À Conflans-Saint-Honorine, un jeune islamiste a décapité un enseignant pour avoir montré une caricature du prophète Mahomet à ses élèves. À Molenbeek, les mêmes faits ont valu à un enseignant d’être écarté par l’autorité dite compétente. Aujourd’hui, alors qu’il avait introduit une demande en annulation de cette décision au Conseil d’État, il est réintégré dans ses fonctions. Tout est bien qui finit bien ? Peut-être pas.
Suite à la décapitation de Samuel Paty, ce professeur de philosophie et de citoyenneté à l’école primaire communale Aux sources du Gai Savoir, située à Molenbeek[tooltips content= »Ça ne s’invente pas… https://www.marianne.net/agora/les-signatures-de-marianne/nietzsche-a-molenbeek »](1)[/tooltips], avait préparé pour le 22 octobre une leçon sur la liberté d’expression. Cette leçon, destinée aux élèves de 5è et 6è années primaire – équivalents respectifs du CM2 et de la 6è françaises – a suscité bien des questions, et les élèves de 5è ont demandé à voir le dessin à l’origine du drame, que leur enseignant leur a alors montré. Mal lui en a pris.
Dès le lendemain, le directeur de l’école fait savoir à A.D., le professeur en question, qu’il est attendu le lundi 26 à l’administration communale, où la directrice du département Éducation lui signifie son écartement, qui est confirmé dès le lendemain par la bourgmestre socialiste Catherine Moureaux, en charge notamment de l’instruction publique.
Une décision excessive
Voilà donc A.D. écarté sur-le-champ de ses fonctions. Or, légalement, une telle mesure de suspension préventive ne peut être prise que si le membre du personnel s’est rendu coupable d’une « faute grave pour laquelle il y a flagrant délit ou lorsque les griefs qui lui sont reprochés revêtent un caractère de gravité tel qu’il est souhaitable, dans l’intérêt de l’enseignement, que le membre du personnel ne soit plus présent à l’école.»[tooltips content= »Décret du 6 avril 1998 portant modification du régime de la suspension préventive dans l’enseignement organisé et subventionné par la Communauté française. »](2)[/tooltips] Et elle constitue dès lors nécessairement une première étape avant sanction !
La mesure prise par l’administration communale de Molenbeek est donc non seulement excessive, mais encore contraire aux procédures légales. En effet, c’est normalement le collège communal qui aurait dû décider de l’écartement de l’enseignant, préalablement à l’engagement d’une procédure disciplinaire qui aurait justifié la suspension préventive.
La bourgmestre a justifié la mesure par le caractère obscène de la caricature incriminée, assurant que le fait que ce soit le prophète Mahomet qui soit représenté n’est pour rien dans sa décision. Ce dont il est évidemment permis de douter…
C’est sur cette base que l’avocat de l’enseignant a annoncé récemment introduire une requête en annulation devant le Conseil d’État, arguant que le Collège aurait dû non seulement décider lui-même de l’écartement de l’enseignant, mais aussi, et par conséquent, refuser de ratifier, lors de sa séance du 29 octobre, une décision prise par une autorité incompétente, faute de quoi il s’approprie en quelque sorte l’illégalité de cet acte. Toujours selon l’avocat, il y a dans la mesure prise à l’encontre de A.D. une « erreur manifeste d’appréciation » et un « abus de pouvoir ».
La bourgmestre, quant à elle, a justifié la mesure prise à l’encontre de l’enseignant par le caractère obscène de la caricature incriminée, assurant que le fait que ce soit le prophète Mahomet qui soit représenté n’est pour rien dans sa décision. Ce dont il est évidemment permis de douter, dès lors que c’est bien le caractère « blasphématoire » de la caricature qui a poussé des parents à protester. Le papa d’un des élèves, par ailleurs conseiller communal socialiste molenbeekois, ne s’en est pas caché dans la presse : « S’il voulait parler du prophète ou de la religion musulmane, pas de souci. Mais pas de cette façon. (…) J’estime tout simplement que cela ne sert à rien de ramener cette haine vers les enfants. Nous ne sommes pas là pour enfoncer le professeur ni qui que ce soit mais que l’on respecte notre religion. Vivons ensemble dans le respect, la dignité et la fraternité quelle que soit la religion de chacun. »
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Ce 17 décembre cependant, après avoir été auditionné par le Collège communal molenbeekois devant lequel il a reconnu une « erreur », A.D. a été réintégré dans ses fonctions. À la condition toutefois d’« un accompagnement avec la cellule pédagogique de la commune et les équipes mobiles de la Fédération Wallonie-Bruxelles. ».
Les bigots et les islamistes ont gagné
Tout est donc bien qui finit bien ? Évidemment non. D’abord parce qu’il y a les inévitables séquelles psychologiques. Dans la presse, le conseiller juridique de l’enseignant témoigne de ce que ce dernier a été démoli : « Vous n’imaginez pas la violence… Cet enseignant faisait son métier avec cœur et passion, et du jour au lendemain, on lui dit qu’il ne peut plus enseigner, qu’il est écarté sur le champ ».
Ensuite parce que c’est bien le message qui restera dans les mémoires : à Molenbeek comme à Conflans ou ailleurs, mieux vaut y réfléchir à deux fois avant de montrer une caricature du prophète, sous peine d’être recadré et pris en charge par une cellule pédagogique qui veillera à ce que ce genre d’« erreur » ne se reproduise pas.
Et la vraie victoire est là, dans ce travail de sape orchestré par des tenants d’un fondamentalisme religieux qui n’admet pas que l’enseignement puisse être dégagé de toute emprise confessionnelle. Travail de sape malheureusement relayé complaisamment par ces belles âmes qui, plutôt que de calmer les esprits chagrins un peu trop portés aux échauffements intempestifs, préfèrent trop souvent inviter les enseignants – ou les journalistes, ou les artistes, ou tout acteur de la société pouvant contribuer à l’émancipation des esprits – à un peu plus de modération.
« De froisser la sensibilité religieuse des bigots tu t’abstiendras », tel est le onzième commandement de nos sociétés du vivre-ensemble.
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