Ce moi-ci, pour oublier ma laisse d’un kilomètre, je me suis transporté en rêve à quelques milliers de miles, entre L.A. et Washington D.C., auprès de mes amis Trump et Bret Easton Ellis.
MAKE AMERICA SMALL AGAIN
Mardi 3 novembre – Mercredi 20 janvier
L’Amérique a perdu un grand président. Ce n’est pas moi qui le dis, ce sont les antitrumpistes primaires.
En 2016, Mr Orange était à peine élu que les élites libérales ont commencé de se lamenter sur les drames d’une « ère Trump » même pas inaugurée.
Mieux : dès le printemps 2017, les critiques littéraires et cinématographiques les plus pointus se sont mis à dénicher un peu partout dans les nouveautés, tels des œufs de Pâques, des « métaphores » de ladite ère Trump. Je vous en fais un de mémoire, façon Télérama : « Racisme, violence, inégalités : un regard cru sur l’Amérique de l’ère Trump ».
Et tout ça à propos d’œuvres entièrement conçues et réalisées sous le règne d’Obama ; mais dire ça, c’est faire peu de cas du génie visionnaire de l’artiste, n’est-ce pas ?
Aujourd’hui encore, et malgré la chute de ce Saddam U.S., le cauchemar est loin d’être fini, apprend-on. Dans son éditorial du 5 novembre, Le Monde résume sobrement l’état d’esprit de l’intelligentsia transatlantique : même défait aujourd’hui, le trumpisme restera un « héritage durable de la politique des États-Unis ».
Avec ses 72 millions d’électeurs rednecks, son Sénat rouge sang et sa Cour suprême désormais facho pour trente ans, ce diable pourrait bien saboter une « ère Biden » qui s’annonçait pourtant radieuse. Voire, horresco referens, revenir au pouvoir dans quatre ans…
En tout cas, le camp démocrate a tout intérêt à brandir ce scénario d’épouvante. Pas de gentils sans méchant ! Imagine-t-on Stephen King écrivant un Ça, chapitre 2 sans retour du Clown tueur ?
COMMENT J’AI LIBÉRÉ MA CRÉATIVITÉ
Jeudi 12 novembre
Une amie m’a prêté le best-seller mondial de Julia Cameron, Libérez votre créativité (J’ai Lu, 345 pp, 7,60 €). « Toi qui écris, ça peut toujours te servir. » Comment devais-je le prendre ?
En tout cas je l’ai pris. Une méthode révolutionnaire pour « chasser blocages et inhibitions et stimuler [mon] élan créateur », ça ne se refuse pas. Au pire, ça pourrait toujours faire l’objet d’un papier, voire d’une chronique entière.
Hélas ! Ça commence bien mal. Le premier commandement de ce programme consiste à « rédiger chaque jour ses pages du matin ». Rédhibitoire pour moi, qui vis à l’heure néo-zélandaise.
À moins que le mot « matin » puisse être remplacé sans dommage par « heure du réveil ». Malheureusement, dans son livre, Julia n’en souffle mot. Quelqu’un aurait-il son numéro de téléphone, que je lui pose la question ?
Promis, je tiendrai compte du décalage horaire.
ELLIS ISLAND
Mercredi 18 novembre
« J’aime l’idée d’être un auteur vieillissant qui fout en l’air son image. » C’est cette phrase de Bret Easton Ellis, interviewé par Beigbeder dans le Fig Mag, qui m’a donné envie de lire White – sa première « non-fiction », comme on dit connement.
Jusqu’à présent, Ellis était l’auteur à succès de romans sulfureux, dont American Psycho. Gay de surcroît, il était classé a priori « intello-libéral », malgré quelques dérapages.
Avec ce pamphlet, BEE brûle ses vaisseaux, dégonflant tour à tour les baudruches intellectuelles de l’époque : « inclusion », communautarismes et victimisation généralisée, sur fond de « likable » unique et obligatoire sous peine d’ostracisme.
Tout a commencé il y a dix ans sur Twitter. Parfois, la nuit, Bret s’installe devant son clavier, une bouteille de tequila à portée de main, et raconte ce qui lui passe par la tête.
Entre deux shots, il signale ainsi des trucs à lire et à voir, ou à fuir, explique pourquoi « c’est une mauvaise idée de faire l’amour en regardant Game of Thrones » ou compare Amour de Michael Haneke, tout juste oscarisé, à « La Maison du lac dirigé par Hitler ». Bret est un chahuteur.
Preuve qu’il ne se relit pas toujours : une nuit, le distrait commande de la drogue sur son compte public. « Ivre, je pensais que j’envoyais un texto », plaide-t-il.
Au fil de ses provocs, certains « followers » se transforment en « haters », qui se disent « offensés » par ses prises de position. C’est qu’on ne peut pas dire n’importe quoi sur Twitter ! – Où d’autre ? répond-il.
Premier scandale en 2010 : Katheryn Bigelow reçoit l’Oscar du meilleur réalisateur pour Démineurs. Et BEE de tweeter : « Si le metteur en scène avait été un homme, jamais il n’aurait eu l’Oscar. »
Aussitôt, partout on hurle à la misogynie, voire à la gynophobie ; mais il s’en fout. Au contraire, l’épisode réveille en lui le « mauvais garçon », qui désormais va troller à tous les vents et contre le vent. Son plus grand plaisir : écrire des horreurs telles que ces messieurs-dames de l’élite libérale « serrent leur collier » d’indignation en le lisant.
Après les femmes, il s’en prend donc aux « milléniaux », qualifiés de « génération dégonflée », puis à sa propre « communauté » (« gays identitaires » et « gays grand public ») et même à Black Lives Matter pour son look déplorable qui, assure-t-il en esthète, nuit considérablement à la cause.
Mais le plus gros succès de Bret sur Twitter n’est pas prémédité. En 2016, avec la campagne présidentielle, l’hystérie anti-Trump a gagné chez ses amis, et les « résistants » se planquent. Un soir qu’il dîne à West Hollywood (« WeHo » pour les intimes) avec deux couples d’amis branchés, il est ainsi témoin d’un double coming out politique.
L’un après l’autre, l’un entraînant l’autre, ces quatre obamistes de toujours finissent par le confesser, soulagés, sous l’œil amène de Bret : cette fois c’est décidé, ils vont voter Trump, parce que y en a marre – mais surtout faut pas le dire.
À peine rentré chez lui, notre ami, éméché mais pas trop, balance le scoop sans citer les noms : « Il y a des trumpistes à WeHo ! »
Puis il s’endort paisiblement… jusqu’à ce que son petit ami le réveille en sursaut : « Putain, qu’est-ce que tu as tweeté ? » De fait il découvre, sidéré, des milliers de reprises et commentaires, et des dizaines de demandes d’interview. Sans compter, abricot sur le gâteau, un retweet de @realDonaldTrump en personne !
Après ça, tu peux mourir. Lui, il est juste passé aux podcasts.
HAPPY BIRTHDAY Mr PRESIDENT !
Dimanche 22 novembre
Pour fêter le 130ème anniversaire de sa naissance, un bon mot du général de Gaulle : « Je ne respecte que les gens qui me résistent. Malheureusement, je ne peux pas les supporter. »
La surévaluation des notes, une des tares du système éducatif français.
Une mauvaise cuisine éducative
Il est désormais établi que nombre de lycées ont mis en place une double comptabilité : les copies sont notées en valeur plus ou moins réelle, mais les bulletins, qui génèreront les livrets scolaires sur lesquels s’appuiera Parcoursup, sont remplis de notes fantaisistes et sur-évaluées.
Notez bien que les notes « réalistes », celles que MonChéri-MonCœur ramène à la maison, sont elles aussi augmentées, afin de ne pas froisser la susceptibilité des « géniteurs d’apprenants ». Un enseignant qui se risque, aujourd’hui, à noter en s’approchant de la valeur réelle se fait rappeler à l’ordre par les parents d’élèves via les boîtes de dialogue (en fait de surveillance et de pression) de ProNote, — et au besoin, s’il s’obstine, par son administration, qui cherche avant tout à minimiser les écarts être les nôtres attribuées et celles que l’on affichera glorieusement dans le récit officiel qu’est le livret scolaire.
C’est cela, le sale petit secret de la cuisine éducative. En Primaire, on ne note plus — on attribue des couleurs, c’est plus seyant, et le noir est exclu. On a proscrit les redoublements, donc on note de façon à ce que le passage paraisse mérité. Et on a fait du Bac une formalité de fin d’études. Et cela va, cahin-caha, jusqu’au moment (disons en troisième année de fac, ou dès la première année de prépas) où l’élève se heurte au mur de la réalité, et s’écrase gentiment dans des filières sans espoir qui enseigneront la meilleure façon de passer le temps dans une salle d’attente de Pôle-Emploi. Ou à patienter, assis sur son vélo Uber, entre deux pizzas et trois sushis à livrer.
Le nivellement par le bas
En 2015, j’ai été convoqué au ministère, reçu par Agathe Cagé, ex-élève de la CPGE où j’enseignais et conseillère de Vallaud-Belkacem. On m’a sondé pour savoir si je collaborerais à un projet de disparition totale des notes. J’en ris encore. Mais c’est pourtant ce qui s’est mis en place — sauf qu’au lieu de les faire disparaître, on les a gonflées. Dans une note donnée en collège ou en lycée, il y a aujourd’hui à parts égales du silicone et de la solution hydro-saline — comme dans les implants mammaires. C’est ainsi que l’on passe d’un honnête 85 B à un 85 E. C’est ainsi que l’on glisse de 6 à 14.
J’explique. Une dissertation de Lettres, en classe de Première, pompée pour l’essentiel sur le Net, mérite techniquement 2/20 (pour le papier et pour l’encre) ; elle est notée aujourd’hui autour de 10 — et l’élève ramassera finalement une moyenne de 13 sur son livret scolaire. C’est mieux que le monde merveilleux de Walt Disney.
D’ailleurs, c’est ce qu’il aura au Bac — vu que les notes y sont tout aussi fictives. Les correcteurs ont des instructions pour ne pas noter en dessous de 8 — et tout enseignant faisant preuve de mauvais esprit est dégagé, et ses notes sont corrigées en commission, afin que le centre d’examen où il a sévi se retrouve à parité avec les autres (les comparaisons arrivent en temps réel, on sait donc sur quoi se baser pour noter). Car on sait, statistiquement, qu’un centre d’examen qui note trop bas menace la fiction des 95% de réussite chère aux parents, aux institutionnels, et aux enseignants qui pour rien au monde ne consentiraient à revoir, l’année suivante, les mêmes têtes de lard face à eux.
Précisons, tant qu’à faire, que le correcteur qui obéit à la contrainte du groupe a lui-même, s’il a le CAPES depuis moins de dix ans, bénéficié d’une notation très optimiste lorsqu’il a passé son concours de recrutement. Les jurys peinent à remplir tous les postes que le ministère met en jeu — au grand dam des syndicats qui voudraient que tous les admissibles, et non admis, de l’année dernière soient promus « reçus » séance tenante. C’est avec ce type de raisonnement que l’on a accepté, au CAPES de Maths il y a quelques années (vous savez, les maths, cette matière dans laquelle nous brillons par défaut au niveau mondial) des postulants qui avaient glorieusement 4 / 20 de moyenne. Ce sont ces gens-là qui enseignent aujourd’hui à vos enfants.
Un système entièrement vérolé
Il y a deux ans, lorsque des syndicats ont accouché de l’idée absurde de faire la grève des copies du Bac, j’ai suggéré plutôt de noter les performances des candidats pour ce qu’elles valaient — quitte à laisser un Inspecteur reprendre patiemment, à la main, toutes ces moyennes méritées, donc impossibles. Personne, dans le monde syndical, n’a cru bon de faire écho à cette suggestion rationnelle — peut-être par manque de correcteurs capables d’évaluer exactement ce que vaut une copie. C’est plus facile de faire la grève des notes que d’en mettre de mauvaises, toute justifiées soient-elles.
L’ensemble du système est vérolé. Et là aussi, l’Éducation nationale a accouché d’un système à deux vitesses, entre les parents informés, qui savent bien que le 18 au Bac de leur rejeton vaudra 6 dès le premier devoir en Maths-Sup (ceux-là ne disent rien, et paient des cours particuliers), et parents peu au fait des réalités, qui ne comprennent pas que la prunelle de leurs yeux n’aient pas au moins 14 de moyenne pour célébrer son manque de travail, de bonne foi, de sens de l’effort et de goût de la compétition.
Vous voulez que votre progéniture soit bien notée ? Faites-la bosser ! Supprimez la télé, les portables, les jeux vidéos, les soirées à papoter dans le vide avec d’autres crétins dans leur genre. Mettez-les au travail. Offrez-leur des livres — des vrais, sans images. Ne les lâchez pas. Faites-leur la guerre.
Ce que vous acceptez de sportifs de haut niveau, la compétition impitoyable, les entraînements éreintants, les matches qui se succèdent à un rythme effréné, il faut l’imposer pour le travail scolaire. Dire « Ils ne seront pas prêts pour les épreuves anticipées du Bac », c’est refuser l’obstacle : il y a une épreuve, à une date donnée, on se débrouille pour travailler afin d’être prêt au jour J. Et c’est tout.
L’Éducation nationale est un parc d’attractions où chaque détail a été pesé afin de satisfaire et d’illusionner le plus grand nombre
Et s’il vous plaît, laissez les enseignants enseigner. Vous n’allez pas expliquer à votre boulanger comment on fait le pain, vous ne vous risquez pas à contester le traitement que vous ordonne votre médecin. C’est pareil : votre compétence, en matière d’enseignement, est nulle. Autant vous y faire. Parce que des démagogues ont inventé il y a quelques années la notion creuse de « co-éducation », vous vous croyez autorisés à intervenir dans le champ scolaire — alors que vous n’avez rien à y faire, ni pour juger les notes, ni pour juger les contenus.
L’Éducation nationale est un parc d’attractions où chaque détail a été pesé afin de satisfaire et d’illusionner le plus grand nombre — pour que les gogos patientent jusqu’à ce que tombe le couperet. Mais alors, il sera trop tard.
Le Covid tue en suscitant chez le malade une surréaction de son système immunitaire. Au niveau de l’État, c’est pareil: la double peur de la sanction pénale et de l’opinion publique poussent l’exécutif et les fonctionnaires à surréagir pour se couvrir et la machine technocratique, hypercentralisée, s’emballe. La crise sanitaire devient une crise de l’État avant de dégénérer en crise économique et sociale.
Mercredi 4 novembre, Carcassonne. Des policiers, sans doute accablés par l’inanité de leur propre mission, inspectent un hypermarché Leclerc, afin de vérifier qu’il vend seulement des biens « essentiels », au sens du décret du 2 novembre modifiant le décret du 29 octobre… Assiette ? Non essentiel. Poêle à frire ? Essentiel… Un sommet de l’absurde atteint au terme d’une succession d’étapes raisonnables. Pour réduire les interactions sociales, il faut fermer les boutiques. Comme les Français ont besoin de manger, il convient de garder les grandes surfaces ouvertes ; le petit commerce dénonçant une inégalité de traitement, le gouvernement en est venu à définir ce qu’est un produit essentiel. Un pyjama taille 2 ans est essentiel. Taille 3 ans, il ne l’est pas. Sanglier Magazine et Causeur sont essentiels. Les livres ne le sont pas.
Deux commissions d’enquête
Une anecdote parmi des centaines, illustrant la gestion de crise chaotique de l’épisode Covid. Impossible de les lister toutes, mais comment passer sous silence le fait qu’une pharmacienne niçoise a été condamnée à un an de prison avec sursis et un an d’interdiction d’activité le 27 avril 2020 pour avoir vendu des masques, dont le port sera rendu obligatoire à Nice le 20 août ? « Il semble que notre monde ait totalement perdu la raison. Nous n’agissons plus que dans l’émotionnel, sans réfléchir. Cette irrationalité nous faisant glisser doucement sur le toboggan de la radicalité de nos comportements », écrivait le 10 mars le député Agir ensemble du Haut-Rhin Olivier Becht. Le 8 novembre, le même réclamait des amendes de 10 000 euros pour non-respect du confinement…
Les parlementaires, pourtant, devraient savoir que la France est au bord de l’overdose d’incohérence. Deux commissions d’enquête, créées respectivement au Sénat et à l’Assemblée, se penchent depuis le début de l’été sur la réponse apportée à la crise sanitaire. Pendant qu’elles travaillaient, les fermetures de lits dans les hôpitaux se sont poursuivies. Cent lits ont été supprimés à Nantes au cours de l’été, 200 à Caen, 184 à Reims, 100 à Limoges, etc. Depuis 2003, la France a réduit ses capacités en hospitalisation à temps complet de près de 75 000 places, sous l’impulsion d’un Comité interministériel de « performance et de la modernisation de l’offre de soins » qui n’entend pas interrompre son ambitieux programme.
Faut-il en conclure que tous nos comités Théodule sont en roue libre et que plus personne ne contrôle rien ?
Au contraire.
Le principe de précaution poussé à l’extrême
L’analyse de la crise institutionnelle en cours prendra des années, mais les premiers travaux ne suggèrent pas du tout un effondrement des centres de décision, comme en juin 1940. Ils montrent plutôt une surréaction ! « Le champ de la gestion publique est saturé d’organisations, on le sait depuis longtemps, relève Henri Bergeron, directeur de recherche au CNRS, spécialiste de la santé au Centre de sociologie des organisations. Dans le contexte Covid, les contraintes budgétaires et hiérarchiques qui régulent ordinairement leur action ont été brusquement levées. » Loin d’être paralysé, le pouvoir serait plutôt en phase d’emballement depuis des mois, un peu comme un système immunitaire qui se retourne contre l’organisme.
La bascule intervient le 10 mars, lorsque l’Italie entière est placée en confinement. La France l’imitera une semaine plus tard, mais les travaux parlementaires montrent que la décision a été prise dès le 12 mars, après un temps de réflexion très court. « À quelles conditions peut-on introduire une mesure inédite, qui ne figure dans aucun texte de loi ou plan, qui n’a jamais été testée, qui n’a fait l’objet d’aucune étude scientifique ? » s’interrogent Henri Bergeron et ses collègues sociologues dans un ouvrage paru début octobre[tooltips content= »Henri Bergeron, Olivier Borraz, Patrick Castel et François Dedieu, Covid-19 : une crise organisationnelle, Presses de Sciences-Po, 2020. »](1)[/tooltips]. Bonne question, restée à ce jour sans réponse. Le confinement général a été décidé sans que personne ait la moindre idée de son efficacité. La Chine ne l’avait pas expérimenté, se bornant à confiner des régions. Elles sont certes aussi peuplées que des pays européens, mais ne possèdent nullement les caractéristiques des États autonomes. Les centres névralgiques de Chine n’ont jamais cessé de fonctionner. Le gel d’un pays entier est une invention italienne, et cela tient peut-être à un séisme vieux de onze ans.
Le précédent de l’Aquila en Italie
Le 6 avril 2009, la terre a tremblé près L’Aquila, ville des Abruzzes, tuant 299 personnes. Trois ans plus tard, en 2012, un tribunal italien a condamné à six ans de prison ferme cinq scientifiques de la commission italienne chargée d’évaluer les dangers liés aux tremblements de terre. Chef d’accusation : « homicide par imprudence ». La justice ne leur a pas reproché de ne pas avoir prévu le séisme, ce que personne ne sait faire, mais d’avoir accepté de porter une parole rassurante dans les médias, alors que la terre tremblait déjà depuis quelques jours dans le secteur et que certaines voix réclamaient une évacuation préventive ! Considérée comme un scandale par l’ensemble de la communauté scientifique, cette décision de première instance répondait à une demande populaire italienne. Elle a été cassée en appel en 2016. Néanmoins, selon un haut fonctionnaire français de l’enseignement supérieur et de la recherche, elle reste très présente dans la mémoire des experts italiens, bien au-delà du cercle des sismologues. « L’ancien directeur de la protection civile italienne, Guido Bertolaso, était commissaire extraordinaire à la crise de L’Aquila, en 2009. Il a vu monter en direct les appels à lyncher les sismologues. Et en mars 2020, on le retrouve consultant des régions Lombardie, Sicile et Ombrie pour la gestion du Covid… Il est sur une ligne de précaution maximale, comme ses collègues. Quand vous êtes expert dans l’Italie post-Aquila, vous n’êtes jamais trop couvert. »
Les experts sont par définition des spécialistes, qui reconnaissent la parole de leurs pairs. C’est leur force et parfois leur faiblesse, quand ils rediffusent et amplifient une erreur initiale. En avril 2010, suite à l’éruption du volcan islandais Eyjafjöll, tout le ciel européen a été paralysé, sans raison. « Une histoire ahurissante, raconte René Zanni, ingénieur de l’aviation civile devenu consultant spécialisé en gestion des systèmes complexes. Les cendres volcaniques peuvent en effet bloquer les moteurs d’un avion de ligne – c’est arrivé en 1983 en Indonésie –, mais il faut vraiment être au mauvais moment au mauvais endroit. Dans le cas de l’Eyjafjöll, le danger existait, mais dans une zone limitée. Les aéroports écossais ont fermé leur espace, par précaution, parce que le vent tournait et pouvait amener le nuage vers l’Europe. » L’emballement commence alors. « On avait créé à Londres un Volcanic Ash Advisory Center (“centre de conseil en cendres volcaniques”,) qui n’avait pas encore eu l’occasion de montrer son utilité. Il a préconisé d’étendre la mesure à tout l’espace aérien britannique. Londres l’a écouté, Berlin a suivi. De proche en proche, la paralysie a gagné l’Europe de l’Est, l’Ukraine, l’Arménie… » Bilan, des centaines de vols annulés, près de 2 milliards de dollars de pertes pour les compagnies aériennes. D’autres éruptions survenues depuis lors en Islande n’ont pas entraîné la moindre annulation de vol. « Ce n’est pas de l’incompétence, pointe René Zanni. C’est un problème systémique. Dans la gestion de crise, la sécurité est logiquement mise tout en haut de la pile des critères. Le point critique, ce sont les indicateurs de risque. Si vous ne retenez pas les bons, vous risquez de vous planter. »
Compter les morts du Covid, pas si simple
Dans ce registre, le confinement de mars et le demi-confinement d’octobre semblent pourtant fondés sur un indicateur net comme un coup de faux. Il s’agit des admissions de patients en danger de mort, de nature à submerger les capacités de réanimation. L’assignation à résidence des Français a été décidée, car « les autres options disponibles auraient coûté trop de vies », résument les auteurs de Covid-19 : une crise organisationnelle.
Selon Anne-Laure Boch, neurochirurgien à la Salpêtrière, à Paris, cette lecture est simpliste. Tout en déplorant la réduction obsessionnelle des coûts, au sein d’un secteur hospitalier « à l’os », elle pointe l’ambiguïté de la notion de surcharge des services de réanimation. « L’hôpital en France étant désormais géré à flux tendu, n’importe quelle crise est susceptible de dépasser ses capacités théoriques », souligne-t-elle. En pratique, pendant les pics de Covid, « les médecins ont fait face comme ils le font souvent, en triant les patients. La moraline ambiante empêche de le dire, mais c’est un aspect de leur métier. Il faut leur faire confiance. Envoyer en réanimation des malades très âgés et très fragiles relève de l’acharnement thérapeutique. Les taux de survie à six mois sont désastreux. »
Grand âge, insuffisances respiratoires, fragilités cardiaques: attribuer au Covid des morts provoquées par un bouquet de causes fait flamber les chiffres
Autre indicateur présumé robuste de la gravité de la crise, le nombre de morts du Covid est tout aussi délicat à interpréter. Dans une note trop peu commentée, publiée en avril 2020[tooltips content= »Alain Bayet, Sylvie Le Minez et Valérie Roux, « Mourir de la grippe ou du coronavirus : faire parler les chiffres de décès publiés par l’Insee… avec discernement », Insee, 7 avril 2020. »](2)[/tooltips], l’Insee souligne qu’il peut exister « un rapport de 1 à 10 entre le nombre de décès causés directement par la grippe et recensés comme tels dans les certificats de décès, et le nombre de décès dont l’épidémie est responsable » en comptant large. Grand âge, insuffisances respiratoires, fragilités cardiaques… Attribuer au seul Covid des morts provoquées par un bouquet de causes fait flamber les chiffres. Une des raisons pour lesquelles la Belgique a des indicateurs de mortalité par Covid parmi les plus élevés en Europe est qu’elle retient les décès par « suspicion » de Covid dans ses statistiques. L’Allemagne, à l’inverse, a des statistiques Covid restrictives. Il ne fait aucun doute que le coronavirus fera des dizaines de milliers de morts en Europe, mais suivre le nombre de décès en temps réel pour conclure que telle ou telle mesure porte ses fruits est hasardeux.
Hypercentralisation
Le conseil scientifique de treize membres mis en place par le gouvernement français le 10 mars a évacué ces sérieuses réserves méthodologiques, parce qu’il était « très hospitalo-centré », estime le sociologue Olivier Borraz. Banquiers, avionneurs, pétroliers ou restaurateurs, les lobbies économico-industriels, dont tant d’observateurs dénoncent l’influence sur la vie publique, ont été ignorés au moment de vérité, relégués dans l’antichambre. Issu d’une longue concertation, prêt depuis 2011, le plan « Pandémie grippale » a été laissé de côté, alors qu’il répondait assez bien à la situation. Le conseil scientifique s’est lancé dans un exercice d’improvisation totale. « On était sur une stratégie de protection des hôpitaux, rappelle Olivier Borraz. Si d’autres expertises avaient été convoquées, d’autres décisions auraient-elles été retenues ? Probablement. » Aujourd’hui, ajoute-t-il, le Conseil de sécurité et de défense qui a pris le relais intègre des expertises plus variées, mais « il fonctionne de manière très fermée, avec des critères peu explicités, pas débattus ». Depuis juin, pourtant, il était possible de consulter largement pour aboutir à une forme de gestion collective de la crise. Rien n’a été entrepris en ce sens. Les mesures coercitives et les restrictions de libertés descendent du sommet, sans que personne ne se donne la peine de justifier leur bien-fondé. Pourquoi limiter les promenades à un rayon de 1 000 m autour du domicile ? Pourquoi pas 500 m, ou 5 km ? À quoi bon le masque en école primaire, si les enfants l’enlèvent pour manger dans une joyeuse pagaille à midi ? Pourquoi des mesures nationales, alors que l’épidémie affiche des variations locales considérables, que personne ne prend le temps d’analyser ?
En Italie encore, le second confinement est émaillé d’incidents violents à Naples, Milan ou Turin. Conscient de la tension latente, le gouvernement français ouvre les vannes. Les chasseurs peuvent chasser, les plaisanciers accéder à leurs navires pour les préparer à l’hivernage, les commerces « essentiels » restent ouverts. Au risque de multiplier les incohérences et d’attiser le soupçon qui monte : nos gouvernants ne navigueraient-ils pas à vue depuis des mois ? Henri Bergeron n’est pas loin de le penser. « Nous sommes face à un discours moralisateur et culpabilisateur reposant sur une énorme méfiance envers les administrés, mais à l’examen, on se dit que les élites sont beaucoup plus paniquées que les citoyens. »
L’ouvrage d’Alice Urbach de plus de 500 pages sur les meilleures recettes viennoises dans les années 1930 sera bientôt réédité…
« Aryanisation. » Ce mot terrible évoque l’expropriation par les nazis des biens des juifs d’Europe et l’exclusion de ceux-ci de la vie culturelle. Une facette moins connue de ce processus vient de nous être rappelée par l’histoire d’Alice Urbach, auteur d’un best-seller sur la cuisine viennoise dans les années 1930, histoire racontée par sa petite-fille dans un livre publié en septembre[tooltips content= »Karina Urbach, Das Buch Alice: Wie die Nazis das Kochbuch meiner Großmutter raubten (2020). »](1)[/tooltips]. Née dans une famille juive en 1886, Alice se marie avec un médecin dont la mort prématurée la laisse seule avec deux enfants à élever. Elle se lance comme professeur de cuisine pratique et crée un service de livraison de plats chauds. En 1935, elle codifie tout son savoir-faire dans un volume de plus de 500 pages qui met à la portée de tout le monde les secrets des meilleures recettes viennoises, de l’Apfelstrudel au Kaiserschmarrn, une sorte de crêpe coupée en morceaux inventée accidentellement par une paysanne pour l’empereur Franz Joseph et son épouse, Sissi. Intitulé So kocht man in Wien ! (« C’est comme ça qu’on cuisine à Vienne ! »), le livre est un succès immédiat et devient une véritable référence dans les pays germanophones. Après l’annexion de l’Autriche par l’Allemagne d’Hitler en 1938, Alice est obligée de se réfugier en Angleterre, avant de rejoindre les États-Unis après la guerre. Dès qu’ils mettent main basse sur son pays, les nazis, écoutant à la fois leur idéologie de haine et leur estomac, republient son best-seller sous un autre nom, « Rudolph Rösch », à consonance plus « aryenne ». La nouvelle édition reproduit substantiellement le texte d’Alice et les images où on voit ses mains à l’œuvre. Sans le savoir, Alice est destituée de son statut d’auteur et naturellement des revenus qui y sont associés. C’est bien plus tard qu’elle découvre la supercherie odieuse. Devenue en Amérique une vedette de la cuisine à la télévision, elle meurt en 1983 à 90 ans. Aujourd’hui, son best-seller va être enfin réédité sous son nom – et ainsi dé-aryanisé.
Il m’arrive de m’ennuyer dans le grand lit où je tente, souvent en vain, de trouver le sommeil après avoir regardé un match de foot ou suivi la liesse populaire qui a suivi l’élection du Président le plus fade des États-Unis.
Les Américains déchanteront vite et, peu à peu, même ceux qui le haïssaient, éprouveront une forme de nostalgie pour le maverick qu’était Donald Trump : il assurait le spectacle mieux que quiconque. On comprend que le tout Hollywood l’exécrait : il leur volait la vedette. Et il était le seul à s’imposer face à des rivaux comme le Président Xi, Poutine ou Erdogan. Il n’était peut-être pas cultivé, mais il avait compris l’essentiel : « First is First and Second is Nobody».
Les pleurnicheries antiracistes ou féministes le laissaient de glace, de même que les paniques sanitaires liées à une pandémie qu’il jugeait être l’escroquerie du siècle. Et il ne voulait pas museler le peuple américain, ce qui est pour moi une raison supplémentaire de l’apprécier : Donald Trump et John Wayne, même combat. Un combat perdu, je l’admets bien volontiers.
Date de péremption
Donc, la nuit, après avoir bu une rasade de whisky japonais, si possible du Nikka, je m’amuse à regarder les profils des filles esseulées en quête du Prince Charmant sur Tinder. Je les choisis en fonction de leur âge, puisque comme Chloé Delaume que j’apprécie et qui vient de recevoir le Prix Médicis pour Le Cœur synthétique, je ne sais que trop combien, passée la quarantaine, les femmes ont atteint leur date de péremption: elles ne sont plus sur le marché de l’amour que des barquettes de viande avariée.
Je les évite donc et, après m’être présenté comme un jeune professeur de criminologie, je pars à la pêche avec la sensation d’opérer un casting. Je ne suis guère étonné par le fait que toutes ces donzelles aient une même obsession : voyager. « Je ne suis pas assez con pour cela », disait Gilles Deleuze. D’ailleurs, pourquoi aller chercher ailleurs, ce que l’on ne trouvera qu’en soi ?
À défaut de faire le tour du monde ou de partir en randonnée, elles se replient sur Netflix. Rares sont celles qui s’intéressent à la politique et plus rares encore celles qui ont une passion pour la lecture. J’ai néanmoins trouvé quelques exceptions en Asie. Ainsi, j’ai découvert que Michel Foucault était une star en Chine et qu’on y étudiait Heidegger. En revanche, Cioran est totalement inconnu. Une jeune Chinoise a pour projet cet hiver de lire tous les cours donnés par Foucault au Collège de France. Je l’ai vivement encouragée, signalant au passage pour me mettre en valeur que je l’avais un peu connu.
Michel Foucault et Christophe
Parfois, les filles me proposent un peu plus d’intimité sur WhatsApp, Skype ou Hangouts. Les plus jeunes sur Snapchat. Les Françaises sont les plus vénales. Après quelques exhibitions qui ne manquent pas de charme, elles me demandent de les aider à remplir leur frigo qui est vide. Combien de photos de frigos vides, n’ai-je pas reçu !
Je les incite à manger le moins possible et à ne jamais dépasser cinquante kilos, ce qui semble être aussi difficile pour elles que de gravir le Cervin. En général, la relation s’arrête là. Je m’endors tranquillement en écoutant : « Les mots bleus » de Christophe. Michel Foucault les appréciait-il ? Encore une question sans réponse.
Beaucoup ont vu Jean-Michel Blanquer comme l’homme de la situation lors de sa nomination en tant que ministre de l’Éducation nationale. La littérature que l’on peut découvrir sur le site de l’incubateur du Grenelle de l’Education[tooltips content= »Lancé le 22 octobre, il se déploiera jusqu’en février 2021 NDLR »](1)[/tooltips] n’annonce pourtant rien de bon. « L’école inclusive » est en marche, aux dépens de la valorisation de l’enseignement et des professeurs.
La nomination de Jean-Michel Blanquer avait fait grimacer l’ex-ministre de l’Éducation Nationale (EN), Najat Vallaud-Belkacem. À l’inverse de celle-ci, beaucoup pensèrent que le nouvel occupant de la rue de Grenelle était l’homme de la situation. Avec l’annonce du “Grenelle de l’Éducation”, l’espoir grandit encore: on allait mettre les choses sur la table, laisser à nouveau le professeur faire son métier, valoriser l’enseignement de sa discipline, etc. Malheureusement, l’incubateur du Grenelle, « lieu d’échanges et de construction » composé d’ateliers de réflexion et de préparation au Grenelle de l’Éducation, annonce la couleur. Et la déception est grande.
Dans un essai récent, La Haine de la culture (Éditions Armand Colin), le philosophe autrichien Konrad Paul Liessmann fait le bilan de plusieurs décennies de destruction de l’école et de la culture au niveau européen. Il note la progression de la langue technocratique qui, dans l’enceinte des ministères comme dans les entreprises, tapisse de slogans modernes les murs d’un monde dans lequel on « utilise des potentiels », on « crée du lien », on « pense ensemble », « on conçoit des images de sa propre professionnalité. »
La page d’ouverture du site du Grenelle de l’Éducation fait mieux encore. En quelques mots-clés relevant de la communication managériale, elle étale les nouvelles ambitions de l’EN pour la « communauté éducative » : reconnaissance, valeurs républicaines, mobilités, écoute et proximité, coopération, sont supposées « moderniser le système éducatif en ouvrant le champ des possibles » (dixit le ministre). Le champ des possibles s’étendant à perte de vue, nous n’en visiterons ici que quelques parcelles.
Le professeur doit devenir un expert en accompagnement social
La phrase qui introduit l’atelier Collectifs pédagogiques exprime comme une évidence absolue « qu’il n’est plus possible aujourd’hui d’imaginer un travail solitaire » – cette évidence donne la mesure de ce qui s’est passé: le professeur n’est plus cet être solitaire préparant ses cours ou corrigeant des copies dans son bureau et transmettant le savoir d’une discipline dont il est l’expert, mais l’employé d’un collectif éducatif et social, un rouage de la machine infernale à « créer du lien » ou à « faire preuve de réflexivité dans l’organisation » (K.P. Liessmann). Les disciplines tombent en désuétude et seules comptent les compétences ; le travail en équipe (des enseignants) ou en îlots (des élèves) doit être privilégié – on parlera alors, ici comme ailleurs, de communauté, d’équipe, de réseau ; le professeur n’est plus l’expert d’une discipline (le mot disparaît d’ailleurs avec son contenu) mais doit devenir un expert en accompagnement social et en projet éducatif. Dès lors, sa formation scientifique comme son travail solitaire sont non seulement superflus mais peuvent paraître contre-productifs. Le ministre écrit en effet que « la performance individuelle de l’élève est encore trop souvent la seule encouragée » alors que « ces nouvelles coopérations ont aussi pour objectif de promouvoir le travail en équipes en classe. »
La crise sanitaire et l’assassinat d’un professeur ont obligé le ministère à intégrer dans l’incubateur l’idée d’un travail sur la « gestion des situations complexes ». L’emploi de cet euphémisme n’est pas anodin. Devant les difficultés rencontrées par les professeurs – incivilités, impossibilité d’aborder certains sujets lors des cours, violences matérielles ou physiques pouvant aller jusqu’à l’assassinat – démissions et crise des vocations sont à l’ordre du jour.
Le ministère mise sur la résilience des professeurs
« Quels dispositifs mettre en place pour attirer ou maintenir en poste les talents dans un climat scolaire serein ? », interroge le ministère. Prévoyant que, malheureusement, les choses ne vont pas s’arranger, les concepteurs de l’incubateur demandent implicitement aux actuels et aux futurs professeurs de prendre sur eux. Par conséquent, la résilience (la capacité à surmonter les traumatismes, pour faire vite) est le dispositif choisi pour conserver et attirer les « talents ». Le président de l’atelier Formation, Boris Cyrulnik soi-même, aidera à l’élaboration de « dispositifs [mis] en place pour attirer ou maintenir en poste les talents dans un climat scolaire serein. » Le professeur, ouvert, adaptable, chahuté, possible cible du terrorisme, sera, de plus, résilient ; et c’est sa résilience qui permettra vraisemblablement d’assurer un « climat scolaire serein. » L’école, ce « tuteur de résilience », d’après Boris Cyrulnik, deviendra alors la préfiguration de l’ensemble de la société. Ouverte à tous les vents mauvais du social et de la communication, des méthodes pédagogiques ou managériales, du nivellement égalitariste ou de la psychiatrie moderne, elle cherchera en vain les raisons de l’échec et finira de s’effondrer sous de nouvelles réformes. Mais toujours avec résilience.
« Dans un contexte de changements profonds », il est prévu « d’attirer, conserver et faire s’épanouir les talents » en vue de permettre « des fertilisations croisées pour une meilleure adéquation de notre système éducatif avec son environnement. » Traduction de ce verbiage: notre nouveau personnel éducatif, résilient et mobile, saura s’adapter à tout, à la disparition des disciplines, à l’enfouissement des savoirs, aux violences, grâce à sa « gestion des potentialités » et à un management du “temps éducatif” ou de “la vie scolaire” n’ayant rien à envier à celui des entreprises les plus modernes.
La crise sanitaire pourrait amener le tout numérique dans les classes
Au milieu de ces catastrophes, nous pouvions craindre le pire au moment d’aborder l’atelier Numérique. Heureuse surprise, on y pose les bonnes questions : « Quelles sont les pratiques pour lesquelles […] les services numériques apportent une plus-value aux apprentissages ? Quelles sont les limites de ces usages numériques ? » Mais la crise sanitaire pourrait bien accélérer ces « nouvelles modalités de travail », et nombre de professeurs semblent prêts à basculer dans le tout-numérique. Des « twictées » (dictées en tweets) ont ainsi vu le jour, et des enseignants réclament que toutes lesclasses soient équipées de webcam. Nouveau mantra de l’enseignant progressiste: Je veux participer aux innovations pédagogiques en apportant ma pierre à l’édifice numéducatif, source des connaissances utiles à l’opérationnel, au lien social, aux solidarités intersectionnelles et à l’obtention du bac par tous et toutes.
« Nous sommes le ministère de l’humain », écrit le ministre dans l’édito du dossier de presse du Grenelle de l’Éducation. Pour que plus personne n’ait même l’idée de sourire en entendant ce genre d’inepties, les ministres de l’Éducation œuvrent, réforme après réforme, à la fabrique des crétins. « Personne ne doit être laissé de côté, il faut que tout le monde atteigne le standard minimal – et si tel n’est pas le cas, il faut des réformes » (Konrad Paul Liessmann). Pour contrecarrer la méfiance de plus en plus grande de nos concitoyens, Jean-Michel Blanquer avait déjà flanqué son ministère d’un autre slogan orwellien : L’École de la confiance. Cette dernière devait être un « service public de l’École inclusive. » Il manquait un incubateur pour peaufiner l’ensemble de l’œuvre. C’est maintenant chose faite.
David Hallyday s’est érigé en défenseur de ses droits moraux envers son père. Avec sincérité et humilité…
« Les arabes, c’est comme les lesbiennes et les drogués, les romanos, les artistes et les putes, les handicapés, c’est comme les lépreux et les noirs, les clochards c’est comme les travelos et certains jeunes : y’en a des biens », dégobillait le chanteur caustique Didier Super en 2004 sur son premier album, Vaut mieux en rire que s’en foutre, au sujet duquel Wikipédia nous prévient : « Les paroles sont fortement humoristiques, souvent très crues mais à prendre au second degré ». Le chansonnier nordiste aurait pu ajouter à son chapelet les « fils de » : y’en a des biens, aussi. Par exemple : David Hallyday !
Musicien accompli
Si Johnny n’a jamais été ma tasse de thé – dans le même genre, je préfère les infusions roublardes de Monsieur Eddy –, la musique de son fils m’a toujours un peu chatouillé le plexus cérébro-spinal depuis ce solaire « Tu ne m’a pas laissé le temps » qui enflamma les ondes pendant l’été 1999. Bien sûr, David avait déjà obtenu un beau succès avec le rock FM « High » dans les années 80, mais sa première tentative dans la langue de Molière fut la bonne pour se faire un prénom.
Longtemps cantonné aux pages people (mariage avec le mannequin Estelle Lefébure oblige) ou sportives (il est un pilote automobile chevronné), David a lutté pour s’imposer en qualité de musicien accompli, statut que l’album composé pour son père, Sang pour Sang – double disque de diamant dont il est aussi coréalisateur -, lui conférera la même année que son premier tube en français (même si le refrain, « Tu ne m’as pas laissé le temps de te dire tout c’que je t’aime et tout c’que tu me manques », ne l’est pas vraiment, français).
D’ailleurs, au vu de ce triomphe commercial et artistique (le plus grand de la carrière de Johnny), survenu après le succès en demi teintes de l’album réalisé et composé par Obispo, on peut légitimement se demander pourquoi le père n’a pas reconduit une telle collaboration avec son fiston sur son disque suivant. Mais ce qui paraît évident pour tout le monde semble ne l’avoir jamais été tout à fait entre ces deux-là. Incompatibilité des agendas ? Volonté commune d’en rester à un one shot ? Peut-être, mais leur relation souffrait visiblement d’insondables non-dits enfouis dans le passé familial. Le psychodrame de l’affaire de l’héritage en révéla l’amère saveur en 2018.
Dix ans avant, David évoquait en chanson, poétiquement, la source de ces difficultés relationnelles avec son géniteur :
Entre-temps, Révélation, disque exutoire conçu sur les ruines encore fumantes de sa séparation d’avec Estelle – mais qui a allumé le feu ? -, avait confirmé en 2002 le talent de mélodiste sanguin du fils.
Une adolescence américaine
Bercé par la musique anglo-saxonne pendant sa jeunesse – il a passé son adolescence aux États-Unis, où vivait sa mère Sylvie Vartan -, Hallyday Junior est capable d’envolées lyriques en surchauffe, portées par le turbo d’une voix aux accents d’authenticité. Sa mélancolie frémit, parfois très dark.
Bien sûr, il y a de vilaines taches variéteuses qui souillent de-ci de-là la coloration de l’œuvre de l’artiste, mais par les temps qui courent (Cf l’article de François-Xavier Ajavon « Chanteuses hip-hop, futures académiciennes »), c’est un moindre mal… D’autant que ses trois derniers albums (Le Temps d’une vie, J’ai quelque chose à vous dire, Imagine un monde) laissent entendre un chanteur pleinement maître de son art, qui a enfin trouvé ses marques dans les pas d’un géant. Mention spéciale à la production soignée et ingénieuse de ces opus, emplis de trouvailles sonores vibrantes.
Une sincérité à fleur de peau et une humilité à toute épreuve irradient ses chansons. Pas le genre à prendre la grosse tête au bout d’un million de ventes, contrairement à la plupart de ses « confrères ». Capable de transcender ses déprimes pour en faire des hymnes à la vie, David s’est érigé en défenseur de ses droits moraux envers son père – tout juste décédé – dans « Éternel », contre une certaine Laeticia, s’inscrivant au passage dans la tradition rock’n’roll du taillage de costard en règle (« How Do You Sleep » de Lennon, « Death on Two Legs » de Queen, « Margaret on the Guillotine » de Morrissey, « Kim » de Eminem, etc.). Clip de l’année 2018 dans le même mouvement :
Un souffle du feu de Dieu anime ses brasiers électro-pop et rock, flambant dans les turpitudes de sa vie, quand son sang ne fait qu’un tour pour allumer la mèche. Il souffre de son divorce ? Un album de rupture nerveux sort dans la foulée. Le contexte de la disparition de son père l’affecte pour de nombreuses raisons, y compris outrageantes ? Il exorcise la douleur dans un disque conjurant le mal à cœur ouvert. Et aujourd’hui la terre s’arrête de tourner ? Il en fait un recueil de chansons composées pendant le confinement, porteuses d’espoir mais aussi de germes insurrectionnels. « Je trouve qu’on nous divise depuis longtemps, j’avais envie d’en parler, mais en utilisant des termes positifs et pour bâtir quelque chose de nouveau […] Il y a actuellement un ras-le-bol du peuple et c’est une bonne chose. Mais on ne peut pas aller de l’avant sans passer par des confrontations. L’histoire nous a montrés que les choses n’arrivent pas seules. À un moment donné, la résilience atteint un seuil d’exploitation, surtout lorsque les gens n’ont plus rien à manger », lâche-t-il ainsi sur le site de Radio-Canada, prolongeant les paroles de sa chanson « Ciel et terre » (l’une des onze nouvelles) : « Arrêtez de garder la pose / Dans des costumes qui en imposent / Marchands d’encore plus de choses / Qui nous lassent / Arrêtez de faire la morale / Les bien-pensants qu’ont les mains sales / A dire ce qu’est bien ou mal / Quoi qu’on fasse ».
Vingt ans après Un paradis/Un enfer, « Ciel et terre » cristallise encore par métaphore une notion de cohabitation dichotomique, passée de la sphère sentimentale dans le premier cas à la crise sociale et politique actuelle dans le second, mais au risque d’implosion plus retentissant que jamais.
Imaginer le monde d’après
Un parfum hallucinogène plane sur le monde. Il est urgent de déconfiner les sens. Je propose pour commencer une injection à dose massive de bon sens un peu partout, d’honnêteté et de courage. Bref, j’imagine un monde, selon le titre de la dernière livraison de David Hallyday, où l’imagination au pouvoir ne serait pas un slogan. Une sorte de royaume de Patagonie où le morceau « Hallucinogène » – nouveau single du chanteur – serait N°1, la place qui devrait lui revenir naturellement dans l’anxiogène Absurdistan. On peut encore rêver sans autorisation.
Escapade à Chartres à la découverte du Grand Monarque, l’un des plus anciens hôtels restaurants de la ville, dirigé par Bertrand et Nathalie Jallerat. Jean-Baptiste Noé rend visite à différents producteurs qui alimentent le Grand Monarque : volailler, potager mais aussi maître verrier avec les ateliers Loire et forgeron
Le chef Benoît Cellot va cuisiner un poulet et transformer une belle volaille fermière en un plat de fête. Mais avant de passer aux fourneaux, il se rend, en compagnie de Bertrand Jallerat et de Jean-Baptiste Noé, chez les producteurs et fournisseurs des cuisines du Grand Monarque pour chercher les ingrédients de cette recette gourmande.
Première étape, direction la ferme de la Belvindière (Chapelle-royale) à la recherche d’une volaille fermière. Frédéric Thirouard emmène ses hôtes à la découverte de son élevage de volailles. Au programme : chapons, oies, pintades, poulets fermiers.
Seconde étape de cette escapade gourmande: le potager de Diane (Le Boullay-Thierry) afin de récupérer des légumes savoureux qui vont accompagner la recette du chef. Diane et Hugues Pamart présentent les différents légumes qu’ils cultivent dans leur exploitation maraîchère.
Voir ci-dessous le film:
Une découverte de l’artisanat français et un hommage aux restaurateurs et aux producteurs qui subissent de plein fouet les restrictions liées au confinement.
Les temps ont changé. Heureusement. Mais ils ont aussi perdu la tête
Le match entre le PSG et Basaksehir a été interrompu au bout de 13 minutes le 8 décembre. D’un commun accord les deux équipes ont quitté le terrain à la suite du propos, qualifié de raciste, du quatrième arbitre à l’encontre de l’entraîneur adjoint de l’équipe turque. Celui-ci s’était indigné parce qu’il avait été désigné comme le « noir », en roumain.
Le match a repris le lendemain et le PSG l’a emporté par 5 à 1. Avant le début de la rencontre, tous les joueurs et les arbitres se sont agenouillés.
J’ai scrupule à oser même une réflexion sur cet épisode qui a libéré les hyperboles et qu’on a, sur tous les supports de communication, loué comme étant « historique », « une première ». J’ai conscience que je m’arroge un pouvoir discutable puisqu’on m’a assez répété que seule comptait la perception du racisme par ceux qui en étaient directement ou indirectement victimes et que donc les avis « extérieurs » n’étaient pas légitimes.
Pourtant je persiste.
J’estime disproportionnée, dans la dénonciation pourtant nécessaire d’une dispute équivoque, cette hypertrophie agitée d’un soir comme si dans la hiérarchie du racisme, mille scandales infiniment plus graves ne s’étaient pas produits – par exemple les joueurs traités de singes et moqués par des cris, qui auraient été en faute s’ils avaient quitté le terrain – et que demain la malfaisance humaine, fortement imprégnée de bêtise et de simplisme (on les sous-estime trop dans ces dérives), n’allait pas encore frapper dans l’univers du football, des sports et partout ailleurs.
Comment faudra-t-il se comporter alors ? S’allonger par terre, manger l’herbe ?
Cet humanisme, à force de ne plus savoir rien distinguer dans une impulsivité et une frénésie devenues réflexes, va étouffer les vrais combats, les luttes authentiques. Non pas qu’il aurait fallu jeter aux oubliettes le « noir » du 8 décembre mais le mettre à sa place qui n’était pas capitale.
Je me souviens d’une scène de ma vie judiciaire où une collègue magistrat antillaise se moquait de moi parce que j’avais parlé d’une « femme de couleur » au lieu de dire « noire ». Les temps ont changé heureusement mais ils ont aussi perdu la tête.
Puis-je aussi dans ma réaction évoquer la part d’agacement que j’éprouve face à certaines absurdités considérées religieusement parce qu’elles émanent d’actrices progressistes et d’un féminisme ravageur : quand Adèle Haenel le plus sérieusement du monde énonce que le simple fait d’être blanc fait de vous un raciste, convient-il de rire ou d’être épouvanté ?
Nous avons le droit de juger ridicules les leçons de morale de ces footballeurs dont l’un – ! – nous dit qu’il aurait « mal à la France » après les violences commises par trois fonctionnaires de police contre Michel Zekler et l’autre – Kylian Mbappé, formidable talent – est à l’unisson mais n’est pas gêné pour être payé grassement par le Qatar, Etat aux antipodes de nos valeurs.
Le premier n’a jamais été un phare et je regrette que le second s’engage de plus en plus dans des implications qui sont en train de dégrader son aura brillamment sportive. Il y a tant de policiers blessés et tués, tant de causes moins chic qui auraient dû appeler de leur part, s’ils souhaitent dépasser leur statut de footballeurs comblés, des alertes et des soutiens.
Mais médiatiquement toutes les lumières ne se valent pas.
Quand j’entends Olivier Giroud qui a pris tous les risques en s’affirmant catholique dans un monde de pauvreté intellectuelle et de dérision nous demander de nous mobiliser pour les « chrétiens d’Orient », j’éprouve du respect pour lui parce qu’il lutte pour ce qui n’est pas vulgairement rentable dans notre univers qui préfère enfoncer les portes ouvertes de l’éthique.
J’admire le grand footballeur anglais Marcus Rashford qui mène des combats vigoureusement et noblement politiques contre la pauvreté d’une certaine jeunesse dans son pays, qui les a gagnés, avec un immense soutien populaire, contre le Premier ministre Boris Johnson, et sans doute n’est pas prêt d’arrêter son action dont la finalité n’est pas d’apparaître une seconde au firmament mais de faire du bien durablement à beaucoup.
Je dois aller plus loin. Sans stigmatiser forcément tout accès moral en l’étiquetant moraline. Mais les ravages, au nom du bien prétendu, se multiplient.
Le dernier en date : Clément Beaune, connu pour être une personnalité politique intelligente, ministre et proche d’Emmanuel Macron. Tout le monde à juste titre se désintéresse de son orientation sexuelle. Il a éprouvé le besoin de nous la révéler. Personne ne lui avait demandé cette transparence qui de manière absurde fait sortir sa condition de l’heureuse banalité où elle aurait dû demeurer. Tout cela est-il vraiment un progrès ?
Ai-je encore le droit de juger ridicules ces délires qui dans beaucoup de domaines, sur tous les registres, font perdre à notre société sa lucidité, sa mesure, son bon sens ?
Le pire est qu’ils se font passer pour des avancées. Quand ils sont des déclins.
Le président de Debout La France doit faire face à des défections en série au sein de son mouvement. On lui reproche ses tentatives de rapprochement des Républicains dans la perspective des régionales. Depuis le Brésil où il vient de rencontrer le président Bolsonaro, il nous répond et se veut rassurant.
Nicolas Dupont-Aignan bientôt dernier adhérent de Debout La France ? Ces derniers jours pourraient le laisser penser. Le Figaro a révélé que le parti ne compterait plus que 3 000 adhérents au dernier conseil national du mouvement, samedi 14 novembre, contre près de 12 000 l’année précédant les Européennes! Et ce sont désormais des cadres qui quittent le navire.
Une cinquantaine d’entre eux auraient décidé de faire leurs adieux afin de former un collectif satellite du… Rassemblement national. Ils sont emmenés par Jean-Philippe Tanguy, ancien porte-parole et numéro deux du parti. Lequel, trop content, a expliqué les raisons de son départ au Figaro: « Nicolas Dupont-Aignan mène Debout la France dans une impasse […] il a refusé les mains tendues par Marine Le Pen depuis 2017, tout en refusant d’aider la droite aux municipales pour faire barrage à la gauche et aux Verts. » Nicolas Dupont-Aignan réplique et dénonce de son côté un « sabotage organisé, instrumentalisé et minoritaire. » Interrogé par Causeur (voir plus bas), il ne recense « que » 22 départs.
En 2017, Nicolas Dupont-Aignan s’était rallié à Marine Le Pen au deuxième tour de la présidentielle. Les démissionnaires veulent aujourd’hui s’allier avec la droite nationale dans une stratégie d’alliance similaire, dès le premier tour des régionales. Le président de Debout la France semble avoir quant à lui changé son fusil d’épaule, avec qui sait pour idée en tête une opération séduction de LR, sa très ancienne famille politique. Depuis plusieurs mois, le souverainiste se garde bien de toute critique à l’égard des membres de LR. Et il se rapproche même de possibles présidentiables. Début novembre, il a pu discuter avec Bruno Retailleau, avant de s’entretenir, le 9 novembre, avec le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes, Laurent Wauquiez. Dans une note de Debout la France rédigée par la direction locale du mouvement dans les Pays de la Loire que s’est procurée Le Figaro, l’entente avec LR était même explicitement évoquée, à l’inverse d’une alliance avec le RN: « Il est exclu pour nous d’envisager les mêmes scénarios (d’alliances) avec le RN. » D’après Le Figaro, plusieurs têtes de liste départementales DLF auraient finalement leur place sur les listes LR. Une partie de l’appareil de DLF n’a visiblement pas gouté cette stratégie. « Quelle crédibilité aurait une « union des patriotes » avec quelques cadres LR qui ont soutenu Emmanuel Macron juste après la défaite de François Fillon mais qui exclut la principale force d’opposition qu’est le RN ? », s’interrogeait ainsi Jean-Philippe Tanguy. La vérité est peut-être ailleurs. « La seule chose qui compte pour [Nicolas Dupont-Aignan] c’est de sauver sa circonscription », explique à l’AFP l’ancien militantMaxime Thiébaut, qui a quitté Debout La France dès 2017 après les législatives.
Trois questions à Nicolas Dupont-Aignan
Brasília, 9 décembre HANDOUT / BRAZILIAN PRESIDENCY / AFP
Nicolas Dupont-Aignan, depuis le Brésil où il a déjeuné avec le ministre des Affaires étrangères et a rencontré le président Jair Bolsonaro, répond à Causeur quant à la crise que traverse son mouvement politique. Le député de l’Essonne minimise et assure que tout ceci n’est qu’une “tempête dans un verre d’eau”. Propos recueillis par Martin Pimentel.
Causeur. Quelles sont vos relations avec Marine Le Pen à l’heure actuelle ?
Nicolas Dupont-Aignan. Si heureusement on se parle quand on se croise à l’Assemblée, j’ai le sentiment qu’elle a mal pris ma candidature à la présidentielle. Je suis pourtant le seul homme politique à l’avoir soutenue au second tour, même après le fiasco du débat. Elle a une fâcheuse tendance à écarter tous ceux qui peuvent l’aider: Marion Maréchal, Florian Philippot ou encore Jean Messiha récemment.
Au mois de janvier dernier, je lui avais proposé d’organiser une primaire ouverte – avec différentes personnalités telles qu’Éric Zemmour, Philippe de Villiers, Florian Philippot ou Bruno Retailleau pourquoi pas – afin que nos électeurs puissent choisir le meilleur candidat pour battre Emmanuel Macron. Marine Le Pen a refusé cette primaire. Je considère désormais que Marine Le Pen est le meilleur atout d’Emmanuel Macron. Marine Le Pen ne peut pas être la candidate du camp national, et jamais l’idée de la primaire n’a été aussi adaptée à la situation politique. J’aurais évidemment quelques atouts dans cette primaire que j’appelle de mes vœux: je suis aussi populaire chez Les Républicains qu’au RN (respectivement 40% et 43%), tandis que Xavier Bertrand est très populaire à LR mais peu au Rassemblement national et que Marine Le Pen, très populaire dans l’électorat du Rassemblement national, ne l’est franchement pas dans celui de LR.
Votre porte-parole Jean-Philippe Tanguy a quitté votre mouvement Debout La France et affirme avoir emmené avec lui 50 cadres. Il invoque des désaccords stratégiques avec vous. Que s’est-il passé, et que répondez-vous à ceux qui vous accusent de draguer la droite classique (LR) pour conserver des mandats locaux?
C’est comique ! Ces petites manœuvres du RN ne sont pas à la hauteur de l’enjeu. Si je tenais tant à mes mandats locaux, je n’aurais pas appelé à voter pour Marine Le Pen en 2017, ce qui a provoqué un tourbillon médiatique.
Toute cette histoire est grotesque: j’ai effectivement reçu 22 démissions sur 800 cadres. Ces transfuges cuisent leur petite soupe sur leur petit feu. C’est difficilement compréhensible pour moi, dans la mesure où nous avons eu deux conseils nationaux – le 7 juillet et le 25 septembre – et que ces quelques personnes qui se vendent au RN aujourd’hui ont alors approuvé ma candidature et le principe d’une liste indépendante aux régionales. Aucune motion n’a d’ailleurs été votée lors de ces rassemblements…
C’est bien leur droit de partir, mais en revanche le parti a une ligne, et n’en déviera pas. La presse bourgeoise et l’oligarchie médiatique adorent Marine Le Pen, qui représente la garantie d’Emmanuel Macron ! Toute personne qui propose autre chose devient un réel danger. Or, 80% des Français ne veulent pas de ce duel. Ce n’est pas parce que quelques personnes sont mécontentes au sein de Debout La France que je vais changer de ligne.
Voterez-vous le projet de loi contre le séparatisme ?
Je le voterai… ou je m’abstiendrai. C’est un petit plus, mais c’est loin d’être à la hauteur de la menace.
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Ce moi-ci, pour oublier ma laisse d’un kilomètre, je me suis transporté en rêve à quelques milliers de miles, entre L.A. et Washington D.C., auprès de mes amis Trump et Bret Easton Ellis.
MAKE AMERICA SMALL AGAIN
Mardi 3 novembre – Mercredi 20 janvier
L’Amérique a perdu un grand président. Ce n’est pas moi qui le dis, ce sont les antitrumpistes primaires.
En 2016, Mr Orange était à peine élu que les élites libérales ont commencé de se lamenter sur les drames d’une « ère Trump » même pas inaugurée.
Mieux : dès le printemps 2017, les critiques littéraires et cinématographiques les plus pointus se sont mis à dénicher un peu partout dans les nouveautés, tels des œufs de Pâques, des « métaphores » de ladite ère Trump. Je vous en fais un de mémoire, façon Télérama : « Racisme, violence, inégalités : un regard cru sur l’Amérique de l’ère Trump ».
Et tout ça à propos d’œuvres entièrement conçues et réalisées sous le règne d’Obama ; mais dire ça, c’est faire peu de cas du génie visionnaire de l’artiste, n’est-ce pas ?
Aujourd’hui encore, et malgré la chute de ce Saddam U.S., le cauchemar est loin d’être fini, apprend-on. Dans son éditorial du 5 novembre, Le Monde résume sobrement l’état d’esprit de l’intelligentsia transatlantique : même défait aujourd’hui, le trumpisme restera un « héritage durable de la politique des États-Unis ».
Avec ses 72 millions d’électeurs rednecks, son Sénat rouge sang et sa Cour suprême désormais facho pour trente ans, ce diable pourrait bien saboter une « ère Biden » qui s’annonçait pourtant radieuse. Voire, horresco referens, revenir au pouvoir dans quatre ans…
En tout cas, le camp démocrate a tout intérêt à brandir ce scénario d’épouvante. Pas de gentils sans méchant ! Imagine-t-on Stephen King écrivant un Ça, chapitre 2 sans retour du Clown tueur ?
COMMENT J’AI LIBÉRÉ MA CRÉATIVITÉ
Jeudi 12 novembre
Une amie m’a prêté le best-seller mondial de Julia Cameron, Libérez votre créativité (J’ai Lu, 345 pp, 7,60 €). « Toi qui écris, ça peut toujours te servir. » Comment devais-je le prendre ?
En tout cas je l’ai pris. Une méthode révolutionnaire pour « chasser blocages et inhibitions et stimuler [mon] élan créateur », ça ne se refuse pas. Au pire, ça pourrait toujours faire l’objet d’un papier, voire d’une chronique entière.
Hélas ! Ça commence bien mal. Le premier commandement de ce programme consiste à « rédiger chaque jour ses pages du matin ». Rédhibitoire pour moi, qui vis à l’heure néo-zélandaise.
À moins que le mot « matin » puisse être remplacé sans dommage par « heure du réveil ». Malheureusement, dans son livre, Julia n’en souffle mot. Quelqu’un aurait-il son numéro de téléphone, que je lui pose la question ?
Promis, je tiendrai compte du décalage horaire.
ELLIS ISLAND
Mercredi 18 novembre
« J’aime l’idée d’être un auteur vieillissant qui fout en l’air son image. » C’est cette phrase de Bret Easton Ellis, interviewé par Beigbeder dans le Fig Mag, qui m’a donné envie de lire White – sa première « non-fiction », comme on dit connement.
Jusqu’à présent, Ellis était l’auteur à succès de romans sulfureux, dont American Psycho. Gay de surcroît, il était classé a priori « intello-libéral », malgré quelques dérapages.
Avec ce pamphlet, BEE brûle ses vaisseaux, dégonflant tour à tour les baudruches intellectuelles de l’époque : « inclusion », communautarismes et victimisation généralisée, sur fond de « likable » unique et obligatoire sous peine d’ostracisme.
Tout a commencé il y a dix ans sur Twitter. Parfois, la nuit, Bret s’installe devant son clavier, une bouteille de tequila à portée de main, et raconte ce qui lui passe par la tête.
Entre deux shots, il signale ainsi des trucs à lire et à voir, ou à fuir, explique pourquoi « c’est une mauvaise idée de faire l’amour en regardant Game of Thrones » ou compare Amour de Michael Haneke, tout juste oscarisé, à « La Maison du lac dirigé par Hitler ». Bret est un chahuteur.
Preuve qu’il ne se relit pas toujours : une nuit, le distrait commande de la drogue sur son compte public. « Ivre, je pensais que j’envoyais un texto », plaide-t-il.
Au fil de ses provocs, certains « followers » se transforment en « haters », qui se disent « offensés » par ses prises de position. C’est qu’on ne peut pas dire n’importe quoi sur Twitter ! – Où d’autre ? répond-il.
Premier scandale en 2010 : Katheryn Bigelow reçoit l’Oscar du meilleur réalisateur pour Démineurs. Et BEE de tweeter : « Si le metteur en scène avait été un homme, jamais il n’aurait eu l’Oscar. »
Aussitôt, partout on hurle à la misogynie, voire à la gynophobie ; mais il s’en fout. Au contraire, l’épisode réveille en lui le « mauvais garçon », qui désormais va troller à tous les vents et contre le vent. Son plus grand plaisir : écrire des horreurs telles que ces messieurs-dames de l’élite libérale « serrent leur collier » d’indignation en le lisant.
Après les femmes, il s’en prend donc aux « milléniaux », qualifiés de « génération dégonflée », puis à sa propre « communauté » (« gays identitaires » et « gays grand public ») et même à Black Lives Matter pour son look déplorable qui, assure-t-il en esthète, nuit considérablement à la cause.
Mais le plus gros succès de Bret sur Twitter n’est pas prémédité. En 2016, avec la campagne présidentielle, l’hystérie anti-Trump a gagné chez ses amis, et les « résistants » se planquent. Un soir qu’il dîne à West Hollywood (« WeHo » pour les intimes) avec deux couples d’amis branchés, il est ainsi témoin d’un double coming out politique.
L’un après l’autre, l’un entraînant l’autre, ces quatre obamistes de toujours finissent par le confesser, soulagés, sous l’œil amène de Bret : cette fois c’est décidé, ils vont voter Trump, parce que y en a marre – mais surtout faut pas le dire.
À peine rentré chez lui, notre ami, éméché mais pas trop, balance le scoop sans citer les noms : « Il y a des trumpistes à WeHo ! »
Puis il s’endort paisiblement… jusqu’à ce que son petit ami le réveille en sursaut : « Putain, qu’est-ce que tu as tweeté ? » De fait il découvre, sidéré, des milliers de reprises et commentaires, et des dizaines de demandes d’interview. Sans compter, abricot sur le gâteau, un retweet de @realDonaldTrump en personne !
Après ça, tu peux mourir. Lui, il est juste passé aux podcasts.
HAPPY BIRTHDAY Mr PRESIDENT !
Dimanche 22 novembre
Pour fêter le 130ème anniversaire de sa naissance, un bon mot du général de Gaulle : « Je ne respecte que les gens qui me résistent. Malheureusement, je ne peux pas les supporter. »
La surévaluation des notes, une des tares du système éducatif français.
Une mauvaise cuisine éducative
Il est désormais établi que nombre de lycées ont mis en place une double comptabilité : les copies sont notées en valeur plus ou moins réelle, mais les bulletins, qui génèreront les livrets scolaires sur lesquels s’appuiera Parcoursup, sont remplis de notes fantaisistes et sur-évaluées.
Notez bien que les notes « réalistes », celles que MonChéri-MonCœur ramène à la maison, sont elles aussi augmentées, afin de ne pas froisser la susceptibilité des « géniteurs d’apprenants ». Un enseignant qui se risque, aujourd’hui, à noter en s’approchant de la valeur réelle se fait rappeler à l’ordre par les parents d’élèves via les boîtes de dialogue (en fait de surveillance et de pression) de ProNote, — et au besoin, s’il s’obstine, par son administration, qui cherche avant tout à minimiser les écarts être les nôtres attribuées et celles que l’on affichera glorieusement dans le récit officiel qu’est le livret scolaire.
C’est cela, le sale petit secret de la cuisine éducative. En Primaire, on ne note plus — on attribue des couleurs, c’est plus seyant, et le noir est exclu. On a proscrit les redoublements, donc on note de façon à ce que le passage paraisse mérité. Et on a fait du Bac une formalité de fin d’études. Et cela va, cahin-caha, jusqu’au moment (disons en troisième année de fac, ou dès la première année de prépas) où l’élève se heurte au mur de la réalité, et s’écrase gentiment dans des filières sans espoir qui enseigneront la meilleure façon de passer le temps dans une salle d’attente de Pôle-Emploi. Ou à patienter, assis sur son vélo Uber, entre deux pizzas et trois sushis à livrer.
Le nivellement par le bas
En 2015, j’ai été convoqué au ministère, reçu par Agathe Cagé, ex-élève de la CPGE où j’enseignais et conseillère de Vallaud-Belkacem. On m’a sondé pour savoir si je collaborerais à un projet de disparition totale des notes. J’en ris encore. Mais c’est pourtant ce qui s’est mis en place — sauf qu’au lieu de les faire disparaître, on les a gonflées. Dans une note donnée en collège ou en lycée, il y a aujourd’hui à parts égales du silicone et de la solution hydro-saline — comme dans les implants mammaires. C’est ainsi que l’on passe d’un honnête 85 B à un 85 E. C’est ainsi que l’on glisse de 6 à 14.
J’explique. Une dissertation de Lettres, en classe de Première, pompée pour l’essentiel sur le Net, mérite techniquement 2/20 (pour le papier et pour l’encre) ; elle est notée aujourd’hui autour de 10 — et l’élève ramassera finalement une moyenne de 13 sur son livret scolaire. C’est mieux que le monde merveilleux de Walt Disney.
D’ailleurs, c’est ce qu’il aura au Bac — vu que les notes y sont tout aussi fictives. Les correcteurs ont des instructions pour ne pas noter en dessous de 8 — et tout enseignant faisant preuve de mauvais esprit est dégagé, et ses notes sont corrigées en commission, afin que le centre d’examen où il a sévi se retrouve à parité avec les autres (les comparaisons arrivent en temps réel, on sait donc sur quoi se baser pour noter). Car on sait, statistiquement, qu’un centre d’examen qui note trop bas menace la fiction des 95% de réussite chère aux parents, aux institutionnels, et aux enseignants qui pour rien au monde ne consentiraient à revoir, l’année suivante, les mêmes têtes de lard face à eux.
Précisons, tant qu’à faire, que le correcteur qui obéit à la contrainte du groupe a lui-même, s’il a le CAPES depuis moins de dix ans, bénéficié d’une notation très optimiste lorsqu’il a passé son concours de recrutement. Les jurys peinent à remplir tous les postes que le ministère met en jeu — au grand dam des syndicats qui voudraient que tous les admissibles, et non admis, de l’année dernière soient promus « reçus » séance tenante. C’est avec ce type de raisonnement que l’on a accepté, au CAPES de Maths il y a quelques années (vous savez, les maths, cette matière dans laquelle nous brillons par défaut au niveau mondial) des postulants qui avaient glorieusement 4 / 20 de moyenne. Ce sont ces gens-là qui enseignent aujourd’hui à vos enfants.
Un système entièrement vérolé
Il y a deux ans, lorsque des syndicats ont accouché de l’idée absurde de faire la grève des copies du Bac, j’ai suggéré plutôt de noter les performances des candidats pour ce qu’elles valaient — quitte à laisser un Inspecteur reprendre patiemment, à la main, toutes ces moyennes méritées, donc impossibles. Personne, dans le monde syndical, n’a cru bon de faire écho à cette suggestion rationnelle — peut-être par manque de correcteurs capables d’évaluer exactement ce que vaut une copie. C’est plus facile de faire la grève des notes que d’en mettre de mauvaises, toute justifiées soient-elles.
L’ensemble du système est vérolé. Et là aussi, l’Éducation nationale a accouché d’un système à deux vitesses, entre les parents informés, qui savent bien que le 18 au Bac de leur rejeton vaudra 6 dès le premier devoir en Maths-Sup (ceux-là ne disent rien, et paient des cours particuliers), et parents peu au fait des réalités, qui ne comprennent pas que la prunelle de leurs yeux n’aient pas au moins 14 de moyenne pour célébrer son manque de travail, de bonne foi, de sens de l’effort et de goût de la compétition.
Vous voulez que votre progéniture soit bien notée ? Faites-la bosser ! Supprimez la télé, les portables, les jeux vidéos, les soirées à papoter dans le vide avec d’autres crétins dans leur genre. Mettez-les au travail. Offrez-leur des livres — des vrais, sans images. Ne les lâchez pas. Faites-leur la guerre.
Ce que vous acceptez de sportifs de haut niveau, la compétition impitoyable, les entraînements éreintants, les matches qui se succèdent à un rythme effréné, il faut l’imposer pour le travail scolaire. Dire « Ils ne seront pas prêts pour les épreuves anticipées du Bac », c’est refuser l’obstacle : il y a une épreuve, à une date donnée, on se débrouille pour travailler afin d’être prêt au jour J. Et c’est tout.
L’Éducation nationale est un parc d’attractions où chaque détail a été pesé afin de satisfaire et d’illusionner le plus grand nombre
Et s’il vous plaît, laissez les enseignants enseigner. Vous n’allez pas expliquer à votre boulanger comment on fait le pain, vous ne vous risquez pas à contester le traitement que vous ordonne votre médecin. C’est pareil : votre compétence, en matière d’enseignement, est nulle. Autant vous y faire. Parce que des démagogues ont inventé il y a quelques années la notion creuse de « co-éducation », vous vous croyez autorisés à intervenir dans le champ scolaire — alors que vous n’avez rien à y faire, ni pour juger les notes, ni pour juger les contenus.
L’Éducation nationale est un parc d’attractions où chaque détail a été pesé afin de satisfaire et d’illusionner le plus grand nombre — pour que les gogos patientent jusqu’à ce que tombe le couperet. Mais alors, il sera trop tard.
Le Covid tue en suscitant chez le malade une surréaction de son système immunitaire. Au niveau de l’État, c’est pareil: la double peur de la sanction pénale et de l’opinion publique poussent l’exécutif et les fonctionnaires à surréagir pour se couvrir et la machine technocratique, hypercentralisée, s’emballe. La crise sanitaire devient une crise de l’État avant de dégénérer en crise économique et sociale.
Mercredi 4 novembre, Carcassonne. Des policiers, sans doute accablés par l’inanité de leur propre mission, inspectent un hypermarché Leclerc, afin de vérifier qu’il vend seulement des biens « essentiels », au sens du décret du 2 novembre modifiant le décret du 29 octobre… Assiette ? Non essentiel. Poêle à frire ? Essentiel… Un sommet de l’absurde atteint au terme d’une succession d’étapes raisonnables. Pour réduire les interactions sociales, il faut fermer les boutiques. Comme les Français ont besoin de manger, il convient de garder les grandes surfaces ouvertes ; le petit commerce dénonçant une inégalité de traitement, le gouvernement en est venu à définir ce qu’est un produit essentiel. Un pyjama taille 2 ans est essentiel. Taille 3 ans, il ne l’est pas. Sanglier Magazine et Causeur sont essentiels. Les livres ne le sont pas.
Deux commissions d’enquête
Une anecdote parmi des centaines, illustrant la gestion de crise chaotique de l’épisode Covid. Impossible de les lister toutes, mais comment passer sous silence le fait qu’une pharmacienne niçoise a été condamnée à un an de prison avec sursis et un an d’interdiction d’activité le 27 avril 2020 pour avoir vendu des masques, dont le port sera rendu obligatoire à Nice le 20 août ? « Il semble que notre monde ait totalement perdu la raison. Nous n’agissons plus que dans l’émotionnel, sans réfléchir. Cette irrationalité nous faisant glisser doucement sur le toboggan de la radicalité de nos comportements », écrivait le 10 mars le député Agir ensemble du Haut-Rhin Olivier Becht. Le 8 novembre, le même réclamait des amendes de 10 000 euros pour non-respect du confinement…
Les parlementaires, pourtant, devraient savoir que la France est au bord de l’overdose d’incohérence. Deux commissions d’enquête, créées respectivement au Sénat et à l’Assemblée, se penchent depuis le début de l’été sur la réponse apportée à la crise sanitaire. Pendant qu’elles travaillaient, les fermetures de lits dans les hôpitaux se sont poursuivies. Cent lits ont été supprimés à Nantes au cours de l’été, 200 à Caen, 184 à Reims, 100 à Limoges, etc. Depuis 2003, la France a réduit ses capacités en hospitalisation à temps complet de près de 75 000 places, sous l’impulsion d’un Comité interministériel de « performance et de la modernisation de l’offre de soins » qui n’entend pas interrompre son ambitieux programme.
Faut-il en conclure que tous nos comités Théodule sont en roue libre et que plus personne ne contrôle rien ?
Au contraire.
Le principe de précaution poussé à l’extrême
L’analyse de la crise institutionnelle en cours prendra des années, mais les premiers travaux ne suggèrent pas du tout un effondrement des centres de décision, comme en juin 1940. Ils montrent plutôt une surréaction ! « Le champ de la gestion publique est saturé d’organisations, on le sait depuis longtemps, relève Henri Bergeron, directeur de recherche au CNRS, spécialiste de la santé au Centre de sociologie des organisations. Dans le contexte Covid, les contraintes budgétaires et hiérarchiques qui régulent ordinairement leur action ont été brusquement levées. » Loin d’être paralysé, le pouvoir serait plutôt en phase d’emballement depuis des mois, un peu comme un système immunitaire qui se retourne contre l’organisme.
La bascule intervient le 10 mars, lorsque l’Italie entière est placée en confinement. La France l’imitera une semaine plus tard, mais les travaux parlementaires montrent que la décision a été prise dès le 12 mars, après un temps de réflexion très court. « À quelles conditions peut-on introduire une mesure inédite, qui ne figure dans aucun texte de loi ou plan, qui n’a jamais été testée, qui n’a fait l’objet d’aucune étude scientifique ? » s’interrogent Henri Bergeron et ses collègues sociologues dans un ouvrage paru début octobre[tooltips content= »Henri Bergeron, Olivier Borraz, Patrick Castel et François Dedieu, Covid-19 : une crise organisationnelle, Presses de Sciences-Po, 2020. »](1)[/tooltips]. Bonne question, restée à ce jour sans réponse. Le confinement général a été décidé sans que personne ait la moindre idée de son efficacité. La Chine ne l’avait pas expérimenté, se bornant à confiner des régions. Elles sont certes aussi peuplées que des pays européens, mais ne possèdent nullement les caractéristiques des États autonomes. Les centres névralgiques de Chine n’ont jamais cessé de fonctionner. Le gel d’un pays entier est une invention italienne, et cela tient peut-être à un séisme vieux de onze ans.
Le précédent de l’Aquila en Italie
Le 6 avril 2009, la terre a tremblé près L’Aquila, ville des Abruzzes, tuant 299 personnes. Trois ans plus tard, en 2012, un tribunal italien a condamné à six ans de prison ferme cinq scientifiques de la commission italienne chargée d’évaluer les dangers liés aux tremblements de terre. Chef d’accusation : « homicide par imprudence ». La justice ne leur a pas reproché de ne pas avoir prévu le séisme, ce que personne ne sait faire, mais d’avoir accepté de porter une parole rassurante dans les médias, alors que la terre tremblait déjà depuis quelques jours dans le secteur et que certaines voix réclamaient une évacuation préventive ! Considérée comme un scandale par l’ensemble de la communauté scientifique, cette décision de première instance répondait à une demande populaire italienne. Elle a été cassée en appel en 2016. Néanmoins, selon un haut fonctionnaire français de l’enseignement supérieur et de la recherche, elle reste très présente dans la mémoire des experts italiens, bien au-delà du cercle des sismologues. « L’ancien directeur de la protection civile italienne, Guido Bertolaso, était commissaire extraordinaire à la crise de L’Aquila, en 2009. Il a vu monter en direct les appels à lyncher les sismologues. Et en mars 2020, on le retrouve consultant des régions Lombardie, Sicile et Ombrie pour la gestion du Covid… Il est sur une ligne de précaution maximale, comme ses collègues. Quand vous êtes expert dans l’Italie post-Aquila, vous n’êtes jamais trop couvert. »
Les experts sont par définition des spécialistes, qui reconnaissent la parole de leurs pairs. C’est leur force et parfois leur faiblesse, quand ils rediffusent et amplifient une erreur initiale. En avril 2010, suite à l’éruption du volcan islandais Eyjafjöll, tout le ciel européen a été paralysé, sans raison. « Une histoire ahurissante, raconte René Zanni, ingénieur de l’aviation civile devenu consultant spécialisé en gestion des systèmes complexes. Les cendres volcaniques peuvent en effet bloquer les moteurs d’un avion de ligne – c’est arrivé en 1983 en Indonésie –, mais il faut vraiment être au mauvais moment au mauvais endroit. Dans le cas de l’Eyjafjöll, le danger existait, mais dans une zone limitée. Les aéroports écossais ont fermé leur espace, par précaution, parce que le vent tournait et pouvait amener le nuage vers l’Europe. » L’emballement commence alors. « On avait créé à Londres un Volcanic Ash Advisory Center (“centre de conseil en cendres volcaniques”,) qui n’avait pas encore eu l’occasion de montrer son utilité. Il a préconisé d’étendre la mesure à tout l’espace aérien britannique. Londres l’a écouté, Berlin a suivi. De proche en proche, la paralysie a gagné l’Europe de l’Est, l’Ukraine, l’Arménie… » Bilan, des centaines de vols annulés, près de 2 milliards de dollars de pertes pour les compagnies aériennes. D’autres éruptions survenues depuis lors en Islande n’ont pas entraîné la moindre annulation de vol. « Ce n’est pas de l’incompétence, pointe René Zanni. C’est un problème systémique. Dans la gestion de crise, la sécurité est logiquement mise tout en haut de la pile des critères. Le point critique, ce sont les indicateurs de risque. Si vous ne retenez pas les bons, vous risquez de vous planter. »
Compter les morts du Covid, pas si simple
Dans ce registre, le confinement de mars et le demi-confinement d’octobre semblent pourtant fondés sur un indicateur net comme un coup de faux. Il s’agit des admissions de patients en danger de mort, de nature à submerger les capacités de réanimation. L’assignation à résidence des Français a été décidée, car « les autres options disponibles auraient coûté trop de vies », résument les auteurs de Covid-19 : une crise organisationnelle.
Selon Anne-Laure Boch, neurochirurgien à la Salpêtrière, à Paris, cette lecture est simpliste. Tout en déplorant la réduction obsessionnelle des coûts, au sein d’un secteur hospitalier « à l’os », elle pointe l’ambiguïté de la notion de surcharge des services de réanimation. « L’hôpital en France étant désormais géré à flux tendu, n’importe quelle crise est susceptible de dépasser ses capacités théoriques », souligne-t-elle. En pratique, pendant les pics de Covid, « les médecins ont fait face comme ils le font souvent, en triant les patients. La moraline ambiante empêche de le dire, mais c’est un aspect de leur métier. Il faut leur faire confiance. Envoyer en réanimation des malades très âgés et très fragiles relève de l’acharnement thérapeutique. Les taux de survie à six mois sont désastreux. »
Grand âge, insuffisances respiratoires, fragilités cardiaques: attribuer au Covid des morts provoquées par un bouquet de causes fait flamber les chiffres
Autre indicateur présumé robuste de la gravité de la crise, le nombre de morts du Covid est tout aussi délicat à interpréter. Dans une note trop peu commentée, publiée en avril 2020[tooltips content= »Alain Bayet, Sylvie Le Minez et Valérie Roux, « Mourir de la grippe ou du coronavirus : faire parler les chiffres de décès publiés par l’Insee… avec discernement », Insee, 7 avril 2020. »](2)[/tooltips], l’Insee souligne qu’il peut exister « un rapport de 1 à 10 entre le nombre de décès causés directement par la grippe et recensés comme tels dans les certificats de décès, et le nombre de décès dont l’épidémie est responsable » en comptant large. Grand âge, insuffisances respiratoires, fragilités cardiaques… Attribuer au seul Covid des morts provoquées par un bouquet de causes fait flamber les chiffres. Une des raisons pour lesquelles la Belgique a des indicateurs de mortalité par Covid parmi les plus élevés en Europe est qu’elle retient les décès par « suspicion » de Covid dans ses statistiques. L’Allemagne, à l’inverse, a des statistiques Covid restrictives. Il ne fait aucun doute que le coronavirus fera des dizaines de milliers de morts en Europe, mais suivre le nombre de décès en temps réel pour conclure que telle ou telle mesure porte ses fruits est hasardeux.
Hypercentralisation
Le conseil scientifique de treize membres mis en place par le gouvernement français le 10 mars a évacué ces sérieuses réserves méthodologiques, parce qu’il était « très hospitalo-centré », estime le sociologue Olivier Borraz. Banquiers, avionneurs, pétroliers ou restaurateurs, les lobbies économico-industriels, dont tant d’observateurs dénoncent l’influence sur la vie publique, ont été ignorés au moment de vérité, relégués dans l’antichambre. Issu d’une longue concertation, prêt depuis 2011, le plan « Pandémie grippale » a été laissé de côté, alors qu’il répondait assez bien à la situation. Le conseil scientifique s’est lancé dans un exercice d’improvisation totale. « On était sur une stratégie de protection des hôpitaux, rappelle Olivier Borraz. Si d’autres expertises avaient été convoquées, d’autres décisions auraient-elles été retenues ? Probablement. » Aujourd’hui, ajoute-t-il, le Conseil de sécurité et de défense qui a pris le relais intègre des expertises plus variées, mais « il fonctionne de manière très fermée, avec des critères peu explicités, pas débattus ». Depuis juin, pourtant, il était possible de consulter largement pour aboutir à une forme de gestion collective de la crise. Rien n’a été entrepris en ce sens. Les mesures coercitives et les restrictions de libertés descendent du sommet, sans que personne ne se donne la peine de justifier leur bien-fondé. Pourquoi limiter les promenades à un rayon de 1 000 m autour du domicile ? Pourquoi pas 500 m, ou 5 km ? À quoi bon le masque en école primaire, si les enfants l’enlèvent pour manger dans une joyeuse pagaille à midi ? Pourquoi des mesures nationales, alors que l’épidémie affiche des variations locales considérables, que personne ne prend le temps d’analyser ?
En Italie encore, le second confinement est émaillé d’incidents violents à Naples, Milan ou Turin. Conscient de la tension latente, le gouvernement français ouvre les vannes. Les chasseurs peuvent chasser, les plaisanciers accéder à leurs navires pour les préparer à l’hivernage, les commerces « essentiels » restent ouverts. Au risque de multiplier les incohérences et d’attiser le soupçon qui monte : nos gouvernants ne navigueraient-ils pas à vue depuis des mois ? Henri Bergeron n’est pas loin de le penser. « Nous sommes face à un discours moralisateur et culpabilisateur reposant sur une énorme méfiance envers les administrés, mais à l’examen, on se dit que les élites sont beaucoup plus paniquées que les citoyens. »
L’ouvrage d’Alice Urbach de plus de 500 pages sur les meilleures recettes viennoises dans les années 1930 sera bientôt réédité…
« Aryanisation. » Ce mot terrible évoque l’expropriation par les nazis des biens des juifs d’Europe et l’exclusion de ceux-ci de la vie culturelle. Une facette moins connue de ce processus vient de nous être rappelée par l’histoire d’Alice Urbach, auteur d’un best-seller sur la cuisine viennoise dans les années 1930, histoire racontée par sa petite-fille dans un livre publié en septembre[tooltips content= »Karina Urbach, Das Buch Alice: Wie die Nazis das Kochbuch meiner Großmutter raubten (2020). »](1)[/tooltips]. Née dans une famille juive en 1886, Alice se marie avec un médecin dont la mort prématurée la laisse seule avec deux enfants à élever. Elle se lance comme professeur de cuisine pratique et crée un service de livraison de plats chauds. En 1935, elle codifie tout son savoir-faire dans un volume de plus de 500 pages qui met à la portée de tout le monde les secrets des meilleures recettes viennoises, de l’Apfelstrudel au Kaiserschmarrn, une sorte de crêpe coupée en morceaux inventée accidentellement par une paysanne pour l’empereur Franz Joseph et son épouse, Sissi. Intitulé So kocht man in Wien ! (« C’est comme ça qu’on cuisine à Vienne ! »), le livre est un succès immédiat et devient une véritable référence dans les pays germanophones. Après l’annexion de l’Autriche par l’Allemagne d’Hitler en 1938, Alice est obligée de se réfugier en Angleterre, avant de rejoindre les États-Unis après la guerre. Dès qu’ils mettent main basse sur son pays, les nazis, écoutant à la fois leur idéologie de haine et leur estomac, republient son best-seller sous un autre nom, « Rudolph Rösch », à consonance plus « aryenne ». La nouvelle édition reproduit substantiellement le texte d’Alice et les images où on voit ses mains à l’œuvre. Sans le savoir, Alice est destituée de son statut d’auteur et naturellement des revenus qui y sont associés. C’est bien plus tard qu’elle découvre la supercherie odieuse. Devenue en Amérique une vedette de la cuisine à la télévision, elle meurt en 1983 à 90 ans. Aujourd’hui, son best-seller va être enfin réédité sous son nom – et ainsi dé-aryanisé.
Il m’arrive de m’ennuyer dans le grand lit où je tente, souvent en vain, de trouver le sommeil après avoir regardé un match de foot ou suivi la liesse populaire qui a suivi l’élection du Président le plus fade des États-Unis.
Les Américains déchanteront vite et, peu à peu, même ceux qui le haïssaient, éprouveront une forme de nostalgie pour le maverick qu’était Donald Trump : il assurait le spectacle mieux que quiconque. On comprend que le tout Hollywood l’exécrait : il leur volait la vedette. Et il était le seul à s’imposer face à des rivaux comme le Président Xi, Poutine ou Erdogan. Il n’était peut-être pas cultivé, mais il avait compris l’essentiel : « First is First and Second is Nobody».
Les pleurnicheries antiracistes ou féministes le laissaient de glace, de même que les paniques sanitaires liées à une pandémie qu’il jugeait être l’escroquerie du siècle. Et il ne voulait pas museler le peuple américain, ce qui est pour moi une raison supplémentaire de l’apprécier : Donald Trump et John Wayne, même combat. Un combat perdu, je l’admets bien volontiers.
Date de péremption
Donc, la nuit, après avoir bu une rasade de whisky japonais, si possible du Nikka, je m’amuse à regarder les profils des filles esseulées en quête du Prince Charmant sur Tinder. Je les choisis en fonction de leur âge, puisque comme Chloé Delaume que j’apprécie et qui vient de recevoir le Prix Médicis pour Le Cœur synthétique, je ne sais que trop combien, passée la quarantaine, les femmes ont atteint leur date de péremption: elles ne sont plus sur le marché de l’amour que des barquettes de viande avariée.
Je les évite donc et, après m’être présenté comme un jeune professeur de criminologie, je pars à la pêche avec la sensation d’opérer un casting. Je ne suis guère étonné par le fait que toutes ces donzelles aient une même obsession : voyager. « Je ne suis pas assez con pour cela », disait Gilles Deleuze. D’ailleurs, pourquoi aller chercher ailleurs, ce que l’on ne trouvera qu’en soi ?
À défaut de faire le tour du monde ou de partir en randonnée, elles se replient sur Netflix. Rares sont celles qui s’intéressent à la politique et plus rares encore celles qui ont une passion pour la lecture. J’ai néanmoins trouvé quelques exceptions en Asie. Ainsi, j’ai découvert que Michel Foucault était une star en Chine et qu’on y étudiait Heidegger. En revanche, Cioran est totalement inconnu. Une jeune Chinoise a pour projet cet hiver de lire tous les cours donnés par Foucault au Collège de France. Je l’ai vivement encouragée, signalant au passage pour me mettre en valeur que je l’avais un peu connu.
Michel Foucault et Christophe
Parfois, les filles me proposent un peu plus d’intimité sur WhatsApp, Skype ou Hangouts. Les plus jeunes sur Snapchat. Les Françaises sont les plus vénales. Après quelques exhibitions qui ne manquent pas de charme, elles me demandent de les aider à remplir leur frigo qui est vide. Combien de photos de frigos vides, n’ai-je pas reçu !
Je les incite à manger le moins possible et à ne jamais dépasser cinquante kilos, ce qui semble être aussi difficile pour elles que de gravir le Cervin. En général, la relation s’arrête là. Je m’endors tranquillement en écoutant : « Les mots bleus » de Christophe. Michel Foucault les appréciait-il ? Encore une question sans réponse.
Beaucoup ont vu Jean-Michel Blanquer comme l’homme de la situation lors de sa nomination en tant que ministre de l’Éducation nationale. La littérature que l’on peut découvrir sur le site de l’incubateur du Grenelle de l’Education[tooltips content= »Lancé le 22 octobre, il se déploiera jusqu’en février 2021 NDLR »](1)[/tooltips] n’annonce pourtant rien de bon. « L’école inclusive » est en marche, aux dépens de la valorisation de l’enseignement et des professeurs.
La nomination de Jean-Michel Blanquer avait fait grimacer l’ex-ministre de l’Éducation Nationale (EN), Najat Vallaud-Belkacem. À l’inverse de celle-ci, beaucoup pensèrent que le nouvel occupant de la rue de Grenelle était l’homme de la situation. Avec l’annonce du “Grenelle de l’Éducation”, l’espoir grandit encore: on allait mettre les choses sur la table, laisser à nouveau le professeur faire son métier, valoriser l’enseignement de sa discipline, etc. Malheureusement, l’incubateur du Grenelle, « lieu d’échanges et de construction » composé d’ateliers de réflexion et de préparation au Grenelle de l’Éducation, annonce la couleur. Et la déception est grande.
Dans un essai récent, La Haine de la culture (Éditions Armand Colin), le philosophe autrichien Konrad Paul Liessmann fait le bilan de plusieurs décennies de destruction de l’école et de la culture au niveau européen. Il note la progression de la langue technocratique qui, dans l’enceinte des ministères comme dans les entreprises, tapisse de slogans modernes les murs d’un monde dans lequel on « utilise des potentiels », on « crée du lien », on « pense ensemble », « on conçoit des images de sa propre professionnalité. »
La page d’ouverture du site du Grenelle de l’Éducation fait mieux encore. En quelques mots-clés relevant de la communication managériale, elle étale les nouvelles ambitions de l’EN pour la « communauté éducative » : reconnaissance, valeurs républicaines, mobilités, écoute et proximité, coopération, sont supposées « moderniser le système éducatif en ouvrant le champ des possibles » (dixit le ministre). Le champ des possibles s’étendant à perte de vue, nous n’en visiterons ici que quelques parcelles.
Le professeur doit devenir un expert en accompagnement social
La phrase qui introduit l’atelier Collectifs pédagogiques exprime comme une évidence absolue « qu’il n’est plus possible aujourd’hui d’imaginer un travail solitaire » – cette évidence donne la mesure de ce qui s’est passé: le professeur n’est plus cet être solitaire préparant ses cours ou corrigeant des copies dans son bureau et transmettant le savoir d’une discipline dont il est l’expert, mais l’employé d’un collectif éducatif et social, un rouage de la machine infernale à « créer du lien » ou à « faire preuve de réflexivité dans l’organisation » (K.P. Liessmann). Les disciplines tombent en désuétude et seules comptent les compétences ; le travail en équipe (des enseignants) ou en îlots (des élèves) doit être privilégié – on parlera alors, ici comme ailleurs, de communauté, d’équipe, de réseau ; le professeur n’est plus l’expert d’une discipline (le mot disparaît d’ailleurs avec son contenu) mais doit devenir un expert en accompagnement social et en projet éducatif. Dès lors, sa formation scientifique comme son travail solitaire sont non seulement superflus mais peuvent paraître contre-productifs. Le ministre écrit en effet que « la performance individuelle de l’élève est encore trop souvent la seule encouragée » alors que « ces nouvelles coopérations ont aussi pour objectif de promouvoir le travail en équipes en classe. »
La crise sanitaire et l’assassinat d’un professeur ont obligé le ministère à intégrer dans l’incubateur l’idée d’un travail sur la « gestion des situations complexes ». L’emploi de cet euphémisme n’est pas anodin. Devant les difficultés rencontrées par les professeurs – incivilités, impossibilité d’aborder certains sujets lors des cours, violences matérielles ou physiques pouvant aller jusqu’à l’assassinat – démissions et crise des vocations sont à l’ordre du jour.
Le ministère mise sur la résilience des professeurs
« Quels dispositifs mettre en place pour attirer ou maintenir en poste les talents dans un climat scolaire serein ? », interroge le ministère. Prévoyant que, malheureusement, les choses ne vont pas s’arranger, les concepteurs de l’incubateur demandent implicitement aux actuels et aux futurs professeurs de prendre sur eux. Par conséquent, la résilience (la capacité à surmonter les traumatismes, pour faire vite) est le dispositif choisi pour conserver et attirer les « talents ». Le président de l’atelier Formation, Boris Cyrulnik soi-même, aidera à l’élaboration de « dispositifs [mis] en place pour attirer ou maintenir en poste les talents dans un climat scolaire serein. » Le professeur, ouvert, adaptable, chahuté, possible cible du terrorisme, sera, de plus, résilient ; et c’est sa résilience qui permettra vraisemblablement d’assurer un « climat scolaire serein. » L’école, ce « tuteur de résilience », d’après Boris Cyrulnik, deviendra alors la préfiguration de l’ensemble de la société. Ouverte à tous les vents mauvais du social et de la communication, des méthodes pédagogiques ou managériales, du nivellement égalitariste ou de la psychiatrie moderne, elle cherchera en vain les raisons de l’échec et finira de s’effondrer sous de nouvelles réformes. Mais toujours avec résilience.
« Dans un contexte de changements profonds », il est prévu « d’attirer, conserver et faire s’épanouir les talents » en vue de permettre « des fertilisations croisées pour une meilleure adéquation de notre système éducatif avec son environnement. » Traduction de ce verbiage: notre nouveau personnel éducatif, résilient et mobile, saura s’adapter à tout, à la disparition des disciplines, à l’enfouissement des savoirs, aux violences, grâce à sa « gestion des potentialités » et à un management du “temps éducatif” ou de “la vie scolaire” n’ayant rien à envier à celui des entreprises les plus modernes.
La crise sanitaire pourrait amener le tout numérique dans les classes
Au milieu de ces catastrophes, nous pouvions craindre le pire au moment d’aborder l’atelier Numérique. Heureuse surprise, on y pose les bonnes questions : « Quelles sont les pratiques pour lesquelles […] les services numériques apportent une plus-value aux apprentissages ? Quelles sont les limites de ces usages numériques ? » Mais la crise sanitaire pourrait bien accélérer ces « nouvelles modalités de travail », et nombre de professeurs semblent prêts à basculer dans le tout-numérique. Des « twictées » (dictées en tweets) ont ainsi vu le jour, et des enseignants réclament que toutes lesclasses soient équipées de webcam. Nouveau mantra de l’enseignant progressiste: Je veux participer aux innovations pédagogiques en apportant ma pierre à l’édifice numéducatif, source des connaissances utiles à l’opérationnel, au lien social, aux solidarités intersectionnelles et à l’obtention du bac par tous et toutes.
« Nous sommes le ministère de l’humain », écrit le ministre dans l’édito du dossier de presse du Grenelle de l’Éducation. Pour que plus personne n’ait même l’idée de sourire en entendant ce genre d’inepties, les ministres de l’Éducation œuvrent, réforme après réforme, à la fabrique des crétins. « Personne ne doit être laissé de côté, il faut que tout le monde atteigne le standard minimal – et si tel n’est pas le cas, il faut des réformes » (Konrad Paul Liessmann). Pour contrecarrer la méfiance de plus en plus grande de nos concitoyens, Jean-Michel Blanquer avait déjà flanqué son ministère d’un autre slogan orwellien : L’École de la confiance. Cette dernière devait être un « service public de l’École inclusive. » Il manquait un incubateur pour peaufiner l’ensemble de l’œuvre. C’est maintenant chose faite.
David Hallyday s’est érigé en défenseur de ses droits moraux envers son père. Avec sincérité et humilité…
« Les arabes, c’est comme les lesbiennes et les drogués, les romanos, les artistes et les putes, les handicapés, c’est comme les lépreux et les noirs, les clochards c’est comme les travelos et certains jeunes : y’en a des biens », dégobillait le chanteur caustique Didier Super en 2004 sur son premier album, Vaut mieux en rire que s’en foutre, au sujet duquel Wikipédia nous prévient : « Les paroles sont fortement humoristiques, souvent très crues mais à prendre au second degré ». Le chansonnier nordiste aurait pu ajouter à son chapelet les « fils de » : y’en a des biens, aussi. Par exemple : David Hallyday !
Musicien accompli
Si Johnny n’a jamais été ma tasse de thé – dans le même genre, je préfère les infusions roublardes de Monsieur Eddy –, la musique de son fils m’a toujours un peu chatouillé le plexus cérébro-spinal depuis ce solaire « Tu ne m’a pas laissé le temps » qui enflamma les ondes pendant l’été 1999. Bien sûr, David avait déjà obtenu un beau succès avec le rock FM « High » dans les années 80, mais sa première tentative dans la langue de Molière fut la bonne pour se faire un prénom.
Longtemps cantonné aux pages people (mariage avec le mannequin Estelle Lefébure oblige) ou sportives (il est un pilote automobile chevronné), David a lutté pour s’imposer en qualité de musicien accompli, statut que l’album composé pour son père, Sang pour Sang – double disque de diamant dont il est aussi coréalisateur -, lui conférera la même année que son premier tube en français (même si le refrain, « Tu ne m’as pas laissé le temps de te dire tout c’que je t’aime et tout c’que tu me manques », ne l’est pas vraiment, français).
D’ailleurs, au vu de ce triomphe commercial et artistique (le plus grand de la carrière de Johnny), survenu après le succès en demi teintes de l’album réalisé et composé par Obispo, on peut légitimement se demander pourquoi le père n’a pas reconduit une telle collaboration avec son fiston sur son disque suivant. Mais ce qui paraît évident pour tout le monde semble ne l’avoir jamais été tout à fait entre ces deux-là. Incompatibilité des agendas ? Volonté commune d’en rester à un one shot ? Peut-être, mais leur relation souffrait visiblement d’insondables non-dits enfouis dans le passé familial. Le psychodrame de l’affaire de l’héritage en révéla l’amère saveur en 2018.
Dix ans avant, David évoquait en chanson, poétiquement, la source de ces difficultés relationnelles avec son géniteur :
Entre-temps, Révélation, disque exutoire conçu sur les ruines encore fumantes de sa séparation d’avec Estelle – mais qui a allumé le feu ? -, avait confirmé en 2002 le talent de mélodiste sanguin du fils.
Une adolescence américaine
Bercé par la musique anglo-saxonne pendant sa jeunesse – il a passé son adolescence aux États-Unis, où vivait sa mère Sylvie Vartan -, Hallyday Junior est capable d’envolées lyriques en surchauffe, portées par le turbo d’une voix aux accents d’authenticité. Sa mélancolie frémit, parfois très dark.
Bien sûr, il y a de vilaines taches variéteuses qui souillent de-ci de-là la coloration de l’œuvre de l’artiste, mais par les temps qui courent (Cf l’article de François-Xavier Ajavon « Chanteuses hip-hop, futures académiciennes »), c’est un moindre mal… D’autant que ses trois derniers albums (Le Temps d’une vie, J’ai quelque chose à vous dire, Imagine un monde) laissent entendre un chanteur pleinement maître de son art, qui a enfin trouvé ses marques dans les pas d’un géant. Mention spéciale à la production soignée et ingénieuse de ces opus, emplis de trouvailles sonores vibrantes.
Une sincérité à fleur de peau et une humilité à toute épreuve irradient ses chansons. Pas le genre à prendre la grosse tête au bout d’un million de ventes, contrairement à la plupart de ses « confrères ». Capable de transcender ses déprimes pour en faire des hymnes à la vie, David s’est érigé en défenseur de ses droits moraux envers son père – tout juste décédé – dans « Éternel », contre une certaine Laeticia, s’inscrivant au passage dans la tradition rock’n’roll du taillage de costard en règle (« How Do You Sleep » de Lennon, « Death on Two Legs » de Queen, « Margaret on the Guillotine » de Morrissey, « Kim » de Eminem, etc.). Clip de l’année 2018 dans le même mouvement :
Un souffle du feu de Dieu anime ses brasiers électro-pop et rock, flambant dans les turpitudes de sa vie, quand son sang ne fait qu’un tour pour allumer la mèche. Il souffre de son divorce ? Un album de rupture nerveux sort dans la foulée. Le contexte de la disparition de son père l’affecte pour de nombreuses raisons, y compris outrageantes ? Il exorcise la douleur dans un disque conjurant le mal à cœur ouvert. Et aujourd’hui la terre s’arrête de tourner ? Il en fait un recueil de chansons composées pendant le confinement, porteuses d’espoir mais aussi de germes insurrectionnels. « Je trouve qu’on nous divise depuis longtemps, j’avais envie d’en parler, mais en utilisant des termes positifs et pour bâtir quelque chose de nouveau […] Il y a actuellement un ras-le-bol du peuple et c’est une bonne chose. Mais on ne peut pas aller de l’avant sans passer par des confrontations. L’histoire nous a montrés que les choses n’arrivent pas seules. À un moment donné, la résilience atteint un seuil d’exploitation, surtout lorsque les gens n’ont plus rien à manger », lâche-t-il ainsi sur le site de Radio-Canada, prolongeant les paroles de sa chanson « Ciel et terre » (l’une des onze nouvelles) : « Arrêtez de garder la pose / Dans des costumes qui en imposent / Marchands d’encore plus de choses / Qui nous lassent / Arrêtez de faire la morale / Les bien-pensants qu’ont les mains sales / A dire ce qu’est bien ou mal / Quoi qu’on fasse ».
Vingt ans après Un paradis/Un enfer, « Ciel et terre » cristallise encore par métaphore une notion de cohabitation dichotomique, passée de la sphère sentimentale dans le premier cas à la crise sociale et politique actuelle dans le second, mais au risque d’implosion plus retentissant que jamais.
Imaginer le monde d’après
Un parfum hallucinogène plane sur le monde. Il est urgent de déconfiner les sens. Je propose pour commencer une injection à dose massive de bon sens un peu partout, d’honnêteté et de courage. Bref, j’imagine un monde, selon le titre de la dernière livraison de David Hallyday, où l’imagination au pouvoir ne serait pas un slogan. Une sorte de royaume de Patagonie où le morceau « Hallucinogène » – nouveau single du chanteur – serait N°1, la place qui devrait lui revenir naturellement dans l’anxiogène Absurdistan. On peut encore rêver sans autorisation.
Escapade à Chartres à la découverte du Grand Monarque, l’un des plus anciens hôtels restaurants de la ville, dirigé par Bertrand et Nathalie Jallerat. Jean-Baptiste Noé rend visite à différents producteurs qui alimentent le Grand Monarque : volailler, potager mais aussi maître verrier avec les ateliers Loire et forgeron
Le chef Benoît Cellot va cuisiner un poulet et transformer une belle volaille fermière en un plat de fête. Mais avant de passer aux fourneaux, il se rend, en compagnie de Bertrand Jallerat et de Jean-Baptiste Noé, chez les producteurs et fournisseurs des cuisines du Grand Monarque pour chercher les ingrédients de cette recette gourmande.
Première étape, direction la ferme de la Belvindière (Chapelle-royale) à la recherche d’une volaille fermière. Frédéric Thirouard emmène ses hôtes à la découverte de son élevage de volailles. Au programme : chapons, oies, pintades, poulets fermiers.
Seconde étape de cette escapade gourmande: le potager de Diane (Le Boullay-Thierry) afin de récupérer des légumes savoureux qui vont accompagner la recette du chef. Diane et Hugues Pamart présentent les différents légumes qu’ils cultivent dans leur exploitation maraîchère.
Voir ci-dessous le film:
Une découverte de l’artisanat français et un hommage aux restaurateurs et aux producteurs qui subissent de plein fouet les restrictions liées au confinement.
Les temps ont changé. Heureusement. Mais ils ont aussi perdu la tête
Le match entre le PSG et Basaksehir a été interrompu au bout de 13 minutes le 8 décembre. D’un commun accord les deux équipes ont quitté le terrain à la suite du propos, qualifié de raciste, du quatrième arbitre à l’encontre de l’entraîneur adjoint de l’équipe turque. Celui-ci s’était indigné parce qu’il avait été désigné comme le « noir », en roumain.
Le match a repris le lendemain et le PSG l’a emporté par 5 à 1. Avant le début de la rencontre, tous les joueurs et les arbitres se sont agenouillés.
J’ai scrupule à oser même une réflexion sur cet épisode qui a libéré les hyperboles et qu’on a, sur tous les supports de communication, loué comme étant « historique », « une première ». J’ai conscience que je m’arroge un pouvoir discutable puisqu’on m’a assez répété que seule comptait la perception du racisme par ceux qui en étaient directement ou indirectement victimes et que donc les avis « extérieurs » n’étaient pas légitimes.
Pourtant je persiste.
J’estime disproportionnée, dans la dénonciation pourtant nécessaire d’une dispute équivoque, cette hypertrophie agitée d’un soir comme si dans la hiérarchie du racisme, mille scandales infiniment plus graves ne s’étaient pas produits – par exemple les joueurs traités de singes et moqués par des cris, qui auraient été en faute s’ils avaient quitté le terrain – et que demain la malfaisance humaine, fortement imprégnée de bêtise et de simplisme (on les sous-estime trop dans ces dérives), n’allait pas encore frapper dans l’univers du football, des sports et partout ailleurs.
Comment faudra-t-il se comporter alors ? S’allonger par terre, manger l’herbe ?
Cet humanisme, à force de ne plus savoir rien distinguer dans une impulsivité et une frénésie devenues réflexes, va étouffer les vrais combats, les luttes authentiques. Non pas qu’il aurait fallu jeter aux oubliettes le « noir » du 8 décembre mais le mettre à sa place qui n’était pas capitale.
Je me souviens d’une scène de ma vie judiciaire où une collègue magistrat antillaise se moquait de moi parce que j’avais parlé d’une « femme de couleur » au lieu de dire « noire ». Les temps ont changé heureusement mais ils ont aussi perdu la tête.
Puis-je aussi dans ma réaction évoquer la part d’agacement que j’éprouve face à certaines absurdités considérées religieusement parce qu’elles émanent d’actrices progressistes et d’un féminisme ravageur : quand Adèle Haenel le plus sérieusement du monde énonce que le simple fait d’être blanc fait de vous un raciste, convient-il de rire ou d’être épouvanté ?
Nous avons le droit de juger ridicules les leçons de morale de ces footballeurs dont l’un – ! – nous dit qu’il aurait « mal à la France » après les violences commises par trois fonctionnaires de police contre Michel Zekler et l’autre – Kylian Mbappé, formidable talent – est à l’unisson mais n’est pas gêné pour être payé grassement par le Qatar, Etat aux antipodes de nos valeurs.
Le premier n’a jamais été un phare et je regrette que le second s’engage de plus en plus dans des implications qui sont en train de dégrader son aura brillamment sportive. Il y a tant de policiers blessés et tués, tant de causes moins chic qui auraient dû appeler de leur part, s’ils souhaitent dépasser leur statut de footballeurs comblés, des alertes et des soutiens.
Mais médiatiquement toutes les lumières ne se valent pas.
Quand j’entends Olivier Giroud qui a pris tous les risques en s’affirmant catholique dans un monde de pauvreté intellectuelle et de dérision nous demander de nous mobiliser pour les « chrétiens d’Orient », j’éprouve du respect pour lui parce qu’il lutte pour ce qui n’est pas vulgairement rentable dans notre univers qui préfère enfoncer les portes ouvertes de l’éthique.
J’admire le grand footballeur anglais Marcus Rashford qui mène des combats vigoureusement et noblement politiques contre la pauvreté d’une certaine jeunesse dans son pays, qui les a gagnés, avec un immense soutien populaire, contre le Premier ministre Boris Johnson, et sans doute n’est pas prêt d’arrêter son action dont la finalité n’est pas d’apparaître une seconde au firmament mais de faire du bien durablement à beaucoup.
Je dois aller plus loin. Sans stigmatiser forcément tout accès moral en l’étiquetant moraline. Mais les ravages, au nom du bien prétendu, se multiplient.
Le dernier en date : Clément Beaune, connu pour être une personnalité politique intelligente, ministre et proche d’Emmanuel Macron. Tout le monde à juste titre se désintéresse de son orientation sexuelle. Il a éprouvé le besoin de nous la révéler. Personne ne lui avait demandé cette transparence qui de manière absurde fait sortir sa condition de l’heureuse banalité où elle aurait dû demeurer. Tout cela est-il vraiment un progrès ?
Ai-je encore le droit de juger ridicules ces délires qui dans beaucoup de domaines, sur tous les registres, font perdre à notre société sa lucidité, sa mesure, son bon sens ?
Le pire est qu’ils se font passer pour des avancées. Quand ils sont des déclins.
Le président de Debout La France doit faire face à des défections en série au sein de son mouvement. On lui reproche ses tentatives de rapprochement des Républicains dans la perspective des régionales. Depuis le Brésil où il vient de rencontrer le président Bolsonaro, il nous répond et se veut rassurant.
Nicolas Dupont-Aignan bientôt dernier adhérent de Debout La France ? Ces derniers jours pourraient le laisser penser. Le Figaro a révélé que le parti ne compterait plus que 3 000 adhérents au dernier conseil national du mouvement, samedi 14 novembre, contre près de 12 000 l’année précédant les Européennes! Et ce sont désormais des cadres qui quittent le navire.
Une cinquantaine d’entre eux auraient décidé de faire leurs adieux afin de former un collectif satellite du… Rassemblement national. Ils sont emmenés par Jean-Philippe Tanguy, ancien porte-parole et numéro deux du parti. Lequel, trop content, a expliqué les raisons de son départ au Figaro: « Nicolas Dupont-Aignan mène Debout la France dans une impasse […] il a refusé les mains tendues par Marine Le Pen depuis 2017, tout en refusant d’aider la droite aux municipales pour faire barrage à la gauche et aux Verts. » Nicolas Dupont-Aignan réplique et dénonce de son côté un « sabotage organisé, instrumentalisé et minoritaire. » Interrogé par Causeur (voir plus bas), il ne recense « que » 22 départs.
En 2017, Nicolas Dupont-Aignan s’était rallié à Marine Le Pen au deuxième tour de la présidentielle. Les démissionnaires veulent aujourd’hui s’allier avec la droite nationale dans une stratégie d’alliance similaire, dès le premier tour des régionales. Le président de Debout la France semble avoir quant à lui changé son fusil d’épaule, avec qui sait pour idée en tête une opération séduction de LR, sa très ancienne famille politique. Depuis plusieurs mois, le souverainiste se garde bien de toute critique à l’égard des membres de LR. Et il se rapproche même de possibles présidentiables. Début novembre, il a pu discuter avec Bruno Retailleau, avant de s’entretenir, le 9 novembre, avec le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes, Laurent Wauquiez. Dans une note de Debout la France rédigée par la direction locale du mouvement dans les Pays de la Loire que s’est procurée Le Figaro, l’entente avec LR était même explicitement évoquée, à l’inverse d’une alliance avec le RN: « Il est exclu pour nous d’envisager les mêmes scénarios (d’alliances) avec le RN. » D’après Le Figaro, plusieurs têtes de liste départementales DLF auraient finalement leur place sur les listes LR. Une partie de l’appareil de DLF n’a visiblement pas gouté cette stratégie. « Quelle crédibilité aurait une « union des patriotes » avec quelques cadres LR qui ont soutenu Emmanuel Macron juste après la défaite de François Fillon mais qui exclut la principale force d’opposition qu’est le RN ? », s’interrogeait ainsi Jean-Philippe Tanguy. La vérité est peut-être ailleurs. « La seule chose qui compte pour [Nicolas Dupont-Aignan] c’est de sauver sa circonscription », explique à l’AFP l’ancien militantMaxime Thiébaut, qui a quitté Debout La France dès 2017 après les législatives.
Trois questions à Nicolas Dupont-Aignan
Brasília, 9 décembre HANDOUT / BRAZILIAN PRESIDENCY / AFP
Nicolas Dupont-Aignan, depuis le Brésil où il a déjeuné avec le ministre des Affaires étrangères et a rencontré le président Jair Bolsonaro, répond à Causeur quant à la crise que traverse son mouvement politique. Le député de l’Essonne minimise et assure que tout ceci n’est qu’une “tempête dans un verre d’eau”. Propos recueillis par Martin Pimentel.
Causeur. Quelles sont vos relations avec Marine Le Pen à l’heure actuelle ?
Nicolas Dupont-Aignan. Si heureusement on se parle quand on se croise à l’Assemblée, j’ai le sentiment qu’elle a mal pris ma candidature à la présidentielle. Je suis pourtant le seul homme politique à l’avoir soutenue au second tour, même après le fiasco du débat. Elle a une fâcheuse tendance à écarter tous ceux qui peuvent l’aider: Marion Maréchal, Florian Philippot ou encore Jean Messiha récemment.
Au mois de janvier dernier, je lui avais proposé d’organiser une primaire ouverte – avec différentes personnalités telles qu’Éric Zemmour, Philippe de Villiers, Florian Philippot ou Bruno Retailleau pourquoi pas – afin que nos électeurs puissent choisir le meilleur candidat pour battre Emmanuel Macron. Marine Le Pen a refusé cette primaire. Je considère désormais que Marine Le Pen est le meilleur atout d’Emmanuel Macron. Marine Le Pen ne peut pas être la candidate du camp national, et jamais l’idée de la primaire n’a été aussi adaptée à la situation politique. J’aurais évidemment quelques atouts dans cette primaire que j’appelle de mes vœux: je suis aussi populaire chez Les Républicains qu’au RN (respectivement 40% et 43%), tandis que Xavier Bertrand est très populaire à LR mais peu au Rassemblement national et que Marine Le Pen, très populaire dans l’électorat du Rassemblement national, ne l’est franchement pas dans celui de LR.
Votre porte-parole Jean-Philippe Tanguy a quitté votre mouvement Debout La France et affirme avoir emmené avec lui 50 cadres. Il invoque des désaccords stratégiques avec vous. Que s’est-il passé, et que répondez-vous à ceux qui vous accusent de draguer la droite classique (LR) pour conserver des mandats locaux?
C’est comique ! Ces petites manœuvres du RN ne sont pas à la hauteur de l’enjeu. Si je tenais tant à mes mandats locaux, je n’aurais pas appelé à voter pour Marine Le Pen en 2017, ce qui a provoqué un tourbillon médiatique.
Toute cette histoire est grotesque: j’ai effectivement reçu 22 démissions sur 800 cadres. Ces transfuges cuisent leur petite soupe sur leur petit feu. C’est difficilement compréhensible pour moi, dans la mesure où nous avons eu deux conseils nationaux – le 7 juillet et le 25 septembre – et que ces quelques personnes qui se vendent au RN aujourd’hui ont alors approuvé ma candidature et le principe d’une liste indépendante aux régionales. Aucune motion n’a d’ailleurs été votée lors de ces rassemblements…
C’est bien leur droit de partir, mais en revanche le parti a une ligne, et n’en déviera pas. La presse bourgeoise et l’oligarchie médiatique adorent Marine Le Pen, qui représente la garantie d’Emmanuel Macron ! Toute personne qui propose autre chose devient un réel danger. Or, 80% des Français ne veulent pas de ce duel. Ce n’est pas parce que quelques personnes sont mécontentes au sein de Debout La France que je vais changer de ligne.
Voterez-vous le projet de loi contre le séparatisme ?
Je le voterai… ou je m’abstiendrai. C’est un petit plus, mais c’est loin d’être à la hauteur de la menace.
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