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Voilement des fillettes: l’enfer est pavé de bonnes intentions


Voilement des fillettes: l’enfer est pavé de bonnes intentions
La députée LREM Aurore Bergé © AMEZ / ROBERT/SIPA

L’amendement des députés Aurore Bergé et Jean-Baptiste Moreau visant à interdire le voile aux fillettes a été jugé non recevable, dans le cadre du projet de loi contre les séparatismes. Faudrait-il pour combattre les ambitions totalitaires de l’islam théocratique, interdire aux adolescents de porter une kippa sur la tête, un crucifix ou un rosaire bouddhiste par-dessus leurs vêtements ? Analyse.


Si l’on doit critiquer les faiblesses de leur projet, et en particulier l’absence de distinction entre les idéologies religieuses qui attaquent notre civilisation et celles qui soutiennent ce qu’elle a de meilleurs, il faut saluer le courage d’Aurore Bergé, députée des Yvelines, et de Jean-Baptiste Moreau, député de la Creuse, tous deux bien résolus à faire interdire le voilement des fillettes. Face aux attaques parfois indignes dont ils font l’objet depuis plusieurs jours, leur volonté de lutter contre l’endoctrinement et l’instrumentalisation des enfants mérite tout notre respect et notre soutien.

Le gouvernement a hélas obtenu que leurs amendements soient jugés irrecevables, et donc rejetés sans même pouvoir être examinés sur le fond. Pourtant, affirmer que le sujet ô combien sensible du voilement des fillettes serait « sans liens, même indirects » avec un projet de loi « confortant le respect des principes de la République » ne peut que laisser songeur. Signe d’espoir : Bruno Retailleau a annoncé vouloir à son tour déposer un amendement allant dans le même sens au Sénat, preuve que sur des sujets aussi importants le dépassement des clivages politiciens est non seulement souhaitable, mais possible.

Un signe religieux mais surtout sexiste

Que le délai imposé soit donc l’occasion de réfléchir en amont, afin de séparer ce qu’il y a de remarquable dans les propositions d’Aurore Bergé et Jean-Baptiste Moreau, de ce qu’il y a de problématique. Car en effet, pour pouvoir interdire le voilement des fillettes ils proposaient d’interdire aux mineurs le port de tout signe religieux ostensible dans l’espace public. En cela, ils omettent malheureusement de distinguer entre le cas où l’idéologie à laquelle renvoient ces symboles attaque nos valeurs fondamentales, et le cas où au contraire elle les partage et les défend.

Faut-il le préciser ? J’approuve sans réserve le combat contre le voilement notamment des mineures (hors du cadre strict des cérémonies religieuses), pour de multiples raisons. Je ne peux donc que me réjouir qu’Aurore Bergé et Jean-Baptiste Moreau s’y soient engagés même contre l’avis du gouvernement. Ils y seront aux côtés de Lydia Guirous, Fatiha Boudjahlat, Naëm Bestandji, et bien d’autres personnes de valeur.

Le souci vient de l’angle d’attaque. En effet, le voile n’est pas un problème parce qu’il est religieux, mais parce qu’il est (notamment) sexiste. Et parce qu’il est sexiste, qu’il soit ou non religieux est totalement secondaire : c’est tout le sens de la laïcité que les religions ne puissent pas échapper aux exigences de la loi.

L’un des amendements d’Aurore Bergé et Jean-Baptiste Moreau est donc excellent même si sa formulation pourrait être discutée : « Est prohibé dans l’espace public le port, par un mineur, de tout signe ou de tout vêtement manifestant ou symbolisant l’infériorité d’un sexe par rapport à l’autre. » Voilà qui suffirait à interdire le voile, et si l’on peut se demander pourquoi limiter cette interdiction aux mineurs, on comprend que le réalisme doive l’emporter pour avoir la moindre chance que le texte soit voté.

Le gouvernement n’a pas voulu ouvrir la boîte de Pandore

Malheureusement, d’autres de leurs propositions sont bien plus contestables. Ainsi de celle-ci : « Le port de signes ou tenues par lesquels un mineur manifeste ostensiblement une appartenance religieuse est interdit dans l’espace public. » ou encore : « Nul parent ou tuteur légal ne peut autoriser à son enfant ou à celui dont il a la charge le port, dans l’espace public, de signes ou tenues manifestant ostensiblement une appartenance religieuse. »

On peut débattre des contours précis de la notion de « manifestation ostensible », mais attention ! « Ostensible » n’est pas « ostentatoire ». Autant il est nécessaire de refuser qu’un enfant soit transformé en homme-sandwich faisant la promotion des convictions (pas forcément religieuses) de ses parents, autant refuser à tout mineur la « manifestation ostensible » d’une appartenance confessionnelle ouvrirait la boîte de Pandore.

Faudrait-il donc, pour combattre les ambitions totalitaires de l’islam théocratique, interdire aux adolescents de porter une kippa sur la tête, un crucifix ou un rosaire bouddhiste par-dessus leurs vêtements ? Contrairement au voile, aucun de ces symboles ne renvoie à une idéologie menaçant les principes de la République, encore moins les fondamentaux de notre civilisation ou des droits humains. Ce n’est pas là où le port de la kippa est courant que la République vacille, mais bien au contraire là où depuis longtemps nos concitoyens juifs n’osent plus la mettre à leurs enfants !

Je ne doute pas que les intentions d’Aurore Bergé et Jean-Baptiste Moreau soient les meilleures. Mais il y a d’autres alternatives que la soumission à l’islamisme ou l’athéisme d’état. Ce n’est pas en chassant sans discernement toutes les religions de l’espace public que l’on renforcera la laïcité, ni la République, encore moins la France : c’est en chassant toutes les idéologies qui piétinent la dignité humaine, et seulement ces idéologies-là, peu importe qu’elles soient religieuses ou non.



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Haut fonctionnaire, polytechnicien. Sécurité, anti-terrorisme, sciences des religions. Dernière publicatrion : "Refuser l'arbitraire: Qu'avons-nous encore à défendre ? Et sommes-nous prêts à ce que nos enfants livrent bataille pour le défendre ?" (FYP éditions, 2023)

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