Pour ? Contre ? Abstention ? Les députés français seront amenés à se prononcer sur l’euthanasie mardi – un texte dénoncé comme trop permissif.
Je jure par Apollon, médecin, que je ne remettrai pas de poison si on m’en demande, ni ne prendrai l’initiative d’une pareille suggestion.
Euthanasie. J’ai déjà eu l’occasion d’évoquer ce sujet dans les colonnes de Causeur il y a quatre ans. Je constate, hélas, que mes craintes d’alors étaient justifiées. La République s’apprête à ouvrir la boîte de Pandore, et nous savons déjà qu’il n’en sortira que ruine. Trois remarques.
La première : il est, et il faut le redire, des situations où le « coup de grâce » est une authentique miséricorde, et dans ces cas-là le geste d’un soignant ou d’un proche doit bien évidemment être lui-même regardé avec miséricorde. Il est des situations dans lesquelles nul n’a le droit de juger celui qui fait le choix de mourir, ni celui qui accepte de l’y aider – comme le second d’un samouraï lors du seppuku. Mais c’est une chose de reconnaître que des écarts à la règle sont parfois nécessaires, c’en est une autre de vouloir que ces écarts deviennent la règle.
La deuxième : les garanties promises aujourd’hui ne tiendront pas. Il y aura inévitablement ce que l’on qualifie pour l’instant de « dérives », mais qui n’est que le véritable objectif du texte. L’expérience des pays qui ont déjà légalisé l’euthanasie est sans équivoque, et les promoteurs de l’euthanasie le revendiquent explicitement, comme Jean-Louis Touraine parlant de « pied dans la porte » et annonçant « revenir tous les ans » pour la suite du programme : les mineurs, les malades psychiatriques, les malades d’Alzheimer. À cet égard, l’exemple de l’avortement – auquel l’euthanasie est régulièrement comparée – permet de conclure : la loi Veil était une loi d’humanité, une loi de compassion face au tragique de la condition humaine. Un demi-siècle plus tard, la République a totalement banalisé l’avortement « normal » (le fait même que l’on puisse employer ce mot pour parler d’avortement aurait probablement horrifié Simone Veil), et légalisé l’interruption médicale de grossesse à neuf mois pour « détresse psycho-sociale » (on est loin des cas terribles où il faudrait choisir entre la vie de la mère et celle de l’enfant), alors même que toutes les observations scientifiques démontrent qu’à la fin de la grossesse l’embryon est déjà une personne, et non une chose. L’euthanasie connaîtra une évolution similaire : demain elle sera normale, après-demain elle sera la norme.
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La troisième : la loi débattue à l’Assemblée est inspirée par une vision de l’Homme profondément malsaine. Le « coup de grâce » est, comme l’avortement dans l’esprit de la loi Veil, une lutte titubante sous le poids des limites humaines. Le seppuku est le sacrifice de sa vie pour l’honneur de ce à quoi on appartient et qui est plus grand que soi. Mais Emmanuel Macron, avec d’autres, fait au contraire de l’euthanasie un acte d’arrogance. Evoquant récemment le sujet, il a parlé de « faire de l’Homme la mesure du monde, libre acteur de sa vie de la naissance à la mort. » Voilà un usage bien malhonnête de la citation de Protagoras. Celui-ci enseignait que l’Homme est la mesure de toute chose, au plan épistémologique : nous ne connaissons le réel qu’à travers la perception que nous en avons – ce qui, incidemment, ne veut absolument pas dire que ce réel n’existerait pas en lui-même, indépendamment de nos perceptions. Mais faire de l’Homme la mesure du monde n’a pas du tout le même sens, ne serait-ce que parce qu’il s’agit d’un projet et non plus d’un constat. Ce projet est celui du relativisme et de l’hubris, que les Grecs considéraient comme la pire des fautes. Faire de l’Homme la mesure du monde, au lieu d’encourager l’Homme à s’élever à la mesure du monde. Mieux vaut encore le cri de défi de ceux qui veulent se mesurer au monde !
« Libre acteur de sa vie de la naissance à la mort. » À l’heure où l’on soupçonne de « l’emprise » derrière chaque rapport sexuel et une « relation de domination » derrière chaque contrat de travail, nous devrions donc croire que le choix de l’euthanasie, et lui seul, ne sera soumis à aucune pression sociale, familiale, économique. Nous devrions croire que les malades psychiatriques ou atteints d’Alzheimer dont parle Jean-Louis Touraine seraient capables d’un « choix libre et éclairé » ! Nous devrions croire qu’un mineur peut faire le « choix libre et éclairé » de se suicider par euthanasie avant même de pouvoir voter !
En 2021 j’écrivais : « il faut ne rien avoir compris de notre société pour ne pas voir la pression qui serait mise sur certains – trop compliqués ou trop chers à traiter : pensez donc un peu aux autres, vous n’apportez plus rien à la société, votre famille souffre tant de vous voir décliner, on manque de place dans les hôpitaux, vous avez déjà eu une belle vie et avec ce que coûte votre traitement on pourrait nourrir des dizaines d’enfants du tiers-monde, et ainsi de suite. » Que les mutuelles de santé considèrent comme un argument déterminant en faveur du projet de loi les économies qu’il leur permettra n’a rien de rassurant, et s’avère même d’une grande perversité puisque « en même temps » nous distribuons sans compter les visas médicaux, et sommes même priés de financer jusqu’à la nausée les soins de quiconque viole nos frontières.
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Dans un amendement (déjà validé) visant à durcir la répression du délit d’entrave à l’euthanasie, les rédacteurs invoquent « le droit de disposer de son corps (les non-vaccinés que le président avait « très envie d’emmerder » savent le prix que la République accorde à ce droit) dans le cadre de la fin de vie. » Si l’on accepte cet argument, alors empêcher une personne suicidaire de passer à l’acte doit également être sanctionné. Et on notera que l’entrave ne désigne pas seulement une entrave physique (comme d’immobiliser une personne qui voudrait sauter du haut d’un pont ?) mais aussi les « pressions morales ou psychologiques » exercées sur la personne euthanasiée comme sur les « soignants » qui pratiqueront l’euthanasie. Le législateur reconnaît donc soudain que des pressions peuvent interférer…. mais cette prudence ne s’applique que lorsque quelqu’un décide de vivre, pas lorsqu’il décide de mourir, puisqu’il n’y a en revanche pas de délit d’incitation à l’euthanasie !
Non contente de rompre définitivement avec l’éthique d’Hippocrate, la République l’enverrait en prison.
Hubris. Si vous avez déjà lu une tragédie grecque, vous avez déjà comme ça se termine.