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L’assimilation: une dernière chance pour la France


Cette façon typiquement française de gérer les différences entre individus en imposant la primauté de l’appartenance nationale qu’on appelle assimilation a probablement disparu. Sans elle, la France risque fort de devenir un pays où les Français autochthones formeront une communauté parmi d’autres.


Tout comme individus, rien comme communauté. Le marché proposé aux juifs par Clermont-Tonnerre en décembre 1789 établit la recette de l’assimilation à la française. La formule s’est avérée d’autant plus efficace que la chose a finalement été moins abrupte que le mot. Cela n’a jamais été rien pour le communautaire – peut-être, justement, parce qu’on n’accordait pas tout aux individus. Ce qui permet de lever un contresens répandu dans les familles juives de mon enfance où l’idée d’assimilation était investie d’une charge négative, exhalant un petit parfum de reniement. L’assimilation n’est pas la répudiation de ses ancêtres, mais une greffe par laquelle on s’arrime à la collectivité que l’on rejoint. Elle n’exige pas la disparition des différences, elle établit des préséances, fait le tri entre les différences acceptables, digérables, adaptables et celles qui ne le sont pas. Son but, ou son résultat, car elle est autant un processus qu’une politique, c’est que, dans le cocktail identitaire constituant chacun d’entre nous, l’appartenance nationale jouisse d’une forme de privilège, comme dans cette blague où Moïshe, émigré à Londres dans les années 1940 avec tout son shtetl, pleure son monde juif perdu. Et puis un jour, ses amis le trouvent en chapeau melon et smoking, mais toujours éploré. « Enfin, ici c’est l’Angleterre, c’est un monde libre, lui disent-ils. —Yes, but we lost India, répond-il. « Émigrer, c’est changer de généalogie », écrit Malika Sorel. C’est en tout cas admettre que celle du choix puisse prendre le pas sur celle du sang.

À lire aussi: Albert Batihe: «Nous, les Noirs, nous avons un complexe d’infériorité transmis de génération en génération»

Un modèle qui a engendré un tas de Français aux noms bizarres

Pendant deux siècles, cet alambic anthropologique a engendré des tas de Français aux noms bizarres dont beaucoup éprouvaient le patriotisme du charbonnier. Ça ne s’est pas fait sans douleur. Il y a eu des hauts et pas mal de bas – quoi qu’en dise Zemmour, l’État français ne fut pas un laboratoire de l’assimilation –, mais ça s’est souvent fini à la satisfaction des accueillants et des accueillis – des hôtes et des hôtes. Les juifs ont continué à être juifs, de façon moins ostensible, et ils sont devenus français. Et pour une grande partie d’entre eux, au moins jusqu’aux années 1980, la « communauté organisée », comme dit l’aimable Soral, a cessé d’être l’intermédiaire obligé avec la nation française, ce qui signifie que leur éventuel engagement communautaire ne déterminait pas leur existence de citoyens. À quoi il faut ajouter que par le jeu des mariages et des mélanges, de nombreux Français, qui ne sont juifs ni aux yeux des rabbins ni aux leurs, ont des « origines juives » – comme les petits-enfants d’Albert Batihe, qui brandit le flambeau assimilationniste, auront des origines camerounaises.

Notre numéro de janvier 2021, disponible en kiosque.
Notre numéro de janvier 2021, disponible en kiosque.

Le 4 décembre 2020, deux cent trente et un ans après l’adresse flamboyante de Clermont-Tonnerre, Emmanuel Macron envoie définitivement à la casse notre vieille machine à fabriquer des Français. Ça ne se passe pas dans un grand discours mais dans un long entretien accordé à Laureline Dupont pour L’Express : « Dans notre Code civil, figure encore cette notion très problématique d’assimilation. Elle ne correspond plus à ce que nous voulons faire. » Je ne sais pas qui est ce « nous », parce que moi, on ne m’a pas demandé mon avis. Pas plus qu’à l’ensemble des Français qui ne trouvent pas l’assimilation si problématique que ça. Quelques jours plus tôt, il a annoncé la couleur dans un entretien filmé accordé à Brut. Le président veut parler aux jeunes, a trompeté l’Élysée. Moyennant quoi il s’est adressé presque exclusivement aux « Jeunes et moins jeunes issus du continent africain ». Ce qui, croit-on comprendre, signifie « Noirs et Arabes ». La segmentation du marché électoral ne répondait pas à un critère générationnel, mais ethnique.

Emmanuel Macron ne fait que se plier au sens du vent. Et quelques semaines après l’assassinat de SamuelPaty, le vent a tourné. Alors que chaque jour des policiers sont insultés, agressés, tabassés, la gauche indigéno-insoumise et la nébuleuse anti-flics ont mitonné une tambouille indigeste mélangeant l’affaire Zecler (ce producteur molesté au cours d’une interpellation) et l’article 24, réussissant à imposer la vision d’une France gangrenée par la violence policière. C’est le même tour de passe-passe qu’avec les viols : la transgression est présentée comme la norme, la bavure comme le quotidien, la violence envers les femmes et le racisme sont systémiques, voire d’État.

Racialisme présidentiel

Le président fait dans la repentance en col roulé. Attention, expliquer, ce n’est pas justifier, mais « le séparatisme prospère sur nos échecs ». Et les prétendus contrôles au faciès nourrissent l’« incompréhension » entre les « jeunes » et la police, comme si celle-ci était chargée du bien-être psychologique de ceux-là. Loin de vanter à ces jeunes-et-moins-jeunes (pendant générationnel de l’affreux celles-et-ceux) la culture et l’histoire qu’ils sont invités à faire leurs, il leur propose d’emblée de les enrichir, voire de les réécrire. Mais le plus sidérant, s’agissant du président d’une nation qui ne s’est jamais définie par l’ethnie, c’est qu’il s’adresse à eux en tant que « Noirs » (et « Arabes », semble-t-il, puisqu’il parle du continent africain) supposant que cette « couleur » est une appartenance, et cette appartenance l’alpha et l’oméga de leur être. Et de convoquer les héros « qui parlent d’une jeunesse noire ». C’est ainsi que, dans un pays qui proscrit les statistiques ethniques, une commission Théodule est actuellement en train de dresser une liste de Noirs auxquels on donnera des noms de rues et de places. Faudra-t-il inscrire sur les plaques : « Noir pour la France ? » Il y a dix-huit ans, Le Monde, en avance sur son temps, annonçait : « Avec Alexandre Dumas, le métissage entre au Panthéon. » (1er décembre 2002) J’apprenais au passage que le père d’Edmond Dantès était métis. Avec Emmanuel Macron, je découvre qu’il était « mulâtre ». Ce qui m’en fait toujours une belle. Mais puisqu’il y a une « culture noire », on ne s’étonnera pas que l’ex-footballeur converti en prêchi-prêcheur Lilian Thuram puisse publier un livre intitulé La pensée blanche.

Lilian Thuram anime un atelier contre le racisme au lycée Laetitia-Bonaparte d’Ajaccio, 18 avril 2019. © Pascal Pochard-Casablanca/AFP
Lilian Thuram anime un atelier contre le racisme au lycée Laetitia-Bonaparte d’Ajaccio, 18 avril 2019. © Pascal Pochard-Casablanca/AFP

Emmanuel Macron n’est donc que le continuateur de tendances à l’œuvre bien avant lui. Grippée depuis plusieurs décennies, la machine à fabriquer des Français inventée pour l’essentiel par la IIIe République, bien qu’on puisse la faire remonter à Valmy, finit de rouiller dans un coin.

L’inclusion ne demande rien aux derniers arrivés

La généalogie qui va de l’assimilation à l’intégration, déjà plus arrangeante, puis à l’inclusion (synonyme techno de la diversité), qui ne demande rien aux derniers arrivés parce qu’elle refuse tout privilège à l’ancienneté, a accompagné la mutation qui nous a vus sacraliser le moindre caprice de l’individu. Chacun veut exposer ses petites manies et exige pour elles respect et reconnaissance. À cela il faut ajouter que nous vivons dans un monde ouvert, souvent pour le pire, mais aussi pour le meilleur – la libre compétition des idées. Soyons honnêtes, nous déplorons l’arraisonnement de l’existence par l’horizontalité, mais les plus verticalistes d’entre nous ne supporteraient pas un instant les cadres mentaux rigides de la IIIe République ni l’histoire glorieuse qui était alors enseignée dans les écoles.

A lire aussi, Bérénice Levet: L’assimilation, une ambition française

C’est donc dans un ventre déjà amolli par des décennies de paix et de consommation de masse, sur fond de frontières physiques et culturelles abattues en chantant, que l’antiracisme porte le coup de grâce idéologique à l’ambition assimilationniste. Devenu l’idéologie dominante dans les années Mitterrand-Touche pas à mon pote, il impose dans l’espace public l’exaltation des différences et la célébration des identités minoritaires et allogènes comme le seul discours acceptable. Peu à peu, une injonction contradictoire s’impose par l’intimidation. D’un côté, il faut célébrer les différences, mais de l’autre, il ne faut pas les voir. D’où le scandale suscité par le malheureux arbitre roumain qui, lors d’un match entre le PSG et le club stambouliote, et erdoganiste, Basaksehir, pour faire comprendre à un collègue à quel joueur il devait remettre un carton, a dit : « À machin, c’est le Noir. » Il a dit noir, il a dit noir, ont gloussé en chœur les vierges faussement outragées. Réduire un homme à la couleur de sa peau, mais c’est très mal, ont renchéri tous les militants qui s’expriment du matin au soir en tant que. Bien entendu, il ne s’agissait nullement de réduire ce sympathique garçon à sa couleur de peau, mais de l’identifier parmi d’autres. S’il avait mesuré deux mètres, l’arbitre aurait sans doute dit « le grand ». Peu importe, il a dit « noir », c’est un raciste. Les minorités veulent être visibles, mais interdisent qu’on les voie.

L’assimilation dénoncée comme une des modalités de la domination

Bien avant cet épisode, hautement comique en vérité, c’en était fini de l’assimilation, dénoncée comme une des modalités de la domination.

Peut-être était-elle condamnée par le réel, en l’occurrence la conjugaison de flux migratoires massifs et de changements technologiques qui a abouti à la transplantation de groupes entiers continuant à vivre dans l’entre-soi, et pas seulement ou pas du tout « parce qu’on les a mis dans des ghettos », selon la formule creuse et rituelle, mais parce que l’être humain cultive naturellement le voisinage de ceux qui vivent comme lui. Quand on peut parler sa langue natale avec ses voisins et amis, qu’on est relié par parabole à la télé de son pays, que les magasins alentour proposent les mêmes marchandises et qu’on peut s’habiller comme au village ou au bled sans susciter des regards étonnés, voire un brin réprobateurs, pourquoi ferait-on l’effort d’être autre chose que ce qu’on a été, surtout qu’on ne vous le demande pas ? Cet affichage identitaire n’est pas, au demeurant, l’apanage des dernières vagues immigrées. Nombre de juifs ultra orthodoxes pratiquent une endogamie rigoureuse et s’habillent à Paris comme à Méa Shéarim – et comme dans les villages reculés de Pologne et de Russie au XVIIIème siècle.

Les nostalgiques de la République à l’ancienne imputent volontiers la fin du projet assimilationniste au défaut de volonté politique, ce qui leur permet de rêver d’un homme (ou d’une femme) providentiel qui le remettrait au goût du jour en quelques mesures énergiques. Certes, puisque l’amour ne se décrète pas, au moins pourrait-on exiger de tous quelques preuves d’amour, à commencer par l’apprentissage de notre langue.

Il faut savoir à quoi s’assimiler

Cependant, si les lois et mesures sont nécessaires, le rappel des devoirs minimaux qui s’imposent à tous l’est encore plus – pour s’assimiler, il faut savoir à quoi. On ne s’assimile pas à des principes ou à des règles, mais à une communauté substantielle. L’assimilation suppose une asymétrie entre la culture de référence et les autres. Donc l’existence d’une culture de référence acceptée par tous..

On ne saurait attendre des enfants d’immigrés qu’ils chérissent une histoire, une langue, une littérature que leurs camarades délaissent ou méprisent

Or, nous sommes bien incapables de définir la collectivité que les derniers arrivés sont invités à rejoindre autrement que par des valeurs certes incontestables mais ne renvoyant à aucune réalité charnelle. Si, comme l’affirme encore Emmanuel Macron dans L’Express, être français c’est une citoyenneté qui reconnaît « l’individu rationnel libre comme étant au-dessus de tout », ce n’est pas très différent d’être américain ou allemand. Certes, notre laïcité et nos caricatures nous distinguent encore du reste du monde mais là-dessus non plus, nous ne sommes pas d’accord. Nous sommes donc parfaitement incapables de nous accorder sur les apports que nous considérons comme un enrichissement et ceux qui nous défrisent collectivement, comme en témoignent nos empoignades récurrentes sur le voile. Enfin, on ne saurait attendre des enfants d’immigrés qu’ils chérissent une histoire, une langue, une littérature, que leurs camarades délaissent ou méprisent.

Condamnés à la coexistence des communautés?

À lire aussi, Didier Leschi: «Notre propre affaiblissement sociétal est devenu un handicap à l’intégration des immigrés»

Ne nous berçons pas d’illusions : l’appel à s’assimiler que nous lançons à nos concitoyens « issus du continent africain » a peu de chances d’être entendu. Peut-être sommes-nous déjà condamnés à la coexistence des communautés, autrement dit que ces valeurs de la République que l’on prétend sauver par la loi se sont déjà effacées au profit de la reconnaissance pour tous. Dans ces conditions, autant savoir à quelle sauce nous serons mangés. Le propos présidentiel a la vertu d’énoncer clairement le catéchisme de la diversité, antonyme parfait de l’assimilation. L’une demande à la minorité de s’adapter à la majorité, l’autre traite la majorité comme une minorité parmi d’autres, un peu moins égale que les autres puisqu’elle doit payer ses privilèges passés. La première encourage l’exhibition des identités particulières quand la seconde veut faire prévaloir les facteurs d’homogénéité. L’assimilation affirme que la République est une chance pour les nouveaux arrivants, l’idéologie de la diversité que ceux-ci sont une chance pour la France. La reconnaissance doit changer de camp. Au lieu d’inviter les derniers venus à s’incliner devant les statues de leurs nouveaux ancêtres, on leur promet d’honorer celles qu’ils voudront ériger. Parmi les raisons qui expliquent, sans le justifier, le séparatisme, le président parle d’une génération à laquelle affirme-t-il, « nous n’avons pas su dire “Tu es nous” ». L’ennui, c’est que beaucoup n’ont pas la moindre envie de devenir « nous » et trouvent même insultant qu’on le leur demande. Ils semblent plutôt attendre que, pour expier nos péchés, nous leur disions « Nous sommes toi ». On n’a pas fini de marcher sur la tête.

Monolithes mystérieux: humains, trop humains


Des monolithes ont surgi comme par magie aux quatre coins du monde, faisant miroiter une présence extraterrestre sur Terre… 


Y aura-t-il des extraterrestres à Noël ? La question a agité la Toile début décembre. Du désert rouge de l’Utah aux Carpates orientales, en passant par la Vendée ou les Andes occidentales, des dizaines de monolithes ont surgi comme par magie. À l’origine des découvertes, non pas de paisibles chimpanzés comme dans 2001, l’Odyssée de l’espace, mais des randonneurs aguerris. Suite à une première rencontre avec un bloc de métal argenté de presque quatre mètres de haut le 18 novembre au sein des roches rouges de l’Utah, les adeptes de science-fiction se sont bousculés sur Twitter pour laisser libre cours à leur fantaisie, l’un d’entre eux allant jusqu’à assurer que les mystérieux objets formeraient un triangle équilatéral dès qu’il en apparaîtrait un au Groenland. Manque de pot, le pays des Esquimaux n’a pas répondu à l’appel extraterrestre.

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Les responsables sont de fades homo sapiens occidentaux 

Pis que ça, la paternité de certaines de ces œuvres kubrickiennes a été revendiquée par de fades homo sapiens occidentaux – dont un chaudronnier niortais et des artistes autoproclamés des États-Unis et d’Europe. Une douche glaciale pour tous les tenants d’un réenchantement du monde grâce aux petits hommes verts. Cette histoire n’est pas sans rappeler celle des célèbres « cercles de maïs » (crop circles) apparus dans la campagne anglaise dont l’origine s’est révélée plus humaine que paranormale. Entre confinements à répétition et populations masquées, qui pour sauver la Terre du virus chinois ? Après une année 2020 au parfum dystopique, le besoin de bâtir un horizon nouveau devient pressant.

« 3615 Monique » et « Ovni(s) »: Dis papa, c’était vraiment comme ça la France?

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Canal+. Deux excellentes séries comiques, en nous faisant replonger entre 1978 et le début des années 80, suscitent une mélancolie paradoxale.


3615 Monique et Ovni(s) sont deux séries françaises actuellement disponibles sur la plateforme de Canal. Elles sont, chacune à leur manière, très bien faites, très bien écrites et très bien jouées. Elles ont pour point commun de se dérouler il y a une quarantaine d’années. En 1978 pour Ovni(s) et au tout début des années 80 pour 3615 Monique.

Nos années Minitel

3615 Monique raconte les débuts du Minitel à travers trois étudiants d’une fac de science de la ville de Jouy (!). Il y a Stéphanie – toutes les filles s’appelaient Stéphanie à l’époque, issue d’une bonne famille et qui vient de rater Polytechnique. Elle est jouée par la délicieuse Noémie Schmidt qui parvient à faire oublier sa trentaine et reste parfaitement crédible, avec sa frange délicieuse, dans un rôle où elle a 19 ans. Elle est entourée de deux garçons. Simon (Arthur Mazet) est un peu complexé par son pucelage mais se montre particulièrement doué dans ce qu’on appelait encore avec une révérence teintée d’inquiétude, l’électronique. Quant à Toni (Paul Scarfoglio), il est franchement plus dessalé et déconneur. Assez vite, ces trois-là unissent leur compétences et voient les possibilités qu’offre ce Minitel qui leur est présenté comme objet d’étude et preuve de l’avancée décisive de la France dans les technologies de la communication. Et l’idée de détourner l’usage du Minitel pour le transformer en messagerie érotique, facturée à la minute leur vient assez vite. On n’appelait pas encore cela une start-up, mais ça y ressemblait déjà et le jeune Simon apprécie assez peu que la messagerie soit appelée 3615 Monique, du nom de sa mère qui provoque chez Toni ce qu’on pourrait appeler le « syndrome du Lauréat ».

Qui se souvient du Gepan?

Ovni(s) se passe un peu plus tôt. En 1978, le projet Ariane est encore dans les cartons mais ne va pas tarder à en sortir. Comme le dit un des personnages, « la France est la troisième puissance spatiale ». Un ingénieur plutôt brillant, Didier Mathure (Melvil Poupaud) rate le lancement d’une fusée qu’il a conçue. On le placardise plus au moins au Gepan (Groupe d’études des phénomènes aérospatiaux non identifiés). Le Gepan a réellement existé, créé en 1977 alors que les OVNI étaient vus un peu partout dans l’Hexagone et que Jean-Claude Bourret en faisait des best-seller. La série, créée par Clémence Dargent et Martin Douaire, réalisée par Antony Cordier, est une déclinaison comique, mais pas parodique, de X-Files ou des Envahisseurs. L’ingénieur Mathure a des problèmes conjugaux, il est divorcé de son épouse et collaboratrice Elise (la trop rare Géraldine Pailhas). Au Gepan, il est entouré d’une équipe un peu foutraque où l’on retrouve le génial Michel Vuillermoz.

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Mais au-delà d’un scénario qui rappellera à certains les meilleurs volumes de la collection Anticipation du Fleuve Noir qu’on trouvait alors dans les tourniquets des gares, ce qui plaira ici, c’est la reconstitution très colorée de la fin des années 70, les costumes verts pomme et les cravates orange qui font mal aux yeux, les DS break, les Simca 1100, la musique planante du générique de Folon qui signalait la fin des programmes sur la deuxième chaine.

À regarder ces deux séries qui se concentrent sur la même période, une curieuse mélancolie vient peu à peu envahir ceux qui ont connu cette époque adolescents. Il semble que la France s’aimait en ce temps-là, qu’elle avait confiance en son destin de grande nation, que son Etat stratège développait des technologies qui devaient servir à tous gratuitement (le Minitel) ou qui faisaient rêver (la conquête spatiale). Et finalement, elles prouvent que la nostalgie n’est pas une posture passive mais le meilleur moyen d’explorer le passé et de comprendre tout ce que nous avons perdu en quarante ans.

Ovni(s), série créée par Clémence Dargent et Martin Douaire, réalisée par Antony Cordier. Avec Melvil Poupaud, Géraldine Pailhas, Michel Vuillermoz, Daphné Patakia, Quentin Dolmaire (Fr.-Bel., 2020, 12 × 30 min.) Le lundi soir. En intégralité sur MyCanal.

3615 Monique, série créée par Emmanuel Poulain-Arnaud et Armand Robin. Avec Noémie Schmidt, Arthur Mazet, Paul Scarfoglio (Fr., 2020, 10 × 25 min). Deux épisodes le jeudi soir. En intégralité sur MyCanal.

Lumières du Nord

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Le Petit Palais abrite une exposition consacrée à la peinture danoise de la première moitié du XIXe siècle. Cette exposition n’est malheureusement plus visible à cause de la Covid. Mais ceux qui ne l’ont pas vue peuvent s’en faire une idée sur le site du Petit Palais ou grâce au magnifique catalogue de l’exposition… Loin des pompes du néoclassicisme français, cette peinture danoise, produite pour un public d’amateurs privés, s’avère souvent pleine de verve et de délicatesse.


On croit parfois un peu vite qu’une période de puissance ou de prospérité est le terreau indispensable d’une floraison artistique. Par exemple, on a en tête la Florence des Médicis ou encore le siècle de Louis XIV. Durant la première moitié du XIXe, le Danemark enchaîne les désastres : guerres napoléoniennes, bombardements anglais, perte de la Norvège. Quelques décennies plus tard, c’est un conflit avec la Prusse qui le prive de ses territoires du Sud. Ces malheurs se prolongent de difficultés économiques et sociales et nourrissent des vagues d’antisémitisme. C’est pourtant dans ce contexte que se produit l’étonnant envol de la peinture danoise.

Le charme discret de la peinture bourgeoise

Avant d’aborder la brochette d’artistes présentés au Petit Palais, il faut dire un mot de celui qui donne, en quelque sorte, le coup d’envoi : Nicolai Abildgaard (1743-1809). Cet artiste a ceci de particulier qu’il est à cheval sur deux genres : d’une part, la grande peinture d’histoire qui répond à des commandes institutionnelles, d’autre part, des œuvres d’imagination de petite taille, à tendance fantastique et apparentées à celles de son ami Johann-Heinrich Füssli, Britannique d’adoption. Ce second genre, plus original, correspond davantage à la personnalité d’Abildgaard et s’adresse à une clientèle d’amateurs privés. En France, c’est le premier genre qui domine de façon écrasante à ce moment-là, avec de grandes compositions à visées édifiantes ou civiques dans lesquelles s’étale un néoclassicisme sentencieux. Au Danemark, au contraire, les amateurs privés font prospérer le second genre à une échelle, certes plus modeste, mais avec un ton plus véridique. Il en résulte une peinture bourgeoise qui, comme l’art hollandais des siècles précédents, privilégie les petits formats, les portraits, les paysages et les scènes de genre ou d’imagination. Un certain nombre des artistes concernés pratiquent également ces genres privés, voire intimes, que sont le dessin et la gravure. En outre, ils participent, surtout en fin de période, à l’essor de l’illustration.

11. Peter Christian Skovgaard, Champ d’avoine à Vejby, 1843 Huile sur toile, 25,5 x 28,5 cm, Copenhague, Statens Museum for Kunst © SMK Photo/Jakob Skou-Hansen
Peter Christian Skovgaard, Champ d’avoine à Vejby, 1843 Huile sur toile, 25,5 x 28,5 cm, Copenhague, Statens Museum for Kunst © SMK Photo/Jakob Skou-Hansen
Christen Købke, Vue depuis la citadelle, côté nord, 1834 Huile sur toile, 79 x 93 cm, Ny Carlsberg Glyptotek.
Christen Købke, Vue depuis la citadelle, côté nord, 1834 Huile sur toile, 79 x 93 cm, Ny Carlsberg Glyptotek.

Une impressionnante brochette d’artistes

Cette séquence est émaillée d’artistes peu connus en France, mais souvent de grand talent. C’est le cas en premier lieu d’un élève d’Abildgaard, Christoffer Wilhelm Eckersberg (1783-1853), avec qui s’ouvre l’exposition. Après avoir été tenté, comme son maître, par la peinture d’histoire, il devient un pionnier de la peinture de plein air. C’est lui qui forme la plupart des artistes de la génération suivante. Parmi eux se distingue Christen Købke (1810-1848) qui excelle aussi bien dans de petits paysages poétiques que dans des scènes de genre piquantes ou des portraits à la touche nerveuse. Rappelons qu’en France, à la même époque il n’y a guère que Corot à produire des paysages de grande qualité. Cependant, originaire d’une famille bourgeoise, Corot peint en amateur, pour lui-même, et ses œuvres ne sont largement diffusées et commercialisées que dans la seconde partie du xixe. La génération suivante de peintres danois atteint une éblouissante maturité dans la compréhension et le traitement du paysage. C’est le cas de l’excellent Peter-Christian Skovgaard (1817-1875), de Vilhelm Kyhn (1819-1903) et de Lorenz Frølich (1820-1908). Ce dernier est notamment représenté dans l’exposition du Petit Palais par son Fossé inondé. La modestie du sujet – un simple trou rempli d’eau et bordé d’herbes – contraste avec le monde de détails et de nuances auquel il nous fait accéder. Cette petite peinture (27 × 34 cm), datée de 1850, résume à elle seule la finesse et la poésie du premier art danois du paysage. C’est dire que l’exposition du Petit Palais offre un parcours particulièrement plaisant et intéressant.

Christoffer Wilhelm Eckersberg, Vue à travers trois arches du troisième étage du Colisée, 1815. Huile sur toile, 32 x 49,5 cm, Copenhague, Statens Museum for Kunst © SMK Photo/Jakob Skou-Hansen
Christoffer Wilhelm Eckersberg, Vue à travers trois arches du troisième étage du Colisée, 1815. Huile sur toile, 32 x 49,5 cm, Copenhague, Statens Museum for Kunst © SMK Photo/Jakob Skou-Hansen

À quand une exposition sur l’école de Skagen ?

Faut-il pour autant désigner, comme c’est l’usage et comme le titre le Petit Palais, ce mouvement comme l’« âge d’or de la peinture danoise » ? En réalité, sans doute pas. En effet, la période suivante, illustrée notamment par l’école de Skagen, est marquée par des artistes encore plus doués et variés. Formons donc le vœu que le Petit Palais qui sait si bien nous concocter de belles et originales expositions, nous offre dans les prochaines années une rétrospective de l’école de Skagen[tooltips content= »Bientôt au musée Marmottan : rétrospective Peder Severin Krøyer, l’un des principaux artistes de l’école de Skagen, en principe ouverture le 28 janvier sous réserve des conditions sanitaires« ](1)[/tooltips] !

À feuilleter ou à consulter: L’âge d’or de la peinture danoise sur le site du Petit Palais ou grâce au catalogue de l’exposition.

Immunité : ni diplomatique ni collective


Le 27 novembre, un eurodéputé hongrois, Jozsef Szajer, était pris dans une partouze homosexuelle à Bruxelles. Si le récit de l’incident ne manque pas de comique, quelles ont été les conséquences politiques? 


Chaude soirée à Bruxelles. Le vendredi 27 novembre, à 21 h 30, rue des Pierres, dans le quartier gay du centre historique, des riverains passent un coup de fil au commissariat pour se plaindre de tapage nocturne chez les voisins. Les policiers bruxellois interviennent et tombent sur une vingtaine de personnes à l’étage d’un bar, essentiellement des hommes, souvent nus. Ils s’adonnent à une « lockdown partouze », avec alcool et stupéfiants, dans l’irrespect le plus total des conditions sanitaires au vu de leur activité !

À lire aussi, Martin Pimentel: La France peut-elle accueillir tous les Laye Fodé Traoré du monde? 

Une partie fine cinq étoiles avec deux diplomates et un eurodéputé hongrois du Fidesz

Parmi eux, le député européen hongrois membre du Fidesz de Viktor Orban, Jozsef Szajer, mais aussi deux diplomates… Une partie fine cinq étoiles ! Dans la panique, alors que les policiers procèdent à des contrôles d’identité – pas pratique quand les interpellés ne portent même pas de slip –, Jozsef Szajer prend la fuite par la fenêtre et le long de la gouttière, barbe au vent. Il se blesse avant d’être interpellé, les mains ensanglantées… Avec une pilule d’ecstasy dans son sac à dos ! Bien sûr, la drogue s’est retrouvée là par hasard, « je n’ai rien à voir avec cette pilule, je ne sais pas qui l’a placée ni comment », expliquera-t-il plus tard à la presse, et affirme alors aux forces de l’ordre qu’il a l’immunité diplomatique. Mais pas d’immunité politique. Il démissionne de ses fonctions au Parlement européen, le 30 novembre, invoquant des « raisons personnelles » pour justifier son acte. Avant de s’excuser auprès de la presse et de ses proches une fois l’affaire révélée : « Je regrette d’avoir violé les mesures sanitaires. C’était irresponsable de ma part. » Sale temps pour les partouzeurs. L’affaire éclabousse le Fidesz, tandis que la presse anti-Orban, tout heureuse d’apprendre qu’un poids lourd du parti, décrit comme « anti-gay », participe à des orgies homosexuelles, s’en donne à cœur joie. Elle aurait tort de s’en priver.

On conviendra que partouze homo, eurodéputé hongrois conservateur et réglementations sanitaires ne font pas bon ménage.

Présidence européenne du Portugal: entre doxa franco-allemande et nostalgie impériale


Depuis le 1er janvier, le Portugal assume la présidence de l’Union européenne. Si l’« agenda européen » de Lisbonne est tristement banal, l’héritage géopolitique de cet empire oublié ne saurait être ignoré.


L’activisme de la marine russe dans l’océan Atlantique, l’intérêt de la Chine populaire et sa présence multiforme dans l’économie du Portugal, considéré comme une plate-forme logistique et un État client, incitent à prendre en compte la dimension océanique et universelle de cette nation hespériale.

La puissance d’évocation des Lusiades et du défunt empire au-delà des mers invitent les nations occidentales à renouer avec l’audace de la puissance. « Fais, ô mon roi, qu’Allemands, Italiens, Anglais et Français, si admirés soient-ils, jamais ne puissent dire que les Portugais sont moins faits pour commander que pour obéir », Luís Vaz de Camões.

Le programme que le gouvernement du Portugal entend promouvoir est des plus conformes à la doxa franco-allemande

La présidence européenne de Berlin s’achève donc avec l’obtention in extremis d’un accord censé régir les relations entre le Royaume-Uni et l’Union européenne. Encore importe-t-il de souligner le rôle de Michel Barnier, le « Mr Brexit » qui conduisit de part en part ces âpres négociations. Au 1er janvier 2021, le Portugal succèdera à l’Allemagne. À l’évidence, ce pays ne pèsera pas du même poids ; son pouvoir d’impulsion n’est pas comparable à celui de l’Allemagne. De surcroît, bien des Portugais semblent vouloir se fondre dans une Europe intégrée, refoulant ainsi une longue histoire de navigateurs et d’aventuriers, un passé impérial dont l’héritage géopolitique n’a pourtant pas été totalement liquidé.

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De fait, l’« agenda européen » du Portugal, c’est-à-dire le programme que son gouvernement entend promouvoir, est des plus conformes à la doxa franco-allemande: approfondir l’Union économique et monétaire, surmonter la fracture Nord-Sud au sein de l’Europe, accélérer la transition écologique (le « greenwashing ») et digitale, faire advenir une Europe sociale. Dans cette énumération, l’observateur ne trouvera rien qui disconvienne aux vues de Paris et Berlin, si tant est que ces deux capitales soient à l’unisson. L’énumération est également conforme aux désidératas de la Commission dite « géopolitique » de l’Union européenne et aux attentes du Parlement.

L’« agenda » de Lisbonne et l’hypothèque chinoise

En contrepartie de cet alignement, Bruno Le Maire, ministre français de l’Économie propose que le Portugal, avec ses réserves de lithium, intègre l’« Airbus des batteries électriques ». Produite au moyen de barrages électriques et d’éoliennes (40% de la production électrique nationale), l’« électricité décarbonée » portugaise pourrait aussi servir un programme d’« hydrogène vert ». Au demeurant, un problème de taille demeure: le rôle et la place de la Chine populaire dans l’économie, la finance et les infrastructures portugaises. Après le krach financier mondial de 2008, aggravé dans le cas du Portugal et de l’Eurozone par la crise des dettes souveraines qui suivit, Pékin a su instrumentaliser la conjoncture pour avancer ses pions. D’importants capitaux furent investis dans l’économie de cette nation d’Extrême-Occident (banques, assurances, tourisme, ports et infrastructures).

Partiellement occultée par l’activisme déployé en Europe centrale et balkanique (le « 17+1 »[tooltips content= »17 pays d’Europe centrale et des Balkans, dont 11 sont membres de l’UE, que Pékin soigne particulièrement NDLR »](1)[/tooltips]), la présence chinoise au Portugal s’est depuis renforcée. En 2018, Xi Jinping se rendait sur place, afin de signer dix-sept accords bilatéraux, dont un mémorandum sur les nouvelles routes de la soie (la Belt and Road Initiative). Confirmé l’année suivante, cet accord pourrait se traduire par l’ouverture d’une route pacifico-atlantique de la soie, depuis les « méditerranées asiatiques » (les mers de Chine du Sud et de l’Est) jusqu’au port de Sines, en passant par le canal de Panama. Ainsi les compagnies d’État chinoises investiraient-elles dans le plus grand port artificiel portugais, situé dans l’Algarve, une centaine de kilomètres au sud de Lisbonne (Sines assure la moitié du trafic maritime portugais). Notons par ailleurs qu’une partie de la dette portugaise est désormais acquise par la Chine populaire (les « panda bonds »).

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Cette politique complaisante, dont Lisbonne n’a pas le monopole, s’accompagne d’un discours sinophile qui porte l’accent sur cinq siècles de riches relations diplomatiques et culturelles entre le Portugal et la Chine. Le simple examen des faits historiques suffit à dissiper ce « narratif » dont le seul but est de justifier l’affairisme, nonobstant ses redoutables implications diplomatiques et stratégiques. Quant au sort de la possession portugaise de Macao qui, lors de sa rétrocession (1999), a d’emblée succombé au pouvoir communiste chinois, il est difficile de voir en quoi il validerait la thèse d’un savoir-faire particulier de Lisbonne dans ses relations avec Pékin.

Macao Image: Travel Sourced de Pixabay .
Macao Image: Travel Sourced de Pixabay .

Il faut cependant concéder le fait que le gouvernement du Portugal et nombre d’experts nationaux, tout en appelant au « pragmatisme » (mot clef du nihilisme politique), admettent la nécessité d’une politique européenne plus ferme à l’égard de la Chine populaire. Concrètement, la compagnie chinoise Huaweï pourrait être exclue de la 5G et les autorités politiques portugaises scruteraient avec plus de vigilance les projets chinois d’investissement. Malheureusement, les pressions amicales des États-Unis ont plus pesé que celles de Bruxelles. La volonté, affichée ces derniers jours, de signer un accord avec Pékin sur les investissements, sans chercher à s’entendre au préalable avec la future administration Biden, n’est d’ailleurs pas de bon augure.

Une nation hespériale

Toujours est-il que le déploiement chinois sur un vaste arc occidental, de l’Arctique à la Méditerranée, et l’intérêt porté par Pékin au Portugal, envisagé comme une plate-forme logistique et commerciale, voire comme un État client, appellent l’attention sur l’océan Atlantique. Si l’entrée dans la CEE, en 1986, semble avoir « ibérisé » le Portugal, dès lors réduit à une périphérie occidentale de la « dorsale européenne » qui court de Londres à Milan, il importe de se remémorer la place et le rôle de la mer dans l’histoire de cette nation hespériale.

À l’époque de la Reconquista, le comté de Porto n’était qu’une marche chrétienne, au nord-ouest de la péninsule Ibérique. C’est en écrasant les forces musulmanes à Ourique, en 1139, que le comte Alfonso Enriques fonde le Portugal. Il reçoit alors du Christ la promesse que son pays recevrait l’empire de la mer. Ce satellite lointain de l’économie-monde méditerranéenne se tourne vers l’océan Atlantique et conquiert ensuite un empire au-delà des mers, le premier du genre. Si l’essentiel des possessions asiatiques a été tôt perdu, au profit des Hollandais notamment, le Brésil demeura dans le giron portugais jusqu’en 1822. Quant aux possessions africaines, elles n’accédèrent à l’indépendance qu’en 1975, après la révolution des œillets. Et le Portugal maintint sa souveraineté sur Macao jusqu’à l’extrême fin du vingtième siècle.

Il serait erroné de voir en cette évocation une variante géopolitique du fado, ce chant qui exprime la « saudade ». En vérité, ce sentiment mélancolique mêle l’espoir à la nostalgie. Si le choix de la CEE a semblé ramener le Portugal au point de départ, i.e. à la condition de satellite, cette nation hespériale dispose encore d’atouts géopolitiques. Le Portugal se projette dans l’océan atlantique, à plus d’un millier de kilomètres, avec l’archipel de Madère et celui des Açores, dont on sait le rôle stratégique au cours des conflits du vingtième siècle. Ce « pays-archipel » pourrait bientôt être renforcé par l’adjonction d’un vaste domaine maritime, le troisième au monde – une demande en ce sens a été déposée auprès des Nations unies. Sur un autre plan, l’universalité de la langue portugaise, consacrée avec la fondation de la CPLP (Communauté des Pays de Langue portugaise, 1996), dessine un vaste cercle qui inclut le Brésil, plusieurs pays d’Afrique et des morceaux d’Asie.

Le regain d’activité de la flotte russe dans l’Atlantique ainsi que l’irruption de la flotte chinoise mettent en valeur la dimension atlantique du Portugal et, par voie de conséquence, la nécessaire coopération interalliée pour sauvegarder ses archipels des convoitises sino-russes. Imaginons simplement ce qu’une mainmise financière chinoise sur les Açores, carrefour atlantique de câbles sous-marins, aurait comme implications stratégiques. A l’échelon européen, la solidarité financière et économique avec le Portugal doit aller de pair avec la préservation de ses infrastructures critiques, côtières et terrestres.

Les racines du futur

Enfin, le caractère océanique du Portugal, son rayonnement linguistique et le potentiel géopolitique de cet empire oublié sont de puissantes sources d’inspiration pour une Europe menacée de provincialisation, dans un monde dont les équilibres basculent vers l’Orient. La seule souvenance des Lusiades et du monde lusophone entre en résonance avec le projet de « Global Britain » ou la perspective d’une « plus grande France », pleinement engagée dans la région Indo-Pacifique.

Trop longtemps dénigrés par une histoire positiviste et marxisante, les mobiles spirituels des navigateurs portugais de jadis, voire le mysticisme des projets de conquête, devraient être également médités. Ils sont à nouveau pris au sérieux par une histoire « interconnectée » qui ne néglige pas les facteurs idéels de la puissance.

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Ainsi l’historien indien et professeur au Collège de France Sanjay Subrahmanyam mentionne-t-il, dans son ouvrage L’Empire portugais d’Asie, 1500-1700. Histoire politique et économique (1999), la croyance en l’unification de la Chrétienté, sous la direction d’un messie portugais, réalisation du Cinquième Empire prophétisé dans le Livre de Daniel. La situation de l’Europe contemporaine constitue la démonstration a contrario de la force d’un tel messianisme: croire à peu de choses ne mène qu’à peu de choses, sinon au naufrage.

Source : Institut Thomas More

Finkielkraut coupable de substitution idéal

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Cette compétition du dégoût aidera-t-elle un seul enfant abusé?


La ténébreuse affaire Duhamel pose un problème aux journalistes. La victime principale ne semble pas vouloir libérer sa parole dans les médias. Quant à Olivier Duhamel, il n’est pas un coupable expiatoire très accommodant. Il ne dit rien. Ne se flagelle pas publiquement. S’il a reconnu avoir fait « des choses affreuses », c’est en confidence à un ami (qui bien sûr, l’a raconté à un journaliste mais vu l’interrogatoire qu’il a dû subir, ne lui jetons pas la pierre).

Sa condamnation à la mort sociale ayant déjà été prononcée et acceptée par l’intéressé qui a démissionné de toutes ses fonctions et activités publiques, le procès menaçait de tourner court avant que tout un chacun ait pu proclamer fièrement l’aversion que lui inspirent les crimes contre les enfants – aversion parfaitement naturelle, mais qui serait plus respectable si elle était moins ostentatoire : à quoi sert-il d’annoncer urbi et orbi qu’on crache sur un homme déjà mort ? Cette compétition du dégoût aidera-t-elle un seul enfant abusé ?

On ne libère pas la parole par la force

Les procureurs ont besoin de suspects. On traque donc les complices, les coupables par omission et par association, ceux qui savaient et n’ont rien dit, ou ceux qui ne savaient pas et auraient dû savoir. On dresse des listes des invités de Sanary. Mais que savaient ceux qui savaient alors que nous ignorons presque tout de ce qui se passait dans cette chambre d’adolescent – sinon qu’il s’agissait de faits hautement condamnables ? En dépit du charivari médiatique et de la certitude que nous avons désormais de savoir, nous n’avons pas la moindre idée ce que ressentaient les protagonistes, ce qui déterminait leurs choix. Seule Camille Kouchner a livré sa vérité, brossant au passage le portrait d’une tribu où on ignorait l’heureuse séparation des générations et où les jeunes découvraient la sexualité sous le regard bienveillant des aînés.

Numéro de février, disponible: Causeur: Finkielkraut évincé de LCI, la défaite de la pensée

Selon Camille Kouchner, des années durant, personne n’a rien su. Vingt ans après les faits, lorsque des proches ont commencé à savoir, d’abord Evelyne Pisier, épouse du coupable et mère de la victime, puis au fil des années, pas mal de membres de la tribu Sanary, l’adolescent était devenu adulte. Il ne voulait ni porter plainte, ni déclencher un scandale public. Personne n’était en droit, ni moralement, ni légalement, de saisir la justice à sa place, et éventuellement contre son gré. On ne libère pas la parole par la force. Pourtant, on leur reproche aujourd’hui d’avoir respecté le souhait de « Victor », nom donné par Camille Kouchner à son jumeau. Au passage, sous couvert de souffrir pour lui, les commentateurs et experts qui dissertent sur l’inceste, le privent de sa singularité et de sa liberté : sa vie est forcément détruite, son silence forcément contraint. C’est l’une des singularités des crimes sexuels : on décrète que la souffrance est structurellement insurmontable, condamnant ainsi les victimes qui veulent et peuvent avancer à une vie « détruite », à la pitié de tous et au flash-back permanent. Et puisque la souffrance des victimes est imprescriptible, le crime doit aussi l’être, ce qui reviendrait à aligner l’inceste sur Auschwitz, le crime intime sur le crime de masse.

Vacarme girardien

Parmi ceux qui, à partir de 2008, ont été informés, certains ont rompu avec Duhamel, d’autres non. Ne soyons pas naïfs, beaucoup ont dû calculer, sans se poser la moindre question morale, qu’ils avaient plus à perdre qu’à gagner à le lâcher. Ayant contribué à son pouvoir et à sa gloire, ils en recevaient les miettes. Peut-être, cependant, quelques-uns ont-ils pensé que même le crime n’efface pas l’amitié.

Dans leur dernier article les talentueuses duettistes du Monde (Baqué-Chemin) annoncent que Duhamel « va bientôt entraîner dans sa chute tous ceux qui, jusque-là, s’inclinaient devant son pouvoir ». Il est probable en effet qu’après le préfet Marc Guillaume, faiseur de rois déchu, le directeur de Sciences Po devra jeter l’éponge. On ne s’en émouvra pas outre-mesure. Le message outragé qu’il a adressé à toute l’Ecole sur le mode « je tombe de ma chaise », pour reconnaître piteusement deux jours plus tard qu’il avait été alerté, est pour le moins accablant. La roue de l’infortune a parfois du flair. Elle en a eu moins avec Elisabeth Guigou. Si l’ancienne Garde des Sceaux dit la vérité, elle a découvert le crime ce 4 janvier. Pourtant, elle a dû démissionner de la présidence de la Commission sur l’inceste : curieusement tous ceux qui nous disent que l’inceste est partout (ce qui signifie que nous côtoyons tous sans le savoir des situations incestueuses) sont tombés sur Guigou parce qu’elle avait côtoyé sans le savoir un homme incestueux.

Dans ce vacarme girardien où la société chauffée à blanc se réconcilie en crachant sur l’abuseur d’enfants, Alain Finkielkraut est un coupable de substitution idéal. Le 11 janvier, une semaine après le début de l’affaire, notre cher philosophe évoque le sujet dans son dialogue hebdomadaire avec David Pujadas. Le soir même, l’offensive numérique à base de bouts de phrases interprétés de la façon la plus malveillante possible commence. De toute façon, il a défendu Polanski, plaisanté sur le viol un sujet sur lequel on ne plaisante pas (Coluche, reviens, ils sont devenus sérieux !) : son compte est bon.

L’émission de LCI retirée du site de la chaîne

L’après-midi, il fait partie des « Trending Topics ». À 17 heures, il est débarqué de LCI. Une chaîne où on ne plaisante pas avec le buzz. Quoique l’argument qu’elle a avancé soit dans ce désastre hautement comique : « LCI fait du débat d’idées, argumenté et respectueux, une priorité de sa ligne éditoriale. Quotidiennement, LCI s’attache à mettre en perspective des faits d’actualité avec le regard d’invités aux opinions plurielles et aux sensibilités multiples ». On vous a dit plurielles et multiples, pas contradictoires ou divergentes. Le plus cocasse, c’est que la veille, toute la France politique et médiatique s’insurgeait de la censure de Trump par Twitter. Que l’on prive le public du questionnement exigeant d’un penseur qui, de l’avis général, a fait grandir ses lecteurs n’a pas suscité de grand mouvement d’opinion. Certes, beaucoup sont sincèrement révoltés par la décision de LCI, mais tout de même, il n’aurait pas dû. Pas dû quoi au juste ?

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Il suffit d’écouter l’émission dans son intégralité pour savoir qu’Alain Finkielkraut n’a pas dit ce qu’on l’accuse d’avoir dit. Sauf qu’on ne peut plus l’écouter. L’émission a disparu du site de la chaîne comme les portraits des purgés de Staline disparaissaient des photos (qu’Alexandre Bertolini soit remercié pour avoir déniché la vidéo et d’avoir établi le verbatim de l’échange). En conséquence, chacun a pu se faire son idée à partir du flot numérique charriant des commentaires de commentaires de commentaires de quelques phrases extraites de leur contexte. Les réseaux sociaux n’ont rien inventé, ils ont industrialisé la machine à rumeurs et universalisé le vieux principe de Richelieu (qui n’est pas de Richelieu semble-t-il) : « Donnez-moi deux mots de la main d’un homme et je le fais pendre. » La calomnie, le mensonge et la guillotine à portée de tous. C’est ce qu’on appelle le progrès.

Alain Finkielkraut n’a nullement excusé, justifié ou minimisé. Il n’a pas défendu la pédophilie ni fait l’apologie de l’inceste comme on peut le lire.  Il a même évoqué « M le Maudit », tueur de petites filles jugé et exécuté par la mafia de la ville. Les journaux le reconnaissent, ses premiers propos ont été : « Un homme ça s’empêche (…).Si mû par une passion inattendue ou par une pulsion irrépressible Olivier Duhamel n’a pas su, pas pu, ou pas voulu s’empêcher, il n’a pas seulement commis un acte répréhensible, ce qu’il a fait est très grave, il est inexcusable. » Il dit clairement « c’est inexcusable ». Peu importe, la meute a décidé qu’il excusait.

La nausée de Pierre Jacquemain

Quel est son crime alors ? C’est d’avoir voulu comprendre cet acte inexcusable. D’avoir cherché à lui restituer sa singularité quand tant d’autres ont décidé d’en faire un emblème d’une cause, l’Inceste avec un grand I, voire la pédophilie avec un grand P. Bref, il a tenté de spécifier le crime car, a-t-il rappelé « l’exercice de la Justice s’appuie « sur une vertu intellectuelle que les Grecs appelaient la phronesis, l’intelligence des cas particuliers. Cette sagesse pratique est aujourd’hui complètement balayée par la « furie de la pitié », ce mot c’est Michelet qui l’écrit à propos de la maladie des hommes de 1793.».

Finkielkraut condamne mais il ne s’en tient pas là. Il voudrait comprendre les circonstances, savoir ce qui s’est passé derrière cette porte close, ce que ressentaient les deux protagonistes. Bref, quand les tricoteuses ne se soucient que de condamner (et de faire savoir qu’elles condamnent), lui fait ce qu’aurait fait un juge pénal – ou un romancier: il pose des questions. Il essaie d’entrer dans les raisons des personnages, fussent-elles absolument déraisonnables.

On est contraint de se livrer à une fastidieuse explication de texte du passage qui a déchaîné la haine satisfaite de ses ennemis et la consternation de pas mal de ses amis.

– Finkielkraut : Y’a t’il eu consentement, à quel âge ça a commencé ? Y’a t-il eu une forme de réciprocité ?Quand vous posez ces questions on vous tombe immédiatement dessus.

– Pujadas : Parce que l’on parle d’un enfant de 14 ans !

– Finkielkraut : Et alors ? D’abord on parle d’un adolescent, ce n’est pas la même chose. Même pour spécifier le crime il faut savoir s’il y a eu consentement ou non. À chaque fois que vous voulez faire une distinction ça apparait comme une absolution. À chaque fois que vous recherchez la spécificité ou vous accuse à peu près de complicité, de crime.

Pour commencer  « et alors ? » ne signifie pas « qu’est-ce que ça peut faire ? » mais « en quoi le fait qu’il ait 14 ans interdit-il de poser ces questions ?». Quant à la distinction entre un enfant et un adolescent, qui semble pourtant relever de l’évidence, elle a par exemple donné la « nausée » à Pierre Jacquemain, extrême gauchiste tendance intestin délicat. Or, bien qu’il s’agisse de deux actes parfaitement répréhensibles, qui oserait affirmer qu’abuser d’un enfant et d’un adolescent c’est la même chose ? Ce sont deux crimes différents, qui n’obéissent pas aux mêmes pulsions. On ne pourrait pas regarder Lolita si elle avait 7 ans – du reste, même avec une Lolita de 13 ans, c’est le malaise qu’il produit qui en fait un chef d’œuvre. Peut-être parce qu’il explore une pulsion universelle – et heureusement refoulée car la plupart des hommes s’empêchent.

«Consentement» : un mot fétiche

La seule erreur véritable d’Alain Finkielkraut est d’avoir parlé de « consentement », mot-fétiche qui interdit de penser. « Il a dit consentement, il a dit consentement. Il n’y a pas de consentement. » Les salafistes de la sémantique, qui ne peuvent concevoir qu’un mot n’ait pas exactement le même sens pour tous les locuteurs, sont en boucle.

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Cependant, le consentement est aussi une notion de droit. Finkielkraut aurait dû employer « acquiescement apparent » ou « consentement formel », préciser que, même s’il avait eu lieu, ce consentement n’en était pas un, agiter une clochette à chaque phrase en rappelant que comprendre, ce n’est pas justifier. Ça aurait  alourdi ses phrases (comme ce texte) mais compliqué le travail de tous ceux qui veulent sa peau depuis si longtemps.

Une seule réaction socialement acceptable

On sait bien que ce qui rend ce crime si détestable et si singulier, c’est qu’il est une affaire de liens, donc de sentiments – trahis chez la victime, honteux chez le coupable. Un président de Cour d’Assises demanderait à la première si elle a opposé une résistance (et ne déduirait nullement d’une réponse négative que le crime était moins grave ou que la victime était complice). Puisque nous sommes les spectateurs, d’un règlement de comptes grand-familial et/ou d’une aventure thérapeutique, on aimerait, comme le ferait un romancier ou un cinéaste, pouvoir explorer cette tragédie avec plusieurs regards, entrer dans la tête de l’adolescent abusé et de l’homme abuseur. « Non on n’a pas besoin de comprendre, m’a dit un ami. Il y a un coupable et une victime point. Et il n’y a pas de consentement. C’est interdit, c’est tout. » Si on doit interdire la pulsion incestueuse, c’est bien parce qu’elle existe. Dans cette affaire c’est l’éléphant dans la pièce.

C’est à cause de cet embarrassant pachyderme que la seule réaction socialement acceptable est l’expression du dégoût, de l’effroi et de la compassion. Il faut que cette affaire touche à un point sensible et enfoui du fonctionnement social et du psychisme individuel pour qu’on en arrive à proscrire les questions et les questionneurs. Si Dostoïevski a écrit les Démons, ce n’est pas pour nous divertir, mais pour nous parler de nous.

Alain Finkielkraut a voulu réfléchir, penser l’événement et plus encore sa réception. Si on prenait les idées au sérieux, on discuterait ses propos. On lui demanderait de les préciser. Comme toujours, il est plus gratifiant d’agiter des crucifix.

Il a eu tort de croire qu’on pourrait l’entendre. Peut-être n’y croyait-il pas, d’ailleurs, mais c’est plus fort que lui. Ses détracteurs parlent de provocation, ses admirateurs pensent qu’il cherche les ennuis. Non. Il cherche la vérité. C’est la définition du courage.

Marielle, Broca, Belmondo: le beau recueil nostalgique de Thomas Morales

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Notre chroniqueur régulier Thomas Morales vient de sortir un beau recueil, Ma dernière séance, dédié à trois légendes du cinéma hexagonal.


Le temps est propice à la nostalgie – comme il l’est toujours, avec Thomas Morales. Face à un présent déprimant, rien de mieux que de revenir aux vieilles gloires, de se réfugier dans les valeurs sûres, et de s’emmitoufler dans ce qu’on connaît par cœur, comme d’un plaid en laine dans une maison mal chauffée. Le plaid salvateur de Thomas Morales, c’est une collection de films de notre cinéma national, quand il pouvait encore se dire comique et populaire. Cette année, pour avoir la force de passer l’hiver, notre auteur nous offre Ma dernière séance, un beau recueil de chroniques dédié à trois légendes : Marielle, Broca, Belmondo. Du « temps béni des égéries masculines », riche de « notions aujourd’hui bannies: l’audace, le bon mot, l’ironie amusée, les amours ancillaires et le désengagement vindicatif ».

Un hommage superbe à Jean-Pierre Marielle

Les lecteurs assidus de Causeur auront le bonheur d’y relire l’hommage superbe à Jean-Pierre Marielle que Morales avait publié dans nos colonnes en forme de série d’été après sa mort en 2019, accompagné de sa filmographie complète ; probablement un des plus beaux hommages écrits par Morales (qui n’en est pourtant pas avare), dont le style virevoltant est plein d’une affection ancienne pour l’acteur qui « catapultait les cons dans la stratosphère ».

A lire aussi, du même auteur: « Soif » d’Amélie Nothomb: ce que notre époque a retenu du christianisme

« Marielle n’était pas un Français moyen comme on l’a souvent chroniqué, ou alors d’une moyenne puissance mille, d’une moyenne exponentielle, d’une moyenne épique. Chacun de ses gestes, cette attitude féroce et tendre, ce détachement face à une réalité trop laide, le plaçait hors concours, hors gabarit. » Dans la « pâtisserie de province », sublimant le « fornicateur des zones pavillonnaires », Marielle incarne l’insouciance française sauce Trente Glorieuses ; « convaincu que les temps funestes voileront bientôt l’horizon, alors jouissons, trinquons et égarons-nous dans la moiteur d’une touffe indisciplinée ».

jean pierre marielle giscard mitterrand
Jean-Pierre Marielle dans « Les galettes de Pont-Aven »

C’est cette période de passage, cette ligne de crête, que Morales cherche aussi chez Broca, « le dernier à avoir consigné dans ses films l’âme française, ce mélange d’insouciance et d’individualisme, d’une bourgeoisie bien élevée et d’élévation spirituelle ». Évocation de Cartouche, Le Cavaleur, Le Magnifique : « Il fait le pari insensé de la sensibilité sans mièvrerie, du panache sans gloriole, d’une recherche éperdue de pureté sans les poncifs habituels, cette glue émotionnelle qui colle maladroitement les morceaux. Il fracasse les hérauts de la Nouvelle Vague sur les récifs d’un intellectualisme fermenté ».

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Les scènes défilent, Morales va et vient entre le présent et le défilé coloré de personnages flamboyants, au premier degré magnifique, sans mauvaise conscience et sans discours moralisateur (les deux allant de pair). Le contraste est la rançon de la nostalgie. Morales est un virtuose du rocking-chair: confortablement installé, il se balance d’avant en arrière, du doux à l’amer, jusqu’à l’étourdissement tranquille et le serrement de cœur.

Ma dernière séance : Marielle, Broca et Belmondo

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« C’est triste, mais l’écrit tend à disparaitre du paysage français… »
Thomas Morales en entretien avec Philippe Bilger sur Fréquence Protestante

La taxe GAFA est-elle utile à la France ?

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Depuis bientôt trois quinquennats, nos dirigeants proclament « à la ville et au monde » leur volonté farouche d’imposer l’économie du numérique et les profits de ses grandes entreprises. Moins que « l’économie du numérique », ce sont surtout les grandes plateformes numériques étrangères qui sont visées – de manière générique les « GAFA » (pour Google, Apple, Facebook, Amazon) ; elles restent dans cette nouvelle économie la pierre d’achoppement du déclenchement d’une obligation fiscale.


Fidèle à sa tradition séculaire de créativité, le Parlement français a adopté, en juillet 2019, une loi créant une « taxe sur certains services fournis par les grandes entreprises du secteur numérique », dite taxe GAFA. Formellement à l’initiative de l’Union européenne en 2018 – mais véritablement soufflée par Bercy –, les pays de l’Union ont suspendu le projet en mars 2019 en raison de l’opposition, par ailleurs prévisible, de l’Irlande notamment. La France a alors décidé de faire cavalier seul, ce qui lui a permis de collecter quelque 350 millions d’euros la même année 2019. Ceci avant une « trêve » conditionnant la non-perception de ces ressources à la réussite des négociations visant à une réforme globale de la fiscalité internationale dans le cadre de l’OCDE : Paris gelait le recouvrement de sa taxe et Washington s’abstenait de sanctions. Mais cette négociation ayant échoué en octobre 2020, la version française de la taxe GAFA a donc été recouvrée, en partie, en décembre dernier.

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Techniquement, cette taxe est un prélèvement, au taux de 3 %, sur la somme des produits (le chiffre d’affaires) perçus en contrepartie de la fourniture des services, effectués en France, de ventes de données à des fins publicitaires, de mise en ligne de publicités ciblées, ainsi que de l’activité de plate-forme d’intermédiation, principalement de Marketplace. Seules les grandes entreprises du numérique sont concernées, celles réalisant 750 millions d’euros de services numériques taxables au niveau mondial et 25 millions d’euros de services numériques taxables au niveau français. Soit une trentaine d’entreprises, dont environ la moitié est américaine et une seule française.

Un système fiscal inadapté

Ce projet parait, a priori, séduisant : l’imposition des bénéfices des entreprises visées reste bien inférieure à celle des entreprises ne relevant pas de ce marché. Pour les économistes les plus pessimistes, il suffit de leur rappeler que les acteurs du numérique supportent 14 points d’impôts de moins sur leurs bénéfices que les entreprises ayant « un modèle d’affaires traditionnel européen » : 9,5% contre 23,2% d’après Pierre Moscovici alors commissaire européenOn rappellera aussi, selon un rapport du Sénat, que la société Google a supporté une imposition de 6,7 millions d’euros d’impôt sur les sociétés en France en 2015 et 17 millions d’euros en 2018. La société Airbnb, dont Paris est la première destination mondiale, a quant à elle payé 92 944 euros d’impôt sur les sociétés en France en 2016 ; la modicité de ces sommes évoque plutôt le montant d’impôt sur les sociétés d’une PME. La raison de cette situation est simple, face à l’économie du numérique, l’ordonnancement fiscal montre sa désuétude : l’impôt sur les sociétés et les autres « grands » impôts sont inadaptés à ces nouveaux modèles d’affaires. Le décalage entre, d’une part, le modèle économique des facteurs de productions de richesses ayant un caractère immatériel et, d’autre part, les critères juridiques de qualification de l’obligation fiscale qui nécessitent une tangibilité, crée une volatilité de l’assiette taxable. Les critères juridiques de qualification, tant internes qu’internationaux, ne sont donc pas adaptés à ces « passagers clandestins » du monde fiscal.

Site d'Amazon à Saran, près d'Orléans © PATRICK GELY/SIPA Numéro de reportage: 00956406_000020
Site d’Amazon à Saran, près d’Orléans © PATRICK GELY/SIPA Numéro de reportage: 00956406_000020

La France a donc décidé de les modifier. Puisqu’elle ne pouvait intervenir unilatéralement que sur ses critères juridiques nationaux, elle a cru bon de créer une nouvelle taxe, palliative du défaut des impôts préexistants. Cette nouvelle taxe est astucieuse puisqu’elle ne tombe pas sous les fourches caudines des plus de 120 conventions bilatérales signées par la France, susceptible d’y faire échec, les taxes sur le chiffre d’affaires se trouvant hors de leurs champs d’application. Là est la plus grande ingéniosité, elle permet d’assujettir des entreprises étrangères, réalisant un chiffre d’affaires en France (grâce au marché français), sans l’accord des États concernés.

En réalité, tout cela est un trompe-l’œil… Qui ne trompe personne.

La taxe est supportée par les consommateurs, pas par les entreprises

Il s’agit là d’un cas d’école de la théorie économique de l’incidence fiscale.

L’analyse de la répartition de la charge effective de l’impôt entre les différents agents économiques montre que les assujettis pourront répercuter le coût de la taxe directement ou indirectement sur les consommateurs, compte tenu de leur position de marché. Les entreprises concernées l’ont d’ailleurs annoncé : elles feront supporter la taxe sur les consommateurs français. Amazon France a, par exemple, décidé d’augmenter de 3% les frais de vente sur son site ; Apple et Google ont également annoncé une hausse des prix de leurs services.

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L’analyse économique montre aussi que cette mesure introduira des distorsions de marchés. Il est à craindre que ce nouveau prélèvement pénalise in fine les entreprises françaises du numérique, la société Criteo par exemple. Le facteur exogène étant une charge supplémentaire défavorisant les acteurs français payant déjà lourdement de l’impôt en France, quand les autres n’en paient pas ou peu… La taxe GAFA est donc une épine dans le pied des sociétés françaises, elle restreint leur…

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Université de la Réunion: pas d’historienne blanche pour la traite des Noirs


Virginie Chaillou-Atrous, historienne de France métropolitaine, a été élue maître de conférences en « Histoire de l’esclavage, de l’engagisme et de l’économie des colonies » par l’université de la Réunion en 2016. C’était sans compter sur les militants racialistes locaux qui ont empêché sa nomination…


Faut-il être innocent dans sa chair(e) pour en occuper une ? En juin 2016, Virginie Chaillou-Atrous était élue maître de conférences en « Histoire de l’esclavage, de l’engagisme et de l’économie des colonies » par l’université de la Réunion. L’élection de l’enseignante-chercheuse, issue de la faculté de Nantes, a provoqué la colère d’associations et de médias locaux. « Ce n’est pas de n’importe quelle ville, mais de Nantes, port négrier, que l’on veut réécrire l’histoire de l’esclavage, à La Réunion ! » écrivait un journaliste insulaire. Un metteur en scène dénonçait « un outrage, un crachat à la figure » visant à « priver un peuple du droit d’écrire sa propre histoire ». Sur les réseaux sociaux, on parle très tranquillement de « zorey » (« métropolitain »), c’est-à-dire de « Blanche. » Saisi, le tribunal administratif avait finalement relevé quelques irrégularités (pourtant très courantes) dans la procédure de recrutement pour l’annuler. La justice pratique-t-elle une forme endimanchée de la vengeance mémorielle ? Elle aurait peine à trouver dans les statuts de l’Université française – métropolitaine ou ultramarine – une quelconque notion de préférence régionale justifiant sa décision.

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L’universitaire se défend de tout lien avec la traite négrière…

À défaut de son poste, l’universitaire a voulu défendre son honneur et a porté plainte au pénal pour les diffamations, injures et provocations à la discrimination qui ont marqué la campagne menée contre elle. Elle se défend de tout lien – y compris familiaux – avec la traite négrière. « On l’a appelée “la Nantaise” alors qu’elle est Vendéenne », précisait son avocate. Qu’elle vienne d’une région martyre n’a pas éveillé de compassion ou de solidarité sur l’île. Le 3 septembre, le tribunal a prononcé une relaxe générale à l’endroit de ceux qui l’avaient insultée.

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L’assimilation: une dernière chance pour la France

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Un jeune immigré italien au port du Havre, fin du XIXème siècle. © Gusman/Leemage

Cette façon typiquement française de gérer les différences entre individus en imposant la primauté de l’appartenance nationale qu’on appelle assimilation a probablement disparu. Sans elle, la France risque fort de devenir un pays où les Français autochthones formeront une communauté parmi d’autres.


Tout comme individus, rien comme communauté. Le marché proposé aux juifs par Clermont-Tonnerre en décembre 1789 établit la recette de l’assimilation à la française. La formule s’est avérée d’autant plus efficace que la chose a finalement été moins abrupte que le mot. Cela n’a jamais été rien pour le communautaire – peut-être, justement, parce qu’on n’accordait pas tout aux individus. Ce qui permet de lever un contresens répandu dans les familles juives de mon enfance où l’idée d’assimilation était investie d’une charge négative, exhalant un petit parfum de reniement. L’assimilation n’est pas la répudiation de ses ancêtres, mais une greffe par laquelle on s’arrime à la collectivité que l’on rejoint. Elle n’exige pas la disparition des différences, elle établit des préséances, fait le tri entre les différences acceptables, digérables, adaptables et celles qui ne le sont pas. Son but, ou son résultat, car elle est autant un processus qu’une politique, c’est que, dans le cocktail identitaire constituant chacun d’entre nous, l’appartenance nationale jouisse d’une forme de privilège, comme dans cette blague où Moïshe, émigré à Londres dans les années 1940 avec tout son shtetl, pleure son monde juif perdu. Et puis un jour, ses amis le trouvent en chapeau melon et smoking, mais toujours éploré. « Enfin, ici c’est l’Angleterre, c’est un monde libre, lui disent-ils. —Yes, but we lost India, répond-il. « Émigrer, c’est changer de généalogie », écrit Malika Sorel. C’est en tout cas admettre que celle du choix puisse prendre le pas sur celle du sang.

À lire aussi: Albert Batihe: «Nous, les Noirs, nous avons un complexe d’infériorité transmis de génération en génération»

Un modèle qui a engendré un tas de Français aux noms bizarres

Pendant deux siècles, cet alambic anthropologique a engendré des tas de Français aux noms bizarres dont beaucoup éprouvaient le patriotisme du charbonnier. Ça ne s’est pas fait sans douleur. Il y a eu des hauts et pas mal de bas – quoi qu’en dise Zemmour, l’État français ne fut pas un laboratoire de l’assimilation –, mais ça s’est souvent fini à la satisfaction des accueillants et des accueillis – des hôtes et des hôtes. Les juifs ont continué à être juifs, de façon moins ostensible, et ils sont devenus français. Et pour une grande partie d’entre eux, au moins jusqu’aux années 1980, la « communauté organisée », comme dit l’aimable Soral, a cessé d’être l’intermédiaire obligé avec la nation française, ce qui signifie que leur éventuel engagement communautaire ne déterminait pas leur existence de citoyens. À quoi il faut ajouter que par le jeu des mariages et des mélanges, de nombreux Français, qui ne sont juifs ni aux yeux des rabbins ni aux leurs, ont des « origines juives » – comme les petits-enfants d’Albert Batihe, qui brandit le flambeau assimilationniste, auront des origines camerounaises.

Notre numéro de janvier 2021, disponible en kiosque.
Notre numéro de janvier 2021, disponible en kiosque.

Le 4 décembre 2020, deux cent trente et un ans après l’adresse flamboyante de Clermont-Tonnerre, Emmanuel Macron envoie définitivement à la casse notre vieille machine à fabriquer des Français. Ça ne se passe pas dans un grand discours mais dans un long entretien accordé à Laureline Dupont pour L’Express : « Dans notre Code civil, figure encore cette notion très problématique d’assimilation. Elle ne correspond plus à ce que nous voulons faire. » Je ne sais pas qui est ce « nous », parce que moi, on ne m’a pas demandé mon avis. Pas plus qu’à l’ensemble des Français qui ne trouvent pas l’assimilation si problématique que ça. Quelques jours plus tôt, il a annoncé la couleur dans un entretien filmé accordé à Brut. Le président veut parler aux jeunes, a trompeté l’Élysée. Moyennant quoi il s’est adressé presque exclusivement aux « Jeunes et moins jeunes issus du continent africain ». Ce qui, croit-on comprendre, signifie « Noirs et Arabes ». La segmentation du marché électoral ne répondait pas à un critère générationnel, mais ethnique.

Emmanuel Macron ne fait que se plier au sens du vent. Et quelques semaines après l’assassinat de SamuelPaty, le vent a tourné. Alors que chaque jour des policiers sont insultés, agressés, tabassés, la gauche indigéno-insoumise et la nébuleuse anti-flics ont mitonné une tambouille indigeste mélangeant l’affaire Zecler (ce producteur molesté au cours d’une interpellation) et l’article 24, réussissant à imposer la vision d’une France gangrenée par la violence policière. C’est le même tour de passe-passe qu’avec les viols : la transgression est présentée comme la norme, la bavure comme le quotidien, la violence envers les femmes et le racisme sont systémiques, voire d’État.

Racialisme présidentiel

Le président fait dans la repentance en col roulé. Attention, expliquer, ce n’est pas justifier, mais « le séparatisme prospère sur nos échecs ». Et les prétendus contrôles au faciès nourrissent l’« incompréhension » entre les « jeunes » et la police, comme si celle-ci était chargée du bien-être psychologique de ceux-là. Loin de vanter à ces jeunes-et-moins-jeunes (pendant générationnel de l’affreux celles-et-ceux) la culture et l’histoire qu’ils sont invités à faire leurs, il leur propose d’emblée de les enrichir, voire de les réécrire. Mais le plus sidérant, s’agissant du président d’une nation qui ne s’est jamais définie par l’ethnie, c’est qu’il s’adresse à eux en tant que « Noirs » (et « Arabes », semble-t-il, puisqu’il parle du continent africain) supposant que cette « couleur » est une appartenance, et cette appartenance l’alpha et l’oméga de leur être. Et de convoquer les héros « qui parlent d’une jeunesse noire ». C’est ainsi que, dans un pays qui proscrit les statistiques ethniques, une commission Théodule est actuellement en train de dresser une liste de Noirs auxquels on donnera des noms de rues et de places. Faudra-t-il inscrire sur les plaques : « Noir pour la France ? » Il y a dix-huit ans, Le Monde, en avance sur son temps, annonçait : « Avec Alexandre Dumas, le métissage entre au Panthéon. » (1er décembre 2002) J’apprenais au passage que le père d’Edmond Dantès était métis. Avec Emmanuel Macron, je découvre qu’il était « mulâtre ». Ce qui m’en fait toujours une belle. Mais puisqu’il y a une « culture noire », on ne s’étonnera pas que l’ex-footballeur converti en prêchi-prêcheur Lilian Thuram puisse publier un livre intitulé La pensée blanche.

Lilian Thuram anime un atelier contre le racisme au lycée Laetitia-Bonaparte d’Ajaccio, 18 avril 2019. © Pascal Pochard-Casablanca/AFP
Lilian Thuram anime un atelier contre le racisme au lycée Laetitia-Bonaparte d’Ajaccio, 18 avril 2019. © Pascal Pochard-Casablanca/AFP

Emmanuel Macron n’est donc que le continuateur de tendances à l’œuvre bien avant lui. Grippée depuis plusieurs décennies, la machine à fabriquer des Français inventée pour l’essentiel par la IIIe République, bien qu’on puisse la faire remonter à Valmy, finit de rouiller dans un coin.

L’inclusion ne demande rien aux derniers arrivés

La généalogie qui va de l’assimilation à l’intégration, déjà plus arrangeante, puis à l’inclusion (synonyme techno de la diversité), qui ne demande rien aux derniers arrivés parce qu’elle refuse tout privilège à l’ancienneté, a accompagné la mutation qui nous a vus sacraliser le moindre caprice de l’individu. Chacun veut exposer ses petites manies et exige pour elles respect et reconnaissance. À cela il faut ajouter que nous vivons dans un monde ouvert, souvent pour le pire, mais aussi pour le meilleur – la libre compétition des idées. Soyons honnêtes, nous déplorons l’arraisonnement de l’existence par l’horizontalité, mais les plus verticalistes d’entre nous ne supporteraient pas un instant les cadres mentaux rigides de la IIIe République ni l’histoire glorieuse qui était alors enseignée dans les écoles.

A lire aussi, Bérénice Levet: L’assimilation, une ambition française

C’est donc dans un ventre déjà amolli par des décennies de paix et de consommation de masse, sur fond de frontières physiques et culturelles abattues en chantant, que l’antiracisme porte le coup de grâce idéologique à l’ambition assimilationniste. Devenu l’idéologie dominante dans les années Mitterrand-Touche pas à mon pote, il impose dans l’espace public l’exaltation des différences et la célébration des identités minoritaires et allogènes comme le seul discours acceptable. Peu à peu, une injonction contradictoire s’impose par l’intimidation. D’un côté, il faut célébrer les différences, mais de l’autre, il ne faut pas les voir. D’où le scandale suscité par le malheureux arbitre roumain qui, lors d’un match entre le PSG et le club stambouliote, et erdoganiste, Basaksehir, pour faire comprendre à un collègue à quel joueur il devait remettre un carton, a dit : « À machin, c’est le Noir. » Il a dit noir, il a dit noir, ont gloussé en chœur les vierges faussement outragées. Réduire un homme à la couleur de sa peau, mais c’est très mal, ont renchéri tous les militants qui s’expriment du matin au soir en tant que. Bien entendu, il ne s’agissait nullement de réduire ce sympathique garçon à sa couleur de peau, mais de l’identifier parmi d’autres. S’il avait mesuré deux mètres, l’arbitre aurait sans doute dit « le grand ». Peu importe, il a dit « noir », c’est un raciste. Les minorités veulent être visibles, mais interdisent qu’on les voie.

L’assimilation dénoncée comme une des modalités de la domination

Bien avant cet épisode, hautement comique en vérité, c’en était fini de l’assimilation, dénoncée comme une des modalités de la domination.

Peut-être était-elle condamnée par le réel, en l’occurrence la conjugaison de flux migratoires massifs et de changements technologiques qui a abouti à la transplantation de groupes entiers continuant à vivre dans l’entre-soi, et pas seulement ou pas du tout « parce qu’on les a mis dans des ghettos », selon la formule creuse et rituelle, mais parce que l’être humain cultive naturellement le voisinage de ceux qui vivent comme lui. Quand on peut parler sa langue natale avec ses voisins et amis, qu’on est relié par parabole à la télé de son pays, que les magasins alentour proposent les mêmes marchandises et qu’on peut s’habiller comme au village ou au bled sans susciter des regards étonnés, voire un brin réprobateurs, pourquoi ferait-on l’effort d’être autre chose que ce qu’on a été, surtout qu’on ne vous le demande pas ? Cet affichage identitaire n’est pas, au demeurant, l’apanage des dernières vagues immigrées. Nombre de juifs ultra orthodoxes pratiquent une endogamie rigoureuse et s’habillent à Paris comme à Méa Shéarim – et comme dans les villages reculés de Pologne et de Russie au XVIIIème siècle.

Les nostalgiques de la République à l’ancienne imputent volontiers la fin du projet assimilationniste au défaut de volonté politique, ce qui leur permet de rêver d’un homme (ou d’une femme) providentiel qui le remettrait au goût du jour en quelques mesures énergiques. Certes, puisque l’amour ne se décrète pas, au moins pourrait-on exiger de tous quelques preuves d’amour, à commencer par l’apprentissage de notre langue.

Il faut savoir à quoi s’assimiler

Cependant, si les lois et mesures sont nécessaires, le rappel des devoirs minimaux qui s’imposent à tous l’est encore plus – pour s’assimiler, il faut savoir à quoi. On ne s’assimile pas à des principes ou à des règles, mais à une communauté substantielle. L’assimilation suppose une asymétrie entre la culture de référence et les autres. Donc l’existence d’une culture de référence acceptée par tous..

On ne saurait attendre des enfants d’immigrés qu’ils chérissent une histoire, une langue, une littérature que leurs camarades délaissent ou méprisent

Or, nous sommes bien incapables de définir la collectivité que les derniers arrivés sont invités à rejoindre autrement que par des valeurs certes incontestables mais ne renvoyant à aucune réalité charnelle. Si, comme l’affirme encore Emmanuel Macron dans L’Express, être français c’est une citoyenneté qui reconnaît « l’individu rationnel libre comme étant au-dessus de tout », ce n’est pas très différent d’être américain ou allemand. Certes, notre laïcité et nos caricatures nous distinguent encore du reste du monde mais là-dessus non plus, nous ne sommes pas d’accord. Nous sommes donc parfaitement incapables de nous accorder sur les apports que nous considérons comme un enrichissement et ceux qui nous défrisent collectivement, comme en témoignent nos empoignades récurrentes sur le voile. Enfin, on ne saurait attendre des enfants d’immigrés qu’ils chérissent une histoire, une langue, une littérature, que leurs camarades délaissent ou méprisent.

Condamnés à la coexistence des communautés?

À lire aussi, Didier Leschi: «Notre propre affaiblissement sociétal est devenu un handicap à l’intégration des immigrés»

Ne nous berçons pas d’illusions : l’appel à s’assimiler que nous lançons à nos concitoyens « issus du continent africain » a peu de chances d’être entendu. Peut-être sommes-nous déjà condamnés à la coexistence des communautés, autrement dit que ces valeurs de la République que l’on prétend sauver par la loi se sont déjà effacées au profit de la reconnaissance pour tous. Dans ces conditions, autant savoir à quelle sauce nous serons mangés. Le propos présidentiel a la vertu d’énoncer clairement le catéchisme de la diversité, antonyme parfait de l’assimilation. L’une demande à la minorité de s’adapter à la majorité, l’autre traite la majorité comme une minorité parmi d’autres, un peu moins égale que les autres puisqu’elle doit payer ses privilèges passés. La première encourage l’exhibition des identités particulières quand la seconde veut faire prévaloir les facteurs d’homogénéité. L’assimilation affirme que la République est une chance pour les nouveaux arrivants, l’idéologie de la diversité que ceux-ci sont une chance pour la France. La reconnaissance doit changer de camp. Au lieu d’inviter les derniers venus à s’incliner devant les statues de leurs nouveaux ancêtres, on leur promet d’honorer celles qu’ils voudront ériger. Parmi les raisons qui expliquent, sans le justifier, le séparatisme, le président parle d’une génération à laquelle affirme-t-il, « nous n’avons pas su dire “Tu es nous” ». L’ennui, c’est que beaucoup n’ont pas la moindre envie de devenir « nous » et trouvent même insultant qu’on le leur demande. Ils semblent plutôt attendre que, pour expier nos péchés, nous leur disions « Nous sommes toi ». On n’a pas fini de marcher sur la tête.

Monolithes mystérieux: humains, trop humains

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Monolithe dans le désert rouge de l'Utah.© D.R

Des monolithes ont surgi comme par magie aux quatre coins du monde, faisant miroiter une présence extraterrestre sur Terre… 


Y aura-t-il des extraterrestres à Noël ? La question a agité la Toile début décembre. Du désert rouge de l’Utah aux Carpates orientales, en passant par la Vendée ou les Andes occidentales, des dizaines de monolithes ont surgi comme par magie. À l’origine des découvertes, non pas de paisibles chimpanzés comme dans 2001, l’Odyssée de l’espace, mais des randonneurs aguerris. Suite à une première rencontre avec un bloc de métal argenté de presque quatre mètres de haut le 18 novembre au sein des roches rouges de l’Utah, les adeptes de science-fiction se sont bousculés sur Twitter pour laisser libre cours à leur fantaisie, l’un d’entre eux allant jusqu’à assurer que les mystérieux objets formeraient un triangle équilatéral dès qu’il en apparaîtrait un au Groenland. Manque de pot, le pays des Esquimaux n’a pas répondu à l’appel extraterrestre.

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Les responsables sont de fades homo sapiens occidentaux 

Pis que ça, la paternité de certaines de ces œuvres kubrickiennes a été revendiquée par de fades homo sapiens occidentaux – dont un chaudronnier niortais et des artistes autoproclamés des États-Unis et d’Europe. Une douche glaciale pour tous les tenants d’un réenchantement du monde grâce aux petits hommes verts. Cette histoire n’est pas sans rappeler celle des célèbres « cercles de maïs » (crop circles) apparus dans la campagne anglaise dont l’origine s’est révélée plus humaine que paranormale. Entre confinements à répétition et populations masquées, qui pour sauver la Terre du virus chinois ? Après une année 2020 au parfum dystopique, le besoin de bâtir un horizon nouveau devient pressant.

« 3615 Monique » et « Ovni(s) »: Dis papa, c’était vraiment comme ça la France?

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Ovni(s) © NICOLAS VELTER / MONTEBELLO PRODUCTIONS / CANAL+

Canal+. Deux excellentes séries comiques, en nous faisant replonger entre 1978 et le début des années 80, suscitent une mélancolie paradoxale.


3615 Monique et Ovni(s) sont deux séries françaises actuellement disponibles sur la plateforme de Canal. Elles sont, chacune à leur manière, très bien faites, très bien écrites et très bien jouées. Elles ont pour point commun de se dérouler il y a une quarantaine d’années. En 1978 pour Ovni(s) et au tout début des années 80 pour 3615 Monique.

Nos années Minitel

3615 Monique raconte les débuts du Minitel à travers trois étudiants d’une fac de science de la ville de Jouy (!). Il y a Stéphanie – toutes les filles s’appelaient Stéphanie à l’époque, issue d’une bonne famille et qui vient de rater Polytechnique. Elle est jouée par la délicieuse Noémie Schmidt qui parvient à faire oublier sa trentaine et reste parfaitement crédible, avec sa frange délicieuse, dans un rôle où elle a 19 ans. Elle est entourée de deux garçons. Simon (Arthur Mazet) est un peu complexé par son pucelage mais se montre particulièrement doué dans ce qu’on appelait encore avec une révérence teintée d’inquiétude, l’électronique. Quant à Toni (Paul Scarfoglio), il est franchement plus dessalé et déconneur. Assez vite, ces trois-là unissent leur compétences et voient les possibilités qu’offre ce Minitel qui leur est présenté comme objet d’étude et preuve de l’avancée décisive de la France dans les technologies de la communication. Et l’idée de détourner l’usage du Minitel pour le transformer en messagerie érotique, facturée à la minute leur vient assez vite. On n’appelait pas encore cela une start-up, mais ça y ressemblait déjà et le jeune Simon apprécie assez peu que la messagerie soit appelée 3615 Monique, du nom de sa mère qui provoque chez Toni ce qu’on pourrait appeler le « syndrome du Lauréat ».

Qui se souvient du Gepan?

Ovni(s) se passe un peu plus tôt. En 1978, le projet Ariane est encore dans les cartons mais ne va pas tarder à en sortir. Comme le dit un des personnages, « la France est la troisième puissance spatiale ». Un ingénieur plutôt brillant, Didier Mathure (Melvil Poupaud) rate le lancement d’une fusée qu’il a conçue. On le placardise plus au moins au Gepan (Groupe d’études des phénomènes aérospatiaux non identifiés). Le Gepan a réellement existé, créé en 1977 alors que les OVNI étaient vus un peu partout dans l’Hexagone et que Jean-Claude Bourret en faisait des best-seller. La série, créée par Clémence Dargent et Martin Douaire, réalisée par Antony Cordier, est une déclinaison comique, mais pas parodique, de X-Files ou des Envahisseurs. L’ingénieur Mathure a des problèmes conjugaux, il est divorcé de son épouse et collaboratrice Elise (la trop rare Géraldine Pailhas). Au Gepan, il est entouré d’une équipe un peu foutraque où l’on retrouve le génial Michel Vuillermoz.

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Mais au-delà d’un scénario qui rappellera à certains les meilleurs volumes de la collection Anticipation du Fleuve Noir qu’on trouvait alors dans les tourniquets des gares, ce qui plaira ici, c’est la reconstitution très colorée de la fin des années 70, les costumes verts pomme et les cravates orange qui font mal aux yeux, les DS break, les Simca 1100, la musique planante du générique de Folon qui signalait la fin des programmes sur la deuxième chaine.

À regarder ces deux séries qui se concentrent sur la même période, une curieuse mélancolie vient peu à peu envahir ceux qui ont connu cette époque adolescents. Il semble que la France s’aimait en ce temps-là, qu’elle avait confiance en son destin de grande nation, que son Etat stratège développait des technologies qui devaient servir à tous gratuitement (le Minitel) ou qui faisaient rêver (la conquête spatiale). Et finalement, elles prouvent que la nostalgie n’est pas une posture passive mais le meilleur moyen d’explorer le passé et de comprendre tout ce que nous avons perdu en quarante ans.

Ovni(s), série créée par Clémence Dargent et Martin Douaire, réalisée par Antony Cordier. Avec Melvil Poupaud, Géraldine Pailhas, Michel Vuillermoz, Daphné Patakia, Quentin Dolmaire (Fr.-Bel., 2020, 12 × 30 min.) Le lundi soir. En intégralité sur MyCanal.

3615 Monique, série créée par Emmanuel Poulain-Arnaud et Armand Robin. Avec Noémie Schmidt, Arthur Mazet, Paul Scarfoglio (Fr., 2020, 10 × 25 min). Deux épisodes le jeudi soir. En intégralité sur MyCanal.

Lumières du Nord

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Christen Købke, Vue depuis la citadelle, côté nord, 1834 Huile sur toile, 79 x 93 cm, Ny Carlsberg Glyptotek. (Détail)

Le Petit Palais abrite une exposition consacrée à la peinture danoise de la première moitié du XIXe siècle. Cette exposition n’est malheureusement plus visible à cause de la Covid. Mais ceux qui ne l’ont pas vue peuvent s’en faire une idée sur le site du Petit Palais ou grâce au magnifique catalogue de l’exposition… Loin des pompes du néoclassicisme français, cette peinture danoise, produite pour un public d’amateurs privés, s’avère souvent pleine de verve et de délicatesse.


On croit parfois un peu vite qu’une période de puissance ou de prospérité est le terreau indispensable d’une floraison artistique. Par exemple, on a en tête la Florence des Médicis ou encore le siècle de Louis XIV. Durant la première moitié du XIXe, le Danemark enchaîne les désastres : guerres napoléoniennes, bombardements anglais, perte de la Norvège. Quelques décennies plus tard, c’est un conflit avec la Prusse qui le prive de ses territoires du Sud. Ces malheurs se prolongent de difficultés économiques et sociales et nourrissent des vagues d’antisémitisme. C’est pourtant dans ce contexte que se produit l’étonnant envol de la peinture danoise.

Le charme discret de la peinture bourgeoise

Avant d’aborder la brochette d’artistes présentés au Petit Palais, il faut dire un mot de celui qui donne, en quelque sorte, le coup d’envoi : Nicolai Abildgaard (1743-1809). Cet artiste a ceci de particulier qu’il est à cheval sur deux genres : d’une part, la grande peinture d’histoire qui répond à des commandes institutionnelles, d’autre part, des œuvres d’imagination de petite taille, à tendance fantastique et apparentées à celles de son ami Johann-Heinrich Füssli, Britannique d’adoption. Ce second genre, plus original, correspond davantage à la personnalité d’Abildgaard et s’adresse à une clientèle d’amateurs privés. En France, c’est le premier genre qui domine de façon écrasante à ce moment-là, avec de grandes compositions à visées édifiantes ou civiques dans lesquelles s’étale un néoclassicisme sentencieux. Au Danemark, au contraire, les amateurs privés font prospérer le second genre à une échelle, certes plus modeste, mais avec un ton plus véridique. Il en résulte une peinture bourgeoise qui, comme l’art hollandais des siècles précédents, privilégie les petits formats, les portraits, les paysages et les scènes de genre ou d’imagination. Un certain nombre des artistes concernés pratiquent également ces genres privés, voire intimes, que sont le dessin et la gravure. En outre, ils participent, surtout en fin de période, à l’essor de l’illustration.

11. Peter Christian Skovgaard, Champ d’avoine à Vejby, 1843 Huile sur toile, 25,5 x 28,5 cm, Copenhague, Statens Museum for Kunst © SMK Photo/Jakob Skou-Hansen
Peter Christian Skovgaard, Champ d’avoine à Vejby, 1843 Huile sur toile, 25,5 x 28,5 cm, Copenhague, Statens Museum for Kunst © SMK Photo/Jakob Skou-Hansen
Christen Købke, Vue depuis la citadelle, côté nord, 1834 Huile sur toile, 79 x 93 cm, Ny Carlsberg Glyptotek.
Christen Købke, Vue depuis la citadelle, côté nord, 1834 Huile sur toile, 79 x 93 cm, Ny Carlsberg Glyptotek.

Une impressionnante brochette d’artistes

Cette séquence est émaillée d’artistes peu connus en France, mais souvent de grand talent. C’est le cas en premier lieu d’un élève d’Abildgaard, Christoffer Wilhelm Eckersberg (1783-1853), avec qui s’ouvre l’exposition. Après avoir été tenté, comme son maître, par la peinture d’histoire, il devient un pionnier de la peinture de plein air. C’est lui qui forme la plupart des artistes de la génération suivante. Parmi eux se distingue Christen Købke (1810-1848) qui excelle aussi bien dans de petits paysages poétiques que dans des scènes de genre piquantes ou des portraits à la touche nerveuse. Rappelons qu’en France, à la même époque il n’y a guère que Corot à produire des paysages de grande qualité. Cependant, originaire d’une famille bourgeoise, Corot peint en amateur, pour lui-même, et ses œuvres ne sont largement diffusées et commercialisées que dans la seconde partie du xixe. La génération suivante de peintres danois atteint une éblouissante maturité dans la compréhension et le traitement du paysage. C’est le cas de l’excellent Peter-Christian Skovgaard (1817-1875), de Vilhelm Kyhn (1819-1903) et de Lorenz Frølich (1820-1908). Ce dernier est notamment représenté dans l’exposition du Petit Palais par son Fossé inondé. La modestie du sujet – un simple trou rempli d’eau et bordé d’herbes – contraste avec le monde de détails et de nuances auquel il nous fait accéder. Cette petite peinture (27 × 34 cm), datée de 1850, résume à elle seule la finesse et la poésie du premier art danois du paysage. C’est dire que l’exposition du Petit Palais offre un parcours particulièrement plaisant et intéressant.

Christoffer Wilhelm Eckersberg, Vue à travers trois arches du troisième étage du Colisée, 1815. Huile sur toile, 32 x 49,5 cm, Copenhague, Statens Museum for Kunst © SMK Photo/Jakob Skou-Hansen
Christoffer Wilhelm Eckersberg, Vue à travers trois arches du troisième étage du Colisée, 1815. Huile sur toile, 32 x 49,5 cm, Copenhague, Statens Museum for Kunst © SMK Photo/Jakob Skou-Hansen

À quand une exposition sur l’école de Skagen ?

Faut-il pour autant désigner, comme c’est l’usage et comme le titre le Petit Palais, ce mouvement comme l’« âge d’or de la peinture danoise » ? En réalité, sans doute pas. En effet, la période suivante, illustrée notamment par l’école de Skagen, est marquée par des artistes encore plus doués et variés. Formons donc le vœu que le Petit Palais qui sait si bien nous concocter de belles et originales expositions, nous offre dans les prochaines années une rétrospective de l’école de Skagen[tooltips content= »Bientôt au musée Marmottan : rétrospective Peder Severin Krøyer, l’un des principaux artistes de l’école de Skagen, en principe ouverture le 28 janvier sous réserve des conditions sanitaires« ](1)[/tooltips] !

À feuilleter ou à consulter: L’âge d’or de la peinture danoise sur le site du Petit Palais ou grâce au catalogue de l’exposition.

Immunité : ni diplomatique ni collective

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Jozsef Szajer, ancien eurodéputé hongrois © Peter Kohalmi/AFP.

Le 27 novembre, un eurodéputé hongrois, Jozsef Szajer, était pris dans une partouze homosexuelle à Bruxelles. Si le récit de l’incident ne manque pas de comique, quelles ont été les conséquences politiques? 


Chaude soirée à Bruxelles. Le vendredi 27 novembre, à 21 h 30, rue des Pierres, dans le quartier gay du centre historique, des riverains passent un coup de fil au commissariat pour se plaindre de tapage nocturne chez les voisins. Les policiers bruxellois interviennent et tombent sur une vingtaine de personnes à l’étage d’un bar, essentiellement des hommes, souvent nus. Ils s’adonnent à une « lockdown partouze », avec alcool et stupéfiants, dans l’irrespect le plus total des conditions sanitaires au vu de leur activité !

À lire aussi, Martin Pimentel: La France peut-elle accueillir tous les Laye Fodé Traoré du monde? 

Une partie fine cinq étoiles avec deux diplomates et un eurodéputé hongrois du Fidesz

Parmi eux, le député européen hongrois membre du Fidesz de Viktor Orban, Jozsef Szajer, mais aussi deux diplomates… Une partie fine cinq étoiles ! Dans la panique, alors que les policiers procèdent à des contrôles d’identité – pas pratique quand les interpellés ne portent même pas de slip –, Jozsef Szajer prend la fuite par la fenêtre et le long de la gouttière, barbe au vent. Il se blesse avant d’être interpellé, les mains ensanglantées… Avec une pilule d’ecstasy dans son sac à dos ! Bien sûr, la drogue s’est retrouvée là par hasard, « je n’ai rien à voir avec cette pilule, je ne sais pas qui l’a placée ni comment », expliquera-t-il plus tard à la presse, et affirme alors aux forces de l’ordre qu’il a l’immunité diplomatique. Mais pas d’immunité politique. Il démissionne de ses fonctions au Parlement européen, le 30 novembre, invoquant des « raisons personnelles » pour justifier son acte. Avant de s’excuser auprès de la presse et de ses proches une fois l’affaire révélée : « Je regrette d’avoir violé les mesures sanitaires. C’était irresponsable de ma part. » Sale temps pour les partouzeurs. L’affaire éclabousse le Fidesz, tandis que la presse anti-Orban, tout heureuse d’apprendre qu’un poids lourd du parti, décrit comme « anti-gay », participe à des orgies homosexuelles, s’en donne à cœur joie. Elle aurait tort de s’en priver.

On conviendra que partouze homo, eurodéputé hongrois conservateur et réglementations sanitaires ne font pas bon ménage.

Présidence européenne du Portugal: entre doxa franco-allemande et nostalgie impériale

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Charles Michel, président du Conseil européen, et Antonio Costa, premier ministre du Portugal, à Lisbonne le 5 janvier 2021. © Armando Franca/AP/SIPA Numéro de reportage : AP22527543_000013

Depuis le 1er janvier, le Portugal assume la présidence de l’Union européenne. Si l’« agenda européen » de Lisbonne est tristement banal, l’héritage géopolitique de cet empire oublié ne saurait être ignoré.


L’activisme de la marine russe dans l’océan Atlantique, l’intérêt de la Chine populaire et sa présence multiforme dans l’économie du Portugal, considéré comme une plate-forme logistique et un État client, incitent à prendre en compte la dimension océanique et universelle de cette nation hespériale.

La puissance d’évocation des Lusiades et du défunt empire au-delà des mers invitent les nations occidentales à renouer avec l’audace de la puissance. « Fais, ô mon roi, qu’Allemands, Italiens, Anglais et Français, si admirés soient-ils, jamais ne puissent dire que les Portugais sont moins faits pour commander que pour obéir », Luís Vaz de Camões.

Le programme que le gouvernement du Portugal entend promouvoir est des plus conformes à la doxa franco-allemande

La présidence européenne de Berlin s’achève donc avec l’obtention in extremis d’un accord censé régir les relations entre le Royaume-Uni et l’Union européenne. Encore importe-t-il de souligner le rôle de Michel Barnier, le « Mr Brexit » qui conduisit de part en part ces âpres négociations. Au 1er janvier 2021, le Portugal succèdera à l’Allemagne. À l’évidence, ce pays ne pèsera pas du même poids ; son pouvoir d’impulsion n’est pas comparable à celui de l’Allemagne. De surcroît, bien des Portugais semblent vouloir se fondre dans une Europe intégrée, refoulant ainsi une longue histoire de navigateurs et d’aventuriers, un passé impérial dont l’héritage géopolitique n’a pourtant pas été totalement liquidé.

À lire aussi, Valentin Chantereau: Pour en finir avec l’omnipotence de l’anglais dans l’Union Européenne

De fait, l’« agenda européen » du Portugal, c’est-à-dire le programme que son gouvernement entend promouvoir, est des plus conformes à la doxa franco-allemande: approfondir l’Union économique et monétaire, surmonter la fracture Nord-Sud au sein de l’Europe, accélérer la transition écologique (le « greenwashing ») et digitale, faire advenir une Europe sociale. Dans cette énumération, l’observateur ne trouvera rien qui disconvienne aux vues de Paris et Berlin, si tant est que ces deux capitales soient à l’unisson. L’énumération est également conforme aux désidératas de la Commission dite « géopolitique » de l’Union européenne et aux attentes du Parlement.

L’« agenda » de Lisbonne et l’hypothèque chinoise

En contrepartie de cet alignement, Bruno Le Maire, ministre français de l’Économie propose que le Portugal, avec ses réserves de lithium, intègre l’« Airbus des batteries électriques ». Produite au moyen de barrages électriques et d’éoliennes (40% de la production électrique nationale), l’« électricité décarbonée » portugaise pourrait aussi servir un programme d’« hydrogène vert ». Au demeurant, un problème de taille demeure: le rôle et la place de la Chine populaire dans l’économie, la finance et les infrastructures portugaises. Après le krach financier mondial de 2008, aggravé dans le cas du Portugal et de l’Eurozone par la crise des dettes souveraines qui suivit, Pékin a su instrumentaliser la conjoncture pour avancer ses pions. D’importants capitaux furent investis dans l’économie de cette nation d’Extrême-Occident (banques, assurances, tourisme, ports et infrastructures).

Partiellement occultée par l’activisme déployé en Europe centrale et balkanique (le « 17+1 »[tooltips content= »17 pays d’Europe centrale et des Balkans, dont 11 sont membres de l’UE, que Pékin soigne particulièrement NDLR »](1)[/tooltips]), la présence chinoise au Portugal s’est depuis renforcée. En 2018, Xi Jinping se rendait sur place, afin de signer dix-sept accords bilatéraux, dont un mémorandum sur les nouvelles routes de la soie (la Belt and Road Initiative). Confirmé l’année suivante, cet accord pourrait se traduire par l’ouverture d’une route pacifico-atlantique de la soie, depuis les « méditerranées asiatiques » (les mers de Chine du Sud et de l’Est) jusqu’au port de Sines, en passant par le canal de Panama. Ainsi les compagnies d’État chinoises investiraient-elles dans le plus grand port artificiel portugais, situé dans l’Algarve, une centaine de kilomètres au sud de Lisbonne (Sines assure la moitié du trafic maritime portugais). Notons par ailleurs qu’une partie de la dette portugaise est désormais acquise par la Chine populaire (les « panda bonds »).

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Cette politique complaisante, dont Lisbonne n’a pas le monopole, s’accompagne d’un discours sinophile qui porte l’accent sur cinq siècles de riches relations diplomatiques et culturelles entre le Portugal et la Chine. Le simple examen des faits historiques suffit à dissiper ce « narratif » dont le seul but est de justifier l’affairisme, nonobstant ses redoutables implications diplomatiques et stratégiques. Quant au sort de la possession portugaise de Macao qui, lors de sa rétrocession (1999), a d’emblée succombé au pouvoir communiste chinois, il est difficile de voir en quoi il validerait la thèse d’un savoir-faire particulier de Lisbonne dans ses relations avec Pékin.

Macao Image: Travel Sourced de Pixabay .
Macao Image: Travel Sourced de Pixabay .

Il faut cependant concéder le fait que le gouvernement du Portugal et nombre d’experts nationaux, tout en appelant au « pragmatisme » (mot clef du nihilisme politique), admettent la nécessité d’une politique européenne plus ferme à l’égard de la Chine populaire. Concrètement, la compagnie chinoise Huaweï pourrait être exclue de la 5G et les autorités politiques portugaises scruteraient avec plus de vigilance les projets chinois d’investissement. Malheureusement, les pressions amicales des États-Unis ont plus pesé que celles de Bruxelles. La volonté, affichée ces derniers jours, de signer un accord avec Pékin sur les investissements, sans chercher à s’entendre au préalable avec la future administration Biden, n’est d’ailleurs pas de bon augure.

Une nation hespériale

Toujours est-il que le déploiement chinois sur un vaste arc occidental, de l’Arctique à la Méditerranée, et l’intérêt porté par Pékin au Portugal, envisagé comme une plate-forme logistique et commerciale, voire comme un État client, appellent l’attention sur l’océan Atlantique. Si l’entrée dans la CEE, en 1986, semble avoir « ibérisé » le Portugal, dès lors réduit à une périphérie occidentale de la « dorsale européenne » qui court de Londres à Milan, il importe de se remémorer la place et le rôle de la mer dans l’histoire de cette nation hespériale.

À l’époque de la Reconquista, le comté de Porto n’était qu’une marche chrétienne, au nord-ouest de la péninsule Ibérique. C’est en écrasant les forces musulmanes à Ourique, en 1139, que le comte Alfonso Enriques fonde le Portugal. Il reçoit alors du Christ la promesse que son pays recevrait l’empire de la mer. Ce satellite lointain de l’économie-monde méditerranéenne se tourne vers l’océan Atlantique et conquiert ensuite un empire au-delà des mers, le premier du genre. Si l’essentiel des possessions asiatiques a été tôt perdu, au profit des Hollandais notamment, le Brésil demeura dans le giron portugais jusqu’en 1822. Quant aux possessions africaines, elles n’accédèrent à l’indépendance qu’en 1975, après la révolution des œillets. Et le Portugal maintint sa souveraineté sur Macao jusqu’à l’extrême fin du vingtième siècle.

Il serait erroné de voir en cette évocation une variante géopolitique du fado, ce chant qui exprime la « saudade ». En vérité, ce sentiment mélancolique mêle l’espoir à la nostalgie. Si le choix de la CEE a semblé ramener le Portugal au point de départ, i.e. à la condition de satellite, cette nation hespériale dispose encore d’atouts géopolitiques. Le Portugal se projette dans l’océan atlantique, à plus d’un millier de kilomètres, avec l’archipel de Madère et celui des Açores, dont on sait le rôle stratégique au cours des conflits du vingtième siècle. Ce « pays-archipel » pourrait bientôt être renforcé par l’adjonction d’un vaste domaine maritime, le troisième au monde – une demande en ce sens a été déposée auprès des Nations unies. Sur un autre plan, l’universalité de la langue portugaise, consacrée avec la fondation de la CPLP (Communauté des Pays de Langue portugaise, 1996), dessine un vaste cercle qui inclut le Brésil, plusieurs pays d’Afrique et des morceaux d’Asie.

Le regain d’activité de la flotte russe dans l’Atlantique ainsi que l’irruption de la flotte chinoise mettent en valeur la dimension atlantique du Portugal et, par voie de conséquence, la nécessaire coopération interalliée pour sauvegarder ses archipels des convoitises sino-russes. Imaginons simplement ce qu’une mainmise financière chinoise sur les Açores, carrefour atlantique de câbles sous-marins, aurait comme implications stratégiques. A l’échelon européen, la solidarité financière et économique avec le Portugal doit aller de pair avec la préservation de ses infrastructures critiques, côtières et terrestres.

Les racines du futur

Enfin, le caractère océanique du Portugal, son rayonnement linguistique et le potentiel géopolitique de cet empire oublié sont de puissantes sources d’inspiration pour une Europe menacée de provincialisation, dans un monde dont les équilibres basculent vers l’Orient. La seule souvenance des Lusiades et du monde lusophone entre en résonance avec le projet de « Global Britain » ou la perspective d’une « plus grande France », pleinement engagée dans la région Indo-Pacifique.

Trop longtemps dénigrés par une histoire positiviste et marxisante, les mobiles spirituels des navigateurs portugais de jadis, voire le mysticisme des projets de conquête, devraient être également médités. Ils sont à nouveau pris au sérieux par une histoire « interconnectée » qui ne néglige pas les facteurs idéels de la puissance.

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Ainsi l’historien indien et professeur au Collège de France Sanjay Subrahmanyam mentionne-t-il, dans son ouvrage L’Empire portugais d’Asie, 1500-1700. Histoire politique et économique (1999), la croyance en l’unification de la Chrétienté, sous la direction d’un messie portugais, réalisation du Cinquième Empire prophétisé dans le Livre de Daniel. La situation de l’Europe contemporaine constitue la démonstration a contrario de la force d’un tel messianisme: croire à peu de choses ne mène qu’à peu de choses, sinon au naufrage.

Source : Institut Thomas More

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Finkielkraut coupable de substitution idéal

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Cette compétition du dégoût aidera-t-elle un seul enfant abusé?


La ténébreuse affaire Duhamel pose un problème aux journalistes. La victime principale ne semble pas vouloir libérer sa parole dans les médias. Quant à Olivier Duhamel, il n’est pas un coupable expiatoire très accommodant. Il ne dit rien. Ne se flagelle pas publiquement. S’il a reconnu avoir fait « des choses affreuses », c’est en confidence à un ami (qui bien sûr, l’a raconté à un journaliste mais vu l’interrogatoire qu’il a dû subir, ne lui jetons pas la pierre).

Sa condamnation à la mort sociale ayant déjà été prononcée et acceptée par l’intéressé qui a démissionné de toutes ses fonctions et activités publiques, le procès menaçait de tourner court avant que tout un chacun ait pu proclamer fièrement l’aversion que lui inspirent les crimes contre les enfants – aversion parfaitement naturelle, mais qui serait plus respectable si elle était moins ostentatoire : à quoi sert-il d’annoncer urbi et orbi qu’on crache sur un homme déjà mort ? Cette compétition du dégoût aidera-t-elle un seul enfant abusé ?

On ne libère pas la parole par la force

Les procureurs ont besoin de suspects. On traque donc les complices, les coupables par omission et par association, ceux qui savaient et n’ont rien dit, ou ceux qui ne savaient pas et auraient dû savoir. On dresse des listes des invités de Sanary. Mais que savaient ceux qui savaient alors que nous ignorons presque tout de ce qui se passait dans cette chambre d’adolescent – sinon qu’il s’agissait de faits hautement condamnables ? En dépit du charivari médiatique et de la certitude que nous avons désormais de savoir, nous n’avons pas la moindre idée ce que ressentaient les protagonistes, ce qui déterminait leurs choix. Seule Camille Kouchner a livré sa vérité, brossant au passage le portrait d’une tribu où on ignorait l’heureuse séparation des générations et où les jeunes découvraient la sexualité sous le regard bienveillant des aînés.

Numéro de février, disponible: Causeur: Finkielkraut évincé de LCI, la défaite de la pensée

Selon Camille Kouchner, des années durant, personne n’a rien su. Vingt ans après les faits, lorsque des proches ont commencé à savoir, d’abord Evelyne Pisier, épouse du coupable et mère de la victime, puis au fil des années, pas mal de membres de la tribu Sanary, l’adolescent était devenu adulte. Il ne voulait ni porter plainte, ni déclencher un scandale public. Personne n’était en droit, ni moralement, ni légalement, de saisir la justice à sa place, et éventuellement contre son gré. On ne libère pas la parole par la force. Pourtant, on leur reproche aujourd’hui d’avoir respecté le souhait de « Victor », nom donné par Camille Kouchner à son jumeau. Au passage, sous couvert de souffrir pour lui, les commentateurs et experts qui dissertent sur l’inceste, le privent de sa singularité et de sa liberté : sa vie est forcément détruite, son silence forcément contraint. C’est l’une des singularités des crimes sexuels : on décrète que la souffrance est structurellement insurmontable, condamnant ainsi les victimes qui veulent et peuvent avancer à une vie « détruite », à la pitié de tous et au flash-back permanent. Et puisque la souffrance des victimes est imprescriptible, le crime doit aussi l’être, ce qui reviendrait à aligner l’inceste sur Auschwitz, le crime intime sur le crime de masse.

Vacarme girardien

Parmi ceux qui, à partir de 2008, ont été informés, certains ont rompu avec Duhamel, d’autres non. Ne soyons pas naïfs, beaucoup ont dû calculer, sans se poser la moindre question morale, qu’ils avaient plus à perdre qu’à gagner à le lâcher. Ayant contribué à son pouvoir et à sa gloire, ils en recevaient les miettes. Peut-être, cependant, quelques-uns ont-ils pensé que même le crime n’efface pas l’amitié.

Dans leur dernier article les talentueuses duettistes du Monde (Baqué-Chemin) annoncent que Duhamel « va bientôt entraîner dans sa chute tous ceux qui, jusque-là, s’inclinaient devant son pouvoir ». Il est probable en effet qu’après le préfet Marc Guillaume, faiseur de rois déchu, le directeur de Sciences Po devra jeter l’éponge. On ne s’en émouvra pas outre-mesure. Le message outragé qu’il a adressé à toute l’Ecole sur le mode « je tombe de ma chaise », pour reconnaître piteusement deux jours plus tard qu’il avait été alerté, est pour le moins accablant. La roue de l’infortune a parfois du flair. Elle en a eu moins avec Elisabeth Guigou. Si l’ancienne Garde des Sceaux dit la vérité, elle a découvert le crime ce 4 janvier. Pourtant, elle a dû démissionner de la présidence de la Commission sur l’inceste : curieusement tous ceux qui nous disent que l’inceste est partout (ce qui signifie que nous côtoyons tous sans le savoir des situations incestueuses) sont tombés sur Guigou parce qu’elle avait côtoyé sans le savoir un homme incestueux.

Dans ce vacarme girardien où la société chauffée à blanc se réconcilie en crachant sur l’abuseur d’enfants, Alain Finkielkraut est un coupable de substitution idéal. Le 11 janvier, une semaine après le début de l’affaire, notre cher philosophe évoque le sujet dans son dialogue hebdomadaire avec David Pujadas. Le soir même, l’offensive numérique à base de bouts de phrases interprétés de la façon la plus malveillante possible commence. De toute façon, il a défendu Polanski, plaisanté sur le viol un sujet sur lequel on ne plaisante pas (Coluche, reviens, ils sont devenus sérieux !) : son compte est bon.

L’émission de LCI retirée du site de la chaîne

L’après-midi, il fait partie des « Trending Topics ». À 17 heures, il est débarqué de LCI. Une chaîne où on ne plaisante pas avec le buzz. Quoique l’argument qu’elle a avancé soit dans ce désastre hautement comique : « LCI fait du débat d’idées, argumenté et respectueux, une priorité de sa ligne éditoriale. Quotidiennement, LCI s’attache à mettre en perspective des faits d’actualité avec le regard d’invités aux opinions plurielles et aux sensibilités multiples ». On vous a dit plurielles et multiples, pas contradictoires ou divergentes. Le plus cocasse, c’est que la veille, toute la France politique et médiatique s’insurgeait de la censure de Trump par Twitter. Que l’on prive le public du questionnement exigeant d’un penseur qui, de l’avis général, a fait grandir ses lecteurs n’a pas suscité de grand mouvement d’opinion. Certes, beaucoup sont sincèrement révoltés par la décision de LCI, mais tout de même, il n’aurait pas dû. Pas dû quoi au juste ?

A lire aussi: Alain Finkielkraut: la décision de LCI est absurde

Il suffit d’écouter l’émission dans son intégralité pour savoir qu’Alain Finkielkraut n’a pas dit ce qu’on l’accuse d’avoir dit. Sauf qu’on ne peut plus l’écouter. L’émission a disparu du site de la chaîne comme les portraits des purgés de Staline disparaissaient des photos (qu’Alexandre Bertolini soit remercié pour avoir déniché la vidéo et d’avoir établi le verbatim de l’échange). En conséquence, chacun a pu se faire son idée à partir du flot numérique charriant des commentaires de commentaires de commentaires de quelques phrases extraites de leur contexte. Les réseaux sociaux n’ont rien inventé, ils ont industrialisé la machine à rumeurs et universalisé le vieux principe de Richelieu (qui n’est pas de Richelieu semble-t-il) : « Donnez-moi deux mots de la main d’un homme et je le fais pendre. » La calomnie, le mensonge et la guillotine à portée de tous. C’est ce qu’on appelle le progrès.

Alain Finkielkraut n’a nullement excusé, justifié ou minimisé. Il n’a pas défendu la pédophilie ni fait l’apologie de l’inceste comme on peut le lire.  Il a même évoqué « M le Maudit », tueur de petites filles jugé et exécuté par la mafia de la ville. Les journaux le reconnaissent, ses premiers propos ont été : « Un homme ça s’empêche (…).Si mû par une passion inattendue ou par une pulsion irrépressible Olivier Duhamel n’a pas su, pas pu, ou pas voulu s’empêcher, il n’a pas seulement commis un acte répréhensible, ce qu’il a fait est très grave, il est inexcusable. » Il dit clairement « c’est inexcusable ». Peu importe, la meute a décidé qu’il excusait.

La nausée de Pierre Jacquemain

Quel est son crime alors ? C’est d’avoir voulu comprendre cet acte inexcusable. D’avoir cherché à lui restituer sa singularité quand tant d’autres ont décidé d’en faire un emblème d’une cause, l’Inceste avec un grand I, voire la pédophilie avec un grand P. Bref, il a tenté de spécifier le crime car, a-t-il rappelé « l’exercice de la Justice s’appuie « sur une vertu intellectuelle que les Grecs appelaient la phronesis, l’intelligence des cas particuliers. Cette sagesse pratique est aujourd’hui complètement balayée par la « furie de la pitié », ce mot c’est Michelet qui l’écrit à propos de la maladie des hommes de 1793.».

Finkielkraut condamne mais il ne s’en tient pas là. Il voudrait comprendre les circonstances, savoir ce qui s’est passé derrière cette porte close, ce que ressentaient les deux protagonistes. Bref, quand les tricoteuses ne se soucient que de condamner (et de faire savoir qu’elles condamnent), lui fait ce qu’aurait fait un juge pénal – ou un romancier: il pose des questions. Il essaie d’entrer dans les raisons des personnages, fussent-elles absolument déraisonnables.

On est contraint de se livrer à une fastidieuse explication de texte du passage qui a déchaîné la haine satisfaite de ses ennemis et la consternation de pas mal de ses amis.

– Finkielkraut : Y’a t’il eu consentement, à quel âge ça a commencé ? Y’a t-il eu une forme de réciprocité ?Quand vous posez ces questions on vous tombe immédiatement dessus.

– Pujadas : Parce que l’on parle d’un enfant de 14 ans !

– Finkielkraut : Et alors ? D’abord on parle d’un adolescent, ce n’est pas la même chose. Même pour spécifier le crime il faut savoir s’il y a eu consentement ou non. À chaque fois que vous voulez faire une distinction ça apparait comme une absolution. À chaque fois que vous recherchez la spécificité ou vous accuse à peu près de complicité, de crime.

Pour commencer  « et alors ? » ne signifie pas « qu’est-ce que ça peut faire ? » mais « en quoi le fait qu’il ait 14 ans interdit-il de poser ces questions ?». Quant à la distinction entre un enfant et un adolescent, qui semble pourtant relever de l’évidence, elle a par exemple donné la « nausée » à Pierre Jacquemain, extrême gauchiste tendance intestin délicat. Or, bien qu’il s’agisse de deux actes parfaitement répréhensibles, qui oserait affirmer qu’abuser d’un enfant et d’un adolescent c’est la même chose ? Ce sont deux crimes différents, qui n’obéissent pas aux mêmes pulsions. On ne pourrait pas regarder Lolita si elle avait 7 ans – du reste, même avec une Lolita de 13 ans, c’est le malaise qu’il produit qui en fait un chef d’œuvre. Peut-être parce qu’il explore une pulsion universelle – et heureusement refoulée car la plupart des hommes s’empêchent.

«Consentement» : un mot fétiche

La seule erreur véritable d’Alain Finkielkraut est d’avoir parlé de « consentement », mot-fétiche qui interdit de penser. « Il a dit consentement, il a dit consentement. Il n’y a pas de consentement. » Les salafistes de la sémantique, qui ne peuvent concevoir qu’un mot n’ait pas exactement le même sens pour tous les locuteurs, sont en boucle.

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Cependant, le consentement est aussi une notion de droit. Finkielkraut aurait dû employer « acquiescement apparent » ou « consentement formel », préciser que, même s’il avait eu lieu, ce consentement n’en était pas un, agiter une clochette à chaque phrase en rappelant que comprendre, ce n’est pas justifier. Ça aurait  alourdi ses phrases (comme ce texte) mais compliqué le travail de tous ceux qui veulent sa peau depuis si longtemps.

Une seule réaction socialement acceptable

On sait bien que ce qui rend ce crime si détestable et si singulier, c’est qu’il est une affaire de liens, donc de sentiments – trahis chez la victime, honteux chez le coupable. Un président de Cour d’Assises demanderait à la première si elle a opposé une résistance (et ne déduirait nullement d’une réponse négative que le crime était moins grave ou que la victime était complice). Puisque nous sommes les spectateurs, d’un règlement de comptes grand-familial et/ou d’une aventure thérapeutique, on aimerait, comme le ferait un romancier ou un cinéaste, pouvoir explorer cette tragédie avec plusieurs regards, entrer dans la tête de l’adolescent abusé et de l’homme abuseur. « Non on n’a pas besoin de comprendre, m’a dit un ami. Il y a un coupable et une victime point. Et il n’y a pas de consentement. C’est interdit, c’est tout. » Si on doit interdire la pulsion incestueuse, c’est bien parce qu’elle existe. Dans cette affaire c’est l’éléphant dans la pièce.

C’est à cause de cet embarrassant pachyderme que la seule réaction socialement acceptable est l’expression du dégoût, de l’effroi et de la compassion. Il faut que cette affaire touche à un point sensible et enfoui du fonctionnement social et du psychisme individuel pour qu’on en arrive à proscrire les questions et les questionneurs. Si Dostoïevski a écrit les Démons, ce n’est pas pour nous divertir, mais pour nous parler de nous.

Alain Finkielkraut a voulu réfléchir, penser l’événement et plus encore sa réception. Si on prenait les idées au sérieux, on discuterait ses propos. On lui demanderait de les préciser. Comme toujours, il est plus gratifiant d’agiter des crucifix.

Il a eu tort de croire qu’on pourrait l’entendre. Peut-être n’y croyait-il pas, d’ailleurs, mais c’est plus fort que lui. Ses détracteurs parlent de provocation, ses admirateurs pensent qu’il cherche les ennuis. Non. Il cherche la vérité. C’est la définition du courage.

Marielle, Broca, Belmondo: le beau recueil nostalgique de Thomas Morales

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Jean-Pierre Marielle et Annie Girardot en 1976 dans le film "Cours après moi que je t'attrape" de Robert Pouret. © SIPA Numéro de reportage : 00377665_000001

Notre chroniqueur régulier Thomas Morales vient de sortir un beau recueil, Ma dernière séance, dédié à trois légendes du cinéma hexagonal.


Le temps est propice à la nostalgie – comme il l’est toujours, avec Thomas Morales. Face à un présent déprimant, rien de mieux que de revenir aux vieilles gloires, de se réfugier dans les valeurs sûres, et de s’emmitoufler dans ce qu’on connaît par cœur, comme d’un plaid en laine dans une maison mal chauffée. Le plaid salvateur de Thomas Morales, c’est une collection de films de notre cinéma national, quand il pouvait encore se dire comique et populaire. Cette année, pour avoir la force de passer l’hiver, notre auteur nous offre Ma dernière séance, un beau recueil de chroniques dédié à trois légendes : Marielle, Broca, Belmondo. Du « temps béni des égéries masculines », riche de « notions aujourd’hui bannies: l’audace, le bon mot, l’ironie amusée, les amours ancillaires et le désengagement vindicatif ».

Un hommage superbe à Jean-Pierre Marielle

Les lecteurs assidus de Causeur auront le bonheur d’y relire l’hommage superbe à Jean-Pierre Marielle que Morales avait publié dans nos colonnes en forme de série d’été après sa mort en 2019, accompagné de sa filmographie complète ; probablement un des plus beaux hommages écrits par Morales (qui n’en est pourtant pas avare), dont le style virevoltant est plein d’une affection ancienne pour l’acteur qui « catapultait les cons dans la stratosphère ».

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« Marielle n’était pas un Français moyen comme on l’a souvent chroniqué, ou alors d’une moyenne puissance mille, d’une moyenne exponentielle, d’une moyenne épique. Chacun de ses gestes, cette attitude féroce et tendre, ce détachement face à une réalité trop laide, le plaçait hors concours, hors gabarit. » Dans la « pâtisserie de province », sublimant le « fornicateur des zones pavillonnaires », Marielle incarne l’insouciance française sauce Trente Glorieuses ; « convaincu que les temps funestes voileront bientôt l’horizon, alors jouissons, trinquons et égarons-nous dans la moiteur d’une touffe indisciplinée ».

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Jean-Pierre Marielle dans « Les galettes de Pont-Aven »

C’est cette période de passage, cette ligne de crête, que Morales cherche aussi chez Broca, « le dernier à avoir consigné dans ses films l’âme française, ce mélange d’insouciance et d’individualisme, d’une bourgeoisie bien élevée et d’élévation spirituelle ». Évocation de Cartouche, Le Cavaleur, Le Magnifique : « Il fait le pari insensé de la sensibilité sans mièvrerie, du panache sans gloriole, d’une recherche éperdue de pureté sans les poncifs habituels, cette glue émotionnelle qui colle maladroitement les morceaux. Il fracasse les hérauts de la Nouvelle Vague sur les récifs d’un intellectualisme fermenté ».

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Les scènes défilent, Morales va et vient entre le présent et le défilé coloré de personnages flamboyants, au premier degré magnifique, sans mauvaise conscience et sans discours moralisateur (les deux allant de pair). Le contraste est la rançon de la nostalgie. Morales est un virtuose du rocking-chair: confortablement installé, il se balance d’avant en arrière, du doux à l’amer, jusqu’à l’étourdissement tranquille et le serrement de cœur.

Ma dernière séance : Marielle, Broca et Belmondo

Price: 15,00 €

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« C’est triste, mais l’écrit tend à disparaitre du paysage français… »
Thomas Morales en entretien avec Philippe Bilger sur Fréquence Protestante

La taxe GAFA est-elle utile à la France ?

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Bruno Le Maire, ministre de l'Economie et des finances, lors de la conférence de presse à propos de la taxe GAFA. © Sipa 00897914_000028

Depuis bientôt trois quinquennats, nos dirigeants proclament « à la ville et au monde » leur volonté farouche d’imposer l’économie du numérique et les profits de ses grandes entreprises. Moins que « l’économie du numérique », ce sont surtout les grandes plateformes numériques étrangères qui sont visées – de manière générique les « GAFA » (pour Google, Apple, Facebook, Amazon) ; elles restent dans cette nouvelle économie la pierre d’achoppement du déclenchement d’une obligation fiscale.


Fidèle à sa tradition séculaire de créativité, le Parlement français a adopté, en juillet 2019, une loi créant une « taxe sur certains services fournis par les grandes entreprises du secteur numérique », dite taxe GAFA. Formellement à l’initiative de l’Union européenne en 2018 – mais véritablement soufflée par Bercy –, les pays de l’Union ont suspendu le projet en mars 2019 en raison de l’opposition, par ailleurs prévisible, de l’Irlande notamment. La France a alors décidé de faire cavalier seul, ce qui lui a permis de collecter quelque 350 millions d’euros la même année 2019. Ceci avant une « trêve » conditionnant la non-perception de ces ressources à la réussite des négociations visant à une réforme globale de la fiscalité internationale dans le cadre de l’OCDE : Paris gelait le recouvrement de sa taxe et Washington s’abstenait de sanctions. Mais cette négociation ayant échoué en octobre 2020, la version française de la taxe GAFA a donc été recouvrée, en partie, en décembre dernier.

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Techniquement, cette taxe est un prélèvement, au taux de 3 %, sur la somme des produits (le chiffre d’affaires) perçus en contrepartie de la fourniture des services, effectués en France, de ventes de données à des fins publicitaires, de mise en ligne de publicités ciblées, ainsi que de l’activité de plate-forme d’intermédiation, principalement de Marketplace. Seules les grandes entreprises du numérique sont concernées, celles réalisant 750 millions d’euros de services numériques taxables au niveau mondial et 25 millions d’euros de services numériques taxables au niveau français. Soit une trentaine d’entreprises, dont environ la moitié est américaine et une seule française.

Un système fiscal inadapté

Ce projet parait, a priori, séduisant : l’imposition des bénéfices des entreprises visées reste bien inférieure à celle des entreprises ne relevant pas de ce marché. Pour les économistes les plus pessimistes, il suffit de leur rappeler que les acteurs du numérique supportent 14 points d’impôts de moins sur leurs bénéfices que les entreprises ayant « un modèle d’affaires traditionnel européen » : 9,5% contre 23,2% d’après Pierre Moscovici alors commissaire européenOn rappellera aussi, selon un rapport du Sénat, que la société Google a supporté une imposition de 6,7 millions d’euros d’impôt sur les sociétés en France en 2015 et 17 millions d’euros en 2018. La société Airbnb, dont Paris est la première destination mondiale, a quant à elle payé 92 944 euros d’impôt sur les sociétés en France en 2016 ; la modicité de ces sommes évoque plutôt le montant d’impôt sur les sociétés d’une PME. La raison de cette situation est simple, face à l’économie du numérique, l’ordonnancement fiscal montre sa désuétude : l’impôt sur les sociétés et les autres « grands » impôts sont inadaptés à ces nouveaux modèles d’affaires. Le décalage entre, d’une part, le modèle économique des facteurs de productions de richesses ayant un caractère immatériel et, d’autre part, les critères juridiques de qualification de l’obligation fiscale qui nécessitent une tangibilité, crée une volatilité de l’assiette taxable. Les critères juridiques de qualification, tant internes qu’internationaux, ne sont donc pas adaptés à ces « passagers clandestins » du monde fiscal.

Site d'Amazon à Saran, près d'Orléans © PATRICK GELY/SIPA Numéro de reportage: 00956406_000020
Site d’Amazon à Saran, près d’Orléans © PATRICK GELY/SIPA Numéro de reportage: 00956406_000020

La France a donc décidé de les modifier. Puisqu’elle ne pouvait intervenir unilatéralement que sur ses critères juridiques nationaux, elle a cru bon de créer une nouvelle taxe, palliative du défaut des impôts préexistants. Cette nouvelle taxe est astucieuse puisqu’elle ne tombe pas sous les fourches caudines des plus de 120 conventions bilatérales signées par la France, susceptible d’y faire échec, les taxes sur le chiffre d’affaires se trouvant hors de leurs champs d’application. Là est la plus grande ingéniosité, elle permet d’assujettir des entreprises étrangères, réalisant un chiffre d’affaires en France (grâce au marché français), sans l’accord des États concernés.

En réalité, tout cela est un trompe-l’œil… Qui ne trompe personne.

La taxe est supportée par les consommateurs, pas par les entreprises

Il s’agit là d’un cas d’école de la théorie économique de l’incidence fiscale.

L’analyse de la répartition de la charge effective de l’impôt entre les différents agents économiques montre que les assujettis pourront répercuter le coût de la taxe directement ou indirectement sur les consommateurs, compte tenu de leur position de marché. Les entreprises concernées l’ont d’ailleurs annoncé : elles feront supporter la taxe sur les consommateurs français. Amazon France a, par exemple, décidé d’augmenter de 3% les frais de vente sur son site ; Apple et Google ont également annoncé une hausse des prix de leurs services.

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L’analyse économique montre aussi que cette mesure introduira des distorsions de marchés. Il est à craindre que ce nouveau prélèvement pénalise in fine les entreprises françaises du numérique, la société Criteo par exemple. Le facteur exogène étant une charge supplémentaire défavorisant les acteurs français payant déjà lourdement de l’impôt en France, quand les autres n’en paient pas ou peu… La taxe GAFA est donc une épine dans le pied des sociétés françaises, elle restreint leur…

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Université de la Réunion: pas d’historienne blanche pour la traite des Noirs

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Virginie Chaillou-Atrous. © D.R

Virginie Chaillou-Atrous, historienne de France métropolitaine, a été élue maître de conférences en « Histoire de l’esclavage, de l’engagisme et de l’économie des colonies » par l’université de la Réunion en 2016. C’était sans compter sur les militants racialistes locaux qui ont empêché sa nomination…


Faut-il être innocent dans sa chair(e) pour en occuper une ? En juin 2016, Virginie Chaillou-Atrous était élue maître de conférences en « Histoire de l’esclavage, de l’engagisme et de l’économie des colonies » par l’université de la Réunion. L’élection de l’enseignante-chercheuse, issue de la faculté de Nantes, a provoqué la colère d’associations et de médias locaux. « Ce n’est pas de n’importe quelle ville, mais de Nantes, port négrier, que l’on veut réécrire l’histoire de l’esclavage, à La Réunion ! » écrivait un journaliste insulaire. Un metteur en scène dénonçait « un outrage, un crachat à la figure » visant à « priver un peuple du droit d’écrire sa propre histoire ». Sur les réseaux sociaux, on parle très tranquillement de « zorey » (« métropolitain »), c’est-à-dire de « Blanche. » Saisi, le tribunal administratif avait finalement relevé quelques irrégularités (pourtant très courantes) dans la procédure de recrutement pour l’annuler. La justice pratique-t-elle une forme endimanchée de la vengeance mémorielle ? Elle aurait peine à trouver dans les statuts de l’Université française – métropolitaine ou ultramarine – une quelconque notion de préférence régionale justifiant sa décision.

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L’universitaire se défend de tout lien avec la traite négrière…

À défaut de son poste, l’universitaire a voulu défendre son honneur et a porté plainte au pénal pour les diffamations, injures et provocations à la discrimination qui ont marqué la campagne menée contre elle. Elle se défend de tout lien – y compris familiaux – avec la traite négrière. « On l’a appelée “la Nantaise” alors qu’elle est Vendéenne », précisait son avocate. Qu’elle vienne d’une région martyre n’a pas éveillé de compassion ou de solidarité sur l’île. Le 3 septembre, le tribunal a prononcé une relaxe générale à l’endroit de ceux qui l’avaient insultée.

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