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Les deux font la paire


Dans « L’homme qui voulut être roi », de John Huston, on retrouve les deux grands acteurs Sean Connery et Michael Caine dans un film d’aventure où les deux protagonistes rêvent de devenir roi à l’autre bout du monde. Le film fait l’objet d’une exceptionnelle édition en DVD et Blu-ray. 


Les Indes à la fin du XIXème siècle. Peachy Carnehan et Daniel Dravot, anciens sergents de l’Empire britannique et francs-maçons, se lient par hasard autant que par filouterie avec un autre « frère », le journaliste Rudyard Kipling. Soit sur grand écran la délectable rencontre de trois cabots de génie : Sean Connery, Michael Caine et Christopher Plummer. Ce dernier, dans le rôle du grand écrivain, est en mode mineur. Mais les deux autres s’en donnent à cœur joie en incarnant à la perfection deux escrocs à moitié idéalistes. Ensemble, ils ont décidé de rejoindre le Kafiristan, un royaume où nul Occidental n’a osé s’aventurer depuis Alexandre le Grand, qui s’y était marié. Leur but avoué : devenir les souverains de l’endroit… Ils s’engagent même à renoncer à tout plaisir terrestre tant qu’ils n’auront pas atteint leur objectif. L’homme qui voulut être roi, le film que John Huston réalisa en 1975 peut alors véritablement commencer, car ils ne sont évidemment pas au bout de leur peine ni de leurs multiples surprises. Un fabuleux trésor est au bout du chemin, mais est-ce là l’essentiel ?

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Une complicité réjouissante entre les acteurs

On sait depuis African Queen, Moby Dick, Les Désaxés ou bien encore Le Trésor de la Sierra Madre que les meilleurs films de John Huston font le portrait d’hommes épris de liberté et de sensations fortes. Ce film, qui fait l’objet d’une exceptionnelle édition en DVD et Blu-ray, n’échappe pas à la règle. S’extirpant d’une vie médiocre, les deux protagonistes se lancent à corps perdu dans une aventure dont ils savent fort bien qu’elle pourrait faire leur fortune autant que causer leur mort. Connery et Caine s’ébattent ainsi dans un film dont les décors ont été conçus par Alexandre Trauner (oui, celui des Enfants du paradis), la photo par Oswald Morris, à qui l’on doit également celle du Lolita de Kubrick, et les costumes dessinés par la styliste Edith Head, à qui Hitchcock confia ceux de La Main au collet. Quant à la musique, on la doit à Maurice Jarre qui retrouve ici les accents de sa partition de Lawrence d’Arabie. Les deux acteurs d’origine britannique partagent pour la première fois l’affiche d’un film et c’est un festival absolument réjouissant de complicité. D’entrée de jeu, les deux monstres sacrés rivalisent de malice, combinant charme, humour, intelligence et fougue. Ils se glissent dans leurs habits coloniaux avec une facilité déconcertante. Lyrisme et exotisme sont ainsi au rendez-vous, Huston ne reculant devant rien pour assurer le grand spectacle avec ce qu’il faut d’humour et d’ironie. On se croirait parfois dans un épisode de Blake et Mortimer à la sauce des Monty Python quand tout se dérègle parce que les idoles se révèlent trop humaines. Huston renoue également avec le « vieil » et séduisant Hollywood qui n’existait déjà plus à l’époque du tournage, trouvant avec ses deux acteurs l’incarnation idéale d’un récit mené plus que tambour battant. Ce film « à l’ancienne » procure à son spectateur l’impression de plonger dans un monde perdu en retrouvant des plaisirs d’enfance liés au pur plaisir des récits d’aventures. Spielberg court après ce cinéma-là depuis belle lurette, on le sait bien, mais il n’est pas certain que l’avalanche de ses effets spéciaux-spécieux lui permette d’atteindre la simplicité bienfaisante dans laquelle baigne le film de Huston.

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Grâce soit rendue à l’éditeur de ce coffret qui n’a pas ménagé sa peine avec des bonus à la hauteur, dont on retiendra surtout un entretien avec la scripte du film, Angela Allen, complice de longue date de Huston, ainsi qu’un making of étonnant et un entretien avec le fils du réalisateur. Cerise sur le gâteau, un superbe livre-album de 200 pages écrit par le journaliste et critique de cinéma Samuel Blumenfeld qui éclaire de ses commentaires très pertinents la genèse du film ainsi que son contenu. Des dizaines de photos et d’archives rares viennent à l’appui de sa démonstration, faisant de ce coffret l’écrin idéal pour cet Homme qui voulut être roi.

L’homme qui voulut être roi, de John Huston Coffret Blu-ray et DVD, édité par Wild Side.

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Albert Batihe: «Nous, les Noirs, nous avons un complexe d’infériorité transmis de génération en génération»


Pour cet entrepreneur fils d’immigrés camerounais, il y a bien une question noire en France. Mais la faute n’incombe pas à ceux que vous croyez. L’obstacle principal à l’assimilation vient des familles et de la communauté. Retour sur un parcours qui donne de l’espoir. 


Causeur. Depuis des siècles, dans la plupart des sociétés, la couleur de la peau et particulièrement de la peau noire, est une variable importante, parfois déterminante, dans les trajectoires des individus. Cependant, cette variable est elle-même éminemment variable : par exemple, elle n’a pas le même poids au Brésil qu’aux États-Unis. Y a-t-il une « question noire » en France ?

Albert Batihe. C’est une question que je me pose depuis la première fois où, il y a plus de quinze ans, je me suis demandé ce qui me liait, en tant que noir, à la société française. Est-ce que je suis français ? Africain ? Et si je ne suis ni l’un ni l’autre, alors qui suis-je ? Et, bien sûr, je me suis aussi demandé pourquoi, bien que je sois né à Paris et que mes valeurs soient françaises, on ne me reconnaissait pas toujours et automatiquement comme Français.

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Et à quelle réponse êtes-vous parvenu ?

J’ai compris que nous, les Noirs, nous avions, sans le savoir, un complexe d’infériorité transmis de génération en génération par nos parents. Chez moi, dès qu’on exprimait une ambition, dès qu’on prétendait entreprendre, nos parents et plus généralement notre cercle familier nous opposaient un cinglant : « Reste à ta place ! » Le mot d’ordre était simple : ne pas dépasser les autres. « Tu seras ouvrier comme ton père et comme ton fils après toi. » Cette façon de voir le monde est ancrée dans la mentalité de mes parents et de mes grands-parents, ainsi que dans celle de nombreux autres Noirs. Autour de moi, tout le monde agissait comme ça ! Mais moi, cette place à laquelle m’assignaient mes parents, mes proches et tous les adultes qui comptaient pour moi ne m’intéressait pas, mais pas du tout !

La religion m’a freiné et il a fallu que je fasse un travail psychologique sur moi-même

Quel est le rôle de la religion dans ce « complexe d’infériorité » ?

Nous sommes catholiques : la religion m’a freiné et il a fallu que je fasse un travail psychologique sur moi-même, car ma famille est imbibée des valeurs traditionnelles. L’appartenance à une paroisse camerounaise était importante. Ces paroisses sont des espèces de petits villages africains, des regroupements communautaires cimentés par la pratique religieuse et légitimés par l’Église et les textes sacrés. La Bible, la foi, l’Église n’étaient que la caution du message que nous adressaient nos aînés. C’est en se référant à la religion qu’ils nous expliquaient que l’argent est sale, que le capitalisme est mauvais. Et de là à la condamnation de toute ambition, il n’y a qu’un pas allègrement franchi. C’est le produit d’une mentalité africaine appuyée sur la Bible, la pratique religieuse et l’appartenance à une communauté.

Essayons de mieux cerner le groupe qui impose ces valeurs par la pression sociale. Quelles sont les origines de votre famille ?

Mes grands-parents paternels et maternels sont des paysans camerounais très pauvres. Ils sont francophones et, comme 70 % de la population, catholiques. Après son indépendance en 1960, le Cameroun a fait un bond en avant pour prendre la tête des pays de la région en termes de développement. Malgré les espoirs de ces années, mon père, né après la guerre et donc appartenant à la jeunesse de l’époque, ne voyait pas un avenir dans sa patrie. Il arrive en France à 24 ans après un long périple, déterminé à travailler dur pour avoir une vie meilleure matériellement. Son objectif était de venir travailler en France pour envoyer de l’argent au pays. Son installation réussie ici – pas grand-chose par rapport aux critères français, mais un vrai succès pour son milieu d’origine – lui a donné une grande valeur sur le marché matrimonial camerounais. N’importe quelle femme vous suit vers l’eldorado qu’est la France. En 1970, ma mère, choisie sur une simple photo, arrive en France. Elle avait 17 ans, lui dix de plus. Mon père occupait un poste administratif dans une entreprise, ma mère était aide-soignante. Lors de ma naissance, en 1974, la famille qui compte trois enfants avec moi est installée dans le 14e arrondissement. Quand j’ai trois ans, nous déménageons dans une HLM du 12e. Ce déménagement changera notre vie.

À ce moment-là, vers 1976, les immigrés sont plutôt en banlieue. Dans notre immeuble, il n’y avait donc ni Noirs ni Arabes

Pourquoi ?

On habitait porte de Saint-Mandé et à ce moment-là, vers 1976, les immigrés sont plutôt en banlieue. Dans notre immeuble, il n’y avait donc ni Noirs ni Arabes. Eux vivaient dans des cités de l’autre côté du périphérique. Quand j’ai été en âge d’aller à l’école, nous étions la seule famille noire du bon côté du périph. Mes « cousins » étaient de l’autre côté.

Il y a donc un impact de l’environnement sur la vie des migrants. Quelles sont les trajectoires de la fratrie à laquelle vous appartenez comparées aux parcours de vie de vos « cousins » de l’autre côté du périph ?

Il n’y a pas photo ! Mon frère, mes sœurs et moi, nous avons de meilleurs parcours de vie et nous sommes tous bien ancrés dans la société française. Nous sommes assimilés. Notre famille s’est embourgeoisée. Par rapport aux « cousins » de l’autre côté du périphérique, notre adresse et les gens qui nous entouraient nous ont permis de mieux réussir. Et c’est encore plus évident si on se compare avec mes vrais cousins par le sang restés en Afrique. C’est le jour et la nuit.

Au-delà de la chance d’habiter du bon côté du périph, comment avez-vous fait face personnellement à l’incitation à ne jamais aller plus loin que la génération précédente ?

En répondant au complexe d’infériorité par un complexe de supériorité…  J’ai refusé « ma place » et j’ai fini par créer moi-même une place qui me convient.

Nos familles sont mélangées et nos enfants n’ont aucune notion de l’Afrique

Votre génération a-t-elle été poussée vers l’endogamie, vers un mariage entre Camerounais de France ou d’Afrique ?

Cette pression était réelle. C’est ancré chez nous. Nous sommes des catholiques chrétiens et nous étions plus ou moins doucement dirigés vers ça. Mais ma génération a fait exploser cette logique. Mes sœurs, mon frère et moi, nous n’avons pas reproduit le schéma matrimonial de nos parents, d’ailleurs nos cousins de l’outre-périph non plus. Nos familles sont mélangées et nos enfants n’ont aucune notion de l’Afrique.

Comment l’expliquez-vous ?

Les raisons sont complexes et multiples, mais pour ce qui me concerne personnellement – et on peut généraliser à mon avis – j’ai identifié ce bagage – les valeurs importées du Cameroun pour aller vite – à un handicap, à mes échecs. Je me suis donc libéré des cadres qui me freinaient. Chez nous, on prend le baptême adulte et je suis donc le seul de ma famille à ne pas être baptisé. Je suis le seul à avoir réussi à mettre tout cela de côté. Je continue d’être croyant, mais je suis déiste et n’accepte pas qu’un contrôle soit exercé sur moi par un groupe au nom d’une religion et de ses valeurs.

Au début des années 1980, les Noirs ne sont pas à la mode, mais ça change vite et devant mes yeux

Dans votre cas, quel a été le déclic ?

Très jeune, à l’école, j’en ai pris conscience. Au début des années 1980, les Noirs ne sont pas à la mode, mais ça change vite et devant mes yeux. Je vois Mickael Jackson, j’écoute Carlos chanter T’as l’bonjour d’Albert. Et puis il y avait la série « Arnold et Willy », diffusée à l’époque à la télé. Elle a eu un impact incroyable sur ma vie. Mon frère et moi ressemblions étrangement à Arnold et Willy, nous sommes devenus des stars à l’école. Je suis aussi très bon en sport. Les gens m’aiment beaucoup et je m’en suis rendu compte. Et puis en 1982, il y a aussi le gros parcours du Cameroun au Mondial de football ! C’est la première équipe africaine qui fait parler d’elle. Des Noirs commencent à habiter l’espace médiatique. Ce ne sont que des petits détails, mais ils font que le Noir devient enfin sympathique. Tout cela m’aidera à construire ma confiance et mon estime de soi.

Et l’école ?

J’ai été moyen. Au lycée, j’étais bon surtout en mathématiques.

Avez-vous été soutenu par vos parents ?

Mes parents pratiquaient un très bon français. Ma mère a fait l’école au Cameroun où on écrivait très bien le français. Mes parents lisaient, mais surtout la Bible, et mon père achetait France Soir. Il s’est toujours bien exprimé à l’oral. En revanche, ils ne nous aidaient pas pour les devoirs. Ils ne savaient pas et ils partaient du principe que si les autres étaient capables de le faire, alors nous aussi. Pour eux, il y avait des professeurs pour enseigner et si on ne comprenait pas, c’était notre problème. Et ça se réglait au martinet.

Vers la fin des années 1980[…] il commence à y avoir des Noirs, des Arabes, des juifs et on commence à parler des Français

À cette époque, étiez-vous toujours les seuls Noirs du quartier et de l’école ?

Non. Vers la fin des années 1980, quand je fais mon collège et mon lycée – normalement mais sans brio –, il commence à y avoir des Noirs, des Arabes, des juifs et on commence à parler des « Français ».

Etiez-vous sommé de rejoindre votre « race » et de choisir votre camp ?

Non. À cette époque-là, les Noirs restaient encore « à leur place », inhibés par ce complexe d’infériorité dont je vous ai parlé. Le facteur déclencheur du phénomène auquel vous faites référence arrive des États-Unis au début des années 1990, quand je suis lycéen. On n’a pas de copines, parce presque toutes les filles sont blanches et, même si elles m’aiment bien, il est inconcevable pour elles de sortir avec un Noir. Des années plus tard, j’en ai parlé avec certaines d’entre elles. Elles m’ont dit qu’elles avaient été amoureuses de moi, mais qu’il était impossible de sortir avec moi, à cause de la pression sociale. Pour ne rien arranger, mon père m’interdisait d’avoir des relations avec les filles…

Et comment voyiez-vous votre avenir professionnel ? Une école de commerce ?

Une école de commerce ? Mais je ne savais pas que ça existait ! En plus, je me disais : qui va payer une école privée alors que l’école est gratuite ?

À 19 ans j’étais en première année de droit et j’allais dans le public des plateaux de Nagui

Quelles étaient donc vos ambitions ?

J’étais ambitieux, mais sans vision. À 14 ans, j’étais ramasseur de balles à Roland-Garros, parce que l’un de mes copains l’était et je me suis présenté. À 17 ans, j’ai été figurant dans Navarro avec Roger Hanin. J’avais été « casté » dans mon quartier où tout le monde me connaissait. Ça a déjà été une bagarre avec ma mère pour pouvoir m’absenter de l’école pour cette journée de tournage. Elle se demandait ce que j’allais faire dans ce milieu d’« homosexuels et de délinquants »… En plus, ni elle ni moi ne savions ce qu’était ce « book » dont me parlait l’agence de casting… J’ai fini par faire cette journée de figuration où il n’y avait pas un Noir, pas un Arabe.

À 19 ans j’étais en première année de droit et j’allais dans le public des plateaux de Nagui. Je faisais le mariole, je faisais rire tout le monde. J’ai réalisé que Nagui gagnait 50 000 francs par émission et j’ai décidé de faire ce métier. Je travaillais à la Ville de Paris, j’ai pu acheter du matériel. En 1997, j’étais sûr que l’équipe de France de football allait faire un coup. J’ai pris une voiture, une caméra, et je suis allé interviewer les joueurs de l’équipe de France que personne ne connaissait.

Charly et Lulu, animateurs de l'émission à succès "Hit Machine" sur M6, 2001.© Bebert Bruno/SIPA
Charly et Lulu, animateurs de l’émission à succès « Hit Machine » sur M6, 2001.© Bebert Bruno/SIPA

Et l’équipe de France remporte la coupe du monde !

Bingo ! Je me suis retrouvé dans une espèce de spirale. Charlie Nestor (« Charlie et Lulu ») qui travaillait sur M6 était le seul animateur noir à la télé. Il m’a embauché comme chauffeur de salle. Parallèlement, je développais mon activité d’interviews vidéo avec des gens connus et pour faire bouillir la marmite, je travaillais comme pion dans les cantines. Mais j’ai fait pas mal de bêtises aussi.

Quelles bêtises ?

Pour avoir le lead dans un quartier, il ne faut pas être étudiant en droit propre sur soi et venir du bon côté du périph… Je suis devenu le cerveau qui échafaudait des « coups », des plans d’escroqueries. C’était important pour m’imposer. OK, j’ai un parcours scolaire normal. OK, je bosse à la Ville de Paris, mais je suis là quand il faut faire des conneries. J’ai monté des plans, mais jamais avec violence, et ils m’ont respecté au quartier.

C’est dans La Face cachée du Monde, de Péan et Cohen, que j’ai découvert le concept de la presse gratuite et appris que ça allait arriver en France

Espérons que tout cela tombe sous le coup de la prescription…

En tout cas, ça n’a pas duré, car en 1998 je suis devenu père d’une petite fille et ça a changé ma vie. Les gardes à vue, les bêtises, ce n’était plus possible. Il fallait gagner de l’argent, rester dans le droit chemin. J’ai pris conscience de la réalité des choses. Grâce à mon réseau, je suis devenu chroniqueur chez Delarue, sur France 2. Mais mes chroniques étaient écrites pour moi par des gens qui me disaient comment faire. J’ai été la « speakerine noire »… J’étais certain de devenir une star, mais une star vide qui deviendrait alcoolique et déprimée. J’ai donc décidé de reprendre le contrôle des choses. J’ai dit à mes employeurs que soit j’écrivais mes textes, soit j’arrêtais. Ils m’ont répondu que je n’étais personne et que je pouvais prendre la porte. J’ai donc pris la porte et pendant un an et demi j’ai passé beaucoup de temps à lire. Curieusement, c’est dans La Face cachée du Monde, de Péan et Cohen, que j’ai découvert le concept de la presse gratuite et appris que ça allait arriver en France. C’était en 2004. Mon père, qui était alors placier sur les marchés, m’a donné l’idée de lancer un journal gratuit dédié au marché forain et financé par la publicité. J’ai donc créé Ça va marché. J’ai mis des people en une et je l’ai distribué sur tous les marchés d’Île-de-France. Ça a cartonné.

De Villepin, Borloo et Copé en tournée promotionnelle de leur plan de rénovation urbaine dans un quartier sensible de Meaux, 25 novembre 2005.© Facelly/SIPA
De Villepin, Borloo et Copé en tournée promotionnelle de leur plan de rénovation urbaine dans un quartier sensible de Meaux, 25 novembre 2005.© Facelly/SIPA

Que transmettez-vous à votre fille concernant ses origines ? Quels liens a-t-elle avec le Cameroun ? 

J’ai une fille de 22 ans dont la mère est blanche. Je lui ai transmis la meilleure éducation que j’ai pu : elle a fait une hypokhâgne et j’ai payé une école privée. Elle a également beaucoup voyagé, son bagage culturel est riche. Elle se sent noire par son père et la couleur de sa peau (son métissage) mais n’a aucune attache particulière avec l’Afrique ni avec le Cameroun que je lui ai fait découvrir dès son plus jeune âge. Je ne lui transmets aucune valeur africaine car je ne me sens pas du tout africain. Si je lui parle de la mentalité africaine et de l’histoire de l’Afrique, c’est pour son apprentissage. Je suis certain que dans ma famille à la prochaine génération, le nom Batihe qui est arrivé en France noir, deviendra blanc car les enfants de ma fille ainsi que ceux de mes neveux et nièces seront blancs.

Chaque fois que j’arrivais à un rendez-vous professionnel, les gens pensaient que j’étais le chauffeur de Monsieur Batihe… J’étais noir et jeune, et ça posait problème

Quoi qu’il en soit, votre origine n’a pas empêché votre ascension rapide…Il est vrai que vous ne manquez pas d’assurance….

En effet, j’avais 30 ans et j’étais chef d’entreprise. Mais chaque fois que j’arrivais à un rendez-vous professionnel, les gens pensaient que j’étais le chauffeur de Monsieur Batihe… J’étais noir et jeune, et ça posait problème. Je n’arrive pas à percer le plafond de verre.

Étiez-vous bloqué par le racisme ?

Pour être honnête, pas uniquement. J’ai rencontré des investisseurs qui m’ont proposé de lever des fonds pour développer l’entreprise. Ils me tendaient des papiers, m’indiquaient des démarches… Je n’étais pas outillé pour passer d’entrepreneur de terrain au « couteau entre les dents » à homme d’affaires entouré d’avocats, de comptables et de banquiers. Dans l’un des innombrables événements auxquels j’étais invité en ma qualité de jeune entrepreneur noir, je me suis fait remarquer par Alain Lambert (ancien ministre du Budget sous Raffarin) qui travaillait sur le programme de Nicolas Sarkozy qui allait – m’a-t-il dit – être président de la République. Il m’a demandé de l’aider sur les questions de banlieue. J’ai pondu des notes qu’il a fait passer.

Pour les municipales de 2008, Jean-Louis Borloo m’a proposé de participer à la campagne du 12e arrondissement de Paris

Vous avez du flair pour les gagnants…

Absolument ! On m’a donc laissé entrevoir des opportunités de travailler avec le nouveau pouvoir. Pour les municipales de 2008, Jean-Louis Borloo m’a proposé de participer à la campagne du 12e arrondissement de Paris. L’enjeu était important : il s’agissait de battre Delanoë, et donc le PS, à l’Hôtel de Ville. Mais le temps a passé et cela ne s’est jamais concrétisé. Pas plus que la promesse d’un poste de conseiller technique d’un ministère.

Pourquoi ?

On m’a fait valoir que mon activité de chef d’entreprise, et particulièrement d’un média, risquait de créer des conflits d’intérêts… J’ai donc accepté de mettre cette activité en veille en échange d’une garantie d’emploi qui permettrait de vivre. La solution a été de créer une association pour la promotion de l’emploi des jeunes des quartiers. C’est ainsi que je me suis retrouvé à la tête d’une sorte d’agence pour l’emploi spécialisée dans une population jeune à 80 %, issue d’une immigration récente et très rarement diplômée.

La plupart de ces jeunes raisonnent en termes de justice/injustice et refusent de comprendre comment une économie et une société modernes fonctionnent

Vous avez pu observer ce qui les handicapait pour trouver un emploi…

Les obstacles sont d’abord d’ordre psychologique, à commencer par ce complexe d’infériorité transmis et entretenu, transformé en aigreur, qui finit par aggraver les inégalités de départ. La plupart de ces jeunes raisonnent en termes de justice/injustice et refusent de comprendre comment une économie et une société modernes fonctionnent, comment une entreprise est gérée, comment réfléchit un patron…

Est-ce que la question de la virilité y est pour quelque chose ?

Sans doute ! D’abord, j’ai travaillé essentiellement avec des hommes et je peux affirmer que les femmes sont plus calmes, et leur besoin de reconnaissance se manifeste et se gère différemment. N’oubliez pas que nous sommes face à des personnes imbibées de valeurs traditionnelles, dont la première est la domination masculine. Et c’est considéré comme une évidence pour les femmes aussi.

Plus de quarante ans après l’arrivée des parents, on est encore dans le même système de valeurs et le même complexe d’infériorité

Ça n’évolue pas avec le temps ?

Non ou très peu. Plus de quarante ans après l’arrivée des parents, on est encore dans le même système de valeurs et le même complexe d’infériorité.

C’est un constat terrible !

Oui, mais ça reste un constat et la question à poser est : Que faire ? Comment s’en sortir ?

Ce qui fait défaut, ce n’est pas l’argent, c’est la lucidité

Avant d’en parler, il faut répondre aux arguments ressassés à propos de ces jeunes. Ils souffriraient à la fois du racisme et d’un abandon de l’État. Ils subiraient leur éloignement des centres politiques, économiques, culturels…

Absolument pas ! Ce qui fait défaut, ce n’est pas l’argent, c’est la lucidité. On peut donner beaucoup d’argent à des gens – c’est d’ailleurs ce qu’on fait dans les quartiers depuis de nombreuses années –, ça ne changera rien. Sans « éducation » à l’argent, l’argent ne sert à rien. Ça a marché pour moi parce que je me suis déstructuré pour me restructurer. C’est violent, parce qu’il faut tout mettre de côté, s’embrouiller avec sa propre famille, parce qu’on sort de l’« assignation à résidence » socio-économique. Il faut pouvoir être ambitieux, prendre son destin en main et en assumer les conséquences plutôt que de parler de « droits » et de transformer les injustices – bien réelles – en alibis pour l’échec annoncé d’avance. Cela pousse les gens à exagérer les problèmes et à les perpétuer pour pouvoir continuer à se sentir victimes au lieu de les vaincre et s’en sortir une fois pour toutes ! Et là-dessus, il n’y a aucune différence entre musulmans et chrétiens d’Afrique. Ce sont les structures familiales et les mécanismes qui les imposent – valeurs, code d’honneur, religion – qui fabriquent les principaux obstacles à l’intégration sociale et économique.

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Comment surmonter ce « mur anthropologique » ?

Par l’entreprise et la culture de l’entrepreneuriat ! Réfléchir, planifier, assumer, travailler, surmonter les échecs, apprendre et se mettre en question. Arrêtons avec cette culture des associations – et je le dis d’autant plus fort que j’ai monté et géré une association. Le système associatif, la logique du « but non lucratif » ne sont pas adaptés quand il s’agit de casser le mur invisible. Le discours de Sarkozy sur « l’homme noir qui n’est pas assez entré dans l’histoire », je l’ai repris à mon compte en le transformant : le jeune issu de l’immigration magrébine et africaine n’est pas entré dans l’économie moderne ! La solution est de créer des richesses, on existe par ses richesses. Je ne dis pas qu’il n’y a pas d’autres facteurs, mais on a tenté pendant des années et ça ne marche pas. Reprenons la formule de Guizot : fils et filles de l’immigration, « Éclairez-vous, enrichissez-vous, améliorez la condition morale et matérielle de notre France ».

Curriculum vitae d’Albert Batihe

1974 naissances à Paris
1994 Bac S Lycée Arago (Paris 12ème)
1994-1995 Fac de droit (Tolbiac)
1995-1997 Ecole de commerce (alternance « HEIG »)
2004-2011 Fondateur et PDG du journal gratuit « Ça Va Marché »
2009 Fondateur de l’association ElanDynamic
2009 ENA (programme court)
2009-2011 Chargé de mission (Ministères)
2012 Auteur du livre « La solution au chômage, c’est toi »
2014-2018 Gérant HEADSUP France et HEADSUP Afrique (stratégies de communication)
2016-2018 Chroniqueurs (C8, Canal + Afrique, CNews)

Quand les « Anges de la téléréalité » se transforment en diables

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Dimanche, le maire réunionnais de Saint-André Joé Bédier et sa famille ont été agressés par des candidats de l’émission « Les Anges de la téléréalité » (NRJ12). L’affaire vient rappeler que les vedettes de téléréalité, des idoles pour certains jeunes, sont bien souvent des anti-modèles. 


On les savait pour la plupart cupides, narcissiques, superficiels, incultes et vulgaires. On les découvre violents. Deux candidats des “Anges de la téléréalité” se sont adonnés à une agression très violente contre le maire réunionnais de Saint-André, Joé Bédier, et sa famille, ce dimanche 10 janvier. Les Anges ont tout à coup pris des airs de caïds sans éducation.

Les faits se sont déroulés dans un hôtel 4 étoiles de Saint-Denis, sur l’Île de la Réunion. Joé Bédier déjeune avec sa famille au restaurant de l’hôtel, quand il est pris à partie par trois personnes, dont deux candidats de l’émission en tournage pour la saison 4 des « Vacances des Anges ».

L’île de la Réunion indignée

Le maire raconte la scène à la chaine Réunion La Première: « Une femme nous a interpellés en disant qu’on avait pris des photos d’eux. Sur le coup, je ne l’ai pas prise au sérieux. À partir de là, ça a dégénéré et la femme est devenue hystérique […] Ma femme a fini au sol avec des bonshommes baraqués sur elle. Moi j’ai pris des coups, je pensais que je n’allais pas m’en sortir. » Il a décidé de porter plainte. 

Suite aux multiples réactions indignées des élus de l’Île, le ministre de l’Outre-mer, Sébastien Lecornu, a réagi sur Twitter : « Avec le Préfet, nous demandons à la société de production de tirer toutes les conséquences de ce comportement scandaleux de membres de l’équipe de tournage. » Les Réunionnais sont finalement parvenus à faire partir les candidats de leur île, la production ayant annoncé hier que l’émission ne se tiendrait finalement plus à La Réunion… 

Vingt ans de polémiques 

Une députée locale, Karine Lebon, ne compte cependant pas en rester là. Elle a confié à la presse vouloir interpeller la ministre de la Culture Roselyne Bachelot : « Il ne faut pas que nos enfants puissent s’identifier à ce type d’individus. Ces actes mettent en lumière le contexte et les dérives qu’entraînent ce genre de télé-réalité. Dès ce mardi, j’interpellerai Madame la Ministre de la Culture sur cet événement. »

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Cette histoire ubuesque n’est pas le premier remous provoqué par la téléréalité qui fête ses 20 ans en France. La première émission de ce genre télévisuel nocif, « Loft Story », était lancée en 2001 par Alexia Laroche-Joubert et Benjamin Castaldi sur M6, déclenchant de vastes polémiques. Depuis, cela n’a fait qu’empirer.

La plus célèbre des vedettes passées par NRJ12, Nabilla, a été condamnée à six mois de prison ferme en 2016 pour avoir poignardé son compagnon. Autre exemple édifiant : un couple de stars – celui-là même qui serait impliqué dans les violences à la Réunion de ce week-end – a été soupçonné de violences sur leur bébé.

Les candidats de téléréalité, un anti-modèle

Dans l’émission d’NRJ12, entre la grande vulgarité des acteurs, un langage d’une pauvreté affligeante, la promotion de l’inculture ou de la chirurgie esthétique se glisse une omniprésente agressivité dans les échanges.

S’il ne s’agit nullement ici d’appeler au boycott ou à la censure de l’émission, l’influence de ces personnalités sur les jeunes mérite d’être questionnée. Ce n’est d’ailleurs a priori pas le type de programmation que le CSA attendait de la chaîne quand il lui a octroyé un canal après appel à candidatures… Quoi qu’il en soit, cet épisode violent n’empêche pas NRJ Group de diffuser actuellement un spot de vœux pour la nouvelle année qui est un bouquet de jolies pensées… Tout en affirmant “rassembler tous les Français” et leur offrir des “évènements inoubliables”, NRJ Group s’y vante de “faire découvrir des parcours féminins d’exception”, de “représenter toutes les diversités, d’agir pour la planète et de se mobiliser pour le personnel soignant”. Formulons un vœu: que le respect de la personne humaine soit également au programme pour 2022 ! À la Réunion, les “grandes émotions qui rassemblent” n’étaient vraiment pas là. 

Et si vous n’êtes pas encore convaincu qu’il faut veiller à ce que nos jeunes ne soient pas excessivement confrontés à la téléréalité, sachez qu’une étude a prouvé que regarder de la téléréalité faisait baisser les résultats scolaires. À bon entendeur.

La vaccination: véritable enjeu des élections


À moins de 500 jours des élections présidentielles, la vaccination des français s’impose comme le sujet politique majeur.


J’ai déjà eu la chance de pouvoir exprimer à quel point je bénissais la vaccination, en tant que médecin et en tant que patiente. Depuis mars, alors que nous vivons une période noire mêlée d’inquiétude et de tristesse, cette lueur d’espoir qu’on attendait comme le messie est en chemin. Et là, alors que l’antidote a passé la phase 3 avec succès, que les premières commandes ont été réalisées, et qu’il est sur le point d’être livré, que se passe-t-il en amont ?

Voit-on des spots martelant sa venue comme une mesure au moins aussi essentielle que « tousser dans son coude » ? Des clips incitatifs qui parlent à tout le monde ? A-t-on orchestré un plan Marshall à la française en incitant à un grand élan de solidarité nationale autour d’une même cause ? Avec les élus locaux, avec les soignants ? Les médecins, les infirmiers ont-ils été contactés pour informer leurs patients, pour être opérationnels ? L’Armée, une réserve sanitaire, une réserve civile constituée de volontaires motivés ?

À lire aussi, Lydia Pouga: Stratégie vaccinale française: et si la lenteur avait eu du bon?

Quelles structures vont être mises en place, avec qui ? Des centres de vaccination, des équipes mobiles, des pharmacies, des salles communales ?

La logistique, de l’approvisionnement à la conservation des doses jusqu’à l’injection des Français qui ne souhaitent que revivre, a-t-elle été millimétrée ?

Rien ne semble prêt

Rien ne semble prêt. Ceci 500 jours avant les élections. Le mécanisme ne paraît en place pour un démarrage rapide alors que l’antidote arrive. Qu’a-t-on appris depuis mars 2020 ?

Seule la priorisation a été travaillée et explicitée. On se prépare à se préparer tranquillement alors que l’épidémie a bien repris et que deux mutants du SarsCov2 émanant du Royaume Uni et d’Afrique du Sud ont émergé y compris sur notre sol. On est en retard par rapport à nos voisins européens qui ont reçu des premières doses en provenance de la centrale d’achat européenne sensiblement au même moment.

Encore bien plus par rapport à d’autres pays comme Israël, même si aucune comparaison n’est envisageable. C’est un pays fondé sur le « quoiqu’il en coûte », capable d’une détermination et d’une logistique inégalables, qui n’a jamais eu le luxe de la tergiversation.

Certains économistes sont vent debout dont Nicolas Bouzou car « seule la vaccination de masse nous sortira de la crise économique et sociale » rappelle-t-il chaque fois que l’occasion lui est donnée. Les politiques, les artistes, les médecins… expriment leur incompréhension. La faute à qui ? Une bureaucratie trop envahissante ? Des process qui empêchent d’avancer et nous font décliner ?

Une entêtante envie d’avoir l’adhésion de tous les Français tout de suite ? Du lourd recueil de consentement au choix des 35 citoyens présentée comme une victoire au bingo. Est-ce là l’égalitarisme que souhaitait le Président lorsqu’il disait « il n’y a pas de sachants et de subissants » ? Mais il y a bien pourtant un décidant.

Le président dit également « qu’il faut être mobile, qu’il faut s’adapter », ce qui est une bonne chose mais il faut aussi devancer. La lenteur à l’allumage aggrave le sentiment de défaillance. Pourquoi la France qui parvient à faire voter 38 millions de français en 12h n’est pas sur les starting-block et prévoit une campagne vaccinale aussi longue ? N’a-t-on pas envie de vite sauver le pays, de relancer l’économie, d’aller au théâtre ou au restaurant ?

Les interventions du gouvernement augmentent la défiance

De plus, les interventions malheureuses des membres du gouvernement augmentent la défiance : lorsque Frédérique Vidal a l’air de sous-entendre qu’on attend un autre vaccin ou que Jean-Baptiste Djebbari indique un chiffre de doses reçues par la France erroné…

À lire aussi, Alexander Seale: Être ou ne pas être… inoculé

Et si on laissait de côté les complotistes patentés, les sceptiques, les doutants, les méfiants, les hésitants pour l’instant ? Seront-ils d’ailleurs à terme vraiment si nombreux ?

Le président Macron ne réussira pas à convaincre ceux qui ne l’ont pas élu, et prend le risque de ne plus convaincre son propre électorat. Alors qu’on est désormais à moins de 500 jours avant les élections. Et ce n’est pas parce que pour l’instant, malgré l’existence d’opposants farouches ou modérés, il ne se dessine pas d’alternative raisonnable que dans 500 jours ce sera aussi le cas.

Où va le populisme?

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Nous devrions l’être en tant que Français… mais comment pourrions-nous être indifférents à la direction prise par l’Amérique? Comment pourrions-nous être indifférents au rejet de Trump et à la victoire de Biden? Le camp du Bien et la davocratie sont de retour, comment réagiront les «déplorables» des deux côtés de l’Atlantique?


Que l’on me corrige si je me trompe, mais il me semble que les temples de la démocratie américaine n’avaient plus été pris d’assaut depuis l’incendie de la Maison-Blanche durant la guerre de 1812. Ce qui s’est produit mercredi dernier à Washington est donc important et même, pour une fois, vraiment « historique ». Je résume : après avoir réuni ses partisans et fait un discours viril, Donald Trump a vu certains de ces derniers envahir le Congrès qui était en train de valider les résultats de l’élection de novembre. Dépassé, le service d’ordre du Capitole a fini par ouvrir le feu. Du reste, le calme est très vite revenu ; indignés, les élus ont pu élire. Et les médias, bien entendu, ont profité de l’événement pour reprendre le Trump bashing qu’ils avaient lâché courant décembre, à la suite des nombreuses défaites du « populiste » en chef devant les innombrables cours que compte ce pays. Il est encore plus fou que nous ne le pensions, ont-ils dit, pointant cet homme qui leur donne littéralement envie de vomir depuis quatre ans. Alors que Trump doit quitter le pouvoir dans moins de dix jours, il convient de se demander où va l’Amérique.

Les satrapes de l’UE expliquaient récemment qu’ils devaient mieux « gérer » les flux migratoires. Pour protéger les cultures du continent ? Pour soulager notre Etat-providence ? Pour donner moins de travail aux tribunaux ? Non, pour juguler le «populisme»!

Nous ne sommes que les États-Unis avec dix ans de retard

En fait, la destination prise par l’Amérique devrait nous indifférer. Personnellement et comme 99,9% des Français, je n’ai aucun lien avec elle. Pire encore, son histoire et son être-au-monde sont très différents de ceux de la France. Ce n’est ni une sœur comme l’Italie, ni une cousine comme l’Angleterre ; c’est autre chose, à la fois proche et lointaine, une sorte de camarade de classe débarqué en cours d’année scolaire, riche, rebelle, violent, et qui est parvenu, par la séduction et la force, à se faire élire délégué. Ses opinions, ses lubies, ses décisions s’imposent à tous. Depuis l’après-guerre au moins, nous ne sommes, nous autres Européens, que les Etats-Unis avec dix ans de retard ; c’est le grand incubateur du mondialisme ; l’Eglise progressiste a vu le jour dans ses campus. Mais c’est également là que la réaction la plus spectaculaire au pouvoir de ladite Eglise s’est dressée par le truchement d’un magnat de l’immobilier – la Providence a de l’humour. De sorte que l’on est obligé, quand on s’intéresse à ce qu’il va advenir de nous, de se pencher de très près sur le pays des ligues de vertu, de Townes Van Zandt et Miley Cirus.

A lire aussi: La morte du Capitole: ni terroriste, ni martyre

En 2016, il était agréable d’imaginer que la victoire de Trump allait faire reculer le camp du Bien. Elle arrivait, cette victoire, après celle du Brexit. Orban tenait fermement en Hongrie. La « crise des migrants » venait de prouver que les « délires » de Jean Raspail dans Le Camp des Saints n’en étaient pas ; un million au moins de jeunes hommes pour la plupart musulmans et sans aucune qualification venaient de rentrer en Europe comme ça, par la force du nombre et en profitant du sentiment de culpabilité – et des calculs – des élites continentales. En France, affolé, le système trouvait la parade avec Emmanuel Macron et l’aide inespérée de Marine Le Pen lors du légendaire débat du second tour. Du reste, en Italie, Salvini arrivait ; en Allemagne, l’AFD brisait le sinistre trio Grünen/SPD/CSU ; Eric Zemmour vendait des centaines de milliers d’exemplaires de son Destin français. Oui, à s’en remettre aux urnes, à l’audimat et, plus encore, aux sondages, on pouvait croire que le progressisme avait du plomb dans l’aile. Aujourd’hui, Trump est menacé d’expulsion, Orban est mis au ban de l’UE, Salvini est retourné dans l’opposition, Zemmour vit à la XVIIe chambre, et le mouvement BLM s’est exporté en Europe. Partout le souverainisme monte ; il est même majoritaire dans l’opinion ; il demeure cependant minoritaire dans les assemblées et presque invisible dans les médias, qui ne l’invoquent que pour le condamner. Pourquoi ?

Débat d'entre-deux-tours entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron, mai 2017. SIPA. 00805008_000038
Débat d’entre-deux-tours entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron, mai 2017. SIPA. 00805008_000038

Une bataille décisive est engagée

Dans les démocraties libérales, la volonté populaire sert au mieux de variable d’ajustement ; tout l’enjeu, pour les libéraux, est d’appliquer leur programme – la davocratie dont parle Renaud Camus – tout en laissant aux classes laborieuses indigènes, qu’ils savent farouchement hostiles à ce dernier, l’illusion qu’elles ont encore un mot à dire dans l’incessant « débat » démocratique. Ce mot ne doit pas être dit trop fort ; il doit être issu de la novlangue, désormais bien installée, faute de quoi il peut mener son auteur à la mort sociale voire au tribunal. Et même si celui qui s’exprime fait bien attention à son vocabulaire, développe une pensée nuancée, c’est alors le soupçon qui l’accable : un patriote sera toujours ramené à son inconscient, accusé de pratiquer la taqîya afin de cacher des desseins encore plus sombres que ses idées. Car il faut bien comprendre que, dans l’esprit des progressistes, une bataille décisive est engagée entre leur camp et ceux qui s’y opposent ; leur phraséologie et leurs méthodes n’ont rien à envier à celles du Komintern ; quoique marginaux à leurs propres yeux, ils dominent en tenant l’État, le droit et les juges, la police, l’argent, les grands médias, les universités, les assos et les ONG, et Juliette Binoche. Ils ont très clairement désigné leur ennemi héréditaire, à savoir le « populisme », quand ils refusent mordicus d’en désigner un autre, qui a pourtant du sang sur les mains et va longtemps continuer d’en faire couler dans nos rues. Les satrapes de l’UE expliquaient récemment qu’ils devaient mieux « gérer » les flux migratoires. Pour protéger les cultures du continent ? Pour soulager notre État-providence ? Pour donner moins de travail aux tribunaux ? Non, pour juguler le « populisme » ! Aux États-Unis, des fanatiques de la même espèce ont mené une guérilla quotidienne contre Trump. Du Mur à sa gestion du coronavirus, il a été moqué, débiné, agressé, trahi en permanence ; l’État profond et les milieux culturels ont tout osé pour le dégager. Que l’on songe à ce qu’il dut affronter pendant sa présidence, du premier au dernier jour où, malgré l’immense flou qui accompagnait les résultats de l’élection, tous les grands médias ont proclamé la victoire de Biden, ce qui relevait alors, moralement, de la pure autosuggestion et, légalement, du presque coup d’État. Et maintenant, Trump est banni des réseaux sociaux, qui étaient le dernier espace où il pouvait s’exprimer sans le filtre de ses adversaires. Ici comme dans la loi Avia – qui reviendra forcément –, l’idée est de bâillonner la « haine » ou bien plutôt une « haine » en particulier. Le mot que les peuples pouvaient encore prononcer, ils devront bientôt le garder pour eux ; hier « fachos », ils sont à présent « complotistes » ; après avoir été dépossédés d’eux-mêmes, le système veut les faire disparaître.

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L’élection de Trump était un sursaut des classes populaires américaines contre la sécession de leurs élites. Force est de constater qu’il fut insuffisant. Disposant du Congrès, les Démocrates vont pouvoir refaire de l’Amérique le gendarme du monde et, dans une large mesure, consacrer tous les délires sociétaux des minorités qui forment leur électorat. Comment réagiront les « déplorables » ? Attachés à leur constitution comme nous à nos fromages, ils rechignent à la violer ; la force qu’ils ont manifestée l’autre jour était fort mesurée, comme l’avait été ici – quoiqu’en disent ceux que l’image d’une jardinière en feu émeut aux larmes – celle des gilets jaunes. Mais, contrairement aux Européens qui sont désarmés et donc dans l’incapacité de s’opposer à la violence légitime d’un État qui la réserve aux patriotes, les Américains, eux, peuvent compter sur le deuxième amendement…

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Les éoliennes nous pompent l’air


La loi d’accélération et de la simplification de l’action publique devrait permettre l’essor de l’éolien « offshore » (en mer). Pour nos élites, il s’agit d’entraver l’État de droit pour imposer leur projet, alors que l’éolien en mer est loin de faire consensus. 


L’éolien a le vent en poupe ! Et tout est bon pour accélérer les constructions de parcs éoliens. Les quelque 8 000 éoliennes terrestres – 20 000 d’ici 2028 – ne seront bientôt plus les seules à enlaidir les paysages français. Ces dernières années, les thuriféraires de l’éolien se sont évertués à forcer la main aux pouvoirs publics afin de faciliter les procédures d’autorisation de l’éolien « offshore » (en mer) posé. La loi d’accélération et de simplification de l’action publique (ASAP), adoptée définitivement par l’Assemblée nationale le 28 octobre dernier, prévoit de retirer à la cour administrative d’appel de Nantes sa compétence pour connaître des recours dirigés contre l’installation de parcs éoliens offshore. Seul le Conseil d’État sera dorénavant compétent pour juger lui-même ce litige. Barbara Pompili, ministre de la Transition écologique, a défendu cette restriction du droit au recours : « Ce qu’on souhaite tous, c’est ne pas passer notre vie avec des procédures qui sont beaucoup trop longues. » L’État de droit, invoqué constamment par nos élites, devient un boulet lorsqu’il entrave leurs projets.

À lire aussi, Lucien Rabouille: Proust à l’ombre des éoliennes

Une aubaine pour les grands groupes industriels

Le 14 janvier 2020, à Pau, Emmanuel Macron avait pourtant affirmé : « Le consensus sur l’éolien est en train de nettement s’affaiblir dans notre pays. » À la suite de cette déclaration, Causeur avait d’ailleurs lancé une pétition (à retrouver sur change.org) appelant à mettre fin à la prolifération des éoliennes. Une fois de plus, le président de la République s’est payé de mots et a abandonné sans vergogne le bien commun, permettant aux grands groupes industriels de s’engouffrer sur un nouveau marché. Les pêcheurs français, déjà menacés par le Brexit, n’avaient pas besoin de ça…

La « Grande Réinitialisation »: le monde d’avant en pire


Le club de Davos lance un grand projet pour l’après-Covid. En dépit des promesses d’un monde meilleur que celui d’avant la pandémie, The Great Reset annonce l’accomplissement de toutes les tendances néolibérales, technocratiques et antinationales préexistantes. Souverainistes, sur vos gardes !


Ce printemps, l’Occident, d’ordinaire si prompt à célébrer le retour des belles saisons, s’est tu, confiné entre ses murs, reclus dans ses foyers ; et très tôt, d’aucuns ont commencé à conjecturer quant à l’opportunité, voire la nécessité d’un « monde d’après ». Certains ont même vu dans les événements qui se jouaient les signes irréfutables d’un nouveau millénarisme, révélation d’un plan ordonné par une coterie de puissants : le « monde d’après » ne surviendrait qu’après une « Grande Réinitialisation » (Great Reset), un nouveau départ pour l’humanité dont la crise sanitaire serait l’élément déclencheur.

À lire aussi, Jérôme Leroy: Trump et Twitter: quand Ubu est remplacé par Big Brother…

Le prophétisme des « élites mondialisées »

Le concept de « Grande Réinitialisation » a été popularisé en mai, au cours d’une séance virtuelle du Forum économique mondial (plus connu sous le nom de forum de Davos), alors qu’une grande partie du monde était entrée en confinement. Présenté par le prince Charles et par Klaus Schwab, ingénieur et économiste allemand, fondateur du Forum, ce thème suscite rapidement l’intérêt médiatique. Il alimente aussi nombre de « théories » conspirationnistes, tandis qu’il recueille la faveur du candidat Joe Biden et suscite un plaidoyer volontariste de Justin Trudeau en septembre devant l’ONU. Plus récemment c’est le – très décrié – documentaire Hold-up qui en a fait mention, contribuant à diffuser le concept en France.

A lire aussi: Hold-up: le sens d’une absurdité

Partout, le schéma narratif employé s’avère peu ou prou le même : la crise démocratique, identitaire et environnementale que nous vivons serait le prétexte, voire la propédeutique à un changement de paradigme voulu et orchestré par les « élites mondialisées ». Cette rupture viserait à imposer aux peuples une gouvernance transnationale, technocratique et technologique, au service d’un capitalisme enfin débridé.

La grande convergence des peurs

Le xxie siècle en Occident est marqué par la peur et par la défiance : vis-à-vis d’États jugés défaillants dans la contention de la menace terroriste (échecs des interventions en Irak, en Afghanistan ou plus récemment en Syrie) ; vis-à-vis d’une technique dont la marche se heurte chaque jour un peu plus au conservatisme éthique (débats sur la 5G, sur la surveillance généralisée par la data, sur les biotechnologies) ; vis-à-vis d’une science inapte à prévenir la pandémie actuelle et d’une médecine en incapacité de la soigner ; vis-à-vis d’une démocratie ne parvenant pas à juguler les revendications minoritaires et identitaires ; et, enfin, vis-à-vis d’un capitalisme libéral condamné pour n’avoir pas su mettre fin aux inégalités sociales.

Ce phénomène de défiance est avant tout le regrettable aboutissement de plusieurs décennies de promotion de la pensée postmoderne et déconstructrice. Là où les prémodernes établissaient leur rapport au monde sur la base des catégories stables du passé, les modernes préféraient les lendemains heureux du Progrès. Quant à la postmodernité, comme le précise Sloterdijk, elle s’ancre dans un présent continuel, survalorisant la précarité des vécus personnels, glorifiant la subjectivité et les désirs de l’individu, oubliant que ce dernier fait avant tout société avec autrui dans et par l’Histoire. S’il est un procès que l’on peut intenter à l’intelligentsia de notre époque, c’est bien celui d’avoir fait triompher cette doxa postmoderne, si préjudiciable à la concorde entre les hommes.

De la sauvegarde du progressisme

Aussi centrale soit-elle dans la psyché contemporaine des foules, la postmodernité ne saurait cependant à elle seule justifier la crainte d’un complot visant à établir un « nouvel ordre mondial » sur la base de la « Grande Réinitialisation ». D’autres éléments d’explication doivent en effet être pris en compte. En premier lieu, il convient de ne pas négliger la terminologie employée : résonnant à dessein avec la « Grande Transformation » de Polanyi, comme avec la Grande Dépression qui a suivi le krach de 1929, elle se veut paradoxalement une réponse positive à la crise que nous traversons. Mais le vocabulaire convoqué (« Réinitialisation ») ne relève pas du soin ou de la protection ; il évoque plutôt la maintenance technique d’un système défaillant. Ensuite, il faut expliquer que le concept n’émane pas d’une réflexion philosophique, mais d’une proposition politique défendue par un groupe d’intérêts par ailleurs souvent critiqué : le forum de Davos n’est en effet nullement une institution officielle, mais un lieu de rencontre et d’échange entre décideurs – son fondateur Klaus Schwab étant fréquemment surnommé le « Maître des maîtres du monde ». Enfin, il importe de rappeler que la « Grande Réinitialisation » se présente sous la forme d’une nécessité. Plus qu’une simple alternative, c’est un projet porté à l’échelle mondiale, déjà inscrit comme thème principal du prochain forum économique de 2021.

Ce qui est en jeu, ce n’est pas tant l’avènement d’un véritable monde nouveau, mais bien l’accomplissement du progressisme environnementaliste et de son corrélat capitaliste

Il faut s’en référer à l’essai publié au cours de l’été par Schwab et Malleret (ancien conseiller de Michel Rocard) pour nuancer les craintes que la théorisation de la « Grande Réinitialisation » suscite. Les auteurs y précisent que la pandémie actuelle, bien que dramatique, est loin d’être la plus meurtrière de l’histoire ; ils considèrent toutefois que sa puissance symbolique est telle qu’elle plaide pour des réformes d’ampleur afin de répondre aux défis de notre époque en bâtissant « un monde moins clivant, moins polluant, moins destructif, plus inclusif, plus équitable et plus juste ». En réalité, ce qui est en jeu, ce n’est pas tant l’avènement d’un véritable monde nouveau, mais bien l’accomplissement du progressisme environnementaliste et de son corrélat capitaliste. L’approche défendue n’est pas celle d’un idéalisme, mais plutôt celle d’un pragmatisme : la réinitialisation dont il est question apparaît comme une tentative de dépassement définitif du conservatisme, du nationalisme et du souverainisme politique et économique. « La route de l’enfer est pavée de travaux en cours », écrivait Philip Roth dans Le Complot contre l’Amérique ; il faut croire que la « Grande Réinitialisation » est de ces chantiers à ciel ouvert qui continueront d’alimenter les fantasmes des badauds et les passions des riverains.

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Vraies et fausses gloires…

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Les médias font la gloire de personnalités qui ne le méritent pas toujours. Entre clientélisme et ignorance.


Le terme « gloire » est peut-être excessif. Il va bien pour le titre. Je pourrais parler de célébrités, de ces personnalités connues et médiatisées dans divers secteurs de la vie: politique, culturelle, artistique, judiciaire ou évidemment médiatique.

À lire aussi, Ingrid Riocreux: Comment les médias progressistes nous vendent la « rédemption » de Johnson senior

Par « fausse » j’entends par là que pour qui les a regardées, écoutées, vues à l’oeuvre, il y a un hiatus considérable entre la lumière superficielle et abusive projetée sur elles et leur réalité concrète. Un gouffre entre leur affichage et ce qu’il en est de leurs mérites objectifs.

Les médias ont une incoercible propension à se tromper sur ce plan parce qu’ils vont systématiquement puiser dans un immense vivier empli par d’innombrables promotions, hyperboles, approximations, clientélisme, flagorneries, et parfois – il faut en convenir – par des vérités et des appréciations fondées.

J’ai en horreur la vanité ; non pas l’affirmation de soi qui est positive, mais l’exhibition de soi, et le refus qu’à cette idolâtrie personnelle se mêle la moindre critique, la plus petite nuance. Ce qui est insupportable, c’est la mise sur le pavois de professionnels au sujet desquels on est réservé. Comme si une injustice se commettait et qu’un aveuglement les gratifiait de ce qu’ils ne méritaient pas.

Nous ne comprenons pas pourquoi on les a fait sortir à ce point du lot

Il convient de distinguer. Il y a la subjectivité de notre goût, nos appétences intimes, notre conception de l’art et de la culture, notre définition de l’intelligence qui certes nous autorisent des discriminations, des hiérarchies, des rejets ou des admirations mais on les sait fondés sur notre seule intuition. Leur gloire nous semble fausse parce que nous ne comprenons pas pourquoi on les a fait sortir à ce point du lot. Notre décret est impérieux et n’a pas besoin d’être justifié, de se justifier. Royal est notre égoïsme, seul maître de ses dilections ou de ses rejets.

J’ai pu choquer par le ressassement à l’encontre de Claire Chazal, personnalité très estimable, mais qui n’a jamais su faire des interviews politiques dans la définition que j’en donne. Je suis apparu sans doute injuste pour certains mais cette perception ne prêtait pas à conséquence : elle n’émanait que de moi et compensait d’une manière infime l’encens médiatiquement et abusivement déversé.

Ainsi quand Eric Neuhoff, avec esprit, écrit que « Isabelle Huppert est la plus mauvaise actrice du monde« , on devine qu’il force le trait et se plaît à jeter le trouble, un peu moins de complaisance et d’adoration dans un monde tout entier dans le ravissement ! Rien ne nous oblige, sur ce terrain où nous avons droit à une autarcie absolue du jugement – qui n’interdit pas d’y mêler des considérations objectives qui viendraient compléter notre perception – à faire amende honorable à quelque moment que ce soit. Si on mesure que là où je suis sévère, un autre pourrait vanter. Il y a des célébrités discutables pour chacun d’entre nous dans la société du divertissement largement entendue. Et nous avons chacun notre humeur, notre empathie ou déplaisir pour nous guider.

Les surestimations médiatiques

C’est autre chose, évidemment, quand dans le milieu professionnel qu’on connaît, on est confronté à des surestimations médiatiques plus ignorantes que perverses. Je les ai souvent relevées, en matière judiciaire, de la part de médias qui confondaient la lumière apparente d’une « grosse » affaire (grosse pour plusieurs raisons) avec une aura qui tomberait mécaniquement sur son titulaire.

Cette dérive, malheureusement, peut sévir de manière interne quand les hiérarchies ont si peu de lucidité qu’elles s’appuient sur des critères biaisés et tombent malheureusement non sur les plus remarquables mais les plus visibles. Ceux qui font du bruit.

Les médias sont coupables, la plupart du temps, de cet exaspérant décalage entre les gloires qu’ils sélectionnent, parfois fausses, rarement justifiées, et la vérité des coulisses, l’objectivité des pratiques et des comportements. Entre ce qu’on vante sans tout savoir et ce qu’on sait sans pouvoir en parler. Rien n’est plus pénible, douloureux, de devoir s’abstenir quand on est au fait, qu’on connaît les ombres et les failles mais que cela n’empêchera pas des portraits configurés sous le soleil éclatant de l’ignorance. Il y a en effet des fausses gloires, des célébrités ridicules à force d’être déconnectées de l’authentique valeur.

L’intelligence négligée

Un ressort expliquant fondamentalement ces simulacres, dont certes on peut se désintéresser, mais je n’ai jamais péché par indifférence, provient des étranges critères avec lesquels les périphériques de l’action, les observateurs de la scène principale, notamment les journalistes, jugent les protagonistes. Je témoigne que dans les débats médiatiques on se retrouve confronté parfois au même constat. L’intelligence est trop négligée, on n’attache pas suffisamment d’importance à l’aptitude ou non à savoir se dégager des poncifs, des banalités tellement incontestables qu’il est inutile de les proférer.

L’intelligence véritable est celle qui ajoute de l’imprévisible, de l’inventif, du nouveau, du non pensé ou du non dit – le contraire du commentaire et de la paraphrase – au socle qui nous est indivis, à notre disposition avec ses vérités toute faites, ses évidences toute mâchées et ses consensus si confortables. L’intelligence est ce qui éclaire autrement un chemin déjà beaucoup battu. Les fausses gloires sont celles dont on s’émerveille et qui jouissent d’être traitées pour ce qu’elles ne sont pas.

À lire aussi, Sylvain Quennehen: Le règne de l’image est un retour au bac à sable

Les vraies, les célébrités devant lesquelles on s’incline ont pour dénominateur commun d’échapper profondément à l’arbitraire médiatique, d’être promues et vantées par le citoyen, aimées par le peuple. Un Jean-Jacques Goldman durablement au faîte en est le meilleur exemple.

Trump et Twitter: quand Ubu est remplacé par Big Brother…

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Si Jérôme Leroy se félicite qu’on n’entende plus désormais Donald Trump, il craint qu’avec la censure 2.0 mise en place par les Gafa on ne gagne pas forcément au change.


Donald Trump, au cours des quatre ans de sa présidence, a publié 59 553 tweets. Je vous laisse faire la division pour trouver la moyenne quotidienne mais c’est tout de même de l’ordre de l’addiction chez lui, comme le golf et la junk food. Quand il a convoqué ses fans le jour du 6 janvier, pour manifester à Washington et protester contre la certification des résultats de l’élection par le Congrès, cela a été par Twitter.  On a vu le résultat. 

Chauffés à blanc

Le gratin de l’ultradroite américaine constituée de charmants individus partisans du suprématisme blanc et des théories conspirationnistes de Q-Anon, était au rendez-vous. Avec de beaux drapeaux confédérés et des t-shirts célébrant Auschwitz, ils ont envahi le Capitole. Un genre de 6 février 34 à l’américaine à cette différence que les émeutiers du 6 février 34 n’étaient pas chauffés à blanc par le chef de l’État ou du gouvernement. 

Locaux deTwitter à New York. Le rôle délétère du discours victimaire islamiste diffusé sur les réseaux sociaux est pointé du doigt, dans le meurtre odieux de Conflans-Sainte-Honorine © zz/John Nacion/STAR MAX/IPx/AP/SIPA Numéro de reportage: AP22503303_000004
Locaux deTwitter à New York. © zz/John Nacion/STAR MAX/IPx/AP/SIPA Numéro de reportage: AP22503303_000004

En France, dans la sphère médiatique qui va de l’extrême-droite à la gauche qui n’est plus de gauche, on a parfois risqué la comparaison avec les Gilets jaunes. À droite, pour dire, que c’était le peuple en colère et dans la gauche qui n’est plus de gauche pour discréditer un authentique mouvement de protestation contre la misère. On voit que ça ne tient pas. On peut ne pas être partisan de Trump et dire que les nazillons à l’assaut du Capitole n’étaient pas représentatifs de ses 74 millions d’électeurs. Et que ces dangereux excités n’étaient pas là pour protester contre la crise économique mais beaucoup plus simplement pour nier les résultats d’une défaite sans appel encore aggravée par Trump lui-même dont le déni halluciné a permis l’élection de deux sénateurs démocrates en Géorgie, ce qui revient à imaginer Arlette Laguiller élue maire de Neuilly.

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Trump vaporisé

Après ces événements qui ont tout de même fait cinq morts, Twitter et son PDG, Jack Dorsey, ont tout simplement suspendu le compte de Donald Trump. On pourrait y voir une illustration de la phrase prononcée dans l’évangile selon Mathieu par Jésus, le soir de son arrestation quand il frappe un serviteur qui s’apprête à le défendre contre les soldats romains : « Qui a vécu par l’épée périra par l’épée ». Trump a vécu par et pour Twitter, et c’est Twitter qui le fait disparaître comme disparaissent les personnages d’Orwell dans 1984 : en le « vaporisant ». On notera pour l’histoire que le dernier des 59 553 tweets de Trump était pour dire, mais on s’en doutait un peu, qu’il n’assisterait pas à la cérémonie d’investiture de Biden.

Totalitarisme invisible

Il y a pourtant quelque chose de gênant, et même un peu plus que ça, dans la décision du réseau social : c’est qu’une entreprise privée dispose d’une telle puissance. Réduire au silence un individu, même aussi dangereux que Trump, inquiète. Trump appartenait finalement à une tradition hélas ancienne, celle des chefs d’État habités par une pulsion autoritaire. Ne plus l’entendre est un soulagement pour la raison et la décence.

Prenons garde cependant à ce que cet autoritarisme vintage de Trump, qui n’a pas réussi malgré tout à renverser les institutions américaines, ne soit pas remplacé par un totalitarisme invisible, celui du capitalisme des GAFA, qui décideront qui peut parler et qui ne le peut pas, sans rendre de comptes à personne. 

Remplacer Ubu par Big Brother, pas sûr que la démocratie y gagne au change.

La France peut-elle accueillir tous les Laye Fodé Traoré du monde?

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Stéphane Ravacley, un boulanger de Besançon employant un Guinéen en situation irrégulière s’est mis en grève de la faim il y a une semaine. Plus de 200 000 internautes ont depuis signé une pétition pour que l’apprenti ne soit pas expulsé. Selon eux, il faudrait “évidemment” régulariser le jeune migrant car il s’est intégré par le travail.


Interrogée sur le cas de Laye Fodé Traoré lors d’un déplacement dans le Doubs, la ministre du Travail Elisabeth Borne s’est contentée de dire qu’il s’agissait d’un cas particulier sur lequel “la justice administrative devrait se prononcer. » Sans un mot sur les difficultés provoquées par l’immigration clandestine dans le pays, la ministre techno a indiqué devant les journalistes ce qui la préoccupait véritablement : la France manque d’apprentis. “Il est vrai que nous devons former plus de jeunes dans certaines filières” a-t-elle affirmé, sans préciser si le gouvernement envisageait de remplir ces filières en orientant davantage les jeunes vers l’artisanat plutôt que vers les facs saturées… ou en faisant appel à plus d’immigration.

Venu en Europe en bateau gonflable

Laye Fodé Traoré aurait quitté sa Guinée natale en 2016 sur les conseils de sa mère adoptive, pour qu’il ne lui arrive rien de mal. Mineur, il parcourt le Mali puis la Libye, et il aurait ensuite traversé la mer Méditerranée seul sur un bateau gonflable pour gagner l’Italie. Il prend le train, et se retrouve à Nîmes. Dans la préfecture du Gard, une association l’envoie vers une autre structure à Gray, en Haute-Saône. Là, il recherche du travail en tant que plombier, sans succès. Sur les conseils de sa médiatrice, il accepte de travailler pour La Hûche à pain, boulangerie située rue Rivotte à Besançon. Le patron se réjouit de ce recrutement, le Guinéen étant selon lui “un super gamin qui parle français mieux que [lui]” et aussi “suffisamment motivé pour se lever à 3 heures du matin”. Fin d’une belle histoire ? Non. 

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Fodé Traoré a perdu le statut de mineur isolé. La préfecture, estimant qu’il est désormais majeur, a l’idée saugrenue d’envisager de l’expulser ! Elle indiquait il y a quelques jours que les documents présentés par le jeune immigré n’étaient pas conformes. Et lui a adressé une obligation de quitter le territoire français, ce qui fait peur mais n’est que très rarement suivi d’effets. Depuis, l’affaire a pris un tournant médiatique. Sorte de Cédric Herrou des fournils, Stéphane Ravacley – 24 ans dans la boulangerie – ne peut plus faire travailler le jeune Guinéen, et est à la pointe de la contestation. Il a entamé une grève de la faim dimanche dernier pour faire parler de l’affaire et contester la décision de l’administration concernant son mitron. 

Des pleurs sur le plateau de Cyril Hanouna

Il s’est notamment épanché au micro complaisant de France inter, radio qui a fait connaitre la pétition protestataire qui a dépassé les 200 000 signatures en quelques jours : “On ouvre les portes à un gamin et on lui dit : T’en fais pas, on te protège tu risques rien. On lui alloue de l’argent, on le loge. Et deux ans plus tard, on lui dit : non ce beau rêve dans lequel tu étais, il n’existe plus, tu rentres chez toi !” En mettant en avant le caractère émouvant du parcours du jeune immigré dans les journaux, en pleurant sur le plateau de Cyril Hanouna, des questions légitimes ont été écartées, nous allons y venir.

Sous la pétition en ligne, c’est la grande litanie des bons sentiments. Les réactions sont unanimes. Albin s’indigne: “la France a-t-elle vraiment envie d’être indigne des Droits de l’Homme?” Corinne observe que, “pour Laye mais aussi pour tous ceux qui se sont intégrés et ont trouvé et fait leur place parmi nous, ils ne « prennent » rien ils apportent.” Selon Claire, “après tout ce chemin parcouru, l’absurdité d’expulser ce jeune homme est évidente.” Renée s’autorise une remarque plus philosophique : “Nous humains, nous devrions avoir le droit de vivre libre sur le sol que nous avons choisi”.

L’assimilation à la française en panne

Enfin, Catherine fait part de son expérience. Si elle signe elle aussi la pétition, elle n’en reconnait pas moins que certains immigrés posent des difficultés : “Mon compagnon est étranger et nous sommes dans l’attente de son titre de séjour. Il est inadmissible de faire attendre des personnes qui se sont intégrées ou ont fait des formations, qui parlent bien le français et qui bossent. A coté de ça quand je vais à la préfecture je suis dégoûtée de voir le nombre de familles qui ont plein de gosses, qui ont donc plein d’aides diverses et ne parlent pas le français ! Je connais même une personne qui vit en France depuis six ans qui ne sait ni lire ni parler notre langue, qui a fait de fausses déclarations à Pôle emploi (…) il faudrait commencer par faire du tri pour ceux qui ne foutent rien et qui nous coûtent une blinde au lieu de vouloir mettre dehors ceux qui méritent.”

A lire ensuite, Michel Aubouin: Le français, tu le parles ou tu nous quittes!

Avec un soutien aussi important, l’intégration de notre jeune mitron est-elle assurée ? L’avenir le dira. Le dossier du Guinéen aurait été repris en haut lieu par les autorités à Paris, croit savoir la presse locale… L’assimilation par le travail et la bonne maîtrise du français plaident évidemment en faveur de M. Laye Fodé Traoré, mais sa bonne intégration dans la société française ne peut aucunement être garantie par qui que ce soit. Une pétition, un chantage à la grève de la faim et des éditoriaux de gauche tous similaires ne sont pas l’assurance d’une régularisation.

Ces questions que les pétitionnaires écartent

On a dit que le Guinéen était arrivé seul par la mer. En réalité on n’arrive jamais véritablement seul, et cela fait partie du problème alors que le multiculturalisme – et son cortège de revendications communautaires et de fiertés mal placées – est entré depuis de nombreuses années en conflit avec le modèle autour duquel la France s’est construite. En effet, les individus sont porteurs d’habitudes, de codes, de modes de vie ou de pensée venus d’ailleurs, ce qu’explique très bien Bérénice Levet dans son dernier article sur l’assimilation. La philosophe y établit un diagnostic inquiétant de notre situation : “Avec l’universalisme et la laïcité, l’assimilation est une singularité française. De ces trois piliers, tous branlants aujourd’hui, l’assimilation est le plus chancelant.” Si les généreux pétitionnaires – qui signent en trois clics et peuvent montrer leur belle âme sur les réseaux sociaux – ne se les posent pas, des questionnements sous-jacents sont toujours latents dans ce type d’affaire. 

Tout d’abord, quel volume de mineurs de bonne volonté en provenance d’un continent malheureux et à la démographie galopante la France est-elle en mesure d’accepter ? Et a-t-elle les moyens d’écarter ceux dont la volonté d’intégration n’est pas réelle, dans un contexte de hausse des flux ?

Ensuite, en acceptant de garder Laye Fodé Traoré sur le sol français, quel signal envoyons-nous à toutes les mères souhaitant mettre leur progéniture à l’abri du danger ? Combien d’entre elles en Afrique sont déjà en train de penser à envoyer leurs fils sur les routes de l’exil ? 

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Comme M. Fodé Traoré est entré sur le territoire national en bafouant la loi, passe-t-on l’éponge sur ce point ? L’assimilation par un dur travail est-elle le seul critère qui doit nous préoccuper ? Et qui ira s’assurer du bon niveau de français évoqué par le patron ? 

Et si la boulangerie ferme?

Enfin, si la boulangerie de Monsieur Ravacley venait à fermer des suites de la crise économique liée au covid, est-on certain que ce dernier continuerait de soutenir le jeune immigré ? S’il ne le fait pas, sa subsistance devra-t-elle alors reposer sur la solidarité nationale ? 

Avec le chômage et l’insécurité, l’immigration apparait comme une des préoccupations majeures de l’opinion. Ceux des Français qui l’évoquent inlassablement étude après étude et qui ont les pires craintes sur cet afflux permanent ne supportent plus le chantage moral continu propre aux affaires du type de la boulangerie de Besançon. Si leur parole est déjà écartée des ondes de France inter, elle est également ignorée par la classe politique depuis des décennies. C’est un problème démocratique considérable. Un gouvernement aura-t-il le courage de dire en face des familles françaises que les métiers boudés – pourtant financièrement attractifs pour qui accepte de travailler beaucoup – ne sont définitivement plus pour elles si elles ne s’en emparent plus ?

A ne pas manquer: Jeunes de l’immigration, assimilez-vous ! Notre numéro de janvier

Les deux font la paire

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Sean Connery et Michael Caine dans le film "L'homme qui voulut être roi" de John Huston.© Wild Side

Dans « L’homme qui voulut être roi », de John Huston, on retrouve les deux grands acteurs Sean Connery et Michael Caine dans un film d’aventure où les deux protagonistes rêvent de devenir roi à l’autre bout du monde. Le film fait l’objet d’une exceptionnelle édition en DVD et Blu-ray. 


Les Indes à la fin du XIXème siècle. Peachy Carnehan et Daniel Dravot, anciens sergents de l’Empire britannique et francs-maçons, se lient par hasard autant que par filouterie avec un autre « frère », le journaliste Rudyard Kipling. Soit sur grand écran la délectable rencontre de trois cabots de génie : Sean Connery, Michael Caine et Christopher Plummer. Ce dernier, dans le rôle du grand écrivain, est en mode mineur. Mais les deux autres s’en donnent à cœur joie en incarnant à la perfection deux escrocs à moitié idéalistes. Ensemble, ils ont décidé de rejoindre le Kafiristan, un royaume où nul Occidental n’a osé s’aventurer depuis Alexandre le Grand, qui s’y était marié. Leur but avoué : devenir les souverains de l’endroit… Ils s’engagent même à renoncer à tout plaisir terrestre tant qu’ils n’auront pas atteint leur objectif. L’homme qui voulut être roi, le film que John Huston réalisa en 1975 peut alors véritablement commencer, car ils ne sont évidemment pas au bout de leur peine ni de leurs multiples surprises. Un fabuleux trésor est au bout du chemin, mais est-ce là l’essentiel ?

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Une complicité réjouissante entre les acteurs

On sait depuis African Queen, Moby Dick, Les Désaxés ou bien encore Le Trésor de la Sierra Madre que les meilleurs films de John Huston font le portrait d’hommes épris de liberté et de sensations fortes. Ce film, qui fait l’objet d’une exceptionnelle édition en DVD et Blu-ray, n’échappe pas à la règle. S’extirpant d’une vie médiocre, les deux protagonistes se lancent à corps perdu dans une aventure dont ils savent fort bien qu’elle pourrait faire leur fortune autant que causer leur mort. Connery et Caine s’ébattent ainsi dans un film dont les décors ont été conçus par Alexandre Trauner (oui, celui des Enfants du paradis), la photo par Oswald Morris, à qui l’on doit également celle du Lolita de Kubrick, et les costumes dessinés par la styliste Edith Head, à qui Hitchcock confia ceux de La Main au collet. Quant à la musique, on la doit à Maurice Jarre qui retrouve ici les accents de sa partition de Lawrence d’Arabie. Les deux acteurs d’origine britannique partagent pour la première fois l’affiche d’un film et c’est un festival absolument réjouissant de complicité. D’entrée de jeu, les deux monstres sacrés rivalisent de malice, combinant charme, humour, intelligence et fougue. Ils se glissent dans leurs habits coloniaux avec une facilité déconcertante. Lyrisme et exotisme sont ainsi au rendez-vous, Huston ne reculant devant rien pour assurer le grand spectacle avec ce qu’il faut d’humour et d’ironie. On se croirait parfois dans un épisode de Blake et Mortimer à la sauce des Monty Python quand tout se dérègle parce que les idoles se révèlent trop humaines. Huston renoue également avec le « vieil » et séduisant Hollywood qui n’existait déjà plus à l’époque du tournage, trouvant avec ses deux acteurs l’incarnation idéale d’un récit mené plus que tambour battant. Ce film « à l’ancienne » procure à son spectateur l’impression de plonger dans un monde perdu en retrouvant des plaisirs d’enfance liés au pur plaisir des récits d’aventures. Spielberg court après ce cinéma-là depuis belle lurette, on le sait bien, mais il n’est pas certain que l’avalanche de ses effets spéciaux-spécieux lui permette d’atteindre la simplicité bienfaisante dans laquelle baigne le film de Huston.

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Grâce soit rendue à l’éditeur de ce coffret qui n’a pas ménagé sa peine avec des bonus à la hauteur, dont on retiendra surtout un entretien avec la scripte du film, Angela Allen, complice de longue date de Huston, ainsi qu’un making of étonnant et un entretien avec le fils du réalisateur. Cerise sur le gâteau, un superbe livre-album de 200 pages écrit par le journaliste et critique de cinéma Samuel Blumenfeld qui éclaire de ses commentaires très pertinents la genèse du film ainsi que son contenu. Des dizaines de photos et d’archives rares viennent à l’appui de sa démonstration, faisant de ce coffret l’écrin idéal pour cet Homme qui voulut être roi.

L’homme qui voulut être roi, de John Huston Coffret Blu-ray et DVD, édité par Wild Side.

L'Homme qui voulut être roi [Édition Collector Blu-ray + DVD + Livre]

Price: 193,78 €

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Albert Batihe: «Nous, les Noirs, nous avons un complexe d’infériorité transmis de génération en génération»

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Albert Batihe © Hannah Assouline

Pour cet entrepreneur fils d’immigrés camerounais, il y a bien une question noire en France. Mais la faute n’incombe pas à ceux que vous croyez. L’obstacle principal à l’assimilation vient des familles et de la communauté. Retour sur un parcours qui donne de l’espoir. 


Causeur. Depuis des siècles, dans la plupart des sociétés, la couleur de la peau et particulièrement de la peau noire, est une variable importante, parfois déterminante, dans les trajectoires des individus. Cependant, cette variable est elle-même éminemment variable : par exemple, elle n’a pas le même poids au Brésil qu’aux États-Unis. Y a-t-il une « question noire » en France ?

Albert Batihe. C’est une question que je me pose depuis la première fois où, il y a plus de quinze ans, je me suis demandé ce qui me liait, en tant que noir, à la société française. Est-ce que je suis français ? Africain ? Et si je ne suis ni l’un ni l’autre, alors qui suis-je ? Et, bien sûr, je me suis aussi demandé pourquoi, bien que je sois né à Paris et que mes valeurs soient françaises, on ne me reconnaissait pas toujours et automatiquement comme Français.

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Et à quelle réponse êtes-vous parvenu ?

J’ai compris que nous, les Noirs, nous avions, sans le savoir, un complexe d’infériorité transmis de génération en génération par nos parents. Chez moi, dès qu’on exprimait une ambition, dès qu’on prétendait entreprendre, nos parents et plus généralement notre cercle familier nous opposaient un cinglant : « Reste à ta place ! » Le mot d’ordre était simple : ne pas dépasser les autres. « Tu seras ouvrier comme ton père et comme ton fils après toi. » Cette façon de voir le monde est ancrée dans la mentalité de mes parents et de mes grands-parents, ainsi que dans celle de nombreux autres Noirs. Autour de moi, tout le monde agissait comme ça ! Mais moi, cette place à laquelle m’assignaient mes parents, mes proches et tous les adultes qui comptaient pour moi ne m’intéressait pas, mais pas du tout !

La religion m’a freiné et il a fallu que je fasse un travail psychologique sur moi-même

Quel est le rôle de la religion dans ce « complexe d’infériorité » ?

Nous sommes catholiques : la religion m’a freiné et il a fallu que je fasse un travail psychologique sur moi-même, car ma famille est imbibée des valeurs traditionnelles. L’appartenance à une paroisse camerounaise était importante. Ces paroisses sont des espèces de petits villages africains, des regroupements communautaires cimentés par la pratique religieuse et légitimés par l’Église et les textes sacrés. La Bible, la foi, l’Église n’étaient que la caution du message que nous adressaient nos aînés. C’est en se référant à la religion qu’ils nous expliquaient que l’argent est sale, que le capitalisme est mauvais. Et de là à la condamnation de toute ambition, il n’y a qu’un pas allègrement franchi. C’est le produit d’une mentalité africaine appuyée sur la Bible, la pratique religieuse et l’appartenance à une communauté.

Essayons de mieux cerner le groupe qui impose ces valeurs par la pression sociale. Quelles sont les origines de votre famille ?

Mes grands-parents paternels et maternels sont des paysans camerounais très pauvres. Ils sont francophones et, comme 70 % de la population, catholiques. Après son indépendance en 1960, le Cameroun a fait un bond en avant pour prendre la tête des pays de la région en termes de développement. Malgré les espoirs de ces années, mon père, né après la guerre et donc appartenant à la jeunesse de l’époque, ne voyait pas un avenir dans sa patrie. Il arrive en France à 24 ans après un long périple, déterminé à travailler dur pour avoir une vie meilleure matériellement. Son objectif était de venir travailler en France pour envoyer de l’argent au pays. Son installation réussie ici – pas grand-chose par rapport aux critères français, mais un vrai succès pour son milieu d’origine – lui a donné une grande valeur sur le marché matrimonial camerounais. N’importe quelle femme vous suit vers l’eldorado qu’est la France. En 1970, ma mère, choisie sur une simple photo, arrive en France. Elle avait 17 ans, lui dix de plus. Mon père occupait un poste administratif dans une entreprise, ma mère était aide-soignante. Lors de ma naissance, en 1974, la famille qui compte trois enfants avec moi est installée dans le 14e arrondissement. Quand j’ai trois ans, nous déménageons dans une HLM du 12e. Ce déménagement changera notre vie.

À ce moment-là, vers 1976, les immigrés sont plutôt en banlieue. Dans notre immeuble, il n’y avait donc ni Noirs ni Arabes

Pourquoi ?

On habitait porte de Saint-Mandé et à ce moment-là, vers 1976, les immigrés sont plutôt en banlieue. Dans notre immeuble, il n’y avait donc ni Noirs ni Arabes. Eux vivaient dans des cités de l’autre côté du périphérique. Quand j’ai été en âge d’aller à l’école, nous étions la seule famille noire du bon côté du périph. Mes « cousins » étaient de l’autre côté.

Il y a donc un impact de l’environnement sur la vie des migrants. Quelles sont les trajectoires de la fratrie à laquelle vous appartenez comparées aux parcours de vie de vos « cousins » de l’autre côté du périph ?

Il n’y a pas photo ! Mon frère, mes sœurs et moi, nous avons de meilleurs parcours de vie et nous sommes tous bien ancrés dans la société française. Nous sommes assimilés. Notre famille s’est embourgeoisée. Par rapport aux « cousins » de l’autre côté du périphérique, notre adresse et les gens qui nous entouraient nous ont permis de mieux réussir. Et c’est encore plus évident si on se compare avec mes vrais cousins par le sang restés en Afrique. C’est le jour et la nuit.

Au-delà de la chance d’habiter du bon côté du périph, comment avez-vous fait face personnellement à l’incitation à ne jamais aller plus loin que la génération précédente ?

En répondant au complexe d’infériorité par un complexe de supériorité…  J’ai refusé « ma place » et j’ai fini par créer moi-même une place qui me convient.

Nos familles sont mélangées et nos enfants n’ont aucune notion de l’Afrique

Votre génération a-t-elle été poussée vers l’endogamie, vers un mariage entre Camerounais de France ou d’Afrique ?

Cette pression était réelle. C’est ancré chez nous. Nous sommes des catholiques chrétiens et nous étions plus ou moins doucement dirigés vers ça. Mais ma génération a fait exploser cette logique. Mes sœurs, mon frère et moi, nous n’avons pas reproduit le schéma matrimonial de nos parents, d’ailleurs nos cousins de l’outre-périph non plus. Nos familles sont mélangées et nos enfants n’ont aucune notion de l’Afrique.

Comment l’expliquez-vous ?

Les raisons sont complexes et multiples, mais pour ce qui me concerne personnellement – et on peut généraliser à mon avis – j’ai identifié ce bagage – les valeurs importées du Cameroun pour aller vite – à un handicap, à mes échecs. Je me suis donc libéré des cadres qui me freinaient. Chez nous, on prend le baptême adulte et je suis donc le seul de ma famille à ne pas être baptisé. Je suis le seul à avoir réussi à mettre tout cela de côté. Je continue d’être croyant, mais je suis déiste et n’accepte pas qu’un contrôle soit exercé sur moi par un groupe au nom d’une religion et de ses valeurs.

Au début des années 1980, les Noirs ne sont pas à la mode, mais ça change vite et devant mes yeux

Dans votre cas, quel a été le déclic ?

Très jeune, à l’école, j’en ai pris conscience. Au début des années 1980, les Noirs ne sont pas à la mode, mais ça change vite et devant mes yeux. Je vois Mickael Jackson, j’écoute Carlos chanter T’as l’bonjour d’Albert. Et puis il y avait la série « Arnold et Willy », diffusée à l’époque à la télé. Elle a eu un impact incroyable sur ma vie. Mon frère et moi ressemblions étrangement à Arnold et Willy, nous sommes devenus des stars à l’école. Je suis aussi très bon en sport. Les gens m’aiment beaucoup et je m’en suis rendu compte. Et puis en 1982, il y a aussi le gros parcours du Cameroun au Mondial de football ! C’est la première équipe africaine qui fait parler d’elle. Des Noirs commencent à habiter l’espace médiatique. Ce ne sont que des petits détails, mais ils font que le Noir devient enfin sympathique. Tout cela m’aidera à construire ma confiance et mon estime de soi.

Et l’école ?

J’ai été moyen. Au lycée, j’étais bon surtout en mathématiques.

Avez-vous été soutenu par vos parents ?

Mes parents pratiquaient un très bon français. Ma mère a fait l’école au Cameroun où on écrivait très bien le français. Mes parents lisaient, mais surtout la Bible, et mon père achetait France Soir. Il s’est toujours bien exprimé à l’oral. En revanche, ils ne nous aidaient pas pour les devoirs. Ils ne savaient pas et ils partaient du principe que si les autres étaient capables de le faire, alors nous aussi. Pour eux, il y avait des professeurs pour enseigner et si on ne comprenait pas, c’était notre problème. Et ça se réglait au martinet.

Vers la fin des années 1980[…] il commence à y avoir des Noirs, des Arabes, des juifs et on commence à parler des Français

À cette époque, étiez-vous toujours les seuls Noirs du quartier et de l’école ?

Non. Vers la fin des années 1980, quand je fais mon collège et mon lycée – normalement mais sans brio –, il commence à y avoir des Noirs, des Arabes, des juifs et on commence à parler des « Français ».

Etiez-vous sommé de rejoindre votre « race » et de choisir votre camp ?

Non. À cette époque-là, les Noirs restaient encore « à leur place », inhibés par ce complexe d’infériorité dont je vous ai parlé. Le facteur déclencheur du phénomène auquel vous faites référence arrive des États-Unis au début des années 1990, quand je suis lycéen. On n’a pas de copines, parce presque toutes les filles sont blanches et, même si elles m’aiment bien, il est inconcevable pour elles de sortir avec un Noir. Des années plus tard, j’en ai parlé avec certaines d’entre elles. Elles m’ont dit qu’elles avaient été amoureuses de moi, mais qu’il était impossible de sortir avec moi, à cause de la pression sociale. Pour ne rien arranger, mon père m’interdisait d’avoir des relations avec les filles…

Et comment voyiez-vous votre avenir professionnel ? Une école de commerce ?

Une école de commerce ? Mais je ne savais pas que ça existait ! En plus, je me disais : qui va payer une école privée alors que l’école est gratuite ?

À 19 ans j’étais en première année de droit et j’allais dans le public des plateaux de Nagui

Quelles étaient donc vos ambitions ?

J’étais ambitieux, mais sans vision. À 14 ans, j’étais ramasseur de balles à Roland-Garros, parce que l’un de mes copains l’était et je me suis présenté. À 17 ans, j’ai été figurant dans Navarro avec Roger Hanin. J’avais été « casté » dans mon quartier où tout le monde me connaissait. Ça a déjà été une bagarre avec ma mère pour pouvoir m’absenter de l’école pour cette journée de tournage. Elle se demandait ce que j’allais faire dans ce milieu d’« homosexuels et de délinquants »… En plus, ni elle ni moi ne savions ce qu’était ce « book » dont me parlait l’agence de casting… J’ai fini par faire cette journée de figuration où il n’y avait pas un Noir, pas un Arabe.

À 19 ans j’étais en première année de droit et j’allais dans le public des plateaux de Nagui. Je faisais le mariole, je faisais rire tout le monde. J’ai réalisé que Nagui gagnait 50 000 francs par émission et j’ai décidé de faire ce métier. Je travaillais à la Ville de Paris, j’ai pu acheter du matériel. En 1997, j’étais sûr que l’équipe de France de football allait faire un coup. J’ai pris une voiture, une caméra, et je suis allé interviewer les joueurs de l’équipe de France que personne ne connaissait.

Charly et Lulu, animateurs de l'émission à succès "Hit Machine" sur M6, 2001.© Bebert Bruno/SIPA
Charly et Lulu, animateurs de l’émission à succès « Hit Machine » sur M6, 2001.© Bebert Bruno/SIPA

Et l’équipe de France remporte la coupe du monde !

Bingo ! Je me suis retrouvé dans une espèce de spirale. Charlie Nestor (« Charlie et Lulu ») qui travaillait sur M6 était le seul animateur noir à la télé. Il m’a embauché comme chauffeur de salle. Parallèlement, je développais mon activité d’interviews vidéo avec des gens connus et pour faire bouillir la marmite, je travaillais comme pion dans les cantines. Mais j’ai fait pas mal de bêtises aussi.

Quelles bêtises ?

Pour avoir le lead dans un quartier, il ne faut pas être étudiant en droit propre sur soi et venir du bon côté du périph… Je suis devenu le cerveau qui échafaudait des « coups », des plans d’escroqueries. C’était important pour m’imposer. OK, j’ai un parcours scolaire normal. OK, je bosse à la Ville de Paris, mais je suis là quand il faut faire des conneries. J’ai monté des plans, mais jamais avec violence, et ils m’ont respecté au quartier.

C’est dans La Face cachée du Monde, de Péan et Cohen, que j’ai découvert le concept de la presse gratuite et appris que ça allait arriver en France

Espérons que tout cela tombe sous le coup de la prescription…

En tout cas, ça n’a pas duré, car en 1998 je suis devenu père d’une petite fille et ça a changé ma vie. Les gardes à vue, les bêtises, ce n’était plus possible. Il fallait gagner de l’argent, rester dans le droit chemin. J’ai pris conscience de la réalité des choses. Grâce à mon réseau, je suis devenu chroniqueur chez Delarue, sur France 2. Mais mes chroniques étaient écrites pour moi par des gens qui me disaient comment faire. J’ai été la « speakerine noire »… J’étais certain de devenir une star, mais une star vide qui deviendrait alcoolique et déprimée. J’ai donc décidé de reprendre le contrôle des choses. J’ai dit à mes employeurs que soit j’écrivais mes textes, soit j’arrêtais. Ils m’ont répondu que je n’étais personne et que je pouvais prendre la porte. J’ai donc pris la porte et pendant un an et demi j’ai passé beaucoup de temps à lire. Curieusement, c’est dans La Face cachée du Monde, de Péan et Cohen, que j’ai découvert le concept de la presse gratuite et appris que ça allait arriver en France. C’était en 2004. Mon père, qui était alors placier sur les marchés, m’a donné l’idée de lancer un journal gratuit dédié au marché forain et financé par la publicité. J’ai donc créé Ça va marché. J’ai mis des people en une et je l’ai distribué sur tous les marchés d’Île-de-France. Ça a cartonné.

De Villepin, Borloo et Copé en tournée promotionnelle de leur plan de rénovation urbaine dans un quartier sensible de Meaux, 25 novembre 2005.© Facelly/SIPA
De Villepin, Borloo et Copé en tournée promotionnelle de leur plan de rénovation urbaine dans un quartier sensible de Meaux, 25 novembre 2005.© Facelly/SIPA

Que transmettez-vous à votre fille concernant ses origines ? Quels liens a-t-elle avec le Cameroun ? 

J’ai une fille de 22 ans dont la mère est blanche. Je lui ai transmis la meilleure éducation que j’ai pu : elle a fait une hypokhâgne et j’ai payé une école privée. Elle a également beaucoup voyagé, son bagage culturel est riche. Elle se sent noire par son père et la couleur de sa peau (son métissage) mais n’a aucune attache particulière avec l’Afrique ni avec le Cameroun que je lui ai fait découvrir dès son plus jeune âge. Je ne lui transmets aucune valeur africaine car je ne me sens pas du tout africain. Si je lui parle de la mentalité africaine et de l’histoire de l’Afrique, c’est pour son apprentissage. Je suis certain que dans ma famille à la prochaine génération, le nom Batihe qui est arrivé en France noir, deviendra blanc car les enfants de ma fille ainsi que ceux de mes neveux et nièces seront blancs.

Chaque fois que j’arrivais à un rendez-vous professionnel, les gens pensaient que j’étais le chauffeur de Monsieur Batihe… J’étais noir et jeune, et ça posait problème

Quoi qu’il en soit, votre origine n’a pas empêché votre ascension rapide…Il est vrai que vous ne manquez pas d’assurance….

En effet, j’avais 30 ans et j’étais chef d’entreprise. Mais chaque fois que j’arrivais à un rendez-vous professionnel, les gens pensaient que j’étais le chauffeur de Monsieur Batihe… J’étais noir et jeune, et ça posait problème. Je n’arrive pas à percer le plafond de verre.

Étiez-vous bloqué par le racisme ?

Pour être honnête, pas uniquement. J’ai rencontré des investisseurs qui m’ont proposé de lever des fonds pour développer l’entreprise. Ils me tendaient des papiers, m’indiquaient des démarches… Je n’étais pas outillé pour passer d’entrepreneur de terrain au « couteau entre les dents » à homme d’affaires entouré d’avocats, de comptables et de banquiers. Dans l’un des innombrables événements auxquels j’étais invité en ma qualité de jeune entrepreneur noir, je me suis fait remarquer par Alain Lambert (ancien ministre du Budget sous Raffarin) qui travaillait sur le programme de Nicolas Sarkozy qui allait – m’a-t-il dit – être président de la République. Il m’a demandé de l’aider sur les questions de banlieue. J’ai pondu des notes qu’il a fait passer.

Pour les municipales de 2008, Jean-Louis Borloo m’a proposé de participer à la campagne du 12e arrondissement de Paris

Vous avez du flair pour les gagnants…

Absolument ! On m’a donc laissé entrevoir des opportunités de travailler avec le nouveau pouvoir. Pour les municipales de 2008, Jean-Louis Borloo m’a proposé de participer à la campagne du 12e arrondissement de Paris. L’enjeu était important : il s’agissait de battre Delanoë, et donc le PS, à l’Hôtel de Ville. Mais le temps a passé et cela ne s’est jamais concrétisé. Pas plus que la promesse d’un poste de conseiller technique d’un ministère.

Pourquoi ?

On m’a fait valoir que mon activité de chef d’entreprise, et particulièrement d’un média, risquait de créer des conflits d’intérêts… J’ai donc accepté de mettre cette activité en veille en échange d’une garantie d’emploi qui permettrait de vivre. La solution a été de créer une association pour la promotion de l’emploi des jeunes des quartiers. C’est ainsi que je me suis retrouvé à la tête d’une sorte d’agence pour l’emploi spécialisée dans une population jeune à 80 %, issue d’une immigration récente et très rarement diplômée.

La plupart de ces jeunes raisonnent en termes de justice/injustice et refusent de comprendre comment une économie et une société modernes fonctionnent

Vous avez pu observer ce qui les handicapait pour trouver un emploi…

Les obstacles sont d’abord d’ordre psychologique, à commencer par ce complexe d’infériorité transmis et entretenu, transformé en aigreur, qui finit par aggraver les inégalités de départ. La plupart de ces jeunes raisonnent en termes de justice/injustice et refusent de comprendre comment une économie et une société modernes fonctionnent, comment une entreprise est gérée, comment réfléchit un patron…

Est-ce que la question de la virilité y est pour quelque chose ?

Sans doute ! D’abord, j’ai travaillé essentiellement avec des hommes et je peux affirmer que les femmes sont plus calmes, et leur besoin de reconnaissance se manifeste et se gère différemment. N’oubliez pas que nous sommes face à des personnes imbibées de valeurs traditionnelles, dont la première est la domination masculine. Et c’est considéré comme une évidence pour les femmes aussi.

Plus de quarante ans après l’arrivée des parents, on est encore dans le même système de valeurs et le même complexe d’infériorité

Ça n’évolue pas avec le temps ?

Non ou très peu. Plus de quarante ans après l’arrivée des parents, on est encore dans le même système de valeurs et le même complexe d’infériorité.

C’est un constat terrible !

Oui, mais ça reste un constat et la question à poser est : Que faire ? Comment s’en sortir ?

Ce qui fait défaut, ce n’est pas l’argent, c’est la lucidité

Avant d’en parler, il faut répondre aux arguments ressassés à propos de ces jeunes. Ils souffriraient à la fois du racisme et d’un abandon de l’État. Ils subiraient leur éloignement des centres politiques, économiques, culturels…

Absolument pas ! Ce qui fait défaut, ce n’est pas l’argent, c’est la lucidité. On peut donner beaucoup d’argent à des gens – c’est d’ailleurs ce qu’on fait dans les quartiers depuis de nombreuses années –, ça ne changera rien. Sans « éducation » à l’argent, l’argent ne sert à rien. Ça a marché pour moi parce que je me suis déstructuré pour me restructurer. C’est violent, parce qu’il faut tout mettre de côté, s’embrouiller avec sa propre famille, parce qu’on sort de l’« assignation à résidence » socio-économique. Il faut pouvoir être ambitieux, prendre son destin en main et en assumer les conséquences plutôt que de parler de « droits » et de transformer les injustices – bien réelles – en alibis pour l’échec annoncé d’avance. Cela pousse les gens à exagérer les problèmes et à les perpétuer pour pouvoir continuer à se sentir victimes au lieu de les vaincre et s’en sortir une fois pour toutes ! Et là-dessus, il n’y a aucune différence entre musulmans et chrétiens d’Afrique. Ce sont les structures familiales et les mécanismes qui les imposent – valeurs, code d’honneur, religion – qui fabriquent les principaux obstacles à l’intégration sociale et économique.

À lire aussi, Michel Aubouin: Le français, tu le parles ou tu nous quittes!

Comment surmonter ce « mur anthropologique » ?

Par l’entreprise et la culture de l’entrepreneuriat ! Réfléchir, planifier, assumer, travailler, surmonter les échecs, apprendre et se mettre en question. Arrêtons avec cette culture des associations – et je le dis d’autant plus fort que j’ai monté et géré une association. Le système associatif, la logique du « but non lucratif » ne sont pas adaptés quand il s’agit de casser le mur invisible. Le discours de Sarkozy sur « l’homme noir qui n’est pas assez entré dans l’histoire », je l’ai repris à mon compte en le transformant : le jeune issu de l’immigration magrébine et africaine n’est pas entré dans l’économie moderne ! La solution est de créer des richesses, on existe par ses richesses. Je ne dis pas qu’il n’y a pas d’autres facteurs, mais on a tenté pendant des années et ça ne marche pas. Reprenons la formule de Guizot : fils et filles de l’immigration, « Éclairez-vous, enrichissez-vous, améliorez la condition morale et matérielle de notre France ».

Curriculum vitae d’Albert Batihe

1974 naissances à Paris
1994 Bac S Lycée Arago (Paris 12ème)
1994-1995 Fac de droit (Tolbiac)
1995-1997 Ecole de commerce (alternance « HEIG »)
2004-2011 Fondateur et PDG du journal gratuit « Ça Va Marché »
2009 Fondateur de l’association ElanDynamic
2009 ENA (programme court)
2009-2011 Chargé de mission (Ministères)
2012 Auteur du livre « La solution au chômage, c’est toi »
2014-2018 Gérant HEADSUP France et HEADSUP Afrique (stratégies de communication)
2016-2018 Chroniqueurs (C8, Canal + Afrique, CNews)

Quand les « Anges de la téléréalité » se transforment en diables

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Image d'illustration Pixabay.

Dimanche, le maire réunionnais de Saint-André Joé Bédier et sa famille ont été agressés par des candidats de l’émission « Les Anges de la téléréalité » (NRJ12). L’affaire vient rappeler que les vedettes de téléréalité, des idoles pour certains jeunes, sont bien souvent des anti-modèles. 


On les savait pour la plupart cupides, narcissiques, superficiels, incultes et vulgaires. On les découvre violents. Deux candidats des “Anges de la téléréalité” se sont adonnés à une agression très violente contre le maire réunionnais de Saint-André, Joé Bédier, et sa famille, ce dimanche 10 janvier. Les Anges ont tout à coup pris des airs de caïds sans éducation.

Les faits se sont déroulés dans un hôtel 4 étoiles de Saint-Denis, sur l’Île de la Réunion. Joé Bédier déjeune avec sa famille au restaurant de l’hôtel, quand il est pris à partie par trois personnes, dont deux candidats de l’émission en tournage pour la saison 4 des « Vacances des Anges ».

L’île de la Réunion indignée

Le maire raconte la scène à la chaine Réunion La Première: « Une femme nous a interpellés en disant qu’on avait pris des photos d’eux. Sur le coup, je ne l’ai pas prise au sérieux. À partir de là, ça a dégénéré et la femme est devenue hystérique […] Ma femme a fini au sol avec des bonshommes baraqués sur elle. Moi j’ai pris des coups, je pensais que je n’allais pas m’en sortir. » Il a décidé de porter plainte. 

Suite aux multiples réactions indignées des élus de l’Île, le ministre de l’Outre-mer, Sébastien Lecornu, a réagi sur Twitter : « Avec le Préfet, nous demandons à la société de production de tirer toutes les conséquences de ce comportement scandaleux de membres de l’équipe de tournage. » Les Réunionnais sont finalement parvenus à faire partir les candidats de leur île, la production ayant annoncé hier que l’émission ne se tiendrait finalement plus à La Réunion… 

Vingt ans de polémiques 

Une députée locale, Karine Lebon, ne compte cependant pas en rester là. Elle a confié à la presse vouloir interpeller la ministre de la Culture Roselyne Bachelot : « Il ne faut pas que nos enfants puissent s’identifier à ce type d’individus. Ces actes mettent en lumière le contexte et les dérives qu’entraînent ce genre de télé-réalité. Dès ce mardi, j’interpellerai Madame la Ministre de la Culture sur cet événement. »

A lire aussi: Comment les médias progressistes nous vendent la « rédemption » de Johnson senior

Cette histoire ubuesque n’est pas le premier remous provoqué par la téléréalité qui fête ses 20 ans en France. La première émission de ce genre télévisuel nocif, « Loft Story », était lancée en 2001 par Alexia Laroche-Joubert et Benjamin Castaldi sur M6, déclenchant de vastes polémiques. Depuis, cela n’a fait qu’empirer.

La plus célèbre des vedettes passées par NRJ12, Nabilla, a été condamnée à six mois de prison ferme en 2016 pour avoir poignardé son compagnon. Autre exemple édifiant : un couple de stars – celui-là même qui serait impliqué dans les violences à la Réunion de ce week-end – a été soupçonné de violences sur leur bébé.

Les candidats de téléréalité, un anti-modèle

Dans l’émission d’NRJ12, entre la grande vulgarité des acteurs, un langage d’une pauvreté affligeante, la promotion de l’inculture ou de la chirurgie esthétique se glisse une omniprésente agressivité dans les échanges.

S’il ne s’agit nullement ici d’appeler au boycott ou à la censure de l’émission, l’influence de ces personnalités sur les jeunes mérite d’être questionnée. Ce n’est d’ailleurs a priori pas le type de programmation que le CSA attendait de la chaîne quand il lui a octroyé un canal après appel à candidatures… Quoi qu’il en soit, cet épisode violent n’empêche pas NRJ Group de diffuser actuellement un spot de vœux pour la nouvelle année qui est un bouquet de jolies pensées… Tout en affirmant “rassembler tous les Français” et leur offrir des “évènements inoubliables”, NRJ Group s’y vante de “faire découvrir des parcours féminins d’exception”, de “représenter toutes les diversités, d’agir pour la planète et de se mobiliser pour le personnel soignant”. Formulons un vœu: que le respect de la personne humaine soit également au programme pour 2022 ! À la Réunion, les “grandes émotions qui rassemblent” n’étaient vraiment pas là. 

Et si vous n’êtes pas encore convaincu qu’il faut veiller à ce que nos jeunes ne soient pas excessivement confrontés à la téléréalité, sachez qu’une étude a prouvé que regarder de la téléréalité faisait baisser les résultats scolaires. À bon entendeur.

La vaccination: véritable enjeu des élections

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Le docteur Christian Chidiac se fait vacciner contre la Covid-19, le 6 janvier 2021, Lyon. © Laurent Cipriani/AP/SIPA Numéro de reportage : AP22527848_000001

À moins de 500 jours des élections présidentielles, la vaccination des français s’impose comme le sujet politique majeur.


J’ai déjà eu la chance de pouvoir exprimer à quel point je bénissais la vaccination, en tant que médecin et en tant que patiente. Depuis mars, alors que nous vivons une période noire mêlée d’inquiétude et de tristesse, cette lueur d’espoir qu’on attendait comme le messie est en chemin. Et là, alors que l’antidote a passé la phase 3 avec succès, que les premières commandes ont été réalisées, et qu’il est sur le point d’être livré, que se passe-t-il en amont ?

Voit-on des spots martelant sa venue comme une mesure au moins aussi essentielle que « tousser dans son coude » ? Des clips incitatifs qui parlent à tout le monde ? A-t-on orchestré un plan Marshall à la française en incitant à un grand élan de solidarité nationale autour d’une même cause ? Avec les élus locaux, avec les soignants ? Les médecins, les infirmiers ont-ils été contactés pour informer leurs patients, pour être opérationnels ? L’Armée, une réserve sanitaire, une réserve civile constituée de volontaires motivés ?

À lire aussi, Lydia Pouga: Stratégie vaccinale française: et si la lenteur avait eu du bon?

Quelles structures vont être mises en place, avec qui ? Des centres de vaccination, des équipes mobiles, des pharmacies, des salles communales ?

La logistique, de l’approvisionnement à la conservation des doses jusqu’à l’injection des Français qui ne souhaitent que revivre, a-t-elle été millimétrée ?

Rien ne semble prêt

Rien ne semble prêt. Ceci 500 jours avant les élections. Le mécanisme ne paraît en place pour un démarrage rapide alors que l’antidote arrive. Qu’a-t-on appris depuis mars 2020 ?

Seule la priorisation a été travaillée et explicitée. On se prépare à se préparer tranquillement alors que l’épidémie a bien repris et que deux mutants du SarsCov2 émanant du Royaume Uni et d’Afrique du Sud ont émergé y compris sur notre sol. On est en retard par rapport à nos voisins européens qui ont reçu des premières doses en provenance de la centrale d’achat européenne sensiblement au même moment.

Encore bien plus par rapport à d’autres pays comme Israël, même si aucune comparaison n’est envisageable. C’est un pays fondé sur le « quoiqu’il en coûte », capable d’une détermination et d’une logistique inégalables, qui n’a jamais eu le luxe de la tergiversation.

Certains économistes sont vent debout dont Nicolas Bouzou car « seule la vaccination de masse nous sortira de la crise économique et sociale » rappelle-t-il chaque fois que l’occasion lui est donnée. Les politiques, les artistes, les médecins… expriment leur incompréhension. La faute à qui ? Une bureaucratie trop envahissante ? Des process qui empêchent d’avancer et nous font décliner ?

Une entêtante envie d’avoir l’adhésion de tous les Français tout de suite ? Du lourd recueil de consentement au choix des 35 citoyens présentée comme une victoire au bingo. Est-ce là l’égalitarisme que souhaitait le Président lorsqu’il disait « il n’y a pas de sachants et de subissants » ? Mais il y a bien pourtant un décidant.

Le président dit également « qu’il faut être mobile, qu’il faut s’adapter », ce qui est une bonne chose mais il faut aussi devancer. La lenteur à l’allumage aggrave le sentiment de défaillance. Pourquoi la France qui parvient à faire voter 38 millions de français en 12h n’est pas sur les starting-block et prévoit une campagne vaccinale aussi longue ? N’a-t-on pas envie de vite sauver le pays, de relancer l’économie, d’aller au théâtre ou au restaurant ?

Les interventions du gouvernement augmentent la défiance

De plus, les interventions malheureuses des membres du gouvernement augmentent la défiance : lorsque Frédérique Vidal a l’air de sous-entendre qu’on attend un autre vaccin ou que Jean-Baptiste Djebbari indique un chiffre de doses reçues par la France erroné…

À lire aussi, Alexander Seale: Être ou ne pas être… inoculé

Et si on laissait de côté les complotistes patentés, les sceptiques, les doutants, les méfiants, les hésitants pour l’instant ? Seront-ils d’ailleurs à terme vraiment si nombreux ?

Le président Macron ne réussira pas à convaincre ceux qui ne l’ont pas élu, et prend le risque de ne plus convaincre son propre électorat. Alors qu’on est désormais à moins de 500 jours avant les élections. Et ce n’est pas parce que pour l’instant, malgré l’existence d’opposants farouches ou modérés, il ne se dessine pas d’alternative raisonnable que dans 500 jours ce sera aussi le cas.

Où va le populisme?

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En déplacement à Lisbonne le 10 janvier 2021, Marine Le Pen scrute ce qui se profile de l'autre côté de l'Atlantique... © Alain ROBERT/SIPA Numéro de reportage : 00999282_000039

Nous devrions l’être en tant que Français… mais comment pourrions-nous être indifférents à la direction prise par l’Amérique? Comment pourrions-nous être indifférents au rejet de Trump et à la victoire de Biden? Le camp du Bien et la davocratie sont de retour, comment réagiront les «déplorables» des deux côtés de l’Atlantique?


Que l’on me corrige si je me trompe, mais il me semble que les temples de la démocratie américaine n’avaient plus été pris d’assaut depuis l’incendie de la Maison-Blanche durant la guerre de 1812. Ce qui s’est produit mercredi dernier à Washington est donc important et même, pour une fois, vraiment « historique ». Je résume : après avoir réuni ses partisans et fait un discours viril, Donald Trump a vu certains de ces derniers envahir le Congrès qui était en train de valider les résultats de l’élection de novembre. Dépassé, le service d’ordre du Capitole a fini par ouvrir le feu. Du reste, le calme est très vite revenu ; indignés, les élus ont pu élire. Et les médias, bien entendu, ont profité de l’événement pour reprendre le Trump bashing qu’ils avaient lâché courant décembre, à la suite des nombreuses défaites du « populiste » en chef devant les innombrables cours que compte ce pays. Il est encore plus fou que nous ne le pensions, ont-ils dit, pointant cet homme qui leur donne littéralement envie de vomir depuis quatre ans. Alors que Trump doit quitter le pouvoir dans moins de dix jours, il convient de se demander où va l’Amérique.

Les satrapes de l’UE expliquaient récemment qu’ils devaient mieux « gérer » les flux migratoires. Pour protéger les cultures du continent ? Pour soulager notre Etat-providence ? Pour donner moins de travail aux tribunaux ? Non, pour juguler le «populisme»!

Nous ne sommes que les États-Unis avec dix ans de retard

En fait, la destination prise par l’Amérique devrait nous indifférer. Personnellement et comme 99,9% des Français, je n’ai aucun lien avec elle. Pire encore, son histoire et son être-au-monde sont très différents de ceux de la France. Ce n’est ni une sœur comme l’Italie, ni une cousine comme l’Angleterre ; c’est autre chose, à la fois proche et lointaine, une sorte de camarade de classe débarqué en cours d’année scolaire, riche, rebelle, violent, et qui est parvenu, par la séduction et la force, à se faire élire délégué. Ses opinions, ses lubies, ses décisions s’imposent à tous. Depuis l’après-guerre au moins, nous ne sommes, nous autres Européens, que les Etats-Unis avec dix ans de retard ; c’est le grand incubateur du mondialisme ; l’Eglise progressiste a vu le jour dans ses campus. Mais c’est également là que la réaction la plus spectaculaire au pouvoir de ladite Eglise s’est dressée par le truchement d’un magnat de l’immobilier – la Providence a de l’humour. De sorte que l’on est obligé, quand on s’intéresse à ce qu’il va advenir de nous, de se pencher de très près sur le pays des ligues de vertu, de Townes Van Zandt et Miley Cirus.

A lire aussi: La morte du Capitole: ni terroriste, ni martyre

En 2016, il était agréable d’imaginer que la victoire de Trump allait faire reculer le camp du Bien. Elle arrivait, cette victoire, après celle du Brexit. Orban tenait fermement en Hongrie. La « crise des migrants » venait de prouver que les « délires » de Jean Raspail dans Le Camp des Saints n’en étaient pas ; un million au moins de jeunes hommes pour la plupart musulmans et sans aucune qualification venaient de rentrer en Europe comme ça, par la force du nombre et en profitant du sentiment de culpabilité – et des calculs – des élites continentales. En France, affolé, le système trouvait la parade avec Emmanuel Macron et l’aide inespérée de Marine Le Pen lors du légendaire débat du second tour. Du reste, en Italie, Salvini arrivait ; en Allemagne, l’AFD brisait le sinistre trio Grünen/SPD/CSU ; Eric Zemmour vendait des centaines de milliers d’exemplaires de son Destin français. Oui, à s’en remettre aux urnes, à l’audimat et, plus encore, aux sondages, on pouvait croire que le progressisme avait du plomb dans l’aile. Aujourd’hui, Trump est menacé d’expulsion, Orban est mis au ban de l’UE, Salvini est retourné dans l’opposition, Zemmour vit à la XVIIe chambre, et le mouvement BLM s’est exporté en Europe. Partout le souverainisme monte ; il est même majoritaire dans l’opinion ; il demeure cependant minoritaire dans les assemblées et presque invisible dans les médias, qui ne l’invoquent que pour le condamner. Pourquoi ?

Débat d'entre-deux-tours entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron, mai 2017. SIPA. 00805008_000038
Débat d’entre-deux-tours entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron, mai 2017. SIPA. 00805008_000038

Une bataille décisive est engagée

Dans les démocraties libérales, la volonté populaire sert au mieux de variable d’ajustement ; tout l’enjeu, pour les libéraux, est d’appliquer leur programme – la davocratie dont parle Renaud Camus – tout en laissant aux classes laborieuses indigènes, qu’ils savent farouchement hostiles à ce dernier, l’illusion qu’elles ont encore un mot à dire dans l’incessant « débat » démocratique. Ce mot ne doit pas être dit trop fort ; il doit être issu de la novlangue, désormais bien installée, faute de quoi il peut mener son auteur à la mort sociale voire au tribunal. Et même si celui qui s’exprime fait bien attention à son vocabulaire, développe une pensée nuancée, c’est alors le soupçon qui l’accable : un patriote sera toujours ramené à son inconscient, accusé de pratiquer la taqîya afin de cacher des desseins encore plus sombres que ses idées. Car il faut bien comprendre que, dans l’esprit des progressistes, une bataille décisive est engagée entre leur camp et ceux qui s’y opposent ; leur phraséologie et leurs méthodes n’ont rien à envier à celles du Komintern ; quoique marginaux à leurs propres yeux, ils dominent en tenant l’État, le droit et les juges, la police, l’argent, les grands médias, les universités, les assos et les ONG, et Juliette Binoche. Ils ont très clairement désigné leur ennemi héréditaire, à savoir le « populisme », quand ils refusent mordicus d’en désigner un autre, qui a pourtant du sang sur les mains et va longtemps continuer d’en faire couler dans nos rues. Les satrapes de l’UE expliquaient récemment qu’ils devaient mieux « gérer » les flux migratoires. Pour protéger les cultures du continent ? Pour soulager notre État-providence ? Pour donner moins de travail aux tribunaux ? Non, pour juguler le « populisme » ! Aux États-Unis, des fanatiques de la même espèce ont mené une guérilla quotidienne contre Trump. Du Mur à sa gestion du coronavirus, il a été moqué, débiné, agressé, trahi en permanence ; l’État profond et les milieux culturels ont tout osé pour le dégager. Que l’on songe à ce qu’il dut affronter pendant sa présidence, du premier au dernier jour où, malgré l’immense flou qui accompagnait les résultats de l’élection, tous les grands médias ont proclamé la victoire de Biden, ce qui relevait alors, moralement, de la pure autosuggestion et, légalement, du presque coup d’État. Et maintenant, Trump est banni des réseaux sociaux, qui étaient le dernier espace où il pouvait s’exprimer sans le filtre de ses adversaires. Ici comme dans la loi Avia – qui reviendra forcément –, l’idée est de bâillonner la « haine » ou bien plutôt une « haine » en particulier. Le mot que les peuples pouvaient encore prononcer, ils devront bientôt le garder pour eux ; hier « fachos », ils sont à présent « complotistes » ; après avoir été dépossédés d’eux-mêmes, le système veut les faire disparaître.

A lire aussi: Trump et Twitter: quand Ubu est remplacé par Big Brother…

L’élection de Trump était un sursaut des classes populaires américaines contre la sécession de leurs élites. Force est de constater qu’il fut insuffisant. Disposant du Congrès, les Démocrates vont pouvoir refaire de l’Amérique le gendarme du monde et, dans une large mesure, consacrer tous les délires sociétaux des minorités qui forment leur électorat. Comment réagiront les « déplorables » ? Attachés à leur constitution comme nous à nos fromages, ils rechignent à la violer ; la force qu’ils ont manifestée l’autre jour était fort mesurée, comme l’avait été ici – quoiqu’en disent ceux que l’image d’une jardinière en feu émeut aux larmes – celle des gilets jaunes. Mais, contrairement aux Européens qui sont désarmés et donc dans l’incapacité de s’opposer à la violence légitime d’un État qui la réserve aux patriotes, les Américains, eux, peuvent compter sur le deuxième amendement…

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Les éoliennes nous pompent l’air

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Éoliennes en mer © D.R

La loi d’accélération et de la simplification de l’action publique devrait permettre l’essor de l’éolien « offshore » (en mer). Pour nos élites, il s’agit d’entraver l’État de droit pour imposer leur projet, alors que l’éolien en mer est loin de faire consensus. 


L’éolien a le vent en poupe ! Et tout est bon pour accélérer les constructions de parcs éoliens. Les quelque 8 000 éoliennes terrestres – 20 000 d’ici 2028 – ne seront bientôt plus les seules à enlaidir les paysages français. Ces dernières années, les thuriféraires de l’éolien se sont évertués à forcer la main aux pouvoirs publics afin de faciliter les procédures d’autorisation de l’éolien « offshore » (en mer) posé. La loi d’accélération et de simplification de l’action publique (ASAP), adoptée définitivement par l’Assemblée nationale le 28 octobre dernier, prévoit de retirer à la cour administrative d’appel de Nantes sa compétence pour connaître des recours dirigés contre l’installation de parcs éoliens offshore. Seul le Conseil d’État sera dorénavant compétent pour juger lui-même ce litige. Barbara Pompili, ministre de la Transition écologique, a défendu cette restriction du droit au recours : « Ce qu’on souhaite tous, c’est ne pas passer notre vie avec des procédures qui sont beaucoup trop longues. » L’État de droit, invoqué constamment par nos élites, devient un boulet lorsqu’il entrave leurs projets.

À lire aussi, Lucien Rabouille: Proust à l’ombre des éoliennes

Une aubaine pour les grands groupes industriels

Le 14 janvier 2020, à Pau, Emmanuel Macron avait pourtant affirmé : « Le consensus sur l’éolien est en train de nettement s’affaiblir dans notre pays. » À la suite de cette déclaration, Causeur avait d’ailleurs lancé une pétition (à retrouver sur change.org) appelant à mettre fin à la prolifération des éoliennes. Une fois de plus, le président de la République s’est payé de mots et a abandonné sans vergogne le bien commun, permettant aux grands groupes industriels de s’engouffrer sur un nouveau marché. Les pêcheurs français, déjà menacés par le Brexit, n’avaient pas besoin de ça…

La « Grande Réinitialisation »: le monde d’avant en pire

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Klaus Schwab, fondateur et président du Forum économique mondial, Davos, 19 janvier 2020.© Markus Schreiber /AP/SIPA AP22419738_000004

Le club de Davos lance un grand projet pour l’après-Covid. En dépit des promesses d’un monde meilleur que celui d’avant la pandémie, The Great Reset annonce l’accomplissement de toutes les tendances néolibérales, technocratiques et antinationales préexistantes. Souverainistes, sur vos gardes !


Ce printemps, l’Occident, d’ordinaire si prompt à célébrer le retour des belles saisons, s’est tu, confiné entre ses murs, reclus dans ses foyers ; et très tôt, d’aucuns ont commencé à conjecturer quant à l’opportunité, voire la nécessité d’un « monde d’après ». Certains ont même vu dans les événements qui se jouaient les signes irréfutables d’un nouveau millénarisme, révélation d’un plan ordonné par une coterie de puissants : le « monde d’après » ne surviendrait qu’après une « Grande Réinitialisation » (Great Reset), un nouveau départ pour l’humanité dont la crise sanitaire serait l’élément déclencheur.

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Le prophétisme des « élites mondialisées »

Le concept de « Grande Réinitialisation » a été popularisé en mai, au cours d’une séance virtuelle du Forum économique mondial (plus connu sous le nom de forum de Davos), alors qu’une grande partie du monde était entrée en confinement. Présenté par le prince Charles et par Klaus Schwab, ingénieur et économiste allemand, fondateur du Forum, ce thème suscite rapidement l’intérêt médiatique. Il alimente aussi nombre de « théories » conspirationnistes, tandis qu’il recueille la faveur du candidat Joe Biden et suscite un plaidoyer volontariste de Justin Trudeau en septembre devant l’ONU. Plus récemment c’est le – très décrié – documentaire Hold-up qui en a fait mention, contribuant à diffuser le concept en France.

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Partout, le schéma narratif employé s’avère peu ou prou le même : la crise démocratique, identitaire et environnementale que nous vivons serait le prétexte, voire la propédeutique à un changement de paradigme voulu et orchestré par les « élites mondialisées ». Cette rupture viserait à imposer aux peuples une gouvernance transnationale, technocratique et technologique, au service d’un capitalisme enfin débridé.

La grande convergence des peurs

Le xxie siècle en Occident est marqué par la peur et par la défiance : vis-à-vis d’États jugés défaillants dans la contention de la menace terroriste (échecs des interventions en Irak, en Afghanistan ou plus récemment en Syrie) ; vis-à-vis d’une technique dont la marche se heurte chaque jour un peu plus au conservatisme éthique (débats sur la 5G, sur la surveillance généralisée par la data, sur les biotechnologies) ; vis-à-vis d’une science inapte à prévenir la pandémie actuelle et d’une médecine en incapacité de la soigner ; vis-à-vis d’une démocratie ne parvenant pas à juguler les revendications minoritaires et identitaires ; et, enfin, vis-à-vis d’un capitalisme libéral condamné pour n’avoir pas su mettre fin aux inégalités sociales.

Ce phénomène de défiance est avant tout le regrettable aboutissement de plusieurs décennies de promotion de la pensée postmoderne et déconstructrice. Là où les prémodernes établissaient leur rapport au monde sur la base des catégories stables du passé, les modernes préféraient les lendemains heureux du Progrès. Quant à la postmodernité, comme le précise Sloterdijk, elle s’ancre dans un présent continuel, survalorisant la précarité des vécus personnels, glorifiant la subjectivité et les désirs de l’individu, oubliant que ce dernier fait avant tout société avec autrui dans et par l’Histoire. S’il est un procès que l’on peut intenter à l’intelligentsia de notre époque, c’est bien celui d’avoir fait triompher cette doxa postmoderne, si préjudiciable à la concorde entre les hommes.

De la sauvegarde du progressisme

Aussi centrale soit-elle dans la psyché contemporaine des foules, la postmodernité ne saurait cependant à elle seule justifier la crainte d’un complot visant à établir un « nouvel ordre mondial » sur la base de la « Grande Réinitialisation ». D’autres éléments d’explication doivent en effet être pris en compte. En premier lieu, il convient de ne pas négliger la terminologie employée : résonnant à dessein avec la « Grande Transformation » de Polanyi, comme avec la Grande Dépression qui a suivi le krach de 1929, elle se veut paradoxalement une réponse positive à la crise que nous traversons. Mais le vocabulaire convoqué (« Réinitialisation ») ne relève pas du soin ou de la protection ; il évoque plutôt la maintenance technique d’un système défaillant. Ensuite, il faut expliquer que le concept n’émane pas d’une réflexion philosophique, mais d’une proposition politique défendue par un groupe d’intérêts par ailleurs souvent critiqué : le forum de Davos n’est en effet nullement une institution officielle, mais un lieu de rencontre et d’échange entre décideurs – son fondateur Klaus Schwab étant fréquemment surnommé le « Maître des maîtres du monde ». Enfin, il importe de rappeler que la « Grande Réinitialisation » se présente sous la forme d’une nécessité. Plus qu’une simple alternative, c’est un projet porté à l’échelle mondiale, déjà inscrit comme thème principal du prochain forum économique de 2021.

Ce qui est en jeu, ce n’est pas tant l’avènement d’un véritable monde nouveau, mais bien l’accomplissement du progressisme environnementaliste et de son corrélat capitaliste

Il faut s’en référer à l’essai publié au cours de l’été par Schwab et Malleret (ancien conseiller de Michel Rocard) pour nuancer les craintes que la théorisation de la « Grande Réinitialisation » suscite. Les auteurs y précisent que la pandémie actuelle, bien que dramatique, est loin d’être la plus meurtrière de l’histoire ; ils considèrent toutefois que sa puissance symbolique est telle qu’elle plaide pour des réformes d’ampleur afin de répondre aux défis de notre époque en bâtissant « un monde moins clivant, moins polluant, moins destructif, plus inclusif, plus équitable et plus juste ». En réalité, ce qui est en jeu, ce n’est pas tant l’avènement d’un véritable monde nouveau, mais bien l’accomplissement du progressisme environnementaliste et de son corrélat capitaliste. L’approche défendue n’est pas celle d’un idéalisme, mais plutôt celle d’un pragmatisme : la réinitialisation dont il est question apparaît comme une tentative de dépassement définitif du conservatisme, du nationalisme et du souverainisme politique et économique. « La route de l’enfer est pavée de travaux en cours », écrivait Philip Roth dans Le Complot contre l’Amérique ; il faut croire que la « Grande Réinitialisation » est de ces chantiers à ciel ouvert qui continueront d’alimenter les fantasmes des badauds et les passions des riverains.

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Vraies et fausses gloires…

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Jean-Jacques Goldman.© GAILLARD NICOLAS/APERCU/SIPA Numéro de reportage : 00688935_000013

Les médias font la gloire de personnalités qui ne le méritent pas toujours. Entre clientélisme et ignorance.


Le terme « gloire » est peut-être excessif. Il va bien pour le titre. Je pourrais parler de célébrités, de ces personnalités connues et médiatisées dans divers secteurs de la vie: politique, culturelle, artistique, judiciaire ou évidemment médiatique.

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Par « fausse » j’entends par là que pour qui les a regardées, écoutées, vues à l’oeuvre, il y a un hiatus considérable entre la lumière superficielle et abusive projetée sur elles et leur réalité concrète. Un gouffre entre leur affichage et ce qu’il en est de leurs mérites objectifs.

Les médias ont une incoercible propension à se tromper sur ce plan parce qu’ils vont systématiquement puiser dans un immense vivier empli par d’innombrables promotions, hyperboles, approximations, clientélisme, flagorneries, et parfois – il faut en convenir – par des vérités et des appréciations fondées.

J’ai en horreur la vanité ; non pas l’affirmation de soi qui est positive, mais l’exhibition de soi, et le refus qu’à cette idolâtrie personnelle se mêle la moindre critique, la plus petite nuance. Ce qui est insupportable, c’est la mise sur le pavois de professionnels au sujet desquels on est réservé. Comme si une injustice se commettait et qu’un aveuglement les gratifiait de ce qu’ils ne méritaient pas.

Nous ne comprenons pas pourquoi on les a fait sortir à ce point du lot

Il convient de distinguer. Il y a la subjectivité de notre goût, nos appétences intimes, notre conception de l’art et de la culture, notre définition de l’intelligence qui certes nous autorisent des discriminations, des hiérarchies, des rejets ou des admirations mais on les sait fondés sur notre seule intuition. Leur gloire nous semble fausse parce que nous ne comprenons pas pourquoi on les a fait sortir à ce point du lot. Notre décret est impérieux et n’a pas besoin d’être justifié, de se justifier. Royal est notre égoïsme, seul maître de ses dilections ou de ses rejets.

J’ai pu choquer par le ressassement à l’encontre de Claire Chazal, personnalité très estimable, mais qui n’a jamais su faire des interviews politiques dans la définition que j’en donne. Je suis apparu sans doute injuste pour certains mais cette perception ne prêtait pas à conséquence : elle n’émanait que de moi et compensait d’une manière infime l’encens médiatiquement et abusivement déversé.

Ainsi quand Eric Neuhoff, avec esprit, écrit que « Isabelle Huppert est la plus mauvaise actrice du monde« , on devine qu’il force le trait et se plaît à jeter le trouble, un peu moins de complaisance et d’adoration dans un monde tout entier dans le ravissement ! Rien ne nous oblige, sur ce terrain où nous avons droit à une autarcie absolue du jugement – qui n’interdit pas d’y mêler des considérations objectives qui viendraient compléter notre perception – à faire amende honorable à quelque moment que ce soit. Si on mesure que là où je suis sévère, un autre pourrait vanter. Il y a des célébrités discutables pour chacun d’entre nous dans la société du divertissement largement entendue. Et nous avons chacun notre humeur, notre empathie ou déplaisir pour nous guider.

Les surestimations médiatiques

C’est autre chose, évidemment, quand dans le milieu professionnel qu’on connaît, on est confronté à des surestimations médiatiques plus ignorantes que perverses. Je les ai souvent relevées, en matière judiciaire, de la part de médias qui confondaient la lumière apparente d’une « grosse » affaire (grosse pour plusieurs raisons) avec une aura qui tomberait mécaniquement sur son titulaire.

Cette dérive, malheureusement, peut sévir de manière interne quand les hiérarchies ont si peu de lucidité qu’elles s’appuient sur des critères biaisés et tombent malheureusement non sur les plus remarquables mais les plus visibles. Ceux qui font du bruit.

Les médias sont coupables, la plupart du temps, de cet exaspérant décalage entre les gloires qu’ils sélectionnent, parfois fausses, rarement justifiées, et la vérité des coulisses, l’objectivité des pratiques et des comportements. Entre ce qu’on vante sans tout savoir et ce qu’on sait sans pouvoir en parler. Rien n’est plus pénible, douloureux, de devoir s’abstenir quand on est au fait, qu’on connaît les ombres et les failles mais que cela n’empêchera pas des portraits configurés sous le soleil éclatant de l’ignorance. Il y a en effet des fausses gloires, des célébrités ridicules à force d’être déconnectées de l’authentique valeur.

L’intelligence négligée

Un ressort expliquant fondamentalement ces simulacres, dont certes on peut se désintéresser, mais je n’ai jamais péché par indifférence, provient des étranges critères avec lesquels les périphériques de l’action, les observateurs de la scène principale, notamment les journalistes, jugent les protagonistes. Je témoigne que dans les débats médiatiques on se retrouve confronté parfois au même constat. L’intelligence est trop négligée, on n’attache pas suffisamment d’importance à l’aptitude ou non à savoir se dégager des poncifs, des banalités tellement incontestables qu’il est inutile de les proférer.

L’intelligence véritable est celle qui ajoute de l’imprévisible, de l’inventif, du nouveau, du non pensé ou du non dit – le contraire du commentaire et de la paraphrase – au socle qui nous est indivis, à notre disposition avec ses vérités toute faites, ses évidences toute mâchées et ses consensus si confortables. L’intelligence est ce qui éclaire autrement un chemin déjà beaucoup battu. Les fausses gloires sont celles dont on s’émerveille et qui jouissent d’être traitées pour ce qu’elles ne sont pas.

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Les vraies, les célébrités devant lesquelles on s’incline ont pour dénominateur commun d’échapper profondément à l’arbitraire médiatique, d’être promues et vantées par le citoyen, aimées par le peuple. Un Jean-Jacques Goldman durablement au faîte en est le meilleur exemple.

Trump et Twitter: quand Ubu est remplacé par Big Brother…

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Le site Twitter a suspendu le compte de Donald Trump © Amer Ghazzal/Shutterstock/SIPA Numéro de reportage : Shutterstock40817988_000004

Si Jérôme Leroy se félicite qu’on n’entende plus désormais Donald Trump, il craint qu’avec la censure 2.0 mise en place par les Gafa on ne gagne pas forcément au change.


Donald Trump, au cours des quatre ans de sa présidence, a publié 59 553 tweets. Je vous laisse faire la division pour trouver la moyenne quotidienne mais c’est tout de même de l’ordre de l’addiction chez lui, comme le golf et la junk food. Quand il a convoqué ses fans le jour du 6 janvier, pour manifester à Washington et protester contre la certification des résultats de l’élection par le Congrès, cela a été par Twitter.  On a vu le résultat. 

Chauffés à blanc

Le gratin de l’ultradroite américaine constituée de charmants individus partisans du suprématisme blanc et des théories conspirationnistes de Q-Anon, était au rendez-vous. Avec de beaux drapeaux confédérés et des t-shirts célébrant Auschwitz, ils ont envahi le Capitole. Un genre de 6 février 34 à l’américaine à cette différence que les émeutiers du 6 février 34 n’étaient pas chauffés à blanc par le chef de l’État ou du gouvernement. 

Locaux deTwitter à New York. Le rôle délétère du discours victimaire islamiste diffusé sur les réseaux sociaux est pointé du doigt, dans le meurtre odieux de Conflans-Sainte-Honorine © zz/John Nacion/STAR MAX/IPx/AP/SIPA Numéro de reportage: AP22503303_000004
Locaux deTwitter à New York. © zz/John Nacion/STAR MAX/IPx/AP/SIPA Numéro de reportage: AP22503303_000004

En France, dans la sphère médiatique qui va de l’extrême-droite à la gauche qui n’est plus de gauche, on a parfois risqué la comparaison avec les Gilets jaunes. À droite, pour dire, que c’était le peuple en colère et dans la gauche qui n’est plus de gauche pour discréditer un authentique mouvement de protestation contre la misère. On voit que ça ne tient pas. On peut ne pas être partisan de Trump et dire que les nazillons à l’assaut du Capitole n’étaient pas représentatifs de ses 74 millions d’électeurs. Et que ces dangereux excités n’étaient pas là pour protester contre la crise économique mais beaucoup plus simplement pour nier les résultats d’une défaite sans appel encore aggravée par Trump lui-même dont le déni halluciné a permis l’élection de deux sénateurs démocrates en Géorgie, ce qui revient à imaginer Arlette Laguiller élue maire de Neuilly.

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Trump vaporisé

Après ces événements qui ont tout de même fait cinq morts, Twitter et son PDG, Jack Dorsey, ont tout simplement suspendu le compte de Donald Trump. On pourrait y voir une illustration de la phrase prononcée dans l’évangile selon Mathieu par Jésus, le soir de son arrestation quand il frappe un serviteur qui s’apprête à le défendre contre les soldats romains : « Qui a vécu par l’épée périra par l’épée ». Trump a vécu par et pour Twitter, et c’est Twitter qui le fait disparaître comme disparaissent les personnages d’Orwell dans 1984 : en le « vaporisant ». On notera pour l’histoire que le dernier des 59 553 tweets de Trump était pour dire, mais on s’en doutait un peu, qu’il n’assisterait pas à la cérémonie d’investiture de Biden.

Totalitarisme invisible

Il y a pourtant quelque chose de gênant, et même un peu plus que ça, dans la décision du réseau social : c’est qu’une entreprise privée dispose d’une telle puissance. Réduire au silence un individu, même aussi dangereux que Trump, inquiète. Trump appartenait finalement à une tradition hélas ancienne, celle des chefs d’État habités par une pulsion autoritaire. Ne plus l’entendre est un soulagement pour la raison et la décence.

Prenons garde cependant à ce que cet autoritarisme vintage de Trump, qui n’a pas réussi malgré tout à renverser les institutions américaines, ne soit pas remplacé par un totalitarisme invisible, celui du capitalisme des GAFA, qui décideront qui peut parler et qui ne le peut pas, sans rendre de comptes à personne. 

Remplacer Ubu par Big Brother, pas sûr que la démocratie y gagne au change.

La France peut-elle accueillir tous les Laye Fodé Traoré du monde?

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Stéphane Ravacley, un boulanger de Besançon employant un Guinéen en situation irrégulière s’est mis en grève de la faim il y a une semaine. Plus de 200 000 internautes ont depuis signé une pétition pour que l’apprenti ne soit pas expulsé. Selon eux, il faudrait “évidemment” régulariser le jeune migrant car il s’est intégré par le travail.


Interrogée sur le cas de Laye Fodé Traoré lors d’un déplacement dans le Doubs, la ministre du Travail Elisabeth Borne s’est contentée de dire qu’il s’agissait d’un cas particulier sur lequel “la justice administrative devrait se prononcer. » Sans un mot sur les difficultés provoquées par l’immigration clandestine dans le pays, la ministre techno a indiqué devant les journalistes ce qui la préoccupait véritablement : la France manque d’apprentis. “Il est vrai que nous devons former plus de jeunes dans certaines filières” a-t-elle affirmé, sans préciser si le gouvernement envisageait de remplir ces filières en orientant davantage les jeunes vers l’artisanat plutôt que vers les facs saturées… ou en faisant appel à plus d’immigration.

Venu en Europe en bateau gonflable

Laye Fodé Traoré aurait quitté sa Guinée natale en 2016 sur les conseils de sa mère adoptive, pour qu’il ne lui arrive rien de mal. Mineur, il parcourt le Mali puis la Libye, et il aurait ensuite traversé la mer Méditerranée seul sur un bateau gonflable pour gagner l’Italie. Il prend le train, et se retrouve à Nîmes. Dans la préfecture du Gard, une association l’envoie vers une autre structure à Gray, en Haute-Saône. Là, il recherche du travail en tant que plombier, sans succès. Sur les conseils de sa médiatrice, il accepte de travailler pour La Hûche à pain, boulangerie située rue Rivotte à Besançon. Le patron se réjouit de ce recrutement, le Guinéen étant selon lui “un super gamin qui parle français mieux que [lui]” et aussi “suffisamment motivé pour se lever à 3 heures du matin”. Fin d’une belle histoire ? Non. 

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Fodé Traoré a perdu le statut de mineur isolé. La préfecture, estimant qu’il est désormais majeur, a l’idée saugrenue d’envisager de l’expulser ! Elle indiquait il y a quelques jours que les documents présentés par le jeune immigré n’étaient pas conformes. Et lui a adressé une obligation de quitter le territoire français, ce qui fait peur mais n’est que très rarement suivi d’effets. Depuis, l’affaire a pris un tournant médiatique. Sorte de Cédric Herrou des fournils, Stéphane Ravacley – 24 ans dans la boulangerie – ne peut plus faire travailler le jeune Guinéen, et est à la pointe de la contestation. Il a entamé une grève de la faim dimanche dernier pour faire parler de l’affaire et contester la décision de l’administration concernant son mitron. 

Des pleurs sur le plateau de Cyril Hanouna

Il s’est notamment épanché au micro complaisant de France inter, radio qui a fait connaitre la pétition protestataire qui a dépassé les 200 000 signatures en quelques jours : “On ouvre les portes à un gamin et on lui dit : T’en fais pas, on te protège tu risques rien. On lui alloue de l’argent, on le loge. Et deux ans plus tard, on lui dit : non ce beau rêve dans lequel tu étais, il n’existe plus, tu rentres chez toi !” En mettant en avant le caractère émouvant du parcours du jeune immigré dans les journaux, en pleurant sur le plateau de Cyril Hanouna, des questions légitimes ont été écartées, nous allons y venir.

Sous la pétition en ligne, c’est la grande litanie des bons sentiments. Les réactions sont unanimes. Albin s’indigne: “la France a-t-elle vraiment envie d’être indigne des Droits de l’Homme?” Corinne observe que, “pour Laye mais aussi pour tous ceux qui se sont intégrés et ont trouvé et fait leur place parmi nous, ils ne « prennent » rien ils apportent.” Selon Claire, “après tout ce chemin parcouru, l’absurdité d’expulser ce jeune homme est évidente.” Renée s’autorise une remarque plus philosophique : “Nous humains, nous devrions avoir le droit de vivre libre sur le sol que nous avons choisi”.

L’assimilation à la française en panne

Enfin, Catherine fait part de son expérience. Si elle signe elle aussi la pétition, elle n’en reconnait pas moins que certains immigrés posent des difficultés : “Mon compagnon est étranger et nous sommes dans l’attente de son titre de séjour. Il est inadmissible de faire attendre des personnes qui se sont intégrées ou ont fait des formations, qui parlent bien le français et qui bossent. A coté de ça quand je vais à la préfecture je suis dégoûtée de voir le nombre de familles qui ont plein de gosses, qui ont donc plein d’aides diverses et ne parlent pas le français ! Je connais même une personne qui vit en France depuis six ans qui ne sait ni lire ni parler notre langue, qui a fait de fausses déclarations à Pôle emploi (…) il faudrait commencer par faire du tri pour ceux qui ne foutent rien et qui nous coûtent une blinde au lieu de vouloir mettre dehors ceux qui méritent.”

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Avec un soutien aussi important, l’intégration de notre jeune mitron est-elle assurée ? L’avenir le dira. Le dossier du Guinéen aurait été repris en haut lieu par les autorités à Paris, croit savoir la presse locale… L’assimilation par le travail et la bonne maîtrise du français plaident évidemment en faveur de M. Laye Fodé Traoré, mais sa bonne intégration dans la société française ne peut aucunement être garantie par qui que ce soit. Une pétition, un chantage à la grève de la faim et des éditoriaux de gauche tous similaires ne sont pas l’assurance d’une régularisation.

Ces questions que les pétitionnaires écartent

On a dit que le Guinéen était arrivé seul par la mer. En réalité on n’arrive jamais véritablement seul, et cela fait partie du problème alors que le multiculturalisme – et son cortège de revendications communautaires et de fiertés mal placées – est entré depuis de nombreuses années en conflit avec le modèle autour duquel la France s’est construite. En effet, les individus sont porteurs d’habitudes, de codes, de modes de vie ou de pensée venus d’ailleurs, ce qu’explique très bien Bérénice Levet dans son dernier article sur l’assimilation. La philosophe y établit un diagnostic inquiétant de notre situation : “Avec l’universalisme et la laïcité, l’assimilation est une singularité française. De ces trois piliers, tous branlants aujourd’hui, l’assimilation est le plus chancelant.” Si les généreux pétitionnaires – qui signent en trois clics et peuvent montrer leur belle âme sur les réseaux sociaux – ne se les posent pas, des questionnements sous-jacents sont toujours latents dans ce type d’affaire. 

Tout d’abord, quel volume de mineurs de bonne volonté en provenance d’un continent malheureux et à la démographie galopante la France est-elle en mesure d’accepter ? Et a-t-elle les moyens d’écarter ceux dont la volonté d’intégration n’est pas réelle, dans un contexte de hausse des flux ?

Ensuite, en acceptant de garder Laye Fodé Traoré sur le sol français, quel signal envoyons-nous à toutes les mères souhaitant mettre leur progéniture à l’abri du danger ? Combien d’entre elles en Afrique sont déjà en train de penser à envoyer leurs fils sur les routes de l’exil ? 

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Comme M. Fodé Traoré est entré sur le territoire national en bafouant la loi, passe-t-on l’éponge sur ce point ? L’assimilation par un dur travail est-elle le seul critère qui doit nous préoccuper ? Et qui ira s’assurer du bon niveau de français évoqué par le patron ? 

Et si la boulangerie ferme?

Enfin, si la boulangerie de Monsieur Ravacley venait à fermer des suites de la crise économique liée au covid, est-on certain que ce dernier continuerait de soutenir le jeune immigré ? S’il ne le fait pas, sa subsistance devra-t-elle alors reposer sur la solidarité nationale ? 

Avec le chômage et l’insécurité, l’immigration apparait comme une des préoccupations majeures de l’opinion. Ceux des Français qui l’évoquent inlassablement étude après étude et qui ont les pires craintes sur cet afflux permanent ne supportent plus le chantage moral continu propre aux affaires du type de la boulangerie de Besançon. Si leur parole est déjà écartée des ondes de France inter, elle est également ignorée par la classe politique depuis des décennies. C’est un problème démocratique considérable. Un gouvernement aura-t-il le courage de dire en face des familles françaises que les métiers boudés – pourtant financièrement attractifs pour qui accepte de travailler beaucoup – ne sont définitivement plus pour elles si elles ne s’en emparent plus ?

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