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L’inaction du pouvoir est-elle obligatoire?

Présidents fainéants : nous sublimons depuis des décennies l'inaction politique en France


L’inaction du pouvoir est-elle obligatoire?
Le président français Jacques Chirac (1932-2019). DR.

Dette, Algérie, désindustrialisation, crise identitaire… Macron ne fait plus grand-chose, mais il n’est même pas tellement à blâmer.


Avec ce titre, je ne distingue pas le pouvoir de droite ou de gauche, je mets ensemble François Hollande et Emmanuel Macron, et d’autres avant eux.

J’entends souvent dire sur le plateau de Pascal Praud sur CNews que le pouvoir se contenterait de parler et ne ferait rien. C’est l’impression qu’en effet ressentent beaucoup de citoyens. Ils déplorent que l’action ne suive pas les promesses et que les constats et rapports demeurent lettre morte. Je suis encore plus pessimiste qu’eux. Cela tient à ma certitude que rien n’est dû au hasard et qu’en réalité tout est d’une certaine manière organisé au niveau politique pour ne rien accomplir.

Comme si l’action politique faisait courir trop de risques : il est si facile d’expliquer son absence que la mettre véritablement en oeuvre relèverait d’une forme d’irresponsabilité !

Il y a plusieurs raisons tenant à une psychologie profonde et à une certaine conception de l’art de gouverner qui permettent en effet aux pouvoirs de théoriser leur impuissance en sagesse et de constituer les maîtres de cette inertie, comme Jacques Chirac par exemple, en modèle admiré et indépassable !

Il me semble que l’action elle-même, en ce qu’elle clive, oblige à sacrifier et a d’irréversible, fait peur car elle ne laisse plus place à l’équivoque, au charme du virtuel et à l’espérance d’un possible consensus. Elle choisit dans le réel et s’aliène forcément les adeptes de la part abandonnée.

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À considérer la vie politique nationale, les périodes où une authentique action a été remarquée sont d’ailleurs très rares. Il y a eu 1958, les débuts de la présidence de Giscard, 1981 à 1983 avec François Mitterrand, Nicolas Sarkozy dans les suites immédiates de son élection, Emmanuel Macron dans la première année de son mandat initial.

Outre ces moments qui ont été incontestablement opératoires et transformateurs, on peut relever l’attitude générale à l’égard des ministres très actifs. Par exemple, un Gérald Darmanin qui est un garde des Sceaux pragmatique et volontariste, au lieu d’être loué pour son activité et ses multiples projets, n’est pas loin de voir l’une et les autres être traités de « communication » parce qu’ils sortent de la pratique ministérielle ordinaire.

Il est frappant de constater qu’en amont de l’action, avant de s’y résoudre, notre démocratie offre des opportunités pour en donner l’illusion ou se justifier quand on n’a même pas tenté de l’approcher.

Faire voter une loi est apparemment le moyen le plus noble pour faire semblant. Rien de tel pour redorer le blason d’un pouvoir inerte que de soumettre à l’Assemblée nationale des dispositions qui, validées et inscrites dans le marbre parlementaire, suffiront pour donner le change et constitueront pour les naïfs des preuves d’action. Alors que la loi est devenue trop souvent un substitut à l’action.

Le verbe présidentiel, avec, à intervalles réguliers, des injonctions ou des résolutions vides de sens puisque jamais concrétisées, est pourtant très efficace pour beaucoup qui prennent le mot au pied de la lettre alors qu’il sera destiné à mourir de sa belle mort quand le citoyen l’aura oublié.

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Les colloques, les conférences, les cénacles, les missions, les études, les commissions, les rencontres, les entretiens médiatiques, les débats grands ou petits ne sont qu’autant de simulacres pour échapper à la terrible obligation d’avoir, pour les gouvernants, à modifier le réel quand il est à réformer, à l’améliorer quand sa base est bonne. Tout sert à cela : l’essentiel est d’entourer l’inaction d’une mousse médiatico-politique consistante mais sans le moindre effet sur les choses et les êtres, sur notre société.

Alors que de mauvais esprits pourraient tout simplement énoncer que « quand on veut on peut » et que ce n’est pas une idée médiocre que de songer à consulter le peuple. Viennent au secours de cette impuissance risquant d’être démasquée l’État de droit, les juridictions administratives, les instances européennes, l’opposition constante de pays contre lesquels on n’esquisse rien. L’ensemble de ces données étant superficiellement dénoncé mais en profondeur salué parce que les pouvoirs de droite ou de gauche trouvent là une excuse qui dure pour ne rien faire. Il ne s’agit surtout pas de forcer le destin mais de s’y soumettre, l’esprit et les bras ballants.

L’inaction du pouvoir, en résumé, n’est pas obligatoire mais on fait tout pour la sublimer.



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Magistrat honoraire, président de l'Institut de la parole, chroniqueur à CNews et à Sud Radio.

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