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En Espagne, la loi sur le consentement sexuel provoque un scandale judiciaire et une polémique gouvernementale

74 détenus libérés prématurément!


En Espagne, la loi sur le consentement sexuel provoque un scandale judiciaire et une polémique gouvernementale
La Ministre espagnole de l'Égalité, Irene Montero, dans la tourmente, au Sénat, Madrid, février 2023 © LaPresse/Shutterstock/SIPA

Des violeurs voient leur peine réduite dans le pays, suite à une loi idéologique promulguée par Podemos (extrême gauche).


Ce devait être l’une des lois-phares de la législature qui s’achèvera à la fin de l’année 2023 en Espagne. Ce devait également être un texte fondamental pour la gauche « radicale » d’Unidas Podemos, qui fait partie du gouvernement de coalition avec les socialistes outre-Pyrénées – notamment pour la ministre de l’Égalité, Irene Montero. C’est pourtant un échec lourd de conséquences dont se serait bien passé l’exécutif à la veille d’un cycle électoral qui débutera par le scrutin municipal et régional du 28 mai prochain.

Le grand moment d’Irene Montero

Adoptée de manière définitive au Congrès des députés (chambre basse du Parlement espagnol) en septembre 2022, la Loi organique de Garantie intégrale de la Liberté sexuelle constituait à l’origine un succès pour Irene Montero. Son groupe parlementaire (qui avait besoin d’exister au sein d’une alliance gouvernementale où son agenda se réduisait comme peau de chagrin) défendait bec et ongles cette réforme du code pénal en matière de protection des femmes. Elle était connue depuis un moment dans les médias de notre voisin ibérique comme la loi du « seul un oui est un oui » (ley del sólo sí es sí). En effet, elle cherchait à accorder une importance renouvelée au consentement explicite des citoyennes espagnoles dans le domaine des relations sexuelles.

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Le texte faisait suite à un immense scandale judiciaire, celui de la « Meute de Pampelune » (Manada de Pamplona). Le 7 juillet 2016, durant les fêtes de la Saint-Firmin, dans la capitale de la Navarre, une jeune fille de dix-huit ans était violée par cinq hommes. Ces derniers ont d’abord été condamnés pour abus sexuel par deux tribunaux régionaux avant que, face au tollé médiatique et social, la Cour suprême ne requalifie les faits en viol en juin 2019. La distinction entre ces crimes et délits alors prévus par le code pénal espagnol se fondait notamment sur l’existence ou non de violence physique et d’intimidation envers les victimes.

Manifestation après la remise en liberté de la « meute de Pampelune », 22/06/2018. Sur la pancarte de la manifestante, nous pouvons lire : « Les magistrats et les violeurs sont les enfants sains du patriarcat ». Photo: Lito Lizana / SOPA Images/SIPA

Un contenu sujet à débat

Comme beaucoup d’Espagnols, Irene Montero s’était dite outrée par les deux premiers jugements et avait promis de réformer la loi si elle parvenait au pouvoir. C’était donc chose faite en septembre 2022 avec la ley del sólo sí es sí. Cette dernière prévoyait, entre autres, que les pouvoirs publics devraient renforcer le soutien aux victimes et établir des mesures de protection spécifiques pour les enfants de femmes agressées. Elle inscrivait comme délit le harcèlement de rue, accroissait les poursuites contre les proxénètes, consolidait les peines contre un certain nombre d’actes violents contre les femmes… et supprimait la distinction entre abus et agression sexuelle afin de ne retenir que cette dernière. Un système progressif était dans le même temps mis en œuvre en matière de condamnations, en fonction de la gravité des actes reprochés.

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Dès la présentation de sa première version, le projet de loi a suscité de nombreuses critiques de la part des membres socialistes du gouvernement – en particulier du ministre de la Justice de l’époque, Juan Carlos Campo, et du titulaire du portefeuille de l’Intérieur, Fernando Grande-Marlaska. Le texte était très mal rédigé et il ne s’en dégageait aucun professionnalisme mais Unidas Podemos ne voulait rien céder. Par ailleurs, le Conseil général du Pouvoir judiciaire (équivalent de notre Conseil supérieur de la magistrature) s’inquiétait de l’esprit de la loi ainsi proposée. En effet, elle inversait la charge de la preuve dans le domaine du consentement sexuel: c’était désormais à l’homme de prouver que ce dernier avait été formulé explicitement avant l’acte si une plainte était déposée.

Par ailleurs, la fusion des délits d’abus et d’agression risquait d’entraîner, en l’absence de dispositions transitoires, un abaissement généralisé des peines déjà prononcées dans ce type d’affaires. De nombreux dirigeants, spécialistes de droit et associations juridiques ont tiré la sonnette d’alarme à ce sujet. Refusant de les écouter, Irene Montero n’a pas modifié les passages mis en cause et a réussi à faire voter son texte.

Des répercussions catastrophiques

Pourtant, les terribles conséquences attendues se sont bel et bien produites. Dès l’entrée en vigueur de la nouvelle législation, les tribunaux espagnols ont été saisis par des personnes condamnées pour abus ou agression sexuelle et ont, dans une grande partie des cas, statué en faveur d’une réduction de peine… voire d’une libération pure et simple. Début mars 2023, le Conseil général du pouvoir Judiciaire estimait à 721 le nombre de détenus ayant bénéficié de la mauvaise rédaction du texte – dont 74 avaient pu sortir de prison.

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Les représentants d’Unidas Podemos n’ont pas tardé à éreinter les décisions prises par les magistrats. Irene Montero est allée jusqu’à expliquer qu’il s’agissait de manifestations de machisme et de la conséquence d’une mauvaise formation des juges. La gauche « radicale », toutefois, a fini par accepter l’idée d’une réforme de la loi. Ce changement (pourtant déclaré urgent par le chef de cabinet, Pedro Sánchez) n’a toujours pas été voté, au 12 avril 2023. Unidas Podemos reproche aux socialistes de négocier le texte corrigé avec l’opposition de droite, qui avait émis son désaccord avec la loi Montero. Tout cela accentue les tensions au sein de la coalition au pouvoir.

Ce n’est évidemment pas une bonne nouvelle pour le camp gouvernemental à l’approche des élections et augure de futures déconvenues juridiques. La fameuse « loi Trans », adoptée en février dernier et accusée par certains secteurs idéologiques de dégrader la condition féminine (notamment en raison de l’autodétermination de genre qu’elle fait sienne), pourrait connaître le même sort.



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Nicolas Klein est agrégé d'espagnol et ancien élève de l'ENS Lyon. Il est professeur en classes préparatoires.

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