PSG – Istanbul Basaksehir, un match engagé

Un 4e arbitre raciste, vous êtes sûr?


PSG – Istanbul Basaksehir, un match engagé
Le 4e arbitre Sebastien COLTESCU se dispute avec Demba BA du club turc d'Istanbul Basaksehi, hier soir © VS Press/SIPA Numéro de reportage: 00994940_000041

Le jour où des hommes de principe à crampons ont dit non au racisme…


Mardi soir, j’ai vu un match de foot qui, paraît-il, va rentrer dans l’histoire. Manque de bol, ma télé déconnait et les images étaient en noir et blanc. Heureusement, le spectacle était au rendez-vous et le match engagé, mais pour la bonne cause, la seule qui semble valoir de nos jours : la lutte pour le raci… pardon contre le racisme. C’est vrai quoi, parfois on ne sait plus trop ce qu’il faut dire. C’est comme pour SOS Racisme. Faut-il étymologiquement le prendre au premier ou au second degré, s’agit-il de porter secours au racisme ou de le combattre ? Comme disait Gainsbourg, qui serait aujourd’hui passible du Tribunal de Nuremberg s’il n’avait pas cassé sa pipe trop tôt : « Doit-on dire un noir ou un homme de couleur ? Parce que tout ceci n’est pas clair. » Bon bref, je vous fais un résumé de la rencontre.

Sanitairement correct

Mardi 8 décembre 2020, retenez-bien cette date. Il est 21h, le coup d’envoi est donné pour ce match de Ligue des champions sanitairement correct et donc à huis-clos, tant pis pour l’ambiance. Tout le brouhaha et le folklore habituel a généralement un mérite, celui de passer le temps durant les innombrables temps morts parce qu’il faut bien le dire, à quelques actions près, on s’emmerde le plus souvent à regarder 22 types piétiner un ballon (et pas que) pendant 90 minutes, surtout depuis l’arrêt Bosman. Mais c’est un autre sujet. Et il faut positiver. Avec des tribunes vides, pas de oh-hisse enculé, de cris de singes, d’insultes à l’arbitre, de sifflets, d’invectives… mais un retour à une certaine pureté originelle et à la grande fraternité humaine que doit incarner le sport, et patati et patata.

Sur la pelouse, un journaliste apporte une précision bien dérisoire: l’arbitre roumain a dit « le noir » et non pas « le nègre », noir se disant negru dans les Carpates. Peu importe, sus au racisme et au raciste

21h13, c’est le drame. Un arbitre roumain parle en roumain à un autre arbitre roumain pour se plaindre du comportement d’un membre de l’équipe turque sur le banc: « Le noir (negru, dans la langue de Ceaucescu) qui est là, allez vérifier qui c’est, ce n’est pas possible de se comporter comme ça. » Demba Ba, un joueur franco-sénégalais de l’équipe byzantine, sensible à l’amour du maillot puisqu’il a déjà connu dix clubs différents (merci Bosman) au cours d’une carrière en tout point exemplaire, sort de son banc et de ses gonds et plaque presque sa tête – tant pis pour la distanciation sociale – contre l’homme en noir, ou plutôt en jaune ce soir-là, mais toujours roumain. Enfin je me comprends. « Why you said negro ? Why you said negro ? Why you said negro… » éructe à plusieurs reprises et dans la langue de Shakespeare notre homme en colère. Les puristes regretteront l’absence de l’auxiliaire « did » dans ce syntagme interrogatoire multiple, mais là n’est pas l’essentiel, convenons-en.

Un joueur qui se victimise?

Très vite, un attroupement se crée autour de l’homme en noir et jaune de plus en plus pâle et de notre Martin Luther King du XXIe siècle, dont la biographie force le respect. En 2013, il refuse de revêtir le futur maillot de Newcastle en raison du nouveau sponsor de l’équipe « Wonga », une société de crédit, car la charia interdit l’emprunt à crédit. En 2014, il met en vente aux enchères son maillot de Chelsea pour financer le… CCIF (Collectif contre l’islamophobie en France) récemment dissous en raison de son engagement humaniste au service de l’esprit des Lumières. Avec un pote footballeur grand amateur de quenelle et Raymond Domenechophobe, il apporte aussi un soutien financier à l’association Urgences panafricanistes créé par Kémi Seba, un activiste anticolonialiste condamné à plusieurs reprises pour antisémitisme.

A relire: Kémi Seba, un tartuffe en Afrique

Notre indigné en short, qui confesse ne pas être Charlie, se distingue aussi sur Twitter, où il semble préférer le prophète (qu’il cite souvent) au football, relaie les tweets d’une autre association humaniste récemment dissoute (Barakacity) après la décapitation de Samuel Paty et se félicite de la libération de son fondateur Idriss Sihamedi, un autre amoureux du genre humain qui refuse de serrer la main aux femmes, légitime la polygamie ou a quelques pudeurs de gazelles quand il s’agit de condamner Daech. Entre deux vidéos d’Erdogan lisant le Coran, il retweete Rokhaya Diallo, « balance » Zineb El Rhazoui et… bon bah on va s’arrêter là, parce je me rends compte qu’on s’éloigne du match.

Lequel ne reprend toujours pas.

Kemi Seba en 2006 © SIMON ISABELLE / SIPA Numéro de reportage : 00531190_000010
Kemi Seba en 2006 © SIMON ISABELLE / SIPA Numéro de reportage : 00531190_000010

Autour des arbitres, il y a désormais 22 indignés à crampons, voire plus si affinités, qui demandent des comptes. Des hommes d’exception, dont le quotidien sur les pelouses pour beaucoup d’entre eux consiste souvent, très souvent, trop souvent à tricher, simuler, tirer le maillot, tacler par derrière, invectiver l’arbitre, lancer des « fils de p… » et des insultes homophobes à tire-larigot voire même pour certains à cracher sur l’adversaire en loucedé.

Dans la meute, on trouve par exemple un Brésilien avec les pieds en or mais le reste qui sonne désespérément creux, accusé par le fisc espagnol d’avoir fraudé pour 35 millions d’euros, et pourfendeur du racisme à géométrie (très) variable: en septembre 2020 au terme d’une rencontre mouvementée face à l’OM, il accuse un adversaire argentin d’avoir proféré des insultes racistes à son égard… quelques minutes après avoir lui-même traité de « chinois de merde » un joueur japonais de l’autre camp. En première ligne aussi un champion du monde français particulièrement sélectif sur Twitter, sauf quand il s’agit de dénoncer les violences policières en citant Diam’s, une philosophe franco-chypriote exilée en Arabie Saoudite.

Ou encore un autre international français qui, après le meurtre de Samuel Paty, like en toute décontraction le message Instagram d’un champion de MMA daguestanais, lequel balance entre autres joyeusetés sur un portrait piétiné de notre président : « Qu’Allah lâche son châtiment sur quiconque empiète sur l’honneur du meilleur des hommes, son prophète Mahomet. Que le Tout Puissant défigure cette ordure (Emmanuel Macron) et tous ses disciples qui au nom de la liberté d’expression insultent la foi de plus d’un milliard et demi de musulmans. Croyez-moi, ces provocations auront pour eux de graves conséquences car les pieux ont toujours le dernier mot. »

RMC Sport, remboursez!

Pendant ce temps sur RMC Sport, la chaîne qui diffuse en direct la rencontre, la demi-douzaine de consultants présents dans les tribunes stérilisées du Parc des Princes surjoue l’indignation. Un grand numéro de vierges effarouchées où chacun semble faire un concours de celui qui a la plus grosse… conscience morale. Sur la pelouse, un journaliste apporte une précision bien dérisoire : l’arbitre roumain a dit « le noir » et non pas « le nègre », noir se disant negru dans les Carpates. Peu importe, sus au racisme et au raciste. L’arbitre roumain. Nos indignés encravatés chassent en meute et continuent à nous bourrer le mou. Un des commentateurs croit même important de nous rappeler que le racisme est un crime contre l’humanité. Ne surtout pas penser qu’un homme en noir (et jaune) qui, dans le feu de l’action, évoque nommément un noir, cela ne casse pas trois pattes à un Neymar.

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Outragé, brisé, martyrisé, le club turc est rentré au vestiaire. Un club détenu par des proches de l’AKP, le parti islamiste d’Erdogan, hostile à l’homosexualité, à la contraception, à l’avortement, les femmes étant encouragé à tenir « leur rôle de mère », avec un voile sur la tête tant qu’à faire. Un club qui a des principes donc. La rencontre ne reprendra pas.

Islamiste, sexiste et homophobe – pardons pour le pléonasme –  le président turc dénonce le racisme le soir-même sur Twitter. Le lendemain matin, son chef de la diplomatie évoque un crime contre l’humanité. Bienvenue en 2020. La morale de toute cette histoire, c’est que cette noble cause est entre de bonnes mains. Et qu’apparemment, elle écrase toutes les autres. Comme le disait encore Gainsbourg : « Je voudrais que la terre s’arrête pour descendre. » 



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Journaliste. Il a notamment participé au lancement du quotidien 20 Minutes en France début 2002 et a récemment écrit pour Causeur

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