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La taxe GAFA est-elle utile à la France ?

En partenariat avec la revue "Conflits"


La taxe GAFA est-elle utile à la France ?
Bruno Le Maire, ministre de l'Economie et des finances, lors de la conférence de presse à propos de la taxe GAFA. © Sipa 00897914_000028

Depuis bientôt trois quinquennats, nos dirigeants proclament « à la ville et au monde » leur volonté farouche d’imposer l’économie du numérique et les profits de ses grandes entreprises. Moins que « l’économie du numérique », ce sont surtout les grandes plateformes numériques étrangères qui sont visées – de manière générique les « GAFA » (pour Google, Apple, Facebook, Amazon) ; elles restent dans cette nouvelle économie la pierre d’achoppement du déclenchement d’une obligation fiscale.


Fidèle à sa tradition séculaire de créativité, le Parlement français a adopté, en juillet 2019, une loi créant une « taxe sur certains services fournis par les grandes entreprises du secteur numérique », dite taxe GAFA. Formellement à l’initiative de l’Union européenne en 2018 – mais véritablement soufflée par Bercy –, les pays de l’Union ont suspendu le projet en mars 2019 en raison de l’opposition, par ailleurs prévisible, de l’Irlande notamment. La France a alors décidé de faire cavalier seul, ce qui lui a permis de collecter quelque 350 millions d’euros la même année 2019. Ceci avant une « trêve » conditionnant la non-perception de ces ressources à la réussite des négociations visant à une réforme globale de la fiscalité internationale dans le cadre de l’OCDE : Paris gelait le recouvrement de sa taxe et Washington s’abstenait de sanctions. Mais cette négociation ayant échoué en octobre 2020, la version française de la taxe GAFA a donc été recouvrée, en partie, en décembre dernier.

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Techniquement, cette taxe est un prélèvement, au taux de 3 %, sur la somme des produits (le chiffre d’affaires) perçus en contrepartie de la fourniture des services, effectués en France, de ventes de données à des fins publicitaires, de mise en ligne de publicités ciblées, ainsi que de l’activité de plate-forme d’intermédiation, principalement de Marketplace. Seules les grandes entreprises du numérique sont concernées, celles réalisant 750 millions d’euros de services numériques taxables au niveau mondial et 25 millions d’euros de services numériques taxables au niveau français. Soit une trentaine d’entreprises, dont environ la moitié est américaine et une seule française.

Un système fiscal inadapté

Ce projet parait, a priori, séduisant : l’imposition des bénéfices des entreprises visées reste bien inférieure à celle des entreprises ne relevant pas de ce marché. Pour les économistes les plus pessimistes, il suffit de leur rappeler que les acteurs du numérique supportent 14 points d’impôts de moins sur leurs bénéfices que les entreprises ayant « un modèle d’affaires traditionnel européen » : 9,5% contre 23,2% d’après Pierre Moscovici alors commissaire européenOn rappellera aussi, selon un rapport du Sénat, que la société Google a supporté une imposition de 6,7 millions d’euros d’impôt sur les sociétés en France en 2015 et 17 millions d’euros en 2018. La société Airbnb, dont Paris est la première destination mondiale, a quant à elle payé 92 944 euros d’impôt sur les sociétés en France en 2016 ; la modicité de ces sommes évoque plutôt le montant d’impôt sur les sociétés d’une PME. La raison de cette situation est simple, face à l’économie du numérique, l’ordonnancement fiscal montre sa désuétude : l’impôt sur les sociétés et les autres « grands » impôts sont inadaptés à ces nouveaux modèles d’affaires. Le décalage entre, d’une part, le modèle économique des facteurs de productions de richesses ayant un caractère immatériel et, d’autre part, les critères juridiques de qualification de l’obligation fiscale qui nécessitent une tangibilité, crée une volatilité de l’assiette taxable. Les critères juridiques de qualification, tant internes qu’internationaux, ne sont donc pas adaptés à ces « passagers clandestins » du monde fiscal.

Site d'Amazon à Saran, près d'Orléans © PATRICK GELY/SIPA Numéro de reportage: 00956406_000020
Site d’Amazon à Saran, près d’Orléans © PATRICK GELY/SIPA Numéro de reportage: 00956406_000020

La France a donc décidé de les modifier. Puisqu’elle ne pouvait intervenir unilatéralement que sur ses critères juridiques nationaux, elle a cru bon de créer une nouvelle taxe, palliative du défaut des impôts préexistants. Cette nouvelle taxe est astucieuse puisqu’elle ne tombe pas sous les fourches caudines des plus de 120 conventions bilatérales signées par la France, susceptible d’y faire échec, les taxes sur le chiffre d’affaires se trouvant hors de leurs champs d’application. Là est la plus grande ingéniosité, elle permet d’assujettir des entreprises étrangères, réalisant un chiffre d’affaires en France (grâce au marché français), sans l’accord des États concernés.

En réalité, tout cela est un trompe-l’œil… Qui ne trompe personne.

La taxe est supportée par les consommateurs, pas par les entreprises

Il s’agit là d’un cas d’école de la théorie économique de l’incidence fiscale.

L’analyse de la répartition de la charge effective de l’impôt entre les différents agents économiques montre que les assujettis pourront répercuter le coût de la taxe directement ou indirectement sur les consommateurs, compte tenu de leur position de marché. Les entreprises concernées l’ont d’ailleurs annoncé : elles feront supporter la taxe sur les consommateurs français. Amazon France a, par exemple, décidé d’augmenter de 3% les frais de vente sur son site ; Apple et Google ont également annoncé une hausse des prix de leurs services.

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L’analyse économique montre aussi que cette mesure introduira des distorsions de marchés. Il est à craindre que ce nouveau prélèvement pénalise in fine les entreprises françaises du numérique, la société Criteo par exemple. Le facteur exogène étant une charge supplémentaire défavorisant les acteurs français payant déjà lourdement de l’impôt en France, quand les autres n’en paient pas ou peu… La taxe GAFA est donc une épine dans le pied des sociétés françaises, elle restreint leur…

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Chargé d'enseignement à l'université Paris II, élève avocat, diplômé d'HEC.

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