David Hallyday s’est érigé en défenseur de ses droits moraux envers son père. Avec sincérité et humilité…
« Les arabes, c’est comme les lesbiennes et les drogués, les romanos, les artistes et les putes, les handicapés, c’est comme les lépreux et les noirs, les clochards c’est comme les travelos et certains jeunes : y’en a des biens », dégobillait le chanteur caustique Didier Super en 2004 sur son premier album, Vaut mieux en rire que s’en foutre, au sujet duquel Wikipédia nous prévient : « Les paroles sont fortement humoristiques, souvent très crues mais à prendre au second degré ». Le chansonnier nordiste aurait pu ajouter à son chapelet les « fils de » : y’en a des biens, aussi. Par exemple : David Hallyday !
Musicien accompli
Si Johnny n’a jamais été ma tasse de thé – dans le même genre, je préfère les infusions roublardes de Monsieur Eddy –, la musique de son fils m’a toujours un peu chatouillé le plexus cérébro-spinal depuis ce solaire « Tu ne m’a pas laissé le temps » qui enflamma les ondes pendant l’été 1999. Bien sûr, David avait déjà obtenu un beau succès avec le rock FM « High » dans les années 80, mais sa première tentative dans la langue de Molière fut la bonne pour se faire un prénom.
Longtemps cantonné aux pages people (mariage avec le mannequin Estelle Lefébure oblige) ou sportives (il est un pilote automobile chevronné), David a lutté pour s’imposer en qualité de musicien accompli, statut que l’album composé pour son père, Sang pour Sang – double disque de diamant dont il est aussi coréalisateur -, lui conférera la même année que son premier tube en français (même si le refrain, « Tu ne m’as pas laissé le temps de te dire tout c’que je t’aime et tout c’que tu me manques », ne l’est pas vraiment, français).
D’ailleurs, au vu de ce triomphe commercial et artistique (le plus grand de la carrière de Johnny), survenu après le succès en demi teintes de l’album réalisé et composé par Obispo, on peut légitimement se demander pourquoi le père n’a pas reconduit une telle collaboration avec son fiston sur son disque suivant. Mais ce qui paraît évident pour tout le monde semble ne l’avoir jamais été tout à fait entre ces deux-là. Incompatibilité des agendas ? Volonté commune d’en rester à un one shot ? Peut-être, mais leur relation souffrait visiblement d’insondables non-dits enfouis dans le passé familial. Le psychodrame de l’affaire de l’héritage en révéla l’amère saveur en 2018.
Dix ans avant, David évoquait en chanson, poétiquement, la source de ces difficultés relationnelles avec son géniteur :
Entre-temps, Révélation, disque exutoire conçu sur les ruines encore fumantes de sa séparation d’avec Estelle – mais qui a allumé le feu ? -, avait confirmé en 2002 le talent de mélodiste sanguin du fils.
Une adolescence américaine
Bercé par la musique anglo-saxonne pendant sa jeunesse – il a passé son adolescence aux États-Unis, où vivait sa mère Sylvie Vartan -, Hallyday Junior est capable d’envolées lyriques en surchauffe, portées par le turbo d’une voix aux accents d’authenticité. Sa mélancolie frémit, parfois très dark.
Bien sûr, il y a de vilaines taches variéteuses qui souillent de-ci de-là la coloration de l’œuvre de l’artiste, mais par les temps qui courent (Cf l’article de François-Xavier Ajavon « Chanteuses hip-hop, futures académiciennes »), c’est un moindre mal… D’autant que ses trois derniers albums (Le Temps d’une vie, J’ai quelque chose à vous dire, Imagine un monde) laissent entendre un chanteur pleinement maître de son art, qui a enfin trouvé ses marques dans les pas d’un géant. Mention spéciale à la production soignée et ingénieuse de ces opus, emplis de trouvailles sonores vibrantes.
Une sincérité à fleur de peau et une humilité à toute épreuve irradient ses chansons. Pas le genre à prendre la grosse tête au bout d’un million de ventes, contrairement à la plupart de ses « confrères ». Capable de transcender ses déprimes pour en faire des hymnes à la vie, David s’est érigé en défenseur de ses droits moraux envers son père – tout juste décédé – dans « Éternel », contre une certaine Laeticia, s’inscrivant au passage dans la tradition rock’n’roll du taillage de costard en règle (« How Do You Sleep » de Lennon, « Death on Two Legs » de Queen, « Margaret on the Guillotine » de Morrissey, « Kim » de Eminem, etc.). Clip de l’année 2018 dans le même mouvement :
Un souffle du feu de Dieu anime ses brasiers électro-pop et rock, flambant dans les turpitudes de sa vie, quand son sang ne fait qu’un tour pour allumer la mèche. Il souffre de son divorce ? Un album de rupture nerveux sort dans la foulée. Le contexte de la disparition de son père l’affecte pour de nombreuses raisons, y compris outrageantes ? Il exorcise la douleur dans un disque conjurant le mal à cœur ouvert. Et aujourd’hui la terre s’arrête de tourner ? Il en fait un recueil de chansons composées pendant le confinement, porteuses d’espoir mais aussi de germes insurrectionnels. « Je trouve qu’on nous divise depuis longtemps, j’avais envie d’en parler, mais en utilisant des termes positifs et pour bâtir quelque chose de nouveau […] Il y a actuellement un ras-le-bol du peuple et c’est une bonne chose. Mais on ne peut pas aller de l’avant sans passer par des confrontations. L’histoire nous a montrés que les choses n’arrivent pas seules. À un moment donné, la résilience atteint un seuil d’exploitation, surtout lorsque les gens n’ont plus rien à manger », lâche-t-il ainsi sur le site de Radio-Canada, prolongeant les paroles de sa chanson « Ciel et terre » (l’une des onze nouvelles) : « Arrêtez de garder la pose / Dans des costumes qui en imposent / Marchands d’encore plus de choses / Qui nous lassent / Arrêtez de faire la morale / Les bien-pensants qu’ont les mains sales / A dire ce qu’est bien ou mal / Quoi qu’on fasse ».
Vingt ans après Un paradis/Un enfer, « Ciel et terre » cristallise encore par métaphore une notion de cohabitation dichotomique, passée de la sphère sentimentale dans le premier cas à la crise sociale et politique actuelle dans le second, mais au risque d’implosion plus retentissant que jamais.
Imaginer le monde d’après
Un parfum hallucinogène plane sur le monde. Il est urgent de déconfiner les sens. Je propose pour commencer une injection à dose massive de bon sens un peu partout, d’honnêteté et de courage. Bref, j’imagine un monde, selon le titre de la dernière livraison de David Hallyday, où l’imagination au pouvoir ne serait pas un slogan. Une sorte de royaume de Patagonie où le morceau « Hallucinogène » – nouveau single du chanteur – serait N°1, la place qui devrait lui revenir naturellement dans l’anxiogène Absurdistan. On peut encore rêver sans autorisation.
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