutes les attentions ». Piétinant les droits légitimes de ses frères, Napoléon, pragmatique, a réglé la question par le sénatus – consulte instaurant l’Empire héréditaire, un article prévoyant que « Napoléon peut adopter les enfants ou petits-enfants de ses frères » si lui-même n’a pas d’enfants. Face à la rébellion des sœurs, Napoléon répond, narquois : « à voir vos prétentions, mesdames, on croirait que nous tenons notre couronne du feu roi notre père ».

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En attendant, Louis, nommé conseiller d’État, se voit promu… connétable, dignité purement honorifique, contraignante mais lucrative – qui l’accable. Napoléon impose en outre que les prénoms de tous les enfants de la famille soient précédés de « Napoléon » : d’où « Napoléon-Louis », dont la naissance, au demeurant, est éclipsée par le sacre de l’Empereur. Sans ce qu’il appelle son « système », Louis ne « compte pour rien ». Bientôt nommé « gouverneur de Paris », « le militaire qu’il est censé être mène surtout campagne contre son corps », note plaisamment François de Coustin. À 27 ans, le voilà « écrasé sous des honneurs et des responsabilités dont il se passerait volontiers ». Quand, en juin 1806, son frère le propulse roi de Hollande sous le nom de « Lodewijk Napoléon », Louis n’y voit « qu’un exutoire aux difficultés de son ménage ». Roi vassal, rudoyé sans trêve par son frère dominant (Louis ne l’appelle jamais autrement, dans ses lettres, que «  sire », ou « Votre Majesté » !)  ce souverain malgré lui va, contre toute attente, s’éprendre de son royaume, et  chercher à « s’imposer aux yeux de son peuple, mais aussi aux yeux de l’Empereur, comme un roi de plein exercice ». Au point de vouloir se faire couronner… jusqu’à ce qu’il n’en soit plus question !

Des relations familiales compliquées

François de Coustin n’a pas son pareil pour rendre passionnant le récit de ces rapports acrimonieux entre les deux frères, sur la base de leur correspondance. Celle-ci révèle un Napoléon colérique, acide, d’une brutalité inouïe.  Quand meurt Napoléon-Charles, l’aîné des fils de Louis, Napoléon se contente d’écrire à Fouché : « j’avais espéré une destinée plus brillante pour ce pauvre enfant ». En 1808, la naissance de Charles-Louis-Napoléon [sic !], troisième fils d’Hortense, enflamme «  la machine à ragots » […], « la médisance [quant à la paternité de Louis étant] surtout le fait du clan Bonaparte, ravi de pouvoir nuire au clan Beauharnais, et Caroline est à la manœuvre ». Séparés, Louis et Hortense se disputeront âprement la garde de l’enfant, dans le même temps où le roi de Hollande « rêve d’asseoir sa légitimité » : « Louis se voit en souverain et Napoléon en suzerain ».  En 1811, l’Empereur annexe la Hollande, « petit territoire dans un empire napoléonien en perpétuelle expansion ». Napoléon réclame à son frère la conscription, qu’il n’obtiendra jamais ; Louis impose l’uniforme blanc à l’infanterie hollandaise ; « s’ancre chez ses sujets l’image du goed Lodewijk, ‘’le bon Louis’’ »… Lorsque le Blocus continental  en vient à assécher les finances du royaume, « Louis finasse », contre les instructions de son frère, pour protéger le commerce : « empêchez donc la peau de transpirer ! », écrit-il en réponse aux « aboiements » [sic] d’un Napoléon mû par sa volonté implacable. Lassitude, détresse, abattement de Louis. Napoléon : « le climat de Hollande ne vous convient pas […] Je pense à vous pour le royaume d’Espagne […] Répondez-moi catégoriquement. Si je vous nomme roi d’Espagne, l’agréez-vous ? Puis-je compter sur vous ? ». Refus de l’intéressé.  De guerre lasse, « Napoléon n’insiste pas et prépare Joseph à son nouveau poste ».

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D’épidermique, le conflit entre les deux hommes s’envenime, pour devenir frontal en 1809 : « l’économie d’un roi n’est pas celle d’un prieur de couvent », lui écrit l’Empereur, dans une de ses lettres courroucées, insultantes, voire menaçantes : « c’est avec de la raison et de la politique que l’on gouverne les Etats, non avec une lymphe âcre et viciée », lui mande encore son frère.  « Estomaqué », pour reprendre l’expression du biographe, Louis vit « la fin des illusions » dans l’angoisse, perpétuellement dupe du jeu de Napoléon, et ne comprenant pas ce qui lui arrive. Avec, en toile de fond, sa lutte infatigable pour récupérer, non plus même sa femme qu’il jalouse maladivement, et qui ne cesse de le fuir, mais au moins l’aîné de ses fils ! « Sciemment et cyniquement, écrit Coustin, Napoléon met en place des conditions d’une rupture avec Louis », dont on suit ici pas à pas le calvaire, jusqu’à l’abdication pathétique : quatre ans et un mois de règne à peine ! « S’ajoute à l’attitude de Napoléon l’écrasante dignité impériale, celle qui a mis fin au tutoiement entre les frères et sur le respect de laquelle il est aussi vétilleux que sur celui de la livrée du cocher de son ambassadeur », observe l’auteur.

Une fin de vie isolée et mélancolique

Louis, dès lors, va vivre sa « solitude en commençant par orchestrer sa propre disparition ». Tour de force dans un pays aussi contrôlé que celui de Napoléon, qui redoute (et empêche) qu’il ne s’embarque pour l’Amérique. « Dites-moi, je vous prie, s’il me permettra de vivre tranquille et obscur », supplie Louis dans une lettre à Madame Mère. Sombrant en dépression, se prenant à rêver d’un chimérique retour dans sa Corse natale, « c’est par son propre choix qu’il s’émancipe de ce passé pour devenir désormais le comte de Saint-Leu ». Exilé à Töplitz dans l’actuelle République tchèque, puis à Gratz, en Autriche, la Hollande autoritairement transformée en dix départements français lui reste une plaie ouverte, un mirage fantasmé. Il refuse l’offre d’un apanage royal doté de deux millions annuels –  Hortense n’aura pas de tels scrupules, et s’en empara. Se voulant désormais un simple particulier, Louis tentera pourtant une dernière fois de récupérer son trône de Hollande dans l’agonie du Premier empire, ultime velléité d’action. Trop tard : la maison d’Orange reprend possession du pays. Le 1er janvier 1814, Louis rentre à Paris et s’installe à l’hôtel de Brienne… chez maman ! À Joseph, Napoléon écrira de lui : « je lui ai toujours connu le jugement faux. C’est un enfant qui fait le docteur ». Netflix pourrait faire une série à suspense des minutes du procès à épisodes intenté par Louis, en 1815, pour récupérer la garde de ses enfants ! Le verdict rendra Napoléon-Louis, l’aîné, à Louis ; et Louis-Napoléon, le cadet, à Hortense.

Graphomane, exilé à Rome puis à Florence après la chute de l’Empire, le comte de Saint–Leu, bientôt « M. Louis » (à la Restauration, Louis XVIII érigera en duché les terres de Saint-Leu) reviendra continument sur les épisodes de sa vie dans de multiples tentatives avortées d’écrire ses Mémoires. Coutumier des amours juvéniles, Louis tentera de demander sa main à la princesse Vittoria Odeschalchi – dix-sept ans !  « Je désire comme à seize ans », écrit-il dans un poème publié en 1831 sous le titre Les Regrets. Ce romantique mal conformé, « transi de beautés à peine nubiles », croira trouver chaussure à son pied (si l’on ose dire) en la personne d’une autre promise également âgée de dix-sept ans, une certaine Julia-Livia Stiozzi Ridolfi – tentative d’escroquerie au mariage, mais « Arnolphe s’est méfié à temps d’Agnès », pour reprendre la fine formule de François de Coustin. La dame lui survivra jusqu’en 1862. Louis épanchera ses amertumes en alignant des vers : «  Sous votre empire tyrannique/ Ô femmes j’ai passé trente ans/ Dans une attente chimérique/ Ou dans les regrets déchirants »…

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Quid de la progéniture ? Joseph, l’aîné, exilé aux États-Unis, est de loin le plus riche de la fratrie.  L’aînée de ses filles, Zénaïde, convole avec Charles-Julien, fils de Lucien. Charlotte, sa fille cadette, rentrée en Europe, « haute comme une naine et excessivement laide », se voit promise au fils aîné de Louis, le seul dynaste ; ils ne procréeront pas.  La rougeole foudroie Napoléon-Louis en 1831. Quant à l’Aiglon, il meurt à Vienne un an plus tard. La destinée fulgurante de Louis-Napoléon est en route… Que son géniteur paralytique ait pu vivre six ans de plus, et il assistait à la naissance du Second Empire ! Comme quoi !

On pense à Guillaume Apollinaire, dans La Chanson du Mal-Aimé : « Destins, destins impénétrables/Rois secoués par la folie… »  


A lire : Louis Bonaparte, roi rebelle et mélancolique, par François de Coustin. 624p, Perrin, 2025. En librairies à partir du 22 mai.

Louis Bonaparte: Roi rebelle et mélancolique

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Al-ikhwān: les Frères, nos ennemis

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Amar Lasfar, président de Musulmans de France et ancien président de l'Union des organisations islamiques de France (dissoute en 2017) le 15 avril 2017 © Francois Mori/AP/SIPA

Depuis près d’un siècle, les Frères musulmans traversent interdictions et exils sans jamais disparaître. En France, leur influence se manifeste à travers un réseau discret mais structuré, entre engagement religieux, stratégie associative et discours adapté à la République. Comment ce mouvement parvient-il à conjuguer invisibilité politique et enracinement idéologique ?


Depuis près d’un siècle, les Frères musulmans font preuve d’une longévité politique remarquable, en dépit des interdictions, de la répression, de l’exil et des dissensions internes. Loin de se réduire à un simple parti, ce mouvement fondé par Hassan al Banna en 1928 en Egypte, forme un écosystème idéologique, pédagogique et organisationnel capable de s’adapter à des contextes nationaux très divers tout en conservant une matrice doctrinale commune.

Comment ce courant parvient-il à exercer une influence diffuse mais structurée, y compris dans un pays laïque comme la France, marqué par une forte méfiance à l’égard des expressions religieuses dans l’espace public ? Comment expliquer qu’un mouvement aussi contesté soit parvenu à s’implanter, à se renouveler et à maintenir sa cohésion sans structure déclarée ? Autrement dit, quel est le « secret » des Frères musulmans en général, mais surtout dans leur déclinaison française ?

Une matrice idéologique stable et fédératrice

La « recette » des Frères musulmans est une combinaison de cinq éléments clefs : une idéologie structurante, un système de formation rigoureux, une discipline hiérarchique, une autonomie stratégique des branches locales et un récit victimaire fédérateur. Ces principes, qui ont fait leurs preuves dans l’histoire, ont permis à la confrérie de survivre aux coups d’État, aux purges et aux exils.

Le premier pilier de cette cohésion est l’idéologie fondatrice, simple mais mobilisatrice : al-islâm huwa al-ḥall (« l’islam est la solution »). Adopté dès les années 1940, ce slogan résume la vision du monde des Frères musulmans. L’islam n’y est pas seulement une foi, mais un système global régissant la vie personnelle, sociale et politique. Cette centralité de la religion dans l’ordre du monde offre au mouvement une boussole permanente, capable de transcender les divergences contextuelles. Ainsi, lors des élections législatives de 2005 en Égypte, les candidats affiliés au mouvement ont fait campagne en se réclamant presque exclusivement de ce mot d’ordre, sans avoir à développer un programme politique détaillé.

À cette cohérence doctrinale s’ajoute une mécanique de formation interne. Chaque membre passe par un processus d’intégration fondé sur la cellule de base appelée « usra » (famille nucléaire en arabe), où il suit des cycles réguliers d’enseignement religieux, moral et politique. Cette structure de base rend difficile les tentatives d’infiltration mais également explique la difficulté dont témoignent d’anciens Frères à rompre avec un système aussi structurant, où les longs et profonds liens personnels, affectifs et spirituels sont très puissants. Le désengagement est d’autant plus douloureux qu’il est souvent vécu comme une trahison par les autres membres, ce qui explique en partie le faible taux de départs spontanés, et le silence de ceux qui s’éloignent.  

Ce parcours progressif, fait de lectures obligatoires (notamment Hassan al-Banna et Sayyid Qutb), de mémorisation du Coran et de débats idéologiques, façonne un cadre militant discipliné et endoctriné.

Troisième ressort fondamental : le fonctionnement hiérarchique. Les Frères fonctionnent selon un principe de verticalité renforcée par une discipline quasi militaire à la direction. Cette obéissance a permis au mouvement de maintenir sa structure même dans les conditions extrêmes de l’incarcération ou de l’exil. On peut citer le cas de Khayrat al-Chater, numéro deux de l’organisation en Égypte, qui a continué à orienter des pans entiers du mouvement alors qu’il était emprisonné sous Moubarak.

Mais cette hiérarchie centrale ne signifie pas rigidité doctrinaire. Une partie du « secret » des Frères réside dans leur capacité à concilier unité idéologique et autonomie locale. Chaque extension nationale adapte les principes de la confrérie à son environnement politique. Ainsi, la branche tunisienne du mouvement, Ennahdha a renoncé après 2011 à l’objectif d’un État islamique, préférant se positionner comme un parti conservateur musulman compatible avec la démocratie pluraliste. À l’inverse, le Hamas, issu de la branche palestinienne, s’inscrit dans une logique de lutte armée et de résistance. Ces deux expressions contradictoires sont rattachées à la même matrice idéologique. Le mouvement accepte ces écarts comme une forme de pragmatisme et non pas en tant qu’hérésies.

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Un récit victimaire comme ciment identitaire

Enfin, les Frères musulmans puisent une grande part de leur cohésion dans un récit victimaire commun, forgé par des décennies de répression. Dès l’origine Al-Banna a présenté son combat comme une revanche à prendre sur l’oppresseur.  

Il a fondé le mouvement à Ismaïlia, ville nouvelle fondée pour la gestion du canal de Suez où la domination européenne a été la matrice même de la vie sociale. Il en a conçu une humiliation devenue complexe de supériorité / infériorité avec son corolaire, la victimisation. Ce fut également le cas de Sayyid Qutb. Intellectuel laïc influencé par les idées occidentales, Qutb connaît une profonde mutation durant son séjour aux États-Unis (1948-1950), où il développe une haine de la modernité, perçue comme moralement décadente. De retour en Égypte, il rejoint les Frères et devient leur penseur le plus radical. Emprisonné et plus tard accusé de complot, il est exécuté en 1966 par le régime de Nasser, devenant un martyr pour les courants les plus radicaux du mouvement, en rupture avec l’approche gradualiste de ses prédécesseurs.

L’histoire du mouvement est rythmée par les arrestations, les exils et les massacres, ce qui n’a fait qu’encourager le culte du sacrifice et de la victime. Ainsi, le massacre de la place Rabaa al-Adawiya au Caire en 2013 constitue l’un des traumatismes les plus récents. Cet épisode, au cours duquel plus de 800 partisans de Mohamed Morsi ont été tués par les forces de l’ordre, est devenu une référence centrale dans la mémoire collective du mouvement dans une manière qui n’est pas sans rappeler le culte chiite du sang des martyrs.

Ainsi, la force des Frères musulmans ne réside pas tant dans leur puissance institutionnelle que dans leur capacité à créer une contre-société idéologique et affective. Ce système qui tient autant de l’ordre initiatique que de l’organisation politique constitue le véritable socle de leur résilience. C’est ce modèle qui explique pourquoi, malgré les coups durs, les Frères musulmans continuent de jouer un rôle dans la vie politique et religieuse du monde arabe et plus largement musulman, notamment en Occident.

Tariq Ramadan, Lille, 2016 © Michel Spingler/AP/SIPA Numéro de reportage : AP21855092_000006

En Europe, la présence et l’action des Frères musulmans s’inscrivent dans une dynamique distincte de celle observée en Égypte ou dans d’autres pays du Moyen-Orient. Cette « version à l’exportation » évolue largement grâce à trois figures clés : Saïd Ramadan, gendre d’Hassan al-Banna, sa fille Wafa al-Banna, et son petit-fils Tariq Ramadan. Jeune avocat et orateur charismatique, Saïd Ramadan devient l’un des plus proches collaborateurs du fondateur de la confrérie. Après l’assassinat d’al-Banna en 1949 et la répression de 1954, il quitte l’Égypte et entame une longue carrière de diplomate informel de l’islamisme frériste. En 1961, il fonde à Genève le Centre islamique, qui devient un hub intellectuel et logistique de la mouvance islamiste en Europe. Le centre accueille étudiants, réfugiés politiques et penseurs, tout en diffusant la littérature frériste en plusieurs langues. Lié à la Ligue islamique mondiale financée par l’Arabie saoudite, il promeut toutefois une vision distincte du salafisme : un islam politique structuré, discipliné et militant, pensé pour s’implanter durablement dans les sociétés occidentales.

À partir des années 1970, les Frères musulmans s’installent en France, en Allemagne, au Royaume-Uni, via des associations étudiantes, des mosquées et des centres culturels. Ces relais développent un islam adapté aux contextes légaux européens. C’est dans ce cadre que le discours frériste s’est reformulé en empruntant les lexiques de la citoyenneté, de la minorité et de la modernité, jusqu’à donner naissance à ce que Tariq Ramadan appelle « l’islam européen ».

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Le cas français : un réseau sans nom

En France, le frérisme ne prend pas la forme d’une organisation officiellement enregistrée sous le nom de « Frères musulmans ». Il se manifeste plutôt à travers un réseau complexe d’associations, de fédérations, d’instituts religieux, éducatifs et professionnels, ainsi que de figures influentes, tous inspirés par l’idéologie fondatrice d’Hassan al-Banna. Cette nébuleuse semi-formelle repose sur plusieurs structures associatives reconnues qui, tout en affirmant leur indépendance juridique, partagent une même matrice idéologique. Parmi celles-ci figure l’Union des organisations islamiques de France (UOIF), devenue en 2017 « Musulmans de France » (MF). Fondée en 1983, elle est perçue par les autorités comme la principale vitrine institutionnelle des Frères musulmans dans l’Hexagone. Elle regroupe plusieurs centaines d’associations, gère des mosquées majeures et organise chaque année le Rassemblement des musulmans de France au Bourget, événement emblématique attirant des milliers de participants et des personnalités internationales affiliées à la confrérie.

La présidence de cette organisation est assurée par des figures élues, issues des principales mosquées et associations affiliées. Des personnalités telles que Fouad Alaoui, Lhaj Thami Breze, Ahmed Jaballah ou Amar Lasfar en ont assuré la direction. Ce dernier, longtemps président de MF, incarne une trajectoire emblématique du frérisme français. Né en 1960 dans le Rif marocain, arrivé en France dans les années 1980, Lasfar s’engage très tôt dans la prédication et l’encadrement de la jeunesse musulmane. Il fonde la mosquée de Lille-Sud, devenue un centre névralgique de l’islam organisé, puis crée en 2001 l’Institut Avicenne, destiné à former imams, aumôniers, éducateurs et intellectuels musulmans. Figure discrète mais centrale, Lasfar agit en coulisses, à rebours de la visibilité médiatique d’un Tariq Ramadan.

Son parcours est étroitement lié à l’UOIF, dont il prend la présidence en 2013. Bien qu’il nie tout lien organique avec la confrérie, affirmant que « les Frères musulmans n’existent pas en France » (Libération, 6 avril 2015), plusieurs témoignages contredisent cette déclaration. Farid Abdelkrim, ancien responsable des Jeunes musulmans de France (JMF), branche jeunesse de l’UOIF, raconte ainsi son enrôlement au sein de la confrérie, son allégeance prêtée dans l’appartement d’un imam frériste, et les ambitions politiques portées par le mouvement dans les années 1990 : « Notre objectif n’était pas d’islamiser la France ou de convertir les Français, mais de construire un lobby. Une société dans la société, avec nos entreprises, nos écoles… » (Libération, 13 février 2015).

Sous la direction de Lasfar, l’UOIF a engagé une stratégie de normalisation : changement de nom, discours plus modéré, valorisation de la citoyenneté et du dialogue. Mais cette évolution de façade masque une continuité doctrinale. Il s’agit toujours de promouvoir une lecture de l’islam axée sur la réforme morale de la société, la préservation de la famille musulmane et l’installation durable de structures religieuses autonomes. Lasfar incarne ainsi une posture duale : modération affichée dans l’espace public, rigueur idéologique dans les cercles internes.

Cette stratégie de légitimation s’est exprimée par la médiatisation d’affaires d’exclusion scolaire, le soutien juridique aux familles concernées, et la promotion d’un discours articulant piété et émancipation féminine, « mon voile mon choix ».

Parallèlement, dans le domaine du halal, les Frères musulmans ont exercé une influence notable sur la régulation religieuse du marché, notamment via des organismes de certification comme AVS (« A Votre Service », se présentant comme indépendant, mais considéré comme inspiré par les Frères musulmans), proches de leur vision rigoriste. Refusant toute ingérence de l’État dans la définition du licite, ils ont cherché à construire un écosystème économique autonome et normatif, combinant pratiques rituelles et discipline morale. Dans les deux cas, il s’agit de produire des normes religieuses visibles dans l’espace public, tout en adaptant leur défense aux principes de la République.

Le frérisme français se distingue ainsi par une stratégie d’enracinement : discrète, mais structurée, intégrée dans la société dans les formes, mais doctrinalement affirmée dans le fond. Il ne vise pas directement la rupture frontale, mais la construction patiente d’un espace autonome à l’intérieur même de la société française. À travers ses réseaux associatifs, éducatifs, cultuels ou économiques, il tend à construire des murs invisibles, contours d’une contre-société à la fois protégée et séparée. Ses idéologues la conçoivent comme un îlot de pureté religieuse au sein d’un océan profane, dégénéré voire hostile, un groupe « halal » cerné de « haram » dont l’ambition n’est pas tant d’affronter la République que de coexister avec elle, séparé et moralement supérieur et selon ses propres règles. Au moins pour le moment.

Podcast : L’antisémitisme décomplexé de la gauche; bras de fer entre Donald Trump et Harvard

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Cambridge, Mass.: Un message anti-Harvard sur un camion, lors des cérémonies de remise de diplômes, université de Harvard, 28/05/2025 Kenneth Martin/ZUMA/SIPA

Avec Céline Pina, Eliott Mamane et Jeremy Stubbs.


L’adjointe au maire du XXe arrondissement de Paris, Lila Djellali, écologiste, s’est fendue d’une fausse citation du Général de Gaulle à propos des Juifs. Cet antisémitisme décomplexé qui caractérise aujourd’hui une trop grande partie de la gauche ne représente pas la simple critique de l’Etat d’Israël, mais la trahison du « plus jamais ça » qui a suivi la découverte de toute l’horreur des camps de mort après 1945. De plus, les écologistes semblent vouloir parler de tout sauf d’écologie, sans doute parce que, comme l’ont démontré certaines interventions de Sandrine Rousseau contredites par des scientifiques, ils sont incompétents en matière d’écologie.

Donald Trump a engagé un bras de fer avec l’université de Harvard qui persiste à vouloir garder dans ses programmes des éléments relevant de l’idéologie « DEI » – « diversité, équité, inclusion » – que le président américain voudrait à juste titre voir éliminés. Dans quelle mesure l’Etat a-t-il le droit de s’immiscer dans les affaires des universités ? Le caractère nuisible et délétère de ces éléments justifie-t-il l’intervention du gouvernement ?

Salauds de mômes!

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Ariane, Dorothee, Corbier, Jacky, Patrick Simpson-Jones en Guadeloupe, dans l'emission "Club Dorothee Vacances" sur TF1, juillet 1990 © SARADJIAN/TF1/SIPA

Tendance « No kids » : Attention danger ! Le gouvernement français s’inquiète de l’avènement d’une société dans laquelle les enfants ne seraient plus les bienvenus. La contre-attaque face à cette soi-disant exclusion est engagée par la Haut-Commissaire à l’Enfance, Sarah El Haïry, qui a réuni les représentants des secteurs du tourisme, des transports et de l’urbanisme afin de lutter contre la tendance croissante à exclure les enfants des restaurants, des voyages ou encore des célébrations telles que les mariages. Un faux problème, selon Elisabeth Lévy.


Le gouvernement a réuni une table ronde des professionnels pour enrayer la tendance du « No kids ». En effet, quel scandale. On ne respecte rien, même pas le divin enfant. Quelques hôtels (3%) et restaurants sont ainsi désormais réservés aux adultes. Quelle brutalité ! Quelle honte ! Quel scandale.

La Haut-Commissaire à l’Enfance, Sarah El Haïry déclare : « Considérer de manière brutale qu’un enfant est avant tout une nuisance, ce n’est pas acceptable ».

Vive les vacances, vive l’insouciance

Je dirais même plus, renchérit la sénatrice Laurence Rossignol sur le mode Dupond-Dupont, « on ne peut pas accepter que certains décident de ne plus supporter telle ou telle partie de la population. Les enfants ne sont pas une nuisance ». Et comme chaque fois qu’un faux problème se pose, les grenouilles demandent une loi. Mme Rossignol veut faire reconnaître la minorité comme un facteur de discrimination. Comme ça, ils pourront faire des procès à leurs parents quand ils les enverront se coucher. Mais aucun parent ne fait plus ça. C’est peut-être le problème. Avant, dans les bonnes maisons, les enfants dînaient avant leurs parents. Vite, une cellule d’aide psychologique pour les victimes de ces pratiques barbares.

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L’enfance sacralisée

J’ironise, mais une société qui ne veut pas voir ses enfants c’est mauvais signe me dit-on…

Oui, si c’était le cas, ce serait très grave. Mais que dans quelques lieux, on puisse passer quelques heures ou quelques jours sans enfants, même quand on en a, où est le scandale ? Parfois, on veut écrire, lire sans entendre des cris ou des pleurs. Ou avoir des discussions d’adultes. Vous envoyez vos mômes en colonie de vacances parce que c’est bon pour eux d’être entre jeunes et sans leurs parents. Eh bien parfois, c’est bon de ne pas avoir vos mômes ni ceux des autres.

Il y a cependant deux vrais problèmes :

  • Notre société fait de l’enfant une divinité, donc on ne lui apprend plus la contrainte, donc on le laisse souvent se conduire n’importe comment. Voilà la raison essentielle de la tendance no kid.
  • Nous voulons effacer la différence entre les générations exactement comme on le fait entre les sexes. Les adultes sont des enfants comme les autres. Nous vivons une adolescence éternelle jusqu’au passage brutal à la fin de vie.

Vous me direz que la natalité est en berne. Présentez-moi un couple qui a renoncé à un enfant parce que l’hôtel où il veut passer ses vacances ne les accepte pas et je change d’avis.


Cette chronique a été diffusée sur Sud Radio

Retrouvez Elisabeth Lévy dans la matinale

À Madrid, les Mollahs ont tenté de me tuer

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Alejo Vidal-Quadras © Geoff Pugh/Shutterstock/SIPA

Alejo Vidal-Quadras était à Paris dans le cadre d’une assemblée mondiale de parlementaires. Il a expliqué à Harold Hyman qu’il fallait être ferme face au régime des Mollahs. D’autant qu’Israël les a affaiblis. Il est temps d’agir, pense-t-il.


Longtemps chef des conservateurs en Catalogne, vice-président du Parlement européen de 1999 à 2014, ce professeur de physique nucléaire est opposé au nationalisme catalan, et au régime des Ayatollahs en Iran. En 2023, il échappa à une tentative d’assassinat dans une rue de Madrid. Un tueur à gages lui tira une balle au visage. L’enquête a été confiée à la police espagnole antiterroriste. Plusieurs individus, dont le meurtrier présumé, ont été arrêtés en Espagne, aux Pays-Bas et dans d’autres pays. La sophistication de la tentative porte les marques d’une opération commanditée par un État.

Causeur. Pourquoi cet intérêt pour l’Iran de votre part ?

Alejo Vidal-Quadras. En 1999, au Parlement européen, j’ai été abordé par des amis de l’Iran libre. J’ai rencontré le CNRI, Conseil national de la Résistance d’Iran, également connu du nom de sa principale composante, les Moudjahidines du Peuple d’Iran. Je connaissais déjà le cas de la dictature criminelle en Iran, bien sûr, mais grâce à eux, j’en ai connu les moindres détails. Il s’agit d’une dictature religieuse terroriste, toxique, qui empoisonne toute la région, et qui contamine le contexte mondial global. Elle commet des atrocités contre son peuple, et d’innombrables violations des droits de l’homme. Je me suis engagé contre ce régime, et j’ai fini par faire de cette cause une de mes principales activités.

Pourquoi les mollahs vous haïssent-ils ?

Le régime à une histoire de crime. En Iran, c’est une machine à tuer. Sous la présidence actuelle de Massoud Pezeshkian, un millier de personnes ont été assassinées. Et l’on tue des dissidents en exil. Mais, depuis 2018 ont commencé les attaques contre des personnalités politiques occidentales, celles qui soutiennent le CNRI. Je suis devenu l’une des plus visibles. En octobre 2022 le régime a publié une liste de ses ennemis et moi, j’étais numéro 1. En 2018 déjà, il y a eu un complot pour déposer une bombe à Villepinte lors d’un congrès anti-régime pour tuer Mme Myriam Rajavi, présidente du conseil. Il y eu ensuite d’autres cibles, comme John Bolton, Mike Pompeo, d’autres encore, puis moi, en 2023 à Madrid. Aux États-Unis les complots furent démantelés par les services secrets. En Espagne, le tueur à gages m’a tiré dessus, mais grâce à un geste de la tête, la balle m’a seulement transpercé les deux joues, miraculeusement, puis le pistolet s’est enrayé. J’en ai quand même eu pour sept mois de convalescence. En me ciblant, le régime cherchait à intimider les hommes politiques d’Europe.

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Quelle serait la bonne attitude à adopter envers eux, selon vous ?

La politique de dialogue et de négociation a échoué. Les accords avec les ayatollahs pour un statu quo sur des dossiers commerciaux, industriels ou nucléaires, visant à la coexistence, ne fonctionnent pas. Car le régime considère cela comme de la faiblesse, et il redouble d’agressivité. L’apaisement ne les calme pas, au contraire cela provoque l’effet inverse ! Maintenant, le moment est venu de changer et d’être enfin vraiment fermes. Cela peut paraitre paradoxal. J’ai critiqué toute ouverture d’ambassades dans les grandes capitales diplomatiques, et c’est pourquoi j’ai été ciblé.

En Occident, deux choix s’offrent à nous : soit dialoguer, soit se fermer. En effet, il y a la politique de principes, et la realpolitik. J’accepte que la politique ne puisse pas uniquement consister en de grands principes. Cependant, dans le cas iranien, les deux options convergent totalement : sur le plan pratique, la République islamique d’Iran ne va pas se transformer en démocratie sans bombe.

Quelle différence entre l’Iran et la Chine?

La Chine veut remplacer l’hégémonie des États-Unis. Mais elle ne recherche pas le chaos, elle n’entend pas détruire le monde occidental. Or le programme de République islamique d’Iran est de le détruire. Il faut prendre sa propre idéologie au sérieux. Sur Israël, notamment. Et puis contrairement à la Chine, la République islamique d’Iran crée une crise permanente.

Comment obtenir la fin d’un tel régime ? L’ostracisme, la guerre, une révolte populaire ?

Ce régime n’est pas soutenable, pas viable. Pinochet, Videla, Mussolini, Hitler, Staline – tous finissent mal, c’est une loi de l’histoire. Depuis 46 ans de régime iranien, nous avons la terreur à l’intérieur et à l’extérieur. Le Hamas, les Houthis, le Hezbollah : tous sont ses employés et c’est une manière de survie pour lui ! Les Ayatollahs veulent des armes nucléaires pour terroriser d’autres pays, à l’instar de la Corée du Nord. Aujourd’hui, le peuple iranien vit dans une pauvreté et sous une répression terribles. L’attaque du 7-Octobre 2023 autour de Gaza a été planifiée en Iran, et financée par lui. Le Hamas a suivi les ordres de Téhéran. Mais le régime a une faiblesse : la faillite économique et des protestations internes énormes. Aujourd’hui, les camionneurs sont en grève depuis des jours. Les prix de l’essence sont trop élevés, les routes sont en mauvais état, et les revenus du pétrole prioritairement dirigés vers les fameux proxies ou les cadres du régime. Et puis, la Syrie est tombée, le Hezbollah et les Houthis ont été décimés, Israël a frappé les élites de Hezbollah et du Hamas.

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Comment voyez-vous l’administration Trump à cet égard ?

Elle est plus sévère que celle de M. Biden. Maintenant, on a une opportunité de renverser le régime. Allons vers la démocratie, vers le peuple et avec le CNRI. Il serait naïf de ne pas profiter de l’occasion.

Terminons sur le nationalisme catalan: vous vous y êtes de tout temps opposé. Pourquoi ? Quel est le danger antidémocratique, franchement ?

Je suis catalan, mais le nationalisme séparatiste de la fin du 19e siècle est un projet qui veut un État par nation, ce qui est une doctrine antidémocratique. Le nationalisme n’est pas le patriotisme. Les sociétés actuelles sont plurielles, et le nationalisme uniformise par coercition. Prenons la langue : les nationalistes ne veulent que le catalan, et élimineraient l’espagnol de la société alors que plus de la moitié des Catalans parlent espagnols chez eux ! La conséquence du nationalisme serait l’affaiblissement décrété des droits des citoyens. Et c’est ruineux économiquement. Avec l’indépendance, c’est la sortie de l’Union européenne assurée.

Seriez-vous le dernier spécimen du conservateur humaniste et non populiste ?

J’espère ne pas être le dernier. Je suis un libéral-conservateur. Je serais au groupe des conservateurs réformistes, pas chez les patriotes dont l’idée d’Europe est trop sceptique. Ils n’ont pas compris le projet, même si l’UE se mêle de trop de domaines. Certes, l’UE a son déplorable agenda 2030, et son lot de wokisme… Mais l’union des citoyens et des États dans un grand marché, avec la prospérité à la clé, cela demeure une idée extraordinaire. 

Édouard Philippe, Gabriel Attal: l’effet Retailleau

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Le 27 mai 2025 à Bry sur Marne (94), le ministre de l'Intérieur Bruno Retailleau rend hommage au gendarme Arnaud Beltrame égorgé par un islamiste en 2018 © NICOLAS MESSYASZ/SIPA

Édouard Philippe se pose désormais en critique virulent de ce macronisme qu’il a pourtant longtemps incarné avec zèle. Il tente aujourd’hui de faire oublier sa responsabilité dans l’inaction qu’il dénonce. Gabriel Attal, quant à lui, s’illustre avec la mesure symbolique de l’interdiction du voile avant quinze ans, qui relève davantage de la posture politique et du coup d’éclat que d’autre chose.


Ils ont fait leur chemin de Damas. Tout soudain, la révélation leur est venue, la lumière a jailli. De moutons bêlants du macronisme les voilà métamorphosés en contempteurs du régime, en pourfendeurs de ce qu’ils ont accompagné et servi avec zèle, servilité toutes ces années, sans oublier ce surplus d’arrogance, de suffisance qui aura été la marque des dignitaires de l’engeance en place depuis 2017.

Premiers sinistres

Ils font l’un et l’autre le procès de l’inaction de l’État, de l’impuissance publique dont ils ont été, cependant, parmi les tout principaux agents, ayant occupé tous deux les fonctions de Premier ministre. Premiers sinistres, comme disait Coluche.

Leur réquisitoire ne manque pas de sel. Selon eux, rien de ce qu’il fallait faire pour éviter à la France de se retrouver dans l’état déplorable qu’on lui connaît, et aux Français un tel désarroi, n’a été entrepris, ni même énoncé. « Le pouvoir ne s’est pas emparé des problèmes que nous avions sous les yeux, immigration incontrôlée, insécurité galopante, endettement phénoménal… », dit en substance Gabriel Attal. Nous sommes victimes, sur ces sujets et d’autres encore, de nos mensonges, surenchérit Edouard Philippe dans son pamphlet précisément intitulé Le prix de nos mensonges (Alors que « mes » mensonges en titre aurait eu le mérite d’induire une édifiante humilité. Mais l’humilité, chez les disciples du très raide et très pontifiant Alain Juppé, ne figure pas au nombre des vertus de forte pratique.)

Un peu de décence !

Bref, de voir MM. Philippe et Attal instruire avec férocité le procès des gouvernements Philippe et Attal serait fort divertissant si ce n’était si pathétique. Et diablement culotté, car, tout comme pour l’humilité, on ne peut guère dire que la plus élémentaire décence les étouffe.

Le cas de M. Philippe est particulièrement intéressant. Il se dit en colère. L’est-il à propos de sa bonne ville du Havre qui brille aujourd’hui au firmament des méga-poubelles du narco-trafic ? Non, pas vraiment. D’ailleurs, que fait-il pour endiguer la submersion mortifère, que propose-t-il ? Peu de chose, à vrai dire. Rien. Non, il regarde ailleurs, plus loin, plus haut. Élysée 2027. Arrivé sur le porte-bagage d’ Antoine Rufenacht à la mairie du Havre, sur celui d’Emmanuel Macron, au gouvernement de la France, il n’a plus désormais qu’un rêve en tête, un but suprême : prendre enfin lui-même le guidon. C’est sa ligne bleue des Vosges.

A lire ensuite, Philippe Bilger: L’inaction du pouvoir est-elle obligatoire?

Mais voilà que se dresse sur son chemin un obstacle. Un obstacle que sa suffisance, son arrogance ne lui ont pas permis de voir venir : Bruno Retailleau. Le Vendéen et sénateur Retailleau avec son parler vrai, son diagnostic sans complaisance, ses préconisations courageuses, décapantes. Et de surcroît son franc succès à l’élection pour la présidence LR. Un plébiscite, disent ceux qui s’y connaissent. Alors il fallait bouger, se remuer, feindre être homme d’action, de conviction, de détermination, et donc enfourcher le cheval commode de l’indignation, fourbir en quelques semaines le brûlot, le pamphlet qui marquera les médias à défaut des esprits. Brandir sa colère. La colère molle d’une tête molle, dans la grande tradition des gouvernants de ces quatre ou cinq dernières décennies qui ont conduit le pays là où il est. Selon le magazine Le Point, l’auteur, aurait donné avec cette ire de papier « un spectaculaire coup d’accélérateur à sa campagne présidentielle ». Et « pris de vitesse ses concurrents, nombreux sur la ligne de départ ».

À voir. Le chemin est encore long et la colère toujours éphémère. C’est sa nature même. Elle passe. Ses effets aussi. Il restera donc à l’ambitieux à beaucoup pédaler et pédaler encore. Pour un homme de porte-bagage ce n’est sans doute pas l’exercice le plus évident.


Attal : l’idée lumineuse
 
De son côté, Gabriel Attal ne pouvait rester sans rien faire. Il lui fallait bien montrer que, lui aussi, prenait à bras le corps les problèmes de la France. Parmi ceux-là : l’entrisme islamique. Interdiction du port du voile dans l’espace public avant quinze ans, voilà sa grande idée. On voit d’emblée combien il serait facile de faire respecter cet interdit, de contrôler l’âge des porteuses, d’établir un barème de sanctions – récidive, non-récidive, etc… – et surtout de les faire appliquer. Avant quinze ans ? M. Attal considérerait-il qu’après cet âge le port du voile dans l’espace commun ne pose plus aucun problème ? Il conviendrait alors qu’il s’exprime sur ce point. Et si telle est son opinion, qu’il nous explique au passage en quoi ce qui ne poserait aucun problème après cette butée en poserait avant. Qu’importe ces questions de simple bon sens pour le susnommé ! l’essentiel n’est-il pas de gesticuler ?
 
Cela aura au moins eu le mérite de donner à Mme Panot, M. Ruffin et M. Caron – tous trois plus ou moins LFI – l’occasion de s’illustrer une fois encore dans le grotesque. Leur grande trouvaille : mettre sur le même plan le port du voile des fillettes et le baptême chrétien des enfants « à un âge où ils ne sont pas capables de consentir », dixit Mme Panot.
 
Comparaison inepte, bien évidemment. Le baptême chrétien, lui, ne s’impose pas qu’aux filles, mais également aux petits garçons. Il ne différencie pas, il ne stigmatise pas un sexe en particulier. De plus, il ne s’accompagne d’aucun signe ostensible, visible dans la sphère publique. Enfin, le baptisé fait exactement ce qu’il veut ensuite – c’est sa liberté de conscience – du sacrement reçu. Cela sans que quiconque, sauf à pénétrer son cœur et son esprit, n’ait à en connaître. La liberté la plus grande, la liberté individuelle y est donc attachée. Tout le contraire du voile, manifestation d’inféodation, de soumission à une règle de conduite arbitrairement imposée par le masculinisme du dogme religieux de référence. Aussi attend-on dans la fièvre la réaction des féministes pures et dures…

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Manon sauvée par le chant

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"Manon", opéra de Jules Massenet, Paris, 2025 © Sébastien Mathé / Opéra national de Paris

Lyrique: flanquée de Joséphine Baker, une Manon bizarrement téléportée dans les Années folles… À l’Opéra-Bastille, heureusement, le cast vocal, Benjamin Bernheim en tête, sauve la mise.   


Paradoxe de notre époque : si prompte à dénoncer la domination masculine et à victimiser la prostituée, elle ne se fait pas faute de célébrer, en l’héroïne immortalisée par l’abbé Prévost (1697-1763) dans Histoire du chevalier des Grieux et de Manon Lescaut – mais qui lit encore ce roman ? –  une catin qui, son amant ruiné par les largesses qu’il lui a consenti, n’hésite pas à le larguer pour son rival, quitte à voir le micheton Des Grieux sacrifier fortune, famille, réputation, pour celle dont il sait pourtant qu’elle le trompera indéfiniment – les exigences du métier.  

Triomphe immédiat

Achevé en 1884 pour l’Opéra-Comique, le Manon de Jules Massenet n’en revêt pas moins, tant par sa facture que par sa très longue durée, les dimensions du « Grand opéra français » dans la meilleure tradition flamboyante, tour à tour allègre et lacrymogène, comme la bourgeoisie parisienne prisait alors ce divertissement. Ainsi le compositeur fait-il appel à Henri Meilhac et Philippe Gilles, les deux librettistes star de l’époque : triomphe immédiat, qui ne s’est jamais démenti depuis.

Après la mise en scène de Coline Serreau en 2011-2012, l’Opéra-Bastille avait confié en 2020 une nouvelle production à un émule de Patrice Chéreau puis de Peter Sellars, Vincent Huguet, – décidément poursuivi par la malchance : les grèves contre la réforme du régime des retraites avaient eu raison alors de toutes les représentations quasiment, puis en 2022 le Covid en empêchera encore quelques-unes, patatra. Pour cette troisième reprise, Pierre Dumoussaud prend la relève du jeune chef américain James Gaffigan au pupitre, tandis que, suite au désistement de Nadine Sierra, c’est la soprano égyptienne Amina Edris qui assure le rôle-titre, portée par un beau vibrato quoique sa diction ne rende pas toujours le texte parfaitement intelligible (heureusement, c’est toujours surtitré à l’opéra)  ; elle l’avait déjà chanté il y a cinq ans. Benjamin Bernheim campe une nouvelle fois Des Grieux, du moins dans les premières représentations (jusqu’au 9 juin), relayé par notre Roberto Alagna national (pour celles du 11 au 20 juin) qu’on retrouvera d’ailleurs à l’Opéra-Bastille en novembre prochain dans Tosca, pour incarner Mario… Certes Alagna n’a plus rien à prouver dans cet emploi du Chevalier, qu’il connaît par cœur pour l’avoir endossé maintes fois. Mais Bernheim reste sans conteste LE jeune ténor le plus fabuleux du moment, scéniquement irréprochable, doté d’un timbre d’une fraîcheur sans pareille, souligné par une diction impeccable, pour le coup – il n’est que de rappeler sa prestation miraculeuse dans Werther (Massenet, encore, dans l’apothéose de sa création lyrique !) en avril dernier, au Théâtre des Champs-Élysées. Le public ne s’y trompe pas, qui l’a ovationné comme jamais, au soir de la première, le 26 mai dernier. Le reste de la distribution ne dépare pas ce palmarès : qu’il s’agisse du baryton polonais Andrzej Filonczyk (Lescaut) ou de la basse Nicolas Cavallier (Comte des Grieux), comme des autres rôles féminins tenus par Ilanah Lobel-Torres (Poussette), Marine Chagnon (Javotte) et Maria Warenberg (Rosette), membres toutes trois de la troupe lyrique maison.

Hors sujet

Il faut bien en venir toutefois (cf. l’article que votre serviteur lui consacrait il y a trois ans) à ce qui contrarie cette performance lyrique : le choix, gratuit, superflu, anachronique, d’en transposer l’action dans les Années folles. Ainsi le premier acte prend-il place dans un espace qui renvoie à la plastique du Palais de Tokyo, ou à celle du Palais d’Iéna (anciennement musée des Travaux public et qui, comme chacun sait, construit par Auguste Perret dans les années Trente sur la colline de Chaillot, abrite aujourd’hui le Conseil économique et social).  Au deuxième acte, l’appartement de Des Grieux et de Manon, rue Vivienne, plus démeublé que meublé, se donne ici, bizarrement, des airs de réserve de musée…  Premier tableau du troisième acte, le Cours-la-reine (selon les indications du livret) se voit téléporté dans le décor d’une salle de bal placée sous le signe de la Café Society – pourquoi pas ? Le second tableau de l’acte, sensément sis dans le parloir du séminaire de Saint-Sulpice, migre quant à lui dans l’enceinte de l’église actuelle, évoquée à travers la reproduction symétrique à l’échelle 1 des deux toiles monumentales de Delacroix qu’on peut toujours y admirer dès le portail franchi : La lutte avec l’ange, et Héliodore chassé du Temple. Si cela suscite chez tel ou tel spectateur une vocation d’amateur d’art, ce sera toujours ça de gagné. De là à annexer une Manon coiffée à la garçonne, à la célébration de la regrettée Joséphine Baker (que clone ici la comédienne Danielle Gabou) pour greffer sur le canevas de l’opéra une espèce d’intrigue au second degré particulièrement fumeuse au plan intellectuel, voilà qui relève, purement et simplement, du hors sujet.

Manifestement Huguet n’en a cure, qui, en guise d’amorce au deuxième acte, incruste devant le rideau de scène, assortie d’un numéro de cabaret chorégraphié en live, la projection d’un extrait du film réalisé par Marc Allégret en 1934, Zouzou, où l’idole récemment panthéonisée chante « C’est lui » en se dandinant…


Manon, opéra-comique de Jules Massenet. Avec Amina Edris, Benjamin Bernheim/Roberto Alagna, Andrej Filonczyk, Nicolas Cavallier, Nicholas Jones, Régis Mengus, Lianah Lobel-Torres, Marine Chagnon, Maria Warenberg, Philippe Rouillon, Laurent Laberdesque, Olivier Ayault.

Direction : Pierre Dumoussaud. Mise en scène : Vincent Huguet. Orchestre et chœurs de l’Opéra national de Paris.

Durée : 3h50

Les 6, 9, 11, 14, 17, 20 juin à 19h ; le 1er juin à 14h.

La « fête des familles », le dernier chic

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La commune privilégiée de Uccle, à Bruxelles, supprime la trop datée fête des Mères... © SIERAKOWSKI/ISOPIX/SIPA

Une commune belge supprime la fête des Mères et des Pères dans ses écoles


Uccle est une commune huppée de Bruxelles. On y croise des femmes portant des vêtements de marque davantage que des hijabs ; les voitures sont frappées d’un logo à trois lettres et les habitations sont des villas ; l’extrême gauche y a même déjà organisé une « promenade guidée chez les super riches ». On aurait pu penser que le wokisme ne franchirait pas les frontières de ses quartiers habituellement préservés des autres réalités qui ont fait la triste réputation de Bruxelles. 

Boris Dilliès, le bourgmestre (=maire) libéral, issu d’un parti qui avait pourtant promis de mener la guerre à la cancel culture, vient de décider d’y supprimer la fête des Mères et des Pères et de la remplacer par une très vague « fête des familles » ayant lieu à une date située entre les deux habituelles célébrations. Cela permettra, selon l’échevine Carine Gol-Lescot, veuve du pourtant très à droite Jean Gol, de célébrer « les beaux-parents, les grands-parents, ou encore l’éducateur ». Et pourquoi pas, tant qu’à être inclusif, l’animal de compagnie, les voisins, les amis, les amours et forcément les emmerdes ? C’est-à-dire tout le monde et donc plus personne.

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On est en 2025, il faut vivre avec son temps, entend-on déjà se gargariser les défenseurs de la mesure. Évidemment, la famille traditionnelle – nucléaire, diraient les sociologues – a vécu et le modèle qui a prévalu jusqu’à il y a deux décennies environ, composé d’un père, d’une mère et d’une fratrie, n’est plus. Il y a désormais des couples homosexuels, composés de deux mères ou de deux pères, certains parents qui ont abandonné leurs enfants et des enfants élevés par d’autres personnes que leurs géniteurs. Et puis, « père » et « mère » sont des gros mots : dites « parent 1 » et « parent 2 » si vous ne souhaitez pas passer pour d’affreux réac. 

Faut-il, pour autant, jeter en pâture le socle familial qui est à la base de notre modèle civilisationnel, au simple motif des bouleversements récents ? Est-il obligatoire de systématiquement céder à la déconstruction opérée par quelques Docteur Folamour ? Doit-on vraiment priver les enfants du traditionnel bricolage et de la poésie qui l’accompagne ? Et surtout n’y a-t-il pas plus urgent à régler pour l’équilibre et l’avenir des enfants ? Notons qu’au même moment, à Evere, autre commune bruxelloise, une fête scolaire a proposé, le week-end dernier, un spectacle en soutien à la Palestine, au cours duquel des enfants embrigadés dansaient en keffieh sur la musique « My blood is Palestinian ».  En Belgique, on s’évite les rappels aussi niais qu’erronés sur l’invention de la fête des Mères par Pétain. Malheureusement, on n’esquive pas le wokisme ; et voilà que la célébration des mères, existant depuis l’Antiquité grecque, et celle des pères, est prise sous les feux grégeois du progressisme incendiaire. 

Quand l’affiche guidait le peuple

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Louis-Robert Carrier-Belleuse (1848-1913) L’Étameur, 1882 Huile sur toile, 64,8 × 97,8 cm Collection particulière © Photo Studio Redivivus Musée d'Orsay

Jusqu’au 6 juillet, le Musée d’Orsay, en collaboration avec la Bibliothèque nationale de France, met à l’honneur les maîtres de l’affiche de la seconde moitié du XIXᵉ siècle – une époque où la rue éduquait le regard des Parisiens


Au-delà du message politique et social, de l’enrobage culturel, de la fonction didactique de cette exposition intitulée « L’art est dans la rue », de son argumentaire historique irréprochable, de toute la bonne volonté instructive de nos chères institutions, c’est leur mission, nous informer en replaçant les affiches dans leur contexte, une vérité banale, triviale apparaît et nous décille. Elle éclate dans les couloirs d’Orsay sous les joyaux de l’impressionnisme, au rez-de-chaussée.

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Avant le fatras des idées qui réconfortent les professeurs, le besoin de tout régenter intellectuellement, un constat s’impose à la vue de tous ces tableaux urbains où se marient le génie de l’imprimerie moderne d’alors et le trait du créateur : Paris s’est enlaidie en un siècle et demi. La publicité d’aujourd’hui a revêtu les habits d’un camelot hâbleur et vulgaire. De grandes photos montrant des sacs à main et des mannequins alanguies recouvrent nos bâtiments nationaux dans une geste criarde et déjà périmée. Cette publicité qui salit le regard est le fichu d’une globalisation saturée d’images. Les colonnes Morris sont mortes de honte. Le graphisme a été remplacé par le faux éclat du mirage commercial. Une propagande grossière, poussive, flattant on ne sait trop quel hypothétique acte d’achat. La ménagère a été abandonnée par les artistes. Les marchands à court d’idées, se vautrant dans la facilité esthétique et la démagogie langagière, n’ont même plus le respect du badaud. Du furtif. Du promeneur. Le peuple de Paris baisse la tête, il ne s’attarde plus sur les murs de sa capitale. Il file. Il s’extrait de son environnement extérieur pour retrouver la chaleur de son foyer. Il fuit les lumières de sa propre ville. Il a perdu toute capacité à s’émerveiller.

Aux lueurs du capitalisme industriel et des progrès techniques, les communicants avaient au moins la volonté de faire semblant, de nous alpaguer sur le trottoir, de nous émouvoir, de nous charmer, de nous intriguer, de nous faire lire, voter, pédaler, conduire ou s’habiller élégamment. Ils suscitaient par le placardage intensif l’intérêt de leurs futurs clients. La courtoisie de la Belle époque n’a plus cours. Il faut absolument voir cette collection de 230 œuvres majeures qui furent en leur temps balayées par le vent et la rumeur des faubourgs, à l’air libre ; car elles sont belles. Belles dans leurs couleurs, dans leurs recherches stylistiques, dans leur féérie, dans leur élan républicain ou leur secousse anarchiste. Dans leur onde nostalgique qui n’en finit plus de se propager dans nos esprits. Le Musée d’Orsay a réuni les cadors du métier, ils s’appelaient Bonnard, Chéret, Grasset, Mucha, Toulouse-Lautrec, Steinlen, etc. Qu’ils promeuvent La Belle Jardinière, Le Moulin Rouge, le dernier Émile Zola, la Chaîne Simpson, les automobiles Brasier, des jouets pour les étrennes, le Palais de l’Industrie, la Goulue, une belle redingote ou qu’ils alertent sur les profiteurs de guerre, ils furent les nouveaux architectes de la rue, plus qu’un décor, ils façonnèrent la caisse de résonance de toutes les mutations du moment.

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À vrai dire, au commencement de cette exposition, on est sur nos gardes, comment des affiches par nature éphémères et fragiles peuvent-elles égaler des peintures ? Elles les surpassent souvent par leur inventivité, leur audace, leur composition et leur profondeur. Elles sont notre identité urbaine. Nous ne savions même pas que nous conservions inconsciemment ces images dans notre tête. Ces affiches nous sont familières, elles sont le canevas de notre propre frise chronologique, Aristide Bruant avec son écharpe rouge nous salue, plus loin l’écolier au petit-beurre nantais ou la fillette du chocolat Menier nous rappellent les douceurs de l’enfance, le Quinquina Dubonnet était la boisson vedette des bistrots, toutes ces affiches semblent nous appartenir. Elles sont notre mémoire collective. Elles nous amusent parfois, nous fascinent par leur majesté populaire et nous font amèrement regretter cette ville nouvelle aux façades ternes.


Informations pratiques sur le site du musée: Exposition L’art est dans la rue | Musée d’Orsay
16 € l’entrée

Tendre est la province

Price: 19,00 €

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