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La « Grande Réinitialisation »: le monde d’avant en pire


Le club de Davos lance un grand projet pour l’après-Covid. En dépit des promesses d’un monde meilleur que celui d’avant la pandémie, The Great Reset annonce l’accomplissement de toutes les tendances néolibérales, technocratiques et antinationales préexistantes. Souverainistes, sur vos gardes !


Ce printemps, l’Occident, d’ordinaire si prompt à célébrer le retour des belles saisons, s’est tu, confiné entre ses murs, reclus dans ses foyers ; et très tôt, d’aucuns ont commencé à conjecturer quant à l’opportunité, voire la nécessité d’un « monde d’après ». Certains ont même vu dans les événements qui se jouaient les signes irréfutables d’un nouveau millénarisme, révélation d’un plan ordonné par une coterie de puissants : le « monde d’après » ne surviendrait qu’après une « Grande Réinitialisation » (Great Reset), un nouveau départ pour l’humanité dont la crise sanitaire serait l’élément déclencheur.

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Le prophétisme des « élites mondialisées »

Le concept de « Grande Réinitialisation » a été popularisé en mai, au cours d’une séance virtuelle du Forum économique mondial (plus connu sous le nom de forum de Davos), alors qu’une grande partie du monde était entrée en confinement. Présenté par le prince Charles et par Klaus Schwab, ingénieur et économiste allemand, fondateur du Forum, ce thème suscite rapidement l’intérêt médiatique. Il alimente aussi nombre de « théories » conspirationnistes, tandis qu’il recueille la faveur du candidat Joe Biden et suscite un plaidoyer volontariste de Justin Trudeau en septembre devant l’ONU. Plus récemment c’est le – très décrié – documentaire Hold-up qui en a fait mention, contribuant à diffuser le concept en France.

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Partout, le schéma narratif employé s’avère peu ou prou le même : la crise démocratique, identitaire et environnementale que nous vivons serait le prétexte, voire la propédeutique à un changement de paradigme voulu et orchestré par les « élites mondialisées ». Cette rupture viserait à imposer aux peuples une gouvernance transnationale, technocratique et technologique, au service d’un capitalisme enfin débridé.

La grande convergence des peurs

Le xxie siècle en Occident est marqué par la peur et par la défiance : vis-à-vis d’États jugés défaillants dans la contention de la menace terroriste (échecs des interventions en Irak, en Afghanistan ou plus récemment en Syrie) ; vis-à-vis d’une technique dont la marche se heurte chaque jour un peu plus au conservatisme éthique (débats sur la 5G, sur la surveillance généralisée par la data, sur les biotechnologies) ; vis-à-vis d’une science inapte à prévenir la pandémie actuelle et d’une médecine en incapacité de la soigner ; vis-à-vis d’une démocratie ne parvenant pas à juguler les revendications minoritaires et identitaires ; et, enfin, vis-à-vis d’un capitalisme libéral condamné pour n’avoir pas su mettre fin aux inégalités sociales.

Ce phénomène de défiance est avant tout le regrettable aboutissement de plusieurs décennies de promotion de la pensée postmoderne et déconstructrice. Là où les prémodernes établissaient leur rapport au monde sur la base des catégories stables du passé, les modernes préféraient les lendemains heureux du Progrès. Quant à la postmodernité, comme le précise Sloterdijk, elle s’ancre dans un présent continuel, survalorisant la précarité des vécus personnels, glorifiant la subjectivité et les désirs de l’individu, oubliant que ce dernier fait avant tout société avec autrui dans et par l’Histoire. S’il est un procès que l’on peut intenter à l’intelligentsia de notre époque, c’est bien celui d’avoir fait triompher cette doxa postmoderne, si préjudiciable à la concorde entre les hommes.

De la sauvegarde du progressisme

Aussi centrale soit-elle dans la psyché contemporaine des foules, la postmodernité ne saurait cependant à elle seule justifier la crainte d’un complot visant à établir un « nouvel ordre mondial » sur la base de la « Grande Réinitialisation ». D’autres éléments d’explication doivent en effet être pris en compte. En premier lieu, il convient de ne pas négliger la terminologie employée : résonnant à dessein avec la « Grande Transformation » de Polanyi, comme avec la Grande Dépression qui a suivi le krach de 1929, elle se veut paradoxalement une réponse positive à la crise que nous traversons. Mais le vocabulaire convoqué (« Réinitialisation ») ne relève pas du soin ou de la protection ; il évoque plutôt la maintenance technique d’un système défaillant. Ensuite, il faut expliquer que le concept n’émane pas d’une réflexion philosophique, mais d’une proposition politique défendue par un groupe d’intérêts par ailleurs souvent critiqué : le forum de Davos n’est en effet nullement une institution officielle, mais un lieu de rencontre et d’échange entre décideurs – son fondateur Klaus Schwab étant fréquemment surnommé le « Maître des maîtres du monde ». Enfin, il importe de rappeler que la « Grande Réinitialisation » se présente sous la forme d’une nécessité. Plus qu’une simple alternative, c’est un projet porté à l’échelle mondiale, déjà inscrit comme thème principal du prochain forum économique de 2021.

Ce qui est en jeu, ce n’est pas tant l’avènement d’un véritable monde nouveau, mais bien l’accomplissement du progressisme environnementaliste et de son corrélat capitaliste

Il faut s’en référer à l’essai publié au cours de l’été par Schwab et Malleret (ancien conseiller de Michel Rocard) pour nuancer les craintes que la théorisation de la « Grande Réinitialisation » suscite. Les auteurs y précisent que la pandémie actuelle, bien que dramatique, est loin d’être la plus meurtrière de l’histoire ; ils considèrent toutefois que sa puissance symbolique est telle qu’elle plaide pour des réformes d’ampleur afin de répondre aux défis de notre époque en bâtissant « un monde moins clivant, moins polluant, moins destructif, plus inclusif, plus équitable et plus juste ». En réalité, ce qui est en jeu, ce n’est pas tant l’avènement d’un véritable monde nouveau, mais bien l’accomplissement du progressisme environnementaliste et de son corrélat capitaliste. L’approche défendue n’est pas celle d’un idéalisme, mais plutôt celle d’un pragmatisme : la réinitialisation dont il est question apparaît comme une tentative de dépassement définitif du conservatisme, du nationalisme et du souverainisme politique et économique. « La route de l’enfer est pavée de travaux en cours », écrivait Philip Roth dans Le Complot contre l’Amérique ; il faut croire que la « Grande Réinitialisation » est de ces chantiers à ciel ouvert qui continueront d’alimenter les fantasmes des badauds et les passions des riverains.

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Vraies et fausses gloires…

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Les médias font la gloire de personnalités qui ne le méritent pas toujours. Entre clientélisme et ignorance.


Le terme « gloire » est peut-être excessif. Il va bien pour le titre. Je pourrais parler de célébrités, de ces personnalités connues et médiatisées dans divers secteurs de la vie: politique, culturelle, artistique, judiciaire ou évidemment médiatique.

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Par « fausse » j’entends par là que pour qui les a regardées, écoutées, vues à l’oeuvre, il y a un hiatus considérable entre la lumière superficielle et abusive projetée sur elles et leur réalité concrète. Un gouffre entre leur affichage et ce qu’il en est de leurs mérites objectifs.

Les médias ont une incoercible propension à se tromper sur ce plan parce qu’ils vont systématiquement puiser dans un immense vivier empli par d’innombrables promotions, hyperboles, approximations, clientélisme, flagorneries, et parfois – il faut en convenir – par des vérités et des appréciations fondées.

J’ai en horreur la vanité ; non pas l’affirmation de soi qui est positive, mais l’exhibition de soi, et le refus qu’à cette idolâtrie personnelle se mêle la moindre critique, la plus petite nuance. Ce qui est insupportable, c’est la mise sur le pavois de professionnels au sujet desquels on est réservé. Comme si une injustice se commettait et qu’un aveuglement les gratifiait de ce qu’ils ne méritaient pas.

Nous ne comprenons pas pourquoi on les a fait sortir à ce point du lot

Il convient de distinguer. Il y a la subjectivité de notre goût, nos appétences intimes, notre conception de l’art et de la culture, notre définition de l’intelligence qui certes nous autorisent des discriminations, des hiérarchies, des rejets ou des admirations mais on les sait fondés sur notre seule intuition. Leur gloire nous semble fausse parce que nous ne comprenons pas pourquoi on les a fait sortir à ce point du lot. Notre décret est impérieux et n’a pas besoin d’être justifié, de se justifier. Royal est notre égoïsme, seul maître de ses dilections ou de ses rejets.

J’ai pu choquer par le ressassement à l’encontre de Claire Chazal, personnalité très estimable, mais qui n’a jamais su faire des interviews politiques dans la définition que j’en donne. Je suis apparu sans doute injuste pour certains mais cette perception ne prêtait pas à conséquence : elle n’émanait que de moi et compensait d’une manière infime l’encens médiatiquement et abusivement déversé.

Ainsi quand Eric Neuhoff, avec esprit, écrit que « Isabelle Huppert est la plus mauvaise actrice du monde« , on devine qu’il force le trait et se plaît à jeter le trouble, un peu moins de complaisance et d’adoration dans un monde tout entier dans le ravissement ! Rien ne nous oblige, sur ce terrain où nous avons droit à une autarcie absolue du jugement – qui n’interdit pas d’y mêler des considérations objectives qui viendraient compléter notre perception – à faire amende honorable à quelque moment que ce soit. Si on mesure que là où je suis sévère, un autre pourrait vanter. Il y a des célébrités discutables pour chacun d’entre nous dans la société du divertissement largement entendue. Et nous avons chacun notre humeur, notre empathie ou déplaisir pour nous guider.

Les surestimations médiatiques

C’est autre chose, évidemment, quand dans le milieu professionnel qu’on connaît, on est confronté à des surestimations médiatiques plus ignorantes que perverses. Je les ai souvent relevées, en matière judiciaire, de la part de médias qui confondaient la lumière apparente d’une « grosse » affaire (grosse pour plusieurs raisons) avec une aura qui tomberait mécaniquement sur son titulaire.

Cette dérive, malheureusement, peut sévir de manière interne quand les hiérarchies ont si peu de lucidité qu’elles s’appuient sur des critères biaisés et tombent malheureusement non sur les plus remarquables mais les plus visibles. Ceux qui font du bruit.

Les médias sont coupables, la plupart du temps, de cet exaspérant décalage entre les gloires qu’ils sélectionnent, parfois fausses, rarement justifiées, et la vérité des coulisses, l’objectivité des pratiques et des comportements. Entre ce qu’on vante sans tout savoir et ce qu’on sait sans pouvoir en parler. Rien n’est plus pénible, douloureux, de devoir s’abstenir quand on est au fait, qu’on connaît les ombres et les failles mais que cela n’empêchera pas des portraits configurés sous le soleil éclatant de l’ignorance. Il y a en effet des fausses gloires, des célébrités ridicules à force d’être déconnectées de l’authentique valeur.

L’intelligence négligée

Un ressort expliquant fondamentalement ces simulacres, dont certes on peut se désintéresser, mais je n’ai jamais péché par indifférence, provient des étranges critères avec lesquels les périphériques de l’action, les observateurs de la scène principale, notamment les journalistes, jugent les protagonistes. Je témoigne que dans les débats médiatiques on se retrouve confronté parfois au même constat. L’intelligence est trop négligée, on n’attache pas suffisamment d’importance à l’aptitude ou non à savoir se dégager des poncifs, des banalités tellement incontestables qu’il est inutile de les proférer.

L’intelligence véritable est celle qui ajoute de l’imprévisible, de l’inventif, du nouveau, du non pensé ou du non dit – le contraire du commentaire et de la paraphrase – au socle qui nous est indivis, à notre disposition avec ses vérités toute faites, ses évidences toute mâchées et ses consensus si confortables. L’intelligence est ce qui éclaire autrement un chemin déjà beaucoup battu. Les fausses gloires sont celles dont on s’émerveille et qui jouissent d’être traitées pour ce qu’elles ne sont pas.

À lire aussi, Sylvain Quennehen: Le règne de l’image est un retour au bac à sable

Les vraies, les célébrités devant lesquelles on s’incline ont pour dénominateur commun d’échapper profondément à l’arbitraire médiatique, d’être promues et vantées par le citoyen, aimées par le peuple. Un Jean-Jacques Goldman durablement au faîte en est le meilleur exemple.

Trump et Twitter: quand Ubu est remplacé par Big Brother…

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Si Jérôme Leroy se félicite qu’on n’entende plus désormais Donald Trump, il craint qu’avec la censure 2.0 mise en place par les Gafa on ne gagne pas forcément au change.


Donald Trump, au cours des quatre ans de sa présidence, a publié 59 553 tweets. Je vous laisse faire la division pour trouver la moyenne quotidienne mais c’est tout de même de l’ordre de l’addiction chez lui, comme le golf et la junk food. Quand il a convoqué ses fans le jour du 6 janvier, pour manifester à Washington et protester contre la certification des résultats de l’élection par le Congrès, cela a été par Twitter.  On a vu le résultat. 

Chauffés à blanc

Le gratin de l’ultradroite américaine constituée de charmants individus partisans du suprématisme blanc et des théories conspirationnistes de Q-Anon, était au rendez-vous. Avec de beaux drapeaux confédérés et des t-shirts célébrant Auschwitz, ils ont envahi le Capitole. Un genre de 6 février 34 à l’américaine à cette différence que les émeutiers du 6 février 34 n’étaient pas chauffés à blanc par le chef de l’État ou du gouvernement. 

Locaux deTwitter à New York. Le rôle délétère du discours victimaire islamiste diffusé sur les réseaux sociaux est pointé du doigt, dans le meurtre odieux de Conflans-Sainte-Honorine © zz/John Nacion/STAR MAX/IPx/AP/SIPA Numéro de reportage: AP22503303_000004
Locaux deTwitter à New York. © zz/John Nacion/STAR MAX/IPx/AP/SIPA Numéro de reportage: AP22503303_000004

En France, dans la sphère médiatique qui va de l’extrême-droite à la gauche qui n’est plus de gauche, on a parfois risqué la comparaison avec les Gilets jaunes. À droite, pour dire, que c’était le peuple en colère et dans la gauche qui n’est plus de gauche pour discréditer un authentique mouvement de protestation contre la misère. On voit que ça ne tient pas. On peut ne pas être partisan de Trump et dire que les nazillons à l’assaut du Capitole n’étaient pas représentatifs de ses 74 millions d’électeurs. Et que ces dangereux excités n’étaient pas là pour protester contre la crise économique mais beaucoup plus simplement pour nier les résultats d’une défaite sans appel encore aggravée par Trump lui-même dont le déni halluciné a permis l’élection de deux sénateurs démocrates en Géorgie, ce qui revient à imaginer Arlette Laguiller élue maire de Neuilly.

A lire ensuite, Gabriel Robin: Donald Trump: le show est fini

Trump vaporisé

Après ces événements qui ont tout de même fait cinq morts, Twitter et son PDG, Jack Dorsey, ont tout simplement suspendu le compte de Donald Trump. On pourrait y voir une illustration de la phrase prononcée dans l’évangile selon Mathieu par Jésus, le soir de son arrestation quand il frappe un serviteur qui s’apprête à le défendre contre les soldats romains : « Qui a vécu par l’épée périra par l’épée ». Trump a vécu par et pour Twitter, et c’est Twitter qui le fait disparaître comme disparaissent les personnages d’Orwell dans 1984 : en le « vaporisant ». On notera pour l’histoire que le dernier des 59 553 tweets de Trump était pour dire, mais on s’en doutait un peu, qu’il n’assisterait pas à la cérémonie d’investiture de Biden.

Totalitarisme invisible

Il y a pourtant quelque chose de gênant, et même un peu plus que ça, dans la décision du réseau social : c’est qu’une entreprise privée dispose d’une telle puissance. Réduire au silence un individu, même aussi dangereux que Trump, inquiète. Trump appartenait finalement à une tradition hélas ancienne, celle des chefs d’État habités par une pulsion autoritaire. Ne plus l’entendre est un soulagement pour la raison et la décence.

Prenons garde cependant à ce que cet autoritarisme vintage de Trump, qui n’a pas réussi malgré tout à renverser les institutions américaines, ne soit pas remplacé par un totalitarisme invisible, celui du capitalisme des GAFA, qui décideront qui peut parler et qui ne le peut pas, sans rendre de comptes à personne. 

Remplacer Ubu par Big Brother, pas sûr que la démocratie y gagne au change.

La France peut-elle accueillir tous les Laye Fodé Traoré du monde?

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Stéphane Ravacley, un boulanger de Besançon employant un Guinéen en situation irrégulière s’est mis en grève de la faim il y a une semaine. Plus de 200 000 internautes ont depuis signé une pétition pour que l’apprenti ne soit pas expulsé. Selon eux, il faudrait “évidemment” régulariser le jeune migrant car il s’est intégré par le travail.


Interrogée sur le cas de Laye Fodé Traoré lors d’un déplacement dans le Doubs, la ministre du Travail Elisabeth Borne s’est contentée de dire qu’il s’agissait d’un cas particulier sur lequel “la justice administrative devrait se prononcer. » Sans un mot sur les difficultés provoquées par l’immigration clandestine dans le pays, la ministre techno a indiqué devant les journalistes ce qui la préoccupait véritablement : la France manque d’apprentis. “Il est vrai que nous devons former plus de jeunes dans certaines filières” a-t-elle affirmé, sans préciser si le gouvernement envisageait de remplir ces filières en orientant davantage les jeunes vers l’artisanat plutôt que vers les facs saturées… ou en faisant appel à plus d’immigration.

Venu en Europe en bateau gonflable

Laye Fodé Traoré aurait quitté sa Guinée natale en 2016 sur les conseils de sa mère adoptive, pour qu’il ne lui arrive rien de mal. Mineur, il parcourt le Mali puis la Libye, et il aurait ensuite traversé la mer Méditerranée seul sur un bateau gonflable pour gagner l’Italie. Il prend le train, et se retrouve à Nîmes. Dans la préfecture du Gard, une association l’envoie vers une autre structure à Gray, en Haute-Saône. Là, il recherche du travail en tant que plombier, sans succès. Sur les conseils de sa médiatrice, il accepte de travailler pour La Hûche à pain, boulangerie située rue Rivotte à Besançon. Le patron se réjouit de ce recrutement, le Guinéen étant selon lui “un super gamin qui parle français mieux que [lui]” et aussi “suffisamment motivé pour se lever à 3 heures du matin”. Fin d’une belle histoire ? Non. 

A lire aussi: Causeur #86: Assimilez-vous!

Fodé Traoré a perdu le statut de mineur isolé. La préfecture, estimant qu’il est désormais majeur, a l’idée saugrenue d’envisager de l’expulser ! Elle indiquait il y a quelques jours que les documents présentés par le jeune immigré n’étaient pas conformes. Et lui a adressé une obligation de quitter le territoire français, ce qui fait peur mais n’est que très rarement suivi d’effets. Depuis, l’affaire a pris un tournant médiatique. Sorte de Cédric Herrou des fournils, Stéphane Ravacley – 24 ans dans la boulangerie – ne peut plus faire travailler le jeune Guinéen, et est à la pointe de la contestation. Il a entamé une grève de la faim dimanche dernier pour faire parler de l’affaire et contester la décision de l’administration concernant son mitron. 

Des pleurs sur le plateau de Cyril Hanouna

Il s’est notamment épanché au micro complaisant de France inter, radio qui a fait connaitre la pétition protestataire qui a dépassé les 200 000 signatures en quelques jours : “On ouvre les portes à un gamin et on lui dit : T’en fais pas, on te protège tu risques rien. On lui alloue de l’argent, on le loge. Et deux ans plus tard, on lui dit : non ce beau rêve dans lequel tu étais, il n’existe plus, tu rentres chez toi !” En mettant en avant le caractère émouvant du parcours du jeune immigré dans les journaux, en pleurant sur le plateau de Cyril Hanouna, des questions légitimes ont été écartées, nous allons y venir.

Sous la pétition en ligne, c’est la grande litanie des bons sentiments. Les réactions sont unanimes. Albin s’indigne: “la France a-t-elle vraiment envie d’être indigne des Droits de l’Homme?” Corinne observe que, “pour Laye mais aussi pour tous ceux qui se sont intégrés et ont trouvé et fait leur place parmi nous, ils ne « prennent » rien ils apportent.” Selon Claire, “après tout ce chemin parcouru, l’absurdité d’expulser ce jeune homme est évidente.” Renée s’autorise une remarque plus philosophique : “Nous humains, nous devrions avoir le droit de vivre libre sur le sol que nous avons choisi”.

L’assimilation à la française en panne

Enfin, Catherine fait part de son expérience. Si elle signe elle aussi la pétition, elle n’en reconnait pas moins que certains immigrés posent des difficultés : “Mon compagnon est étranger et nous sommes dans l’attente de son titre de séjour. Il est inadmissible de faire attendre des personnes qui se sont intégrées ou ont fait des formations, qui parlent bien le français et qui bossent. A coté de ça quand je vais à la préfecture je suis dégoûtée de voir le nombre de familles qui ont plein de gosses, qui ont donc plein d’aides diverses et ne parlent pas le français ! Je connais même une personne qui vit en France depuis six ans qui ne sait ni lire ni parler notre langue, qui a fait de fausses déclarations à Pôle emploi (…) il faudrait commencer par faire du tri pour ceux qui ne foutent rien et qui nous coûtent une blinde au lieu de vouloir mettre dehors ceux qui méritent.”

A lire ensuite, Michel Aubouin: Le français, tu le parles ou tu nous quittes!

Avec un soutien aussi important, l’intégration de notre jeune mitron est-elle assurée ? L’avenir le dira. Le dossier du Guinéen aurait été repris en haut lieu par les autorités à Paris, croit savoir la presse locale… L’assimilation par le travail et la bonne maîtrise du français plaident évidemment en faveur de M. Laye Fodé Traoré, mais sa bonne intégration dans la société française ne peut aucunement être garantie par qui que ce soit. Une pétition, un chantage à la grève de la faim et des éditoriaux de gauche tous similaires ne sont pas l’assurance d’une régularisation.

Ces questions que les pétitionnaires écartent

On a dit que le Guinéen était arrivé seul par la mer. En réalité on n’arrive jamais véritablement seul, et cela fait partie du problème alors que le multiculturalisme – et son cortège de revendications communautaires et de fiertés mal placées – est entré depuis de nombreuses années en conflit avec le modèle autour duquel la France s’est construite. En effet, les individus sont porteurs d’habitudes, de codes, de modes de vie ou de pensée venus d’ailleurs, ce qu’explique très bien Bérénice Levet dans son dernier article sur l’assimilation. La philosophe y établit un diagnostic inquiétant de notre situation : “Avec l’universalisme et la laïcité, l’assimilation est une singularité française. De ces trois piliers, tous branlants aujourd’hui, l’assimilation est le plus chancelant.” Si les généreux pétitionnaires – qui signent en trois clics et peuvent montrer leur belle âme sur les réseaux sociaux – ne se les posent pas, des questionnements sous-jacents sont toujours latents dans ce type d’affaire. 

Tout d’abord, quel volume de mineurs de bonne volonté en provenance d’un continent malheureux et à la démographie galopante la France est-elle en mesure d’accepter ? Et a-t-elle les moyens d’écarter ceux dont la volonté d’intégration n’est pas réelle, dans un contexte de hausse des flux ?

Ensuite, en acceptant de garder Laye Fodé Traoré sur le sol français, quel signal envoyons-nous à toutes les mères souhaitant mettre leur progéniture à l’abri du danger ? Combien d’entre elles en Afrique sont déjà en train de penser à envoyer leurs fils sur les routes de l’exil ? 

A lire aussi, Bérénice Levet: L’assimilation, une ambition française

Comme M. Fodé Traoré est entré sur le territoire national en bafouant la loi, passe-t-on l’éponge sur ce point ? L’assimilation par un dur travail est-elle le seul critère qui doit nous préoccuper ? Et qui ira s’assurer du bon niveau de français évoqué par le patron ? 

Et si la boulangerie ferme?

Enfin, si la boulangerie de Monsieur Ravacley venait à fermer des suites de la crise économique liée au covid, est-on certain que ce dernier continuerait de soutenir le jeune immigré ? S’il ne le fait pas, sa subsistance devra-t-elle alors reposer sur la solidarité nationale ? 

Avec le chômage et l’insécurité, l’immigration apparait comme une des préoccupations majeures de l’opinion. Ceux des Français qui l’évoquent inlassablement étude après étude et qui ont les pires craintes sur cet afflux permanent ne supportent plus le chantage moral continu propre aux affaires du type de la boulangerie de Besançon. Si leur parole est déjà écartée des ondes de France inter, elle est également ignorée par la classe politique depuis des décennies. C’est un problème démocratique considérable. Un gouvernement aura-t-il le courage de dire en face des familles françaises que les métiers boudés – pourtant financièrement attractifs pour qui accepte de travailler beaucoup – ne sont définitivement plus pour elles si elles ne s’en emparent plus ?

A ne pas manquer: Jeunes de l’immigration, assimilez-vous ! Notre numéro de janvier

Cancel cul… quoi?

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Le jeune correspondant du Washington Post à Paris éclate de rire quand Alain Finkielkraut évoque le « politiquement correct » et la « cancel culture ». Des évènements plus graves l’inquiètent…


Samedi 9 janvier, l’émission Répliques d’Alain Finkielkraut (France Culture) a pour titre Regards croisés sur l’Amérique et sur la France. Les débatteurs sont James McAuley, correspondant du Washington Post à Paris, et le philosophe Pascal Bruckner.

Le Washington Post est ce journal de gauche américain qui, après l’assassinat de Samuel Paty et la décision gouvernementale de réfléchir enfin au séparatisme qui plombe la société française, titrait: « Au lieu de combattre le racisme systémique, la France veut réformer l’islam. » Il est le même journal qui compte maintenant dans ces rangs Rokhaya Diallo, recrutement dont la principale intéressée s’est bruyamment auto-félicitée et auto-louangée.

Il est encore ce journal dont une des rédactrices en chef, Karen Attiah, a prétendu dans un tweet que la France avait pour projet d’attribuer des numéros d’identification aux enfants musulmans.

Le politiquement correct et le néoracisme, pas vraiment un problème pour le Washington Post

Comme le fait remarquer James McAuley à la fin de l’émission, il est un jeune homme de 32 ans – rien ne lui fait peur: ni l’islamisation de certains quartiers en France, ni le néo-féminisme virulent, américain et maintenant français, ni la « cancel culture », ni les dérives diversitaires et identitaires et le « politiquement correct » qui pourrissent les campus américains et de plus en plus les universités françaises.

Il éclate littéralement de rire à l’évocation de ces broutilles[tooltips content= »https://www.franceculture.fr/emissions/repliques/la-divergence-france-amerique à 27min32″](1)[/tooltips].

Washington, le 6 janvier 2020 © Julio Cortez/AP/SIPA Numéro de reportage: AP22527680_000006
Washington, le 6 janvier 2020 © Julio Cortez/AP/SIPA Numéro de reportage: AP22527680_000006

Quelque chose de bien plus grave vient de se passer aux États-Unis, dit-il: « Une tentative de coup d’État contre le gouvernement américain encouragé par le président lui-même ! » Le jeune journaliste a déjà oublié toute son histoire américaine, même la plus récente, lorsque les démocrates essayèrent de renverser immédiatement après son élection le tout nouveau président des USA en 2016, échouèrent dans un premier temps puis revinrent à la charge, via une nouvelle procédure de destitution (impeachment) en 2019. La tentative de renversement était alors, symboliquement et pragmatiquement, plus réelle et possiblement décisive que l’entrée chaotique et bruyante de quelques dizaines d’énergumènes déguisés en Davy Crockett ou porteurs du drapeau des Confédérés dans le Capitole. Lors de ces deux tentatives avortées de destitution, James McAuley ne s’est pas écrié – comme il l’a fait ce 9 janvier à propos des évènements du Capitole : « C’était une tentative de renverser la volonté du peuple. »

A lire aussi: Parlez-vous woke?

Aucun mot non plus sur la scandaleuse fermeture définitive du compte Twitter du président Trump réclamée par des démocrates américains apparemment admiratifs des méthodes du gouvernement chinois, Michelle Obama en tête. Nancy Pelosi, plus rugueuse et impatiente que jamais, demande que soit appliquée la possibilité de défaire le président en exercice : les 11 jours qui lui restent à vivre sous le joug du tyran lui sont insupportables. Apparemment, c’est aussi le cas de James McAuley.

Avec Biden, les combats racialistes et diversitaires pourraient redoubler d’intensité

Une chose essentielle vient de se produire aux États-Unis : le président élu Joe Biden va pouvoir s’appuyer sur une Chambre des représentants à majorité démocrate et un Sénat à majorité démocrate. Rien ne pourra entraver ce nouveau gouvernement qui devra satisfaire son électorat. Par conséquent, les combats racialistes et diversitaires pourraient redoubler, sous les yeux de Chimène d’une grande partie des politiciens démocrates. La déliquescence universitaire va se poursuivre. Le repli sur le groupe ethnique, sexuel (ou genré, LGBT…), identitaire, va prendre des proportions inédites.

La « discrimination positive » va s’appliquer partout, à l’université comme dans les entreprises; les meilleurs se verront écartés; les niveaux d’instruction et de compétences continueront de s’écrouler. Le « politiquement correct » et la « cancel culture » qui font tant rire James McAuley vont s’amplifier jusqu’à rendre totalement impossible la transmission des connaissances historiques, politiques, littéraires, philosophiques, artistiques, etc., nécessaires à la constitution d’une classe de citoyens cultivés. Le concept de Vérité disparaîtra sous le fatras orwellien de la réécriture, de la novlangue du politiquement correct et du relativisme, celle du techno-monde fait pour les anywhere, tandis que le Mensonge militant permettra les prises de pouvoir, de postes, de gratifications, de tribunes numériques et politiques, aux plus futés qui auront su ériger leur couleur de peau, leur « orientation sexuelle », leur « situation de handicap », leurs discriminations, etc., en porte-étendard d’une cause qu’ils diront universelle et qui ne sera qu’individuelle et narcissique.

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On peut craindre pire que l’invasion du Capitole

Tout est déjà là et va s’accélérer car les démocrates lâcheront sur tous les tableaux. Il n’est pas impossible qu’une partie de la population américaine se voyant déposséder de tout – travail, langue, culture, tradition, possibilité d’ascension sociale – devienne extrêmement violente, suicidaire et jusqu’au boutiste. La mini-insurrection du Capitole, même avec ses cinq morts (dont trois crises cardiaques), n’a été que le dixième du quart de la moitié de ce qu’a connu la France pendant plusieurs mois avec la crise des Gilets jaunes. Les Américains, plus brutaux, surarmés, ont malheureusement les moyens de faire beaucoup mieux, c’est-à-dire bien pire.

Enfin, pour conclure, il est évident que la presse de gauche américaine qui ne se gênait déjà pas sous Trump pour critiquer la France, son « racisme d’État », son islamophobie, sa police raciste, son faux universalisme, sa laïcité douteuse, etc., va continuer son travail de sape. Elle trouvera comme d’habitude de très efficaces relais en France même, journalistes crépusculaires ou de radio publique, universitaires de Paris 8 et affiliés, personnalités médiatiques très militantes ou “racisées”, féministes mi-figues misandres, associations diverses à but très lucratif. Mais elle trouvera aussi, mieux vaut qu’elle soit prévenue, des Français qui ne s’en laisseront pas conter. Parmi ceux-là, Alain Finkielkraut et Pascal Bruckner. Et votre serviteur, bien sûr !

Un coupable presque parfait: La construction du bouc-émissaire blanc

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Répartition des migrants dans les régions: c’est non

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Une tribune libre de Jean-Paul Garraud, député européen (RN), qui estime que les régions n’ont pas vocation à devenir les sous-traitants des no borders franciliens.


Le 18 décembre dernier, la cour administrative d’appel de Bordeaux rendait une décision contestée. La cour a annulé l’arrêté d’expulsion d’un Bangladais vivant à Toulouse au motif que son pays souffrirait d’une pollution atmosphérique trop importante incompatible avec son asthme et ses apnées du sommeil… La préfecture de la Haute-Garonne a donc été désavouée, ce Bangladais devenant le premier « réfugié climatique » accepté en France. La préfecture de la Haute-Garonne peut encore saisir le Conseil d’État. Mieux, elle doit le faire car cette décision s’inscrit dans un contexte délétère et préoccupant auquel un terme doit être mis.

En effet, le gouvernement a décidé de ne pas s’occuper réellement de la folie migratoire qui a actuellement cours en France, préférant cacher sous le tapis l’ampleur des flux. Afin de réduire la pression pesant sur l’Île-de-France et d’en finir avec les campements sauvages parisiens, l’exécutif veut saupoudrer les « migrants » dans nos régions plutôt que de les expulser. Les mesures ont été présentées dans le « schéma national des demandeurs d’asile et d’intégration des réfugiés 2021-2023 » dont le dessein principal est de « désengorger la région parisienne », qui concentre à elle-seule 46% des demandes d’asile alors qu’elle ne disposerait que de 19% des capacités d’hébergement. Le gouvernement est animé par une logique jacobine égalitaire stupide qui le conduit à juger que les régions qui accueillent moins de « migrants » que ne le permettent leurs structures d’accueil seraient « déficitaires », devant par conséquent recevoir le surplus francilien selon des quotas statistiques.

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L’Occitanie qui reçoit actuellement 5% des demandeurs d’asile aurait ainsi pour objectif d’en recevoir 7% pour la période 2021-2023, en accord avec la loi du 10 septembre 2018 qui permet d’orienter un migrant « vers une autre région, où il est tenu de résider le temps de l’examen de sa demande d’asile », pour le cas où « la part des demandeurs d’asile dans une région (excèderait) la part fixée pour cette région pour le schéma national ». Problème: seule l’Île-de-France se trouve en situation d’excédent. Une situation qui s’explique au moins par deux raisons. La première, d’une logique biblique, est l’attractivité de cette région en matière d’emploi et de diasporas communautaires. Un Afghan, un Soudanais ou un Pakistanais trouveront en Île-de-France des nationaux prêts à les aider et à jouer de la débrouille pour leur « intégration », au moins économique. La seconde, plus pernicieuse, tient dans l’appel d’air provoqué par la mairie de Paris et Anne Hidalgo, dont l’idéologie sans-frontièriste sonne comme un encouragement à l’installation pour tous les migrants en quête d’un départ vers la France.

Nos régions doivent-elles payer pour les folies de la municipalité parisienne ? Non. Nos régions n’ont pas vocation à devenir les sous-traitants des no borders franciliens ou les exécutants des délires immigrationnistes de France Terre d’Asile qui semble avoir la main sur le gouvernement. Interrogée dans le Républicain Lorrain, Delphine Rouilleaut l’actuelle directrice de France Terre d’Asile se félicite des orientations décidées par le ministère de l’Intérieur: « (la réorientation des demandeurs franciliens vers les régions) est indispensable pour répondre au besoin de solidarité nationale dans la prise en charge des demandeurs ». Elle ajoute d’ailleurs, presque sur le ton de la menace, craindre que l’effort ne soit pas « suffisant ». Un effort qui est, en tout cas, observable régulièrement dans les rues de la capitale, théâtre de nombreuses manifestations de migrants avec le soutien d’associatifs et de responsables politiques de gauche, depuis la rentrée.

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On a ainsi assisté à des scènes surréalistes durant lesquelles des milliers de clandestins réclamaient leur régularisation, alors que dans le même temps restaurants et commerces étaient fermés pour raisons sanitaires ! Quant aux « migrants » de fraîche et de longue date, ils se sont tristement signalés dans la rubrique des faits divers ces derniers mois, que ce soit le terroriste tchétchène qui a décapité le professeur Samuel Paty ou le Pakistanais qui a cherché à reproduire les attentats de 2015 à Charlie Hebdo. Et encore, ne s’agit-il là que de la face émergée de l’iceberg d’une immigration ruineuse pour le budget de l’État, incontrôlée et aux conséquences sécuritaires, culturelles et sociales sans précédent. De quoi pousser Emmanuel Macron à adopter une rhétorique largement empruntée à Marine Le Pen quand, constatant l’ampleur des dégâts causés par la politique d’asile française, il se plut à déclarer que le droit d’asile était parfois dévoyé chez nous. De fait, le droit d’asile doit d’abord s’envisager comme une faveur accordée à titre individuel par la France et non comme une invitation lancée aux milliards de candidats au départ qui ne vivent pas dans des pays occidentaux.

Directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration, Didier Leschi explique que la France est laxiste dans son ouvrage Ce grand dérangement, l’immigration en face (Gallimard). Un livre en forme de mise au point écrit pour répondre tout autant à ceux qui « bien légitimement, éprouvent des sentiments d’angoisse, voire de colère, face à des intrus abusant de notre hospitalité, empiétant sur notre territoire, nos ressources et nos héritages » comme à ceux « qu’indigne, bien légitimement, le spectacle quotidien des naufragés à la dérive, […] d’une Méditerranée transformée en cimetière marin ». Le gouvernement a donc tout faux dans son appréhension du problème. Ce n’est pas aux régions de prendre en charge le surplus francilien : c’est à la France de mettre en place une politique dissuasive et une politique d’expulsions conséquente à même de réduire une pression migratoire subie depuis trop longtemps. Ouvrons les yeux.

«Notre propre affaiblissement sociétal est devenu un handicap à l’intégration des immigrés»

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Directeur général de l’Office Français de l’Immigration et de l’Intégration, Didier Leschi vient de publier Ce grand dérangement aux éditions Tracts Gallimard. Dans cet ouvrage salutaire, il y analyse notre rapport à l’immigration. Entretien.


Causeur. En nommant votre livre Ce grand dérangement, n’avez-vous pas craint d’être amalgamé au camp des adeptes de la théorie du grand remplacement? 

Didier Leschi. Non parce que ce grand dérangement, c’est au sens où dès qu’on parle d’immigration, il y a une sorte de dérangement de l’esprit, ce qui fait que l’on perd la capacité de parler tout à fait clairement des choses. S’il s’agit en effet d’un renvoi en creux à cette théorie du « grand remplacement », c’est avec l’idée que lorsque l’on parle d’immigration, on a l’impression que, pour de bonnes ou de mauvaises raisons, la passion, et même parfois la déraison l’emportent. 

À vous lire, la France, n’a pas à rougir de la façon dont elle accueille ses immigrés…

Ce que je rappelle, c’est qu’il y a des immigrations de natures différentes. Ces dernières années, on a beaucoup polarisé les débats sur la demande d’asile mais notre particularité, c’est d’être depuis le milieu du XIXème siècle un grand pays d’immigration, qui en plus, octroie beaucoup plus facilement que d’autres la nationalité. C’est seulement à partir des années 2000 qu’en Allemagne que la nationalité s’ouvre par exemple. En Italie c’est aussi très récent. Chez nous c’est beaucoup plus ancien, il y a donc cette immigration de longue durée. Et il y a cette polarisation sur la demande d’asile. Là, on raisonne un peu à courte vue puisqu’au début des années 2000, la France était le premier pays d’Europe, en nombre, de demandes d’asile. Dans les crises aiguës, quand il y a des arrivées massives, les gens vont là où ils pensent que c’est le mieux pour eux. Je pense que le fond du débat ne doit pas porter sur la question du nombre, ceux qui se polarisent sur la question du nombre, qui font des calculs pour déduire qu’on a tant de réfugiés par tant de nombre d’habitants éludent les problèmes de fond qui sont les conditions économiques, sociales et culturelles de l’intégration.

Justement, vous avez parlé de l’acquisition de la nationalité française. Il y a encore trois ans, le niveau exigé de français pour avoir la nationalité était d’un niveau dit « B1 », soit un niveau intermédiaire, à l’oral uniquement. Qu’en est-il maintenant? 

Désormais, c’est B1 à l’écrit également. Mais si l’exigence a été renforcée pour l’acquisition de la nationalité, nous n’avons pas la même exigence en matière de visa et de renouvellement des titres de séjour qu’en Allemagne par exemple. Notre particularité, c’est que pendant très longtemps, on s’est plus focalisé sur l’apprentissage des langues régionales que sur le fait que le français est indispensable pour l’intégration des immigrés.

A lire aussi, Michel Aubouin: Le français, tu le parles ou tu nous quittes!

Est-on assez exigeant au niveau linguistique avec les nouveaux venus sur notre sol si l’on souhaite réellement les intégrer? Quand je donnais des cours dans ce cadre en Seine-Saint-Denis, le niveau requis pour le renouvellement des cartes de séjour de dix ans était situé à A2 seulement, ce qui est faible. 

Je pense qu’on ne pose pas un niveau d’exigence suffisamment haut et qu’en conséquence, on ne favorise pas la volonté de l’effort. C’est un des sujets qui est devant nous. Ce sujet est amplifié par le fait que ces dernières années, on a vu arriver de plus en plus de personnes qui viennent d’espaces absolument non francophones ou qui n’ont pas d’histoire culturelle commune avec nous. En réalité, la question du nombre me semble secondaire par rapport au problème de l’approfondissement des écarts entre pays d’émigration et d’immigration. 

Vous évoquez l’appropriation de l’histoire. Certains organismes, tels que l’association Pierre Claver, travaillent en ce sens mais ils ne sont pas nombreux. Comment faire pour que les nouveaux venus s’approprient notre histoire ?

Nous n’avons pas suffisamment réfléchi à ce problème. Pendant très longtemps, l’immigration en France était essentiellement composée d’Italiens, de Portugais et d’Espagnols. Malgré le problème de la langue, nous avions plein de référents culturels en commun tels que la littérature, le mouvement ouvrier ou la foi. L’Église a eu un rôle important dans l’accueil et l’intégration des Italiens. Au niveau de l’OFII, sans doute n’a-t-on pas mis à jour assez tôt nos programmes ce qu’on appelle « connaissance des valeurs de la République » par rapport à ces nouveaux publics. Dans la politique publique, il y a un retard d’adaptation du contenu de l’instruction civique par rapport à des publics qui sont aujourd’hui beaucoup plus éloignés de nous qu’ils ne l’étaient hier. 

J’insiste, comment pourrait-on favoriser cette appropriation de notre « roman national », qui semble essentielle, d’autant plus pour des gens qui viennent de pays très éloignés culturellement tels que l’Afghanistan? 

Ce n’est pas simple, je ne sais pas si le mot « favoriser » est adapté car en réalité, il faut voir au-delà. Il s’agit de voir comment faire en sorte qu’il y ait une appropriation réelle. Je suis intimement convaincu que cette appropriation réelle suppose que l’effort d’apprentissage soit valorisé. La délivrance du titre de séjour pluriannuel par exemple, devrait être beaucoup plus adossée à la vérification de l’appropriation d’un certain nombre d’éléments de notre culture et de notre histoire. 

Dans son émission Répliques, Alain Finkielkraut vous a déjà embêté avec cet article d’un journaliste syrien relatant une journée de formation aux valeurs de la République lors du « Contrat d’intégration républicaine » dans un organisme travaillant pour l’OFII, et lors duquel une interprète franco-marocaine n’a pas caché tout le mal qu’elle pensait de la France tout en se vantant d’y toucher des prestations sociales… 

C’est malheureusement vrai, mais il faut remettre cela dans le contexte, même si c’est inexcusable. L’OFII organise environ 500 000 journées comme cela par an! Et ce n’était pas une employée de l’OFII. Quand j’ai su cela, j’ai écrit immédiatement au directeur de l’organisme pour dire que je souhaitais que cette interprète ne soit plus utilisée pour les formations de l’OFII. 

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Dans votre livre, vous semblez regretter la fin du service national, de la culture ouvrière et l’érosion du christianisme social. Comment pourrait-on renouer avec ce lien social perdu? 

C’est un enjeu majeur de société. Notre propre affaiblissement sociétal est devenu un handicap à l’intégration des immigrés. Cet affaiblissement est lié à une disqualification de références qui étaient communes. Il est évidemment souhaitable que l’on arrive à créer à nouveau ce lien social. Est-ce qu’on peut? Je ne sais pas car je ne peux pas lire dans le marc de café. 

Cela fait des années qu’on dit que notre système d’intégration est en panne, et vous le répétez fort justement dans votre livre. L’essentiel des flux migratoires venant du regroupement familial, l’heure n’est-elle pas venue d’y mettre fin? 

Je pense que c’est une fausse question. Le vrai enjeu, c’est le découplage entre immigration et travail. Si l’immigration familiale qui arrive pouvait facilement s’intégrer au marché du travail, cela aiderait à l’intégration. Ce qui nous inquiète, ce sont les phénomènes de fermeture. À mon avis, ils ne sont pas liés au nombre. De plus, il faut savoir que la majorité du regroupement familial est composée des rapprochements de conjoints de Français. L’autre partie, celle qui concerne les résidents non Français, représente aujourd’hui autour de 15 000 personnes par an. Le problème du regroupement familial, il vient quand une partie du regroupement est dans une situation d’enfermement communautaire, indépendamment de sa nationalité. 

Mais il y a des cas d’Orientaux présents depuis plusieurs années, qui ont fait de grands efforts d’intégration et lorsqu’une conjointe ou de la famille arrive du pays d’origine, ils sont à nouveau aspirés par leur culture d’origine!

Tout à fait, et c’est ce que je résume quand je dis que la particularité de la période, c’est que les écarts entre pays d’émigration et d’immigration se sont durcis, en particulier à partir de la conscience religieuse.

À ce sujet, comprenez-vous qu’une partie des Français ait peur d’une islamisation de la France accentuée par l’accueil d’immigrés venant de pays musulmans? 

Il y a une crainte politique et sociétale qui est compréhensible puisque la pression islamiste est une pression extrêmement forte au niveau mondial. Il est donc légitime que des gens s’interrogent pour savoir si on va échapper ou non à cette pression. 

Dans un sondage IFOP de décembre 2018, deux tiers des Français estimaient que l’immigration avait un effet négatif sur la sécurité. Y a-t-il un lien entre insécurité et immigration? 

Il y a un lien, qui n’est pas automatique, entre situations sociales précaires et délinquance d’appropriation. En grande partie, cela est lié à l’absence de perspectives de travail. Dans certaines zones touchées par la désindustrialisation, il y a une, voire deux générations, où des personnes sont sans travail. Pour ces personnes, la perspective de ressources se fait par exemple avec la drogue. Mais il ne faut jamais oublier que le marché de la drogue, c’est un transfert de richesses entre les couches sociales aisées et les couches sociales pauvres, qui se passe en grande partie à partir de nos enfants. Ce transfert de richesses se fait aux dépens de tous et au profit de quelques-uns. 

A ne pas manquer: Notre numéro en kiosque, Causeur #86 : Assimilez-vous!

Une dernière chose: un couple d’Iraniens dont l’homme s’est converti au christianisme a été condamné à mort en Iran selon leur avocat, l’homme pour apostasie, la femme pour adultère. Fin décembre, l’OFPRA (Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides) a refusé leur deuxième demande d’asile, ce qui a indigné leur avocat et une partie de l’opinion. Cette situation est-elle normale? 

J’ai vu cela oui, mais je ne connais pas le dossier donc je ne peux pas me prononcer. Etre officier de protection à l’OFPRA demande une technicité extrêmement forte. C’est un métier très dur qui suppose une connaissance très forte des pays d’où viennent les demandeurs d’asile! Et tout l’enjeu est de protéger le droit d’asile, c’est-à-dire de faire en sorte que n’en profitent pas des gens qui n’en relèvent pas. La difficulté est que la connaissance intime des pays ne peut pas toujours s’appuyer sur des visites de terrain, on n’envoie pas facilement des agents vérifier des dires en Afghanistan, par exemple, et tous les Afghans qui demandent l’asile en Europe ne sont pas nécessairement anti talibans. Dans nombre de pays, on ne dispose pas de réseaux d’organisation par critères. Cette situation est très différente de celle de l’immigration espagnole après la guerre civile par exemple, où des partis républicains d’Espagne aidaient l’Office central pour les réfugiés espagnols à faire le tri.

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Sahel: l’impasse

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L’analyse de Jean-Baptiste Noé, rédacteur en chef de la revue de géopolitique Conflits


L’année 2021 a débuté dans la douleur pour l’armée française avec cinq soldats tués, à chaque fois des morts causées par des explosions de mines. Il appartient aux services adéquats de l’armée de terre de vérifier la sécurité de ses soldats et la capacité des véhicules de transport à résister à ce type de charge. Mais au-delà de ces morts, ce pourrait être l’occasion de s’interroger de façon profonde sur la notion de terrorisme et ses corollaires : la lutte contre le terrorisme et la présence de l’armée française dans le Sahel.

Terrorisme: une erreur de concept

Depuis plusieurs années nous sommes victimes d’une intoxication intellectuelle autour de la question du terrorisme. Dire que nous sommes « en guerre contre le terrorisme » ou que nous luttons contre les terroristes n’a pas de sens. Le terrorisme est une stratégie militaire, non un adversaire. On ne lutte pas contre le terrorisme, de la même façon que l’objectif final ne peut être la lutte contre les conducteurs de chars ou les pilotes d’avion. Or depuis les attentats de 2001, le terrorisme est présenté comme une personnalité et un tout, chose qu’il n’est pas. Au moment de la guerre d’Indochine et durant la guerre d’Algérie, l’armée française ne luttait pas contre le terrorisme, mais contre les Vietminh ou les fellagas, qui faisaient usage du terrorisme comme stratégie militaire. Nous sommes ici intoxiqués par le refus de nommer l’adversaire que nous combattons, soit parce que nous ne voulons pas le nommer, soit parce que nous ne voulons pas reconnaitre que nous n’avons pas d’adversaire.

Contre qui sommes-nous en guerre au Sahel : le Mali, le Niger, des groupes touaregs ? Apparemment non. Éventuellement on dira ici et là que nous sommes en guerre contre l’islamisme. C’est déjà un peu plus précis, mais c’est tout autant inexact : on ne combat pas des idées avec une armée et des déploiements militaires. L’existence de l’État islamique avait au moins cela d’utile que nous pouvions enfin lutter contre une entité définie et cohérente. Pour le reste, la lutte contre le terrorisme est un échec.

Le terrorisme en France, pas au Sahel

La présence française au Sahel a débuté avec l’opération Serval (janvier 2013 – juillet 2014) puis s’est poursuivie avec l’opération Barkhane (août 2014).

On nous assure ainsi que notre présence au Sahel est indispensable afin de lutter contre le terrorisme en France, sans que le lien de causalité ne soit jamais démontré. En quoi est-ce indispensable de se déployer au sud du Sahara pour éviter un attentat à Strasbourg ou à Lyon ? Des services de renseignement, de police et de justice adaptés ne seraient-ils pas plus utiles ? Cette présence militaire n’ayant pas « d’effet final recherché » clair, elle peut être sans fin puisqu’étant sans objectif. Elle est indubitablement utile pour les militaires : elle leur permet de s’entrainer en conditions réelles, ce qui est une nécessité, elle leur permet aussi de monter en grade et en avancement ailleurs que dans des bureaux d’état-major, ce qui est plus glorieux. Pour le reste, le lien entre nécessité de cette opération militaire et défense de la sécurité de la France reste encore à démontrer.

Le Sahel: cause de la Libye

Pour les comprendre, il faut sans cesse revenir aux causes des événements. Si la France a dû intervenir au Mali, à la demande de son gouvernement, c’est qu’une escouade de Touaregs armés menaçait de s’emparer de Bamako et de renverser le régime. Or ces Touaregs furent armés grâce à Kadhafi qui, avant d’être renversés, leur donnèrent les clefs de ses stocks d’argent et de munition. La cause directe de la déstabilisation du Mali et de la bande sahélienne où nous sommes aujourd’hui embourbés est l’intervention militaire franco-otanienne en Libye en 2011. Une intervention qui alla au-delà du mandat de l’ONU et qui créa un chaos dont nous ne sommes toujours pas sortis. Là réside une partie des causes des mouvements migratoires à travers la Méditerranée, le verrou libyen ayant sauté, puis la déstabilisation du Sahel. En quelque sorte, nous essayons de réparer les pots que nous avons cassés il y a désormais dix ans. À l’époque, c’était Alain Juppé qui était le brillant ministre des Affaires étrangères qui défendit avec vigueur cette opération. Remplacé ensuite par Laurent Fabius, qui voulut mener la même opération brillante en Syrie afin de « renverser Bachar ». Pour les remercier de cette clairvoyance et de cette haute contribution à la stabilité moyen-orientale, ils furent tous deux nommés au Conseil constitutionnel, dont l’un comme président.

Une mentalité coloniale diffuse

Toujours en Afrique, la France intervient en Centrafrique en 2013 avec l’opération Sangaris (2013-2016) afin de pacifier un pays en situation de guerre ethnique majeure.

Si cette opération fut un succès à court terme, notamment en démilitarisant une partie des milices séléka et anti-balaka, elle n’a rien résolu sur le long terme, les violences étant reparties et avec elles les massacres de populations civiles. Les élections présidentielles qui se sont tenues le 27 décembre dernier ont certes permis l’élection d’un nouveau président, mais elles sont très loin d’avoir réglé un problème endémique qui est d’abord un problème ethnique.

Force est donc de constater que les opérations militaires que nous avons menées ces dix dernières années, si elles sont techniquement des succès à court terme et si elles permettent à l’armée française de se déployer sur des théâtres d’opérations réels, ce qui est nécessaire pour maintenir son niveau, ne résolvent pas les problèmes humains posés dans ces pays. Et elles ne peuvent nullement prétendre les résoudre puisque ces problèmes trouvent leurs origines dans des luttes ethniques et tribales qui ont débuté bien avant la première colonisation de l’Afrique (1880). Malheureusement, pour nos militaires et pour les populations de ces pays, certains pensent encore que la démocratie est la seule voie possible de la pacification et que l’imposition du modèle européen réglera les problèmes de ces pays. Couplés au mirage du « développement » qui dilapide une partie de l’argent collecté en France via des associations et des organismes humanitaires qui n’ont jamais pu démontrer leur utilité concrète, nous demeurons pour l’essentiel en Afrique avec une mentalité qui reste figée dans les schémas coloniaux. Bien que la plupart des pays africains aient obtenu leur indépendance en 1960, soit tout juste soixante ans, la mentalité coloniale, mère de l’intervention humanitaire et du mythe du développement, est encore loin d’être dissipée. Cela donne raison à des hommes comme Guizot, Bastiat ou Tocqueville, qui dans les années 1830-1850 s’opposaient aux aventures coloniales en considérant que chaque peuple devait être maitre et libre de son destin, sans que d’autres éprouvassent la nécessité de leur dire dans quelle direction il fallait marcher. Il n’est nullement certain que l’année 2021 permette de dissiper ces mythes.

Source: Institut des libertés.

Au Népal, on rêve du retour de la monarchie

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Le petit État de l’Himalaya est en pleine crise identitaire, alors que la Chine et l’Inde y ont trouvé un nouveau terrain d’affrontement.


C’est un combat anachronique qui se joue actuellement au Népal. Il y a trois semaines, face aux pressions exercées dans la rue par les royalistes qui réclament le retour du roi Gyanendra Shah sur son trône et aux divisions internes qui minent son gouvernement, le Premier ministre marxiste Khagda Prasad Sharma Oli a annoncé la dissolution du parlement et des élections anticipées prévues pour le 30 avril prochain.

Dans cet Etat de l’Himalaya en pleine crise identitaire, les Népalais appellent désormais au retour de la monarchie renversée en 2008. Tapies dans l’ombre, Chine et Inde jouent une impitoyable partie d’échecs afin de préserver leur sphère d’influence dans cette partie de l’Asie.

Un pays troublé

Depuis plusieurs jours, le Népal vit aux rythmes des manifestations en faveur du retour de la monarchie. Par dizaines de milliers, les rues des principales villes du pays, dont la capitale Katmandou, se sont couvertes de drapeaux de l’ancienne monarchie défunte et de portraits du roi Gyanendra Shah. Monté sur le trône en 2001, après un parricide particulièrement sauvage, le dernier monarque du Népal a été contraint à l’abdication après sept ans de règne marqué par une tentative de restauration de l’absolutisme qui a précipité sa chute. Exilé de l’intérieur et bénéficiant de larges privilèges, que la coalition marxiste au pouvoir depuis 2017 a tenté vainement de faire retirer, le souverain reste une voix critique.

Il n’a pas hésité à remettre publiquement en question l’adoption de la laïcité et la fédéralisation du pays qui ont mis à mal l’unité du pays forgée sous le sceau du roi Prithivî Nârâyan Shâh au cours du XVIIIème siècle. Lorsqu’ils ont pu se hisser au pouvoir après une longue rébellion d’une décennie et avec la complicité du Congrès népalais, pourtant soutien à la royauté des Bir Bikram Shah, les communistes et marxistes-léninistes ont été porteurs d’espoirs. Rattrapés par la réalité des affaires, le Népal connaît aujourd’hui une grave crise économico-sociale que la crise du Covid-19 a achevé de plonger dans une instabilité politique chronique. Aujourd’hui les partis de gauche sont à couteaux tirés et les monarchistes se sont engouffrés dans les multiples brèches ouvertes par le gouvernement.

Kamal Thapa fédère les monarchistes

Le Rashtriya Prajatantra Party est ainsi une épine dans le pied d’argile de la République fédérale. Ultra-monarchiste et hindouiste convaincu, Kamal Thapa a réussi à fusionner sous le nom de son mouvement toutes les composantes royalistes du pays. À la tête de la première force politique extra-parlementaire, l’ancien (deux fois) vice-premier ministre tire actuellement à boulets rouges sur les marxistes, les Chrétiens qui essaiment et menacent l’identité religieuse du pays selon lui ou encore contre la Chine et l’Inde qui se disputent le contrôle du Népal. New Delhi ne fait pas mystère de son soutien public au roi Gyanendra Shah, l’Inde l’a rencontré à de nombreuses reprises. Au grand dam de Pékin qui a récemment dépêché une délégation afin d’imposer sa médiation dans le conflit opposant les maoïstes dissidents et les marxistes-léninistes et empêcher le retour à l’ancien régime qui s’est acheté une bonne conduite aux yeux des Népalais. Un souverain qui vient justement de débarquer dans l’Est du pays et devrait rencontrer les différents leaders royalistes du pays afin de discuter de la situation du pays. Le Népal va-t-il retrouver sa monarchie ? Le Congrès népalais, principal parti d’opposition, reste encore très frileux quant à cette perspective et rejette toute proposition de référendum en ce sens. «La monarchie ne reviendra pas au Népal. Les manifestations pour son rétablissement se poursuivent en raison de l’incompétence du gouvernement Oli à gouverner », croit savoir Sher Bahadur Deuba, ancien Premier ministre, qui minimise la portée de ces rassemblements dont le principal slogan est « Roi, reviens nous sauver ». « Notre nation doit retrouver évidemment sa monarchie et son statut d’état hindou. Tant que nous n’atteindrons pas notre objectif, nous nous battrons pour cela » lui ont répondu en cœur les monarchistes, le 27 décembre dernier.

Dans tes gênes!


Il manquait une rubrique scientifique dans Causeur. Peggy Sastre vient combler cette lacune. À vous les labos!


L’humain est ainsi fait qu’il lui est difficile de faire le mal sans raison et, surtout, sans raison qui ne lui donne l’impression de ne pas le faire. S’il peut y avoir 1 ou 2 % d’authentiques psychopathes dans une population, 98 à 99 % des gens devront toujours se trouver au préalable une excuse, un prétexte, un récit pour parvenir à nuire à leurs congénères en étant persuadés de la justesse, voire de la bienveillance de leur dessein. Une logique qui reste la même quelle que soit l’envergure du dommage. C’est celle du voisin qui déverse sa poubelle dans votre boîte aux lettres parce qu’il trouve que vous avez été trop bruyant en rentrant hier soir. Ou du taliban qui vide son chargeur dans la tête d’un écolier de Peshawar pour le punir d’être le fils d’un soldat d’une armée qu’il combat depuis des lustres. Dans les deux cas, l’envie de cruauté n’est pas suffisante pour motiver le passage à l’acte, il est nécessaire d’en faire un terreau moral où les racines du mal seront invariablement et a priori plantées chez son adversaire désigné – « c’est pas moi qu’ai commencé ».

Justification morale

Un tel processus de « justification morale », comme l’a conceptualisé le psychologue canado-américain Albert Bandura, est une formidable baguette magique. Grâce à elle, des actions intrinsèquement destructrices se voient transformées en démarches individuellement et collectivement acceptables, si ce n’est recommandables. Et plus les causes qu’on s’imagine servir sont grandioses, plus durs et nombreux seront les coups permis, la bonne conscience enflant à mesure que l’ineptie des premières le dispute à la violence des seconds. « Certainement qui est en droit de vous rendre absurde est en droit de vous rendre injuste », écrit Voltaire. Les humains ont cette propension à tuer « pour des idées fumeuses plus férocement que d’autres créatures tuent pour manger », ajoute cent soixante-dix-huit ans plus tard l’anthropologue américain Loren Eiseley. En nous dotant d’un système de valeurs qui nous attribuera forcément le plus beau rôle, la morale occulte par la même occasion toutes les effusions de sang requises pour que nos si fameuses « meilleures intentions du monde » en viennent à se concrétiser.

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Plus précisément, lorsqu’il s’agit de déterminer ce qui nous semble moralement bon ou mauvais, nous formons des croyances qui ne sont pas comme les autres, notamment en ce qu’une fois intégrées, elles résistent beaucoup mieux à l’autorité. En outre, les humains ont tendance à être objectivistes dans leurs croyances morales : ils ne les jugent pas comme de simples préférences, au bout du compte toujours relatives, mais y voient des manifestations du vrai ou du faux. Ce qui fait qu’ils ont toutes les difficultés du monde à ne pas considérer comme déviants les comportements de leurs congénères qui y contreviennent et n’ont que peu de velléités de compromis. Les convictions morales sont ainsi considérées comme des prescriptions universelles, régissant ce que chacun « doit » ou « devrait » faire. Que d’autres personnes enfreignent ces attentes et contestent leurs opinions peut susciter de fortes réactions émotionnelles susceptibles d’aller jusqu’à la violence. En termes cognitifs, c’est la face noire de la morale. Scott Philip Roeder, qui décida le 31 mai 2009 d’abattre en pleine messe le Dr George Tiller parce qu’il dirigeait une clinique d’IVG dans le Kansas était animé par de profondes convictions morales qui lui ont fait percevoir son geste comme un impératif. Idem pour tous les extrémistes, qu’importe la diversité de leurs obédiences : la force de leurs valeurs morales fait qu’ils sont plus disposés à accepter la violence lorsqu’ils la voient servir leur cause.

La face noire de la morale au cœur de notre cerveau

Publiée le 16 novembre dans la revue American Journal of Bioethics Neuroscience, une étude menée par des chercheurs de l’université de Chicago dirigés par Jean Decety, docteur en neurobiologie et professeur de psychologie et de psychiatrie, éclaire ce tableau d’un peu de physiologie et cible la face noire de la morale au cœur de notre cervelle. En l’espèce, ce travail identifie les mécanismes cognitifs et neuronaux spécifiquement associés à la justification de la violence sociopolitique et montre que leur activation est fonction de la force des convictions morales portées par les individus concernés.

Pour ce faire, les chercheurs ont passé des annonces dans la région métropolitaine de Chicago où ils ont recruté 32 personnes se définissant comme de gauche (18 femmes et 14 hommes âgés en moyenne de 23 ans, l’échantillon allant de 18 à 38 ans) qu’ils ont ensuite interrogés sur des sujets caractéristiques du clivage progressiste/conservateur (avortement, immigration illégale, aide extérieure, taux d’imposition, limitation du pouvoir de l’État, etc.). Lors de l’expérience à proprement parler, les cobayes devaient regarder des photos de récentes manifestations ayant tourné à l’émeute qui, sans qu’il soit possible d’en déterminer les enjeux véritables, étaient censées défendre les causes qui leur étaient plus ou moins chères. Consigne : en trois secondes, indiquez sur une échelle de 1 à 7 si ces violences vous paraissent ou non justifiées. Pendant ce temps, les scientifiques surveillaient leur cerveau par IRM fonctionnelle, histoire de voir quels circuits étaient en train de s’activer. Decety et ses collègues avaient émis deux hypothèses : soit l’effet des convictions morales allait être d’atténuer le processus normal d’inhibition des pulsions antisociales, soit elles devaient augmenter la valeur subjective que les participants pouvaient accorder aux actions violentes qui leur étaient présentées.

Les résultats penchent vers la seconde option car ce sont le striatum et le cortex préfrontal ventromédian, régions impliquées dans le circuit de la récompense, du plaisir et de la prise de décision, qui s’activent avec une intensité proportionnelle à la force des convictions morales. À l’inverse, ces zones du cerveau sont restées relativement silencieuses quand les participants n’approuvaient pas les violences qui leur étaient présentées. En résumé, selon que la flambée de violence semblait ou non aller de pair avec leurs convictions sociopolitiques personnelles, les participants ne la peignaient pas de la même couleur morale – ils la voyaient en bien s’ils pensaient qu’elle servait une cause qui leur plaisait, mais en mal dans le cas contraire. Ce qui indique bien que la force d’une conviction morale est capable de contrecarrer l’aversion naturelle que ressent presque tout un chacun rpour le mal infligé à autrui.

Référence : tinyurl.com/LeMalPourUnBien

La « Grande Réinitialisation »: le monde d’avant en pire

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Klaus Schwab, fondateur et président du Forum économique mondial, Davos, 19 janvier 2020.© Markus Schreiber /AP/SIPA AP22419738_000004

Le club de Davos lance un grand projet pour l’après-Covid. En dépit des promesses d’un monde meilleur que celui d’avant la pandémie, The Great Reset annonce l’accomplissement de toutes les tendances néolibérales, technocratiques et antinationales préexistantes. Souverainistes, sur vos gardes !


Ce printemps, l’Occident, d’ordinaire si prompt à célébrer le retour des belles saisons, s’est tu, confiné entre ses murs, reclus dans ses foyers ; et très tôt, d’aucuns ont commencé à conjecturer quant à l’opportunité, voire la nécessité d’un « monde d’après ». Certains ont même vu dans les événements qui se jouaient les signes irréfutables d’un nouveau millénarisme, révélation d’un plan ordonné par une coterie de puissants : le « monde d’après » ne surviendrait qu’après une « Grande Réinitialisation » (Great Reset), un nouveau départ pour l’humanité dont la crise sanitaire serait l’élément déclencheur.

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Le prophétisme des « élites mondialisées »

Le concept de « Grande Réinitialisation » a été popularisé en mai, au cours d’une séance virtuelle du Forum économique mondial (plus connu sous le nom de forum de Davos), alors qu’une grande partie du monde était entrée en confinement. Présenté par le prince Charles et par Klaus Schwab, ingénieur et économiste allemand, fondateur du Forum, ce thème suscite rapidement l’intérêt médiatique. Il alimente aussi nombre de « théories » conspirationnistes, tandis qu’il recueille la faveur du candidat Joe Biden et suscite un plaidoyer volontariste de Justin Trudeau en septembre devant l’ONU. Plus récemment c’est le – très décrié – documentaire Hold-up qui en a fait mention, contribuant à diffuser le concept en France.

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Partout, le schéma narratif employé s’avère peu ou prou le même : la crise démocratique, identitaire et environnementale que nous vivons serait le prétexte, voire la propédeutique à un changement de paradigme voulu et orchestré par les « élites mondialisées ». Cette rupture viserait à imposer aux peuples une gouvernance transnationale, technocratique et technologique, au service d’un capitalisme enfin débridé.

La grande convergence des peurs

Le xxie siècle en Occident est marqué par la peur et par la défiance : vis-à-vis d’États jugés défaillants dans la contention de la menace terroriste (échecs des interventions en Irak, en Afghanistan ou plus récemment en Syrie) ; vis-à-vis d’une technique dont la marche se heurte chaque jour un peu plus au conservatisme éthique (débats sur la 5G, sur la surveillance généralisée par la data, sur les biotechnologies) ; vis-à-vis d’une science inapte à prévenir la pandémie actuelle et d’une médecine en incapacité de la soigner ; vis-à-vis d’une démocratie ne parvenant pas à juguler les revendications minoritaires et identitaires ; et, enfin, vis-à-vis d’un capitalisme libéral condamné pour n’avoir pas su mettre fin aux inégalités sociales.

Ce phénomène de défiance est avant tout le regrettable aboutissement de plusieurs décennies de promotion de la pensée postmoderne et déconstructrice. Là où les prémodernes établissaient leur rapport au monde sur la base des catégories stables du passé, les modernes préféraient les lendemains heureux du Progrès. Quant à la postmodernité, comme le précise Sloterdijk, elle s’ancre dans un présent continuel, survalorisant la précarité des vécus personnels, glorifiant la subjectivité et les désirs de l’individu, oubliant que ce dernier fait avant tout société avec autrui dans et par l’Histoire. S’il est un procès que l’on peut intenter à l’intelligentsia de notre époque, c’est bien celui d’avoir fait triompher cette doxa postmoderne, si préjudiciable à la concorde entre les hommes.

De la sauvegarde du progressisme

Aussi centrale soit-elle dans la psyché contemporaine des foules, la postmodernité ne saurait cependant à elle seule justifier la crainte d’un complot visant à établir un « nouvel ordre mondial » sur la base de la « Grande Réinitialisation ». D’autres éléments d’explication doivent en effet être pris en compte. En premier lieu, il convient de ne pas négliger la terminologie employée : résonnant à dessein avec la « Grande Transformation » de Polanyi, comme avec la Grande Dépression qui a suivi le krach de 1929, elle se veut paradoxalement une réponse positive à la crise que nous traversons. Mais le vocabulaire convoqué (« Réinitialisation ») ne relève pas du soin ou de la protection ; il évoque plutôt la maintenance technique d’un système défaillant. Ensuite, il faut expliquer que le concept n’émane pas d’une réflexion philosophique, mais d’une proposition politique défendue par un groupe d’intérêts par ailleurs souvent critiqué : le forum de Davos n’est en effet nullement une institution officielle, mais un lieu de rencontre et d’échange entre décideurs – son fondateur Klaus Schwab étant fréquemment surnommé le « Maître des maîtres du monde ». Enfin, il importe de rappeler que la « Grande Réinitialisation » se présente sous la forme d’une nécessité. Plus qu’une simple alternative, c’est un projet porté à l’échelle mondiale, déjà inscrit comme thème principal du prochain forum économique de 2021.

Ce qui est en jeu, ce n’est pas tant l’avènement d’un véritable monde nouveau, mais bien l’accomplissement du progressisme environnementaliste et de son corrélat capitaliste

Il faut s’en référer à l’essai publié au cours de l’été par Schwab et Malleret (ancien conseiller de Michel Rocard) pour nuancer les craintes que la théorisation de la « Grande Réinitialisation » suscite. Les auteurs y précisent que la pandémie actuelle, bien que dramatique, est loin d’être la plus meurtrière de l’histoire ; ils considèrent toutefois que sa puissance symbolique est telle qu’elle plaide pour des réformes d’ampleur afin de répondre aux défis de notre époque en bâtissant « un monde moins clivant, moins polluant, moins destructif, plus inclusif, plus équitable et plus juste ». En réalité, ce qui est en jeu, ce n’est pas tant l’avènement d’un véritable monde nouveau, mais bien l’accomplissement du progressisme environnementaliste et de son corrélat capitaliste. L’approche défendue n’est pas celle d’un idéalisme, mais plutôt celle d’un pragmatisme : la réinitialisation dont il est question apparaît comme une tentative de dépassement définitif du conservatisme, du nationalisme et du souverainisme politique et économique. « La route de l’enfer est pavée de travaux en cours », écrivait Philip Roth dans Le Complot contre l’Amérique ; il faut croire que la « Grande Réinitialisation » est de ces chantiers à ciel ouvert qui continueront d’alimenter les fantasmes des badauds et les passions des riverains.

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Vraies et fausses gloires…

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Jean-Jacques Goldman.© GAILLARD NICOLAS/APERCU/SIPA Numéro de reportage : 00688935_000013

Les médias font la gloire de personnalités qui ne le méritent pas toujours. Entre clientélisme et ignorance.


Le terme « gloire » est peut-être excessif. Il va bien pour le titre. Je pourrais parler de célébrités, de ces personnalités connues et médiatisées dans divers secteurs de la vie: politique, culturelle, artistique, judiciaire ou évidemment médiatique.

À lire aussi, Ingrid Riocreux: Comment les médias progressistes nous vendent la « rédemption » de Johnson senior

Par « fausse » j’entends par là que pour qui les a regardées, écoutées, vues à l’oeuvre, il y a un hiatus considérable entre la lumière superficielle et abusive projetée sur elles et leur réalité concrète. Un gouffre entre leur affichage et ce qu’il en est de leurs mérites objectifs.

Les médias ont une incoercible propension à se tromper sur ce plan parce qu’ils vont systématiquement puiser dans un immense vivier empli par d’innombrables promotions, hyperboles, approximations, clientélisme, flagorneries, et parfois – il faut en convenir – par des vérités et des appréciations fondées.

J’ai en horreur la vanité ; non pas l’affirmation de soi qui est positive, mais l’exhibition de soi, et le refus qu’à cette idolâtrie personnelle se mêle la moindre critique, la plus petite nuance. Ce qui est insupportable, c’est la mise sur le pavois de professionnels au sujet desquels on est réservé. Comme si une injustice se commettait et qu’un aveuglement les gratifiait de ce qu’ils ne méritaient pas.

Nous ne comprenons pas pourquoi on les a fait sortir à ce point du lot

Il convient de distinguer. Il y a la subjectivité de notre goût, nos appétences intimes, notre conception de l’art et de la culture, notre définition de l’intelligence qui certes nous autorisent des discriminations, des hiérarchies, des rejets ou des admirations mais on les sait fondés sur notre seule intuition. Leur gloire nous semble fausse parce que nous ne comprenons pas pourquoi on les a fait sortir à ce point du lot. Notre décret est impérieux et n’a pas besoin d’être justifié, de se justifier. Royal est notre égoïsme, seul maître de ses dilections ou de ses rejets.

J’ai pu choquer par le ressassement à l’encontre de Claire Chazal, personnalité très estimable, mais qui n’a jamais su faire des interviews politiques dans la définition que j’en donne. Je suis apparu sans doute injuste pour certains mais cette perception ne prêtait pas à conséquence : elle n’émanait que de moi et compensait d’une manière infime l’encens médiatiquement et abusivement déversé.

Ainsi quand Eric Neuhoff, avec esprit, écrit que « Isabelle Huppert est la plus mauvaise actrice du monde« , on devine qu’il force le trait et se plaît à jeter le trouble, un peu moins de complaisance et d’adoration dans un monde tout entier dans le ravissement ! Rien ne nous oblige, sur ce terrain où nous avons droit à une autarcie absolue du jugement – qui n’interdit pas d’y mêler des considérations objectives qui viendraient compléter notre perception – à faire amende honorable à quelque moment que ce soit. Si on mesure que là où je suis sévère, un autre pourrait vanter. Il y a des célébrités discutables pour chacun d’entre nous dans la société du divertissement largement entendue. Et nous avons chacun notre humeur, notre empathie ou déplaisir pour nous guider.

Les surestimations médiatiques

C’est autre chose, évidemment, quand dans le milieu professionnel qu’on connaît, on est confronté à des surestimations médiatiques plus ignorantes que perverses. Je les ai souvent relevées, en matière judiciaire, de la part de médias qui confondaient la lumière apparente d’une « grosse » affaire (grosse pour plusieurs raisons) avec une aura qui tomberait mécaniquement sur son titulaire.

Cette dérive, malheureusement, peut sévir de manière interne quand les hiérarchies ont si peu de lucidité qu’elles s’appuient sur des critères biaisés et tombent malheureusement non sur les plus remarquables mais les plus visibles. Ceux qui font du bruit.

Les médias sont coupables, la plupart du temps, de cet exaspérant décalage entre les gloires qu’ils sélectionnent, parfois fausses, rarement justifiées, et la vérité des coulisses, l’objectivité des pratiques et des comportements. Entre ce qu’on vante sans tout savoir et ce qu’on sait sans pouvoir en parler. Rien n’est plus pénible, douloureux, de devoir s’abstenir quand on est au fait, qu’on connaît les ombres et les failles mais que cela n’empêchera pas des portraits configurés sous le soleil éclatant de l’ignorance. Il y a en effet des fausses gloires, des célébrités ridicules à force d’être déconnectées de l’authentique valeur.

L’intelligence négligée

Un ressort expliquant fondamentalement ces simulacres, dont certes on peut se désintéresser, mais je n’ai jamais péché par indifférence, provient des étranges critères avec lesquels les périphériques de l’action, les observateurs de la scène principale, notamment les journalistes, jugent les protagonistes. Je témoigne que dans les débats médiatiques on se retrouve confronté parfois au même constat. L’intelligence est trop négligée, on n’attache pas suffisamment d’importance à l’aptitude ou non à savoir se dégager des poncifs, des banalités tellement incontestables qu’il est inutile de les proférer.

L’intelligence véritable est celle qui ajoute de l’imprévisible, de l’inventif, du nouveau, du non pensé ou du non dit – le contraire du commentaire et de la paraphrase – au socle qui nous est indivis, à notre disposition avec ses vérités toute faites, ses évidences toute mâchées et ses consensus si confortables. L’intelligence est ce qui éclaire autrement un chemin déjà beaucoup battu. Les fausses gloires sont celles dont on s’émerveille et qui jouissent d’être traitées pour ce qu’elles ne sont pas.

À lire aussi, Sylvain Quennehen: Le règne de l’image est un retour au bac à sable

Les vraies, les célébrités devant lesquelles on s’incline ont pour dénominateur commun d’échapper profondément à l’arbitraire médiatique, d’être promues et vantées par le citoyen, aimées par le peuple. Un Jean-Jacques Goldman durablement au faîte en est le meilleur exemple.

Trump et Twitter: quand Ubu est remplacé par Big Brother…

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Le site Twitter a suspendu le compte de Donald Trump © Amer Ghazzal/Shutterstock/SIPA Numéro de reportage : Shutterstock40817988_000004

Si Jérôme Leroy se félicite qu’on n’entende plus désormais Donald Trump, il craint qu’avec la censure 2.0 mise en place par les Gafa on ne gagne pas forcément au change.


Donald Trump, au cours des quatre ans de sa présidence, a publié 59 553 tweets. Je vous laisse faire la division pour trouver la moyenne quotidienne mais c’est tout de même de l’ordre de l’addiction chez lui, comme le golf et la junk food. Quand il a convoqué ses fans le jour du 6 janvier, pour manifester à Washington et protester contre la certification des résultats de l’élection par le Congrès, cela a été par Twitter.  On a vu le résultat. 

Chauffés à blanc

Le gratin de l’ultradroite américaine constituée de charmants individus partisans du suprématisme blanc et des théories conspirationnistes de Q-Anon, était au rendez-vous. Avec de beaux drapeaux confédérés et des t-shirts célébrant Auschwitz, ils ont envahi le Capitole. Un genre de 6 février 34 à l’américaine à cette différence que les émeutiers du 6 février 34 n’étaient pas chauffés à blanc par le chef de l’État ou du gouvernement. 

Locaux deTwitter à New York. Le rôle délétère du discours victimaire islamiste diffusé sur les réseaux sociaux est pointé du doigt, dans le meurtre odieux de Conflans-Sainte-Honorine © zz/John Nacion/STAR MAX/IPx/AP/SIPA Numéro de reportage: AP22503303_000004
Locaux deTwitter à New York. © zz/John Nacion/STAR MAX/IPx/AP/SIPA Numéro de reportage: AP22503303_000004

En France, dans la sphère médiatique qui va de l’extrême-droite à la gauche qui n’est plus de gauche, on a parfois risqué la comparaison avec les Gilets jaunes. À droite, pour dire, que c’était le peuple en colère et dans la gauche qui n’est plus de gauche pour discréditer un authentique mouvement de protestation contre la misère. On voit que ça ne tient pas. On peut ne pas être partisan de Trump et dire que les nazillons à l’assaut du Capitole n’étaient pas représentatifs de ses 74 millions d’électeurs. Et que ces dangereux excités n’étaient pas là pour protester contre la crise économique mais beaucoup plus simplement pour nier les résultats d’une défaite sans appel encore aggravée par Trump lui-même dont le déni halluciné a permis l’élection de deux sénateurs démocrates en Géorgie, ce qui revient à imaginer Arlette Laguiller élue maire de Neuilly.

A lire ensuite, Gabriel Robin: Donald Trump: le show est fini

Trump vaporisé

Après ces événements qui ont tout de même fait cinq morts, Twitter et son PDG, Jack Dorsey, ont tout simplement suspendu le compte de Donald Trump. On pourrait y voir une illustration de la phrase prononcée dans l’évangile selon Mathieu par Jésus, le soir de son arrestation quand il frappe un serviteur qui s’apprête à le défendre contre les soldats romains : « Qui a vécu par l’épée périra par l’épée ». Trump a vécu par et pour Twitter, et c’est Twitter qui le fait disparaître comme disparaissent les personnages d’Orwell dans 1984 : en le « vaporisant ». On notera pour l’histoire que le dernier des 59 553 tweets de Trump était pour dire, mais on s’en doutait un peu, qu’il n’assisterait pas à la cérémonie d’investiture de Biden.

Totalitarisme invisible

Il y a pourtant quelque chose de gênant, et même un peu plus que ça, dans la décision du réseau social : c’est qu’une entreprise privée dispose d’une telle puissance. Réduire au silence un individu, même aussi dangereux que Trump, inquiète. Trump appartenait finalement à une tradition hélas ancienne, celle des chefs d’État habités par une pulsion autoritaire. Ne plus l’entendre est un soulagement pour la raison et la décence.

Prenons garde cependant à ce que cet autoritarisme vintage de Trump, qui n’a pas réussi malgré tout à renverser les institutions américaines, ne soit pas remplacé par un totalitarisme invisible, celui du capitalisme des GAFA, qui décideront qui peut parler et qui ne le peut pas, sans rendre de comptes à personne. 

Remplacer Ubu par Big Brother, pas sûr que la démocratie y gagne au change.

La France peut-elle accueillir tous les Laye Fodé Traoré du monde?

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Stéphane Ravacley, un boulanger de Besançon employant un Guinéen en situation irrégulière s’est mis en grève de la faim il y a une semaine. Plus de 200 000 internautes ont depuis signé une pétition pour que l’apprenti ne soit pas expulsé. Selon eux, il faudrait “évidemment” régulariser le jeune migrant car il s’est intégré par le travail.


Interrogée sur le cas de Laye Fodé Traoré lors d’un déplacement dans le Doubs, la ministre du Travail Elisabeth Borne s’est contentée de dire qu’il s’agissait d’un cas particulier sur lequel “la justice administrative devrait se prononcer. » Sans un mot sur les difficultés provoquées par l’immigration clandestine dans le pays, la ministre techno a indiqué devant les journalistes ce qui la préoccupait véritablement : la France manque d’apprentis. “Il est vrai que nous devons former plus de jeunes dans certaines filières” a-t-elle affirmé, sans préciser si le gouvernement envisageait de remplir ces filières en orientant davantage les jeunes vers l’artisanat plutôt que vers les facs saturées… ou en faisant appel à plus d’immigration.

Venu en Europe en bateau gonflable

Laye Fodé Traoré aurait quitté sa Guinée natale en 2016 sur les conseils de sa mère adoptive, pour qu’il ne lui arrive rien de mal. Mineur, il parcourt le Mali puis la Libye, et il aurait ensuite traversé la mer Méditerranée seul sur un bateau gonflable pour gagner l’Italie. Il prend le train, et se retrouve à Nîmes. Dans la préfecture du Gard, une association l’envoie vers une autre structure à Gray, en Haute-Saône. Là, il recherche du travail en tant que plombier, sans succès. Sur les conseils de sa médiatrice, il accepte de travailler pour La Hûche à pain, boulangerie située rue Rivotte à Besançon. Le patron se réjouit de ce recrutement, le Guinéen étant selon lui “un super gamin qui parle français mieux que [lui]” et aussi “suffisamment motivé pour se lever à 3 heures du matin”. Fin d’une belle histoire ? Non. 

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Fodé Traoré a perdu le statut de mineur isolé. La préfecture, estimant qu’il est désormais majeur, a l’idée saugrenue d’envisager de l’expulser ! Elle indiquait il y a quelques jours que les documents présentés par le jeune immigré n’étaient pas conformes. Et lui a adressé une obligation de quitter le territoire français, ce qui fait peur mais n’est que très rarement suivi d’effets. Depuis, l’affaire a pris un tournant médiatique. Sorte de Cédric Herrou des fournils, Stéphane Ravacley – 24 ans dans la boulangerie – ne peut plus faire travailler le jeune Guinéen, et est à la pointe de la contestation. Il a entamé une grève de la faim dimanche dernier pour faire parler de l’affaire et contester la décision de l’administration concernant son mitron. 

Des pleurs sur le plateau de Cyril Hanouna

Il s’est notamment épanché au micro complaisant de France inter, radio qui a fait connaitre la pétition protestataire qui a dépassé les 200 000 signatures en quelques jours : “On ouvre les portes à un gamin et on lui dit : T’en fais pas, on te protège tu risques rien. On lui alloue de l’argent, on le loge. Et deux ans plus tard, on lui dit : non ce beau rêve dans lequel tu étais, il n’existe plus, tu rentres chez toi !” En mettant en avant le caractère émouvant du parcours du jeune immigré dans les journaux, en pleurant sur le plateau de Cyril Hanouna, des questions légitimes ont été écartées, nous allons y venir.

Sous la pétition en ligne, c’est la grande litanie des bons sentiments. Les réactions sont unanimes. Albin s’indigne: “la France a-t-elle vraiment envie d’être indigne des Droits de l’Homme?” Corinne observe que, “pour Laye mais aussi pour tous ceux qui se sont intégrés et ont trouvé et fait leur place parmi nous, ils ne « prennent » rien ils apportent.” Selon Claire, “après tout ce chemin parcouru, l’absurdité d’expulser ce jeune homme est évidente.” Renée s’autorise une remarque plus philosophique : “Nous humains, nous devrions avoir le droit de vivre libre sur le sol que nous avons choisi”.

L’assimilation à la française en panne

Enfin, Catherine fait part de son expérience. Si elle signe elle aussi la pétition, elle n’en reconnait pas moins que certains immigrés posent des difficultés : “Mon compagnon est étranger et nous sommes dans l’attente de son titre de séjour. Il est inadmissible de faire attendre des personnes qui se sont intégrées ou ont fait des formations, qui parlent bien le français et qui bossent. A coté de ça quand je vais à la préfecture je suis dégoûtée de voir le nombre de familles qui ont plein de gosses, qui ont donc plein d’aides diverses et ne parlent pas le français ! Je connais même une personne qui vit en France depuis six ans qui ne sait ni lire ni parler notre langue, qui a fait de fausses déclarations à Pôle emploi (…) il faudrait commencer par faire du tri pour ceux qui ne foutent rien et qui nous coûtent une blinde au lieu de vouloir mettre dehors ceux qui méritent.”

A lire ensuite, Michel Aubouin: Le français, tu le parles ou tu nous quittes!

Avec un soutien aussi important, l’intégration de notre jeune mitron est-elle assurée ? L’avenir le dira. Le dossier du Guinéen aurait été repris en haut lieu par les autorités à Paris, croit savoir la presse locale… L’assimilation par le travail et la bonne maîtrise du français plaident évidemment en faveur de M. Laye Fodé Traoré, mais sa bonne intégration dans la société française ne peut aucunement être garantie par qui que ce soit. Une pétition, un chantage à la grève de la faim et des éditoriaux de gauche tous similaires ne sont pas l’assurance d’une régularisation.

Ces questions que les pétitionnaires écartent

On a dit que le Guinéen était arrivé seul par la mer. En réalité on n’arrive jamais véritablement seul, et cela fait partie du problème alors que le multiculturalisme – et son cortège de revendications communautaires et de fiertés mal placées – est entré depuis de nombreuses années en conflit avec le modèle autour duquel la France s’est construite. En effet, les individus sont porteurs d’habitudes, de codes, de modes de vie ou de pensée venus d’ailleurs, ce qu’explique très bien Bérénice Levet dans son dernier article sur l’assimilation. La philosophe y établit un diagnostic inquiétant de notre situation : “Avec l’universalisme et la laïcité, l’assimilation est une singularité française. De ces trois piliers, tous branlants aujourd’hui, l’assimilation est le plus chancelant.” Si les généreux pétitionnaires – qui signent en trois clics et peuvent montrer leur belle âme sur les réseaux sociaux – ne se les posent pas, des questionnements sous-jacents sont toujours latents dans ce type d’affaire. 

Tout d’abord, quel volume de mineurs de bonne volonté en provenance d’un continent malheureux et à la démographie galopante la France est-elle en mesure d’accepter ? Et a-t-elle les moyens d’écarter ceux dont la volonté d’intégration n’est pas réelle, dans un contexte de hausse des flux ?

Ensuite, en acceptant de garder Laye Fodé Traoré sur le sol français, quel signal envoyons-nous à toutes les mères souhaitant mettre leur progéniture à l’abri du danger ? Combien d’entre elles en Afrique sont déjà en train de penser à envoyer leurs fils sur les routes de l’exil ? 

A lire aussi, Bérénice Levet: L’assimilation, une ambition française

Comme M. Fodé Traoré est entré sur le territoire national en bafouant la loi, passe-t-on l’éponge sur ce point ? L’assimilation par un dur travail est-elle le seul critère qui doit nous préoccuper ? Et qui ira s’assurer du bon niveau de français évoqué par le patron ? 

Et si la boulangerie ferme?

Enfin, si la boulangerie de Monsieur Ravacley venait à fermer des suites de la crise économique liée au covid, est-on certain que ce dernier continuerait de soutenir le jeune immigré ? S’il ne le fait pas, sa subsistance devra-t-elle alors reposer sur la solidarité nationale ? 

Avec le chômage et l’insécurité, l’immigration apparait comme une des préoccupations majeures de l’opinion. Ceux des Français qui l’évoquent inlassablement étude après étude et qui ont les pires craintes sur cet afflux permanent ne supportent plus le chantage moral continu propre aux affaires du type de la boulangerie de Besançon. Si leur parole est déjà écartée des ondes de France inter, elle est également ignorée par la classe politique depuis des décennies. C’est un problème démocratique considérable. Un gouvernement aura-t-il le courage de dire en face des familles françaises que les métiers boudés – pourtant financièrement attractifs pour qui accepte de travailler beaucoup – ne sont définitivement plus pour elles si elles ne s’en emparent plus ?

A ne pas manquer: Jeunes de l’immigration, assimilez-vous ! Notre numéro de janvier

Cancel cul… quoi?

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Nancy Pelosy, le 3 janvier 2021 à Washington © Bill O'Leary/AP/SIPA Numéro de reportage : AP22527062_000015

Le jeune correspondant du Washington Post à Paris éclate de rire quand Alain Finkielkraut évoque le « politiquement correct » et la « cancel culture ». Des évènements plus graves l’inquiètent…


Samedi 9 janvier, l’émission Répliques d’Alain Finkielkraut (France Culture) a pour titre Regards croisés sur l’Amérique et sur la France. Les débatteurs sont James McAuley, correspondant du Washington Post à Paris, et le philosophe Pascal Bruckner.

Le Washington Post est ce journal de gauche américain qui, après l’assassinat de Samuel Paty et la décision gouvernementale de réfléchir enfin au séparatisme qui plombe la société française, titrait: « Au lieu de combattre le racisme systémique, la France veut réformer l’islam. » Il est le même journal qui compte maintenant dans ces rangs Rokhaya Diallo, recrutement dont la principale intéressée s’est bruyamment auto-félicitée et auto-louangée.

Il est encore ce journal dont une des rédactrices en chef, Karen Attiah, a prétendu dans un tweet que la France avait pour projet d’attribuer des numéros d’identification aux enfants musulmans.

Le politiquement correct et le néoracisme, pas vraiment un problème pour le Washington Post

Comme le fait remarquer James McAuley à la fin de l’émission, il est un jeune homme de 32 ans – rien ne lui fait peur: ni l’islamisation de certains quartiers en France, ni le néo-féminisme virulent, américain et maintenant français, ni la « cancel culture », ni les dérives diversitaires et identitaires et le « politiquement correct » qui pourrissent les campus américains et de plus en plus les universités françaises.

Il éclate littéralement de rire à l’évocation de ces broutilles[tooltips content= »https://www.franceculture.fr/emissions/repliques/la-divergence-france-amerique à 27min32″](1)[/tooltips].

Washington, le 6 janvier 2020 © Julio Cortez/AP/SIPA Numéro de reportage: AP22527680_000006
Washington, le 6 janvier 2020 © Julio Cortez/AP/SIPA Numéro de reportage: AP22527680_000006

Quelque chose de bien plus grave vient de se passer aux États-Unis, dit-il: « Une tentative de coup d’État contre le gouvernement américain encouragé par le président lui-même ! » Le jeune journaliste a déjà oublié toute son histoire américaine, même la plus récente, lorsque les démocrates essayèrent de renverser immédiatement après son élection le tout nouveau président des USA en 2016, échouèrent dans un premier temps puis revinrent à la charge, via une nouvelle procédure de destitution (impeachment) en 2019. La tentative de renversement était alors, symboliquement et pragmatiquement, plus réelle et possiblement décisive que l’entrée chaotique et bruyante de quelques dizaines d’énergumènes déguisés en Davy Crockett ou porteurs du drapeau des Confédérés dans le Capitole. Lors de ces deux tentatives avortées de destitution, James McAuley ne s’est pas écrié – comme il l’a fait ce 9 janvier à propos des évènements du Capitole : « C’était une tentative de renverser la volonté du peuple. »

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Aucun mot non plus sur la scandaleuse fermeture définitive du compte Twitter du président Trump réclamée par des démocrates américains apparemment admiratifs des méthodes du gouvernement chinois, Michelle Obama en tête. Nancy Pelosi, plus rugueuse et impatiente que jamais, demande que soit appliquée la possibilité de défaire le président en exercice : les 11 jours qui lui restent à vivre sous le joug du tyran lui sont insupportables. Apparemment, c’est aussi le cas de James McAuley.

Avec Biden, les combats racialistes et diversitaires pourraient redoubler d’intensité

Une chose essentielle vient de se produire aux États-Unis : le président élu Joe Biden va pouvoir s’appuyer sur une Chambre des représentants à majorité démocrate et un Sénat à majorité démocrate. Rien ne pourra entraver ce nouveau gouvernement qui devra satisfaire son électorat. Par conséquent, les combats racialistes et diversitaires pourraient redoubler, sous les yeux de Chimène d’une grande partie des politiciens démocrates. La déliquescence universitaire va se poursuivre. Le repli sur le groupe ethnique, sexuel (ou genré, LGBT…), identitaire, va prendre des proportions inédites.

La « discrimination positive » va s’appliquer partout, à l’université comme dans les entreprises; les meilleurs se verront écartés; les niveaux d’instruction et de compétences continueront de s’écrouler. Le « politiquement correct » et la « cancel culture » qui font tant rire James McAuley vont s’amplifier jusqu’à rendre totalement impossible la transmission des connaissances historiques, politiques, littéraires, philosophiques, artistiques, etc., nécessaires à la constitution d’une classe de citoyens cultivés. Le concept de Vérité disparaîtra sous le fatras orwellien de la réécriture, de la novlangue du politiquement correct et du relativisme, celle du techno-monde fait pour les anywhere, tandis que le Mensonge militant permettra les prises de pouvoir, de postes, de gratifications, de tribunes numériques et politiques, aux plus futés qui auront su ériger leur couleur de peau, leur « orientation sexuelle », leur « situation de handicap », leurs discriminations, etc., en porte-étendard d’une cause qu’ils diront universelle et qui ne sera qu’individuelle et narcissique.

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On peut craindre pire que l’invasion du Capitole

Tout est déjà là et va s’accélérer car les démocrates lâcheront sur tous les tableaux. Il n’est pas impossible qu’une partie de la population américaine se voyant déposséder de tout – travail, langue, culture, tradition, possibilité d’ascension sociale – devienne extrêmement violente, suicidaire et jusqu’au boutiste. La mini-insurrection du Capitole, même avec ses cinq morts (dont trois crises cardiaques), n’a été que le dixième du quart de la moitié de ce qu’a connu la France pendant plusieurs mois avec la crise des Gilets jaunes. Les Américains, plus brutaux, surarmés, ont malheureusement les moyens de faire beaucoup mieux, c’est-à-dire bien pire.

Enfin, pour conclure, il est évident que la presse de gauche américaine qui ne se gênait déjà pas sous Trump pour critiquer la France, son « racisme d’État », son islamophobie, sa police raciste, son faux universalisme, sa laïcité douteuse, etc., va continuer son travail de sape. Elle trouvera comme d’habitude de très efficaces relais en France même, journalistes crépusculaires ou de radio publique, universitaires de Paris 8 et affiliés, personnalités médiatiques très militantes ou “racisées”, féministes mi-figues misandres, associations diverses à but très lucratif. Mais elle trouvera aussi, mieux vaut qu’elle soit prévenue, des Français qui ne s’en laisseront pas conter. Parmi ceux-là, Alain Finkielkraut et Pascal Bruckner. Et votre serviteur, bien sûr !

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Répartition des migrants dans les régions: c’est non

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Jean-Paul GARRAUD photographié à Strasbourg © ISOPIX/SIPA Numéro de reportage : 00929422_000005

Une tribune libre de Jean-Paul Garraud, député européen (RN), qui estime que les régions n’ont pas vocation à devenir les sous-traitants des no borders franciliens.


Le 18 décembre dernier, la cour administrative d’appel de Bordeaux rendait une décision contestée. La cour a annulé l’arrêté d’expulsion d’un Bangladais vivant à Toulouse au motif que son pays souffrirait d’une pollution atmosphérique trop importante incompatible avec son asthme et ses apnées du sommeil… La préfecture de la Haute-Garonne a donc été désavouée, ce Bangladais devenant le premier « réfugié climatique » accepté en France. La préfecture de la Haute-Garonne peut encore saisir le Conseil d’État. Mieux, elle doit le faire car cette décision s’inscrit dans un contexte délétère et préoccupant auquel un terme doit être mis.

En effet, le gouvernement a décidé de ne pas s’occuper réellement de la folie migratoire qui a actuellement cours en France, préférant cacher sous le tapis l’ampleur des flux. Afin de réduire la pression pesant sur l’Île-de-France et d’en finir avec les campements sauvages parisiens, l’exécutif veut saupoudrer les « migrants » dans nos régions plutôt que de les expulser. Les mesures ont été présentées dans le « schéma national des demandeurs d’asile et d’intégration des réfugiés 2021-2023 » dont le dessein principal est de « désengorger la région parisienne », qui concentre à elle-seule 46% des demandes d’asile alors qu’elle ne disposerait que de 19% des capacités d’hébergement. Le gouvernement est animé par une logique jacobine égalitaire stupide qui le conduit à juger que les régions qui accueillent moins de « migrants » que ne le permettent leurs structures d’accueil seraient « déficitaires », devant par conséquent recevoir le surplus francilien selon des quotas statistiques.

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L’Occitanie qui reçoit actuellement 5% des demandeurs d’asile aurait ainsi pour objectif d’en recevoir 7% pour la période 2021-2023, en accord avec la loi du 10 septembre 2018 qui permet d’orienter un migrant « vers une autre région, où il est tenu de résider le temps de l’examen de sa demande d’asile », pour le cas où « la part des demandeurs d’asile dans une région (excèderait) la part fixée pour cette région pour le schéma national ». Problème: seule l’Île-de-France se trouve en situation d’excédent. Une situation qui s’explique au moins par deux raisons. La première, d’une logique biblique, est l’attractivité de cette région en matière d’emploi et de diasporas communautaires. Un Afghan, un Soudanais ou un Pakistanais trouveront en Île-de-France des nationaux prêts à les aider et à jouer de la débrouille pour leur « intégration », au moins économique. La seconde, plus pernicieuse, tient dans l’appel d’air provoqué par la mairie de Paris et Anne Hidalgo, dont l’idéologie sans-frontièriste sonne comme un encouragement à l’installation pour tous les migrants en quête d’un départ vers la France.

Nos régions doivent-elles payer pour les folies de la municipalité parisienne ? Non. Nos régions n’ont pas vocation à devenir les sous-traitants des no borders franciliens ou les exécutants des délires immigrationnistes de France Terre d’Asile qui semble avoir la main sur le gouvernement. Interrogée dans le Républicain Lorrain, Delphine Rouilleaut l’actuelle directrice de France Terre d’Asile se félicite des orientations décidées par le ministère de l’Intérieur: « (la réorientation des demandeurs franciliens vers les régions) est indispensable pour répondre au besoin de solidarité nationale dans la prise en charge des demandeurs ». Elle ajoute d’ailleurs, presque sur le ton de la menace, craindre que l’effort ne soit pas « suffisant ». Un effort qui est, en tout cas, observable régulièrement dans les rues de la capitale, théâtre de nombreuses manifestations de migrants avec le soutien d’associatifs et de responsables politiques de gauche, depuis la rentrée.

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On a ainsi assisté à des scènes surréalistes durant lesquelles des milliers de clandestins réclamaient leur régularisation, alors que dans le même temps restaurants et commerces étaient fermés pour raisons sanitaires ! Quant aux « migrants » de fraîche et de longue date, ils se sont tristement signalés dans la rubrique des faits divers ces derniers mois, que ce soit le terroriste tchétchène qui a décapité le professeur Samuel Paty ou le Pakistanais qui a cherché à reproduire les attentats de 2015 à Charlie Hebdo. Et encore, ne s’agit-il là que de la face émergée de l’iceberg d’une immigration ruineuse pour le budget de l’État, incontrôlée et aux conséquences sécuritaires, culturelles et sociales sans précédent. De quoi pousser Emmanuel Macron à adopter une rhétorique largement empruntée à Marine Le Pen quand, constatant l’ampleur des dégâts causés par la politique d’asile française, il se plut à déclarer que le droit d’asile était parfois dévoyé chez nous. De fait, le droit d’asile doit d’abord s’envisager comme une faveur accordée à titre individuel par la France et non comme une invitation lancée aux milliards de candidats au départ qui ne vivent pas dans des pays occidentaux.

Directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration, Didier Leschi explique que la France est laxiste dans son ouvrage Ce grand dérangement, l’immigration en face (Gallimard). Un livre en forme de mise au point écrit pour répondre tout autant à ceux qui « bien légitimement, éprouvent des sentiments d’angoisse, voire de colère, face à des intrus abusant de notre hospitalité, empiétant sur notre territoire, nos ressources et nos héritages » comme à ceux « qu’indigne, bien légitimement, le spectacle quotidien des naufragés à la dérive, […] d’une Méditerranée transformée en cimetière marin ». Le gouvernement a donc tout faux dans son appréhension du problème. Ce n’est pas aux régions de prendre en charge le surplus francilien : c’est à la France de mettre en place une politique dissuasive et une politique d’expulsions conséquente à même de réduire une pression migratoire subie depuis trop longtemps. Ouvrons les yeux.

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«Notre propre affaiblissement sociétal est devenu un handicap à l’intégration des immigrés»

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Directeur général de l’Office Français de l’Immigration et de l’Intégration, Didier Leschi vient de publier Ce grand dérangement aux éditions Tracts Gallimard. Dans cet ouvrage salutaire, il y analyse notre rapport à l’immigration. Entretien.


Causeur. En nommant votre livre Ce grand dérangement, n’avez-vous pas craint d’être amalgamé au camp des adeptes de la théorie du grand remplacement? 

Didier Leschi. Non parce que ce grand dérangement, c’est au sens où dès qu’on parle d’immigration, il y a une sorte de dérangement de l’esprit, ce qui fait que l’on perd la capacité de parler tout à fait clairement des choses. S’il s’agit en effet d’un renvoi en creux à cette théorie du « grand remplacement », c’est avec l’idée que lorsque l’on parle d’immigration, on a l’impression que, pour de bonnes ou de mauvaises raisons, la passion, et même parfois la déraison l’emportent. 

À vous lire, la France, n’a pas à rougir de la façon dont elle accueille ses immigrés…

Ce que je rappelle, c’est qu’il y a des immigrations de natures différentes. Ces dernières années, on a beaucoup polarisé les débats sur la demande d’asile mais notre particularité, c’est d’être depuis le milieu du XIXème siècle un grand pays d’immigration, qui en plus, octroie beaucoup plus facilement que d’autres la nationalité. C’est seulement à partir des années 2000 qu’en Allemagne que la nationalité s’ouvre par exemple. En Italie c’est aussi très récent. Chez nous c’est beaucoup plus ancien, il y a donc cette immigration de longue durée. Et il y a cette polarisation sur la demande d’asile. Là, on raisonne un peu à courte vue puisqu’au début des années 2000, la France était le premier pays d’Europe, en nombre, de demandes d’asile. Dans les crises aiguës, quand il y a des arrivées massives, les gens vont là où ils pensent que c’est le mieux pour eux. Je pense que le fond du débat ne doit pas porter sur la question du nombre, ceux qui se polarisent sur la question du nombre, qui font des calculs pour déduire qu’on a tant de réfugiés par tant de nombre d’habitants éludent les problèmes de fond qui sont les conditions économiques, sociales et culturelles de l’intégration.

Justement, vous avez parlé de l’acquisition de la nationalité française. Il y a encore trois ans, le niveau exigé de français pour avoir la nationalité était d’un niveau dit « B1 », soit un niveau intermédiaire, à l’oral uniquement. Qu’en est-il maintenant? 

Désormais, c’est B1 à l’écrit également. Mais si l’exigence a été renforcée pour l’acquisition de la nationalité, nous n’avons pas la même exigence en matière de visa et de renouvellement des titres de séjour qu’en Allemagne par exemple. Notre particularité, c’est que pendant très longtemps, on s’est plus focalisé sur l’apprentissage des langues régionales que sur le fait que le français est indispensable pour l’intégration des immigrés.

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Est-on assez exigeant au niveau linguistique avec les nouveaux venus sur notre sol si l’on souhaite réellement les intégrer? Quand je donnais des cours dans ce cadre en Seine-Saint-Denis, le niveau requis pour le renouvellement des cartes de séjour de dix ans était situé à A2 seulement, ce qui est faible. 

Je pense qu’on ne pose pas un niveau d’exigence suffisamment haut et qu’en conséquence, on ne favorise pas la volonté de l’effort. C’est un des sujets qui est devant nous. Ce sujet est amplifié par le fait que ces dernières années, on a vu arriver de plus en plus de personnes qui viennent d’espaces absolument non francophones ou qui n’ont pas d’histoire culturelle commune avec nous. En réalité, la question du nombre me semble secondaire par rapport au problème de l’approfondissement des écarts entre pays d’émigration et d’immigration. 

Vous évoquez l’appropriation de l’histoire. Certains organismes, tels que l’association Pierre Claver, travaillent en ce sens mais ils ne sont pas nombreux. Comment faire pour que les nouveaux venus s’approprient notre histoire ?

Nous n’avons pas suffisamment réfléchi à ce problème. Pendant très longtemps, l’immigration en France était essentiellement composée d’Italiens, de Portugais et d’Espagnols. Malgré le problème de la langue, nous avions plein de référents culturels en commun tels que la littérature, le mouvement ouvrier ou la foi. L’Église a eu un rôle important dans l’accueil et l’intégration des Italiens. Au niveau de l’OFII, sans doute n’a-t-on pas mis à jour assez tôt nos programmes ce qu’on appelle « connaissance des valeurs de la République » par rapport à ces nouveaux publics. Dans la politique publique, il y a un retard d’adaptation du contenu de l’instruction civique par rapport à des publics qui sont aujourd’hui beaucoup plus éloignés de nous qu’ils ne l’étaient hier. 

J’insiste, comment pourrait-on favoriser cette appropriation de notre « roman national », qui semble essentielle, d’autant plus pour des gens qui viennent de pays très éloignés culturellement tels que l’Afghanistan? 

Ce n’est pas simple, je ne sais pas si le mot « favoriser » est adapté car en réalité, il faut voir au-delà. Il s’agit de voir comment faire en sorte qu’il y ait une appropriation réelle. Je suis intimement convaincu que cette appropriation réelle suppose que l’effort d’apprentissage soit valorisé. La délivrance du titre de séjour pluriannuel par exemple, devrait être beaucoup plus adossée à la vérification de l’appropriation d’un certain nombre d’éléments de notre culture et de notre histoire. 

Dans son émission Répliques, Alain Finkielkraut vous a déjà embêté avec cet article d’un journaliste syrien relatant une journée de formation aux valeurs de la République lors du « Contrat d’intégration républicaine » dans un organisme travaillant pour l’OFII, et lors duquel une interprète franco-marocaine n’a pas caché tout le mal qu’elle pensait de la France tout en se vantant d’y toucher des prestations sociales… 

C’est malheureusement vrai, mais il faut remettre cela dans le contexte, même si c’est inexcusable. L’OFII organise environ 500 000 journées comme cela par an! Et ce n’était pas une employée de l’OFII. Quand j’ai su cela, j’ai écrit immédiatement au directeur de l’organisme pour dire que je souhaitais que cette interprète ne soit plus utilisée pour les formations de l’OFII. 

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Dans votre livre, vous semblez regretter la fin du service national, de la culture ouvrière et l’érosion du christianisme social. Comment pourrait-on renouer avec ce lien social perdu? 

C’est un enjeu majeur de société. Notre propre affaiblissement sociétal est devenu un handicap à l’intégration des immigrés. Cet affaiblissement est lié à une disqualification de références qui étaient communes. Il est évidemment souhaitable que l’on arrive à créer à nouveau ce lien social. Est-ce qu’on peut? Je ne sais pas car je ne peux pas lire dans le marc de café. 

Cela fait des années qu’on dit que notre système d’intégration est en panne, et vous le répétez fort justement dans votre livre. L’essentiel des flux migratoires venant du regroupement familial, l’heure n’est-elle pas venue d’y mettre fin? 

Je pense que c’est une fausse question. Le vrai enjeu, c’est le découplage entre immigration et travail. Si l’immigration familiale qui arrive pouvait facilement s’intégrer au marché du travail, cela aiderait à l’intégration. Ce qui nous inquiète, ce sont les phénomènes de fermeture. À mon avis, ils ne sont pas liés au nombre. De plus, il faut savoir que la majorité du regroupement familial est composée des rapprochements de conjoints de Français. L’autre partie, celle qui concerne les résidents non Français, représente aujourd’hui autour de 15 000 personnes par an. Le problème du regroupement familial, il vient quand une partie du regroupement est dans une situation d’enfermement communautaire, indépendamment de sa nationalité. 

Mais il y a des cas d’Orientaux présents depuis plusieurs années, qui ont fait de grands efforts d’intégration et lorsqu’une conjointe ou de la famille arrive du pays d’origine, ils sont à nouveau aspirés par leur culture d’origine!

Tout à fait, et c’est ce que je résume quand je dis que la particularité de la période, c’est que les écarts entre pays d’émigration et d’immigration se sont durcis, en particulier à partir de la conscience religieuse.

À ce sujet, comprenez-vous qu’une partie des Français ait peur d’une islamisation de la France accentuée par l’accueil d’immigrés venant de pays musulmans? 

Il y a une crainte politique et sociétale qui est compréhensible puisque la pression islamiste est une pression extrêmement forte au niveau mondial. Il est donc légitime que des gens s’interrogent pour savoir si on va échapper ou non à cette pression. 

Dans un sondage IFOP de décembre 2018, deux tiers des Français estimaient que l’immigration avait un effet négatif sur la sécurité. Y a-t-il un lien entre insécurité et immigration? 

Il y a un lien, qui n’est pas automatique, entre situations sociales précaires et délinquance d’appropriation. En grande partie, cela est lié à l’absence de perspectives de travail. Dans certaines zones touchées par la désindustrialisation, il y a une, voire deux générations, où des personnes sont sans travail. Pour ces personnes, la perspective de ressources se fait par exemple avec la drogue. Mais il ne faut jamais oublier que le marché de la drogue, c’est un transfert de richesses entre les couches sociales aisées et les couches sociales pauvres, qui se passe en grande partie à partir de nos enfants. Ce transfert de richesses se fait aux dépens de tous et au profit de quelques-uns. 

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Une dernière chose: un couple d’Iraniens dont l’homme s’est converti au christianisme a été condamné à mort en Iran selon leur avocat, l’homme pour apostasie, la femme pour adultère. Fin décembre, l’OFPRA (Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides) a refusé leur deuxième demande d’asile, ce qui a indigné leur avocat et une partie de l’opinion. Cette situation est-elle normale? 

J’ai vu cela oui, mais je ne connais pas le dossier donc je ne peux pas me prononcer. Etre officier de protection à l’OFPRA demande une technicité extrêmement forte. C’est un métier très dur qui suppose une connaissance très forte des pays d’où viennent les demandeurs d’asile! Et tout l’enjeu est de protéger le droit d’asile, c’est-à-dire de faire en sorte que n’en profitent pas des gens qui n’en relèvent pas. La difficulté est que la connaissance intime des pays ne peut pas toujours s’appuyer sur des visites de terrain, on n’envoie pas facilement des agents vérifier des dires en Afghanistan, par exemple, et tous les Afghans qui demandent l’asile en Europe ne sont pas nécessairement anti talibans. Dans nombre de pays, on ne dispose pas de réseaux d’organisation par critères. Cette situation est très différente de celle de l’immigration espagnole après la guerre civile par exemple, où des partis républicains d’Espagne aidaient l’Office central pour les réfugiés espagnols à faire le tri.

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Sahel: l’impasse

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Cérémonie d'hommage national en présence de Florence Parly, au maréchal des logis Tenarii Mauri et aux brigadiers Quentin Pauchet et Dorian Issakhanian, 5 janvier 2021, Thierville-sur-Meuse. © MORGAN DURAND/ARMEE DE TE/SIPA Numéro de reportage : 00998630_000009

L’analyse de Jean-Baptiste Noé, rédacteur en chef de la revue de géopolitique Conflits


L’année 2021 a débuté dans la douleur pour l’armée française avec cinq soldats tués, à chaque fois des morts causées par des explosions de mines. Il appartient aux services adéquats de l’armée de terre de vérifier la sécurité de ses soldats et la capacité des véhicules de transport à résister à ce type de charge. Mais au-delà de ces morts, ce pourrait être l’occasion de s’interroger de façon profonde sur la notion de terrorisme et ses corollaires : la lutte contre le terrorisme et la présence de l’armée française dans le Sahel.

Terrorisme: une erreur de concept

Depuis plusieurs années nous sommes victimes d’une intoxication intellectuelle autour de la question du terrorisme. Dire que nous sommes « en guerre contre le terrorisme » ou que nous luttons contre les terroristes n’a pas de sens. Le terrorisme est une stratégie militaire, non un adversaire. On ne lutte pas contre le terrorisme, de la même façon que l’objectif final ne peut être la lutte contre les conducteurs de chars ou les pilotes d’avion. Or depuis les attentats de 2001, le terrorisme est présenté comme une personnalité et un tout, chose qu’il n’est pas. Au moment de la guerre d’Indochine et durant la guerre d’Algérie, l’armée française ne luttait pas contre le terrorisme, mais contre les Vietminh ou les fellagas, qui faisaient usage du terrorisme comme stratégie militaire. Nous sommes ici intoxiqués par le refus de nommer l’adversaire que nous combattons, soit parce que nous ne voulons pas le nommer, soit parce que nous ne voulons pas reconnaitre que nous n’avons pas d’adversaire.

Contre qui sommes-nous en guerre au Sahel : le Mali, le Niger, des groupes touaregs ? Apparemment non. Éventuellement on dira ici et là que nous sommes en guerre contre l’islamisme. C’est déjà un peu plus précis, mais c’est tout autant inexact : on ne combat pas des idées avec une armée et des déploiements militaires. L’existence de l’État islamique avait au moins cela d’utile que nous pouvions enfin lutter contre une entité définie et cohérente. Pour le reste, la lutte contre le terrorisme est un échec.

Le terrorisme en France, pas au Sahel

La présence française au Sahel a débuté avec l’opération Serval (janvier 2013 – juillet 2014) puis s’est poursuivie avec l’opération Barkhane (août 2014).

On nous assure ainsi que notre présence au Sahel est indispensable afin de lutter contre le terrorisme en France, sans que le lien de causalité ne soit jamais démontré. En quoi est-ce indispensable de se déployer au sud du Sahara pour éviter un attentat à Strasbourg ou à Lyon ? Des services de renseignement, de police et de justice adaptés ne seraient-ils pas plus utiles ? Cette présence militaire n’ayant pas « d’effet final recherché » clair, elle peut être sans fin puisqu’étant sans objectif. Elle est indubitablement utile pour les militaires : elle leur permet de s’entrainer en conditions réelles, ce qui est une nécessité, elle leur permet aussi de monter en grade et en avancement ailleurs que dans des bureaux d’état-major, ce qui est plus glorieux. Pour le reste, le lien entre nécessité de cette opération militaire et défense de la sécurité de la France reste encore à démontrer.

Le Sahel: cause de la Libye

Pour les comprendre, il faut sans cesse revenir aux causes des événements. Si la France a dû intervenir au Mali, à la demande de son gouvernement, c’est qu’une escouade de Touaregs armés menaçait de s’emparer de Bamako et de renverser le régime. Or ces Touaregs furent armés grâce à Kadhafi qui, avant d’être renversés, leur donnèrent les clefs de ses stocks d’argent et de munition. La cause directe de la déstabilisation du Mali et de la bande sahélienne où nous sommes aujourd’hui embourbés est l’intervention militaire franco-otanienne en Libye en 2011. Une intervention qui alla au-delà du mandat de l’ONU et qui créa un chaos dont nous ne sommes toujours pas sortis. Là réside une partie des causes des mouvements migratoires à travers la Méditerranée, le verrou libyen ayant sauté, puis la déstabilisation du Sahel. En quelque sorte, nous essayons de réparer les pots que nous avons cassés il y a désormais dix ans. À l’époque, c’était Alain Juppé qui était le brillant ministre des Affaires étrangères qui défendit avec vigueur cette opération. Remplacé ensuite par Laurent Fabius, qui voulut mener la même opération brillante en Syrie afin de « renverser Bachar ». Pour les remercier de cette clairvoyance et de cette haute contribution à la stabilité moyen-orientale, ils furent tous deux nommés au Conseil constitutionnel, dont l’un comme président.

Une mentalité coloniale diffuse

Toujours en Afrique, la France intervient en Centrafrique en 2013 avec l’opération Sangaris (2013-2016) afin de pacifier un pays en situation de guerre ethnique majeure.

Si cette opération fut un succès à court terme, notamment en démilitarisant une partie des milices séléka et anti-balaka, elle n’a rien résolu sur le long terme, les violences étant reparties et avec elles les massacres de populations civiles. Les élections présidentielles qui se sont tenues le 27 décembre dernier ont certes permis l’élection d’un nouveau président, mais elles sont très loin d’avoir réglé un problème endémique qui est d’abord un problème ethnique.

Force est donc de constater que les opérations militaires que nous avons menées ces dix dernières années, si elles sont techniquement des succès à court terme et si elles permettent à l’armée française de se déployer sur des théâtres d’opérations réels, ce qui est nécessaire pour maintenir son niveau, ne résolvent pas les problèmes humains posés dans ces pays. Et elles ne peuvent nullement prétendre les résoudre puisque ces problèmes trouvent leurs origines dans des luttes ethniques et tribales qui ont débuté bien avant la première colonisation de l’Afrique (1880). Malheureusement, pour nos militaires et pour les populations de ces pays, certains pensent encore que la démocratie est la seule voie possible de la pacification et que l’imposition du modèle européen réglera les problèmes de ces pays. Couplés au mirage du « développement » qui dilapide une partie de l’argent collecté en France via des associations et des organismes humanitaires qui n’ont jamais pu démontrer leur utilité concrète, nous demeurons pour l’essentiel en Afrique avec une mentalité qui reste figée dans les schémas coloniaux. Bien que la plupart des pays africains aient obtenu leur indépendance en 1960, soit tout juste soixante ans, la mentalité coloniale, mère de l’intervention humanitaire et du mythe du développement, est encore loin d’être dissipée. Cela donne raison à des hommes comme Guizot, Bastiat ou Tocqueville, qui dans les années 1830-1850 s’opposaient aux aventures coloniales en considérant que chaque peuple devait être maitre et libre de son destin, sans que d’autres éprouvassent la nécessité de leur dire dans quelle direction il fallait marcher. Il n’est nullement certain que l’année 2021 permette de dissiper ces mythes.

Source: Institut des libertés.

Au Népal, on rêve du retour de la monarchie

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Soutiens de la monarchie s'opposant aux forces de l'ordre à Katmandu le 11 janvier 2021 © Niranjan Shrestha/AP/SIPA Numéro de reportage : AP22529159_000007

Le petit État de l’Himalaya est en pleine crise identitaire, alors que la Chine et l’Inde y ont trouvé un nouveau terrain d’affrontement.


C’est un combat anachronique qui se joue actuellement au Népal. Il y a trois semaines, face aux pressions exercées dans la rue par les royalistes qui réclament le retour du roi Gyanendra Shah sur son trône et aux divisions internes qui minent son gouvernement, le Premier ministre marxiste Khagda Prasad Sharma Oli a annoncé la dissolution du parlement et des élections anticipées prévues pour le 30 avril prochain.

Dans cet Etat de l’Himalaya en pleine crise identitaire, les Népalais appellent désormais au retour de la monarchie renversée en 2008. Tapies dans l’ombre, Chine et Inde jouent une impitoyable partie d’échecs afin de préserver leur sphère d’influence dans cette partie de l’Asie.

Un pays troublé

Depuis plusieurs jours, le Népal vit aux rythmes des manifestations en faveur du retour de la monarchie. Par dizaines de milliers, les rues des principales villes du pays, dont la capitale Katmandou, se sont couvertes de drapeaux de l’ancienne monarchie défunte et de portraits du roi Gyanendra Shah. Monté sur le trône en 2001, après un parricide particulièrement sauvage, le dernier monarque du Népal a été contraint à l’abdication après sept ans de règne marqué par une tentative de restauration de l’absolutisme qui a précipité sa chute. Exilé de l’intérieur et bénéficiant de larges privilèges, que la coalition marxiste au pouvoir depuis 2017 a tenté vainement de faire retirer, le souverain reste une voix critique.

Il n’a pas hésité à remettre publiquement en question l’adoption de la laïcité et la fédéralisation du pays qui ont mis à mal l’unité du pays forgée sous le sceau du roi Prithivî Nârâyan Shâh au cours du XVIIIème siècle. Lorsqu’ils ont pu se hisser au pouvoir après une longue rébellion d’une décennie et avec la complicité du Congrès népalais, pourtant soutien à la royauté des Bir Bikram Shah, les communistes et marxistes-léninistes ont été porteurs d’espoirs. Rattrapés par la réalité des affaires, le Népal connaît aujourd’hui une grave crise économico-sociale que la crise du Covid-19 a achevé de plonger dans une instabilité politique chronique. Aujourd’hui les partis de gauche sont à couteaux tirés et les monarchistes se sont engouffrés dans les multiples brèches ouvertes par le gouvernement.

Kamal Thapa fédère les monarchistes

Le Rashtriya Prajatantra Party est ainsi une épine dans le pied d’argile de la République fédérale. Ultra-monarchiste et hindouiste convaincu, Kamal Thapa a réussi à fusionner sous le nom de son mouvement toutes les composantes royalistes du pays. À la tête de la première force politique extra-parlementaire, l’ancien (deux fois) vice-premier ministre tire actuellement à boulets rouges sur les marxistes, les Chrétiens qui essaiment et menacent l’identité religieuse du pays selon lui ou encore contre la Chine et l’Inde qui se disputent le contrôle du Népal. New Delhi ne fait pas mystère de son soutien public au roi Gyanendra Shah, l’Inde l’a rencontré à de nombreuses reprises. Au grand dam de Pékin qui a récemment dépêché une délégation afin d’imposer sa médiation dans le conflit opposant les maoïstes dissidents et les marxistes-léninistes et empêcher le retour à l’ancien régime qui s’est acheté une bonne conduite aux yeux des Népalais. Un souverain qui vient justement de débarquer dans l’Est du pays et devrait rencontrer les différents leaders royalistes du pays afin de discuter de la situation du pays. Le Népal va-t-il retrouver sa monarchie ? Le Congrès népalais, principal parti d’opposition, reste encore très frileux quant à cette perspective et rejette toute proposition de référendum en ce sens. «La monarchie ne reviendra pas au Népal. Les manifestations pour son rétablissement se poursuivent en raison de l’incompétence du gouvernement Oli à gouverner », croit savoir Sher Bahadur Deuba, ancien Premier ministre, qui minimise la portée de ces rassemblements dont le principal slogan est « Roi, reviens nous sauver ». « Notre nation doit retrouver évidemment sa monarchie et son statut d’état hindou. Tant que nous n’atteindrons pas notre objectif, nous nous battrons pour cela » lui ont répondu en cœur les monarchistes, le 27 décembre dernier.

Dans tes gênes!

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© Yann Castanier / Hans Lucas / AFP

Il manquait une rubrique scientifique dans Causeur. Peggy Sastre vient combler cette lacune. À vous les labos!


L’humain est ainsi fait qu’il lui est difficile de faire le mal sans raison et, surtout, sans raison qui ne lui donne l’impression de ne pas le faire. S’il peut y avoir 1 ou 2 % d’authentiques psychopathes dans une population, 98 à 99 % des gens devront toujours se trouver au préalable une excuse, un prétexte, un récit pour parvenir à nuire à leurs congénères en étant persuadés de la justesse, voire de la bienveillance de leur dessein. Une logique qui reste la même quelle que soit l’envergure du dommage. C’est celle du voisin qui déverse sa poubelle dans votre boîte aux lettres parce qu’il trouve que vous avez été trop bruyant en rentrant hier soir. Ou du taliban qui vide son chargeur dans la tête d’un écolier de Peshawar pour le punir d’être le fils d’un soldat d’une armée qu’il combat depuis des lustres. Dans les deux cas, l’envie de cruauté n’est pas suffisante pour motiver le passage à l’acte, il est nécessaire d’en faire un terreau moral où les racines du mal seront invariablement et a priori plantées chez son adversaire désigné – « c’est pas moi qu’ai commencé ».

Justification morale

Un tel processus de « justification morale », comme l’a conceptualisé le psychologue canado-américain Albert Bandura, est une formidable baguette magique. Grâce à elle, des actions intrinsèquement destructrices se voient transformées en démarches individuellement et collectivement acceptables, si ce n’est recommandables. Et plus les causes qu’on s’imagine servir sont grandioses, plus durs et nombreux seront les coups permis, la bonne conscience enflant à mesure que l’ineptie des premières le dispute à la violence des seconds. « Certainement qui est en droit de vous rendre absurde est en droit de vous rendre injuste », écrit Voltaire. Les humains ont cette propension à tuer « pour des idées fumeuses plus férocement que d’autres créatures tuent pour manger », ajoute cent soixante-dix-huit ans plus tard l’anthropologue américain Loren Eiseley. En nous dotant d’un système de valeurs qui nous attribuera forcément le plus beau rôle, la morale occulte par la même occasion toutes les effusions de sang requises pour que nos si fameuses « meilleures intentions du monde » en viennent à se concrétiser.

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Plus précisément, lorsqu’il s’agit de déterminer ce qui nous semble moralement bon ou mauvais, nous formons des croyances qui ne sont pas comme les autres, notamment en ce qu’une fois intégrées, elles résistent beaucoup mieux à l’autorité. En outre, les humains ont tendance à être objectivistes dans leurs croyances morales : ils ne les jugent pas comme de simples préférences, au bout du compte toujours relatives, mais y voient des manifestations du vrai ou du faux. Ce qui fait qu’ils ont toutes les difficultés du monde à ne pas considérer comme déviants les comportements de leurs congénères qui y contreviennent et n’ont que peu de velléités de compromis. Les convictions morales sont ainsi considérées comme des prescriptions universelles, régissant ce que chacun « doit » ou « devrait » faire. Que d’autres personnes enfreignent ces attentes et contestent leurs opinions peut susciter de fortes réactions émotionnelles susceptibles d’aller jusqu’à la violence. En termes cognitifs, c’est la face noire de la morale. Scott Philip Roeder, qui décida le 31 mai 2009 d’abattre en pleine messe le Dr George Tiller parce qu’il dirigeait une clinique d’IVG dans le Kansas était animé par de profondes convictions morales qui lui ont fait percevoir son geste comme un impératif. Idem pour tous les extrémistes, qu’importe la diversité de leurs obédiences : la force de leurs valeurs morales fait qu’ils sont plus disposés à accepter la violence lorsqu’ils la voient servir leur cause.

La face noire de la morale au cœur de notre cerveau

Publiée le 16 novembre dans la revue American Journal of Bioethics Neuroscience, une étude menée par des chercheurs de l’université de Chicago dirigés par Jean Decety, docteur en neurobiologie et professeur de psychologie et de psychiatrie, éclaire ce tableau d’un peu de physiologie et cible la face noire de la morale au cœur de notre cervelle. En l’espèce, ce travail identifie les mécanismes cognitifs et neuronaux spécifiquement associés à la justification de la violence sociopolitique et montre que leur activation est fonction de la force des convictions morales portées par les individus concernés.

Pour ce faire, les chercheurs ont passé des annonces dans la région métropolitaine de Chicago où ils ont recruté 32 personnes se définissant comme de gauche (18 femmes et 14 hommes âgés en moyenne de 23 ans, l’échantillon allant de 18 à 38 ans) qu’ils ont ensuite interrogés sur des sujets caractéristiques du clivage progressiste/conservateur (avortement, immigration illégale, aide extérieure, taux d’imposition, limitation du pouvoir de l’État, etc.). Lors de l’expérience à proprement parler, les cobayes devaient regarder des photos de récentes manifestations ayant tourné à l’émeute qui, sans qu’il soit possible d’en déterminer les enjeux véritables, étaient censées défendre les causes qui leur étaient plus ou moins chères. Consigne : en trois secondes, indiquez sur une échelle de 1 à 7 si ces violences vous paraissent ou non justifiées. Pendant ce temps, les scientifiques surveillaient leur cerveau par IRM fonctionnelle, histoire de voir quels circuits étaient en train de s’activer. Decety et ses collègues avaient émis deux hypothèses : soit l’effet des convictions morales allait être d’atténuer le processus normal d’inhibition des pulsions antisociales, soit elles devaient augmenter la valeur subjective que les participants pouvaient accorder aux actions violentes qui leur étaient présentées.

Les résultats penchent vers la seconde option car ce sont le striatum et le cortex préfrontal ventromédian, régions impliquées dans le circuit de la récompense, du plaisir et de la prise de décision, qui s’activent avec une intensité proportionnelle à la force des convictions morales. À l’inverse, ces zones du cerveau sont restées relativement silencieuses quand les participants n’approuvaient pas les violences qui leur étaient présentées. En résumé, selon que la flambée de violence semblait ou non aller de pair avec leurs convictions sociopolitiques personnelles, les participants ne la peignaient pas de la même couleur morale – ils la voyaient en bien s’ils pensaient qu’elle servait une cause qui leur plaisait, mais en mal dans le cas contraire. Ce qui indique bien que la force d’une conviction morale est capable de contrecarrer l’aversion naturelle que ressent presque tout un chacun rpour le mal infligé à autrui.

Référence : tinyurl.com/LeMalPourUnBien