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Malka après Voltaire et Voltaire après Dieu

Richard Malka publie "Après Dieu, Ma nuit au musée" aux éditions Stock, 2025


Malka après Voltaire et Voltaire après Dieu
Richard Malka © Hannah Assouline

Sa « Nuit au musée », Richard Malka l’a passée au Panthéon, avec Voltaire. L’avocat en tire un plaidoyer pour la liberté de pensée et la laïcité. Pour le droit de quitter sa religion aussi, même si pour lui, on a besoin d’une transcendance.


Les éditions Stock ont une collection intitulée « Ma nuit au musée ». Idée simplissime : prenez un écrivain, laissez lui choisir un musée, et enfermez-le avec les chefs-d’œuvre qui y sont préservés. Laissez mijoter toute une nuit, et recueillez au matin, dans un livre, les idées qui sont nées du frottement de sa cervelle contre les miracles d’art, de pensée, de culture, dont s’enorgueillit l’édifice.

Richard Malka a choisi le Panthéon. Si la nécropole républicaine n’est un musée que par extension, il est certainement un Conservatoire.

Vaillant petit livre

Une fois installé à l’ombre des grands hommes, pendant que votre officier de sécurité sommeille dans sa voiture, bien au chaud, et que vous disposez en tout et pour tout d’un lit de camp pour bercer vos songes, ferez-vous une revue de détail, énumérant tous ceux (et quelques celles) ici célébrés ? Ou en choisirez-vous un en particulier ? François Mitterrand, en 1981, avait fleuri d’une rose les tombes de Jean Jaurès, Victor Schoelcher et Jean Moulin. Histoire de s’inscrire dans une lignée, une famille.

Tout homme de culture qu’il fût, il ne lui est pas venu à l’idée d’honorer Voltaire, auquel Malka consacre son vaillant petit livre.

L’idée m’a touché. Il y a dix ans j’ai écrit Voltaire ou le Jihad, parce que notre modernité, à mon sens, n’avait plus que ces deux options. Malka, avocat de Charlie Hebdo, ami de ceux que le djihadisme a assassinés, a choisi Voltaire.

Autant le préciser à l’usage de ceux qui ne sont jamais entrés dans ce temple de la République – et Malka s’est bien gardé de l’oublier : face à celle de Voltaire, héraut de la Raison, la tombe de Rousseau offre l’option bêlante, chère aux pédagogues contemporains. Face au prêchi-prêcheur genevois, Voltaire est le fondateur, dit Malka, de la laïcité, « le produit le plus abouti des Lumières ». Le concept par lequel la France s’est « arrachée à l’attraction des religions » – du moins jusqu’à ces derniers temps.

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Voltaire fit du christianisme sa bête noire après le supplice du chevalier de La Barre en 1766 – le dernier supplicié français pour blasphème. Le dernier – jusqu’aux dizaines de morts de la dernière décennie. Jusqu’à Wolinski ou Cabu. Jusqu’à Samuel Paty. Jusqu’à…

Voltaire n’est pas exactement celui qu’on vous a vendu dans un système scolaire à la dérive. Les bien-pensants (et nombre d’enseignants parmi eux) qui ont envahi Wikipédia insistent sur son attitude soi-disant ambiguë vis-à-vis de l’esclavage, son mépris des juifs ou sa haine des homosexuels. Peut-être le très jeune Arouet a-t-il été malmené par l’un ou l’autre des précepteurs jésuites « antiphysiques » du collège Louis-le-Grand. Quant aux juifs, si Voltaire malmène le peuple de la Bible, c’est qu’il voit en lui l’initiateur des croyances absurdes qui ont suivi : « Tu haïssais tant le christianisme que tu as maudit un peu trop fort la religion qui l’a enfanté. » Rappelez-vous, Voltaire finissait ses lettres à ses amis par ce sigle célèbre, « écr. l’inf. » – écrasons l’infâme, c’est-à-dire le christianisme.

La liberté de croire… ou de ne pas croire

Le disciple le plus évident de Voltaire est le comte de Clermont-Tonnerre, qui en décembre 1789 affirmait à la tribune de l’Assemblée : « Il faut tout refuser aux juifs comme nation ; il faut tout leur accorder comme individus ; il faut qu’ils soient citoyens. » Fin des discriminations et des ghettos.

Remplacez « juifs » par « musulmans », et vous avez le fond de la pensée de Richard Malka, qui défend le droit des musulmans de quitter leur religion, ou de l’exercer avec la même latitude que les juifs qui, comme le raconte Pierre Birnbaum dans La République et le Cochon (2013), ont très vite su que l’on pouvait consommer de la charcuterie dans les grands banquets républicains et conserver chez soi le rituel du culte. Malka plaide pour la liberté de ne pas croire, seule garantie de la liberté de croire.

Il en est ainsi de la liberté de ne pas porter le voile, ni en Iran ni ailleurs. Ceux qui défendent le droit au voile peuvent tout aussi bien, écrit Malka, « célébrer une journée pour les bienfaits de l’esclavage et une autre à la gloire de l’excision ». Le voile, rappelle-t-il, est « un emblème antirépublicain, une résistance à la laïcité encouragée par les prédicateurs radicaux et les sites de propagande financés par le Qatar » – ou l’Iran, ou l’Algérie. Ou les islamo-gauchistes de chez nous, désireux, pour des raisons électoralistes, de revenir sur le grand principe de la loi de 1905 : « L’exclusion de la religion de la sphère publique. »

Et d’écorcher au passage le leader des Insoumis, qui jadis pensait que « porter le voile, c’est s’infliger un stigmate ». Et qui, comme l’écrit perfidement Malka, « semble avoir changé d’avis ».

Une République en péril ?

Voltaire est le chantre inlassable de la tolérance – lui qui était physiquement malade, à devoir s’aliter, tous les 24 août, anniversaire de la Saint-Barthélemy, « terreur d’État et sa référence dans l’horreur ». Comme le dit très bien Malka, « aujourd’hui c’est l’État qui protège et le peuple qui demande des restrictions de la liberté d’expression ». Mais peut-être, dans cette France fracturée en « communautés », y a-t-il, à présent plusieurs peuples… Ainsi commencent les prolégomènes des guerres civiles.

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Je suis moins enthousiaste lorsqu’en rappelant la préférence de Voltaire pour un « grand architecte », Malka souligne la nécessité de la conservation d’une transcendance, étant entendu que les objets de l’immanence, pour désirables qu’on nous les fasse paraître, ne satisferont jamais l’aspiration humaine à un au-delà de sa condition. Mais nous avons déjà une transcendance qu’il nous faut ressusciter. Les agnostiques de 1793, les incroyants des armées napoléoniennes, les athées des tranchées de 14-18, tous ceux qui « ne croyaient pas au ciel », comme disait Aragon, et nous-mêmes, avons en commun la République, c’est-à-dire la liberté dans la laïcité.

Plus qu’une plaidoirie, ce livre est une fine analyse de notre situation actuelle, à la lumière – c’est le cas de le dire – de la Raison voltairienne. Mais y en a-t-il une autre ?

Richard Malka, Après Dieu, « Ma nuit au musée », Stock, 2025, 220 p.

Après Dieu

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Février 2025 - #131

Article extrait du Magazine Causeur




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Normalien et agrégé de lettres, Jean-Paul Brighelli a parcouru l'essentiel du paysage éducatif français, du collège à l'université. Il anime le blog "Bonnet d'âne" hébergé par Causeur.

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